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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES REGRETS DE JOACHIM DU BELLAY Author(s): Yvonne Hoggan-Niord Source: Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, T. 42, No. 2 (1980), pp. 361-385 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20676119 . Accessed: 28/06/2014 09:49 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.220.202.191 on Sat, 28 Jun 2014 09:49:05 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES REGRETS DE JOACHIM DU BELLAY

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES REGRETS DE JOACHIM DU BELLAYAuthor(s): Yvonne Hoggan-NiordSource: Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, T. 42, No. 2 (1980), pp. 361-385Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/20676119 .

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES REGRETS DE JOACHIM DU BELLAY

?Je fus jadis Hercule, or Pasqu?n je me nomme? Les Regrets, sonnet 108

La critique moderne s'accorde pour reconna?tre que, dans Les

Regrets de Joachim Du Bellay, l'inspiration est essentiellement

satirique1 ou m?me que l'inspiration ? ?l?giaque ? et ? satirique ? en dernier ressort ne font qu'un 2. Il est un aspect de ces po?mes dont on a peu parl? cependant : c'est la po?sie burlesque qui, jusqu'? pr?sent, n'a fait l'objet d'aucune ?tude d?taill?e. Pourtant ? y regarder de

plus pr?s, une proportion consid?rable de sonnets dans Les Regrets sont d'inspiration burlesque, tant par la th?matique que par le style.

Gomme la po?sie anti-p?trarquiste (qui en est d'ailleurs l'un des

aspects) la po?sie burlesque a son origine en Italie o? elle conna?t une

grande vogue pr?cis?ment au moment o? Du Bellay arrive ? Rome, comme en t?moignent plusieurs recueils de po?mes burlesques qui venaient de para?tre, dont plusieurs publi?s par les soins d'Anton francesco Grazzini3, dit ? Il Lasca ?, po?te burlesque lui-m?me et

grand admirateur de Berni qu'il consid?re comme ? le ma?tre et p?re du style burlesque ?4. Dans son ?p?tre d?dicatoire ? Lorenzo Scala

plac?e en t?te des Opere burlesche Grazzini insiste sur la popularit? ?

1 M. A. Screech, Les Regrets et autres uvres po?tiques, T. L. F., Gen?ve, Droz, 1966, Introduction pp. 17-18.

2 L. Wierenga, ? Les Regrets de Du Bellay. Satire et ?l?gie ? art. in Neophilologus vol. 57 (1973), pp. 144-55.

3 II primo libro dell'opere burlesche di M. Francesco Berni, di M. Gio della Casa, del Varchi, del Mauro, di M. Bino, del Molza, del Dolce, et del Firenzuola ricorretto, et con diligenza ristampato. In Firenze MD XL VIII. Ce volume publi? par Giunti ? Florence en 1548 fut r?imprim? en 1550 et 1552, ce qui prouve sa popularit?. En 1555 parut un second volume de po?mes burlesques, toujours chez Giunti, contenant des uvres d'auteurs moins connus.

4 Sonnet du Lasca ? In lode di M. Francesco Berni ? plac? en t?te de son ?dition du Premier Livre des uvres Burlesques de Berni, etc. :

Venite tutti quanti a fare onore Al Berni nostro dabbene e gentile

Che primo ? stato e vero trovatore, Maestro e padre del burlesco stile.

Il Primo libro dell'opere burlesche di M. Francesco Berni e di altri, Leida, V. Van der Bet 1823, p. 11. Les deux premiers volumes de cette ?dition reproduisent le premier et le second volume des po?mes burlesques publi?s par le Lasca en 1548 et 1555. (Le secondo libro fut publi? en 1824.)

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cette ?poque (1548) du style burlesque ? qui est si utile, pla?t tant, enchante et r?conforte autrui, et dont aujourd'hui on fait tant de

compte, qu'on tient en si grande estime et r?putation, et cela non seulement parmi les gens du peuple mais parmi la noblesse et les

seigneurs ?5. C'est sans doute la raison pour laquelle en 1552 le Lasca donne ?galement une ?dition de la po?sie de Domenico di Giovanni, po?te burlesque du XVe si?cle, appel? famili?rement il Burchiello, et dont l' uvre conna?t un regain de faveur dans ces ann?es cinquante du XVIe si?cle e. Or, il est clair que pour Grazzini et ses contemporains la po?sie de Berni et des autres auteurs burlesques repr?sente un art

simple, spontan?, naturel, qu'il oppose ? l'artiflcialit? et ? la pr?ciosit? des imitations de P?trarque et de Bembo qui ont domin? si longtemps la litt?rature du Cinquecento qu'elles ont fini par lasser le public, jusqu'? sati?t? 7. En effet, l'une des principales caract?ristiques de la

po?sie burlesque du Cinquecento illustr?e par ces recueils, ce sont ses intentions pol?miques que l'on peut qualifier d'? anti-classiques ?8 visant la tradition litt?raire et l'id?al humaniste et s'exprimant sous forme d'attaques contre la doctrine classique de l'imitation litt?raire, qui est rejet?e en faveur d'une po?sie simple et spontan?e et de la libre expression des sentiments de l'individu dans un style ? sans art ?

(? E con un stil senz'arte, puro e piano ?9). En m?me temps, les po?tes burlesques cherchent, dans leurs uvres, ? infuser une nouvelle vie ? la litt?rature, fig?e dans des conventions st?r?otyp?es, en puisant l'inspiration dans la vie m?me, la r?alit? prosa?que de tous les jours, et non dans le patrimoine de la tradition litt?raire10.

Il est bien ?vident que ces deux ?l?ments sont pr?sents dans Les

Regrets et m?me y occupent une place de tout premier plan, car Du Bellay (qui a certainement connu ces recueils italiens de po?sie burlesque comme nous le verrons plus loin) subit, durant les ann?es

5 ? lo st?l burlesco, giocondo, lieto, amorevole, e per dir cosi, buono compagno, il quale tanto giova, piace, diletta e conforta altrui, e del quale oggid? ? fatto tanto conto, avuto in tanta stima, e tenuto in tanta riputazione, e non mica da plebei, ma da uomini nobili e da signori ? (Ep?tre d?dicatoire ? Lorenzo Scala, Il Primo libro dell'Opere burlesche, ed. cit., p. 6.)

? I sonetti del Burchiello, et di messer Antonio Alamanni, alla burchiellesca. Nuova mente ammendati, e corretti, et con somma diligenza ristampati. In Firenze MDLII. Cette ?dition de 1552, publi?e par les soins du Lasca fut suivie, d?s l'ann?e suivante, d'une autre ?dition des po?sies burlesques de Burchiello : Le rime del Burchiello com mentate dal Doni. Venise, 1553.

7 ? avendo le Petrarcherie, le squisitezze, e le Bemberie, anzi che no, mezzo ristucco e'nfastidito il mondo ?. A Lorenzo Scala, Il Primo libro dell'Opere burlesche, ibid.

8 Cf. Nino Borsellino, Gli anticlassicisti del Cinquecento, Rome, Bari, Laterza, 1973. 9 ? Il Lasca a chi legge ?, p. 13 in II primo libro dell'Opere burlesche ed. cit., cf.

Du Bellay ? et d'un vers fait sans art ?, Les Regrets, d?dicace ? d'Avanson, ed. M. A. Screech, p. 46.

10 Ils prennent donc nettement parti pour la nature contre ? l'art ? : Come mi detta la natura e mostra Cos? scrivo senza arte e cos? parlo.

Le Terze Rime del Mauro (Capitolo della Caccia) in II Primo libro dell'Opere burlesche, Parte seconda, ed. cit., p. 108.

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l'inspiration burlesque dans les ? regrets ? 363

romaines, l'influence litt?raire du milieu o? il ?crit et n'?chappe pas ? cette vague de pol?mique anti-classique qui entre pour beaucoup dans sa nouvelle conception de la po?sie. En effet, le probl?me central que soul?ve la po?tique des Regrets ce n'est pas tant, comme l'a fait

judicieusement remarquer Robert Griffin11, celui de l'originalit? envers la tradition litt?raire que celui d'un choix entre deux traditions diff?rentes : celle de la po?sie ?lev?e et celle de la ? fureur plus basse ?

(sonnet 4). Et si Du Bellay, dans les premiers sonnets des Regrets, se fait l'avocat de la po?sie spontan?e (? J'escry na?vement tout ce qu'au c ur me touche ?12) il s'agit d'une spontan?it? voulue, choisie d?li b?r?ment, comme l'indique clairement la formule du refus de la

po?sie savante, r?p?t?e par trois fois au d?but du premier sonnet, formule qui met en relief la pr?sence d'un trait caract?ristique, com

mun ? tous les ? anti-classiques ? du Cinquecento, c'est-?-dire un ? signe de valeur n?gative ?13 :

Je ne veulx point fouiller au seing de la nature, Je ne veulx point chercher l'esprit de l'univers, Je ne veulx point sonder les abysmes cou vers...

