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Page 1 sur 13 L’évolution des règles du droit des sociétés… BDE (2017) 1 L’évolution des règles du droit des sociétés à la faveur de la révision de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales Patrice S.A. Badji Table des matières Introduction 1. Des règles au service de leurs utilisateurs 1.1. L’élargissement des mécanismes de financement de la société 1.2. L’autorégulation des rapports sociétaires 2. Une ligne de démarcation entre certaines catégories juridiques de plus en plus ténue 2.1. Un rapprochement progressif des différentes sociétés 2.2. L’option pour une démarche inclusive par l’amenuisement de la distinction capital/travail. Conclusion Agrégé des Facultés de droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal. (2017) 1 Résumé Le droit postmoderne en Europe traduit l’idée d’évolution de la philosophie qui sous-tendait plusieurs matières telles que le droit des obligations et le droit de la responsabilité civile. Même s’il est imprudent de qualifier le droit de l’OHADA de droit postmoderne, il n’en demeure pas moins que l’on constate une évolution de ce droit et ce, à cause en grande partie de l’analyse économique du droit dont l’idéologie majeure est l’efficacité de la règle juridique. Avec l’Acte uniforme révisé, le droit des sociétés commerciales de l’OHADA est devenu un droit plus flexible. De même, les frontières entre plusieurs catégories juridiques s’estompent peu à peu.

L’évolution des règles du droit des sociétés à la faveur ... · droits essentiels des associés tels que le droit de vote. Dans une décision de justice, la Cour de cassation

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L’évolutiondesrèglesdudroitdessociétésàlafaveurdelarévisiondel’ActeuniformesurlessociétéscommercialesPatriceS.A.Badji∗TabledesmatièresIntroduction1. Desrèglesauservicedeleursutilisateurs1.1.L’élargissement des mécanismes de financement

delasociété1.2.L’autorégulationdesrapportssociétaires2. Une ligne de démarcation entre certaines

catégoriesjuridiquesdeplusenplusténue2.1.Un rapprochement progressif des différentes

sociétés2.2.L’option pour une démarche inclusive par

l’amenuisementdeladistinctioncapital/travail.Conclusion∗AgrégédesFacultésdedroit,UniversitéCheikhAntaDiopdeDakar,Sénégal.

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Résumé

Le droit postmoderne en Europe traduit l’idéed’évolution de la philosophie qui sous-tendaitplusieurs matières telles que le droit desobligationset ledroitde laresponsabilitécivile.Même s’il est imprudentde qualifier ledroit del’OHADAdedroitpostmoderne, il n’endemeurepasmoinsque l’onconstateuneévolutiondecedroitetce,àcauseengrandepartiedel’analyseéconomiquedudroitdontl’idéologiemajeureestl’efficacité de la règle juridique. Avec l’Acteuniforme révisé, le droit des sociétéscommerciales de l’OHADA est devenu un droitplus flexible. De même, les frontières entreplusieurs catégories juridiques s’estompent peuàpeu.

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IntroductionLe 30 janvier 2014, le Conseil desMinistres de l’OHADA a adopté l’ActeuniformerelatifaudroitdessociétésetduGroupe d’intérêt économique révisé (ci-aprèsGIE).Etcommeleprécisel’article9du Traité OHADA, cet Acte uniformeréviséentreraenvigueurquatre-vingt-dixjours après sa publication au Journalofficiel de l’OHADA 1 . Certainement, lelégislateur OHADA ne se doutait pas queson œuvre devrait susciter autantd’intérêt en Afrique et en Europe2. Laraison est peut-être que le droit dessociétés n’est plus simplement un droitterritorial 3 . Il existe une concurrenceentre les législations pour attirer lesentreprises, une prise en considérationd’un marché dont les frontièress’estompent4. Dans le cadre de l’OHADA,leterritoires’apparenteàsonespace.Jean Paillusseau soutenait quel’observation montre que la réceptiond’idéesnouvellespar la science juridiqueesttrèslentequandellescontredisentdesthéories ou des concepts manifestementdépassés,maisprofondémentancrésdans

1CetarticleprévoitégalementlapublicationduditActe uniforme au Journal officiel de chaque Étatpartieoupartoutautremoyenapproprié.2Pourlecasdel’Europe,voirenFrancelecompterendu: Bénédicte FRANÇOIS, (2014) Revue dessociétés 142. L’auteurmetnéanmoins l’accent surla Société par actions simplifiée (SAS), la SociétéAnonyme(SA)etlaSociétéàcapitalvariable.3BenoîtLEBARS,«L’évolutiondudroitdessociétésau regard du règlement général du conseil desmarchésfinanciers»,dansAspectsactuelsdudroitdes affaires.Mélanges en l’honneur de Yves Guyon,Paris,Dalloz,2003,no2,p.588.4Ibid.

lesesprits5.Toujoursselonl’auteur,ilfautparfois plusieurs dizaines d’années avantque les idées nouvelles puissents’imposer.Mais quels sont ces conceptsprofondément ancrés dans les esprits?Sans prétendre à l’exhaustivité, nouspouvonsciterl’affectiosocietatis,lecapitalsocial gage des créanciers sociaux, lesdroits essentiels des associés tels que ledroitdevote.Dansunedécisiondejustice,la Cour de cassation soutient que: «toutassocié a le droit de participer auxdécisions collectives et de voter et lesstatuts ne peuvent déroger à cesdispositions.»6Cette assertion n’est plusd’actualiténotammentaveclesactionsdepréférence sans droit de vote. En effet, ilfaudra placer le droit des sociétés dansl’économie de marché, systèmecontroversé 7 . Cependant, la

