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Story, story, story J'étais cet été à un festival de littérature, le Feliv, qui se tenait pour sa quatrième édition sur l'esplanade Riad el Feth, sur- plombant la baie d'Alger. La rencontre entre l'écrivain mexicain Jorge Volpi et l'Algérien Kamel Daoud était particuliè- rement intéressante. Le premier revendiquait une curiosité totale, internationale, qui l'avait amené dans sa trilogie à traiter le nazisme en Allemagne dans À la recherche de Klingsor, mai 68 à Paris dans La Fin de la folie et le communisme à la chute du Mur dans Le Temps des cendres. Il se démarquait du réa- lisme magique épuisé (l'écrivain uruguayen Carlos Liscano viendrait le lendemain réitérer cette affirmation) et plaçait ainsi l'écrivain au cœur du politique, du réel, à l'instar de ses collègues du « Crack ». Le second, Kamel Daoud, qui tient tous les jours depuis quatorze ans une chronique dans le Quotidien d'Oran mais ne se sent toujours pas écrivain, expliquait sa position d'autodidacte : adolescent, les écrivains avaient pour lui forcément deux qualités, « la première, c'est qu'ils ont écrit beaucoup de livres, la deuxième, c'est qu'ils sont morts. Et moi, je suis vivant. » Il expliquait qu'une phrase de García Márquez lui avait permis d'entrer en écriture : « L'important c'est de raconter une histoire ». Ça, il s'était dit, je peux le faire. La place de l'écrivain, voire son rôle, réside à mon avis dans la synthèse de ces deux points de vue : l'écrivain est un observateur, un entomologiste du réel qui se doit de constituer une matière première de qua- lité à partir du monde qui l'entoure afin, ensuite, enfermé à sa table de travail, tel un artisan, de restituer cette matière au plus près de ce qu'elle doit exprimer. L'acte d'écrire doit être au service du réel : l'écri- vain a charge de raconter des histoires, tout simplement. Si ça le guérit de sa dépression tant mieux, mais ça c'est en bonus. L'important est ailleurs, dans l'évidence de la tâche à accomplir. Quand Kamel Daoud a cité García Márquez, j'ai pensé à cette phrase d'Alfred Hitchcock (piquée à John Ford) : « Pour faire un bon film, il est trois choses pri- mordiales : l'histoire, l'histoire et l'histoire. » François Beaune n°264 - septembre 2011 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ À Lyon, plus de Place aux livres… Après huit années d’existence et une édition 2010 annulée au dernier moment pour des rai- sons de sécurité liées aux événements qui ont troublé l’ordre public au centre-ville en octobre, Corinne Poirieux et Blandine Haase ont annoncé au mois de juin la fin du salon du livre qui se tenait place Bellecour et de l’association organisatrice. > www.arald.org les écrivains à leur place !!!!!!!!!!!!!!!!!! Livres d’artistes et de poètes Les livres d’artistes de Bertrand Dorny et Anne Walker sont des leporelli, livres dépliants dupliqués en quelques exem- plaires. Avec la complicité de Michel Butor et d’autres poètes, ils dévoilent leurs pages de collages et de poésie à l’Espace du livre d’artistes et de la création éditoriale de Lucinges (74), dans le cadre de l’exposition « Déploiements ». Du 17 septembre au 21 octobre - www.lucinges.fr Rousseau 1712-2012 Célébrer un écrivain « lié charnellement à Rhône-Alpes », c’est la tonalité de la com- mémoration du tricentenaire de la naissance de Jean- Jacques Rousseau, qui sera lancée par la Région Rhône-Alpes les 20 et 21 janvier à Chambéry, haut lieu du rousseauisme. 2012, ce sera donc un « véritable marathon » à travers l’œuvre et les paysages de Rousseau, mais aussi à travers les huit départements de la région, où se multiplient les pro- jets artistiques, pédagogiques et scientifiques. À suivre donc, et à ne pas manquer, les pique-niques républicains prévus le 28 juin prochain, jour anniversaire. www.rousseau2012.rhonealpes.fr www.arald.org/rousseau célébration Lahire, président ! Depuis le 21 juin, l’Arald a un nou- veau président en la personne de Bernard Lahire, à qui Claude Burgelin a donc passé la main, après dix-sept années d’exercice. Chercheur inclas- sable, Bernard Lahire s’est illustré sur le terrain de la culture et de l’éducation, s’intéressant aussi bien à La Culture des individus qu’à l’échec scolaire ou à l’illettrisme. Une façon de tourner autour du livre autant que des écrivains, auxquels il a consacré un livre retentissant, La Condition littéraire. La double vie des écrivains, paru en 2006 suite à une enquête commandée par la Direction régionale des affaires culturelles et la Région Rhône-Alpes. Analyste et observateur, Bernard Lahire le restera dans le cadre de son mandat de président de l’Agence (lire l’entretien p.3). « Dans tous les cas, prévient-il, je ne pourrai faire autrement que garder un œil socio- logique dans ce nouveau rôle. » L. B. © Arald / D. G. Le Règne de la Poire, un essai de Fabrice Erre (Champ Vallon) sur l’esprit bourgeois de la monarchie de Juillet à partir de la caricature en poire de Louis-Philippe. (lire p.11) sur place/p.5 Bibliothèque et numérique « Le numérique, une nouvelle dimension pour les bibliothèques », un thème à la hauteur des attentes des bibliothécaires exprimées lors de la journée du 17 juin. livres& lectures/p.6-9 La rentrée littéraire 1/2 Lise Benincà, Antoine Choplin, Brigitte Giraud, Anne Maro, Virginie Ollagnier, Fabienne Swiatly, Alain Turgeon, Fabio Viscogliosi. vie littéraire/p.2 Les bourses d’écriture Douze écrivains, un traducteur, cinq auteurs de bande dessinée… Présentation des boursiers 2011 de la Drac Rhône-Alpes et de la Région.

livre et lire n°264 - septembre 2011

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L'Arald publie chaque début de mois "livre&lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-hebdo et Livres de France publiées par le Cercle de la Librairie

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Page 1: livre et lire n°264 - septembre 2011

Story, story,storyJ'étais cet été à un festival de littérature,le Feliv, qui se tenait pour sa quatrièmeédition sur l'esplanade Riad el Feth, sur-plombant la baie d'Alger. La rencontreentre l'écrivain mexicain Jorge Volpi etl'Algérien Kamel Daoud était particuliè-rement intéressante. Le premier revendiquait une curiositétotale, internationale, qui l'avait amenédans sa trilogie à traiter le nazisme en

Allemagne dans À la recherche de Klingsor,mai 68 à Paris dans La Fin de la folie et le communisme à la chute du Mur dansLe Temps des cendres. Il se démarquait du réa-lisme magique épuisé (l'écrivain uruguayenCarlos Liscano viendrait le lendemainréitérer cette affirmation) et plaçait ainsil'écrivain au cœur du politique, du réel, àl'instar de ses collègues du « Crack ». Le second, Kamel Daoud, qui tient tous lesjours depuis quatorze ans une chroniquedans le Quotidien d'Oran mais ne se senttoujours pas écrivain, expliquait sa positiond'autodidacte : adolescent, les écrivains avaientpour lui forcément deux qualités, « la première,c'est qu'ils ont écrit beaucoup de livres, ladeuxième, c'est qu'ils sont morts. Et moi, jesuis vivant. » Il expliquait qu'une phrase deGarcía Márquez lui avait permis d'entrer enécriture : « L'important c'est de raconter unehistoire ». Ça, il s'était dit, je peux le faire.La place de l'écrivain, voire son rôle, résideà mon avis dans la synthèse de ces deuxpoints de vue : l'écrivain est un observateur,un entomologiste du réel qui se doit deconstituer une matière première de qua-lité à partir du monde qui l'entoure afin,ensuite, enfermé à sa table de travail, tel unartisan, de restituer cette matière au plusprès de ce qu'elle doit exprimer. L'acted'écrire doit être au service du réel : l'écri-vain a charge de raconter des histoires, toutsimplement. Si ça le guérit de sa dépressiontant mieux, mais ça c'est en bonus.L'important est ailleurs, dans l'évidence dela tâche à accomplir. Quand Kamel Daoud acité García Márquez, j'ai pensé à cette phrased'Alfred Hitchcock (piquée à John Ford) :« Pour faire un bon film, il est trois choses pri-mordiales : l'histoire, l'histoire et l'histoire. »François Beaune

n°264 - septembre 2011le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +À Lyon, plus de Place aux livres… Aprèshuit années d’existence et une édition 2010annulée au dernier moment pour des rai-sons de sécurité liées aux événements quiont troublé l’ordre public au centre-villeen octobre, Corinne Poirieux et BlandineHaase ont annoncé au mois de juin lafin du salon du livre qui se tenait placeBellecour et de l’association organisatrice.

> www.arald.org

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! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Livres d’artistes et de poètesLes livres d’artistes de Bertrand Dornyet Anne Walker sont des leporelli, livresdépliants dupliqués en quelques exem-plaires. Avec la complicité de Michel Butoret d’autres poètes, ils dévoilent leurs pagesde collages et de poésie à l’Espace du livred’artistes et de la création éditoriale deLucinges (74), dans le cadre de l’exposition«  Déploiements  ». Du 17 septembre au

21 octobre - www.lucinges.fr

Rousseau 1712-2012Célébrer un écrivain « liécharnellement à Rhône-Alpes »,c’est la tonalité de la com-mémoration du tricentenairede la naissance de Jean-Jacques Rousseau, qui sera

lancée par la Région Rhône-Alpesles 20 et 21 janvier à Chambéry,haut lieu du rousseauisme. 2012, cesera donc un « véritable marathon »

à travers l’œuvre et les paysagesde Rousseau, mais aussi à traversles huit départements de larégion, où se multiplient les pro-jets artistiques, pédagogiques etscientifiques. À suivre donc, et àne pas manquer, les pique-niquesrépublicains prévus le 28 juinprochain, jour anniversaire.

www.rousseau2012.rhonealpes.fr www.arald.org/rousseau

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Lahire,président !Depuis le 21 juin, l’Arald a un nou-veau président en la personne deBernard Lahire, à qui Claude Burgelina donc passé la main, après dix-septannées d’exercice. Chercheur inclas-sable, Bernard Lahire s’est illustrésur le terrain de la culture et del’éducation, s’intéressant aussi bienà La Culture des individus qu’àl’échec scolaire ou à l’illettrisme.Une façon de tourner autour du livreautant que des écrivains, auxquelsil a consacré un livre retentissant,La Condition littéraire. La double viedes écrivains, paru en 2006 suite àune enquête commandée par laDirection régionale des affairesculturelles et la Région Rhône-Alpes.Analyste et observateur, BernardLahire le restera dans le cadre de sonmandat de président de l’Agence(lire l’entretien p.3). « Dans tous lescas, prévient-il, je ne pourrai faireautrement que garder un œil socio-logique dans ce nouveau rôle. » L. B.