Cette formule n?gative exprimant le non-vouloir du po?te est reprise au premier quatrain du sonnet 4 o? l'on trouve un ? signe ? non moins

caract?ristique de la po?sie burlesque italienne, qui est le refus des mod?les litt?raires14 :

Je ne veulx feuilleter les exemplaires Grecs, Je ne veulx retracer les beaux traicts d'un Horace, Et moins veulx-je imiter d'un P?trarque la grace...

Du Bellay revendique donc la libert? de se soustraire ? l'emprise de la culture gr?co-latine aussi bien qu'? la sup?riorit? culturelle de l'Italie consacr?e par P?trarque. Cette rupture avec le traditionnel est en

m?me temps un reniement de la doctrine de l'imitation litt?raire. Dans ce m?me po?me, l'auteur nous apprend que, contrairement aux

?crivains plus ambitieux, il ne cherche pas l'immortalit? dans ces ?crits :

Aussi n'ay-je entrepris d'imiter en ce livre Ceux qui par leurs escripts se vantent de revivre, Et se tirer tous vif dehors des monumens...

(Sonnet 4)

11 R. Griffin, Coronation of the poet Joachim Du Bellay*s debt to the Trwium, University of California Press, 1969, p. 141, ? The question does not center on originality as opposed to convention but rather on which convention (the high or the low) he will choose ?.

12 Les Regrets, sonnet 21. 18 ? la carta d'identit? di questi scrittori... [parmi lesquels sont cit?s Berni et les

po?tes burlesques]... rivela... la presenza di un segno caratteristico comune di valore negativo. ? Nino Borsellino, op. cit., p. 9.

14 t essa (questa poetica anticlassicista) si rivela in prima istanza nel concordo rifiuto dei modelli letterari ?, ibid., p. 10.

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vers qui rappellent la d?claration de non-ambition litt?raire de Berni au d?but du premier livre des Opere burlesche:

... costui, ch'ha composto questa cosa, Non ? persona punto ambiziosa,

Non come questi Autor di Versi e Prosa, Che per far la memoria lor famosa Voglion andar in stampa a processione 15.

Quant au style des Regrets, c'est aussi d?lib?r?ment que Du Bellay choisit de ? simplement escrire ? :

Aussi veulx-je (Paschal) que ce que je compose Soit une prose en ryme, ou une ryme en prose.

(Sonnet 2)

Cependant simplicit? ne veut pas dire facilit? et, comme le faisait remarquer le Lasca ? propos du style de Berni, ? on peut bien l'envier, mais non pas l'imiter ? (? Ch'invidiar si pu? ben, non gi? imitare ?1?). De m?me Du Bellay dans le dernier tercet du sonnet 2 d?clare :

Et peult estre que tel se pense bien habile, Qui trouvant de mes vers la ryme si facile, En vain travaillera, me voulant imiter.

S'il ?crit ? ? l'aventure ? c'est donc consciemment. Pourtant, le pro bl?me que soul?ve la po?tique des Regrets n'est pas si simple car, m?me dans ce choix d?lib?r? d'une po?sie spontan?e qui suit la r?alit? de plus pr?s, on voit le po?te restant soumis ? la tradition litt?raire

qu'il rejette. En effet il y a ?galement dans ces premiers sonnets o?

s'exprime si nettement une rupture avec le pass? litt?raire un juge ment de valeur en faveur, pr?cis?ment, du genre de po?sie que l'auteur r?cuse. Il est clair, d?s sa d?dicace ? d'Avanson, et dans le ton d'excuse

qu'il adopte pour pr?senter son uvre, que Du Bellay consid?re ses

Regrets comme un genre mineur, vou? ? la r?alit? prosa?que de la vie

quotidienne et ? la chose vue (? Et de plus braves noms ne les veux

d?guiser/Que de papiers journaulx, ou bien de commentaires ? R. 1), et non de grande po?sie telle qu'il l'envisageait ? l'?poque glorieuse de la Deffence :

Si je n'ay plus la faveur de la Muse Et si mes vers se trouvent imparfaits, Le lieu, le temps, l'aage ou je les ay faits, Et mes ennuis leur serviront d'excuse...17

15 Berni, op. cit., p. 14. 18 II Lasca, ? In lode di M. Francesco Berni ?, Il Primo libro dell'Opere burlesche,

ed. cit., p. 11. 17 t A Monsieur d'Avanson conseiller du Roy en son Priv? Conseil ?, v. 1-4, Les

Regrets, ed. cit., p. 46.

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et dans une vingtaine de sonnets plac?s en t?te du recueil tout porte ? croire que le po?te se sent d?sert? par l'inspiration et d?chu d'une

grandeur dont le ? regret ? le poursuit. La fr?quence avec laquelle il r?it?re cette id?e lui conf?re la force d'une obsession :

N'estant, comme je suis, encor' exercit? Par tant et tant de maulx au jeu de la Fortune, Je suivois d'Apollon la trace non commune, D'une sa?nete fureur sainctement agit?. Ores ne sentant plus ceste divinit?,...

(Sonnet 3)

Ayant, dit-il, ? perdu la trace ? de ? Geulx qui sont de Ph bus vrais

po?tes sacrez ? (s. 4) il se sent maintenant ? agit? d'une fureur plus basse? (ibid.). Cette s?rie de r?miniscences d?sol?es sur le paradis perdu de la vraie po?sie atteint son point culminant dans le sonnet 6

qui se pr?sente comme une longue plainte sur la perte de ?ceste honneste flamme au peuple non commune ? et o? la nostalgie des ? doux plaisirs ? que lui donnaient autrefois les muses est discr?tement

soulign?e par l'emploi r?p?t? de l'imparfait aux vers 6, 8 et 10, s?rie

d'imparfaits reprise avec la m?me valeur au sonnet suivant (sonnet 7, vers 1, 3,4, 5, 8). Les dix premiers sonnets du recueil sont enti?rement construits sur une double antith?se : pass?/pr?sent, autres po?tes/moy, et dans ces po?mes le point d'articulation est toujours tr?s net. Il

s'op?re par le mot ores/maintenant (sonnet 3, 6, 7, 9, 10) qui traduit l'id?e de la d?possession actuelle par rapport ? ce qui fut, (? ores je suis muet ?, s. 7) ou bien, l'expression mais moy/ moy qui/ quant ?

moy (sonnet 2, 4, 5, 8) qui mesure l'?cart entre les esp?rances litt? raires de Du Bellay, esp?rances r?alis?es chez d'autres po?tes (? ceulx

qui sont plus s?avants ?, ? ceulx qui sont de Ph bus vrais po?tes sacrez ?, notamment Ronsard s. 3, 4, 8) et l'an?antissement pr?sent de ses ambitions. Ces deux th?mes alternent pour traduire l'exclusion du po?te d'un monde privil?gi? qui est celui de la haute po?sie et d'un

pass? culturel avec lequel il professe ouvertement d'avoir rompu, mais auquel il reste en m?me temps profond?ment attach?. C'est l? l'un des aspects de la dialectique tr?s complexe qui sous-tend Les

Regrets o? Du Bellay se montre ? la fois novateur et traditionaliste et o? le choix qu'il proclame d'une forme de po?sie plus simple, plus spontan?e, plus personnelle, lui est en partie impos? par les circons tances : se sentant priv? d'inspiration, il lui faut faire de n?cessit? vertu :

Une adresse j'ay pris beaucoup plus opportune A qui se sent forc? de la n?cessit?. Et c'est pourquoy (Seigneur) ayant perdu la trace Que suit votre Ronsard par les champs de la Grace, Je m'adresse ou je voy le chemin plus batu.

(A 3)

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Il faut donc faire la part de la pol?mique dans la po?tique des Regrets. Les r?miniscences nostalgiques elles-m?mes ne sont d'ailleurs pas ?trang?res aux intentions pol?miques du recueil : elles prennent le plus souvent la forme d'une comparaison entre le pays natal et la terre d'exil (qui est aussi la patrie de l'humanisme et de la culture classique) au d?triment de cette derni?re. Dans le sonnet 9 par exemple, comme l'ont fait remarquer plusieurs critiques, Du Bellay ? Rome d?v?t l'Italie, consid?r?e traditionnellement comme la m?re des sciences et des arts (? la madre delle scienze e delle arti ?18), de sa primaut? culturelle pour en doter la France (? France, m?re des arts, des armes, & des loix ?, R. 9) et, contrairement ? Michel de L'H?pital qui, lors de son premier contact avec l'Italie en 1547 se sentait soulev? d'un d?sir ? d'atteindre aux plus sublimes inspirations ?19, Du Bellay constate qu'? aveques l'air du ciel italien/Il n'a hum? l'ardeur qui l'Italie enflamme ? (sonnet 8). Pour lui l'inspiration s'est enfuie l? bas, dans la patrie lointaine :

Mais moy, qui suis absent des rais de mon Soleil20, Comment puis-je sentir ?chauf?ement pareil A celuy qui est pr?s de sa flamme divine ? (ibid.)

