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Les difficult~s d'interpr#tation de... UINTERPRF/TATION DES RESULTATS EN BIOCHIMIE ET EN TOXICOLOGIE... OU DE LA NF/_.CESSITI DE GARDER UESPRIT CRITIQUE Paul Lafargue* '< ' ':~-~,.~.~-:,'.~,:~ ~ ~,:.~ resultat des analyses dans les specialites de la biochimie et de la toxicologie ~-.;,os{~, :¢~.o~ ~:orqme pour les autres disciplines de la biologie clinique, o~ c;~n.~~.,e'~ :,;~;~r~ ..,;ens critique, si I'on veut eviter de tomber dans des pieges, meme grossiers. Q~a,t~,'r ~c;~c;rnple;s particulierement demonstratifs vont illustrer notre propos. ,~. r3ez~ ,~els £,t des pigments ~ei~:= a c~iscr6tion Le laboratoire de biochimie au sein duquel j'etais assistant s'est trouve confronte, Iors de la grande pandemie d'hepatites virales des annees 1970 en Algerie, & un probleme de transfert de contamination, ~ ~ l"i~iL'~ qui ne me fait sourire qu'a posteriori. En effet, le rendu des resultats des exa- ~: ~ "~'r ~1~1.~ mens de biochimie a fait apparaftre, ~;~i~)i~ ,, La credibilite du laboratoire fur bien entendu mise en cause, susci- tant des plaisanteries au cours des dejeuners, au restaurant de I'he- pital, certes amicales mais pas toujours du meilleur go~t. II va sans dire que la solidarite entre les chefs de service (gastro-enterologie et biochimie) designait les internes et les assistants du labo- ratoire comme victimes expiatoires. Situation d'autant plus penible a vivre que nous etions absolument certains de la qualite de nos resultats, moult fois verifies.., et pour cause. Cette situation qui ne concernait que le Service de gastro-enterologie se de fa?on aleatoire, un nombre anor- malement eleve de resultats de recherche des sels et des pig- ments biliaires dans les urines de patients rapatries en metropole et hospitalises dans le service de gastro-enterologie. Les pre- miers jours ont ete marques par I'etonnement, les resultats n'etant pas conformes & la cli- nique. Puis, les premieres critiques apparurent, bien que le laboratoire fQt absolument certain de la fiabilite de ses resultats. La situation commen?ait & devenir deN- La revelation s'est faite le jour oe un assistant du service de gastro-enterologie, cate, jusqu'au jour oe le chef du service de se rendant dans un autre service de I'hepi- gastro-enterologie insera dans le lot des t.,illg~- tal, surprit un aide-infirmier stagiaire en train de urines envoyees au laboratoire.., ses propres urines. Oh surprise ! Elles revelaient elles aussi des sels et des pigments. Inutile de decrire I'ambiance au re?u des resul- tats. Devant une telle anomalie, le chef du service en personne s'est deplace jusqu'au laboratoire, oeil a, de nouveau, remis un autre echantillon urinaire, exigeant que j'en fasse I'analyse devant lui. Resultat : negatif ! * President du Conseil scientifique Revue Francophone des Laboratoires [email protected] prolongea un certain temps, sans qu'aucune explication puisse lui etre apportee. Mais pour saisir la suite des evenements, il est necessaire de signaler que le service de gastro-enterologie se trouvait au fond de I'hSpital (risque de contagion oblige) et que pour se rendre au labora- toire, il etait necessaire d'em- prunter des escaliers ou la rampe destinee aux differents chariots, fauteuils roulants et materiels divers. se livrer & une etrange manipulation. Ce dernier, afin de stabiliser le chariot sur lequel se trouvaient les bocaux d'urines (2 litres), et afin d'eviter qu.e les plus remplis debordent au moment du passage de la rampe, <,equilibrait >> les divers bocaux, en transvasant les plus remplis dans les moins pleins ! Dans ces condi- tions, un seul echantillon pathologique etait capable de contaminer plu- sieurs urines et se trouvait donc responsable de la positivite de sujets indemnes de toute hepatite. A partir de ce jour, les resultats redevinrent ,, normaux >,et le labo- ratoire regagna sans contestation sa c;redibilite aupres du service de gastro-enterologie, rehabilitation indispensable etant entendu que dans ce type de situation, c'est forcement le laboratoire qui a tort. 54 RevueFrancophone des Laboratoires, juin 2006, N ° 383

L'interprétation des résultats en biochimie et en toxicologie… ou de la nécessité de garder l'esprit critique

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Les difficult~s d'interpr#tation de...

