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Lettre à Ménécée. Epicure (341-270 av. J) Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l'exercice philosophique. Il n'est jamais trop tôt, qui que l'on soit, ni trop tard pour l'assainissement de l'âme. Tel, qui dit que l'heure de philosopher n'est pas venue ou qu'elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le  bonheur, l'heure n'est pas venue ou qu'elle n'est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune ou bien par esprit de gratitude à l'égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l'égard de l'avenir. En définitive, on doit donc se  préoccuper de ce qui crée le bonheur, s'il est vrai qu'avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout pour l'obtenir. Ces conceptions, dont je t'ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu'elles sont les principes de base du bien vivre. D'abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d'étranger à son immortalité ni rien d'incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec l'immortalité, cette béatitude. Car l es dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d'eux. Mais tels que la foule les imagine communément, ils n'existent pas : les gens ne prennent pas garde à la cohérence de ce qu'ils imaginent. N'est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. A cause de quoi l es dieux nous envoient les plus grands malheurs, et faveurs : n'ayant affaire en permanence qu'à leurs propres vertus, ils font bonne figure à qui leur ressemble, et ne se sentent aucunement concernés par tout ce qui n'est pas comme eux. Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grand des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie. Le philosophe, lui, ne craint  pas le fait de n'être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l'estomac, sans qu'il estime être mauvais de ne pas vivre. De même qu'il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n'est-ce  point le temps le plus long, mais le plus fruité qu'il butine ? Celui qui incite d'un côté le jeune à bien vivre, de l'autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l'agrément, mais surtout parce que  bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice.. Plus stupide encore celui qui dit beau de n'être  pas né, ou sitôt né, de franchir les portes de l'Hadès. S'il est persuadé de ce qu'il dit, que ne quitte-t-il la vie sur- le-champ ? Il en a l'immédiate possibilité, pour peu qu'il le veuille vraiment. S'il veut seulement jouer les  provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée. Souvenons-nous d'ailleurs que l'avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l'attendre comme devant exister, et de n'en  point désespérer comme devant certainement ne pas exister. Il est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel est le but de la vie bienheureuse. C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective d'éviter la souffrance et l'angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l'âme et du corps serait comblé. C'est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le

Lettre à Ménécée

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Lettre à Ménécée. Epicure (341-270 av. J)

Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de

l'exercice philosophique. Il n'est jamais trop tôt, qui que l'on soit, ni trop tard pour l'assainissement de l'âme. Tel,qui dit que l'heure de philosopher n'est pas venue ou qu'elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le

 bonheur, l'heure n'est pas venue ou qu'elle n'est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux.

Le second pour que, vieillissant, il reste jeune ou bien par esprit de gratitude à l'égard du passé. Le premier pour 

que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l'égard de l'avenir. En définitive, on doit donc se

 préoccuper de ce qui crée le bonheur, s'il est vrai qu'avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons

tout pour l'obtenir.

Ces conceptions, dont je t'ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en

connaissant clairement qu'elles sont les principes de base du bien vivre. D'abord, tenant le dieu pour un vivant

immortel et bienheureux, selon la notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d'étranger à son

immortalité ni rien d'incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en revanche, de tout ce qui est susceptible de lui

conserver, avec l'immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous

avons d'eux.

Mais tels que la foule les imagine communément, ils n'existent pas : les gens ne prennent pas garde à la

cohérence de ce qu'ils imaginent. N'est pas impie qui refuse des dieux populaires, mais qui, sur les dieux, projette

les superstitions populaires. Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions établies à

travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. A cause de quoi les dieux nous envoient les plus grands

malheurs, et faveurs : n'ayant affaire en permanence qu'à leurs propres vertus, ils font bonne figure à qui leur 

ressemble, et ne se sentent aucunement concernés par tout ce qui n'est pas comme eux.

Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la

sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne

nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en

l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui estradicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui

qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle

approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre !

Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand

la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné

que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en

tant que plus grand des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie. Le philosophe, lui, ne craint

 pas le fait de n'être pas en vie : vivre ne lui convulse pas l'estomac, sans qu'il estime être mauvais de ne pas

vivre. De même qu'il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la plus goûteuse, ainsi n'est-ce

 point le temps le plus long, mais le plus fruité qu'il butine ? Celui qui incite d'un côté le jeune à bien vivre, de

l'autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce que la vie a de l'agrément, mais surtout parce que

 bien vivre et bien mourir constituent un seul et même exercice.. Plus stupide encore celui qui dit beau de n'être pas né, ou sitôt né, de franchir les portes de l'Hadès. S'il est persuadé de ce qu'il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-

le-champ ? Il en a l'immédiate possibilité, pour peu qu'il le veuille vraiment. S'il veut seulement jouer les

 provocateurs, sa désinvolture en la matière est déplacée. Souvenons-nous d'ailleurs que l'avenir, ni ne nous

appartient, ni ne nous échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l'attendre comme devant exister, et de n'en

 point désespérer comme devant certainement ne pas exister.

Il est également à considérer que certains d'entre les désirs sont naturels, d'autres vains, et si certains des désirs

naturels sont contraignants, d'autres ne sont... que naturels. Parmi les désirs contraignants, certains sont

nécessaires au bonheur, d'autres à la tranquillité durable du corps, d'autres à la vie même. Or, une réflexion

irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et rejet à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque tel

est le but de la vie bienheureuse. C'est sous son influence que nous faisons toute chose, dans la perspective

d'éviter la souffrance et l'angoisse. Quand une bonne fois cette influence a établi sur nous son empire, toutetempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant plus à courir comme après l'objet d'un manque, ni à rechercher cet

autre par quoi le bien, de l'âme et du corps serait comblé. C'est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le

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 plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous la dépendance du plaisir.

Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse. C'est lui que nous avons

reconnu comme bien premier, né avec la vie. C'est de lui que nous recevons le signal de tout choix et rejet. C'est

à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien d'après son impact sur notre sensibilité. Justement

 parce qu'il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne bondissons pas sur n'importe quel plaisir : il existe

 beaucoup de plaisirs auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu'ils impliquent pour nous une avalanche de

difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme préférables à des plaisirs, dès lors qu'un plaisir pour nous plus grand doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par nature, a le bien pour intime

 parent, sans pour autant devoir être cueilli. Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes

les douleurs soient à fuir obligatoirement.

C'est à travers la confrontation et l'analyse des avantages et désavantages qu'il convient de se décider à ce

 propos. Provisoirement, nous réagissons au bien selon les cas comme à un mal, ou inversement au mal comme à

un bien.

Ainsi, nous considérons l'autosuffisance comme un grand bien : non pour satisfaire à une obsession gratuite de

frugalité, mais pour que le minimum, au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. Car nous sommes

intimement convaincus qu'on trouve d'autant plus d'agréments à l'abondance qu'on y est moins attaché, et que si

tout ce qui est naturel est plutôt facile à se procurer, ne l'est pas tout ce qui est vain. Les nourritures

savoureusement simples vous régalent aussi bien qu'un ordinaire fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du

manque : galette d'orge et eau dispensent un plaisir extrême, dès lors qu'en manque on les porte à sa bouche.

L'accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur de santé, pousse l'être humain au dynamismedans les activités nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l'occasion, les repas luxueux et, face au

sort, nous immunise contre l'inquiétude.

Quand nous parlons du plaisir comme d'un but essentiel, nous ne parlons pas des plaisirs du noceur irrécupérable

ou de celui qui a la jouissance pour résidence permanente - comme se l'imaginent certaines personnes peu au

courant et réticentes, ou victimes d'une fausse interprétation - mais d'en arriver au stade oµ l'on ne souffre pas du

corps et ou l'on n'est pas perturbé de l'âme. Car ni les beuveries, ni les festins continuels, ni les jeunes garçons ou

les femmes dont on jouit, ni la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse ne sont à

la source de la vie heureuse : c'est ce qui fait la différence avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant

minutieusement les motifs sur lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la faveur 

desquelles la plus grande confusion s'empare de l'âme.

Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence. Or donc, la prudence, d'où sont issues toutes les

autres vertus, se révèle en définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu'on en saurait vivre

agréablement sans prudence, sans honnêteté et sans justice, ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertusen effet participent de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est indissociable.

D'après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit des convictions conformes à leurs lois ?

Qui face à la mort est désormais sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la fois

comme il est aisé d'obtenir et d'atteindre le " summum " des biens, et comme celui des maux est bref en durée ou

en intensité ; s'amusant de ce que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements - les uns

advenant certes par nécessité, mais d'autres par hasard, d'autres encore par notre initiative -, parce qu'il voit bien

que la nécessité n'a de comptes à rendre à personne, que le hasard est versatile, mais que ce qui vient par notre

initiative est sans maître, et que c'est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en ce sens,

mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux, que de s'asservir aux lois du destin des

 physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les

honorant, tandis que l'autre affiche une nécessité inflexible).

Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l'homme qui ne prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la

masse des gens (un dieu ne fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas que le bien

ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux hommes par le hasard, mais pense que, pourtant,

c'est le hasard qui nourrit les principes de grands biens ou de grands maux) ; l'homme convaincu qu'il est

meilleur d'être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant bien que d'être chanceux en déraisonnant,

l'idéal étant évidemment, en ce qui concerne nos actions, que ce qu'on a jugé " bien " soit entériné par le hasard.

A ces questions, et à toutes celles qui s'y rattachent, réfléchis jour et nuit pour toi-même et pour qui est

semblable à toi, et veillant ou rêvant jamais rien ne viendra te troubler gravement : ainsi vivras-tu comme un

dieu parmi les humains. Car il n'a rien de commun avec un vivant mortel, l'homme vivant parmi des biens

immortels.

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Qu’est ce que les lumières ? E. Kant (1784)

§ 1

Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minoritéEntendre ce terme au sens d’être incapable de penser par soi-même dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son

entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute)

 puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage

de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere audeMaxime de l’Auklärung empruntée au poète latin Horace !

(Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.

§ 2

La paresse et la lâchetéLes mineurs sont totalement responsables de leur minorité dans la mesure où ils ont

vraiment les moyens d’y mettre fin, mais ne le souhaitent pas parce qu’ils choisissent la facilité. sont les causes

qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de

toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se

 poser en tuteur des premiersCes tuteurs, pétris d’ambition, maintiennent ceux qu’ils gouvernent dansl’ignorance, sans être eux-mêmes éclairés. Ceci rappelle les faiseurs d’ombres dans la caverne de Platon

( République VII). Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeurLes

 prêtres, qui souvent occupaient cette fonction de directeur de conscience au 18ème siècle auprès de ceux qui

avaient les moyens de payer, sont clairement visés ici qui me tient lieu de conscience, un médecinOn peut penser 

que le médecin est plus qualifié que nous pour décider de notre régime. qui décide pour moi de mon régime, etc.,

 je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse

 payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le

sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une

chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux

d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail (domestique) et avoir 

soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas, hors

du parc ou ils les ont enfermé. Ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s’aventurer 

seules au dehors. Or, ce danger n’est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques

chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne

ordinairement d’en refaire l’essai.