5 Jean PAILLUSSEAU La logique organisationnelledansledroit.L’exempledudroitdessociétés,Paris,Litec,2005,p.567.6Com.9févr. 1999, Bull. civ. IV, n° 44; D. 2000.Somm. 231, obs. J.-C.HALLOUIN; D. Affaires 1999.563, obs. M.BOIZARD ; RTD com. 1999.902, obs.Y.REINHARD;Rev.dessociétés1999.81,noteP.LeCANNU;Bull.Joly1999.566,noteJ.-J.DAIGRE;JCPE1999.724,noteY.GUYON;JCP1999.II.10168,noteG.BLANC;Dr.sociétés1999,no67,obs.T.Bonneau;RJ com. 1999. 269, note J.-P.Dom. Adde, SuzelCASTAGNE, «Vote» en faveur du droit de vote,(2000)Dr.sociétés6.7Cettecontroversetientaufaitquel’ondoutedesbienfaitsdel’économiedemarché.Àcôtédecetteforme d’économie, nous avons l’économiesolidaire. Le législateur OHADA, à travers l’Acteuniformerelatifaudroitdessociétéscoopératives(J.OOHADAno23,15/02/11) l’apriseencompte.Le législateurde l’UEMOAn’estpas en reste avecles règles relatives aux systèmes financiersdécentralisés.

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mondialisation qui recouvre l’économiedemarchéproduitdeseffetsàl’égarddesÉtats qui doivent s’impliquer dans lesystème au risque d’être contestés,dépassésetsubmergés8.Quel est le mieux que celui du droit dessociétés commerciales, étant le plusexposé aux effets de lamondialisation9?Cedernier,mêmes'ilconstitueuntoutquitend à se suffire à lui-même subitnéanmoins des influences extérieures10.Ainsi,lorsquel'environnementsemodifie,les sociétés changent aussi soit parcequ'elles s'adaptent à ces changements,soit parce qu'elles ne s'adaptent pas11 .Faisons observer que les politiques decréation et le développement desentreprises ont toutes maintenant faitplace à l’économie libérale, à la loi dumarchéquipassedéjàparunmouvementgénéral et irrésistible de privatisation12.C’estdirequelesnationalisationsontprisdureculauprofitdelaprivatisation.Devrons-nous parler d’évolution, derévolution?Lesmotsontleursensetsontvariés: replâtrage, réforme(amélioration), modification (restanttoujours dans le canevas tracé),bouleversement (transformationradicale). Le professeur Paillusseau nousédifie en ces termes: «dans le premiercas-évolution-lalogiqueorganisationnelle

8Pierre BEZARD, «Le droit des sociétés françaisfaceauxdéfisdelamondialisation»,(2000)Revuedessociétés55.9Ibid. Pour l’auteur, lamondialisation conduit lesÉtats à revoir leur réglementation et lesprocédures selon lesquelles elle est appliquée. Ledroit des sociétés est l’une des réglementationsconcernéesauplushautpoint.10Yves GUYON, «L’évolution de l’environnementjuridique de la loi du 24 juillet 1966», (1996)Revuedessociétés501.11Ibid.12Arlette MARTIN-SERF, «L’instrumentalisation dudroitdessociétés»,(2002)R.J.C.108(no3)

fondamentale subsiste, et les nouvellesrègles sont en cohérence avec cettelogique. Dans le second, en revanche,l’évolution est telle qu’elle révèle lasubstitution d’une nouvelle logiqueorganisationnelle à la précédente.» 13Donc la révolution est une sorted’évolution.Quel est l’impact de la révision del’AUSCGIEsurlaphilosophieoul’espritdudroit des sociétés? Quels sont leschangements notés? Le législateurOHADAareçubeaucoupdenotionsparlarévisiondel’AUSCGIE.Faisonsremarquerque la réception délibérée d'une notiondoit toujours satisfaire à deux conditionspréalables : il faut, premièrement, que lanotion soit saisissable et applicable dansle droit imitateur, deuxièmement, que satransposition présente un intérêtjuridique14.RelativementaudroitOHADA,cesdeuxconditionssemblentêtreréunieset ces idées nouvelles sont lacontractualisation, la corporategovernance, larèglecomplyorexplainetc.C’est dire que l’AUSCGIE révisé est auservicedesesutilisateurs(1)quesontengénéral les praticiens 15 , les juristesd’affaires. Une autre remarque quis’imposec’estquelenouvelActeuniformevient bousculer des certitudes et opérerun rapprochemententredesnotions,desinstitutionsapriorisansrapports(2).

13J.PAILLUSSEAU,préc.,note5,àlap.571,no10.14Yves-MarieLAITHIER, «Àproposde la réceptionducontratrelationnelendroitfrançais»,(2006)D.1003.15«Ce praticien est un spécialiste.Le spécialisteest, par la force des choses, un modèle mieuxapprécié que le généraliste. »: Frédéric POLLAUD-DULIAN, «Du droit commun au droit spécial-etretour», Mélanges en l’honneur de Yves Guyon,préc.,note3,àlap.930.