UINTERPRF/TATION DES RESULTATS EN BIOCHIMIE ET EN TOXICOLOGIE... OU DE LA NF/_.CESSITI DE GARDER UESPRIT CRITIQUE

Paul Lafargue*

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o~ c;~n.~~.,e'~ :,;~;~r~ ..,;ens critique, si I'on veut eviter de tomber dans des pieges, meme grossiers.

Q~a,t~,'r ~ c;~c;rnple;s particulierement demonstratifs vont illustrer notre propos.

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Le laboratoire de biochimie au sein duquel j'etais assistant s'est trouve confronte, Iors de la grande pandemie d'hepatites virales des annees 1970 en Algerie, & un probleme de transfert de contamination, ~ ~ l " i ~ i L ' ~ qui ne me fait sourire qu'a posteriori.

En effet, le rendu des resultats des exa- ~ : ~ " ~ ' r ~1~1.~ mens de biochimie a fait apparaftre, ~ ;~ i~) i~ , ,

La credibilite du laboratoire fur bien entendu mise en cause, susci- tant des plaisanteries au cours des dejeuners, au restaurant de I'he- pital, certes amicales mais pas toujours du meilleur go~t. II va sans dire que la solidarite entre les chefs de service (gastro-enterologie

et biochimie) designait les internes et les assistants du labo- ratoire comme victimes expiatoires. Situation d'autant

plus penible a vivre que nous etions absolument certains de la qualite de nos resultats, moult

fois verifies.., et pour cause.

Cette situation qui ne concernait que le Service de gastro-enterologie se

de fa?on aleatoire, un nombre anor- malement eleve de resultats de recherche des sels et des pig- ments biliaires dans les urines de patients rapatries en metropole et hospitalises dans le service de gastro-enterologie. Les pre- miers jours ont ete marques par I 'etonnement, les resultats n'etant pas conformes & la cli- nique. Puis, les premieres critiques apparurent, bien que le laboratoire fQt absolument certain de la fiabilite de ses resultats.

La situation commen?ait & devenir deN- La revelation s'est faite le jour oe un

assistant du service de gastro-enterologie, cate, jusqu'au jour oe le chef du service de se rendant dans un autre service de I'hepi- gastro-enterologie insera dans le lot des t . , i l l g ~ - tal, surprit un aide-infirmier stagiaire en train de urines envoyees au laboratoire.., ses propres urines. Oh surprise ! Elles revelaient elles aussi des sels et des pigments. Inutile de decrire I'ambiance au re?u des resul- tats.

Devant une telle anomalie, le chef du service en personne s'est deplace jusqu'au laboratoire, oe i l a, de nouveau, remis un autre echantillon urinaire, exigeant que j'en fasse I'analyse devant lui. Resultat : negatif !

* President du Conseil scientifique Revue Francophone des Laboratoires

[email protected]

prolongea un certain temps, sans qu'aucune explication puisse lui etre apportee. Mais pour saisir la suite des evenements, il est necessaire de signaler que le service de gastro-enterologie se trouvait au fond de I'hSpital (risque de contagion oblige) et que pour se rendre au labora-

toire, il etait necessaire d'em- prunter des escaliers ou la rampe

destinee aux differents chariots, fauteuils roulants et materiels divers.

se livrer & une etrange manipulation. Ce dernier, afin de stabiliser le chariot sur lequel se trouvaient les bocaux

d'urines (2 litres), et afin d'eviter qu.e les plus remplis debordent au moment du passage de la rampe, <, equilibrait >> les divers bocaux, en transvasant les plus remplis dans les moins pleins ! Dans ces condi- tions, un seul echantillon pathologique etait capable de contaminer plu- sieurs urines et se trouvait donc responsable de la positivite de sujets indemnes de toute hepatite.

A partir de ce jour, les resultats redevinrent ,, normaux >, et le labo- ratoire regagna sans contestation sa c;redibilite aupres du service de gastro-enterologie, rehabilitation indispensable etant entendu que dans ce type de situation, c'est forcement le laboratoire qui a tort.

54 Revue Francophone des Laboratoires, juin 2006, N ° 383

Les difficult#s d'interpr6tation de... Histo i res vra ies

Cette anecdote concerne une recherche de sang dans les urines d'un patient &g6, hospitalise dans un service de medecine interne. Cet exa- men entrait dans le cadre du bilan biologique classique dans ce genre de situation. Parmi tes examens demandes figurait une recherche de sang, les urines presentant, en effet, une coloration rose-rouge.

