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Presses Universitaires du Mirail L'Indépendance des Philippines espagnoles: José Rizal : de la réforme au mythe révolutionnaire Author(s): Annick TRANVAUX Source: Caravelle (1988-), No. 74 (Juin 2000), pp. 119-141 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40854799 . Accessed: 14/06/2014 22:12 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.101 on Sat, 14 Jun 2014 22:12:16 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'Indépendance des Philippines espagnoles: José Rizal : de la réforme au mythe révolutionnaire

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Presses Universitaires du Mirail

L'Indépendance des Philippines espagnoles: José Rizal : de la réforme au mythe révolutionnaireAuthor(s): Annick TRANVAUXSource: Caravelle (1988-), No. 74 (Juin 2000), pp. 119-141Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40854799 .

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CM.H.LB. Caravelle n° 74, p. 119-141, Toulouse, 2000

L'Indépendance des Philippines espagnoles José Rizal : de la réforme au mythe révolutionnaire

PAR

Annick TRANVAUX Université de La Réunion

II fallut attendre la dernière décennie du XIXe siècle pour voir surgir aux Philippines une véritable lutte armée tendant clairement à libérer l'Archipel de la domination espagnole, mouvement assez tardif si on le compare au processus d'émancipation des territoires hispano-américains.

Un calme relatif avait, en effet, régné aux Philippines, malgré un certain nombre de révoltes, rapidement maîtrisées dans la plupart des cas - ainsi la mutinerie de Cavité, en 1872, pour ne citer qu'une des plus connues -, calme dont semble attester la confiance que manifestaient les différents Gouverneurs Généraux dans leurs rapports et que confirment certaines observations. En 1870, un rapport détaillé de la situation des Philippines par le Belge Jules Greindl1, en vue d'un éventuel achat de l'Archipel par le roi Leopold II2, ne mentionne aucune difficulté particulière liée au maintien de l'ordre. Les statistiques officielles concernant la population des îles mettent en évidence une présence espagnole extrêmement réduite, difficilement compatible, à longue échéance, avec une situation insurrectionnelle 3. En 1892, une vaste

1 Jules Greindl, « A la recherche d'un Etat indépendant. Leopold II et les Philippines (1869- 1875) », mémoire présenté à la séance du 15.2.1960, Bruxelles, Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer. 2 Ces tractations n'ayant pas abouti, le souverain se tourna ensuite vers le Congo. 3 Au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, malgré un accroissement des Péninsulaires -environ 14.000 Espagnols et 8.000 créoles et métis, pour 7.832.719 habitants selon un recensement de 1894 - la population espagnole représentait moins de 2 pour 1.000 de la population totale de l'archipel, moins de 3 pour 1.000 en comptant créoles et métis espagnols. Cette population fut par ailleurs toujours fortement concentrée sur Manille et sa province, de nombreuses régions ne comptant aucun Espagnol. C'est ainsi que, selon les statistiques publiées en 1855 par don Rafael Díaz Arenas [Rafael Díaz Arenas « Memorias históricas y estadísticas de Filipinas», Manila, 1850, 5o cuaderno],

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opération de perquisitions simultanées au domicile des sympathisants les plus notoires de la cause autonomiste ne donna aucun résultat convaincant, comme en attestent les rapports respectifs des différents Gouverneurs de Province et du Gouverneur Général Despujol.

DESAFFECTION DES INTELLECTUELS PHILIPPINS

S'il fallut attendre les dernières années du XIXe siècle pour qu'éclatât une véritable insurrection armée contre la souveraineté espagnole, les racines d'un progressif mécontentement étaient plus anciennes. Sans doute les Espagnols s'étaient-ils vus confrontés, au cours des siècles précédents, à quelques mouvements sporadiques, géographiquement limités, sans que leur souveraineté fût véritablement menacée et sans qu'on pût observer dans le pays un véritable mouvement indépendan- tiste. La réaction nationaliste allait naître, chez les classes émergentes de Philippins, de la frustration de leurs aspirations, celles du clergé séculier dans un premier temps, celles des jeunes ilustrados ensuite, enfants de la bourgeoisie philippine naissante, surgie à la faveur de la libéralisation du commerce et d'une prospérité économique nouvelle. Dans tous les cas, l'accès à un niveau supérieur de culture fut déterminant.

Le problème du clergé séculier philippin

Pendant le dernier tiers du XVIIIe siècle, un contexte historique de sécularisation des paroisses^ et la politique volontariste menée par l'archevêque Santa Justa y Rufina 5 avaient facilité l'accès à la prêtrise pour de nombreux Philippins, qui se virent confier la charge de paroisses. Dès les premières décennies du XIXe siècle, une progressive restitution des cures au clergé régulier et la limitation forcée des aspirations des

lequel insiste sur la permanence d'un tel regroupement chez ses compatriotes (« Los primitivos españoles que en un principio se establecieron en Cebú cuando Legaspi fundó la ciudad del Santo Ñiño, se vinieron a Manila después, atraídos por el comercio que refluyó todo aquí; y aunque se quisieron con el tiempo fundar ciudades de españoles en Vigán y otros puntos [...] no se consiguió vencer aquella repugnancia del español a separarse de los suyos, así es que han permanecido y permanecen todos avecindados en las inmediaciones de Manila, particularmente en el pueblo de Binondo que puede decirse es el centro de todo el comercio de las islas. »), la population espagnole ne dépassait les 10 individus que dans 9 des 34 provinces considérées, la plus forte concentration après la province de Manille étant celle d'Ilocos Sur où résidaient 99 Espagnols, ceux de Zambales n'étant que 27, puis 17 à Albay, tandis que dans 8 des 34 provinces on ne signalait aucune présence espagnole. 4 Le clergé régulier était constitué de religieux espagnols, tandis qu'à de rares exceptions les membres du clergé séculier étaient philippins ou métis. 5 Archevêque de Manille de 1767 à 1789.

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Philippins à la situation de vicaires dans la plupart des cas, firent qu'un sentiment de frustration grandit peu à peu au sein du clergé séculier, sentiment exacerbé par le comportement des religieux espagnols qui alléguaient une moindre aptitude des Philippins à assurer la charge d'âmes, et par une situation de plus en plus injuste, la proportion de paroisses confiées aux séculiers diminuant de manière importante au long du XIXe siècle, malgré l'accroissement du nombre de prêtres6. La rivalité entre clergé régulier et clergé séculier pour l'attribution de paroisses se fit plus durement ressentir lorsque le retour des jésuites aux Philippines entraîna une nouvelle répartition des cures, au détriment du clergé séculier 7. Et, en 1872, l'exécution, après un procès douteux, de trois prêtres philippins accusés de menées séparatistes lors de la mutinerie de Cavité ne fit qu'augmenter le ressentiment8. D'une revendication d'égale dignité, on passa progressivement à une mise en cause de la supériorité des Espagnols et de la légitimité de leur présence. Dans tous les mouvements de contestation, jusqu'à la fin du XIXe siècle, la présence du clergé philippin fut importante.

Contestation des jeunes intellectuels

C'est avec l'éclosion d'une bourgeoisie autochtone, à la faveur d'une prospérité économique nouvelle, que des Philippins commencèrent à accéder aux études supérieures. A côté des prêtres séculiers, on trouvait des médecins, des avocats. Ce n'est d'ailleurs pas un des moindres reproches qui étaient adressés à l'Université de Santo Tomás que de former beaucoup trop de théologiens et de juristes et de ne pas réorienter son enseignement vers des études pratiques. Nous avons évoqué le problème du clergé, cantonné dans des tâches subalternes ; les avocats, en trop grand nombre, ne pouvaient trouver à employer leurs talents. Quant aux étudiants de droit, une partie d'entre eux n'achevaient pas leurs études et on les soupçonnait de semer la zizanie dans les campagnes. En 1870, le Gouverneur Général, Carlos Maria de la Torre, dans une lettre au ministre de l'Outre-Mer, considérait que prêtres et avocats représentaient un facteur de trouble potentiel ; leurs aspirations indépendantistes ne présentaient pour lui aucun doute :

6 Alors que le clergé séculier occupait environ la moitié des cures en 1818 (209 des 438 paroisses existantes), il occupe moins du 1/5 de celles-ci en 1898 (158 paroisses sur 967). On compte alors environ un millier de religieux espagnols et 700 prêtres philippins. 7 Les jésuites avaient été expulsés en 1768 ; leur retour fut autorisé en 1851. En 1861, les Augustins récoliets cédaient à la Compagnie de Jésus les paroisses de mission de Mindanao et on leur attribua en échange de riches paroisses de la région de Manille, administrées jusque là par le clergé séculier. 8 L'un des condamnés, le père José Burgos, était le porte-parole du clergé philippin auprès des autorités espagnoles et ecclésiastiques.