§ 3

Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui,

nature. Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre

entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions (Preceptes) et formules, ces

instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais

usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste. Quiconque même les

rejèterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas

habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail

de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.

§ 4

Mais qu’un public s’éclaire lui-même, rentre davantage dans le domaine du possible, c’est même pour peu qu’on

lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car on rencontrera toujours quelques hommes qui pensent de leur 

 propre chef, parmi les tuteurs patentés (attitrés) de la masse et qui, après avoir eux-mêmes secoué le joug de la

(leur) minorité, répandront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa valeur propre et de la vocation de chaque

homme à penser par soi-même. Notons en particulier que le public qui avait été mis auparavant par eux sous ce

 joug, les force ensuite lui-même à se placer dessous, une fois qu’il a été incité à l’insurrection par quelques-uns

de ses tuteurs incapables eux-mêmes de toute lumière : tant il est préjudiciable d’inculquer des préjugés parce

qu’en fin de compte ils se vengent eux-mêmes de ceux qui en furent les auteurs ou de leurs devanciers. Aussi un

 public ne peut-il parvenir que lentement aux lumières. Une révolution peut bien entraîner une chute dudespotisme personnel et de l’oppression intéressée ou ambitieuse,(cupide et autoritaire) mais jamais une vraie

réforme de la méthode de penser ; tout au contraire, de nouveaux préjugés surgiront qui serviront, aussi bien que

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les anciens de lisière à la grande masse privée de pensée.

§ 5

Or, pour ces lumières, il n’est rien requis d’autre que la liberté ; et à vrai dire la liberté la plus inoffensive de tout

ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Mais

 j’entends présentement crier de tous côtés : « Ne raisonnez pas » ! L’officier dit : Ne raisonnez pas, exécutez !Le financier : (le percepteur) « Ne raisonnez pas, payez ! » Le prêtre : « Ne raisonnez pas, croyez : » (Il n’y a

qu’un seul maître au monde qui dise « Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais

obéissez ! ») Il y a partout limitation de la liberté. Mais quelle limitation est contraire aux lumières ? Laquelle ne

l’est pas, et, au contraire lui est avantageuse ? - Je réponds : l’usage public de notre propre raison doit toujours

être libre, et lui seul peut amener les lumières parmi les hommes ; mais son usage privé peut être très sévèrement

limité, sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des lumières. J’entends par usage public de notre propre

raison celui que l’on en fait comme savant devant l’ensemble du public qui lit. J’appelle usage privé celui qu’on

a le droit de faire de sa raison dans un poste civil ou une fonction déterminée qui vous sont confiés. Or il y a pour 

maintes affaires qui concourent à l’intérêt de la communauté un certain mécanisme qui est nécessaire et par le

moyen duquel quelques membres de la communauté doivent se comporter passivement afin d’être tournés, par le

gouvernement, grâce à une unanimité artificielle, vers des fins publiques ou du moins pour être empêchés de

détruire ces fins. Là il n’est donc pas permis de raisonner ; il s’agit d’obéir. Mais, qu’une pièce (élément) de la

machine se présente en même temps comme membre d’une communauté, et même de la société civileuniverselle, en qualité de savant, qui, en s’appuyant sur son propre entendement, s’adresse à un public par des

écrits : il peut en tout cas raisonner, sans qu’en pâtissent les affaires auxquelles il est préposé partiellement en

tant que membre passif. Il serait très dangereux qu’un officier à qui un ordre a été donné par son supérieur,

voulût raisonner dans son service sur l’opportunité ou l’utilité de cet ordre ; il doit obéir. Mais si l’on veut être

 juste, il ne peut lui être défendu, en tant que savant, de faire des remarques sur les fautes en service de guerre et

de les soumettre à son public pour qu’il les juge. Le citoyen ne peut refuser de payer les impôts qui lui sont

assignés : même une critique impertinente de ces charges, s’il doit les supporter, peut être punie en tant que

scandale (qui pourrait occasionner des désobéissances généralisées). Cette réserve faite, le même individu n’ira

 pas à l’encontre des devoirs d’un citoyen, s’il s’exprime comme savant, publiquement, sa façon de voir contre la

maladresse ou même l’injustice de telles impositions. De même un prêtre est tenu de faire l’enseignement à des

catéchumènes et à sa paroisse selon le symbole de l’Eglise qu’il sert, car il a été admis sous cette condition.

Mais, en tant que savant, il a pleine liberté, et même plus : il a la mission de communiquer au public toutes ses

 pensées soigneusement pesées et bien intentionnées sur ce qu’il y a d’incorrect dans ce symbole et de luisoumettre ses projets en vue d’une meilleure organisation de la chose religieuse et ecclésiastique. En cela non

 plus il n’y a rien qui pourrait être porté à charge à sa conscience. Car ce qu’il enseigne par suite de ses fonctions,

comme mandataire de l’Eglise, il le présente comme quelque chose au regard de quoi il n’a pas libre pouvoir 

d’enseigner selon son opinion personnelle, mais en tant qu’enseignement qu’il s’est engagé à professer au nom

d’une autorité étrangère.