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Le Règne de la Poire, un essai de Fabrice Erre (Champ Vallon) sur l’esprit bourgeoisde la monarchie de Juillet à partir de la caricature en poire de Louis-Philippe. (lire p.11)

sur place/p.5Bibliothèque et numérique« Le numérique, une nouvelledimension pour les bibliothèques »,un thème à la hauteur des attentes des bibliothécaires exprimées lors de la journée du 17 juin.

livres&lectures/p.6-9La rentrée littéraire 1/2Lise Benincà, Antoine Choplin,Brigitte Giraud, Anne Maro, Virginie Ollagnier, Fabienne Swiatly,Alain Turgeon, Fabio Viscogliosi.

vielittéraire/p.2Les bourses d’écritureDouze écrivains, un traducteur, cinq auteurs de bandedessinée… Présentation desboursiers 2011 de la DracRhône-Alpes et de la Région.

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d’Abrigeon, poète performer co-fondateur ducollectif Boxon et du site de poésie contemporaineTapin, qui se sent conforté dans son « projetpoétique totalement fou… » « C’est important »,confirme la romancière Florence Delaporte, « dese sentir soutenu pour des projets qui nous dépas-sent, mais aussi de se retrouver ensemble, les unset les autres, dans une dynamique de recherche ».

Au bord de la falaise

Ni Jean-Luc Bayard, sur le terrain de la poésiecomme sur celui de la critique, ni William Pellier,sur celui du théâtre, jusque-là rarement consi-déré dans le cadre de ce dispositif d’aide à la créa-tion littéraire, ne contesteront leurs affinités aveccette même dynamique expérimentale, à larecherche d’une singularité de pensée et d’écriture.

Ce dernier, quia conscience demener « un tra-

vail difficile », le dit lui-même : il abesoin de temps pour « creuser un che-min inaccessible » et donner naissanceà « des textes illisibles qui prennent leursens sur la scène ».À entendre ces auteurs, il apparaît queles bourses d’écriture constituent nonseulement un soutien financier bien-venu dans un contexte où, pour laplupart, le « second métier » s’avèreécrasant, mais aussi un encourage-ment qui a à voir avec une formede reconnaissance ou tout au moins d’atten-tion portée à une œuvre en train de se construire.C’est le cas pour un écrivain comme LionelSalaün, qui travaille à son deuxième roman, aprèsLe Retour de Jim Lamar (Liana Levi) ; mais aussi

Les bourses d’écriture de la Drac Rhône-Alpeset de la Région

Tous ensemble !Pour la première fois depuis l’existence dece double dispositif, les auteurs de littéra-ture et ceux de bande dessinée recevaientleur bourse d’écriture de la Drac Rhône-Alpeset de la Région au cours d’une même céré-monie de remise, organisée à Lyon le 20 juin.

Douze écrivains et un traducteur bénéficient cetteannée d’une bourse d’écriture attribuée par laDirection régionale des affaires culturelles et laRégion Rhône-Alpes, avec le concours de l’Arald ;par ailleurs, cinq auteurs de bande dessinéesont distingués par la Région pour leur travailde scénariste ou d’illustra-teur. Un double dispositif,complémentaire de celui duCentre national du livre etl’un des plus ambitieux enrégion, qui donne une placecentrale aux créateurs dansles politiques publiquesmenées dans le domaine dulivre et de la lecture.C’est ce qu’ont rappelé FaridaBoudaoud, Vice-présidente duConseil régional Rhône-Alpesdéléguée à la Culture, et AlainLombard, Directeur régional desaffaires culturelles, présents à cetteoccasion. Un moment de rencontreet d’échange avec les auteurs, qui,cette année, représentent une imposante diver-sité de projets littéraires, de styles et d’écritures.Et pourtant, à sa manière, chacun a soulignél’importance que ces aides revêtent pour desécrivains, des poètes et des auteurs de théâtre,dont le travail s’affiche du côté de la singularitéet de l’expérimentation.C’est bien évidemment le cas de Robert Alexis,dont l’œuvre romanesque s’amplifie chaqueannée (dernier exemple en date, Mammon), aurythme régulier des parutions aux Éditions Corti ;mais aussi d’Arno Bertina, auteur de plusieurslivres (Ma solitude s’appelle Brando, Animamotrix…, chez Verticales) qui, selon lui, « néces-sitent des médiateurs, dont l’État et d’autres col-lectivités publiques font partie. » Aux yeux de l’écri-vain, cette politique d’aide à la création littéraireest la possibilité de « soutenir des œuvres singu-lières et de permettre aux auteurs de faire ces livres,parfois étranges ou difficiles ».Même écho chez Jean-Baptiste Cabaud, quiprépare « un livre de poésie basé sur des pro-totypes de l’armée soviétique des années soixante »,et s’interroge légitimement sur l’aspect « fédé-rateur » d’un tel projet…  ; ou chez Julien

pour Emmanuelle Pireyre, qui, après trois livres,prépare un nouvel « ouvrage de littérature aucroisement de la poésie, de la fiction et de l’essai » ;ou encore pour Paola Pigani, qui entend passerde la nouvelle (Concertina, paru aux Éditions duRocher, a reçu le Prix Prométhée de la nouvelle)au roman et a désormais « l’impression d’être aubord d’une falaise », d’où on la pousse à sauter…C’est aussi cela l’aventure littéraire, s’élancer versdes territoires inconnus, comme l’a fait récem-ment Yves Hughes, avec son dernier roman, Enchantier (Stock), qui entend bien « continuer ! » ;ou encore le traducteur Philippe Vigreux, qui

travaille à la traduction descinquante-deux Séances del’écrivain de langue arabeBadî-Zamân al-Hamadhâni ;ou enfin Françoise Perriot,qui, après avoir parcourudans sa vie et dans ses

livres les grandsespaces de l’Amériquedu Nord, vit son aven-ture à elle dans lesterres du Diois, où elles’est installée. « C’estun travail de solitaire,dit-elle, et j’ai l’impres-sion tout à coup de metrouver là au milieud’une grande famille. »Belle image familialeque les auteurs debande dessinée –Peggy Adam, Efix,Gaët’s, LaurentGalandon et EstelleMeyrand –, présentspour la première foisau même titre queleurs collègues écri-vains et traducteur,ont repris à leurmanière : « C’est unereconnaissance de labande dessinée qui estencore trop souventconsidérée commeune sous-littérature »,a plaidé LaurentGalandon, avant deconclure  : «  Noussommes tous desraconteurs d’histoires ».Alors, que ce soit deleurs mots ou de leursimages, les lecteurssont impatients. L. B.

vie littéraire

Les bourses d’écriture de laDirection régionale des affairesculturelles (Drac Rhône-Alpes)et de la Région Rhône-Alpes

5 bourses de découverte à 4 000 € : 5 bourses d’encouragement à 5 000 € ;3 bourses de création à 13 000 €Robert Alexis, Jean-Luc Bayard, Arno Bertina, Jean-Baptiste Cabaud,Julien d’Abrigeon, Florence Delaporte,Yves Hughes, William Pellier, Françoise Perriot, Paola Pigani,Emmanuelle Pireyre, Lionel Salaün,Philippe Vigreux (traduction)

Les bourses d’écriture de la RégionRhône-Alpes pour les scénaristes etles scénaristes-illustrateurs debande dessinée

1 bourse d’encouragement à 7 000 € ; 4 bourses de découverte à 4 000 €Peggy Adam, Laurent Galandon, Estelle Meyrand, Efix, Gaët’s

rep

ères

De gauche à droite et de haut en bas : LaurentGalandon © Manuel Picaud / Efix / Jean-BaptisteCabaud © Philippe Charlin / Florence Delaporte© C. Hélie - Gallimard / Arno Bertina / EstelleMeyrand / Paola Pigani © Maxime Roccisano /Gaet’s / Emmanuelle Pireyre © EmmanuellePireyre / Yves Hughes © C. Hélie - Gallimard /Julien D’Abrigeon © Le Plateau / Robert Alexis ©José Corti / Françoise Perriot © Hermance Triay /Peggy Adam / Lionel Salaün / Jean-Luc Bayard ©C.Niski / William Pellier

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Vous êtes sociologue, chercheur, enseignant, auteurde nombreux ouvrages… bref, vous ne manquezpas d’occupations… Pour quelle raison avez-vousaccepté de vous présenter à l’élection pour deve-nir le président de l’Arald et qu’est-ce qui vousintéresse dans une association telle que celle-ci ?La première fois que l’on m’a suggéré que je pourraisêtre un jour président de l’Arald, j’ai ri à l’idée qu’onpuisse penser à moi. C’est vous dire à quel point celane s’est pas imposé à moi avec une évidence natu-relle… Ce qui m’a progressivement amené à changerma perception des choses, c’est que j’ai eu le senti-ment que je pouvais rendre service à un secteurculturel – celui du livre – qui a plus que jamais besoind’être soutenu. En tant que sociologue, je suis depuislongtemps l’évolution, peu réjouissante pour leshommes et femmes qui croient en la culture, des pra-tiques culturelles, et plus particulièrement des pra-tiques de lecture. L’Arald, dont je connais le travaildepuis longtemps, et qui est l’une des toutes meilleuresagences régionales dans sa catégorie sur le plan natio-nal, constitue un outil formidable pour faire vivre lelivre (quel qu’en soit le genre). Et puis cela a du sensdans mon parcours biographique. Je pourrais direque je dois beaucoup, dans ma vie, à l’école et à l’écrit.Cela n’est pas un hasard si la plupart de mes travauxy reviennent sous des angles à chaque fois renouve-lés : les difficultés des enfants de milieux populairesface à la culture écrite scolaire, les modes populairesd’appropriation des textes, les usages domestiqueset professionnels de l’écrit, la question publique del’« illettrisme », les conditions matérielles et tempo-relles d’exercice de la littérature ou, plus récemment,l’œuvre de Franz Kafka. Accepter d’être prési-dent de l’Arald est une manière de poursuivrece travail de contre-don par rapport à un universauquel je tiens beaucoup.