Le cas limite de cette pr?f?rence syst?matique du fran?ais au romain se situe au sonnet 31 qui traduit le refus du grand art classique de Rome en faveur de ? l'ardoise fine ? de sa demeure natale et o? le local, l'angevin, gagne pr?c?dence sur la prestigieuse civilisation latine :

Plus me plaist le s?jour qu'ont basty mes ayeux, Que des palais romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine... Plus mon Loyre gaulois que le Tybre Latin Plus mon petit Lyr? que le mont Palatin Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

Dans ce sonnet le renversement des valeurs traditionnelles est complet. La satire contre le p?dantisme et les p?dants qui occupe une place relativement importante parmi les th?mes des Regrets s'inscrit aussi dans ce contexte du refus de la tradition humaniste et de l'?rudition pour elle-m?me :

? Mais je hay par sur tout un s?avoir pedantesque ? (Sonnet 68)

18 Francisco D'Olanda, Dialoghi Michelangeleschi, ed. Avrelli, Rome, 1953, p. 67, cit? par M. A. Screech, op. cit., p. 66.

19 Cit? par G. Gadoffre, Dm Bellay et le sacr?, Gallimard, 1978, p. 85. 20 II s'agit, en l'occurrence, de Marguerite de France, la s ur du roi, protectrice

du po?te, mais il est ?galement significatif que, sous le ciel d'Italie, Du Bellay se sente glac? par ? la froide haleine ? de l'hiver affectif :

Les costeaux soleillez de pampre sont couvers, Mais des Hyperborez les ?ternels hyvers Ne portent que le froid, la neige, & la bruine. (R. 8)

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C'est l? ?galement un des th?mes favoris de la po?sie burlesque et le Lasca, par exemple, ?crit un ?loge paradoxal ? In lode de' Pedanti ? dans le go?t du temps. Il n'est pas sans int?r?t de remarquer que le dernier vers du sonnet 65 o?, apr?s avoir ?num?r? tous les pires vices

qui affligent son myst?rieux calomniateur, Du Bellay termine par la formule m?prisante :

C'est pour le faire court que tu es un pedante

il emploie la forme italienne du mot.

En revanche, et c'est l? un des aspects de la simultan?it? des contraires que nous avons d?j? constat?e dans Les Regrets, Du Bellay, comme ses coll?gues italiens, se plaint souvent de l'ignorance des

grands et du peu d'estime qu'ils font du savoir en g?n?ral et de celui des po?tes en particulier :

Tu t'abuses (Belleau) si pour estre s?avant, S?avant et vertueux, tu penses qu'on te prise...

(Sonnet 145)

vers qui rappellent certain passage du Capitolo della Poesia de Lodovico Dolce21 qu'il adresse ? un de ses amis, Francesco Coccio, pour le dissuader de devenir po?te :

Encore que tu fusses et plus savant et plus grand Que celui qui chanta les armes d'En?e Tu es fou si tu penses ?tre honor? 22.

La folie d'?tre po?te dans un monde o? les valeurs intellectuelles servent de ris?e, Du Bellay l'a dite souvent dans les Regrets :

Et n'est-il pas bien fol, qui s'efforceant de plaire, Se mesle d'un mestier, que tout le monde fuit.

(Sonnet 145)

Les courtisans, surtout, se gaussent des po?tes :

Vous dictes (Courtisans) les Poetes sont fouis... (Sonnet 149)

Dolce, comme Du Bellay, se plaint du mat?rialisme des grands, de leur

ignorance et du peu de cas qu'ils font de la vertu :

O Princes ignorants et indiscrets C'est vous qui ?tes cause que le vice r?gne 28.

21 Opere Burlesche, ed. cit., I, Parte Seconda, p. 264.

22 Ch'ancor che fossi e pi? dotto, e maggiore Di quel, che gi? cant? Tarme d*Enea, Sei matto se tu pensi aver onore. (Ibid., p. 264)

28 O ignoranti Principi indiscreti Sete pur voi cagion che'l vizio regna. (Ibid., p. 264)

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Il conseille donc ? son jeune coll?gue de ? ne pas faire cette folie de suivre la pauvre et nue po?sie ? s'il ne veut pas mourir comme ? un

gueux qui ne trouve pas de pain ?. C'est l? un grief familier aux po?tes du XVIe si?cle. Du Bellay, dans sa pr?face ? d'Avanson se plaint aussi de la pauvret? qui accompagne la condition de po?te :

Je voudrois bien (car pour suivre la Muse J'ay sur mon doz charg? la pauvret?) Ne m'estre au trac des neuf s urs arrest? 24

et au sonnet 42 il r?p?te :

La pauvret? me suit.

Donc, comme Dolce qui, ? la fin de son po?me, conseillait ? son ami d'? envoyer d?sormais la po?sie en exil, d'en d?tourner toutes ses

pens?es et de la laisser aux p?dants et aux barbiers ? (sans doute une allusion au barbier-po?te, Burchiello), Du Bellay, au sonnet 154, donne le m?me conseil ? Ba?f :

Si tu m'en crois (Ba?f) tu changeras Parnasse Au palais de Paris, H?licon au parquet C'est ? ce mestier la, que les biens on amasse, Non ? celuy des vers : ou moins y a d'acqu?t, Qu'au mestier d'un bouffon, ou celuy d'un naquet.

Dolce, lui, se sert d'une comparaison plus ?nergique :

De nos jours, Coccio, sont de plus de prix les p...

(prostitu?es ? mais la rime indique qu'il sous-entend un terme plus

cru)

Que ne sont les po?tes 25.

Cette fa?on de faire est caract?ristique de Du Bellay qui, avec un bon go?t inn?, ?vite presque toujours les obsc?nit?s (sous-entendues ou

explicites) dont sont remplis les po?mes burlesques italiens. Donc, puisqu'? la cour seules sont pris?es les richesses et que

? toutes les disgr?ces sont l?g?res en regard du dommage et du d?s honneur que tu re?ois pour ?tre po?te ?, Dolce conclut : ? sage est donc celui qui se propose de vivre paisiblement sans envie ?26.

C'est l? ?galement un th?me favori de Du Bellay dans Les Regrets. Nous le trouvons d?velopp? au sonnet 38 par exemple :

24 Les Regrets, A Monsieur d'Avanson, ed. cit., p. 49. 25

Son, Coccio, in maggior prezzo le ... Che non sono i poeti a tempi nostri. (Ibid., p. 263)

26 Per? savio ? colui, che si propone Un viver cheto senza invidia avere. (Ibid., p. 266)

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O qu'heureux est celuy qui peult passer son aage Entre pareils ? soy 1 et qui sans fiction Sans crainte, sans envie, et sans ambition

Regne paisiblement en son pauvre mesnage.

Ce sonnet soul?ve un probl?me int?ressant. Weber, dans son ?tude sur ce po?me27 fait remarquer qu'il ressemble de tr?s pr?s, jusque dans les rimes, au sonnet 34 des Soupirs de Magny et que la source commune des deux sonnets est Claudien (De sene veronensi) :

Felix qui propriis aevum transegit in arvis Ipsa domus puerumque videt, ipsa senem.

(Carmina minora xx)

Mais en fait, ? y regarder de plus pr?s, le sonnet de Magny est une traduction presque litt?rale d'un sonnet de Piccolomini ?In Iode della vita della villa ?28 dont il reproduit fid?lement le premier quatrain et les deux tercets :

Piccolomini

Beato quel che da citt? lontano

Liber vivendo, e d'ogni lite fuora Nei proprii campi suoi suda e

lavora . . .

Hor deriva un ruscello, e hor marita

Le viti a gli olmi, hor dolci frutti innesta,

Fin che insieme col d?, l'opra h? finita.

La sera al fuoco suo f? poi ritorno,

Cena con voglia, e gli dan riso e festa

La casta moglie, e i cari figli attorno.

Magny

Bien heureux est celuy, qui loing de la cit?

Vit librement aux champs dans son propre h?ritage,

Et qui conduyt en paix le train de son mesnage.

Ores il ante un arbre, Se ores il marge

Les vignes aux ormeaux, & ore en la prairie

Il desbonde un ruisseau pour l'herbe en arouzer :

Puis au soir il retourne, & souppe ? la chandelle

Avecques ses enfans & sa femme fidelle,

Puis se chauffe ou devise & s'en va reposer.