§ 6

Il dira « Notre Eglise enseigne telle ou telle chose. Voilà les arguments dont elle se sert ». Il tirera en cette

occasion

 pour sa paroisse tous les avantages pratiques de propositions auxquelles il ne souscrirait pas en toute conviction,

mais qu’il s’est pourtant engagé à exposer parce qu’il n’est pas entièrement

impossible qu’il s’y trouve une vérité cachée, et qu’en tout cas, du moins, rien ne s’y trouve qui contredise la

religion intérieure. Car, s’il croyait trouver rien de tel, il ne saurait en conscience conserver ses fonctions ; il

devrait s’en démettre. Par conséquent l’usage de sa raison que fait un éducateur en exercice devant son

assistance est seulement un usage privé, parce qu’il s’agit simplement d’une réunion de famille, si grande que

celle-ci puisse être, et, par rapport à elle, en tant que prêtre, il n’est pas libre et ne doit non plus l’être, parce qu’il

remplit une fonction étrangère. Par contre, en tant que savant, qui parle par des écrits au public proprement dit,

c’est-à-dire au monde, - tel donc un membre du clergé dans l’usage public de sa raison - il jouit d’une liberté

sans bornes d’utiliser sa propre raison et de parler en son propre nom. Car prétendre que les tuteurs du peuple

(dans les affaires spirituelles) doivent être eux-mêmes à leur tour mineurs, c’est là une ineptie, qui aboutit à la

 perpétuation éternelle des inepties.

§ 7

Mais une telle société ecclésiastique, en quelque sorte un synode d’Eglises, ou une classe de Révérends (comme

elle s’intitule elle-même chez les Hollandais), ne devrait-elle pas être fondée en droit à faire prêter serment sur 

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un certain symbole immuable, pour faire peser par ce procédé une tutelle supérieure incessante sur chacun de ses

membres, et, par leur intermédiaire, sur le peuple, et pour précisément éterniser cette tutelle ? Je dis que c’est

totalement impossible. Un tel contrat qui décidérait d’écarter pour toujours toute lumière nouvelle du genre

humain, est radicalement nul et non avenu ; quand bien même serait-il entériné par l’autorité suprême, par des

Parlements, et par les traités de paix les plus solennels. Un siècle ne peut pas se confédérer et jurer de mettre le

suivant dans une situation qui lui rendra impossible d’étendre ses connaissances (particulièrement celles qui sont

d’un si haut intérêt), de se débarrasser des erreurs, et en général de progresser dans les lumières. Ce serait uncrime contre la nature humaine, dont la destination originelle consiste justement en ce progrès ; et les

successeurs sont donc pleinement fondés à rejeter pareils décrets, en arguant de l’incompétence et de la légèreté

qui y présidèrent. La pierre de touche de tout ce qui peut être décidé pour un peuple sous forme de loi tient dans

la question suivante : « Un peuple accepterait-il de se donner lui-même pareille loi ? » Eventuellement il pourrait

arriver que cette loi fût en quelque manière possible pour une durée déterminée et courte, dans l’attente d’une loi

meilleure, en vue d’introduire un certain ordre. Mais c’est à la condition de laisser en même temps à chacun des

citoyens, et particulièrement au prêtre, en sa qualité de savant, la liberté de formuler des remarques sur les vices

inhérents à l’institution actuelle, et de les formuler d’une façon publique, c’est-à-dire par des écrits, tout en

laissant subsister l’ordre établi. Et cela jusqu’au jour où l’examen de la nature de ces choses aurait été conduit

assez loin et assez confirmé pour que, soutenu par l’accord des voix (sinon de toutes), un projet puisse être porté

devant le trône : projet destiné à protéger les communautés qui se seraient unies, selon leurs propres conceptions,

 pour modifier l’institution religieuse, mais qui ne contraindrait pas ceux qui voudraient demeurer fidèles à

l’ancienne. Mais, s’unir par une constitution durable qui ne devrait être mise en doute par personne, ne fût-ce que pour la durée d’une vie d’homme, et par là frapper de stérilité pour le progrès de l’humanité un certain laps de

temps, et même le rendre nuisible pour la postérité, voilà ce qui est absolument interdit.

§ 8

Un homme peut bien, en ce qui le concerne, ajourner l’acquisition d’un savoir qu’il devrait posséder. Mais y

renoncer, que ce soit pour sa propre personne, et bien plus encore pour la postérité, cela s’appelle voiler les

droits sacrés de l’humanité et les fouler aux pieds. Or, ce qu’un peuple lui-même n’a pas le droit de décider 

quant à son sort, un monarque a encore bien moins le droit de le faire pour le peuple, car son autorité législative

 procède justement de ce fait qu’il rassemble la volonté générale du peuple dans la sienne propre. Pourvu

seulement qu’il veille à ce que toute amélioration réelle ou supposée se concilie avec l’ordre civil, il peut pour le

reste laisser ses sujets faire de leur propre chef ce qu’ils trouvent nécessaire d’accomplir pour le salut de leur 

âme ; ce n’est pas son affaire, mais il a celle de bien veiller à ce que certains n’empêchent point par la force lesautres de travailler à réaliser et à hâter ce salut de toutes leurs forces en leur pouvoir. Il porte même préjudice à

sa majesté même s’il s’immisce en cette affaire en donnant une consécration officielle aux écrits dans lesquels

ses sujets s’efforcent de tirer leurs vues au clair, soit qu’il le fasse sous sa propre et très haute autorité, ce en quoi

il s’expose au grief « César n’est pas au-dessus des grammairiens », soit, et encore plus, s’il abaisse sa suprême

 puissance assez bas pour protéger dans son Etat le despotisme clérical et quelques tyrans contre le reste de ses

sujets.

§ 9

Si donc maintenant on nous demande : « Vivons-nous actuellement dans un siècle éclairé ? », voici la réponse : «

 Non, mais bien dans un siècle en marche vers les lumières. » Il s’en faut encore de beaucoup , au point où en

sont les choses, que les humains, considérés dans leur ensemble, soient déjà en état, ou puissent seulement y être

mis, d’utiliser avec maîtrise et profit leur propre entendement, sans le secours d’autrui, dans les choses de la

religion.