En tant que sociologue, vous cultivez habituellementune position d’observateur et d’analyste. La pré-sidence d’une agence régionale du livre commel’Arald suppose de votre part une envie de vousengager dans l’action et dans la politiqueculturelle. Pourquoi avez-vous eu le désir de vousimpliquer de cette manière ?J’espère bien continuer, dans ma fonction même dePrésident de l’Arald, à être observateur et analyste.L’Arald n’a cessé de faire appel au cours de son his-toire à des chercheurs (sociologues, économistes, etc.)pour éclairer la vie des auteurs, le monde des éditeursou des libraires, les manifestations littéraires, etc.Le rôle de président n’est pas celui de directeur.Il éclaire, suggère, propose sur la base des connais-sances qui sont les siennes. Dans tous les cas, jene pourrai faire autrement que garder un œilsociologique dans ce nouveau rôle.

Quelle image avez-vous de l’Arald etquels sont, à votreavis, les points fortset les points faiblesde l’agence ?Je sais que l’Arald est une agence qui travaille bien etqui bénéficie d’une très bonne image à l’extérieur dela Région. Un travail de fond est réalisé – auprès desauteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires,etc. – avec rigueur et modestie par une équipe trèsprofessionnelle. C’est réjouissant, pour quelqu’uncomme moi, de voir un si bel ascétisme collectifau service du livre. Pour ne pas avoir de pointsfaibles, il faudra surtout veiller à être présents etactifs sur tous les chantiers d’avenir.

Quels sont, selon vous, les grands chantiers à venirpour les acteurs du livre et donc pour une agencerégionale qui s’efforce de soutenir et de promou-voir leur travail ?Je pense bien sûr à la question de l’édition numériqueou à l’aide aux libraires qui souffrent de plus en plusde la désaffection des lecteurs, mais aussi à tous lesliens qui pourraient être tissés entre le système édu-catif (de l’école maternelle et primaire à l’enseigne-ment supérieur) et les auteurs. Les sociologues de l’édu-cation et de la culture un peu partout dans le mondeont montré que plus les expériences culturelles ontété faites tôt et répétées durant l’enfance et plus ellesont une chance de se poursuivre à l’âge adulte. Leshabitudes culturelles doivent être prises très tôt si l’onveut qu’elles s’installent durablement. Après, il est sou-vent trop tard et La Princesse de Clèves ne peut, dansces cas-là, que passer pour un instrument de tortureutilisé par des professeurs sadiques.

Un mot sur l’« outil » qu’est l’Arald. Est-il encoreadapté, selon vous, au contexte actuel de l’écono-mie du livre marqué par la crise économique etl’évolution foudroyante du numérique ?Il est évident qu’on attendrait de l’État de grandes ambi-tions éducatives, culturelles, artistiques. Des mots telsqu’« émancipation » ou « esprit critique » ont disparudu discours de nos politiques. Dans les grands partispolitiques, rares sont ceux qui ont foi dans les vertusde la culture. La culture est devenue trop souvent unesorte de supplément d’âme, une façon de se forgerune belle image de marque, un moyen aussi d’attirerdes touristes… Et le jour où on pensera qu’on peutobtenir les résultats escomptés par d’autres moyens(par exemple, le sport), ce sera la mort des politiquesculturelles. L’Arald s’impose donc comme un outil indis-pensable en temps de crise. Quand un bateau naviguepar gros temps, on a plus que jamais besoin de mate-lots compétents à bord pour éviter le chavirage. Région

et Drac Rhône-Alpes permettent à l’Agence de jouerun rôle très actif dans la vie du livre et de faire de cetterégion un espace particulièrement accueillant et encou-rageant pour les auteurs. Par ailleurs, le numérique n’estcertainement pas une « révolution » qui va faire tablerase du passé. À mon sens, le livre papier n’est pasprêt de disparaître pour de nombreuses raisons qu’ilserait trop long de développer. Cela n’empêche pas lefait que l’Arald devra tenir compte du développementde l’édition numérique.

Vous avez beaucoup travaillé sur « la conditiondes écrivains », mais comment percevez-vousplus globalement l’état actuel de la chaîne dulivre et de ses différents maillons ?Il me semble que l’ensemble de cette chaîne a étéaffaibli au cours des dernières décennies. Tout d’abord,le rapport de force entre « culture » et « divertisse-ment » n’a cessé de se déséquilibrer en faveur dessecondes, du fait des processus de privatisation deschaînes télévisuelles ou d’ouverture des ondes à laconcurrence radiophonique et des logiques commer-ciales de l’audimat, du fait aussi d’un affaiblissementdes grandes politiques culturelles volontaristes et dela montée d’une humeur anti-intellectualiste. On aassisté aussi à la perte d’influence de la culture huma-niste classique au sein même du système d’enseigne-ment au profit d’une sélection par les mathématiques,qui a contribué au désinvestissement littéraire desmeilleurs élèves et à la baisse générale de la cote d’unesérie de matières scolaires associées à cette culturehumaniste (latin, grec, français, philosophie, histoire,etc.). Il n’y a pas un seul maillon de la chaîne quin’ait été touché par cette lame de fond (éditeurs,librairies, bibliothèques, presse culturelle, etc.).Il faut donc plus que jamais résister.

À titre personnel, que vous souhaitez-vous pourcette présidence ?D’y apprendre des choses.

Propos recueillis par L. B.

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Bernard Lahire : un nouveau président pour l’Arald

Un œil sociologiqueLe 21 juin, le sociologue Bernard Lahire a été élu présidentde l’Arald par le conseil d’administration, suite à l’assembléegénérale qui s’est tenue le même jour. Succédant à ClaudeBurgelin, cet universitaire et chercheur de renom est notam-ment l’auteur de La Condition littéraire (La Découverte), unouvrage paru en 2006 suite à une enquête commandée parla Direction régionale des affaires culturelles et la RégionRhône-Alpes.

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Bernard Lahire est né à Lyon en 1963. Il est actuelle-ment Professeur de sociologie à l’École normale supé-rieure de Lyon (depuis 2000), responsable de l’Équipe« Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations » etdirecteur-adjoint du Centre Max Weber (UMR 5283CNRS), et dirige la collection « Laboratoire des sciencessociales » aux Éditions La Découverte depuis 2002.Bernard Lahire est l’auteur de dix-sept ouvrages,dont La Culture des individus (La Découverte, 2004),La Condition littéraire. La double vie des écrivains(La Découverte, 2006), La Raison scolaire. École et pratiquesd’écriture, entre savoir et pouvoir (Presses universitairesde Rennes, 2008), Franz Kafka. Éléments pour une théoriede la création littéraire (La Découverte, 2010).

D.R

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Découvrir l’univers d’un écrivainautour d’une table ou devant unverre ? Pour leur 16e édition, du 29septembre au 2 octobre, les Caféslittéraires de Montélimar réunis-

sent à nouveau auteurs et lecteurs dansles cafés de la ville.

Difficile de ne pas croiserun écrivain à Montélimardurant ces cinq joursconsacrés aux rencontreslittéraires dans les cafés.Une trentaine de lieuxparticipent au festivalpour des thés, apéritifsou grenadines littéraires,selon les horaires et lespublics. Les invités d’hon-neur, Fabrice Humbert,auteur de La Fortune deSila (Éditions Passage), etVéronique Vernette, pourses nombreux ouvragesde littérature jeunesse,sont bien entourés. Une trentaine d’auteurs,dont Jeanne Benameur, Alain Mabanckou,Jean-Pierre Martin, Nicolas Fargues, Jean-Claude Mourlevat, ou Dominique Sigaudviennent évoquer leur travail à partir desparutions dans l’année. La maison d’éditionlyonnaise Les Moutons électriques, spéciali-sée dans les littératures de l’imaginaire, estégalement conviée pour une table ronde surles métiers du livre.

Exploration des genres et des styles, mais aussidiversification des publics, puisque la mani-festation innove avec la création d’un nou-vel espace baptisé « Lire Autrement ». Le lieuaccueille des associations qui encouragentla lecture auprès des publics dits « empê-

chés » : Lire dans le Noir,La Bibliothèque sonore,les Éditions Ouïe direet Audiolib Éditeur. Parailleurs, des lecturescroisées et des ateliersde création de textes àl’oral, à l’écrit et sousforme numérique sontégalement prévus danscertains quartiers de laville, pour les habitantséloignés de la lecture.Les jeunes lecteurs sontégalement les bienve-nus avec un espacepour les petits, des jeuxde piste et une grena-dine littéraire  animée par

Véronique Vernette. Enfin, une journée pro-fessionnelle sur la bibliothèque numériqueest prévue, à l’initiative des bibliothèquespartenaires de la Drôme et de l’Ardèche.Un ambitieux programme littéraire pourla rentrée. Julie Banos

Les cafés littéraires de MontélimarDu 29 septembre au 2 octobrewww.lescafeslitteraires.fr

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Fage Éditions : une librairie à Paris

Librairied’éditeursEn mai 2009, la maison lyonnaiseFage Éditions rachetait le fondsdes éditions Scala et Gilles Fages’associait à Michel Guillemotpour créer les Nouvelles ÉditionsScala. Deux ans plus tard, la mai-son, implantée dans le Ve arron-dissement de Paris, déménage àquelques pas de porte et ouvreune librairie d’éditeurs.