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Con rarísimas excepciones, no hay un Cura ni un abogado, hijos del País, con alguna instrucción e influencia, que, ahora y siempre, no las hayan empleado en crear en derredor suyo aspiraciones de la independencia^.

Bien qu'il ne fût pas en mesure de prouver leur implication concrète dans des activités reprehensibles, à ses yeux créoles et métis appartenant à ces catégories étaient autant de suspects :

. . . todo el País señala con el dedo a ciertas individualidades del Clero y abogados, todos mestizos y españoles filipinos. 10

La nouvelle caste de jeunes bourgeois ayant poursuivi des études supérieures, le mouvement des ilustrados, comme ils se désignaient eux- mêmes, reprit à son compte l'hostilité du clergé contre les religieux et fit de la lutte contre les congrégations un de ses thèmes principaux. Le départ des ordres religieux devint la condition indispensable à toute régénération des Philippines. Les intellectuels philippins étaient encouragés dans leurs convictions anti-religieuses par un certain nombre de péninsulaires libéraux. Le progrès des communications avec l'Europe11 rendait plus facile et plus rapide la circulation des idées nouvelles et les événements politiques de la métropole étaient désormais suivis de près. De plus en plus de jeunes Philippins voyageaient en Espagne et en Europe, la plupart du temps pour y poursuivre des études.

La propaganda

Au début des années 80 était apparu le mouvement qui prit le nom de Propaganda. Animé par des intellectuels philippins, issus de la nouvelle bourgeoisie, il ne se déclarait pas indépendantiste mais réclamait pour les Philippines un statut de stricte égalité avec les autres régions d'Espagne, l'introduction de réformes et la fin des abus dans l'administration de la colonie. Les principaux chefs de file du mouvement étaient José Rizal, Marcelo Hilario del Pilar, Graciano López Jaena 12. Leurs écrits étaient

9 AHN, Ultramar, leg. 5 1 52, Carta reservada del Gobernador General, Carlos Marta de la Torre, al Ministro de Ultramar. 10 Id 11 Avec l'ouverture du Canal de Suez en 1869 et la navigation à vapeur, Manille se trouvait désormais à moins d'un mois de Barcelone. Le télégraphe fut introduit en 1 873 et l'Archipel fut relié au réseau extérieur en 1880.

^Marcelino Hilario del Pilar, né en 1850 à Kupang (province de Bulakán) dans une famille relativement aisée, après avoir terminé ses études de droit à l'université de Santo Tomás, exerçait la profession d'avocat. En 1882, il fonda avec Basilio Teodoro Morang le

Diarong tagalog, premier journal bilingue des Philippines. Il se fit remarquer par ses

pamphlets anti-religieux et jugea prudent, en 1887, de partir pour l'Espagne où il se

joignit au mouvement de la propaganda. Il publia, entre autres écrits, de nombreux arti- cles dans La Solidaridad, dont il prit la direction après López Jaena. Parmi ses pamphlets anti-religieux les plus connus, nous citerons « La soberanía monacal en Filipinas» (1888),

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diffusés aux Philippines par l'avocat Doroteo Cortés, également chargé de collecter des fonds pour la propaganda . 13

« La fiailocracia filipina » (1889), publiés sous le pseunonyme transparent de Plaridel. Il mourut de tuberculose en Espagne, en 1896, sans avoir pu revenir aux Philippines.

Graciano López Jaena, né en 1856, était natif de Jaro, dans la province d'Iloilo. Il avait commencé des études pratiques de médecine à l'hôpital de San Juan de Dios. Il partit pour l'Espagne en 1879 afin d'y terminer ses études de médecine, d'abord à l'université de Valence, puis à celle de Madrid. Le 15 février 1889, il fondait à Barcelone le bimensuel La Solidaridad, qui devait paraître jusqu'en 1895. Le ton était polémique et particulièrement acerbe dans ses critiques contre les ordres religieux. Sur le plan politique, les articles ne tendaient pas ouvertement à réclamer l'indépendance, mais simplement que les Philippines fussent traitées comme une province espagnole à part entière, avec une véritable représentation parlementaire, et que les Philippins pussent jouir des mêmes droits que les Espagnols. Et les ordres religieux devaient être expulsés de l'Archipel. Ce discours s'accompagnait d'une mise en garde : si des mesures indispensables n'étaient pas prises rapidement pour améliorer la situation, les Philippins n'auraient d'autre ressource que de choisir la voie de l'indépendance. En décembre 1889 Marcelo Hilario del Pilar acheta La Solidaridad, et transféra la publication à Madrid.

José Rizal était né à Kalamba, dans la province de la Laguna, dans une famille de cultivateurs relativement aisés. D'abord élève de X Ateneo de Manila des Jésuites, il entreprit à l'université de Santo Tomás des études de Lettres, en même temps que des études de Médecine, qu'il termina ensuite à Madrid. Il prépara à Paris une spécialité d'ophtalmologie. Pendant son séjour en Europe, il voyagea dans différents pays mais plus particulièrement en Allemagne où il fit la connaissance du professeur Blumentritt, géographe et anthropologue qui devint un de ses amis les plus fidèles. Il publia à Berlin en 1887 son premier roman, Noli me tangere, où il dénonçait les défauts de l'administration espagnole dans la colonie et le comportement des religieux. La même année, il revenait à Kalamba où il installait une clinique. En 1888, il partit pour un nouveau voyage qui devait le mener successivement à Hong-Kong, au Japon, aux Etats-Unis et en Angleterre, et dans plusieurs pays d'Europe. Lorsque Graciano López Jaena fonda le bimensuel La Solidaridad à Barcelone, en 1889, Rizal y collabora par de nombreux articles. En 1891, il publia son second roman, El filibusterismo . La même année, il s'installait à Hong- Kong d'où il écrivit au Gouverneur général Despujol, sollicitant l'autorisation de liquider ses biens aux Philippines afin de créer avec quelques autres une compagnie agricole à Bornéo. L'autorisation lui fut refusée. En 1892, il se décida cependant à regagner les Philippines. A son arrivée à Manille, il rencontra le Gouverneur général et obtint la grâce de plusieurs membres de sa famille qui faisaient l'objet d'une condamnation à la déportation (après les événements de Kalamba, pendant lesquels un conflit à propos du paiement des loyers les avait opposés aux Dominicains propriétaires de l'Hacienda). Il rencontra de nombreux partisans. Au cours d'une réunion qui se tint à Manille, sur sa proposition, fut créée la Liga filipina, afin de coordonner l'action du mouvement. Des documents subversifs ayant été trouvés lors de la fouille des bagages qu'il avait amenés de Hongkong, le Gouverneur ordonna son arrestation à la Real Fuerza de Santiago, puis sa déportation à Dapitan. Il devait y résider jusqu'en 1896. Au mois de septembre de la même année, il s'embarquait pour Cuba en qualité de médecin de l'armée espagnole, charge qu'il avait lui-même sollicitée. L'insurrection venait d'éclater. Le gouverneur donna l'ordre de le ramener à Manille, où il fut jugé et exécuté. 13 En Espagne, la propaganda avait obtenu l'appui de francs-maçons importants. Parmi eux, D. Miguel de Morayta qui accepta la présidence de la Ligue Hispano-philippine créée en Espagne, en 1888, pour soutenir les revendications réformistes et plus particulièrement la cause de la représentation parlementaire. Morayta accepta également, puisque les loges étaient interdites aux Philippins dans l'Archipel, la création à Madrid de

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De la propaganda à la Ligue Philippine et au Katipunan

En 1892, le jour même de la publication officielle de la déportation de Rizal à Dapitan, un groupe de Philippins, au nombre desquels figurait Andrés Bonifacio, décida de créer une nouvelle société secrète, le Katipunan, s'inspirant en partie dans son fonctionnement de l'organisa- tion de la franc-maçonnerie, mais dont le but était ouvertement la conquête de l'indépendance, par tous les moyens. Le recours à la violence était clairement envisagé. Des émissaires furent envoyés un peu partout dans le pays et le Katipunan {Kataastaasan Kagalanggalang na Katipunan ng Anak ng Bayan, ou Vénérable Société Suprême des Fils du Peuple, souvent symbolisé par le sigle K.K.K.), se répandit très rapidement.