§ 10

Toutefois, qu’ils aient maintenant le champ libre pour s’y exercer librement, et que les obstacles deviennent

insensiblement moins nombreux, qui s’opposaient à l’avènement d’une ère générale des lumières et à une sortie

de cet état de minorité dont les hommes sont eux-mêmes responsables, c’est ce dont nous avons des indices

certains. De ce point de vue, ce siècle est le siècle des lumières, ou siècle de Frédéric.

§ 11

Un prince qui ne trouve pas indigne de lui de dire qu’il tient pour un devoir de ne rien prescrire dans les affairesde religion aux hommes, mais de leur laisser en cela pleine liberté, qui par conséquent décline pour son compte

l’épithète hautaine de tolérance, est lui-même éclairé : et il mérite d’être honoré par ses contemporains et la

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 postérité reconnaissante, eu égard à ce que le premier il sortit le genre humain de la minorité, du moins dans un

sens gouvernemental, et qu’il laissa chacun libre de se servir en tout ce qui est affaire de conscience, de sa propre

raison. Sous lui, des prêtres vénérables ont le droit, sans préjudice des devoirs professionnels, de proférer leurs

 jugements et leurs vues qui s’écartent du symbole officiel, en qualité d’érudits, et ils ont le droit de les soumettre

librement et publiquement à l’examen du monde, à plus forte raison toute autre personne qui n’est limitée par 

aucun devoir professionnel. Cet esprit de liberté s’étend encore à l’extérieur, même là où il se heurte à des

obstacles extérieurs de la part d’un gouvernement qui méconnaît son propre rôle. Cela sert au moins d’exemple àce dernier pour comprendre qu’il n’y a pas à concevoir la moindre inquiétude pour la durée publique et l’unité de

la chose commune dans une atmosphère de liberté. Les hommes se mettent d’eux-mêmes en peine peu à peu de

sortir de la grossièreté, si seulement on ne s’évertue pas à les y maintenir.

§ 12

J’ai porté le point essentiel dans l’avènement des lumières sur celles par lesquelles les hommes sortent d’une

minorité dont ils sont eux-mêmes responsables, - surtout sur les questions de religion ; parce que, en ce qui

concerne les arts et les sciences, nos maîtres n’ont aucun intérêt à jouer le rôle de tuteurs sur leurs sujets ; par 

dessus le marché, cette minorité dont j’ai traité est la plus préjudiciable et en même temps la plus déshonorante

de toutes. Mais la façon de penser d’un chef d’Etat qui favorise les lumières, va encore plus loin, et reconnaît

que, même du point de vue de la législation, il n’y a pas danger à permettre à ses sujets de faire un usage public

de leur propre raison et de produire publiquement à la face du monde leurs idées touchant une élaborationmeilleure de cette législation même au travers d’une franche critique de celle qui a déjà été promulguée ; nous en

avons un exemple illustre, par lequel aucun monarque n’a surpassé celui que nous honorons.

§ 13

Mais aussi, seul celui qui, éclairé lui-même, ne redoute pas l’ombre (les fantômes), tout en ayant sous la main

une armée nombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique, peut dire ce qu’un Etat libre ne

 peut oser : « Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu’il vous plaira, mais obéissez !

§ 14

Ainsi les affaires humaines prennent ici un cours étrange et inattendu : de toutes façons, si on considère celui-ci

dans son ensemble, presque tout y est paradoxal. Un degré supérieur de liberté civile paraît avantageux à laliberté de l’esprit du peuple et lui impose néanmoins des limites infranchissables

; un degré moindre lui fournit l’occasion de s’étendre de tout son pouvoir. Une fois donc que la nature sous cette

rude écorce a libéré un germe, sur lequel elle veille avec toute sa tendresse,

c’est-à-dire cette inclination et cette disposition à la libre pensée, cette tendance alors agit graduellement à

rebours sur les sentiments du peuple (ce par quoi le peuple augmente peu à peu son aptitude à se comporter en

liberté) et pour finir elle agit même en ce sens sur les fondements du gouvernement, lequel trouve profitable pour 

lui-même de traiter l’homme, qui est alors plus qu’une machine, selon la dignité qu’il mérite.

§ 15

Dans les Nouvelles Hebdomadaires de Bueschning du 13 septembre, je lis aujourd’hui 30 du même mois

l’annonce de la Revue Mensuelle Berlinoise, où se trouve la réponse de M. Mendelssohn à la même question ? Je

ne l’ai pas encore eue entre les mains ; sans cela elle aurait arrêté ma présente réponse, qui ne peut plus être

considérée maintenant que comme un essai pour voir jusqu’où le hasard peut réaliser l’accord des pensées.

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Une difficulté de la psychanalyse. Freud (1917)

Je commencerai par dire que je n’entends pas parier d’une difficulté intellectuelle, de quelque

chose qui rende la psychanalyse inaccessible à l’intelligence de celui auquel elle s’adresse(auditeur ou lecteur), mais d’une difficulté affective, de quelque chose par quoi la

 psychanalyse s’aliène la sympathie de l’auditeur ou du lecteur et qui rend celui-ci moins

enclin à lui accorder intérêt et créance. Ainsi qu’on peut le voir, ces deux difficultés

aboutissent au même résultat. Qui n’éprouve pas assez de sympathie pour une chose ne sait

 pas non plus la comprendre aussi aisément.

Par égard pour mon lecteur, que je m’imagine être un profane, je me vois forcé de reprendre

les choses de plus haut. En psychanalyse, à la suite d’un grand nombre d’observations et

d’impressions isolées, s’est enfin édifié quelque chose comme une théorie, connue sous le

nom de « théorie de la libido ». La psychanalyse s’applique, ainsi qu’on le sait, à comprendre

et à guérir des troubles appelés troubles nerveux. Il fallait, pour attaquer ce problème, trouver un point par où l’aborder, et l’on se décida à la rechercher dans la vie instinctive de l’âme.