Profitant du plan d’action« Vital’Quartier » de la Ville de Paris,visant à préserver dans le Quartierlatin la présence de commercesculturels et notamment des librairies,les Nouvelles Éditions Scala s’instal-lent donc à des conditions préféren-tielles dans un local de 24 m² à proxi-mité de la Sorbonne. Dans ce nouvelespace en rez-de-chaussée doté d’une

vitrine, Gilles Fage et MichelGuillemot ont eu envie dedévelopper un projet de librai-rie original, avec un fonds spé-cialisé dans le domaine desbeaux-arts. Il ne s’agit pas vrai-ment de devenir libraire, maisplutôt de profiter de ce lieupour offrir une vitrine à depetites maisons d’éditioninstallées principalement enrégion. Il leur est ainsi proposéde laisser en dépôt quelquestitres de leur catalogue, avecune remise fixée à 40 %. Les éditeurss’engagent aussi à organiser deux ani-mations par an (lecture, rencontre ouexposition). Comme l’explique GillesFage, avec cette librairie d’éditeurs,« l’idée est d’offrir au public un lieuouvert, où il puisse trouver des ouvragesdans des éditions soignées, assister àdes débats, rencontrer des auteurs ».En tout, une dizaine d’éditeurs parti-cipent à l’aventure, et, parmi eux,quelques éditeurs de Rhône-Alpes :Fage Éditions, Champ Vallon, pour sesouvrages de sciences humaines, et les

Éditions Stéphane Bachès pour sacollection « vinyls ». Une rencontrecroisée Fage Éditions / Champ Vallonaura d’ailleurs lieu en octobre.Marie-Hélène Boulanger

« Cela fait trois ans que nous étionsdans un lieu sympathique, mais tropen longueur, avec une toute petitevitrine, situé sur une place peu pas-sante  ». Depuis leur installation,début septembre, rue de Chambéry,une artère animée et commerçante,Romain Cabanes, propriétaire de laLibrairie des Danaïdes, est beaucoupplus optimiste : « Sans ce déménage-ment, nous aurions mis la clef sous laporte », dit-il. Les librairies sont nom-breuses à Aix-les-Bains et le nombrede lecteurs pas toujours suffisant, maisdans son nouveau local de 70 m2, lelibraire multiplie les projets. « Nousdisposons désormais d’un espace carréet les livres seront plus visibles. Nousallons mettre en valeur le rayon jeu-nesse ainsi que les nouveautés, et casser cette image de petite librairie éli-tiste qui nous poursuit». Si tout se passecomme prévu, Romain Cabannes pré-voit de renforcer l’équipe avec un sala-rié à mi-temps à partir de décembre. Du côté de Bourg-en-Bresse, depuisfin avril, la Librairie Montbarbon s’est

installée place Carriat. Avec un localde 750 m2 et une équipe de 19 per-sonnes, Philippe Montbarbon croit au« pouvoir d’attraction du centre-villepour la clientèle ».La concurrence estrude depuis l’ouverture récente dedeux grandes surfaces du livre en péri-phérie, une raison de plus pour resterau cœur de la cité. Le libraire proposedésormais CD et DVD et continue àfaire vivre des rayons BD, jeunesse,sciences humaines, littérature, polaret tourisme très fournis. « Nous allonségalement renforcer le secteur Beaux-Arts pour les clients en quête de beauxobjets ou de livres accessibles sur l’art »,explique Philippe Montbarbon, quin’oublie pas ses objectifs : « Plaisir, loi-sir, liberté de circulation, conseil ». J. B.

Librairie des Danaïdes9, rue de Chambéry73100 Aix-les-Bainswww.librairie-danaides.com

Librairie Montbarbon14, place Carriat01000 Bourg-en-Bressewww.montbarbon.com

actualités /édition

La Librairie 5, rue du Sommerard75005 ParisOuvert du lundi au samedi10-13h et 14-19hTél. 09 50 91 55 33

Dans les cartonsLa Librairie des Danaïdes à Aix-les-Bains et la librairie Montbarbon àBourg-en-Bresse ont quitté leurslocaux pour un meilleur emplace-ment dans la ville. Une nécessitépour faire face aux difficultésdu métier.

Éditeurs en ligneOn les attendait depuis longtemps surla Toile… Deux importantes maisonsd’édition de Rhône-Alpes, Créaphis etFage Éditions, ont désormais leur siteInternet. Retrouvez désormais leurcatalogue et leurs actualités en lignesur www.editions-creaphis.com etwww.fage-editions.c.la.

Lectures au comptoir

/ librairie

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de promouvoir les choix critiques desbibliothécaires ; de Facebook à lamode de Chassieu, dont la média-thèque, à la recherche d’une identiténumérique forte, a multiplié les vec-teurs d’information, y compris la pla-teforme préférée du public jeune ;et enfin de Bmol, le décoiffant « blogmusical qui a toujours une oreillequi traîne » des bibliothèques deGrenoble ; on a pu constater toute ladifficulté de ce nouveau métier auquelse vouent désormais certains biblio-thécaires : faible engagement deséquipes, frilosité des tutelles, difficultésà communiquer sur ces outils en ligneet à quantifier la fréquentation de cesnouvelles portes d’entrée dans labibliothèque, faiblesse des retours dupublic, mais surtout difficulté à pro-duire des contenus, que ce soit descommentaires sur des livres ou desvidéos, des coups de cœur ou desdossiers sur les fonds patrimoniaux.« Devenir des journalistes de nos col-lections », tel pourrait être l’objectifdes bibliothécaires du Web. Autant direqu’il s’agit d’un véritable changementde métier, même si la règle d’or doit être defaire avec les moyens du bord et de renoncerà la sacro-sainte « culture de la perfection ».On ne peut donc s’empêcher d’avoir le sentimentque, peu ou prou, « les bibliothécaires parlent auxbibliothécaires », même si, pour Anne Theureau,le blog musical grenoblois est aussi une impor-tante source d’informations, une façon demobiliser les collègues, un lien avec l’extérieuret surtout la chance d’« une nouvelle imagepour la bibliothèque, qui en a bien besoin… »

Contre la fracture numérique

Cette nouvelle activité de médiation numériquea des conséquences, non seulement sur l’espaceau sein des établissements et sur l’organisationdu travail, mais aussi sur les fondements dumétier lui-même, comme l’a souligné MartineVilleton-Pachot : « On ne prescrit plus, mais leslecteurs partagent, et on n’est plus les seulsexperts. » Bref, l’interactivité remet en cause lesbibliothécaires, même si, estime-t-elle, « il s’agitd’une révolution réjouissante où l’on aura toutenotre place ».Et l’on peut y croire, à entendre le commentairede Bertrand Calenge sur une récente enquêtemenée par la Bibliothèque municipale de Lyonautour de l’utilisation par le public des postesInternet. En effet, si 59 % des utilisateurs ont unréel besoin de la connexion proposée gratuitementpar la bibliothèque – à travers des postes en libreaccès, un espace numérique ou l’accès Wifi –,

Une journée « bibliothèque et numérique »

Hors les mursLe 17 juin, à Lyon, la bibliothèque de la Part-Dieu accueillait une journée sur les enjeuxdu numérique pour les bibliothèques orga-nisée par l’Arald, en partenariat avec lesmédiathèques des pays de Romans, Médiatet la Drac Rhône-Alpes. De quoi préparerl’avenir du cyber-bibliothécaire…

Décidément, le numérique fait salle comble.À la Part-Dieu, on a dû refuser du monde, tantles bibliothécaires de la région se sont sentisconcernés par la problématique annoncée : « Lenumérique, une nouvelle dimension pour lesbibliothèques ». À l’issue de cette journée, forceétait de constater que l’intitulé ne mentait pas.Le numérique, notamment à travers le nouveaubond en avant que représente le Web 2.0, s’il n’estpas aussi enchanteur que certains le prétendent,n’en reste pas moins une évolution décisive dansles comportements des usagers ; voire une révo-lution, qui brouillerait les cartes de l’informa-tion jusque-là sagement distribuées entre « pro-fessionnels », détenteurs du savoir et de l’usagedes sources documentaires. À l’heure du « grandpartage », auquel cette nouvelle conceptionparticipative du Web est censée mener, les ins-titutions du livre et de la documentation ontdonc du souci à se faire quant aux fondementsde leur légitimité.Réseaux sociaux, interactivité, nouvelles com-munautés, « mobiquité »…, les concepts ne man-quent pas pour tenter de saisir ce changementcopernicien dans la galaxie de l’information etde la communication. Pour Lionel Dujol, qui assu-rait l’introduction à la première partie intitulée« Des bibliothèques présentes sur Internet : pourquoi faire ? », « le Web est devenu une grandeconversation » dans laquelle les intermédiairesdisparaissent, et où prime désormais le « moteurde recherche humain », plus efficace que les algo-rithmes traditionnels qui permettaient jusque-là de hiérarchiser l’information. « Une chanceextraordinaire pour réaffirmer notre capacitéde conseil et d’intervention dans la société del’information », s’enthousiasmait le bibliothécairedes Médiathèques des pays de Romans, qui aappelé ses collègues à considérer l’Internet nonpas comme une menace, mais comme une chance.

Produire des contenus à toute heure

À travers les expériences du blog patrimonialAnnecy Libris, menée par les bibliothèques dela Communauté d’agglomération d’Annecy, quicherche à créer une dynamique de mise en valeurdes fonds patrimoniaux ; du site Babelio, tentéepar le réseau des bibliothèques valentinoises afin

« il s’agit là d’un service majeur et non d’un sup-plément d’âme ». D’autant que l’offre Internetapparaît aussi comme un facteur de fidélisation.Nouveaux médias, nouveau public de lecteursdans les bibliothèques ? Rien n’est moins sûr,même si certaines expériences menées dans depetits établissements en milieu rural semblentconcluantes. Ainsi, l’offre de lecture de la pressemagazine sur tablette électronique à la média-thèque de Tence, en Haute-Loire ; celle de lapresse en ligne à distance offerte aux abonnésde la petite bibliothèque de Viuz-en-Sallaz parle biais du réseau Savoie-Biblio ; ou encore celled’un pôle multimédia très riche pour unebibliothèque de taille modeste comme à Saint-Étienne-du-Bois. Une façon de lutter contre lafracture numérique et d’envisager autrementl’aménagement du territoire. Un terrain cherau Ministère de la Culture, comme l’a rappeléNoëlle Drognat-Landré, conseillère pour le livre,la lecture et les archives à la Drac Rhône-Alpes,qui notait en ouverture de cette journée quel’équipement décroît avec la population des-servie. C’est elle aussi qui, concluant, constataitque beaucoup de questions restaient à débattre.De quoi au moins alimenter une nouvelle journéeprévue en octobre… L. B.