Pendant ce temps la Liga filipina, que le départ de Rizal pour Dapitan avait affaiblie, tenta de relancer ses activités. Elle finit par être dissoute en octobre 1893. En décembre de la même année, Andrés Bonifacio fut nommé à la tête du Katipunan. Né en 1 863 à Tondo, il n'avait fréquenté que l'école primaire. Ouvrier, puis employé d'une compagnie commerciale, cet homme énergique donna au mouvement nationaliste philippin une nouvelle direction. Aux intellectuels bourgeois de la Propaganda, désireux d'avancer par des voies légales, succédaient au sein du Katipunan des gens du peuple résolus à utiliser la violence le moment venu.

La révolution de 1896 et la fin de la présence espagnole

Au mois de juin 1896, il fut décidé d'envoyer des émissaires au Japon pour y acheter des armes et des munitions et le docteur Pío Valenzuela se rendit à Dapitan avec la mission de proposer à Rizal de prendre la tête de l'insurrection. Rizal refusa, convaincu que cette solution n'était pas dans l'intérêt du peuple philippin. Antonio Luna, partageant semble-t-il cette conviction, prévint le général Bianco de ce qui se tramait. Mais celui-ci,

la loge « La Solidaridad» qui leur était destinée ; s y retrouvèrent tous les membres de la

loge « La Revolución » que López Jaena avait créée plus ou moins irrégulièrement. En 1890, il chargea Antonio Luna et Pedro Serrano d'étudier un projet d'organisation de la franc-maçonnerie dans l'Archipel et la première loge philippine, Nilad, fut créée à Manille le 6 janvier 1891. La plupart des intellectuels qui participaient au mouvement de la propaganda étaient francs-maçons, comme étaient francs-maçons les membres fondateurs du Katipunan. Le rôle que cette société joua dans l'élaboration du processus indépendantiste est indéniable et, pendant les dernières décennies du XIXe siècle, on assista à une permanente lutte d'influence entre deux forces antagonistes, les ordres religieux et la franc-maçonnerie, qui se rendaient mutuellement responsables de tous les maux des Philippines. Si la franc-maçonnerie accompagna efficacement le mouvement d'émancipation, on ne saurait affirmer cependant qu'elle en fut la cause directe, bien d'autres facteurs étant intervenus dans l'émergence du processus d'émancipation des

Philippines.

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malgré les nombreux indices, avait encore quelque mal à croire à l'imminence du danger. Il fallut attendre la trahison d'un katipunero^ qui avait confié à sa sœur les plans de la rébellion imminente, pour qu'un augustin, curé de Tondo, fray Mariano Gil, fût informé de ce qui se tramait. On découvrit dans les locaux du journal Diario de Manila des preuves de l'activité clandestine d'impression à laquelle se livraient des ouvriers du journal et un certain nombre de documents relatifs au

katipunan, qui ne laissent subsister aucun doute sur les intentions de l'organisation.

Cette découverte devait avoir pour conséquences d'une part de convaincre le général Blanco de la gravité de la situation et de le conduire à prendre une série de mesures sévères contre les subversifs, et d'autre part de précipiter le déclenchement de la rébellion armée des katipuneros. Leurs plans étant découverts, attendre aurait favorisé la mise en place des mesures préventives ordonnées par le gouverneur.

Deux années devaient s'écouler entre le déclenchement de la Révolution et la cession de l'archipel aux Etats-Unis. Pendant cette période se succédèrent les Gouverneurs généraux Ramón Blanco, Camilo de Polavieja, Fernando Primo de Rivera, respectivement nommés en juin 1893, décembre 1896, avril 1897, le général Primo de Rivera cessant ses fonctions en avril 1898 14.

Ce fut le général Blanco qui dut faire face aux premières manifestations de l'insurrection. Il mena une politique alliant mesures de fermeté et politique de main tendue, proposant plusieurs amnisties aux rebelles qui se seraient rendus. Une partie de la communauté espagnole, et notamment les religieux, estimait que son gouvernement faisait preuve d'une excessive faiblesse et les critiques parvenaient nombreuses à Madrid. La nomination de Polavieja causa la plus grande satisfaction. Il mena pendant son bref gouvernement une politique beaucoup plus ferme à l'égard des insurgés et ce fut pendant cette période de rigueur que fut exécuté le Dr José Rizal. Le général Primo de Rivera, constatant que, malgré quelques succès des forces gouvernementales, la faiblesse numérique des Espagnols ne permettait pas d'envisager une pacification durable à moins d'un investissement considérable, que le gouvernement de Madrid souhaitait à tout prix éviter, fit proposer aux rebelles par l'intermédiaire du docteur Paterno, leur reddition contre l'exil des principaux dirigeants et le versement d'une indemnité de 400.000 pesos.

14 H y eut encore deux Gouverneurs généraux dont l'action aux Philippines consista surtout à défendre Manille assiégée. Alors que la guerre avait déjà éclaté à Cuba - 21 avril - le commandement fut assuré jusqu'au 4 août par le général Augustin relevé en plein siège de Manille pour avoir télégraphié qu'en l'absence de renforts, il ne pouvait répondre de l'issue des combats. Il fut remplacé par le général Fermín Jáudenes, pour une très brève période puisque celui-ci devait signer la reddition de Manille le 14 août 1898.

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C'est ainsi qu'Aguinaldo 15 et ses principaux lieutenants s'embarquèrent pour Hong- Kong le 27 décembre 1897, l'archipel retrouvant ainsi une tranquillité relative. Celle-ci fut de courte durée : la menace d'une guerre imminente avec les Etats-Unis relança l'agitation. Aguinaldo fut sollicité par les Américains pour réactiver la lutte aux Philippines. Après la défaite des Espagnols, ce ne fut cependant pas l'indépendance telle que l'avait rêvée Aguinaldo, et les Américains, à leur tour, furent confrontés à la guérilla philippine.

RIZAL ET L'INDEPENDANCE

Début de l'insurrection: jugement et exécution de José Rizal

Après la découverte, le 19 août 1896, des documents du katipunan dans les locaux du Diario de Manila^ on procéda à de nombreuses perquisitions et arrestations. Le Gouverneur général, D. Ramón Blanco déclara l'état d'exception et imposa la loi martiale. Des renforts furent envoyés de province pour la défense de Manille et chacun se prépara à une éventuelle attaque. Le 22 août, les katipuneros, réunis à Balintawak, votèrent le déclenchement de l'insurrection pour le 29 août. Symboliquement, tous les assistants, à la demande de Bonifacio, déchirèrent leur cédule personnelle aux cris de « Vive les Philippines ! » « Vive le katipunan ! », épisode connu sous le nom de « grito de Balintawak ». Mais le 25, les insurgés furent surpris par les troupes gouvernementales et le premier combat fut engagé. L'agitation gagna plusieurs provinces : Manille, Cavité, la Laguna, Nueva Ecija, Batangas, Pampanga, Bulacan, Tarlak, où la loi martiale fut décrétée. Les insurgés remportèrent quelques succès, largement appuyés par la population. Néanmoins, cette adhésion n'était pas générale. Dans certaines provinces, notamment Abra, Albay, Bataan, l'impact fut très limité et dans de nombreux cas la population apporta au gouvernement une collaboration spontanée. Plusieurs membres importants du katipunan^ dont le docteur Pío Valenzuela, s'étant livrés pour bénéficier de l'amnistie, firent d'importantes révélations sur les plans de la rébellion et l'identité des insurgés. Le 4 septembre eurent lieu les premières exécutions de condamnés par les tribunaux militaires. On procéda également à de nombreuses déportations aux îles Carolines. Un renfort de 200 officiers et 3.500 soldats fut envoyé d'Espagne. Mais la pratique devait démontrer

15 Né en 1869, il était issu d'une riche famille de cultivateurs de la province de Cavité. Après son élection, par les révolutionnaires réunis à Tejeros le 22 mars 1897, comme

président de la République philippine un projet fut annoncé le lendemain par Andrés Bonifacio de créer un autre gouvernement. Le chef du Katipunan fut condamné à mort

par le Conseil révolutionnaire et exécuté le 10 mai, laissant désormais Aguinaldo chef incontesté de l'insurrection.