Des hypothèses relatives à la vie instinctive de l’homme devinrent ainsi la base de notre

conception de la nervosité.

La psychologie, telle qu’elle est enseignée dans nos écoles, ne nous donne, quand nous

l’interrogeons sur les problèmes de la vie psychique, que des réponses très peu satisfaisantes.

Mais il n’est pas de domaine où les renseignements qu’elle nous fournit soient plus précaires

qu’au domaine des instincts.

C’est à nous de voir ici comment trouver une première orientation. La conception populairedistingue la faim et l’amour et voit en eux les représentants des instincts qui tendent, d’une

 part, à la conservation de l’individu, d’autre part, à sa reproduction. En adoptant de notre côté

cette distinction qui semble toute naturelle, nous séparons de même en psychanalyse les

instincts de conservation, ou du moi, des instincts sexuels, et nous appelons la force avec

laquelle l’instinct sexuel se manifeste dans la vie psychique libido, c’est-à-dire désir sexuel,

voyant en elle quelque chose d’analogue à la faim, à la volonté de puissance, etc. au sein des

instincts du moi.

Ceci posé, nous faisons sur ce terrain notre première découverte importante. Nous découvrons

que, pour comprendre les maladies nerveuses, il faut attribuer la signification de beaucoup la

 plus grande aux instincts sexuels, que les névroses sont, pour ainsi dire, les maladiesspécifiques de la fonction sexuelle. Nous voyons encore qu’il dépend de la quantité de la

libido et de la possibilité de satisfaire celle-ci et de la décharger en la satisfaisant, qu’un sujet

tombe ou non malade d’une névrose. Nous comprenons que la forme de sa maladie est

déterminée par la manière dont l’individu a effectué l’évolution de sa fonction sexuelle, ou,

comme nous le disons, par les fixations que sa libido a éprouvées au cours de cette évolution.

Et une certaine technique que nous possédons et qui n’est pas des plus simples, technique qui

nous met à même d’exercer sur le malade une influence psychique, nous permet à la fois

d’élucider et de faire rétrocéder maintes sortes de névroses. Notre effort thérapeutique a le

 plus de succès auprès d’une certaine classe de névroses, celles qui proviennent du conflit entre

les instincts du moi et les instincts sexuels. Car, chez l’homme, il arrive que les exigences des

instincts sexuels, qui débordent de beaucoup l’individualité, lui semblent un danger quimenace ou sa propre conservation ou l’estime qu’il se doit à lui-même. Alors le moi se met

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sur la défensive, il refuse aux instincts sexuels la satisfaction qu’ils désirent, et les oblige à ces

détours vers une satisfaction substitutive qui se manifeste sous forme de symptômes nerveux.

La thérapeutique psychanalytique parvient alors à soumettre à une révision le processus de

refoulement et à mener ce conflit vers une issue meilleure, compatible avec la santé. Des

adversaires incompréhensifs nous reprochent alors d’être exclusifs en estimant trop hautl’importance des instincts sexuels : l’homme possède donc d’autres intérêts que les sexuels!

C’est ce que nous n’avons pas un seul instant oublié ou nié. Notre point de vue exclusif est

semblable à celui du chimiste qui ramène toutes les constitutions de la matière à la force de

l’attraction chimique. Il ne conteste pas par-là la pesanteur, mais c’est au physicien qu’il

laisse le soin de l’estimer.

Au cours du travail thérapeutique, nous avons à nous préoccuper de la répartition de la libido

chez le malade, nous cherchons à découvrir quelles sont les représentations objectales

auxquelles sa libido est fixée et nous la libérons pour la mettre à la disposition du mot. Nous

sommes ainsi arrivés à nous faire un très singulier tableau de la répartition primitive de la

libido chez l’homme. Nous dûmes admettre qu’au commencement du développementindividuel, toute libido (toute tendance érotique, toute faculté amoureuse) est fixée à la propre

 personne et investit, comme nous disons, le propre moi. Ce n’est que plus tard que la libido,

en prenant appui sur la satisfaction des grands besoins vitaux, déborde du moi sur les objets

extérieurs, ce qui nous met à même de reconnaître les instincts libidinaux en tant que tels et de

les distinguer des instincts du moi. La libido peut être détachée à nouveau de ces objets et

retirée dans le mot.

L’état dans lequel le moi retient la libido, nous l’appelons narcissisme, en souvenir de la

légende grecque du jeune Narcisse, amoureux de sa propre image reflétée dans l’eau.

 Nous attribuons ainsi à l’individu la faculté de progresser en allant du narcissisme à l’amour 

objectal. Mais nous ne croyons pas qu’il arrive jamais que toute la libido du moi se déverse

sur les objets. Il reste toujours dans le moi une certaine quantité de libido, un certain degré de

narcissisme persiste, malgré un amour objectal très développé. Le moi est un grand réservoir 

hors duquel s’épand la libido destinée aux objets et vers lequel elle retourne de nouveau. La

libido objecturale était primitivement libido du moi, et elle peut de nouveau se retransformer 

en libido du moi. Il est indispensable à la pleine santé du sujet que sa libido ne perde pas sa

 pleine mobilité. Pour rendre sensible ce rapport, pensons à une amibe, dont la substance

consistante et fluide émet des pseudopodes, appendices dans lesquels la substance vitale

s’étend, mais qu’elle peut à tout instant ramener de nouveau en elle, de telle sorte que la

forme du petit noyau protoplasmique se trouve rétablie.

