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[Rappel du plan du cours]

Introduction : analyse des termes du sujet, définition du couple histoire / mémoire

I.Étude de cas : les polémiques autour du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb (2010)

=> En quoi les polémiques avant, pendant et après la sortie du film sont-elles révélatrices des rapports passionnés que les mémoires et l’histoire de la guerre d’Algérie entretiennent ?

Travail sur organigramme présentant les principales réactions et leurs argumentaires.

II.Les évolutions de l’histoire et des mémoires de la guerre d’Algérie

=> Comment l’histoire et les mémoires de la guerre d’Algérie évoluent-elles depuis 1954 ?

A.1954 -1962 : construire histoire et mémoires en temps de guerre

=> Quelles sont les conséquences des violences de la guerre d’Algérie sur la construction de son histoire et de ses mémoires ?

→ Les mémoires sont éclatées entre les partisans d’une Algérie indépendante, les partisans d’une Algérie française et le reste de la population.

↳ Du côté des partisans de l’indépendance, les mémoires se construisent en opposition aux actions d’un occupant colonisateur et sur la conviction de mener un combat légitime, pour l’indépendance et la liberté.

↳ Du côté du FLN, la violence de l’occupant colonial (ex. : Sétif) et la « noblesse » du but justifient donc un combat par « tous les moyens », y compris les attentats. Les violences ne sont vues que comme des réactions légitimes.

↳ Du côté des militants communistes, qui soutiennent souvent activement le FLN, la mémoire se c o n s t r u i t autour du souvenir de la répression d’État (militants arrêtés, torturés, exécutés) et d’une lutte pour l’indépendance algérienne servant à déstabiliser l’impérialisme du bloc capitaliste.

↳ Les intellectuels d’Algérie comme de France qui se positionnent en faveur de l’Indépendance se positionnent dans un contexte de propagande et de répression politique. L’opposition publique à la torture pratiquée par l’armée française donne lieu à des arrestations (voir le dossier p. 84-85).

Ex. : le manifeste des 121 du 6 septembre 1960, dans lequel des intellectuels orientés à g a u c h e r e v e n d i q u e n t l e d r o i t à l’insoumission face à l’État, le droit de critiquer le militarisme et la torture incompatibles avec une démocratie.

↳ Du côté des partisans de l’Algérie française, les mémoires se construisent sur les conditions de la guerre et sur l’évidence de l’Algérie dans le giron français.

↳ Les Européens d’Algérie sont ainsi marqués par les attentats du FLN (ex. les massacres de civils de Philippeville en 1965) et la crainte de voir la métropole défaite. Sur la fin de la guerre, c’est la « trahison » de Charles de Gaulle qui domine les esprits.

↳ Les militaires, soldats et surtout officiers, ainsi que les activistes de l’Algérie française dans l’OAS construisent la mémoire d’un combat contre un ennemi inhabituel, nécessitant des méthodes inhabituelles - tortures, massacres.

L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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↳ Les harkis et autres supplétifs de l’armée française construisent une mémoire fondée sur le sacrifice pour la France, souvent en écho avec celui de la SGm voire de la PGm.

↳ La « majorité silencieuse », présente en Algérie française comme en France, construit une mémoire confuse, troublée par les violences et les liens souvent étroits (cercles familiaux, professionnels) avec des partisans des deux camps.

↳ Du côté des travailleurs algériens en métropole, la mémoire est plurielle. Si le récit dominant est celui d’un sentiment de soutien aux combattants nationalistes, on se souvient aussi des violences pratiquées par certains « porteurs de valises » du FLN pour extorquer un soutien financier. D’un autre côté, la répression policière, la torture et les massacres jusqu’au cœur de Paris (cf. manifestation du 18 octobre 1961) construisent une image très négative de l’État français.

→ Les historiens doivent construire l’histoire d’une guerre en cours, alors même qu’ils sont parfois engagés dans le conflit.

↳ Les historiens écrivent une histoire immédiate, qui se veut documenté, prouvé : le genre principal des ouvrages historiques est à ce moment le recueil d’archives. Il s’agit dans cette période de conflit d’établit les faits pour valider ou non les récits recueillis.

↳ Pierre Nora, Les Français d’Algérie, publié en 1961 : l’auteur, alors enseignant à Oran, écrit un essai sur les contradictions et les responsabilités des Français d’Algérie dans le conflit.