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que les soldats fraîchement débarqués aux Philippines, ignorant tout du terrain, ne s'avéraient pas toujours très adaptés face à une guérilla à laquelle les populations prenaient une part active. Malgré les nombreux échecs du gouvernement, un calme relatif était revenu dès septembre dans plusieurs provinces et l'agitation se concentrait surtout sur les provinces de Cavité et Nueva Ecija. La menace de saisie de leurs biens avait incité nombre d'insurgés à se rendre pour bénéficier de l'amnistie.

Rizal, qui s'était embarqué pour Cuba le 3 septembre, fut arrêté à son arrivée à Barcelone. Les circonstances de son arrestation furent assez particulières. Exilé à Dapitán en 1892, il avait refusé de prendre la tête de l'insurrection comme le docteur Pío Valenzuela était venu le lui proposer avant que le conflit n'éclatât, et il avait finalement obtenu l'autorisation de s'embarquer pour Cuba, en qualité de médecin militaire, en réponse à une demande déposée l'année précédente. On peut d'ailleurs trouver curieux que le Gouvernement espagnol pût envisager sans inquiétude de favoriser un contact direct entre l'insurrection cubaine et celui que les autorités des Philippines considéraient comme le porte-drapeau du filibusterismo. Sans doute n'eut-on jamais l'intention de lui permettre d'aller plus loin que l'Espagne. Le comportement de Rizal montre pourtant une certaine confiance dans le Gouvernement. Arrivé à Manille le 6 août, il dut, en attendant le départ d'un navire prévu le 3 septembre, rester sur un croiseur. Un groupe de rebelles ayant essayé de le délivrer, il refusa de les suivre et regagna le navire, refusant également de s'enfuir à l'escale de Singapour. Le jour prévu, il s'embarqua ; le général Blanco, après avoir consulté le tribunal sur sa possible implication dans la rébellion, avait autorisé son départ, et lui avait fourni des lettres de recommandation pour le Ministre de l'Outre-Mer et le Ministre de la guerre. Par un échange de télégrammes entre le Gouvernement de Madrid et le Général Blanco, il avait en fait été convenu que Rizal serait enfermé au fort de Monjuich, mais le tribunal de Manille réclamait sa présence et trois jours après son arrivée à Barcelone, on le ramena aux Philippines. En effet, le juge Francisco Olive avait réclamé son retour à Manille, certains témoignages ayant mis en cause sa participation dans la préparation de l'insurrection. Lorsqu'il arriva aux Philippines, le 3 novembre 1896, il fut conduit à la Real Fuerza de Santiago. Au cours de son interrogatoire, il reconnaissait avoir été informé à Dapitán par le docteur Pío Valenzuela de l'imminence de l'insurrection, mais assura lui avoir manifesté son désaccord. Il fut interrogé sur ses activités passées, au sein de la propaganda ; le tribunal semblait surtout lui reprocher la fondation de la Liga filipina - que Rizal présenta comme une association destinée à favoriser le développement économique de l'Archipel - et le fait que le katipunan se réclamât de lui, faisant usage de son nom et de son portrait. Ce que Rizal désapprouvait. On soupçonnait la Ligue d'avoir été créée dans le seul but de préparer l'insurrection. Le 20, il comparut devant le juge. La plupart des témoins lui étaient inconnus. Le

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2 décembre le gouverneur général transmit le dossier au juge spécial, le capitaine Rafael Domínguez, afin qu'il formulât l'acte d'accusation. Le 9 décembre Rizal fut officiellement accusé de délit de rébellion et de création d'associations illégales. Le 26 décembre le procès eut lieu devant un conseil de guerre. Rizal nia toute participation dans l'insurrection et contesta les intentions subversives prêtées à la Liga filipina. Le tribunal prononça sa condamnation à mort ; elle fut confirmée le 28 par le général Polavieja, qui avait pris ses fonctions de Gouverneur général le 8 décembre. La date de l'exécution de la sentence était fixée au 30 décembre. Après avoir refusé l'assistance spirituelle des religieux de la Real Fuerza de Santiago, Rizal finit par accepter de se confesser. Jusqu'au dernier moment il devait protester de son innocence, y compris dans les dernières lettres qu'il parvint à transmettre clandestinement à sa famille la veille de son exécution. Le 30 au matin, il mourut fusillé à Bagumbayan.

Il avait, en vain, proposé ses bons offices au nouveau Gouverneur afin de rencontrer les insurgés et de les convaincre d'abandonner la lutte armée. Rizal fut sans doute victime du contexte de fermeté que le Général Polavieja avait voulu imposer depuis son arrivée et qui voulait contraster avec la politique de son prédécesseur. La nouvelle de sa mort provoqua une vive émotion en Espagne, dans les milieux francs-maçons, émotion dont l'écho était parvenu jusqu'aux Philippines.

L'exécution de Rizal fut souvent considérée comme une erreur, à la fois sur le plan tactique et sur le plan de la justice. Il est peu vraisemblable que Rizal ait été partie prenante dans le déclenchement de l'insurrection, même s'il en partageait les aspirations. Mais il envisageait sans doute d'autres moyens. Son comportement dans les jours qui précédèrent son arrestation ne fut pas celui d'un homme qui redoute les autorités. Il refusa de suivre, à Manille, le groupe venu le délivrer et il ne profita pas de l'escale de Singapour où il aurait pu facilement s'enfuir. Avec cette exécution, le gouvernement espagnol offrait à la cause révolutionnaire le plus illustre de ses martyrs. Au-delà des faits, on ne fusillait pas qu'un homme, on fusillait un symbole. Rizal devint dès lors le héros suprême de l'indépendance philippine. Et bien que n'ayant pas directement participé à la lutte armée qui devait mener les Philippines à l'indépendance, il reste encore aujourd'hui le plus célèbre de ses héros.

Sans doute, le général Polavieja, dont la nomination avait été acclamée et qui avait entrepris une politique de fermeté, contrastant délibérément avec celle du Général Blanco, voulut-il faire un exemple de l'exécution de Rizal. Dans un contexte de lutte armée, une telle exécution, même si elle frappait un personnage très en vue, n'était pas isolée, et n'était sans doute pas de nature à dissuader les insurgés. Le mouvement avait d'ailleurs échappé à la bourgeoisie et aux intellectuels.

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Rizal , mythe révolutionnaire 1 29

Les insurgés, derrière Bonifacio, étaient désormais des gens du peuple 16. Et la mort de Rizal ne pouvait qu'enflammer les esprits.

Si un compromis pouvait être envisagé par les Espagnols, il ne pouvait l'être sans le concours de la bourgeoisie philippine. En fusillant le plus illustre de ses représentants, dont l'influence eût pu contribuer à un apaisement, le pouvoir rendait inévitable un durcissement de la situation. Le comportement et les écrits de Rizal semblent attester en effet qu'il envisageait une autre voie, celle des réformes et de la légalité 17, même si à plus long terme, l'indépendance était inéluctable. Ses articles dans La Solidaridad figurent parmi les écrits les plus révélateurs des idées de Rizal.

Rizal et l'indépendance : « Les Philippines dans cent ans »

Rizal fut sans aucun doute le collaborateur le plus célèbre de La Solidaridad. Son premier roman, Noli me tangere (1887), « le Noli », comme on l'appela très rapidement, lui valut un succès immédiat auprès de ses compatriotes et quelques solides inimitiés chez les Espagnols, plus particulièrement les religieux. En 1891 parut une suite, intitulée El filibusterismo. Les romans de Rizal dénonçaient les vices de l'administration espagnole et les abus des congrégations. Il collabora à La Solidaridad par une série d'articles dont « Filipinas dentro de cien años », particulièrement significatif de son approche de l'avenir politique de l'Archipel.

16 Après l'exécution de Bonifacio en 1897, le commandement d'Emilio Aguinaldo rendait partiellement le contrôle à la bourgeoisie. 17 Remarquons qu'au moment où le pouvoir espagnol exécutait cet homme qui s'était tant battu pour la cause de la représentation parlementaire, celle-ci était loin d'être gagnée et que la révolution rendait méfiants les hommes politiques de la Péninsule. Le Ministre de l'Outre-Mer répondait ainsi à un courrier de l'évêque d'Oviedo (la lettre n'est pas datée mais les propos montrent qu'elle correspond à la période de l'insurrection). [PR 12.840/1, Carta del Ministro de Ultramar al Obispo de Oviedo]

No veo la utilidad práctica que tendría el dar representación en las Cortes del Reino a razas que no están preparadas para ello, abrigando, por el contrario, la convicción de que sus Diputados o los que tal se llamaran, no harían en el Parlamento más que justificar el descontento y dar armas a la insurrección. Por otra parte, las clases gobernantes, como ha sucedido tantas veces, se darían por satisfecho (sic) con esta apariencia de liberalismo y continuando, como hasta ahora se ha hecho, el incalificable abandono y explotación de aquellos habitantes, se aumentaría el peligro, porque sin desarraigar el descontento, se habría abierto nueva puerta para sacarle al exterior y facilitándole medios para ganar prosélitos.