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1.DesrèglesauservicedeleursutilisateursLe droit peut-il être instrumentalisé? Laréponse ne peut qu’être affirmative. Eneffet,lejuristen’estplus,dumoinsnedoitplus être un empêcheur de tourner enrond. Il doit faire face à des désertslégislatifs,êtrecréatif.Aprèstout, ledroitn’est-ilpasunescienced’organisation16?L’instrumentalisationdudroitsignifiesonutilisation 17 . Pour Arlette Martin-Serf,l’instrumentalisationdudroitdessociétéssignifie qu’il évolue, continent parcontinent, vers un ensemble de règlesorganisant les types de sociétés et leursmodes de fonctionnement, non plus enfonction de principes directeurs ou apriori intellectuels ou idéologiques, maisdanslaperspectivedélibéréed’attirer,deséduire et de retenir les investisseurs18.Le droit OHADA s’inscrit dans cettelogiqueetpourcequiestde laFrance, ilsemble que le droit de la concurrences’inscritdanscettelogique19.Danscetteinstrumentalisationdudroitauservice du marché, le droit finit pardevenir lui-même instrument financier20.16JeanPAILLUSSEAU,«Ledroitestaussiunescienced’organisation (et les juristes sont parfois desorganisateursjuridique)»,(1989)RTDCom.1.17 L’expression «utilisateurs du droit» utiliséepar: Jean PAILLUSSEAU, «Le droit moderne de lapersonnalitémorale»,(1993)RTDCiv.705.18A.MARTIN-SERF,préc.,note12,p.109.19 J.-B BLAISE et F. JENNY, «Le droit de laconcurrence, les années récentes: bilan etsynthèse»,(1995)Rev.inter.dr.écono.91.20VoirAlainCOURET,«Ladimensioninternationalede la production du droit: l'exemple du droitfinancier», dansJeanCLAMetGillesMARTIN (dir.),Les transformations de la régulation juridique,Paris, L.G.D.J., 1998, p. 197 et suiv.; égalementMarie-AnneFRISON-ROCHE, «Le cadre juridiquedelamondialisationdesmarchésfinanciers»,(1995)Banque et droit 46. Voir en tout état de cause,Mireille DELMAS-MARTY, «La mondialisation dudroit:chancesetrisques»,(1999)D.43.

On arrive donc à une marketisation dudroit21.C’est cechoixquiaété faitpar lelégislateur OHADA en élargissant lestechniquesdefinancement.Ilnes’estpasarrêté à ce niveau puisqu’il a permisl’autorégulationdesrapportssociaux.Il est vrai que l’objectif du droit dessociétés a toujours été la protection desassociés22 , des tiers. Mais, le droit dessociétés n’a pas ignoré les besoins despraticiensàsavoirlefinancement(1.1)etla souplesse (1.2). Comme l’affirme unauteur, nul ne conteste généralement lefait que le droit fournit aux personnesphysiques et aux entreprisesdesmoyensd’agirpourladéfensedeleursdroits23.1.1L’élargissementdesmécanismesdefinancementdelasociétéQui de l’économie ou du droit l’emportedanslecadredelalutteacharnéepourlepouvoir?Ilsemble,auregardd’unauteurqu’on soit passé de rapports de bonvoisinage à des rapports conflictuels24 .

21Pierre DE MONLIVET, «La «marketisation» dudroit–Réflexionssurlaconcurrencedesdroits»»,(2013)D.2923.Ils’agitdefairedesétudesdemarchésurledroit,tentative d’amélioration pour satisfaire lesconsommateursdudroitquesontlesentreprises.22 Certains auteurs parlent de «démocratieactionnariale», Voir Véronique MAGNIER,«Nouvelles mesures en faveur de la démocratieactionnariale dans les sociétés cotées,Commentaire dudécret no2010-684du23 juillet2010, de l’ordonnance no2010-1511 du 9décembre 2010 et du décret no2010-169 du 23décembre 2010 transposant la directiveno2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernantl’exercice de certains droits des actionnaires desociétéscotées»,(2011)Revuedessociétés267.23Bertrand WARUFSEL, «Intelligence économiqueet pratiques juridiques», 5Revue de l’intelligenceéconomique, octobre 1999, en ligne:www.droit.univparis5.fr/warusfel/articles/IEpratjuridiques_warusfel.pdf,(consultéle22août2015)24Louis VOGEL, L’économie, serviteur oumaître dudroit?,Paris,Litec,2004,p.665.

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L’auteur arrive à la conclusion selonlaquelle, l’économie est à la fois uninstrumentetunefinalitédudroit.Ladialectiquedudroitetdel’économienedatepasd’aujourd’huietconstituemêmeun objet d’étude, pour ne pas dire unephilosophie.C’estl’exempledel’économiedudroitouLawandEconomicsenanglais.C’est une branche de la scienceéconomiquequiappliquesesméthodesetses cadres conceptuels à l’étude du droitou des effets économiques et des règlesjuridiques dans des domaines tels que laresponsabilité civile, les contrats, lesdécisions judiciaires, les modes derèglements des différends, la procédurecivile,etc.25.Les techniques de financement d’unesociétésontnombreuses:ilpeuts’agirdescomptes courants d’associés, de l’appelpublicàl’épargneouduprêtbancaire.Endroit OHADA, seules les deux premièrestechniquessontexpressémentconsacrées.Etd’ailleurs,lerégimejuridiquedel’appelpublic à l’épargne a été redéfini.Désormais, l’on connaît la significationd’une offre au public de valeursmobilières26, ce qu’elle est et ce qu’ellen’est pas27 et ce qu’est un investisseurqualifié28.Les techniques traditionnelles definancement à savoir les actions et les

25 Thierry KIRAT, Economie du droit,coll.«Repères»,Paris,LaDécouverte,2012,p.3.26Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétéscommerciales et du Groupement d’Intérêtéconomique, (ci-après«AUSCGIE»), 2014, art. 83.Onnoteunchangementde terminologie.L’ancienAUSCGIE utilisait l’expression «titres» à la placede «valeurs mobilières». Désormais, c’est cettedernièreexpressionquiestconsacrée.27AUSCGIE,art.81-1.28AUSCGIE, art. 81-2. Il s’agit d’une personne oud’une entité disposant des compétences et desmoyensnécessairespourappréhender lesrisquesinhérents aux opérations sur les instrumentsfinanciers.