↳ Pierre Vidal Naquet, historien de l’Antiquité, résistant de la Seconde Guerre mondiale, engagé contre la torture en Algérie, publie en 1962 La raison d’État. L’historien part de l’affaire Audin, c’est-à-dire le scandale entourant la disparition de Michel Audin, militant communiste et indépendantiste qui disparaît après son arrestation. Il élargit son propos à l’histoire de l’usage de la torture par l’État français.

↳ Patrick Kessel et Giovanni Pirelli, Le peuple algérien et la guerre. Lettres et témoignages 1954-1962, publié dès 1962. Cet ouvrage est censuré dès sa parution. Les auteurs ont pris soin de le faire aussi paraître en Italie.

↳ En Algérie française, la construction d’une histoire algérienne passe par l’engagement des historiens pour l’indépendance.

↳ Jean Amrouche, kabyle chrétien, poète et journaliste ; Albert Camus, Européen d’Algérie qui dénonce la colonisation comme les méthodes du FLN ; Henri Alleg, qui dénonce la torture ; Mouloud Fersoun, auteur de Le fils du pauvre (1954), assassiné en 1962 par l’OAS ; André Mandouze, La révolution algérienne par les textes, 1961.

B. 1962 - 1990 : tabou officiel en France, hypercommémoration en Algérie

=> Comment évoluent les mémoires dans les trente ans qui suivent l’Indépendance de l’Algérie ?

→ En France, c’est le temps de l’oubli officiel et des mémoires éclatées.

↳ Les mémoires évoluent dans un contexte très complexe.

↳ Les frustrations nationales accumulées (impuissance face à la perte de l’empire colonial).

↳ La remise en cause des valeurs de la République : la répression indifférenciée, la banalisation de la torture.

↳ La guerre froide : des mémoires militantes liées aux deux idéologies dominantes, l’opposition entre intérêts nationaux et principe d’autodétermination.

↳ C’est surtout le contexte de la loi d’amnistie prévue dans les accord d’Évian qui plonge le conflit dans un oubli officiel.

↳ Il s’agit de faire silence sur les événements les plus troubles pouvant choquer l’éthique républicaine.

↳ Il n’y a aucune commémoration officielle car il n’y a pas de consensus des mémoires.

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↳ Cependant les témoignages des acteurs du conflits continuent d’être publiés.

↳ C’est une mémoire entretenue par des groupes partisans qui y trouvent leur légitimité : groupes d’anciens combattants, mémoire des pieds noirs, émergence des de la mémoire des harkis.

↳ Les historiens tentent d’éclairer les événements occultés malgré la fermeture des archives.

↳ Yves Courrière est le premier à publier une somme sur la guerre d’Algérie, utilisant les témoignages des acteurs des deux camps (1968). René Vautier, Avoir vingt ans dans les Aurès, 1972.

↳ Mais la censure et les interférences de l’État, au nom de la loi d’amnistie, ne sont jamais loin.

→ En Algérie, c’est le temps de l’hypercommémoration.

↳ Les mémoires doivent évoluer dans le contexte de la construction du nouvel État.

↳ Le FLN construit sa légitimité sur son rôle essentiel dans le conflit de libération nationale.

↳ On construit une mémoire officielle, instrumentalisée.

↳ Elle a son panthéon officiel avec ses héros sélectionnés et ses oubliés.

↳ On oublie les épisodes les plus scandaleux de la lutte (massacres de civils, tortures).

↳ Dans les années 1970, multiplication des fêtes nationales pour consolider une identité nationale en opposition avec le colonialisme.

↳ Utilisation de données erronées et des affirmations uniquement accusatoires envers la France.

↳ Le contexte algérien n’est pas plus favorable au travail historique.

↳ Les historiens sont soumis à un contrôle étroit, notamment après l’arabisation de l’enseignement de l’histoire (1966).

↳ Des historiens algériens se forment soit en France soit en Algérie avec des coopérants français : ex. Mohammed Harbi, emprisonné en Algérie puis réfugié en France, réalise une histoire du FLN.

B. 1988 - 2016 : l’historien face aux mémoires qui s’entrechoquent et se cloisonnent

=> Comment les historiens peuvent-ils dépasser le cloisonnement persistant des mémoires ?

→ En France, les historiens assistent au réveil et à la guerre des mémoires.