Por el contrario, estoy en un todo conforme con dar amplitud al derecho de reunión y asociación y a la facultad de escribir en ¡aprensa, si bien respecto a esto, en un país como aquél y después del periodo que hemos atravesado, hay que proceder con gran prudencia, permitiendo todas las expansiones legítimas, pero reprimiendo la violencia del lenguaje y la intencionada alusión, para lo cual bien sabe V.S.I, que hacen mucha falta autoridad en quien gobierna e imparcialidad en quien aplica la ley.

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La célébrité de l'auteur du Noli, jointe à d'indéniables qualités personnelles et intellectuelles, lui valut de devenir très rapidement Tune des figures emblématiques du mouvement réformiste, tant pour ses compatriotes que pour les Espagnols, cristallisant souvent sur son nom les expressions de haine de ces derniers. Sa fin tragique face à un peloton espagnol, allait contribuer à faire de Rizal le héros national philippin.

On a pourtant beaucoup épilogue sur les intentions réelles de Rizal, quant au devenir des relations de l'Espagne et des Philippines. Sa seule ambition était-elle de faire des Philippines une province espagnole parmi d'autres, mais une province à part entière ? Etait-il le véritable instigateur de la rébellion et son masque réformiste n'était-il destiné qu'à tromper les Espagnols ? Ni l'un ni l'autre, nous semble-t-il.

Il n'est guère probable que Rizal approuvât le déclenchement de la lutte armée, tout au moins le moment ne lui sembla-t-il pas opportun, et le choix qu'il fit à son retour d'exil d'embarquer pour Cuba en qualité de médecin militaire semble marquer son refus de la voie des armes. Quant au maintien des Philippines dans la situation d'une province espagnole, il faudrait quelque naïveté pour songer que Rizal aurait pu la considérer comme une solution durable. Tout au plus pourrait-on s'interroger sur le rythme des étapes vers l'indépendance qu'il avait de toute évidence envisagée.

Le message véhiculé par ses articles nous semble clair, et nous pourrions le résumer ainsi : il est urgent d'appliquer des réformes et de mettre fin à des situations injustes, avant que l'amour encore réel des Philippins pour l'Espagne ne cède la place à l'exaspération et à la haine. Les Philippins ne souhaitent pas la violence. Mais si l'aveuglement des Espagnols pousse un peuple au désespoir ils seront seuls responsables du sang versé et les liens entre les deux nations seront définitivement distendus. Sur fond de sévère mise en garde, Rizal ne prétend donc dans un premier temps qu'à l'application des réformes indispensables.

Il ressort de ses articles de 1889 que la division commence à se faire sentir dans les villages des Philippines entre deux courants opposés.

[existen dos partidos:]... Uno, el ilustrado, el independiente, el que vive de por sí sin necesidad de arrimos ni padrinos, el sediento de justicia y de paz, el partido lleno de reproches para las demasías y tiranías de ciertas clases, el partido en fin denunciado por sus enemigos como filibustero, por estar compuesto de hombre dignos y del que seguramente saldrán los verdaderos filibusteros si se continúa con el funesto sistema seguido hasta ahora. El otro es el de vagabundos, intrigantes, llamado impropiamente el partido de los frailes, por obedecer y servir a éstos porque les considera como un fuerte arrimo, pero a quienes ni profesan amor ni respeto, y de quienes serían los más viles enemigos el día que les sean inútiles. 18

18 LS., 31.3.1889.

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Les libéraux espagnols ont déçu ses espoirs ; les considérations ethniques et le mépris du colonisé auront été plus forts que les grands principes de fraternité humaine. Il faudra donc se battre :

¡Ha! No esperéis en la justicia, no esperéis que se reconozcan vuestros derechos, no esperéis piedad. ¡Nosotros no seremos nunca vuestros hermanos! Nosotros queremos, sí, la libertad, la justicia, la igualdad, pero las queremos para nosotros solos, nosotros luchamos por los fueros de la humanidad, pero sólo de la humanidad europea; nuestra mirada no alcanza más allá; vosotros, los que sois de raza amarilla o morena, arreglaos como podáis! Todos los partidos, hasta los más liberales, son despóticos para las colonias! Si queréis justicia, consquistadla. 19

Une transformation sans soubresauts, par la voie des réformes, et menée à bien par les catégories sociales les plus cultivées, serait pour le Gouvernement espagnol la solution la plus sage ; il faudrait, dans le cas contraire, envisager que l'exaspération débouche sur des solutions plus brutales :

Las Filipinas si han de continuar bajo el dominio de España, tienen por fuerza que transformarse en sentido político, por exigirlo así la marcha de su historia y las necesidades de sus habitantes. [...] Esta transformación [...] ha de ser violenta y fatal, si parte de las esferas del pueblo; pacífica y fecunda en resultados, si de las clases superiores. 20

II était urgent par conséquent d'entreprendre les réformes nécessaires. Rizal ne se déclarait pas partisan de la violence. Le gouvernement était cependant fermement mis en garde contre les conséquences d'une politique de blocage indéterminée des réformes :

...El pueblo duda, vacila; su amor a España amenaza apagarse ■, su esperanza en la justicia flaquea; se cansa de tender las suplicantes manos.... ¡Tened cuidado! El pueblo combate a los frailes; si el Gobierno se pone del lado de éstos incondicionalmente, se hace enemigo del pueblo, se confiesa enemigo de su adelanto, y entonces habrá abierto él mismo una nueva desgraciada eral 21

Les menaces implicites étaient très claires : il n'était pas encore de véritable agitation contre l'autorité de l'Espagne, mais le désespoir de la population était à son comble et en l'absence de mesures nécessaires une revendication armée était vraisemblable.

No ¡desengáñense los que aun están ofuscados! Es menester atender las necesidades del pueblo si se quiere conservar su amor. Al filipino, no se le puede cegar ni esclavizar, luego hay que darle libertades y derechos. No hay ejemplo ninguno en la Historia que diga que se haya hecho retroceder a un pueblo en vías de ilustración. La decadencia no viene sino después del

19 L5., 30.1 1.1889. 20 L.S., 15.12.1889, « Filipinas dentro de cien años », III. 21 LS., 31.3.1889.

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apogeo; la cascada no sube, el fruto no vuelve al estado de la flor. ¿Quiere el Gobierno asegurarse el amor de Filipinas? Déle libertades, trátela como se merece. ¿Quiere perderla? Entonces, que continúe en sus injustas represiones, que cierre sus oídos a los clamores del pueblo, que lo condene a la esclavitud.

...Dad libertades, para que nadie tenga derecho a conspirar •, diputados para que las quejas y las murmuraciones no se condensen en el seno de las familias, y desde allí sean la causa de futuras tempestades. Tratad bien al pueblo, enseñadle las dulzuras de la paz para que la adore y la mantenga. Si seguís ese sistema de destierros, prisiones y sobresaltos por nada, si castigáis en él vuestras propias faltas, le desesperáis, le quitáis el horror a las revoluciones y a los disturbios^ le endurecéis y le excitáis a la lucha. En Filipinas, todavía no hay filibusterismo, pero lo habrá de seguro y terrible si se continúa el ojeo ' si quieres que el perro de tu vecino rabie, publica que está rabioso. ¿Qué más filibusterismo que la desesperación?^-

Il n'était pas que le peuple dont l'exaspération aurait pu être dangereuse. Les nouvelles catégories influentes de Philippins supportaient mal, selon Rizal, la nécessité de courtiser les religieux pour que leur importance fût reconnue. La préférence était accordée aux flatteurs, les privant par là de fonctions qu'ils estimaient leur revenir en priorité. Et le système de servilité organisée, avec son corollaire de protections et de favoritisme se reproduisait en cascade, accumulant les frustrations :