La recherche, effectuee de fa?on traditionnelle par la mise en evidence du pouvoir peroxydasique de I'hemoglobine (bandelettes reactives), se revela negative. L'interne du service de medecine telephona au laboratoire pour manifester sa surprise et indiqua qu'il lui envoyait un nouvel echantillon, toujours de coloration rosee, pour nouvel examen.

De nouveau, la recherche constata I'absence de pouvoir peroxydasique de I'hemoglobine et I'examen au microscope du culot de centrifuga- tion mit en evidence quelques rares hematies, dent le nombre restreint ne pouvait manifestement pas expliquer, & lui seul, la coloration rosee de I'echantillon urinaire.

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Face & cette situation, pour le moins anormale, d'autant que la colo- ration n'apparaissait pas dans tous les echantillons, un dialogue s'eta- blit entre les internes du service de medecine et ceux du laboratoire pour tenter de trouver une explication quant & I'origine possible de ce phenombne telle la prise de medicaments ou d'aliments connus pour ~tre susceptibles de donner aux urines une telle coloration. Or I&, rien, & leur connaissance, ne pouvait expliquer ce phenomene.

Lors d'une visite dans le service confronte & nouveau & des urines colo- rees en rose et b. la possibilite d'une hematurie, compte tenu de I'etat general du patient, le chef du service exigea qu'une nouvelle recherche soit effectuee et me demanda de I'executer personnellement. Recherche negative, comme les precedentes,.

Pourtant une explication devait bien ~tre proposee. C'est alors que j'ai demande la nature de la therapeutique prescrite, puis je me suis rendu clans le service pour verifier un certain nombre de details. J'avais, compte tenu d'une origine possible de cette coloration, pris avec moi un flacon parfaitement rince & I'eau distillee et j'ai demande au patient de bien vouloir uriner dans ce flacon. Ce nouvel echantillon etait par- faitement denue de toute coloration anormale, alors que le flacon de recueil situe au pied du lit du patient arborait sa coloration habituelle... en rose-rouge.

Je demandai alors & la technicienne de surface attachee ace patient quel etait son protocole pour I'entretien du materiel de recueil des urines. Aucun reproche ne pouvait lui 6tre adresse, sauf (mais ce n'etait pas une faute, peut ~tre m~me son contraire) que le rin?age des bocaux laves & I'eau de javel etait insuffisant. Alors ?

Eh bien ce detail allait & lui seul expliquer le phenomene observe : en effet, le traitement du patient comprenait du Largactil. Cette fausse hematurie s'expliquait simplement par la formation d'especes radica- laires colorees donnees par les phenothiazines en presence d'oxydants. Cette propriet6 a d'ailleurs ete utilisee, en toxicologie hospitaliere d'ur- gence, pour la recherche de ces composes, Iors d'intoxications d'ori- gine medicamenteuse. Dans ces conditions, le Largactil donne aux urines une coloration de rose & rouge, en fonction de sa concentra- tion dans I'echantillon soumis & I'analyse.

Nous avens recommence I'experience devant le chef de service, qui, convaincu, a reconnu que la chimie resterait toujours pour lui une enigme.

3. Infection urinaire stupefiante

Dans le cadre du suivi epidemiologique des conduites toxicophiles, notre laboratoire servait alors de laboratoire de reference. En effet, il etait & I'epoque un des rares laboratoires hospitaliers equipe d'un ensemble de chromatographie en phase gazeuse couplee & la spec- trometrie de masse (GC/MS).

Les examens de recherche des stupefiants dans les urines etaient rea- lises au niveau des differents sites, en mettant en oeuvre un protocole fonde sur une reaction immunologique.

Bien qu'aucune sanction ne soit envisagee, puisqu'il s'agissait d'une etude epidemiologique, tous les resultats positifs etaient cependant contrSles par GC/MS, sur I'echantillon des urines envoye au laboratoire.

Si pour les amphetamines, les morphiniques (stupefiants ou molecules utilisees en therapeutique) et la cocaTne, une bonne correlation entre les resultats des examens de recherche et leur confirmation a pu ~tre constatee, une discordance est rapidement apparue pour les can- nabind(des. En effet, dans un certain nombre de cas, la positivite obser- vee Iors des examens immunologiques n'etait pas confirmee.

Uanalyse par GC/MS parvint & mettre en evidence une interference jusqu'alors inconnue : celle de I'acide nalidixique, commercialise en France sous le nom de Negram, et dont I'activite anti-bacterienne est mise & profit dans le traitement des infections urinaires basses aigu~s ou recidivantes.