Retrouvez tous les documents sur :www.netvibes.com/bibliotheque-et-numeriquehttp://bibliotheques.agglo-annecy.fr/annecylibriswww.babelio.comwww.bmol-grenoble.info

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“Pas d’inquiétude” : un roman de Brigitte Giraud sur le don et la dette

Le don du tempsMehdi, un enfant d’une dizaine d’années, développe une grave mala-die du sang. « Pas d’inquiétude », disent les médecins. Pourtant, le casest sérieux et contraint son père à déserter son travail pour demeurerau chevet de son rejeton. Entre eux, avec peu de mots et infinimentde pudeur, une relation à la fois forte et fragile va s’établir, compen-sant l’éloignement de la mère, accaparée par de nouvelles obligationsprofessionnelles… Dans son nouveau roman, Brigitte Giraud parle ànouveau de perte, de douleur, mais aussi de générosité – ce rayon desoleil dans l’eau glacée… V. R.�

rentrée littéraire

Votre livre commence par une dédicacepersonnelle à la mémoire d’un de vospersonnages, le Docteur Clavel, ets‘achève par la retranscription d’unebrève d’information qui semble avoirinspiré le roman. Pourquoi avoir circons-crit votre fiction par ces deux élémentsde réel ?Le fait divers que je relate à la fin du

roman en a été, non pas le déclencheur, maisl’élément qui m’a bouleversée, puis dérangée,au point que j’ai dû l’intégrer à la narration.Cette histoire de collègues de travail qui don-nent collectivement, anonymement et massi-vement des jours de leurs congés pour aiderl’un des leurs et son fils malade, est pour lemoins troublant, dans un monde où l’indivi-dualisme, la compétition, le contentement desoi et le profit sont des moteurs prédominants.Mais après le choc éprouvé face à la beauté dugeste,  j’ai eu l’intuition que ce cadeau étaitcomme un piège, et j’ai voulu comprendre. Ilest plus facile de donner que de recevoir. Celivre parle du don, de la dette et aborde la ques-tion de la solidarité et des autres. De même, laprésence du Docteur Clavel fait référence à unmédecin d’une grande valeur humaine, que j’aibien connu, et qui est mort très injustement à46 ans, avant certains patients qu’il a sauvés.Ce livre est un hommage. Ce double ancragedans le réel était nécessaire, un roman naîttoujours d’un télescopage entre le dedans etle dehors, le réel et l’obsessionnel. J’ai besoinde m’inscrire dans une réalité sociale et deme coltiner l’éternelle question : celle desdominants et des dominés, à divers titres.  

L’identité du narrateur, le père, est floue ;la maladie du fils, dont on ne connaît pasl’issue, n’a pas de nom. En réalité, plus quede celle-ci ou de la mort, ce roman parle del’effacement, de l’invisible…Oui sans doute. La maladie est invisible (pardéfinition). Passer ses journées à la maison avec

son fils, c’estappartenir aumonde de l’invi-sible, n’avoir rien à raconter le soir, ne pas tra-vailler, c’est faire partie des ombres, ne pluscompter socialement, disparaître aussi aux yeuxde sa propre famille, de ses amis. Comment peutexister un enfant qui ne va pas à l’école ? Onlui parle de quoi ? On lui transmet quoi ? C’estun roman sur le temps, le dernier des tabous,la dernière des choses qu’on sait donner.L’homme donne son temps à son fils et les col-lègues donnent leur temps au père. C’est verti-gineux, tout ce temps, ça me fait très peur. Parcequ’on est obligé d’affronter les vraies questions.Avoir le temps empêche de fuir. Et le temps nese voit pas. Ce n’est pas un livre qui parle de lamort, ni même de la maladie, mais qui tentede montrer ce qui arrive, intimement et socia-lement, quand un grain de sable vient enrayerla machine, quand soudain, on n’est plus « desgens normaux ». Qu’est-ce qui se passe quandon n’appartient à rien ? Qu’il faut tout redéfinir ?C’est peut-être aussi une chance.

Quelle raison vous a poussée à raconter l’histoire du point de vue masculin ?J’avais besoin de revenir à un « je » masculin(comme dans mon premier roman La Chambredes parents) parce que quelque chose me fas-cine et m’obsède dans le masculin. Je m’inter-roge sur la virilité, sur la fragilité et la violencequi font les hommes. Que font un père et sonfils toute la journée, dès lors que les jeux spor-tifs leur sont interdits, pas de foot, pas de vélo.Il faut bien inventer quelque chose, et c’est cetteinvention-là qui m’intéresse, le père promèneson fils à Vespa, marche avec lui le long de larivière, regarde avec lui les continents sur leglobe terrestre, presque sans parler. Ils tententde bricoler aussi, de poser les plinthes dans lamaison… Ce livre est pour moi la recréationd’un monde parallèle. La construction d’une viedomestique. Je voulais parler aussi du travail,

qui est un des enjeux du livre, la mère tout justeembauchée dans une PME, coincée dans unelogique sidérante d’absurdité, et le père qui aimeson travail d’imprimeur et la présence « des gars »(virils, les gars !).

Pourquoi avoir écrit ce roman à la premièrepersonne, et non à la troisième ?Je n’ai jamais écrit à la troisième personne, celane me convient pas (pour l’instant). J’ai besoind’être à la hauteur de celui qui vit chaque situa-tion et d’en éprouver les contradictions. Quandle père rentre après un apéro très arrosé et nepeut plus conduire sa Vespa, j’aime écrire au« je » pour m’inscrire dans le plus infime détail.Je préfère être dans la conscience de celui quiraconte qu’à la place du narrateur distancié.C’est une question de points cardinaux. Je saisoù coule la rivière et quand elle menace dedéborder, et je peux donner au personnage lapossibilité de se moquer de lui-même. Je n’enserais pas capable à la troisième personne.Propos recueillis par Vincent Raymond

Brigitte GiraudPas d’inquiétudeStock266 p., 19 €ISBN 978-2-234-06505-5

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Brigitte Giraud est née en Algérie en 1960. Elle estl’auteur de cinq romans, La Chambre des parents(Fayard, 1997), Nico (Stock, 1999), Marée noire (Stock,2004), J’apprends (Stock, 2005), Une année étrangère(Stock, 2010), de deux récits, À présent (Stock, 2001) etAvec les garçons (Éditions Alphabet de l'espace, 2009),ainsi que de L’Amour est très surestimé (Stock), prixGoncourt de la nouvelle 2007.

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de celui qui fut son« deuxième père ».En retrouvant lesterres de sonenfance à l’occasionde cette disparition,cette quinquagé-naire en pleine crisedu mitan entreprendra un voyagequi va lui révéler des pans entiersde son histoire familiale – mais aussila révéler à elle-même…De la mort de son véritable père,pendant la campagne d’Italie, à laliaison platonique qui unit sa mèreà Egon, celui que tout le monde sur-nomme « L’Allemand », en passantpar le secret que détient depuis desannées sa nourrice (qui expliquele titre du roman), les révélations

La Première Guerre mondiale et lanaissance de la psychanalyse dansToutes ces vies qu’on abandonne ;la Révolution russe et les Annéesfolles dans L’Incertain : au cœur desdeux premiers romans de VirginieOllagnier, l’Histoire était déjà inti-mement liée au destin des person-nages. C’est toujours le cas dansRouge Argile, puisque la destinéefamiliale qui y est décrite se confondavec certains des événementsmajeurs du XXe siècle – notammentla Seconde Guerre mondiale et ladécolonisation. Un contexte histo-rique qui se dessine en filigrane,comme un écho lointain auxdrames qui se nouent au fil desgénérations dans la famille de Rosa,de retour au Maroc après la mort

ébranlentpetit à petitles certi-tudes decelle dontle modèleétait JackieKennedy,la « femmeparfaite »,s y m b o l ed’élégance,de discré-tion et ded é v o u e -ment. Enouvrant lesyeux sur les

destins tragiques de sa mère et de sagrand-mère, Rosa se confronte à sapart d’ombre, à ses dons inquié-tants, mais aussi à son héritage fami-lial, particulièrement dur à porter :« La honte se transmet, la honte serefile comme un virus, même si tun’en savais rien, tu le portais. »Marqué par la culture marocaine,imprégné des lieux et des odeurs,le roman convoque les jnounes et lesfantômes d’une vie pour dessiner

plusieurs vérités, plusieurs versions,dont celle, peut-être prédominante,des rêves et de l’au-delà. Car commele disait Egon à Rosa, citant le poèteespagnol Calderon de la Barca,« Le monde est si étrange qu’y vivrec’est rêver ». Y. N.

VirginieOllagnierRouge ArgileLiana Levi416 p., 17 €ISBN 978-2-86746-578-9

s’en va. Enchâssé dans cette visiteà l’exposition universelle, le récitde la dévastation s’écrit dans lalumière étrange d’une écriture plusque jamais retenue et feutrée. Nonpas que le texte élude les émotions,ou que Basilio soit insensible audrame. Il a tout vu à Guernica, et letexte accumule les restitutionsaiguisées, les cadrages serrés et lesnotations où la poésie visuelle semêle à l’horreur. Ainsi Celestina,aimée en silence par le jeunehomme, s’est-elle « envolée dansun éclair blanc ». La chorégraphieerratique de trois taurillons dévorés

VoirGuernicaLe regard que l’artiste pose sur lefracas du monde obsède AntoineChoplin. Il y revient ici dans unevariation risquée, s’emparant eneffet d’un événement mythique. Lebombardement par des escadrillesallemandes de la ville basque deGuernica, et le tableau qui s’en-suivit, commandé à Picasso par legouvernement républicain, sont aucœur de ce court roman. Mais parun art du décalage à la fois frontalet subtil, le lecteur vit l’événementaux côtés d’un jeune habitant de laville martyre, un artiste autodidacteattaché à l’art de peindre les héronscendrés, d’en rendre l’intense beauté,à la fois puissante et invisible.Aux yeux de l’Histoire, Basilio nefait pas le poids : à Paris, il croise lemaître devant sa toile déjà légendaire,mais à l’issue d’une sorte de jeude corps et de regards embarrassés,il remballe son carton à dessins et

par les flammes – écho autableau de Picasso – resti-tue au cœur de la mortune sorte de brume étin-celante. Dans une scènedécisive, Basilio se voitconfier un appareil photo-graphique avec mission desaisir l’événement. Trèsvite, il mesure son impuis-sance : ce qu’ils vivent « nepeut se contenter de décou-pages ». Un instant fou de

douleur, l’artiste retourne à sonobsession modeste et immense :capter l’éclair de la beauté dans lepresque insaisissable, dans l’aile tein-tée de rouge d’un héron cendré.Danielle Maurel

AntoineChoplinLe Héron de GuernicaÉditions duRouergue,collection « La Brune »164 p., 16 €ISBN 978-2-8126-0248-1

Virginie Ollagnier et les fantômes d’une vie

Retour à la terreAvec Rouge Argile, Virginie Ollagnier mêle une nou-velle fois les dimensions individuelles et collectivesen inscrivant son roman sur les mystères de la filia-tion, les troubles de l’identité et les secrets de famille,dans l’Histoire tourmentée du XXe siècle.