...Resulta de aquí que el criado, el sacristán, el complaciente correveydile del cura ocupa las más de las veces, gracias a él, la omnipotente influencia del amo en las esferas gubernamentales, el primer puesto en el pueblo con desprecio de la clase ilustrada, desprecio que el nuevo tiranuelo paga con espedientes gubernativos, informes, etc., ayudado por su amo, a quien sirve también sirviendo a sus mismas pasiones. El sistema es servir al señor para que éste le defienda cuando le acusen de explotar al pobre o faltar a sus deberes: la cuestión es tener un buen padrino.23

Le message est d'ailleurs exempt de toute ambiguïté dans « Filipinas dentro de cien años » : à plus long terme le maintien de la puissance colonisatrice n'est pas envisageable, la différence de races étant clairement évoquée comme un facteur rédhibitoire. Dans cet article, publié par parties dans quatre numéros de La Solidaridad, Rizal feignait de s'interroger sur la situation des Philippines cent ans plus tard, ce qui lui permettait d'évoquer quelques perspectives aussi malsonnantes aux oreilles des Espagnols que la lutte armée ou l'indépendance de l'Archipel. Bien sûr, il ne s'agissait que de ce qui pourrait peut-être se produire mais n'était envisagé que comme une très invraisemblable possibilité, et de toutes manières dans si longtemps : cent ans au moins ! L'astuce n'avait

22 L.S., 31.3.1889. 23 L5., 31.3.1889.

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d'autre valeur que de précaution oratoire et ne prétendait certainement tromper personne.

Il se dégage cependant de la lecture de la quatrième partie de cet article, qui correspond par ailleurs à sa conclusion, un certain nombre de messages extrêmement clairs :

A plus ou moins long terme la présence espagnole aux Philippines est condamnée. En effet, la différence des moeurs et des cultures est un obstacle définitif à l'assimilation (images du kyste, du corps étranger, etc.). En l'absence d'assimilation la domination d'un peuple sur l'autre n'est jamais durable (José Rizal enumere une série d'exemples qui ne sont pas choisis au hasard : les Carthaginois, les Arabes, les Français en Espagne). La différence de race entre dominateur et dominé est un obstacle supplémentaire à la fusion des deux peuples qu'elle rend pratiquement impossible (la répétition dans le texte de formulations liées au concept de race est particulièrement significative).

La historia no registra en sus anales ninguna dominación duradera ejercida por un pueblo sobre otro, de razas diferentes, de usos y costumbres extrañas, y de ideales opuestos o divergentes. Uno de los dos ha tenido que ceder y sucumbir. . . 24

Tout n'est pas encore perdu cependant. L'amour des Philippins pour l'Espagne n'est pas encore mort. Des réformes assimilatrices peuvent encore être décidées.

Mais il est presque trop tard. Si l'on ne met pas fin immédiatement aux mesures d'exceptions, aux déportations, aux tribunaux militaires. A la place de l'amour on trouvera la haine, le bain de sang, la lutte à mort. L'Espagne y perdra de nombreux hommes. Le quart de sa population n'y suffira pas. Les Philippines deviendront indépendantes « las colonias se declaran independientes más o menos tarde. Las Filipinas se han de declarar un día fatal e infaliblemente independientes ».

Rizal est conscient des difficultés qui se présenteront mais les Philippines sauront les surmonter. D'abord, la division des peuples de l'Archipel entre ethnies différentes. C'est à dessein qu'il emploie l'expression raza filipina, qui ne recouvre aucune réalité ethnique homogène. Elle marque clairement l'intention de faire de l'Archipel une nation. Ensuite, l'appétit des puissances étrangères sera freiné par le spectacle de la détermination qu'auront donné les Philippins dans leur combat pour la liberté. On peut cependant observer chez Rizal une inquiétude légère et combien prémonitoire du côté des Etats-Unis. Une fois indépendantes les Philippines pourront enfin se doter d'un gouvernement libre, se constituer en République fédérale, s'engager sur la voie du progrès, relancer l'exploitation de leurs ressources naturelles et

24 L.S., 1.2.1890.

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de leur commerce. Tout ceci n'étant que ce qui pourrait peut-être se produire dans cent ans, lorsque la patience des Philippins sera épuisée.

Malgré le tableau apocalyptique qu'il dresse d'une éventuelle explosion de fureur des Philippins, Rizal est un partisan de la voie des réformes. Son texte, pourtant, est émaillé de vocabulaire martial, à forte connotation de haine et de violence, avec une série de répétitions et d'allusions au concept de races antagonistes. La terminologie est crue et sans détour. C'est une mise en garde adressée à l'Espagne, pour ne pas dire une mise en demeure. Derrière l'amplification volontaire de termes frappants, il se dégage de cet article qu'il existe bien un problème de hiérarchie raciale de fait, si ce n'est de droit, de plus en plus mal tolérée, que l'Espagne peut difficilement envisager un second foyer de lutte Outre-Mer, et que l'indépendance n'est pas que l'épouvantail que l'on agite, mais bien un projet... pour dans cent ans !

Si nous tenons compte du fait que les articles de La Solidaridad étaient largement diffusés aux Philippines et que le procédé du chantage à l'horreur (même si la charge est ici particulièrement marquée) était assez fréquent dans les pages du journal, nous nous interrogeons sur l'im- pact produit dans l'Archipel sur la partie la moins cultivée de la popu- lation, tout à fait susceptible de s'en tenir au premier degré. Le lien entre le réformisme des uns et la rébellion des autres fut peut-être beaucoup plus direct que ne le laissaient supposer les déclarations d'intentions.

1892 : un rapport du Gouverneur Général Despujol

Un rapport adressé par le Gouverneur général Despujol au ministre de l'Outre-Mer, le 14 novembre 1892, soit quatre ans seulement avant l'insurrection, donne un état circonstancié de la situation aux Philippines, tout particulièrement après une série de perquisitions au domicile de suspects de filibusterismo . Les armes les plus dangereuses que l'on ait trouvées sont les romans de Rizal. Mais d'insurrection armée, il n'est pas question.

Ce rapport est intéressant à plus d'un titre. D'une part, le Gouverneur général y analyse les raisons qui ont poussé certaines personnes à ne plus se sentir aussi fidèles à l'Espagne ; il énumère le résultat des perquisitions, particulièrement significatif car il tend à démontrer que dans les esprits la cause de l'indépendance est acquise, mais que les bourgeois, au moins, ne sont pas prêts pour une lutte armée. D'autre part, Despujol y fait part des événements qui conduisirent à l'arrestation puis à la déportation de Rizal à Dapitan.

Après un rappel des différents facteurs qui ont pu favoriser l'apparition d'un sentiment anti-espagnol au cours des décennies écoulées (espoirs déçus après la brève représentation parlementaire de 1843 à

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1844 et les réformes abandonnées de 1870 ; formation à l'étranger des jeunes Philippins aisés ; réaction crispée des ordres religieux ; diffusion clandestine des écrits de la propaganda...) le rapport informe le gouvernement des circonstances de l'arrestation et de la déportation de Rizal, ainsi que des mesures prises par le Gouverneur général pour découvrir les foyers de filibusteros parmi les Philippins les plus en vue de différentes localités.

Rizal qui résidait alors à Hong-Kong avait adressé une première lettre où, compte tenu de la bienveillante politique du Gouverneur général, il lui proposait ses services ; lesquels pouvaient difficilement être acceptés au moment même où il publiait son second roman, El filibusterismo . Une seconde lettre sollicitait l'autorisation de liquider ses biens et ceux de quelques autres personnes, afin d'établir un établissement agricole à Borneo. Le Gouverneur considéra qu'offrir sa force de travail à l'étranger quand les Philippines manquaient de bras était un acte antipatriotique et fit savoir par le consul de Hong-Kong qu'il refusait son autorisation. Rizal embarqua alors pour les Philippines.

Le Gouverneur cherchait à découvrir l'ampleur exacte des aspirations séparatistes. L'arrivée de Rizal lui sembla une occasion de vérifier la réalité des faits. Supposant que les personnes les plus impliquées se déplaceraient sans doute à Manille pour y rencontrer Rizal, il demanda aux gouverneurs de provinces de surveiller de près les principaux suspects et de noter toute absence inhabituelle. Le mouvement escompté ne se produisit pas :

...apenas se movió ninguno, desembarcando aquél en Manila sin ser por nadie esperado y sí únicamente reconocido por un oficial vestido de paisano.