Du Bellay, lui, suit de plus pr?s le premier vers de Claudien (? O qu'heureux est celuy qui peut passer son aage ? traduit le ? Felix qui... aevum transegit ? du po?te latin) mais, comme le fait remarquer ?galement Weber, ? il renonce ? toute ?vocation rustique, il n'utilise le th?me du vieillard de V?rone que pour opposer l'exemple d'une sagesse enviable ? la mis?re de son propre destin ?29. Du Bellay, donc,

27 H. Weber, La cr?ation po?tique en France au Seizi?me si?cle, Paris, Nizet, 1956, p. 448.

28 Alessandro Piccolomini, Cento Sonetti, Rome, 1549, sonnet . 89 H. Weber, op. cit., p. 448.

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370 Y. HOGGAN-NIORD

de m?me que Dolce, d?veloppe l'id?e g?n?rale de la sagesse d'une vie

paisible ? sans envie ?, ce qui ?largit la port?e philosophique du

po?me, tandis que Magny traite, plus sp?cifiquement, un th?me favori de la po?sie classique de la Renaissance, ? savoir la f?licit? de la vie aux champs et des occupations bucoliques qu'il oppose ? la servitude des villes. La ressemblance des deux po?mes (Souspirs 34 et Regrets 38) n'est donc que superficielle et elle se r?duit ? deux rimes identiques (mesnage/son propre h?ritage). Il est vrai, d'autre

part, qu'il existe, entre les Souspirs de Magny et les Regrets de Du

Bellay des ressemblances si nombreuses et si frappantes (th?mes identiques, expressions identiques, rimes identiques, etc.) qu'elles ne

peuvent ?tre enti?rement fortuites et que les deux amis, ? Rome, ont d? se communiquer r?ciproquement leurs po?mes. Bien que la publi cation des Souspirs soit ant?rieure ? celle des Regrets on a g?n?rale ment tendance ? penser que, Du Bellay ?tant de loin le meilleur po?te des deux, c'est Magny qui a imit? ce dernier, mais rien ne vient ?tayer cette conclusion. Le fait que, dans le sonnet 34 des Souspirs, Magny copie Piccolomini et non Du Bellay semblerait indiquer que ce n'est pas toujours le cas. Reste que, m?me en se servant de mat?riaux identiques, les deux po?tes obtiennent des r?sultats tr?s diff?rents, et que la sup?riorit? de Du Bellay saute aux yeux.

Les aspects des Regrets examin?s jusqu'ici concernent surtout une certaine conception de la po?sie qui marque une rupture avec la tradition classique, et divers aspects connexes de la pol?mique anti classique (anti-p?dantisme, ?l?ments anti-aristocratiques et anti

courtisans, etc.). Mais on observe aussi dans la th?matique du recueil une substitution de mat?riaux po?tiques diff?rents aux th?mes clas siques consacr?s par l'usage. Ce sont l? les travaux et les jours d'un

po?te besogneux : il y entre toutes les corv?es lassantes de la vie quotidienne, son ennui ? astronomique ?30 (R. 36) et son observation amus?e ou indign?e de la vie romaine :

... suivant de ce lieu les accidents divers Soit de bien, soit de mal, j'escris ? l'aventure

(R. 1) ce qui, incidemment, implique que les intentions du po?te ne sont pas exclusivement satiriques. Il est ?videmment difficile d'?tablir une distinction tr?s nette entre po?sie satirique et po?sie burlesque dans Les Regrets, le burlesque, qui est essentiellement caricature, ?tant souvent employ? ? des fins satiriques. Pour simplifier le probl?me, on peut dire que, d'une fa?on g?n?rale la po?sie burlesque, comme genre, se distingue de la po?sie satirique proprement dite en ce qu'elle ne porte pas n?cessairement sur la satire des m urs mais s'attache

30 L'expression est de Michel Deguy, Tombeau de Du Bellay, Paris, Gallimard,

1973, p. 88.

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES ? REGRETS ? 371

surtout ? l'aspect ext?rieur des choses et proc?de par descriptions humoristiques suivant une technique bien d?finie que nous examine rons plus loin. C'est cet ?l?ment comique ou bouffon, cette fa?on humoristique de voir les choses ou les ?tres qui caract?rise le genre burlesque et qui est souvent absent de la satire morale o? la ? saeva

indignatio ? domine. On ne saurait trop insister sur l'importance de la chose vue, et vue d'une certaine mani?re dans les Regrets. Il est

significatif que le mot qui, de loin, revient le plus souvent dans ces

po?mes c'est le verbe voir, comme le r?v?le imm?diatement un examen du vocabulaire de la section dite ? satirique ? du recueil. La concen tration de ce verbe est surtout intense dans les sonnets 81 ? 138 o? il est r?p?t? jusqu'? cinq ou six fois de suite dans le m?me sonnet, soulignant ainsi l'?l?ment visuel qui domine cette section du recueil o? l'on rel?ve 104 exemples de l'emploi descriptif ou ironi-comique du verbe voir31. L'invitation au spectacle est fr?quente dans les

Regrets. Par exemple, au sonnet 120 qui a trait au carnaval, les

expressions ? allons voir ?, ? voyons ?, reviennent six fois de suite :

Allons voir Marc Antoine ou Zany bouf?onner, Voyons courir le pal ? la mode ancienne, Et voyons par le nez le sot bufile mener, Voyons le fier taureau d'armes environner, Et voyons au combat l'adresse italienne : Voyons d' ufs parfumez un orage gresler...

Cet ?l?ment carnavalesque des Regrets est d'ailleurs ?galement typique de la po?sie burlesque et des ? canti carnascialeschi ? dont le Lasca publia une ?dition en 155982.

Une tournure employ?e fr?quemment dans cette s?rie de sonnets est l'expression ? Quand je voy ? r?p?t?e plusieurs fois en une longue p?riode qui culmine en un commentaire ironique ou philosophique ? la fin du po?me. Par exemple, au sonnet 97 sur les ? poss?d?es ? la formule est r?p?t?e quatre fois, et, au dernier tercet, elle am?ne la

pointe finale :

Mais quand je voy un moine avecque 33 son Latin

Leur taster hault et bas le ventre et le tetin, Ceste frayeur se passe, et suis contraint de rire.

Au sonnet 112 ? Quand je voy ces Seigneurs... ? la formule est r?p?t?e trois fois pour introduire une comparaison entre la cour pontificale

81 Sonnets 81 (4), 82 (1), 83 (1), 84 (1), 87 (1), 89 (1), 90 (4), 93 (1), 97 (4), 98 (2), 99 (5), 100 (1), 101 (4), 102 (2), 104 (1), 105 (4), 107 (3), 110 (1), 112 (5), 113 (2), 114 (2), 11? (4), 118 (5), 119 (1), 120 (6), 121 (5), 128 (3), 129 (11), 130 (1), 131 (3), 132 (1), 133 (4), 136 (4), 137 (4), 138 (2). 82 Tutti i trionfi, eharri, mascherate o canti carnascialeschi andati per Firenze, dal

tipo del Magnifico Lorenzo vecchio de Medici quando hebbero primo cominciato a questo anno presente 1559, In Fiorenza MDLVIIII.

88 La graphie de l'?dition Screech comporte ici une erreur (? avec son Latin ?) (vers 12) qui en fait un vers faux. (M. A. Screech, ?d. cit., p. 170.)

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372 Y. HOGGAN-NIORD

et la cour de France (? l'avantage de cette derni?re) et le sonnet 118 s'ouvre sur cette m?me formule ? Quand je voy ces Messieurs ? qui fait ressortir le contraste entre la pompe ext?rieure des cardinaux

(? II me semble de voir quelque divinit? ?) et leur frayeur comique lorsque le pape est malade :

Mais les voyant pallir lorsque sa sainctet? Crache dans un bassin...

Ces descriptions r?alistes et irr?v?rencieuses du pape et de son entou

rage sont fr?quentes chez Berni, et lui aussi, dans un sonnet sur la maladie de Cl?ment VII, donne des d?tails physiques du m?me ordre : le pape a ? belle langue, bon crachat, bonne toux ?34 dit-il, ? ce qui est signe qu'il ne veut pas mourir ?. La tournure ironique ? II fait bon voir ?35 gouverne toute la structure du fameux sonnet 81 sur le conclave de 1555 qui pr?c?da l'?lection de Marcel II, o? elle se r?p?te quatre fois en une position-cl? au d?but de chaque quatrain et de

chaque tercet. Ce po?me est un exemple typique de description burlesque qui embrasse d'un regard circulaire et quelque peu ironique les divers aspects de la c?r?monie. La description proc?de par cercles

concentriques qui vont en s'?largissant de l'int?rieur ? l'ext?rieur :

Il fait bon voir (Paschal) un conclave serr?... En un petit recoing de dix pieds en carr?... Il fait bon voir autour le palais emmur?... Il fait bon voir dehors toute la ville en armes...

Cette optique tournante est caract?ristique de ces descriptions pano ramiques, si fr?quentes dans la po?sie burlesque, o? le po?te fait une

synth?se d'?l?ments disparates pour donner une impression d'ensemble d'une vigueur et d'une intensit? extr?mes et qui exploite les possi bilit?s comiques de la situation jusqu'? la pointe finale o? perce la satire, mais toujours sur le mode ironi-comique :

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante, Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la, Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.

Les ? Pasquinades ? et les attaques contre les papes et les cardinaux ?taient, comme chacun sait, un sujet favori de la po?sie burlesque

34 ? Sonetti di M. Francesco Berni della infermit? di Papa Clemente VII, ? Opere burlesche, voi. 2, Parte seconda, p. 165 :

Il Papa non fa altro che mangiare, Il Papa non fa altro che dormire

Ha buon occhio, buon viso, buon parlare, Bella lingua, buon sputo, buon tossire, Questi son segni ch'e* non vuol morire...