Le laboratoire, situe a. Palo Alto, qui commercialisait les reactifs des- tines aux reactions immunologiques, ignorait cette cause d'interfe- rence, la molecule n'etant pas pres- crite aux Etats-Unis, faute d'agr6ment. Prevenu, modifia la nature de ran- ticorps mis en oeuvre et tout rentra dans I'ordre. Une bonne correlation fut & nouveau retrouvee entre les resultats des examens pra- tiques Iors de la recherche des can- nabino'l'des et ceux obtenus pour la confirmation de leur presence par GC/MS.

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Les difficultes d'interpretation de...

Ceci montre que, quelle que soit la qualite des reactifs mis en oeuvre, il demeure imperatif d'adopter une approche critique et de s'assurer, par des methodologies specifiques, que les resultats rendus sont abso- lument conformes & la realite.

4, [.'amour p~u'~, tuer

C'est I'histoire d'un amoureux, ou suppose tel, mais econduit, Vers 22 h ce soir-I&, au service d'urgences et de soins intensifs de I'h6pi- tal, nous est amene par les pompiers un sujet jeune, plonge dans un coma vigile.

Les premiers examens et les signes cliniques, cardiovasculaires et neu- rosensoriels notamment, evoquent une intoxication par un compose anti- paludeen. Quant aux resultats biolo- giques : legere hypokaliemie, eleva- tion de la creatininemie, ils sont egalement compatibles avec la nature d'une telle intoxication.

Les parents du patient, rapidement contactes par telephone (leur adresse est trouvee dans les papiers du sujet, qui vit chez eux), confirment qu'il a fait plusieurs sejours outre-mer et, effectivement, qu'il y a de la chlo- roquine dans I'armoire a pharmacie familiale. Cependant, disent-ils, il ne nous semble pas qu'une quantite notable de cette molecule ait disparu.

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Quoi qu'il en soit, un traitement classique de ce type d'intoxication est instaure, en particulier & visee cardiovasculaire. Parallelement, et avant de pratiquer un dosage de la chloroquinemie, dont on connaft la valeur pronostique, une recherche rapide de ce compose est realisee dans les urines. Pour ce faire, apres extraction par un solvant organique en milieu acide, lavage par une solution d'hy- droxyde de sodium, puis nouvelle extraction a I'acide chlorhydrique, la fluorescence bleu verte de la solution acide a ete recherchee par excitation & 360 nm.

La positivite de la reaction corroborait I'ensemble des observations jusque-I& realisees et, de ce fait I'intoxication par un anti-paludeen.

Cependant, I'arrivee des parents et, surtout, de sa petite amie, allait apporter un eclairage nouveau & cette histoire, au demeurant assez originale.

Les parents confirmaient que de la chloroquine n'avait pas disparu de I'armoire & pharmacie et, par consequent, que I'anti-paludeen res- ponsable de I'intoxication ne provenait pas de chez eux. Quant & la petite amie, elle fit la relation du deroulement de la soiree au domicile du patient, les parents etant sortis pour un diner en ville.

Tout avait bien commence et se deroulait pour le mieux, jusqu'au moment oe le jeune homme se montra de plus en plus pressant. Face & la resistance de la jeune femme, il utilisa tous les arguments sus- ceptibles, & ces yeux, de convaincre celle-ci, mais malheureu-sement, pour lui, sans succes. Devant son infortune, il alia meme jusqu'au chan-

tage au suicide. En effet, etudiant aux Beaux Arts, et de ce fait possedant de nombreux tubes de peinture, il menaga, si elle ne cedait pas & sa demande, d'avaler le contenu d'un

' ' " -,[ Alrt~::t4b.~ I ~ " tube. Sa menace demeurant sans ~1~.~ ~ effet, il passa & I'acte et avala un tube

I I de peinture jaune, persuade que son ~ i ~ l ' o ' r , ~ geste serait sans aucune conse-

quence, tout au moins pour sa sante. Le fait que la peinture soit jaune est un detail tres important pour la suite de I'histoire.

Ignorant tous deux les risques d'un tel geste, la soiree se poursuivit tant bien que real... Jusqu'au moment o0 le jeune homme, presentant des troubles digestifs et manifestant des signes cliniques allant en s'amplifiant,

les deux partenaires s'affolerent. Cela incita la jeune femme & appe- ler les pompiers.

Les analyses physico-chimiques pratiquees sur les echantillons bio- Iogiques ont confirme les dires de la jeune femme. Malheureusement, la peinture avalee, dans I'esprit du sujet sans risque, sauf & parvenir & ses fins, etait & base de Dune d'acridine. La presence de cette mole- cule expliquait la symptomatologie, heureusement sans gravite, et la reaction de fluorescence observee.

I 'histoire ne dit pas quelles furent, dans ce jeune couple, les suites de cette intoxication involontaire.

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