obligations sont consacrées par lelégislateur OHADA. Il s’agit donc desvaleurs mobilières définies comme étantdes instruments qui confèrent des droitsidentiquesparcatégorieetdonnentaccèsdirectement ou indirectement à unequotitéducapitalde lasociétéémettrice,ou à undroit de créance général sur sonpatrimoine29. Il y a avec l’Acte uniformerévisé, un changement au niveau desalinéas où se trouve la définition desvaleurs mobilières. Dans l’ancien Acteuniforme,c’étaitàl’alinéasecondquel’onpouvaitpercevoirladéfinitiondesvaleursmobilières.Àl’article822del’Acteuniformerelatifaudroit des sociétés commerciales et duGroupement d’Intérêt économique, lelégislateur consacre le régime juridiquedes valeurs mobilières composées. Unedesremarquesquis’impose,c’estqu’ilyaune liberté dans la création de cesinstruments financiers. Comme le dit unauteur, la diversification des valeursmobilières est une manifestation duphénomène contractuel 30 . Cependantpour apprécier les différents titrescomplexes, il faut examiner l’article 822-14infine.L’impressionquisedégagec’estque le législateur a préféré d’abordprévoir le régime juridique des valeursmobilières composées avant d’endéterminer les modalités. Suivant lesdispositions de l’Acte uniforme portantsurlessociétéscommercialesetGIE,nousavons les obligations convertibles ouremboursables en actions et lesobligationséchangeablesenactions.L’obligation convertible en actionsconstitue une formule qui permet à unobligataire de devenir actionnaire de la

29AUSCGIE,art.744al.4.30Hervé CAUSSE, Les titres négociables-Essai sur lecontratnégociable,coll.«Bibliothèquededroitdel’entreprise»,Paris,Litec,1993,p23.

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société.Elleprésentedesavantagesetdesinconvénients.Lesavantagess’apprécienttantducôtédusouscripteurquedeceluide l’émetteur.Du côté du souscripteur, ilaura le tempsdese faireuneopinionsurl’imagedelasociété,tandisqueducôtédel’émetteur, il y aura transformation decapitauxd’empruntsencapitauxpropres.Les inconvénients de l’obligationconvertibleenactionspour lesdirigeantsdelasociétésontprincipalementlerisquede dilution de leurs pouvoirs du fait del’entrée en société de nouveaux associés.Relativement à l’obligation échangeableen actions, le tiers souscripteur s’engageauxtermesd’unestipulationpourautruiàéchanger les actions qu’il détient toutesles fois où le porteur d’une obligationéchangeable lui en fait la demande. Dansl’obligation remboursable en actions, lesouscripteur espère une valorisation del’actionentre ladated’émissionde l’ORAetcellederemboursementdecelle-ci. Lanature juridique de celle-ci a fait débat.Pour le professeur Yves Guyon, il s’agitd’obligations 31 . Cette analyse est celleretenueparlaCourdecassationfrançaise.La conséquence c’est que leur titulairesera privé du droit de vote. Pour laCour:«considérant,enrésumé,quedansles obligations remboursables en actions,l'obligataire n'est actionnaire qu'à terme,ce qui signifie que les valeursmobilièresdont il s'agit, ont les caractéristiquesmajeures des obligations et conserventcette nature jusqu'à leurremboursement».

31 Yves GUYON, «Les droits des titulairesd’obligations remboursables en actions», (1995)La Semaine Juridique, Édition générale, II. 22522(no43).

Il s’agit de l’affaire MétrologieInternational32.Lesactionsdepréférenceconstituent,àcôtédesvaleursmobilièrescomposées, un mécanisme definancementdelasociété.Seulement,avecleur création, le principe d’égalité s’entrouve menacé. Mais c’est peut-êtreoublierquel’égalitén’empêchepasquelaloi établisse des règles non identiques àl’égard des catégories de personnes setrouvantdansdessituationsdifférentes33.Toujoursest-ilquelacréationdesactionsde préférence en France a été unedemande la pratique. Pour s’enconvaincre, voici le rapport duMEDEF:«L’axemajeurde la réforme estune libéralisation de l’émission desvaleurs mobilières. Ainsi, des règlesgénéralessontinstituées,quipermettrontaux acteurs économiques de créer lestitres dont ils ont besoin, tout endisposantd’unesécuritéjuridiquequantàleur régime. Dans ce cadre, l’une desinnovations les plus importantes est lacréation de nouveaux titres de capital,appelés « actions de préférence ». Lescaractéristiques de ces actions serontlibrement déterminées par les statuts ouparlecontrat.Avecousansdroitdevote,jouissant de droits particuliers dans lasociété elle-même mais aussi dans uneautre société du groupe, ces actions, quiconstituent des titres de capital, peuventcomporter tous les droits souhaités, tels32ThierryBONNEAU, «Obligation remboursable enactions», (1995) 1 Bull. Joly Bourse 37. Si cetauteurestd’accordavecladécisiondelaCour,teln’estpaslecasdecertains.Voir Henri HOVASSE, «Les obligationsremboursables en actions, Droit et gestion del'entreprise», dans Mélanges Roger Percereau,Paris, Vuibert Gestion, 1993, p. 105 et suiv.;Frédéric PELTIER, « Lanature juridique desobligations remboursables en actions», (1992)JCP,éd.E,I,no155.33 «Conseil constitutionnel français», (1982)Revuedessociétés132.

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que des droits financiers (dividende ouremboursement prioritaires, priorité surle boni de liquidation, conversion enactions ordinaires, par exemple) oupolitiques (représentation au sein desorganes de direction ou de surveillance,droit à l’information renforcé parexemple). Les droits sont entendus ausens générique du terme, et ces actionspeuvent donc aussi être dotéesd’obligations particulières et faire l’objetde restrictions. Enfin, elles peuvent êtreconverties en actions ordinaires ou enactions de préférence d’une autrecatégorie.»34.Les actions de préférence ont été crééesen France par l’ordonnance n°2004-604du24 juin2004, complétéepar le décretd’application n°2005-112 du 10 février2005. L’article L228-1 du Code decommerceestceluiquiconsacrelerégimejuridique des actions de préférence. Laréformeà laquelle fait allusion leMEDEFest celle de 2004. Les actions depréférence présentent des avantagescertains: du côté de l’émetteur, il y apossibilité dedissocier capital et pouvoirsurtout lorsqu’elles sont privées du droitde vote. En outre, il y a un renforcementdes capitaux propres 35 . Du côté del’investisseur, il peut privilégier lerendement au détriment du pouvoir 36 .C’est pourquoi, un auteur a distingué les