Mais le général avait pris ses dispositions pour faire suivre Rizal, qui le soir même se présenta au palais, souhaitant une entrevue avec Despujol. Celui-ci lui donna rendez-vous le lendemain, mais pendant ce premier bref contact lui accorda quelques grâces pour sa famille :

...le concedí el indulto de su septuagenario padre, residente en Hong- Kong, y de su hermana viuda, que figuraban entre los condenados a deportación por los sucesos de Calamba.

Avant le rendez-vous du lendemain, le général fut informé par les services des douanes du résultat de la fouille des bagages de Rizal : on y avait trouvé des écrits anti-religieux qui ne s'en prenaient pas seulement aux ordres présents aux Philippines, mais à la religion et au pape. La découverte ne fut pas du goût du Gouverneur qui décida néanmoins de recevoir Rizal comme s'il ignorait tout de l'affaire et fit en sorte d'endormir sa méfiance :

Cuidadosamente pero con todo disimulo vigilaba su persona de modo a tener conocimiento de todos los pasos que diera, ni fue registrada su

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habitación en la fonda ni de ningún otro modo molestado por agente alguno de mi Autoridad y quedó en aparente absoluta libertad de acción, que aprovechó durante los siguientes días para trasladarse por la vía férrea a varios pueblos cercanos y visitar a sus amigos, siendo también bastante crecido el número de éstos y de enfermos que acudieron a la fonda para consultarle como oculista.

Les deux hommes eurent trois entrevues. Au cours de Tune d'elles Rizal exposa le but que lui-même et ses amis poursuivaient : la sécularisation des cures et la représentation parlementaire qui suffirait à faire comprendre dans la péninsule la nécessité de bien d'autres réformes.

Io) Confiar la cura de almas en todos los pueblos del Archipiélago a sacerdotes del Clero secular, ya fuesen peninsulares o naturales del país sin distinción, privando de ella en absoluto, así como de la inspección local de la enseñanza primaria, a las Ordenes Religiosas, como único medio de conseguir el adelantamiento intelectual y el progreso de este pueblo, sistemáticamente estorbado en su sentir por aquéllas, y que con esta condición nada tendría que oponer a la continuación de las Ordenes Religiosas en Filipinas, y ni siquiera a que conservasen sus actuales propiedades y riquezas mientras viviesen los Religiosos en Comunidad, sujetos a las reglas de sus respectivos institutos. 2o) La representación en Cortes para Filipinas como la disfrutan ya las Antillas. Con estas dos reformas capitales dijo que se darían por satisfechos los partidarios de sus ideas, pues con la representación en Cortes sería relativamente fácil demostrar a los Cuerpos Colegisladores la necesidad y obtener de ellos la concesión de otras reformas necesarias al país.

Interrogé ensuite sur le fìlibusterismo, Rizal en niait l'existence et

rejetait la responsabilité des troubles survenus sur l'intransigeance des

religieux et leur esprit de vengeance après la publication de ses romans :

Por último, por lo que toca al filibusterismo, dijo que éste jamás había existido ni existía en Filipinas y entrando ya en el terreno de las confidencias personales, me añadió que él mismo nunca había deseado ni pensado siquiera en la separación de Filipinas de la Madre Patria, hasta los últimos sucesos de Calamba y que sólo entonces al ver perseguidos y maltratados a todos sus parientes y deudos bajo el falso pretexto de ser los principales instigadores de la justa resistencia de aquellos colonos, pero en realidad por la sola razón de los lazos que a él les unían y en venganza de sus propios escritos contra las Ordenes Religiosas entonces fue cuando únicamente empezó a considerar imposible la vida bajo el indestructible poderío monacal, que hasta en las esferas oficiales impera en Filipinas y sólo entonces empezó a desesperar del porvenir de su país unido a la Corona de España.

C'est alors que le Gouverneur l'informa de la découverte faite par les douanes dans ses bagages et de la colère que lui inspirait son attitude

hypocrite, malgré les grâces accordées. Des ordres avaient été donnés et à la fin de l'entrevue Rizal fut conduit à la Real Fuerza de Santiago où il

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resta enfermé jusqu'à sa déportation à Dapitan. Le récit du Gouverneur général donne le sentiment que la mesure prise contre Rizal, si elle devait beaucoup à des considérations d'ordre public, devait beaucoup aussi à l'affront personnel qui venait de lui être infligé :

Ante la felonía de semejante proceder por parte de un sujeto tan tildado de desafecto y a quien sin embargo acababa yo de recibir bondadosamente otorgándole el indulto de sus parientes más allegados, refrené mi primero y natural impulso de castigarlo inmediatamente y resolví usar de disimulo para descubrir mejor las verdaderas intenciones y propósitos que abrigaba al regresar a Manila.

L'hypocrisie dont Rizal avait fait montre - pensait-il - au cours des différentes entrevues avait achevé de lui faire perdre patience :

Al llegar a este punto de nuestra tercera conferencia, ocurrida a los ocho o diez días de su llegada, fue cuando deponiendo ya el penoso disimulo que hasta entonces me había impuesto, le pregunté de repente qué opinión quería formase yo de él ni qué fé podía atribuir a sus palabras, cuando a mi benévola acogida y al perdón por mí otorgado desde el primer instante a su padre y hermana y a la completa libertad por él confesada en que a pesar de sus antecedentes se le había dejado, había él correspondido en el acto mismo de su llegada con una falta repugnante de delicadeza, con un acto de premeditada felonía, cual era el de traer ocultos en su pro- pio equipaje hojas clandestinas conteniendo no ya meros ataques contra las Ordenes Religiosas, sino injurias contra el Papa o sea ataques a la Religión Católica, que sólo con fines antipatrióticos puede nadie tratar de destruir en el sencillo corazón del indio. Inmutado ante tal increpación, trató de negar el hecho, pero al presentarle yo las hojas impresas y el parte de la Aduana y haciéndole notar que ningún empleado de ella ni nadie sabía anticipadamente su llegada, lo cual alejaba toda sospecha de que las tales hojas hubieran sido furtiva y traicioneramente introducidas en su equipaje por ningún enemigo suyo, trató de excusarse diciendo que el bulto en que habían sido encontradas pertenecía a su hermana, a la que le invité por su propio decoro a no comprometer y terminé ordenando a mi Ayudante le condujese en mi carruage a la Fuerza de Santiago, donde le tenía ya preparada habitación, con orden de mantenerle incomunicado, hasta que pocos días después fue conducido a Dapitán (Mindanao) y sometido allí a la vigilancia de la autoridad.

Dans le même temps, voulant évaluer de manière précise l'importance réelle du filibusterismo dans le pays, le gouverneur avait secrètement ordonné aux gouverneurs de province de faire procéder le même jour et à la même heure à une série de perquisitions chez les éléments suspects, en choisissant les personnes les plus en vue. Il fut donc procédé, dans les provinces de Manille, Cavité, Pampanga, Bulacán, Batangas et Laguna à des perquisitions dans plus de soixante maisons. Les gouverneurs avaient été informés la veille au soir de l'arrestation de Rizal, afin que rien ne filtrât. Le résultat de ces fouilles fut si peu convaincant que, dans le

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rapport, l'hésitation du gouverneur est manifeste : le résultat de l'opération permit seulement la découverte au domicile de la plupart des suspects, d'écrits indépendantistes, livres et tracts, des exemplaires de La Solidaridad, des romans de Rizal. Quelques informations furent aussi obtenues à partir des interrogatoires.

Pour le premier point, force est de constater qu'il n'y avait rien de bien grave à posséder plusieurs exemplaires des œuvres de Rizal, puisque, comme le fait remarquer le Gouverneur général lui-même, personne, jusque là, ne les avait formellement interdites^. Quant aux feuilles volantes, nulle part elles ne se trouvaient en nombre important. Leur contenu anti-religieux visait les congrégations et non la religion elle- même. Enfin, si elles s'élevaient contre les défauts et les abus de l'administration espagnole, il n'était nulle part question d'indépendance ; des mises en garde solennelles étaient simplement adressées à l'Espagne à propos de ce qu'il pourrait advenir si rien n'était fait pour introduire les réformes nécessaires.