R?p?t?e ?galement quatre fois dans le sonnet 133 (voir plus loin).

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES ? REGRETS ? 373

italienne, ainsi que l'a montr? Vianey36. Du Bellay suit dans cette voie ses pr?d?cesseurs italiens bien qu'il s'agisse surtout de simi litude de th?mes, et que les r?miniscences pr?cises soient difficiles ? d?celer (si l'on excepte le c?l?bre sonnet 91, portrait anti-p?trarquiste d'une vieille courtisane, imit? de pr?s d'un sonnet de Berni

Chiome d'argento fino hirte et attorte...

comme l'a montr? Chamard37, et qui figure au premier livre des

Opere burlesche38). Il est cependant certains po?mes (que ne signale pas Vianey) o? l'on constate une imitation plus pr?cise des po?tes burlesques italiens: dans le sonnet 112 des Regrets concernant le c?r?monial en usage ? la cour pontificale, et plus pr?cis?ment la difficult? d'obtenir une audience, Du Bellay imite d'assez pr?s quelques vers de Berni sur le m?me sujet. (Le po?me de Berni concerne le

pontificat d'Adrien VI, celui de Du Bellay le pontificat de Paul IV.)

Berni

Che ci ha ad esser negato Vudienza,

E data sul mostaccio delle porte:

Che Cristo non ci arebbe pazienza 89.

Du Bellay

Quand je les vois (Ursin) si chiches d'audience,

Que souvent par quatre huiz on la mendie en vain

Et quand je voy l'orgueil d'un camerier hautain,

Lequel ferait ? Job perdre la patience

(R. sonnet 112)

Il est significatif que Du Bellay modifie le dernier vers de fa?on ?

remplacer le nom du Christ par celui de Job car il ne tenait pas ? ?tre accus? d'impi?t?, comme en t?moignent les cinq sonnets ?crits en

r?ponse au ? sonnet d'un quidam ?40 qui avait formul? contre lui cette accusation au cours de la controverse soulev?e par le sonnet 136 des Regrets relatif aux Calvinistes de Gen?ve :

Je les ay veuz (Bizet)... J'ai veu dessus leur front la repentance peinte etc.

o? l'on note la r?p?tition caract?ristique du verbe voir :

Je ne viz oncques tant l'un l'autre contre-dire Je ne viz oncques tant l'un de l'autre mesdire...

36 J. Vianey, ? La part de Fimitation dans les Regrets ? in Bulletin Italien, vol. IV, 1904, pp. 30-48.

37 H. Chamard, Du Bellay, uvres po?tiques, II, p. 122. 38 II Primo libro dell'opere burlesche di M. Francesco Berni e di altri, Parte prima,

?d. cit., p. 132. 39

Opere burlesche, vol. I, ?d. cit., p. 109, ? Nel tempo che fu fatto Papa Adriano ?. 40 Cf. Chamard, ? Appendice aux Regrets ?, uvres, II, p. 206 ss.

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374 Y. HOGGAN-NIORD

Dans le sonnet 100 des Regrets Du Bellay se plaint de voir, ? la cour de Rome, tant de paysans et de ? faquins ? ? indignement jouir/De ces beaux noms de Rome... ?. Il y a peut-?tre l? un ?cho d'un autre

passage du Capitolo de Berni contre le pape Adrien VI :

O furfante, ubbriaco, contadino Nato alla stufa : or ecco chi presume Signoreggiare il bel nome latino I 41

et les vers o? Du Bellay se plaint de son propre nom : ? Le mien sur tous me tasche... ? (R. 100) rappellent le Capitolo de Giovanni della Casa ? Sopra il nome suo ? ? Nom qui d?pla?t ? qui le dit et ? qui l'entend ?42. L'int?r?t que les po?tes de la Renaissance accordent aux noms propres est bien connu, et les rapports entre ? Po?tique et

Onomastique ? au XVIe si?cle ont fait r?cemment l'objet d'une int?ressante ?tude43. Les po?tes burlesques ne font pas exception ? la r?gle, mais alors que les jeux de mots des po?tes p?trarquistes sur les noms propres ont une valeur symbolique et peuvent se charger d'une signification profonde qui vient renforcer le sens global du texte dans lequel ils s'ins?rent44, le jeu de mots ?onomastique ? des po?tes burlesques est pur calembour et est surtout exploit? pour ses possi bilit?s comiques. Nombre de po?tes burlesques italiens adoptent, comme Du Bellay, la formule de la lettre famili?re adress?e aux amis, et les calembours sur le nom du destinataire sont la r?gle d'or de cette formule ?pistolaire : par exemple le Mauro, s'adressant ? Ottaviano Salvi, commence son po?me par les vers :

Salvo, se sete salvo daddovero, Non dico senza febbre, o senza tosse, Ma col cervel, con l'animo sincero... 46

et Girolamo Ruscelli, dans son Capitolo a Messer Annibal Caro, s'adresse ? lui en ces termes :

Caro mio caro... 46 etc.

Du Bellay, ? son tour, s'est livr? plusieurs fois dans les Regrets ? ce genre de calembour sur le nom du destinataire de ses sonnets : au sonnet 21 : ? Conte, qui ne fis one compte de la grandeur ? ; au sonnet 54 ? Maraud, qui n'est maraud que de nom seulement ? et au son net 164, d?di? ? d'Avanson ? Henry est luy mesme tesmoing/Combien un Avanson avance sa couronne ?.

41 Opere burlesche, vol. I, ed. cit., p. 114.

42 ? Nome che spiace a chi'l dice, a chi'l sente ?, Le terze Rime di M. Giovanni della Casa, in Opere burlesche, ed. cit., I, p. 207.

43 Fran?ois Rigolot, Po?tique et Onomastique, Gen?ve, Droz, 1977.

44 Cf. F. Rigolot, op. cit., p. 12. 45

Opere Burlesche, ed. cit., Lib. I, Parte seconda, p. 128. 46

Ibid., lib. II, p. 148.

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES ? REGRETS ? 375

Parfois, dans les Regrets, le po?te emploie une forme de badinage onomastique bilingue pour d?signer obliquement les personnages qui servent de cible ? sa satire. L'exemple le plus caract?ristique de ce

proc?d? qui consiste ? d?guiser (de fa?on assez transparente) un nom

propre italien sous un nom commun fran?ais se trouve au sonnet 113

qui a trait aux trois papes que Du Bellay a vus se succ?der sur le tr?ne pontifical durant son s?jour ? Rome :

Avoir veu devaller une triple Montagne (Jules III del Monte)

Apparoir une Biche, et disparoir soudain (Marcel II Cervini)

Et dessus le tombeau d'un Empereur Romain Une vieille Caraffe eslever pour enseigne

(Paul IV Caraffa).

Ailleurs, la paronomase qui rapproche des mots de sonorit?s voisines, est employ?e par Du Bellay dans des jeux de mots non plus patronymiques mais toponymiques : dans le sonnet 132 dont la seconde moiti? a trait ? Ferrare, Du Bellay d?clare qu'il ne voudrait pas ? pour le bien de deux roys ?

Passer encor' un coup par si p?nible enfer

et il conclut le sonnet en affirmant que :

Le peuple de Ferrare est un peuple de fer

ce qui, ? premi?re vue, peut para?tre assez surprenant car, ? Ferrare, r?gnait la bonne duchesse Ren?e de France, ?pouse du duc d'Est?, toujours si accueillante envers ses compatriotes. On pourrait sp?culer sur les raisons du ressentiment de Du Bellay ? l'?gard de Ferrare 47

mais il semble bien que ses remarques soient en grande partie motiv?es par l'attrait presque irr?sistible de la paronomase Ferrare-Fer-Enfer. D'ailleurs la satire de Ferrare ?tait traditionnelle dans la litt?rature italienne du temps : dans le Capitolo d?j? cit? de Ruscelli ? Annibal Caro on trouve une plaisanterie concernant un s?jour de l'Ar?tin ? Ferrare pour la Pentec?te, lequel, ayant go?t? du vin de l'endroit, le cracha, faillit se trouver mal, et s'enfuit de Ferrare ? toute vitesse 48. Dans le Capitolo suivant, du m?me auteur, Ruscelli lui-m?me ?tant all? d?ner ? Ferrare d?clare ne vouloir rien en dire, et pr?f?rer se taire

47 Au conclave de 1555 le Cardinal Du Bellay ayant contrecarr? la candidature au pontificat du Cardinal d'Est?, parent du duc de Ferrare, avait, de plus, r?ussi ? se faire ?lire doyen du Sacr? Coll?ge, poste que d'Est? lui-m?me ambitionnait. Ce dernier fut ensuite exil? ? la suite d'intrigues sans que Jean Du Bellay f?t rien pour s'y opposer (cf. Gadoffre, op. cit., p. 67). Il serait donc naturel de penser que la famille d Este ne fit pas grand accueil ? Joachim Du Bellay lors de son passage ? Ferrare. Mais on ne sait rien de certain ? ce sujet et ce ne sont l? qu'hypoth?ses.