34«RapportauPrésidentdelaRépubliquerelatifàl’ordonnanceno2004-604du24juin2004portantréformedu régimedes valeursmobilières émisespar les sociétés commerciales et extension àl’outre-mer de dispositions ayant modifié lalégislationcommerciale»,JORF,2004.13577.35MEDEF, «Lesactionsdepréférence,propositionsdu Medef pour une modernisation du droit desvaleursmobilières»,2001.236 Voir Philippe RAIMBOURG et Martine BOIZARD(DIR.), Ingénierie financière, fiscale et juridique, 2eéd.,Paris,DallozAction,2009.

associésdepassage37deceuxdecontrôle.Ainsi, à la définition de l’associé quiunissait indivisiblement la participation,levote,lepouvoiretlapropriétédespartsreprésentatives du capital, s’est ajoutée,voires’est substituée,uneconceptionquitend à dissocier le pouvoir et la valeur38.Letitrequiconstatedesdroits,fussent-ilsfutursdanslasociété,estenvisagéenlui-même en tant qu’il est porteur de plus-valuepotentielle39.Pour ladoctrinemajoritaireenFrance, lecritère de l’action de préférence c’estl’altérité (droits différents) et non leprivilège (plus de droits). Ces différentesidées sont reproduites par le législateurOHADA qui prévoit le régime juridiquedes actions de préférence 40 . Nousexaminerons les différentes catégoriesd’actions de préférence, lesmodalités decréation ainsi que la protection desporteursd’actionsdepréférence.Les actions de préférence sont assortiesde droits particuliers qui peuvent êtrepécuniairesoupas.Quantàleurcréation,elles sont instituées par l’assembléegénérale extraordinaire lors de laconstitution de la société ou en cours devie sociale. Les porteurs d’actions depréférence sont protégés puisqu’ilspeuvent se réunir en une masse,demanderauxcommissairesauxcomptesd’établir un rapport spécial établissantque leurs droits sont protégés, échangerdesactionsdepréférencecontred’autresactions de même nature de la société

37Jean-PierreGASTAUD,«L’associédepassage…oul’intéressement du créateur d’entreprise et dessalariés (stock options et bons de croissance)»,dans Mélanges en l’honneur d’Adrienne Honorat,Procédures collectives et droit des affaires:morceaux choisis, Paris, Éditions Frison-Roche,2000,p.267.38Ibid.39Ibid.40AUSCGIE,art.778-1

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bénéficiaire du transfert de propriété encas de fusion ou de scission. Cependant,toutn’estpaspermisenmatièred’actionsde préférence. Ainsi, l’aménagement dudroit de vote n’est pas indéterminé; demême que sa suspension41. Cette limitetientàlanaturefondamentaledecedroitpolitique qui permet à l’actionnaire deprendrepartàlaviesociale.Enoutre,lesactions de préférence sans droit de votene peuvent représenter plus de lamoitiédu capital social si la société n’est pascotée et plus du quart (1/4) si la sociétéest cotée en bourse. L’élargissement destechniques de financement n’est pas laseulemanifestationdel’évolutiondudroitdes sociétés. Au-delà, il y al’autorégulationdesrapportssociaux.1.2L’autorégulationdesrapportssociétairesL’ordre public sociétaire est toujoursd’actualité dans l’AUSCGIE malgré lechangement de contenu de l’article 2 del’AUSCGIE. En effet, si l’article 2 del’ancienActeuniformerelatifaudroitdessociétés disposait que «les dispositionsdu présent Acte uniforme sont d’ordrepublic», la nouvelle rédaction de cettedispositionprévoitque:«lesstatutsdelasociété commerciale et du groupementd’intérêtéconomiquenepeuventdérogeraux dispositions du présent acteuniforme.» 42 Cet article traduit lasuprématie de l’Acte uniforme sur lavolontédes associés. C’est pourquoi, seulle législateur OHADA est à même depermettreauxassociésdeleremplaceroude compléter par des clauses statutairesl’AUSCGIE. Ce qu’il y a lieu cependant derappeler, c’est l’existence d’une sorte depyramidedesdispositions.Eneffet, si lespactes extrastatutaires doivent être

41AUSCGIE,art.778-1al.3.42AUSCGIE,art.2.

conformesauxstatuts, ceux-cinedoiventêtreendéphasageavecl’AUSCGIE.Cette pyramide des dispositions estprévue à l’article 2-1, disposition quiconsacre de façon expresse lesconventions extrastatutaires. L’objet decelles-cic’estd’organiser:

- Lesrelationsentreassociés- La composition des organes

sociaux- La conduite des affaires de la

société- L’accèsaucapitalsocial- Latransmissiondestitressociaux

La remarque qui s’impose c’est que lelégislateur OHADA ne nous renseigneguère sur les formes que doit prendrecetteorganisation.C’estlaisserdonclibrecoursàl’imaginationdespraticiens.Seulement, certaines conventionsextrastatutairessontprévuesparlaloi.Eneffet, l’article 765 AUSCGIE qui disposeque «nonobstant le principe de la libretransmissibilitéénoncéeàl’article764ci-dessus, les statuts ou les conventionsmentionnées à l’article 2-1 ci-dessuspeuventstipulercertaineslimitationsàlatransmission des actions dans lesconditions prévues aux articles 765-1 à771-3ci-après».C’estdirequelesclausesd’inaliénabilité peuvent être trouvéesaussi bien dans les statuts que dans lespactes d’associés. Cela est égalementvalablepour les clausesdepréemption43.Nous sommes donc en présence deconventionsextrastatutaires légalesetdeconventions extrastatutaires qui ne lesontpas.Àcetégard,nouspouvonsciteràtitre d’exemple les clauses de sortie.Celles-ci prennent plusieurs formes: lesclausesd’entraînement (tagalong)ou lesclausesdesortieconjointe.Dans le premier cas, les associésmajoritaires obligent les actionnaires43AUSCGIE,art.771-3.