Les revenusdes auteursAprès la parution de la nouvellecirculaire du 16 février 2011 régis-sant les revenus tirés d’activités artis-

tiques et les revenus provenant d’activi-tés accessoires aux revenus artistiques,l’Arald organise un après-midi d’infor-mation à destination des auteurs et desdiffuseurs, le vendredi 7 octobre à Lyon.Avec Geoffroy Pelletier, directeur dela Société des gens de lettres (SGDL),Thierry Dumas, directeur de l’Associationpour la gestion de la sécurité socialedes auteurs (AGESSA), et Emmanuel deRengervé, délégué général du Syndicatnational des auteurs et des compositeurs(SNAC), on examinera cette circulaire,qui s’efforce de prendre en compte defaçon plus globale les différentes activi-tés dont l’auteur tire des revenus artis-tiques, et qui apporte de notables modi-fications par rapport aux pratiquesexistantes, dont quelques avancées pourles auteurs. Il appartient à ces auteursainsi qu’aux porteurs de projets d’êtreau fait des dispositifs légaux les concer-nant. Pour cela, on tentera de répondreaux questions suivantes : quelles sontles activités donnant lieu à une rému-nération en droits d’auteur ? Quellessont les activités ne donnant pas lieuau même mode de rémunération pourles assujettis et les affiliés à l’Agessa ?Quelle rémunération pour quels typesde résidences d’auteur ou d’activitésparalittéraires ?Pour ceux qui souhaitent poser des ques-tions et obtenir des réponses de la partdes intervenants, il est possible d’adres-ser un courriel à : [email protected].

Après-midi d’information sur les revenus des auteursVendredi 7 octobre après-midiLyonRenseignements : Philippe CamandTél. 04 72 00 07 98Mél. [email protected]

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travail de dessinateur et de musicien.Dès les premières pages de MontBlanc, le lecteur est saisi par la bru-talité et la froideur de la tentativede reconstitution des faits. Le mys-tère demeure, et l’écrivain sup-pose : grâce aux divers documents– dossier juridique, articles de presse,archives télévisuelles, témoignages.Fabio Viscogliosi tente de redon-ner de l’épaisseur aux dernièresheures qu’ont vécues ses parentsdans le tunnel. Des heures ter-ribles, paradoxalement porteusesd’une dimension « romanesque »,

Fabio Viscogliosi : la capacitéde l’écriture à redonner vie

Vers lalumièreAvec Mont Blanc, FabioViscogliosi poursuit son travailautobiographique avec un récitbouleversant centré sur lamort de ses parents et son propre« retour à la vie ». Un grand livre.

Dans son précédent récit, Je suispour tout ce qui aide à traverser lanuit, Fabio Viscogliosi suggérait demanière très retenue, dans le der-nier chapitre du livre, la mort de sesparents dans l’incendie du tunneldu Mont Blanc, le 24 mars 1999. Undrame intime qui est au cœur deson deuxième livre, dans lequel onretrouve la sensibilité, la fantaisie,la profondeur et l’érudition discrèted’un écrivain dont on admire aussi le

puisque ce coupled’Italiens installés enFrance, heureux enménage, ont fini leurvie, main dans la main,sur la ligne de frontièrequi sépare les deuxpays. Vient ensuitel’enchaînement deschoses concrètes etdouloureuses – l’en-terrement, la maison

à vider, les rendez-vous chez l’avo-cat. Avec, comme toujours chez FabioViscogliosi, un sens du détail quitouche au cœur : une poignée de terretrop sèche, un cadenas qui résiste, uncadran de montre, une fine pelliculesur un billet de banque…Le récit se développe ensuite commedes ondes concentriques autourde cet événement, sans jamais s’enéloigner véritablement. Il en estainsi des nombreuses référencesqui émaillent le texte, et qui ramè-nent inlassablement aux interroga-tions et à l’absence : Alfred Hitchcock,

Francis Scott Fitzgerald, AnnieErnaux ou le cycliste Marco Pantaniont tous, à des degrés divers, descorrespondances occultes avec lemonde d’avant. Pas question, ici,de faire son deuil, comme de nom-breuses personnes invitent l’auteurà le faire au début du livre. MontBlanc montre précisément l’impos-sibilité du deuil et la capacité del’écriture – et de la littérature – àredonner vie. C’est notammentce que dit la scène splendide oùl’auteur tient une conversationimaginaire avec Jorge Luis Borgès,dont les paroles sonnent commeun déclic : « Lorsqu’on a rendez-vousavec la vie, on ne la fait pas attendre ».Contrairement aux chauves-souris quilui sont chères, il semble que FabioViscogliosi ait fait un pas vers lalumière. Yann Nicol

Fabio ViscogliosiMont BlancStock168 p., 16.50 €ISBN 978-2-234-07104-9

matière première de l’écri-ture. Au gré d’une quête àla fois précise et flottante,il s’agit de se concentrersur le noyau des mots, dedire la perte, l’absurdité dulangage (« trouver la mort »), l’ironied’une carte postale arrivée après lemort, les démarches, le décompte dece qui ne sera plus. Comment trou-ver une place quand le monde autourde soi tombe ? Que signifie habiterla douleur ? Le malheur qui la ter-rasse jette ainsi la jeune femme àterre, pliée sous le bureau de Samuel.Peu à peu, il va lui falloir pourtant sor-tir, continuer à traduire le manueld’histologie sur lequel elle travailleet dont les termes précis et tranchantss’immiscent dans le récit intime.Le texte avance sans à-coups, aufil de trois parties équilibrées, entrelesquelles le personnage de Flavie

Habiter ladouleurLa jeune narratrice avait pourtantprévenu dans le chapitre liminairede ce court roman : il y avait un« endroit vide » dans l’espace intime.Mais le lecteur ne perçoit pas tousles signes. Il croit juste à une vie decouple heureuse, parisienne et sanssouci matériel. Il croit à Samuel, lecompagnon lassé de ses déplace-ments professionnels, qui se sent« de plus en plus étranger à l’étranger ».Le lecteur sourit à l’amoureuse quandelle cache un billet tendre dans lavalise de l’homme qui s’en va maisva revenir. Il commence à observerFlavie, la sœur de Samuel, qui posecomme modèle aux Beaux-Arts etglisse dans une existence peupléed’objets-souvenirs et de phrasesnotées dans un carnet bleu. Le lecteur distrait tombe alors de hautquand, au creux d’une phrase et d’unappel téléphonique, il apprend queSamuel « a trouvé la mort » aumoment de rejoindre l’aéroport. Lepremier roman de Lise Benincá com-mençait déjà par un deuil, après lamort du père : ici, la mort est aussi la

fait un lien à la fois aérien et intri-guant. Comme un déplacementnarratif, qui n’est pas le moindreintérêt de ce roman au souffleretenu. On ne dira rien de la fin,

juste que la porte quiouvre à nouveau sur lavie est une phrase. Unesimple phrase, un mystèreet un appel. D. M.

Lise BenincáLes Oiseaux de paradisÉditions Joëlle Losfeld126 p., 13,50 €ISBN 978-2-07-078792-0

Belle-mèreLa belle-mère, c’est ce personnagesouvent moqué, d’une façon où nebrillent ni l’originalité ni la finesse.Tout le contraire de ce que faitFabienne Swiatly. C’est peut-êtrepour ça que son dernier livres’intitule Unité de vie, et nonBelle-mère – qui était, semble-t-il, la première option de titre.Les Unités de vie, ce sont cesétablissements médicaux danslesquels se retrouvent des per-sonnes âgées dont l’état néces-site des soins quotidiens, et c’est

là qu’est installée la belle-mère de lanarratrice. Celle-ci rend régulièrementvisite à la vieille dame qui perdla mémoire et dont la fin sembleproche. Le court roman de FabienneSwiatly décrit la relation qui unit cesdeux femmes de génération, d’édu-cation et de structure intellectuellecomplètement différentes et mêmeopposées. La plus âgée restant arc-boutée sur des valeurs traditionnelles,la plus jeune, photographe d’originebosniaque, marquée par la perte dessiens, tentant de défendre son indé-pendance d’esprit. Chacune peine àcomprendre le monde de l’autre, s’yefforce ou y renonce. Mais au-delà desagacements, des divergences et de lamaladie qui altère la mémoire de labelle-mère, le lien se noue pourtant,d’abord fragile puis de plus en plussolide. Et c’est cela qui est poignant

dans ce livre à l’écri-ture sensible et pré-cise, qui met enlumière les zonesd’ombre que recèlentles deux femmes. N. B.

Fabienne Swiatly Unité de vieLa Fosse aux ours112 p., 15 € ISBN 978-2-35707-022-6

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ALIDADES

Territoire / Territoryde Patrick DeeleyDans ce recueil de poèmesbilingue, Patrick Deeley, à la manière des grandsnaturalistes, va au plusprès du vivant. Marais,friches industrielles,lichens, moisissures et oiseaux sont le point de départ d’uneméditation qui lie le présent et le passé et va sans cesse du détail à l’universel.