↳ Dans les années 1990, les mémoires de la guerre se réveillent, principalement dans la presse.

↳ Ce sont surtout des mémoires favorables à la colonisation, confortées par la guerre civile que connaît alors l’Algérie indépendante (milices islamistes contre gouvernement)

↳ 1999 : l’Assemblée nationale reconnaît enfin l’existence d’une « guerre » en Algérie.

↳ Après le procès de Maurice Papon, fonctionnaire du régime de Vichy et chef de la police lors du massacre du 17 octobre 1961, on réhabilite la mémoire des victimes et inaugure un lieu de mémoire à Paris.

↳ Les journalistes réveillent la mémoire des victimes de la torture : récit de la militante algérienne Louisette Ighilahriz (voir doc. 2 p. 84), les aveux du général Aussaresses (voir vidéo sur lewebpedagogique.com/ adriensilvera, rubrique Terminales L/ES).

↳ Déferlement mémoriel sous forme de stèles, plaques, noms de rues.

↳ Tentative officielle de réconciliation franco-algérienne en 2003 abandonné suite au vote, sur la pression de groupes favorables à l’Algérie française, de la loi de février 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation ».

↳ Malgré son abrogation par J. Chirac en 2006 et le discours à Alger de N. Sarkozy en 2007 sur les fautes de la colonisation française, cette loi a entraîné une véritable guerre des mémoires.

L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie

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↳ L’historien Benjamin Stora parle ainsi d’un « durcissement des mémoires » en France et de la « nostalgérie », nostalgie de l’Algérie française, dans un contexte de perte d’influence du gaullisme.

↳ Dans ce contexte, les historiens se donnent pour mission de décloisonner les mémoires.

↳ Il s’agit d’éclairer les faits méconnus, de faire progresser la recherche scientifique et de faire consensus.

↳ Benjamin Stora, dans La Gangrène et l’oubli (1991), dénonce l’absence de dépassement des mémoires.

↳ 1992 : la majorité des archives sur la guerre d’Algérie s’ouvrent.

↳ 2004 : une trentaine d’historiens français et algériens travaillent ensemble, sous la direction de B. Stora et de M. Harbi : La Guerre d’Algérie. La fin de l’amnésie.

↳ 2012 : B. Stora, La guerre d’Algérie expliquée à tous.

→ En Algérie, un travail historique toujours aussi difficile face au maintien d’une mémoire officielle

↳ À partir de 1988, libéralisation temporaire du régime algérien.

↳ Demande sociale de vérité, y compris sur les épisodes les plus sombres de la guerre.

↳ Contexte de guerre civile entre État et islamistes de 1992 à 1998.

↳ Les deux camps instrumentalisent la mémoire de la guerre d’Algérie pour justifier leurs violences.

↳ En mai 1990, création d’une « Fondation du 8 mai 1945 » réclamant à la France la reconnaissance de sa culpabilité dans le massacre de Sétif mais aussi dans tous les crimes commis contre peuple algérien de 1830 à 1962, crimes qualifiés de « crimes contre l’humanité ».

↳ Depuis 2000, le gouvernement algérien demande une repentance de la France.

↳ Dans un tel contexte, le travail des historiens ne s’est que peu facilité. Si la presse algérienne rend désormais compte des travaux historiques non officiels, les archives algériennes ne sont toujours pas accessibles.

↳ Surtout, la guerre d’Algérie demeure le point d’accrochage entre la France et l’Algérie et entre les mémoires, empêchant tout travail historique serein.

Conclusion

L’évolution des relations entre histoire et mémoires de part et d’autre de la mer Méditerranée connaît trois principales phases. Du temps de la guerre, histoire et mémoires se construisent sur l’engagement dans le conflit et les traumatismes, produisant dès les premières années une grand quantité de témoignages et de récits. Cependant, après l’Indépendance, les historiens peinent à travailler en France, où la loi d’amnistie établit un oubli officiel, comme en Algérie, où les mémoires sont instrumentalisées par le nouveau régime afin de légitimer son pouvoir. Enfin, à partir des années 1990, les historiens doivent faire face en France au réveil et à la guerre des mémoires, et se donnent pour mission de décloisonner ces dernières ; cette tâche est plus difficile en Algérie, où la guerre civile et les tensions politiques empêchent un travail historique serein.

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