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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 331 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Éditorial L’intérêt d’un enfant acheté C’est l’histoire d’un enfant acheté. Acheté via un vrai trafic, dans la communauté rom : la mère déjà six enfants ne voulait pas de cette nouvelle naissance, et des voyous sans scrupule ont cherché des acheteurs. Un jeune couple 26 et 27 ans qui ne parvenait pas à avoir d’enfant, a réuni le prix plusieurs milliers d’euros et a récupéré l’enfant dès sa naissance, en mai 2013 à Marseille. Une nouvelle vie de famille s’est construite. . . hors la loi, et sans état civil. L’affaire a été repérée, et en septembre, les deux intermédiaires ont été mis en examen pour « traite d’être humain » et écroués. Le couple, résidant alors en Meurthe-et-Moselle, a lui aussi été mis en examen, mais laissé en liberté sous contrôle judiciaire. C’est le volet pénal, indiscutable. Mais que faire de l’enfant ? Le seul critère doit être celui de l’intérêt de l’enfant, comme le pose l’article 3-1 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Difficile de remettre l’enfant à la mère biologique, qui avait été capable de le vendre. . . Aussi, et c’est en pratique la seule solution, le bébé avait été placé par le juge des enfants de Nancy dans une pouponnière de Nancy. Mais là, rien n’allait plus, comme l’explique Maître Caroline Depretz, l’avocate des parents acheteurs : « L’enfant, qui était jusqu’alors vif et éveillé, a rapi- dement dépéri. Il s’est tellement renfermé que les services sociaux ont craint que cela ne touche son développement psychomoteur ». L’enfant avait vécu le retrait de « sa » famille comme un abandon : « L’intérêt de l’enfant a primé, la décision du juge est particulièrement courageuse ». Début juillet, le juge des enfants a accordé aux parents acheteurs un droit de visite, qui s’est révélé très positif pour l’enfant, et fin août, il a décidé d’un placement de l’enfant auprès de ce couple. Cette décision ne donne pas à l’enfant le statut d’adopté, décision qui relève d’une autre procédure et d’un autre juge, et elle ne fait pas disparaître les poursuites pénales. Le couple indique qu’il va maintenant demander l’adoption. Vis-à-vis de l’enfant qui n’a rien demandé à personne, mais qui a rejoint notre communauté des vivants, au nom de quel principe pourra-t-on refuser de lui donner un statut légal d’enfant adopté, dès lors qu’il vit avec un couple aimant, et qui fait son bonheur ? Un bonheur qui transcendante l’infraction grave de traite d’être humain. Pas simple. . . Gilles Devers 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.09.001 1629-6583/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

L’intérêt d’un enfant acheté

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 331

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Éditorial

L’intérêt d’un enfant acheté

C’est l’histoire d’un enfant acheté. Acheté via un vrai trafic, dans la communauté rom : la mère– déjà six enfants – ne voulait pas de cette nouvelle naissance, et des voyous sans scrupule ontcherché des acheteurs. Un jeune couple – 26 et 27 ans – qui ne parvenait pas à avoir d’enfant, aréuni le prix – plusieurs milliers d’euros – et a récupéré l’enfant dès sa naissance, en mai 2013 àMarseille. Une nouvelle vie de famille s’est construite. . . hors la loi, et sans état civil.

L’affaire a été repérée, et en septembre, les deux intermédiaires ont été mis en examen pour« traite d’être humain » et écroués. Le couple, résidant alors en Meurthe-et-Moselle, a lui aussiété mis en examen, mais laissé en liberté sous contrôle judiciaire.

C’est le volet pénal, indiscutable. Mais que faire de l’enfant ? Le seul critère doit être celuide l’intérêt de l’enfant, comme le pose l’article 3-1 de la Convention de New York relative auxdroits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait desinstitutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administrativesou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

Difficile de remettre l’enfant à la mère biologique, qui avait été capable de le vendre. . . Aussi,et c’est en pratique la seule solution, le bébé avait été placé par le juge des enfants de Nancydans une pouponnière de Nancy. Mais là, rien n’allait plus, comme l’explique Maître CarolineDepretz, l’avocate des parents acheteurs : « L’enfant, qui était jusqu’alors vif et éveillé, a rapi-dement dépéri. Il s’est tellement renfermé que les services sociaux ont craint que cela ne toucheson développement psychomoteur ». L’enfant avait vécu le retrait de « sa » famille comme unabandon : « L’intérêt de l’enfant a primé, la décision du juge est particulièrement courageuse ».

Début juillet, le juge des enfants a accordé aux parents acheteurs un droit de visite, qui s’estrévélé très positif pour l’enfant, et fin août, il a décidé d’un placement de l’enfant auprès de cecouple. Cette décision ne donne pas à l’enfant le statut d’adopté, décision qui relève d’une autreprocédure et d’un autre juge, et elle ne fait pas disparaître les poursuites pénales.

Le couple indique qu’il va maintenant demander l’adoption. Vis-à-vis de l’enfant qui n’a riendemandé à personne, mais qui a rejoint notre communauté des vivants, au nom de quel principepourra-t-on refuser de lui donner un statut légal d’enfant adopté, dès lors qu’il vit avec un coupleaimant, et qui fait son bonheur ? Un bonheur qui transcendante l’infraction grave de traite d’êtrehumain. Pas simple. . .

Gilles Devers22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.09.0011629-6583/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.