44 p., 5,50 €ISBN 978-2-906266-100-0

rentrée littéraire

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vaut peut-être mieux que le narrateurne travaille pas, tant cela peut deve-nir dangereux. Essayez donc de luiconfier un camion de chantier alorsqu’un collègue vient de lui proposerde goûter à un joint...Le regard d’Alain Turgeon sur lui-même est encore plus féroce, plus oséque jamais. Le rire devient jaunecomme l’urine qu’il déverse sur saplante verte, incapable qu’il est, aucours d’une nuit d’ivresse, de des-cendre de la mezzanine qu’il occupe.Ou bien lorsqu’il perd les pédales etse met à raconter des blagues grave-leuses devant un parterre médusé, àl’enterrement de sa consœur CécilePhilippe. On pourrait s’inquiéter detout ça si Turgeon n’était pas plus enforme que jamais dans le jeu de motscapillotracté, les trouvailles verbaleset les détournements syntaxiques.Tout ce qui fait son style et sa façonde transformer le moindre événe-ment en épopée. Nicolas Blondeau 

Le péril vieuxAvril 2079, dans une société devenuetotalitaire, où les enfants ont dis-paru… Depuis vingt ans, le MaîtreVénérable a instauré la Régulation,qui a eu notamment pour consé-quence de diviser le Monde en castes.En haut de la Pyramide vivent à pré-sent les Élus, une gérousie omnipo-tente qui exploite selon son capricedeux types d’individus : les Utilitaireset les Recyclés. Les premiers sont,depuis leur enfance, réduits à unmatricule et en esclavage ; lesseconds ont été rééduqués à l’âgeadulte pour servir la classe domi-nante. Mais une série de faits ano-dins perturbe « l’harmonie » de cette

civilisation : d’abord, c’estun Utilitaire qui dénonceune injustice, puis sonmaître qui hésite àsignaler ses écarts deconduite ; enfin unvent de rébellion tristequi se lève au momentoù sénilité et lassitudegagnent les Élus…Que se passerait-il si laGénération Y, dont on ditqu’elle est viscéralementindividualiste et égoïste,suivait ses penchantssans ciller ? Elle asserviraitla suivante et décrèteraitle déluge après elle – en

ayant, de surcroît, le cynisme de pré-tendre rendre service aux sociologues,puisqu’il n’y a plus de lettre au-delàdu Z pour nommer les générations !Décrivant un monde en sursis(comme la plupart des œuvresd’anticipation), Solution terminale,premier roman d’Anne Maro, estentrelardé de fragments de comp-tines, dont seuls la fin et le débutsubsistent : le corps de la chanson,comme celui des enfants dans cettesociété, a disparu. Ce monde peutêtre également vu comme l’allégo-rie mélancolique d’un organismeâgé, dont la mémoire en lambeaux,en cours d’effacement, tenterait deretenir des bribes de jadis, avantque l’oubli ait fini sa besogne…V. R.

passées à Modane enSavoie. Il met en scènedes personnages entrefiction et réalité dans untexte où s’entrecroisentpoésie et écriturethéâtrale.

80 p., 9,80 €ISBN 978-2-35428-050-5

ÉDITIONS DU DEVIN

Savoir revivretextes et illustrations de Jacques MassacrierPublié pour la premièrefois en 1973 chez AlbinMichel, ce « guide écolo »entièrement calligraphié et illustré à la main a étéet reste un best-seller. Sonauteur, un cadre parisienayant tout quitté pourretourner à la nature, fait de ce livre, divisé en 307 rubriques, le vade-mecum dunouveau Robinson.

200 p., 24,90 €ISBN 978-2-9533574-7-9

ENS ÉDITIONS

Le Cheikh et le califeSociologie religieuse de l’Islam au Maroc

de Youssef BelalActeur engagé du printempsarabe, l’auteur s’interrogesur la place du religieuxislamique dans la sociétécivile marocaine et démontre,

à travers une enquête de terrain, que l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie.

336 p., 29 €ISBN 13 978-2-84788-310-7

LA FONTAINE DE SILOÉ

Histoire de lalittérature savoyardesous la direction de Louis TerreauxCet ambitieux ouvrage estune fresque historique de la littérature savoyarde quiprésente tous ceux qui ontfait notre langue et fécondénotre imaginaire depuis le Haut Moyen Âge jusqu’au XXe siècle.

952 p., 45 €ISBN 978-2-8420-6473-0

Osé TurgeonDans son dernier livre, Anamoureuxpréparturient, Alain Turgeon réappa-raît tel qu’en lui-même, désopilant,impudique et touchant.

La quarantaine bouclée, les chosesne s’arrangent toujours pas pour AlainTurgeon. En lisant Anamoureux pré-parturient, son dernier ouvrage, onpourrait même dire qu’elles empi-rent. Dans la mesure où les compor-tements adolescents sont regardésavec moins d’indulgence, une foispassé un certain âge, et où l’absencede revenus réguliers pose plus de pro-blèmes quand on est père d’un petitgarçon. Sans compter que l’alcool, ensus de faire mal aux cheveux les len-demains d’excès, fait aussi tremblerles mains quand on en manque. Maistout ça, notre écrivain n’en a cure.Ou plutôt, s’il ne rechigne pas à unzest d’auto-apitoiement, il lui préfèretoujours l’autodérision. En effet,comme il l’a déjà prouvé dans sesprécédents livres, de Gode Blesseà Tu moi, personne ne peut mieuxse moquer de soi que soi-même.On retrouve donc dans ce dernieropus l’écrivain glandeur et dragueurdéjà croisé, hantant les servicessociaux et proclamant son droit à l’as-sistanat, au RMI en l’occurrence, à uneépoque où l’on mènerait volontiersles prestataires d’allocations aupoteau d’exécution. Et pourtant, il

Alain Turgeon Anamoureux préparturientLa Fosse aux ours192 p., 17 €ISBN 978-2-35707-023-3

Anne MaroSolution terminaleChamp Vallon248 p., 17 €ISBN 978-287-673-551-4

nouveautés des éditeurs

Sélection des nouveautés deséditeurs de Rhône-Alpes réalisée par Marie-Hélène Boulanger

CRÉAPHIS – FONDATIONFACIM

Braderies des ombresde Fabrice MelquiotDans un récit à la premièrepersonne, l’auteur revient sur les lieux de son enfanceet de son adolescence

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GUÉRIN

Chef de cordéede Riccardo CassinLa première traductionfrançaise de Capocordata,l’autobiographie deRiccardo Cassin, pèrefondateur de l’alpinismemoderne, revient sur les étapes successives de la conquête des grandssommets européens. Cette monographie estillustrée de plus de 300photographies en noir et blanc.

400 p., 55 €ISBN 978-2-35221-050-4

JACQUES ANDRÉÉDITEUR

Laisses de merde Patrick Argenté et Nadia LhoteDans ce recueil, la poésie de Patrick Argenté et lesphotographies de NadiaLhote se confondent dans un même écho pour direqu’à la mort survivent les images et les mots.

les métaux, les rochers, les animaux, en y voyant à chaque fois une étincelle de paradis.

294 p., 30 €ISBN 978-2-84137-270-6

PUL (PRESSESUNIVERSITAIRES DE LYON)

La Vie de l’instantde Serge DoubrovskyRéédition du texte de 1985,ce livre du critique SergeDoubrovsky se présentecomme un recueil denouvelles dans lesquelles on voit surgir un territoirenégligé de l’existence, unezone infime et capitale : celle des instants.

120 p., 12 €ISBN 978-2-7297-0841-2

SYMÉTRIE

Alain Fondary, la voix du souffleurde Patrick Alliotte« Un rêve de gosse –chanter – matérialisé en une aventuremerveilleuse ». Dans cette biographie,

Omniprésente, la mer le rappelle au fil des pagesavec une puissance vibrante et singulière.

72 p., 25 €ISBN 978-2-7570-0213-1

ÉDITIONS JÉRÔME MILLON

PhysicaLe Livre des subtilités des créatures divinesde Hildegarde de BingenCet ouvrage réunit en unseul volume les deux tomesprécédemment parus chez l’éditeur. Hildegarde de Bingen, religieusebénédictine du XIIe siècle,entend la musique sacréede la vie : elle pose sonregard sur les plantes,

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regard

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailLe choixÉcrire en essayant de donner uneidée, sans offrir une imagetrop floue. J’essaie de nepas dévier de ce chemin.Je vais peut-être partirquelques mois au Japon, etévidemment la catastrophede Fukushima me hante.J’avais prévu depuis deux ansde réaliser un manga sur l’en-treprise Toyota. Mon projet semodifie et les changements dansce pays me posent forcément desquestions : comment écrire « la catastrophe » ?Est-il indispensable d’aller voir pour dire ? Dans le livre Mort dans l’après-midi publié en 1932, ErnestHemingway pense que, pour éviter de donner une imagebrumeuse d’une idée, il faut qu’un auteur voie clairementle fait : « (…) Dans le cas d’une exécution par feu de salve, oud’une pendaison, si l’on voulait fixer ces très simples faits d’unemanière durable, comme, par exemple, Goya a essayé de le fairedans Los desastres de la guerra, on ne pouvait y arriver si on avaitfermé les yeux si peu que ce fût. »

Un écho à ce qu’écrivait Rainer Maria Rilke à sa femme, le 19 octobre1907, dans ses Lettres sur Cézanne. À propos du poème de BaudelaireUne charogne : « J’en suis arrivé à penser que sans ce poème, l’évolu-tion vers le dire objectif que nous croyons reconnaître maintenant enCézanne n’aurait jamais pu commencer, il fallait qu’il fût là, impitoyable.

Il fallait que le regard de l’art eût pris sur lui de voir dans le terriblemême et ce qui ne paraît que répugnant, la part d’être,

valable autant qu’une autre. Pas plus qu’un choix nelui est permis, il n’est loisible au créateur de se

détourner d’aucune existence : unseul refus, à quelque moment quece soit, le prive de l’état de grâce,

le rend entièrement coupable. »Afin d’éviter les faux-

semblants conven-tionnels et demontrer à quoiressemble la vie,pas de choix pos-sible. Il faut queje sois sur placeet que j’ouvregrand mes yeux !

ErnestHemingwayL’Étrange

ContréeFolio Gallimard

Rainer Maria RilkeLe TestamentPoint Seuil

chronique Géraldine Kosiak 23 /

l’auteur retrace le destind’Alain Fondary, d’abordsouffleur de verre etchampion de judo, avant dedevenir une des plus grandesvoix de baryton du XXe siècle.

168 p., 19 €ISBN 978-2-914373-58-6

REVUES

AFRICULTURES (n°84)

Comment peut-on fairede la BD en Afrique ?dossier de ChristopheCassiau-HaurieQuelle est la place du 9e art en Afrique ? 33 auteurs etéditeurs ont été interrogéspour mieux comprendre

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mi-grotesque, piriforme de nature, ou presque.Cette caricature de lèse-majesté, Fabrice Erre

en a fait le point de départ d’un livred’histoire qui se lit comme un

roman, et qui nous plonge aucœur d’une époque, la

monarchie de Juillet,où l’esprit bour-

geois a letriomphe

m o u ,immo-d é r é -

m e n tmou.