48 Opere Burlesche, ed. cit., Lib. II, p. 151.

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?galement sur la qualit? de ses bons vins49. Mais ces critiques de Ferrare s'inscrivent dans le cadre plus large d'un des th?mes favoris de la po?sie burlesque italienne, ? savoir les m?saventures de voyage et les descriptions burlesques des villes travers?es. Les po?tes de la Renaissance ?taient de grands voyageurs: souvent attach?s comme secr?taire ? un grand personnage que la nature de son travail (mis sions diplomatiques par exemple) obligeait ? se d?placer fr?quemment dans son pays ou ? l'?tranger, ils ?taient soumis ? d'incessantes

p?r?grinations. Ces voyages ?taient loin de s'effectuer dans des condi tions confortables, et l'on trouve dans la litt?rature de l'?poque de nombreuses descriptions humoristiques des tribulations que devaient subir les infortun?s voyageurs au cours de ces d?placements: lors

qu'apr?s avoir parcouru de longues distances ? cheval par mauvais

temps et sur des routes infest?es de brigands les malheureux itin? rants arrivaient enfin ? destination ext?nu?s de fatigue, de froid et de faim, ils devaient souvent passer la nuit dans une auberge minable, o? on leur servait un repas immangeable, et o? on leur octroyait un lit aux draps d'une propret? douteuse, agr?ment?s d'insectes de toutes sortes, dans une chambre glaciale o? des rats couraient sur le plan cher et des chauve-souris volaient dans l'obscurit?. Les descriptions de ce genre abondent dans les uvres burlesques de Berni50, Mauro51,

Ruscelli52, Burchiello, Bellincioni53, etc., et elles jettent une clart? r?v?latrice sur l'?tat des hostelleries de l'?poque, si bien que, lorsque Francesco Coppetta ?crit un ? Capitolo ? ? la louange de 1'? osteria ?54 il soutient un paradoxe presque aussi grand que les auteurs d'?loges de la peste, ou du ? mal francese ?. Si le confort des auberges du XVIe si?cle laissait beaucoup ? d?sirer, les logements chez les parti culiers ne valaient gu?re mieux. Berni nous raconte ses m?saventures

? Povigliano o? il avait accompagn? son protecteur, Monsignor di Verona. Ayant ?t? invit? ? passer la nuit chez le cur? du lieu afin

qu'il p?t ?tre ?log? comme un seigneur ?, il se vit dans une maison v?tust? et d?labr?e, entour?e d'un jardin envahi par les ronces et les orties. On lui donna, dans le grenier, une chambre tout encombr?e de tas de bl?, de paille, d'oignons, de r?teaux, de fourches et d'autres outils agricoles et infest?e de vermine, un lit aux draps trop courts, rugueux et qui avaient l'air d'avoir ?t? ? cuits dans le jus des hari

49 Ibid., p. 154 (Capitolo a Messer Benedetto Busini): Pure in Ferrara cen'andammo a cena Della qual le fatezze io non dir? Per non peccar nella topografia, Ed anche i suoi buon vin mi tacer?.

50 Berni, Opere Burlesche, ?d. cit., I, p. 19. 51

Mauro, Capitolo del Viaggio di Roma, ibid. I, Parte Seconda, p. 71. 52 Girolamo Ruscelli, Capitolo della mala notte, ibid., II, p. 128. Girolamo Ruscelli,

Capitolo d'un viaggio, ibid., II, p. 138. 53 Sonetti del Burchiello, del Bellincioni, etc., Londres, 1757, p. 91. 54

Opere Burlesche, II, p. 50.

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l'inspiration burlesque dans les ? regrets ? 377

cots ?. Aussit?t les chandelles ?teintes, le malheureux po?te est attaqu? par une arm?e de punaises, de puces et d'autres insectes r?pugnants, et il passe toute la nuit ? se donner de grandes tapes pour essayer de s'en d?barrasser. Dans l'intervalle, un d?luge de pl?tre se d?verse sur lui du plafond et, par les interstices des planches disjointes du sol, s'?l?vent des nuages de fum?e qui lui piquent cruellement les yeux. Il entend un enfant pleurer dans son berceau, une vieille femme tousser et jurer et, pour comble de malheur, un hibou et une chauve souris ? viennent lui faire la cour ?55.

Du Bellay, lui, s'est montr? plus discret sur les inconv?nients des logements de fortune au cours de son voyage d'Italie. Pourtant il existe dans les Regrets certains sonnets concernant l'itin?raire de retour qui traitent, sur le mode burlesque, des fatigues et de l'incon fort du voyage. Par exemple, au sonnet 132 il se plaint d'avoir souffert de faim et de soif dans les Etats du pape et, comme les touristes modernes, de la chert? de la vie et de s'?tre fait voler56. Mais le sonnet le plus caract?ristique, dans cette cat?gorie, est le sonnet 134 qui a trait au passage des Grisons en Suisse. Le po?me tout entier est construit sur une longue p?riode emphatique dans la meilleure tradition de la po?sie burlesque italienne : les deux quatrains consistent en une ?num?ration des crimes les plus ex?crables, accen

tu?e par la r?p?tition de l'expression ? celuy qui ?, et la curiosit? du lecteur est tenue en suspens jusqu'? la pointe finale o? est r?v?l?, dans les deux derniers vers du sonnet, le ch?timent qui convient pour expier tous les abominables crimes cit?s plus haut :

Que les Grysons sans plus il passe ? ses journ?es, J'entens, s'il veult que Dieu lui doibve du retour.

Cette technique est emprunt?e tout droit ? un po?me de Benedetto Varchi dans le premier livre des Opere Burlesche o?, lui aussi ?num?re

longuement les crimes les plus d?testables (dont certains sont iden

tiques ? ceux que cite Du Bellay : celui qui e?t tu? de sa main cruelle ment son vieux p?re, ou mis le poignard dans la gorge de sa m?re, celui qui e?t trahi et assassin? son fr?re, etc.) pour finir par un ch?ti ment tout ? fait disproportionn? dans sa bouffonnerie :

Celuy-l?, pour expier, qu'il mange des ufs durs, Qu'il mange des ufs durs et je lui assure Qu'il m?ritera plus que s'il restait Mille millions d'ann?es dans le d?sert, (loc. cit., p. 226)

5 Opere Burlesche, ?d. cit., I, p. 26.

56 Quant ? Testat du Pape, il fallut que j'apprinse A prendre en patience & la soif & la faim : C'est piti?, comme l? le peuple est inhumain, Comme tout y est cher, & comme Ton y pinse.

Les Regrets, sonnet 132, Screech, p. 207.

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378 Y. HOGGAN-NIORD

Ce proc?d? est, de toute ?vidence, imit? de pr?s par Du Bellay lors

qu'il conclut :

... il ne faut point que pour la p?nitence D'une si malheureuse abominable offense,

Il voise errant nudz piedz ne six ne sept ann?es : Que les Grysons sans plus il passe ? ses journ?es...

Une comparaison des deux po?mes fera ressortir les ressemblances d'ensemble et de d?tail :

Varchi Du Bellay

Chi avesse ammazzato di sua mano

Crudelmente suo padre vecchia rello

E fatto peggio assai, che san Giuliano,

Cio? che avesse fitto un coltello Nella gola a sua madre, e insieme

ucciso A tradimento un suo carnai fratello Chi avesse sconf?tto il Paradiso Tutto di cerchio in cerchio in

bella prova, E d'avantaggio se ne fosse riso : Costui per iscontar mangi dell'

uova

Mangi dell' uova sode, ch'io l'accerto,

Ch'egli meriter? pi?, che s'egli stesse

Mille milioni d'anni nel deserto.

Celuy qui d'amiti? a viol? la loy, Cherchant de son amy la mort et

vitupere, Celuy qui en procez a ruin? son

fr?re, Ou le bien d'un mineur a converty

? soy : Celuy qui a trahy sa patrie et son

Roy, Celuy qui comme dipe a fait

mourir son pere, Celuy qui comme Oreste a fait

mourir sa mere,

Celuy qui a ni? son baptesme et sa foy ;

Marseille, il ne faut point que pour la penitence

D'une si malheureuse abominable

offense, Son estomac plomb? martelant

nuit et jour, Il voise errant nudz piedz ne six

ne sept ann?es :

Que les Grysons sans plus il passe ? ses journ?es,

J'entens, s'il veult que Dieu luy doibve du retour.