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minoritairesàcéderleursactions.Danslesecond cas, les associés minoritairesobligent l’associé cédant à obtenir del’acquéreur ou cessionnaire, le rachat deleurs actions aux mêmes conditions quecelles proposées au cédant. Parmi lesclausesdesortie,nousavonslaclausebuyorsell. Ondit d’elle que c’est une arme àdouble tranchant, car elle peut seretourner contre son initiateur 44 . Lemécanisme est le suivant: un associéproposeàunautredeluiachetersespartsà un certain prix. Si ce dernier refuse, ildemeure tenu de vendre ses parts auxconditions proposées par le premierassocié. Déjà dans les années 196045, laclausebuyor sell était connue aux États-Unis. En France, la doctrine n’y a prêtéattention que dans les années 1990. Sondomaine de prédilection concerne lesjoint-ventures et les filiales communes. Ils’agit d’une technique souple derésolution des conflits au sein de lasociété surtout lorsque les associésdétiennent chacun lamoitié des parts ouactions.Lespactesd’actionnairesmettenten évidence les rapports que peuvententretenirdeuxtypesdenormes:ledroitdes contrats et le droit des sociétés. Lapremièrecatégoriederèglespeutêtreauservicedelaseconde.Ledroitdessociétésest au service de ses utilisateurs. Cela nefait l’ombre d’aucun doute. Ce qui estégalementcertainc’estlaremiseencausede la distinction de certaines catégoriesjuridiques en la matière que l’on croyaitpourtantbienétablies.

44SophieSCHILLERetHuguesDIENER,«Lesclausesd’offre alternative», (2002) Dr. Sociétés, Actespratiques32.45 X., «Notes – joint ventures corporations:drafting the corporate papers», (1964) HarvardLawReview393.421,citéparJean-MatthieuJONETet Marie ÉVRARD, Joint ventures : des noces audivorce,Paris,Larcier,2006,p.83.

2.UnelignededémarcationentrecertainescatégoriesjuridiquesdeplusenplusténueLe juriste est habitué à la distinction envuedepouvoirtirerdesconséquencesdecelle-ci notamment par l’application derèglesdifférentes aubesoin. Endroit dessociétés, il y a plusieurs distinctions. Lesplus en vue sont les sociétés danslesquelles l’intuitu personae est trèsimportant et celles où il l’est moins. Onsent un rapprochement progressif entreces différentes sociétés (2.1), de mêmeque la différence entre le capital et letravails’estompedeplusenplus(2.2).2.1UnrapprochementprogressifdesdifférentessociétésAux termes de l’article 6 de l’Acteuniforme relatif au droit des sociétés, lessociétés commerciales par la forme sontles sociétés en nom collectif, les sociétésen commandite simple, les sociétés àresponsabilité limitée, les sociétés paractionsnotammentlessociétésanonymesetlessociétésparactionssimplifiées.Onatoujoursopposéendroitdessociétéscommerciales, les sociétés de personnesaux sociétés de capitaux. Le critère dedistinction exhibé c’est l’intuitu personaequi est plus accentué dans les premierstypes de sociétés. On a coutumeégalementdedirequedanslessociétésdepersonnes,lalibertécontractuelleestplusmarquéequedanslessecondes.Cette conception est très relative de nosjours. Comme le dit MadamePascual:«pour autant, déduire de cesdéfinitions, que la prise en considérationde la qualité des personnes est absentedes sociétés de capitaux, serait quelquepeuhâtif.Eneffet, l'utilisationdeplusenplus fréquente de clauses d'agrément etautresprocédéstendantaumêmebut,nepermetplusdenierl'existencedel'intuitupersonaedanslessociétésdecapitaux.Les

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actionnaires cherchent, par le biais destechniques juridiques, à introduire unepriseenconsidérationdelapersonnequi,en principe, devrait se trouver exclue deleur société. Or, dans le même temps, ils'avèrequelessociétésdepersonnesqui,par définition, reposent sur l'intuitupersonae, cherchent à réduire, voireéliminerleseffetsconsécutifsàlapriseenconsidérationdelapersonne»46.En effet, laprésencedes clausesdiversesdans les sociétésanonymes tellesque lesclauses d’inaliénabilité 47 ou depréemptiontraduit l’existencede l’intuitupersonaedanslessociétésdecapitaux.Dans les sociétés de personnes, lelégislateur n’avait ni autorisé, ni interditde façonexpresse laprésenceobligatoireducommissaireauxcomptes.Parrapportà cette dernière hypothèse à savoirl’exclusiondelaprésenceducommissaireaux comptes, nous pouvons citer lemécanisme de l’alerte d’autant que lelégislateur précise l’alerte par lecommissaire aux comptes dans lessociétésautresquelessociétésanonymes.Avec l’Acte uniforme révisé, on sait quelorsquecertainesconditionssontréunies,la présence d’un commissaire auxcomptes est obligatoire dans les sociétésen nom collectif et les sociétés encommanditesimple.Ils’agitdutotaldubilansupérieuràdeuxcent cinquantemillions (250.000.000)defrancs CFA, du chiffre d’affaires annuelsupérieur à cinq cent millions(500.000.000) de francs CFA, de l’effectifpermanent supérieur à 50 personnes. Ilfaut qu’au moins deux des conditionsprécitées soient réunies. Au niveau de laSARL et de la SAS, ce sont les mêmes

46Isabelle PASCUAL, «La prise en compte de lapersonne physique dans le droit des sociétés»,(1998)RTDC273.47AUSCGIE,art.765-1.