Ce que j’ai cherché à décrire par ce qui précède, c’est la théorie de la libido dans les névroses,

sur laquelle se fonde notre manière de comprendre la nature de ces états morbides et notre

intervention thérapeutique en ce qui les concerne. Il va de soi que nous considérons ces

 propositions de la théorie de la libido comme également valables pour le comportement

normal. Nous parlons du narcissisme du petit enfant et nous rapportons au narcissisme

 prépondérant de l’homme primitif sa croyance à la toute-puissance de ses pensées et ce fait

que, par suite, il se figure pouvoir, par la technique de la magie, influer sur les événements du

monde extérieur.

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Ce préambule achevé, je voudrais exposer comment le narcissisme, l’amour-propre de

l’humanité en général a jusqu’à présent éprouvé, de par l’investigation scientifique trois

graves humiliations.

a) Au début de cette investigation, l’homme pensa d’abord que son habitation, la terre, se

tenait en repos au centre de l’univers, tandis que le soleil, la lune et les planètes se mouvaientdans des orbites circulaires autour de celle-ci. Il en croyait ainsi naïvement ses sens, car 

l’homme ne sent point le mouvement de la terre, et partout où il peut porter librement ses

regards, il se trouve au centre d’un cercle qui renferme le monde extérieur. La position

centrale de la terre lui était d’ailleurs une garantie du rôle prédominant de celle-ci dans

l’univers et semblait en harmonie avec sa tendance à se sentir le seigneur de ce monde.

La ruine de cette illusion narcissique se rattache pour nous au nom et à l’œuvre de Nicolas

Copernic, au XVIe siècle. Les pythagoriciens avaient, bien longtemps avant lui, eu des doutes

sur cette situation privilégiée de la terre et Aristarque de Samos, dès le IIIe siècle avant J.-C.,

déclarait que la terre était plus petite que le soleil et qu’elle devait se mouvoir autour de cet

astre. Ainsi, même la grande découverte de Copernic avait déjà été faite avant lui. Maislorsqu’elle obtint l’assentiment général, l’amour-propre humain éprouva sa première

humiliation, la cosmologique.

b) L’homme s’éleva, au cours de son évolution culturelle, au rôle de seigneur sur ses

semblables de race animale. Mais, non content de cette prédominance, il se mit à creuser un

abîme entre eux et lui-même. Il leur refusa la raison et s’octroya une âme immortelle, se

targua d’une descendance divine qui lui permettait de déchirer tout lien de solidarité avec le

monde animal. Cette présomption, ce qui est curieux, reste encore étrangère au petit enfant

comme à l’homme primitif. Elle est le résultat d’une évolution ultérieure, à visées plus

ambitieuses. L’homme primitif, au stade du totémisme, ne trouvait nullement choquant de

faire descendre son clan d’un ancêtre animal. Le mythe, qui contient le résidu de cette antique

façon de penser, fait prendre aux dieux des corps d’animaux, et l’art des temps primitifs

donne aux dieux des têtes d’animaux. L’enfant ne ressent aucune différence entre son propre

être et celui de l’animal ; c’est sans étonnement qu’il trouve dans les contes des animaux

 pensants, parlants ; il déplace un affect de peur inspire par son père sur le chien ou sur le

cheval, sans avoir en cela l’intention de ravaler son père. C’est seulement après avoir grandi

qu’il se sera suffisamment éloigné de l’animal pour pouvoir injurier l’homme en lui donnant

des noms de bêtes.

 Nous savons tous que les travaux de Charles Darwin, de ses collaborateurs et de ses

 prédécesseurs, ont mis fin à cette prétention de l’homme voici à peine un peu plus d’un demi-siècle. L’homme n’est rien d’autre, n’est rien de mieux que l’animal, il est lui-même issu de la

série animale, il est apparenté de plus près à certaines espèces, à d’autres de plus loin. Ses

conquêtes extérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence

qui se manifestent tant dans la conformation de son corps que dans ses dispositions

 psychiques. C’est là cependant la seconde humiliation du narcissisme humain : l’humiliation

biologique.

c) La troisième humiliation, d’ordre psychologique, lui est cependant la plus sensible.

L’homme, quelque rabaissé qu’il soit au-dehors, se sent souverain dans sa propre âme. Il s’est

forgé quelque part, au cœur de son moi, un organe de contrôle qui surveille si ses propresémotions et ses propres actions sont conformes à ses exigences. Ne le sont-elles pas, les voilà

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impitoyablement inhibées et reprises. La perception intérieure, la conscience, rend compte au

moi de tous les processus importants qui ont lieu dans l’appareil psychique, et la volonté,

guidée par ces renseignements, exécute ce qui est ordonné par le moi, corrigeant ce qui

voudrait se réaliser de manière indépendante. Car cette âme n’est rien de simple, mais bien

 plutôt une hiérarchie d’instances supérieures ou inférieures, un enchevêtrement d’impulsions

qui, indépendantes les unes des autres, cherchent à se réaliser et qui répondent au grandnombre d’instincts et de rapports au monde extérieur, beaucoup d’entre elles étant contraires

et incompatibles. Il est nécessaire à la fonction psychique que l’instance supérieure prenne

connaissance de tout ce qui se prépare et que sa volonté puisse pénétrer partout pour y exercer 

son influence. Et le moi se sent assuré aussi bien de l’intégralité et de la sûreté des

renseignements que de l’exécution des ordres qu’il donne.

Dans certaines maladies et, de fait, justement dans les névroses, que nous étudions, il en est

autrement. Le moi se sent mal à l’aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre

maison, l’âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d’où elles viennent ; on

n’est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même être plus forts

que ceux qui sont soumis au moi; ils résistent à toutes les forces de la volonté qui ont déjà faitleurs preuves, restent insensibles à une réfutation logique, ils ne sont pas touchés par 

l’affirmation contraire de la réalité. Ou bien il survient des impulsions qui semblent provenir 

d’une personne étrangère, si bien que le moi les renie, mais il s’en effraie cependant et il est

obligé de prendre des précautions contre elles. Le mot se dit que c’est là une maladie, une

invasion étrangère et il redouble de vigilance, mais il ne peut comprendre pourquoi il se sent

si étrangement frappé d’impuissance.