Mais dans le sonnet de Du Bellay l'?num?ration est plus rapide, et la

r?p?tition de la tournure ? celuy qui ? au d?but des vers 1, 3, 5, 6, 7, 8 donne un rythme plus vif au po?me, les vers sont mieux balanc?s, les allusions mythologiques ? dipe et ? Oreste (qui remplacent l'obscur saint Julien de Varchi) accentuent le parall?lisme des vers 6 et 7 et leur donnent de l'ampleur, et finalement le dernier vers est

agr?ment? d'une pointe th?ologique dans le go?t du temps. L'?l?ment litt?raire l'emporte donc sur l'exp?rience v?cue dans le sonnet des Grisons, et Du Bellay ne nous donne aucune explication sur les raisons

de son horreur au souvenir de ce supplice subi deux fois, ? l'aller et au

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l'inspiration burlesque dans les ? regrets ? 379

retour de son voyage d'Italie, mais l'on comprend ais?ment que l'?tat de sant? pr?caire du po?te l'ait emp?ch? d'appr?cier cet alpinisme forc? par des chemins de haute montagne, comportant l'ascension de trois cols de plus de 2000 m d'altitude57, et dans l'un des sonnets suivants il exprime son soulagement de se retrouver dans la plaine de

Lyon ? apr?s tant de monts ne neige tous couvers ? (R. 137). Ses

impressions de voyage comportent aussi la description des villes travers?es en cours de route, et, l? encore, la technique employ?e est celle des po?tes burlesques: elle consiste en une ?num?ration qui proc?de par accumulation des traits caract?ristiques de la ville pour en construire un tableau d'ensemble frappant, la ?vivante peinc ture ? (R. 159) de la r?alit? dans toute sa richesse et sa complexit?. L'un des exemples les plus notables de ce proc?d? est la description de Venise au sonnet 133, o? la tournure ironique ? II fait bon voir ?

r?p?t?e quatre fois, sert de pivot ? la structure du po?me, comme au sonnet 81 examin? plus haut :

Il fait bon voir (Magny) ces coions magnifiques... Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques... Il fait bon voir de tout leur Senat balloter... Il fait bon voir par tout leurs gondolles flotter...

et, au premier quatrain, ?num?ration rapide qui fait un tour d'hori zon complet de la cit? des Doges concentre en quelques vers les prin cipaux aspects de Venise habilement group?s en un raccourci saisissant :

Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord, Leur Saint Marc, leur palais, leur Realte, leur port, Leurs changes, leurs profitz, leur banque, et leurs trafiques...

Mais la description n'est pas statique : il y a progression jusqu'? la

pointe finale du dernier tercet qui, comme dans de nombreux sonnets des Regrets, condense l'?l?ment comique du po?me en deux ou trois vers :

Mais ce que l'on en doit le meilleur estimer C'est quand ces vieux coquz vont espouser la mer, Dont ilz sont les maris, et le Turc l'adultere.

Selon Vianey58 ce sonnet aurait ?t? inspir? par un sonnet de Bur chiello o? ce dernier fait ?galement une description burlesque de

57 Le choix de cet itin?raire difficile s'explique, comme nous le dit Alexis Fran?ois (Les sonnets Suisses de Joachim Du Bellay, Lausanne, 1946, p. 24) d'une part par le fait que les Fran?ais ne pouvaient traverser les terres du duc de Savoie alli? de l'Espagne avec qui la France ?tait en guerre (les arm?es de l'Empereur occupaient aussi le Mila nais) et d'autre part, par le fait que la Suisse ?tait un pays bien polic?, et ses routes les plus s?res d'Europe, et c'est bien ainsi que l'a vu Du Bellay :

La police immuable, immuables les loix, Et le peuple ennemy de forfaitz et de vices. (R. 135)

58 Art cit, pp. 44-45.

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380 Y. HOGGAN-NIORD

Venise; mais Burchiello proc?de par une s?rie d'?num?rations

n?gatives, proc?d? employ? ?galement par Du Bellay dans plusieurs sonnets des Regrets, comme on le sait, mais rarement dans les po?mes descriptifs. En fait le po?me de Burchiello n'a aucun point commun avec celui de Du Bellay; il rappelle plut?t les proc?d?s de style p?trarquistes mis au service, ici, d'un p?trarquisme ? l'envers69. Par contre, dans le sonnet 127, qui a trait ? Rome, Du Bellay se sert du m?me proc?d? de style que l'Orsilago dans un po?me sur Livourne

(Capitolo sopra il buon essere di Livorno) 60, proc?d? qui consiste en une ?num?ration de tous les forfaits qui pullulent dans la cit?, ?nu m?ration dont chaque vers commence par le mot Icy (Qui).

Qui la bravura sta, qui l'odio aperto

Qui colla fraude l'avarizia regna, Qui le fatiche altrui stan senza

merto ; Qui porta Bacco e Venere

l'insegna, Qui la bilancia sotto sopra ? volta, Qui non ? cosa di notizia degna...

Icy de mille fards la traison se desguise,

Icy mille forfaitz pullulent ? foison,

Icy ne se punit l'homicide ou poison,

Icy les grands maisons viennent de bastardise,

Icy ne se croid rien sans humaine raison

Icy la volupt? est toujours de saison...

A l'exception de la trahison et des plaisirs de V?nus, les forfaits ?num?r?s chez les deux po?tes sont diff?rents, mais le proc?d? de style est le m?me .De toutes les habitudes stylistiques des po?tes burlesques italiens, la s?rie d'infinitifs employ?s pour parodier les actions d'un certain personnage est une des plus caract?ristiques. Berni emploie fr?quemment ce proc?d? mais, comme le fait remarquer H. Weber, ? Chez Berni, toutefois l'accumulation des infinitifs exprime la vivacit? d?sordonn?e, la truculence d?brid?e d'une verve populaire ?61. C'est

exact en ce qui concerne les exemples sur lesquels se base Weber, mais chez d'autres po?tes burlesques, Girolamo Ruscelli, par exemple, les s?ries d'infinitifs employ?s pour parodier une suite d'actions sont

mieux organis?es et, tout en conservant la vivacit? inh?rente ? ce

proc?d?, ne cr?ent pas une impression de d?sordre. Ruscelli emploie

Non son tanti babbion nel mantovano Ne falci, ne ranocchi in Ferrarese, Ne tante barbe in Ungheria paese Ne tanta poveraglia in Milano :

Ne sono in Arno tanti pesciolini Quante in Vinegia zazzere, e cammini.

Burchiello, Le Rime del Burchiello commentate dal Doni, 1553, p. 185. 60

Opere burlesche, III, p. 87. 61 H. Weber, op. cit., p. 453.

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES ? REGRETS ? 381

cette technique dans plusieurs de ses capitoli?2, notamment dans un

po?me sur les p?rip?ties d'un voyage de Rome ? Venise, d?di? ? Benedetto Busini. Pour traduire le harassement du voyageur soumis ? ces incessantes p?r?grinations, l'auteur emploie une longue accumu lation d'infinitifs qui d?crivent en termes pittoresques les tribulations du po?te en cours de route :

S'enqu?rir des distances et de la route, Esp?rer mieux et trouver pire, Se demander si le cheval tombera, Changer de vin, changer de lit, changer de si?ge... Tomber de sommeil pendant que je po?tise... Faire les bagages et les d?faire constamment... Boire de mauvais vins blancs et de pires vins rouges, Faire joyeuse mine ? toute une tabl?e... Raconter quelque nouvelle ou vraie ou fausse...

Avoir ? peine le temps de se v?tir Avant de monter ? cheval et se sentir les pieds et les mains Glac?s et engourdis de froid : Avec de telles ?preuves en deux grandes semaines J'ai fait route par les pays et les villes susdites... 68

Du Bellay, lui aussi, a employ? cette technique qui consiste en une

longue s?rie d'infinitifs ne formant qu'une p?riode dont le sens reste en suspens jusqu'? la fin du po?me afin de d?crire les t?ches haras santes qui se succ?dent sans interruption au cours de ses journ?es romaines, notamment aux sonnets 84 et 85 :

Suivre son Cardinal au Pape, au consistoire,

Estre en son rang de garde aupr?s de son seigneur, Et faire aux survenans l'accoustum? honneur,

Parler du bruit qui court, faire de l'habile homme : Se promener en housse, aller voir d'huis en huis La Marthe, ou la Victoire, et s'engager aux Juif : Voil?, mes compagnons, les passetemps de Rome

(R. 84) et le c?l?bre sonnet 85 :

Flatter un cr?diteur, pour son terme alonger, Courtiser un banquier, donner bonne esperance, Ne suivre en son parler la libert? de France... etc.

(R. 85).

Mais, alors que chez Ruscelli la longue liste d'infinitifs tend ? devenir monotone, Du Bellay a su varier les constructions en introduisant dans ce dernier sonnet plusieurs tournures n?gatives, des parall?

62 Par exemple, dans son Capitolo della Mala notte, Opere burlesche, II, p. 128, et dans son Capitolo d'un viaggio, ibid., p. 138.

88 Girolamo Ruscelli, Capitolo a messer Benedetto Busini, Opere Burlesche II, p. 155.

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382 Y. HOGGAN-NIORD

lismes heureux et en interrompant le rythme qui risquait de devenir

trop lin?aire par un ou deux vers sans infinitifs. Dans le sonnet suivant

(i?. 86) le m?me proc?d? est employ? ? des fins purement parodiques : ? l'aide d'une suite d'infinitifs pittoresques, Du Bellay mime les actions des courtisans fran?ais ? Rome qui, eux-m?mes, singent les courtisans romains :

Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourci, Et d'un grave soubris ? chacun faire feste, Balancer tous ses mots, respondre de la teste...