En cuanto a las proclamas, hojas sueltas y demás impresos de esta índole, en ninguna parte se ha encontrado depósito alguno ni siquiera un fajo numeroso de ellos y sí tan sólo ejemplares sueltos de ediciones anteriormente circuladas. En todas ellas, se ataca a las Ordenes Religiosas, y casi ninguna ataca directamente a la Religión. Censúrase en la mayor parte de ellas la inmoralidad administrativa; se vulnera en varias la honra de elevadas autoridades y hasta de sus familias, suponiéndolas concusio- narias; no pocas contienen llamamientos a la noble España en demanda de justicia, envuelta en frases de cariño, y a lo sumo en alguna ocasión y en particular al pintar los lanzamientos e incendios de Calamba con una exageración muy ocasionada a enardecer los ánimos, el grito de justicia se ve acompañado de alguna reticencia o embozada amenaza acerca de los males que pueden sobrevenir si España continúa protegiendo siempre los mismos abusos; pero ni una sola hoja se ha encontrado, absolutamente ninguna, a pesar de su carácter clandestino, en que claramente, abierta- mente se ataque la integridad de la Patria, ni se pregonen las ventajas del separatismo, ni mucho menos se excite a las masas a la rebelión. Quedan únicamente por analizar los manuscritos y cartas recogidos: la mayor parte de ellos son de todo punto inocentes y tan sólo en algunas muy raras cartas, llevado de la expansión y escudado por la reserva epistolar, se permite alguno cierto desahogo más o menos vivo contra los casulas en general y sobre todo contra los frailes. Ni uno solo de semejantes conceptos campea en las cartas de Rizal, impregnadas a menudo de pesimismo, y únicamente en una de ellas aconseja que la opinión del país apoye o no, según las cosas, a las autoridades.

Des interrogatoires, il ressortait que de l'argent était collecté aux Philippines pour soutenir les centres de propagande de Hong-Kong et de

25 Le décret qui condamnait Rizal à la déportation interdisait également ses œuvres et toute forme d'écrits anti-religieux.

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Rizal , mythe révolutionnaire 1 39

Madrid, un autre, coordonnant le tout, se trouvant à Manille. Rien ne pouvait être prouvé quant à une utilisation illégale des sommes recueillies, globalement peu importantes. Il n'était pas exclu qu'elles fussent plus ou moins détournées.

On apprenait aussi que des loges avaient été ouvertes mais rien ne prouvait leur but antipatriotique. Le Gouverneur général pensait cependant que le rôle joué par les francs-maçons dans les mouvements indépendantistes des colonies d'Amérique devait inciter les Espagnols à se montrer prudents. De l'avis de cinq des gouverneurs de province elles représentaient le seul élément qui réclamât des mesures. Leur opinion coïncidait en général : rien dans l'immédiat ne permettait de s'alarmer mais il fallait rester vigilants. Ils proposèrent la déportation de quelques suspects, pour éviter après ce coup d'intimidation de donner des signes de faiblesse.

Il est tout à fait remarquable qu'en 1892, la perquisition de 60 des principales maisons occupées par des sympathisants notoires de la cause indépendantiste ait donné de tels résultats que le Gouverneur général hésitait à prendre une décision, et que celle finalement adoptée d'exiler une personne ou deux par province, destinée à servir de message, donne le sentiment de ne pas relever d'une réelle conviction. Rien ne fut trouvé qui pût laisser croire à la préparation d'un soulèvement armé. Pourtant, les perquisitions furent préparées dans le plus grand secret, le nombre d'habitations concernées était suffisamment significatif, les personnes choisies, Indiens ou métis, étaient parmi les plus en vue et figuraient parmi les suspects les plus notoires de chaque province : dans ces conditions, il était douteux que rien ne fût trouvé à leur domicile si une action indépendantiste était vraiment à l'ordre du jour. Tout au plus trouva-t-on un poignard et un sabre chez l'un, quelques cartouches chez l'autre, rien que ne pût posséder n'importe quel particulier. La correspondance même de Rizal, saisie pendant les perquisitions, ne révélait rien de réellement inquiétant pour l'intégrité de la nation.

Les résultats obtenus semblent confirmer qu'à cette date la bourgeoisie et les intellectuels philippins attendaient encore d'une démarche légaliste l'introduction des réformes qui auraient engagé leur pays sur la voie du progrès et placé les Philippins à égalité avec les Espagnols. L'action violente devait être déclenchée par le Katipunan, composé essentiellement de gens du peuple, bien que toutes les catégories sociales fussent représentées.

Rizal, héros mythique et martyr de l'indépendance

Sans doute, le but à plus long terme de la bourgeoisie ne pouvait-il être que l'indépendance, mais cette fraction de la population ne semblait pas prête à arracher par les armes ce qu'elle n'obtenait pas par la loi ; tout

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au moins, le moment n'était pas encore venu. Elle avait aussi plus à perdre, sur le plan économique, d'une période de troubles. Nous avons vu que Rizal, en 1896, refusa de prendre la tête de l'insurrection, comme était venu le lui proposer à Dapitan le docteur Valenzuela, de la part de Bonifacio, choisissant de partir pour Cuba. Mais son nom était devenu un symbole, autant pour les Philippins que pour le pouvoir. C'est ce qui lui valut d'être exécuté. Déjà en 1892, Despujol était conscient de la valeur symbolique de l'arrestation et de la déportation de José Rizal :

he procurado desprestigiar oficialmente a los ojos de sus conciudadanos al Doctor Rizal, que pasa por ser el sujeto más distinguido de la raza india.

Bien que n'ayant pas participé à la lutte armée qui devait conduire à l'indépendance des Philippines, ni approuvé le déclenchement des hostilités, après avoir été longtemps considéré par les Espagnols comme le leader le plus représentatif du mouvement pour la défense et l'émancipation de l'Archipel, José Rizal demeure aux yeux des Philippins le héros par excellence de la lutte pour l'indépendance. Jusqu'en 1896, sans doute fut-il effectivement un des leaders les plus prestigieux et les plus charismatiques. S'il inspirait aux Espagnols la plus grande méfiance, il n'en fut pas moins traité avec beaucoup d'égards pendant sa déportation à Dapitan où il entretenait des relations cordiales avec le Gouverneur de la province.

Son prestige dans la population était tout aussi réel, tant par la répercussion des événements de Kalamba que par l'impact incontestable de ses écrits, et plus particulièrement du Noli me tangere. La haine qu'il inspirait à certains Espagnols, dont les religieux, témoigne de l'influence qu'on lui reconnaissait. Le peuple ne prétendait-il pas que Rizal était descendu dans un rayon de lumière ? L'aura du martyre devait contribuer à la dimension de symbole national, comme elle avait déjà opéré pour les 3 prêtres philippins exécutés en 1872, après la mutinerie de Cavité 26. Mais le prestige et le respect inspirés par le personnage tiennent aussi sans aucun doute aux incontestables qualités humaines et intellectuelles qui le firent apprécier des milieux les plus divers.

26 En forgeant l'acronyme Gomburza le peuple philippin unit dans une même ferveur les trois prêtres, Gómez, Burgos et Zamora.

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Rizal , mythe révolutionnaire i 4 1

RÉSUMÉ- Pendant le dernier tiers du XIXe siècle philippin, le sentiment de frustration des classes émergeantes avait favorisé une réaction nationaliste, sensible d'abord parmi les membres du clergé autochtone et les intellectuels issus de la bourgeoisie, même si le recours à la lutte armée ne devait apapraître qu'au cours de la dernière décennie. Figure emblématique du mouvement d'émancipation, fusillé par les Espagnols en 1896, José Rizal, bien que préconisant la voie des réformes et de la légalité et n'ayant jamais participé à l'insurrection, demeure aux yeux des Philippins le héros mythique du combat pour l'indépendance.

RESUMEN- Las frustradas aspiraciones de una incipiente burguesía, durante el último tercio del siglo XIX filipino, fueron favoreciendo una reacción nacionalista, sensible primero entre los miembros del clero autóctono y los intelectuales, aunque no se recurrió a la lucha armada hasta el último decenio. Figura emblemática del movimiento de emancipación, fusilado por los españoles en 1 896, José Rizal, que preconizaba la vía de las reformas y de la legalidad, y no participó en la insurrección, sigue representando para los filipinos el héroe mítico de la lucha por la independencia.

ABSTRACT- In the last third of the 19th century in the Philippines, a feeling of frustration among rising social classes helped to trigger a nationalist reaction. At first, it affected members of the native clergy and intellectuals from the local bourgeoisie, even if the armed struggle did not start before the last decade. As a symbol of the emancipation movement, José Rizal, shot by the Spanish in 1896, is still considered by the Philippines as the mythical hero of the fight for independence, although he was an advocate of reforms and legality, and never took part in the insurrection.

MOTS-CLÉS : Philippines, Rizal, indépendance, Propaganda, XIXe siècle.

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