critères de désignation qui sont utilisés.La différence intervient au niveau dumontant total du bilan qui doit êtresupérieur à cent vingt-cinq millions defrancsCFA,dumontantduchiffred’affaireannuel qui est supérieur à deux centcinquante millions (250.000.000) defrancsCFA.La distinction titre au porteur et titrenominatif est traditionnelle. Mais avec ladématérialisation des valeurs mobilières,elle a tendance à perdre de sonimportance.Eneffet, selon l’article744-1AUSCGIE, les valeurs mobilières, quellesque soient leurs formes, doivent êtreinscrites en compte au nom de leurpropriétaire. Elles se transmettent parvirement de compte en compte. Orl’ancien Acte uniforme disait des actionsauporteurqu’ellesétaient transmissiblespar tradition que si la société ne choisitpas l’appel public à l’épargne. Donc, ladématérialisation facultative n’existaitque pour les sociétés qui font appel àl’appelpublicàl’épargne.Avec l’article 746AUSCGIE, on remarqueque l’on peut passer d’actionnaire oud’obligataire non identifié à actionnaireouobligataireidentifié.Cependant,letitreau porteur peut être évité puisque laformeexclusivementnominativepeutêtreimposée soit les dispositions de l’Acteuniforme relatif au droit des sociétéscommerciales et du GIE. En France, lestitulairesdetitresauporteurpeuventêtreidentifiés48 . C’est ce qu’affirme l’articleL228-2duCodedecommerce.Aveclesvaleursmobilièrescomposées,ladistinction entre des actions et desobligations devient relative puisque l’onpeut passer d’obligataire à actionnaire,

48 Bernard SAINTOURENS, «Simplification, version2014,dudroitdessociétés:premieraperçuaprèsla loino2014-1du2janvier2014», (2014)Revuedessociétés151.

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même si un titre de capital ne peut êtreconverti en titre de créances et ce, envertu de la préservation du principe defixité du capital social. La révocation adnutum ne s’envisageait que dans lessociétés anonymes. C’est toujours le cascertes, mais avec quelques changementspuisque «le juste motif» est désormaisconsacré dans le régime juridiqueapplicable à la société anonyme. Il y adoncunrétrécissementdelacatégoriededirigeants révocable ad nutum. Cettesituation permet de pronostiquer qu’àterme une unification du statut desdirigeants de sociétés pourrait intervenirdefaçonàneplusavoirquedesdirigeantsrévocables pour justes motifs, quitte àlaisser aux statuts la liberté d’aménagerlesmodalitésdecetterévocation49.Au-delà de la réduction de la distinctionsociétés de personnes et sociétés decapitaux, il y a celle de la distinctioncapitaleettravail.2.2L’optionpourunedémarcheinclusiveparl’amenuisementdeladistinctioncapital/travailL’antagonismeleplusévidentestceluiducapital et du travail dont on ne doit pasoublierqu’ilnaîtou sedéveloppeavec lagrande entreprise50. L’entreprise est uneunitédedécisionséconomiquesquiutilisele capital et le travail pour produire desbiens et services dans un but deprofitabilité51. L’entreprise doit faire faceà plusieurs intérêts catégoriels. En effet,

49 François-Xavier LUCAS, «Le principe ducontradictoire en droit des sociétés», dans RémyCABRILLACMarie-AnneFRISON-ROCHEThierryREVET(dir.), Libertés et droits fondamentaux, 15e éd.,Paris,Dalloz,2009,p.837(no1122).50Gérard FARJAT, Droit économique, 2e éd., Paris,PUF,1971,p.93.51 GrégoireBAKANDEJA WAMPUNGU,«L’internationalisation des échanges et le droitOHADA»(2010)RevueLamy82(no67).

malgréledébatsurl’intérêtsocialàsavoirquelle est la raison d’être de la sociétécommerciale, il ne fait l’ombre d’aucundoute qu’il faudrait avoir une conceptionlarge de celui-ci. Pour reprendre unauteur:«à réalité économique et socialecomplexe, droit complexe.»52C’est ainsique selon cet auteur, on est en train depasser d’un droit des sociétés tendantvers la réalisationde l’intérêt social à undroit tiraillé par le souci de satisfairel’intérêt commun, l’intérêt de la société,l’intérêt des salariés ainsi l’intérêt dumarché financier 53 . L’opposition dontparlait leprofesseurGérardFarjat tendàêtre dépassée. En France, en 1981,G.Lyon-Caen écrivait: «l'actionnariatsalarié se développe entièrement enmarge du régime juridique du salairelequel est d'abord un revenu […] Lesalarié n'est plus traité comme unprestataire de travail mais comme unépargnant.Laqualificationdesalairen'estplus à sa place.» 54 Cette situation,n’emporte pas l’adhésion de tous, etmêmedecertainshommespolitiques55.52 Marie-Anne FRISON-ROCHE, Le législateur desprocédurescollectiveset seséchecs, Paris, ÉditionsFrison-Roche,2000,p.115(no22).53Ibid.54 Marie-Cécile ESCANDE-VARNIOL, «Salaire(Définition-Formes)», (2014) Répertoire de droitdutravail,n°408.55C’estl’exempleduPrésidentNicolasSarkozy:«je n’hésite pas à dire que les modes derémunération des dirigeants doivent êtreencadrés.Ilyatropd’abus,tropdescandales…Lesdirigeants ne doivent pas avoir le statut demandataire social et bénéficier en même tempsdes garanties liées à un contrat de travail. Ils nedoivent pas recevoir d’actions gratuites. Leurrémunération doit être indexée sur lesperformanceséconomiquesréellesdel’entreprise.Ils ne doivent pas pouvoir prétendre à unparachutedorélorsqu’ilsontcommisdesfautesoumisleurentrepriseendifficulté.Etsilesdirigeantssont intéressés au résultat, les autres salariésdoiventl’êtreaussi.S’ilsontdesstock-options, lesautres salariésdoivent en avoir aussi ou àdéfaut