Au vers 6 :

Et d'un son Servitor contrefaire l'honneste,

dont la premi?re graphie ?tait :

Et d'un son Servidor contrefaisant l'honneste,

Du Bellay se souvient peut-?tre d'un vers du Capitolo Contro lo sberrettare (contre les bonnetades) attribu? ? Girolamo Ruscelli dans le second volume des Opere burlesche 64 et dans lequel l'auteur se

moque ?galement des fa?ons c?r?monieuses des courtisans :

Con un dir servidor mi raccommando6 .

Le sonnet 121 des Regrets qui d?crit les f?tes romaines et notamment les courses de taureaux a ceci de particulier que, dans la s?rie d'infi nitifs employ?e ici avec la m?me valeur descriptive, l'accent est mis sur le spectacle par la r?p?tition du verbe voir qui domine la structure du po?me :

Voir un brave taureau se faire un large tour...

Le voir en s'eslan?ant venir la teste basse,

Puis le voir ? la fin pris en quelque destour Perc? de mille coups ensanglanter la place : Voir courir aux flambeaux...

Au sonnet 122 des Regrets est employ?e un autre proc?d? de style caract?ristique des po?tes burlesques italiens : l'?num?ration ironique qui, ici, a pour but de d?crire les futiles conversations de Rome:

Nous devisons ici de quelques villes prises, De nouvelles de banque, et de nouveaux courriers, De nouveaux Cardinaulx, de mules, d'estaffiers, De chappes, de rochets, de masses et valises : Et ores (Sibilet) que je t'escry ceci, Nous parlons de taureaux, et de buffles aussi,

64 Selon une note de l'?diteur du volume publi? ? Leyde en 1824 par G. Van Der Bet ce Capitolo ne serait pas de Girolamo Ruscelli mais d'un certain Paulo Panciatica.

65 Opere Burlesche, 11, p. 119.

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L'INSPIRATION BURLESQUE DANS LES ? REGRETS ? 383

De masques, de banquetz, et de telles despenses : Demain nous parlerons d'aller aux stations, De motu-proprio, de reformations, D'ordonnances, de briefz, de bulles, et dispenses.

CR. 122) Le m?me proc?d? est employ? ? des fins identiques par Berni, par exemple, dans son c?l?bre sonnet sur le pontificat d'Adrien VI :

Un papato composto di rispetti, Di considerazione e di discorsi Di pi?, di poi, di ma, di s?, di forsi, Di pi?, di assai parole senza effetti.

Di pensier, di consigli, di concetti,

Di fede, di speranza, e carit?, etc. 66

Ainsi, gr?ce aux divers indices que l'on peut glaner ?? et l? dans les Regrets, il n'est gu?re permis de douter que Du Bellay ait connu les Opere burlesche de divers auteurs italiens publi?es du temps de son

s?jour ? Rome et s'en soit inspir? dans son recueil, tant pour l'esprit de l' uvre que pour la forme, et parfois m?me dans le d?tail. Mais sa

fa?on d'imiter a ?volu? consid?rablement depuis la Deffence, et les imitations textuelles sont beaucoup plus difficiles ? d?celer que dans VOlive car, ? part les quelques exceptions que nous avons signal?es, Du Bellay traduit rarement un texte ou un fragment de texte sans y apporter des modifications de son cr? qui transforment les ?l?ments

emprunt?s ? en sang et en nourriture ?. D'une mani?re g?n?rale, ce qui frappe surtout, lorsque l'on compare les po?mes des Regrets ? leurs

mod?les italiens, c'est la fa?on dont Du Bellay cr?e de la po?sie ?

partir de textes qui, pour pittoresques et vigoureux qu'ils soient, ne sont pas, ? proprement parler, de la v?ritable po?sie et m?me sont

souvent ce que Benedetto Croce appelle de la ? non-po?sie ? ou de ? l'anti-po?sie ?e7. Les po?mes des Regrets, au contraire, m?me ceux

qui appartiennent ? la cat?gorie que Weber qualifie de ?po?sie mineure ? offrent au lecteur un plaisir esth?tique ind?niable, d? en

partie ? la concentration que la forme restreinte du sonnet leur

impose par rapport aux ? capitoli ? plus diffus des po?tes burlesques italiens (ou m?me aux sonnets ? a coda ? de Berni et de ses coll?gues),

mais aussi ? la richesse et ? la complexit? de la ? vivante peincture ? de la vie romaine et aussi des sentiments de l'auteur qu'on y trouve. Le registre affectif des Regrets est tr?s ?tendu : il comprend la nostalgie, la tristesse, l'ennui, l'amertume, le d?couragement, la r?signation philosophique, mais aussi l'humour, la gaiet? enjou?e, l'ironie, le ? riz sardonien ?. C'est peut-?tre l'humour (m?me s'il s'agit parfois

68 Opere Burlesche, I, p. 169.

67 Benedetto Croce, Saggi filosofici, Vili, La poesia, Bari, Laterza, 1943, chap. I, p. 58.

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d'humour noir) qui domine pour une large part la tonalit? de l' uvre :

(Mais tu diras que mal je nomme ces regrets/Veu que le plus souvent

j'use de mots pour rire R. 77) gr?ce surtout ? l'inspiration burlesque. Toutefois le recueil n'est pas exempt de cette ? divine m?lancolie ?

que De Sanctis consid?rait comme une condition n?cessaire ? la vraie

po?sie, m?me chez un po?te comique 68. Surtout, dans les po?mes des

Regrets il y a cet envol po?tique qui caract?rise la po?sie de Du Bellay et qui manque trop souvent chez les po?tes burlesques italiens. C'est ainsi que, comme le fait remarquer Andr? Ba?che 69 ? pour tirer d'eux les plus belles illuminations le po?te du XVIe si?cle ne d?daigne pas de choquer de tr?s ordinaires silex ?.

Pourtant, il est clair que Du Bellay lui-m?me consid?rait ses

Regrets comme de la po?sie mineure, et que le ? regret de la po?sie ?

(de la grande r/o?sie) est un des th?mes reparaissants de l' uvre. Il y a insist? plusieurs fois sur son caract?re d'? humble chanson ? :

je suivray, si je puis, Les plus humbles chansons de ta muse lass?e 70.

(R. 22) Il a ?crit ses Regrets, nous dit-il, pour se d?lasser et oublier ses soucis

(? pour tromper mes ennuys ?) et non pour chercher la gloire litt?raire :

A mes travaux cherchant quelque repos Non pour louange ou pour faveur acquerre 71.

Il y a donc moins d'?cart que l'on ne croit entre Les Regrets et les Divers Jeux Rustiques que le po?te pr?sente toutes deux comme des

uvres de divertissement et d'?vasion et qui ont, par ailleurs, certains

th?mes en commun 72. Dans les deux recueils on constate une ten

dance ? s'?loigner de l'id?al litt?raire de la Renaissance humaniste et une ?volution vers une nouvelle conception du style po?tique qui tendrait ? r?duire l'?cart entre litt?rature et r?alit?, ou, sur un autre

plan, entre l'art et la nature :

Je me contenterag de simplement escrire Ce que la passion seulement me fait dire...

(R- 4) Et c'est justement en cela que Les Regrets sont une prodigieuse r?ussite po?tique. Tout en croyant faire une uvre de second plan et n'avoir rapport? de son ? malheureux voyage ?, tel le marinier du

68 De Sanctis, Storia della letteratura italiana, ?d. Croce, II, p. 358, cit? par Croce, op. cit., p. 258.

69 Andr? Baiche, La naissance du baroque fran?ais, Toulouse, 1976, p. 19. 70 II s'adresse ? Ronsard. 71 Les Regrets, A Monsieur d'Avanson, ?d. cit., p. 46. 72 Voir, ? ce sujet, mon pr?c?dent article ? Anti-Petrarchism in Joachim Du

Bellay's Divers Jeux Rustiques ? in Modem Language Review, 74 (1979), pp. 806-19.

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l'inspiration burlesque dans les ? regrets ? 385

sonnet 32, que des ? harenes en lieu de lingots d'or ? Du Bellay a cr??, avec la mati?re non po?tique de la vie de tous les jours, une po?sie d'un modernisme qui le place, d'embl?e, bien loin au-dessus de ses

contemporains, et l'on ne saurait mieux conclure que par les mots d'un autre po?te, Michel Deguy

73 ? ce qu'il trouva, son Am?rique, il ne

pouvait savoir qu'il l'avait d?couvert, nouveau continent, pas plus que ses contemporains qui ne lui reconnurent que la place de second, parce que les commencements ne sont lisibles que dans la r?tro

spection et, s'il fut le ? premier po?te ? ce n'est pas par l? o? il le crut... ?.

Aberystwyth. Yvonne Hoggan-Niord.

73 Michel Deguy, Tombeau de Du Bellay, Paris, Gallimard, 1973, p. 48.

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