La psychiatrie conteste à la vérité que ces phénomènes soient le fait de mauvais esprits du

dehors qui auraient fait effraction dans la vie psychique, mais elle se contente alors de dire en

haussant les épaules : dégénérescence, prédisposition héréditaire, infériorité constitutionnelle!

La psychanalyse entreprend d’élucider ces cas morbides inquiétants, elle organise de longues

et minutieuses recherches, elle se forge des notions de secours et des constructions

scientifiques, et, finalement, peut dire au mot : « Il n’y a rien d’étranger qui Se soit introduit

en toi, c’est une part de ta propre vie psychique qui s’est soustraite à ta connaissance et à la

maîtrise de ton vouloir. C’est d’ailleurs pourquoi tu es si faible dans ta défense ; tu luttes avec

une partie de ta force contre l’autre partie, tu ne peux pas rassembler toute ta force ainsi que tu

le ferais contre un ennemi extérieur. Et ce n’est même pas la pire ou la plus insignifiante

 partie de tes forces psychiques qui s’est ainsi opposée à toi et est devenue indépendante de

toi-même. La faute, je dois le dire, en revient à toi. Tu as trop présumé de ta force lorsque tu

as cru pouvoir disposer à ton gré de tes instincts sexuels et n’être pas obligé de tenir compte le

moins du monde de leurs aspirations. Ils se sont alors révoltés et ont suivi leurs propres voiesobscures afin de se soustraire à la répression, ils ont conquis leur droit d’une manière qui ne

 pouvait plus te convenir. Tu n’as pas su comment ils s’y sont pris, quelles voies ils ont

choisies ; seul, le résultat de ce travail, le symptôme, qui se manifeste par la souffrance que tu

éprouves, est venu à ta connaissance. Tu ne le reconnais pas, alors, comme étant le rejeton de

tes instincts repoussés et tu ignores qu’il en est la satisfaction substitutive.

« Mais tout ce processus n’est possible qu’à une seule condition : c’est que tu te trouves

encore dans l’erreur sur un autre point important. Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton

âme, dès que c’est suffisamment important, parce que ta conscience te l’apprendrait alors. Et

quand tu restes sans nouvelles d’une chose qui est dans ton âme, tu admets, avec une parfaite

assurance, que cela ne s’y trouve pas. Tu vas même jusqu’à tenir « psychique » pour identiqueà « conscient », c’est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes qu’il

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doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu’il ne peut s’en révéler à

ta conscience. Laisse-toi donc instruire sur ce point-là!

« Le psychique ne coïncide pas en toi avec le conscient : qu’une chose se passe dans ton âme

ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n’est pas la même chose. A l’ordinaire, J’en

conviens, le service d’information fait à ta conscience peut suffire à tes besoins. Tu peux te bercer de l’illusion que tu apprends tout ce qui est le plus important. Mais dans bien des cas,

 par exemple à l’occasion de l’un de ces conflits instinctuels, il te fait faux bond, et alors ta

volonté ne va pas plus loin que ton savoir. Mais, dans tous les cas, ces renseignements de ta

conscience sont incomplets et souvent peu sûrs ; bien souvent encore il se trouve que tu n’es

informé des événements que lorsqu’ils sont accomplis et que tu n’y peux plus rien changer.

Qui pourrait, même lorsque tu n’es pas malade, estimer tout ce qui se meut dans ton âme dont

tu ne sais rien ou sur quoi tu es faussement renseigné? Tu te comportes comme un monarque

absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui

ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et

apprends d’abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-

être éviteras-tu de le devenir. »

C’est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés

qu’elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être

complètement domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes

inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés au moi que par une perception

incomplète et incertaine, équivalent à affirmer que le moi n’est pas maître dans sa propre

maison. Elles constituent à elles deux la troisième humiliation de l’amour-propre humain, je

l’appellerai la psychologique. Quoi d’étonnant alors à ce que le moi n’accorde pas ses faveurs

à la psychanalyse et refuse opiniâtrement d’avoir foi en elle!

Peu d’hommes, sans doute, s’en rendent clairement compte : ce serait une démarche lourde de

conséquences pour la science comme pour la vie pratique que d’accepter l’hypothèse de

 processus psychiques inconscients. Mais hâtons-nous d’ajouter que ce n’est pas la

 psychanalyse qui, la première, a fait ce pas. D’éminents philosophes peuvent être cités pour 

ses devanciers, avant tout autre le grand penseur Schopenhauer, dont la « volonté »

inconsciente équivaut aux instincts psychiques de la psychanalyse. C’est ce même penseur,

d’ailleurs, qui, en des paroles d’une inoubliable vigueur, a rappelé aux hommes l’importance

toujours sous-estimée de leurs aspirations sexuelles. La psychanalyse n’a que l’unique

avantage de ne pas affirmer sur un mode abstrait ces deux propositions si pénibles au

narcissisme, celle de l’importance psychique de la sexualité comme celle de l’inconscience de

la vie psychique. Elle en apporte la preuve au moyen d’un matériel qui intéresse chacun en particulier et qui oblige chacun à prendre parti en face de ces problèmes. Mais c’est

 précisément à cause de cela qu’elle s’attire l’aversion et la résistance humaines, lesquelles,

devant le grand nom du philosophe, s’écartent encore, effarouchées.