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En effet, la participation des salariés à lavie de l’entreprise peut se faire deplusieurs manières. Il peut s’agir d’uneparticipationauxrésultats,àlagestionouaucapitalde la société.Dans lapremièremodalité, l’intéressement aux bénéficessignifie attribuer une partie du bénéficeaux salariés. Dans la secondemodalité, ils’agitde l’actionnariat salarié. Seule cettedernière est prévue par le législateur del’OHADA. L'intérêt de cet actionnariatsalarié est triple.Outrequ'il favoriseunecertaine paix sociale, il favorisel'augmentation des revenus des salariéstout en stimulant la compétitivité del'entreprise. Il garantit encore unestabilité de direction appréciable 56 .Faisons observer que le salarié n’avaitjamaisétéexcludelagestiondelasociétéet ce, en vertu de plusieurs raisons, dontau moins deux: d’abord la place dessalariés dans les conseilsd’administration, ensuite la possibilitépourundirigeantdecumulersonmandatavecuncontratdetravail.L’article417del’ancienActeuniformerelatifaudroitdessociétés disposait que le conseild’administration pouvait comprendredanslalimitedutiersdesmembresquinesont pas actionnaires. Avec l’Acteuniforme révisé, cette disposition a étéréécrite dans le sens d’une plus grandeimplication des administrateurs. Ainsi,libres aux actionnaires d’imposer quebénéficier d’un système d’intéressement…Voilàquelques principes simples qui relèvent du bonsensetdelamoraleélémentairesurlesquelsjenecéderai pas… Les dirigeants perçoivent desrémunérationsélevéesparcequ’ilsontdelourdesresponsabilités. Mais on ne peut pas vouloir êtretrès bien payé et ne pas vouloir assumer sesresponsabilités.» Propos relayés par PhilippePORTIER,«CommentairessurlesrecommandationsduMEDEFetdel’AFEPsurlesparachutesdorés»,(2008)Lasemainejuridiquesociale1626(no49).56ArnaudLECOURT,«Lecapitalsocial»,(2015)234Répertoirededroitdessociétés.

chaque administrateur soit titulaired’actions déterminées. Il s’agit d’unemesure d’homogénéisation de la qualitédes administrateurs ou d’une fidélisationde ceux-ci en vue de leur permettre debienjouerleurrôle.L’article417del’Acteuniforme relatif au droit des sociétésrévisé précise que cette disposition nes’applique pas dans les cas des salariésnommés administrateurs. Dit autrement,on ne peut imposer aux salariés d’êtretitulaires d’un nombre déterminéd’actions.L’administrateur peut cumuler sonmandat avec un contrat de travail àcondition que celui-ci corresponde à unemploi effectif. À défaut de précision parle législateur de l’OHADAde ce qu’il fautentendre par «emploi effectif», il faut seréféreràladoctrineouàlajurisprudence.Or, nous savons bien qu’un emploi esteffectifparsadifférenced’aveclemandat,sa spécificité et le fait que le dirigeantreçoive de la société des ordres àexécuter. Avec l’Acte uniforme relatif audroitdessociétéscommercialesrévisé, lerégimedel’attributiongratuited’actionsaété consacré de façon expresse. Il a poursiège l’article626-1.Mais il fautpartirdel’article 639 qui interdit le rachat par lasociété de ses propres actions sousréserveparexempledelesattribueràsessalariésentreautres.MaisledroitOHADAneconsacrepaslesstocksoptions.Ils’agitmoinsd’instituerunpouvoirsalarialdansla direction de l’entreprise par le biaisd’une immixtion sociétaire, ce qui relèved’une vision idéologique, aujourd’hui envoied’abandon,quedepermettreàpartird’une approche utilitaire et fonctionnelledu droit des sociétés, à des salariés etmandataires sociaux, tout en conservantleur statut premier d’accéder à un gainspéculatifencapital57.57J.-P.GASTAUD,préc.,note37,p.268.

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ConclusionNous termineronsnotrepropospar cettecitation de Dennis Kesser qui nouspermettra de savoir sous quel prismeappréhenderledroitdessociétésOHADA.Selon cet auteur:«le droit est-il autrechose qu'un outil, au service d'un but,d'un objectif? N'avons-nous pas àréfléchir à la façon de conquérir desmarchés, aux moyens d'attirer desinvestisseurs en France, plutôt qu'à nousinterroger sur la beauté des conceptsjuridiquesfrançais?Dansledomainedesaffaires, la conservation de beauxraisonnements, de belles réflexions, dubeaudroit, est-ce le sujet ?Ne s'agirait-ilpas plutôt de savoir comment faire pourquel'économiefrançaisefonctionneaussibien que possible, dans l'intérêt de ceuxquidoiventprendre lesdécisionsetdansceluidupaystoutentier?»58Etl’auteurdepoursuivre:«ilnes'agitpasuniquement de garder des personnesfortunées en France, mais d'attirer dessiègessociaux,deséquipesdechercheursou de services. Nous ne sommes mêmepas dans une situation de neutralité. Ilfaudra un jour mettre en œuvre unevéritable stratégie qui consistera à faireque notre pays soit considéré dansl'ensemble du monde comme un endroitdans lequel il fait bon vivre et gagner del'argent.»59.Ilfaudra,ànotreavis,remplacerlaFrancepar les pays membres de l’OHADA, pourmontrer que cette assertion peut y avoirdroit de cité. Nous assistons à une«financiarisation»dudroitdessociétésà

58 Denis KESSLER, «Comment les entreprisesintègrent-elles désormais dans leur stratégie lescontextes juridiques dans lesquels ellesévoluent?»,(2000)LesPetitesAffiches51(no139)59Ibid.

la faveur de la réforme60. Toujours est-ilque droit des sociétés, droit des contratset droit du travail, ne sont plus desdisciplines qui s’ignorent; tousconcourent au bon fonctionnement de lasociété.

60 Charley HANNOUN, «L'impact de lafinanciarisation de l'économie sur le droit dutravail»,(2008)1Rev.dr.trav.288.