Écrite dansune langue concise, précise, aussi savoureusequ’elle peut se révéler piquante, cette étude estd’abord et avant tout un essai, dans le meilleursens du terme. Et de la tournure.L’auteur ne lâche jamais l’ombre duRoi pour la proie (la Poire), relie l’ac-cessoire à l’essentiel, et il s’ensuit unevéritable lecture en profondeur del’Histoire. À partir d’une image-sym-bole, et d’un nombre incalculable dedocuments, Fabrice Erre noue avec unegrande dextérité le ruban du politiqueautour du sociétal. Il sait aussi allerregarder du côté des écrivains et desartistes pour démonter/démontrer lacomplexité et la richesse signifiantes

Fabrice Erre : une histoire de la caricature

Une Poire pour l’histoireLe Règne de la Poire, de Fabrice Erre,un essai passionnant sur l’espritbourgeois de la monarchie deJuillet à partir de la carica-ture en Poire de Louis-Philippe. Où un fruit nousen dit long, très long, surune époque. Et au-delà.

(Re)connaissez-vous la Poire,cette forme-informe qui surgit un beau jour de jan-vier 1832 sous la plume et le talent de CharlesPhilipon, dans le bien nommé journal satirique LaCaricature ? C’est Louis-Philippe qui se trouve ainsicroqué pour l’éternité, le Roi des français qui s’af-fiche bientôt un peu partout en corps mi-grossier

de la Poire, son destin de dessin hors ducommun : « pyramidale et olympienne Poirede processive mémoire » (Baudelaire).Louis XIV fut Soleil, « corps céleste éternel,chaud, extraverti », Louis-Philippe devintPoire, « corps organique, périssable, froid ».Deux corps de Roi pour signifier le passaged’une France à une autre, d’une posture àune imposture dira-t-on, ou comment unpays tout entier se découvre une naturedont il ne sait trop que faire, une dialec-tique du plein et du vide qui lui colle,aujourd’hui encore, à la peau. Car le Roi est désormais dans le fruit commele ver dans l’Histoire. Giscard en sait quelquechose, qui fut à son tour caricaturé en Poireà l’envers, Balladur et Kohl en Poires à toutfaire, on en passe et des plus goûteuses tou-jours. La Poire version Philipon a décidé-

ment de beaux restes et debeaux jours devant elle.Comme le disait Thackeray :«  La Poire is immortal ».Roger-Yves Roche

Fabrice ErreLe Règne de la Poire Caricatures de l’espritbourgeois de Louis-Philippe à nos joursChamp Vallon256 p., 23 €ISBN 978-2-87673-548-4

comment vit cet art sur le continent africain.Agrémentés de noticesrichement illustrées, cesentretiens reviennent surl’histoire de la BD pourchacun des pays concernés.

128 p., 22 €ISBN 978-2-296-54664-6

ORAGES LITTÉRATURE ET CULTURE1760-1830 (n°10)

L’Œil de la policepréparé par Flávio Bordad’ÁguaCe numéro se penche sur la transformation des pratiques policières de l’Ancien Régime après la Révolution française.

L’étude, émailléed’événements historiquesmajeurs, est prolongée par une analyse desreprésentations littérairesdans le roman policiernaissant.

280 p., 24 €ISBN 978-2-35030-160-0

livres & lectures /essais

Comment le doc-teur en histoireque vous êtes envient-il à écrire unessai sur la Poire ?Le projet du livrem’a été suggéré par

Alain Corbin, précisé-ment le jour de ma sou-tenance de thèse sur lapresse satirique françaisede 1789 à 1848. La Poireressurgissait à plusieursreprises comme produit le plus effi-cace du discours satirique de cettepériode. Cependant, elle connaissaitun tel succès auprès de la populationqu’il fallait s’interroger, au-delà de cecadre, sur les raisons de son efficacité,d’autant qu’il s’agit d’une figuresimple, sans signification première. Ildemeurait donc un « mystère Poire »à éclaircir.

L’image, qui est une des sourcesde l’historien de nos jours, n’estpas tout à fait une archive commeles autres ?L’étude de l’image demande desméthodes d’approche adaptées, maiscela ne signifie pas qu’il faille laconsidérer comme une archive dif-férente, au risque de s’exposer à des

problèmesd’interpréta-tion et delégit imité.Elle doit êtreconfrontée à d’autressources, pourcomprendresa genèse,évaluer saplace et sonrôle au sein

du paysage culturel auquel elleappartient. Son intérêt réside danssa capacité de condensation, et endémêler les sens conduit à exami-ner avec une certaine finesse lesmodes de pensée et les représenta-tions du passé.

On retrouve « la Poire » dans la lit-térature de l’époque, le théâtre, lapoésie et plus près de nous lecinéma. Comment expliquez-vousun tel succès, une telle longévitéaussi ? La caricature de la Poire, qui trans-formait Louis-Philippe, a marqué lesesprits pour son audace. Mais elles’est aussi imposée à l’inconscientcollectif comme la forme la plus effi-cace pour exprimer les défauts d’une

certaine bourgeoisie, bouffie par lematérialisme, l’orgueil, la bêtise. Parun processus assez naturel, bien quecomplexe, la Poire a répondu à uneattente culturelle, le besoin de repré-senter le triomphe de la civilisationbourgeoise. Elle s’est donc diffuséeà d’autres modes d’expression, etreste valable puisque cette civilisa-tion dure encore.

Y a-t-il une caricature qui vous aitmarqué plus qu’une autre ces der-nières années, un dessin qui vousaurait fait l’effet d’une « Poire nou-velle », si l’on peut dire ?La puissance de la satire périodiquese trouve plutôt investie depuis unevingtaine d’années par la télévision.Les auteurs des Guignols de l’Infose montrent très efficaces pourimaginer des gimmicks qui peu-vent s’apparenter, par leur carac-tère synthétique et leur capacitéde réappropriation, à la Poire. Pourautant, il me semble que si plusieursont connu une grande vogue(« Putain, deux ans », « On m’auraitmenti ? », …), aucun ne véhicule unecharge symbolique comparable à cellede la Poire, un motif très singulierdans l’histoire de la satire.Propos recueillis par R.-Y. R.

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Self-made-manIl s’appelle Gaspard FélixTournachon. Il est né, un peu,à Lyon – 1820. Y a passé pastout à fait son adolescence :études de médecine entrompe-l’œil, premières armes

dans le journalisme, presse localeet vicinale, petits papiers sur lethéâtre, embryons de récits etautres rêves de jeunesse avortés.

Et puis c’est le retour à Paris, plusgrande, plus belle, plus folle.Tournachon fréquente la Bohème,vire en Tournadar puis en Nadartout court. Et l’aventure commence.Les caricatures, première chargedans Le Charivari, et très vite la pho-tographie, les photographies, toutesles photographies. Il portraiture àtout va, des portraits durs et desportraits doux (Courbet, Millet,Baudelaire, Doré), il va voir très

en bas (les égouts, les catacombes)et se met à rêver tout haut (pre-mières photos en ballon). Il est« à la fois toutes les bêtes, le cerf,le bœuf, le poisson, le singe, l’oi-seau ». Il est un homme de sonsiècle, dans son siècle : un romanà lui tout seul. R.-Y. R.

Stéphanie de Saint Marc, Nadar(Gallimard, 2010)

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Quelques vieilles images sovié-tiques venues de films d’espion-nage, les toits bulbés de la cathé-drale Saint-Basile et la couleurdes briques de la Place Rouge,voilà ce que je traînais avec mesvalises dans l’avion pour Moscou.J’ai dû recadrer un peu l’image. Certes j’y ai trouvé ces clichés,y ai croisé un sosie de Lénineet vu de belles chapkas. Pour le reste, j’ai pris une belleclaque.J’ai découvert Moscou en suivantMarina Kadetova et Vitali Ziusko,mes éditeurs, au pas de course.Plongée au cœur de la capitale,dans ses écoles, ses ateliers créatifs, ses librairies, sescentres d’art, j’ai mordu à l’hameçon, me suis laisséeentraîner par le métro moscovite claquant, secouantet grinçant à travers les galeries souterraines aux airsde palais royaux. J’ai découvert la vivacité culturelle de Moscou et deslieux époustouflants, tel Vinzavod, cette ancienne usinede mise en bouteille réhabilitée en centre d’art, quioffre derrière ses murs de brique des milliers de mètrescarrés de galeries, de magasins de créateurs, d’atelierscréatifs pour enfants, un centre de la photo, des cafés…J’y ai rencontré une jeune génération qui fait bougerle monde de l’art, du livre, de la culture sous toutes sesformes, avec une sorte d’urgence d’agir, de proposer,de créer. Pour respirer après toutes ces années immo-biles. Des étudiants en illustration plongés dans desprojets de livres que j’ai hâte de voir publiés. Des librairesconvaincus, des éditeurs militants.

La littérature de jeu-nesse russe est enpleine mutation. Aupublic qui attenddes livres pesantleur poids de texte,les nouvelles maisons d’édition proposentdes albums illustrés différents, comme Kompasguidepar exemple, qui aborde les droits de l’homme, la dif-férence, le handicap, l’adoption, entre autres thèmes.Les places sont chères, c’est un travail de fourmi quede gagner petit à petit son espace sur un marché duret encore archaïque, mais les maisons d’édition appa-rues ces dernières années sont combatives. Elles défen-dent leurs livres, les accompagnent, les portent. Avecune énergie incroyable et peu de moyens. L’enjeu estde taille : ces livres préparent les adultes de demain.Delphine Perret

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Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Julie Banos

Ont participé à ce numéro : François Beaune, NicolasBlondeau, Marie-HélèneBoulanger, Delphine Guigues,Géraldine Kosiak, DanielleMaurel, Yann Nicol, DelphinePerret, Vincent Raymond et Roger-Yves Roche.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

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Conception : Perluette & Albane DerenneImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1321

correspondance

C’était comment, Moscou ?

Delphine Perret est née en 1980 et vità Lyon. Elle est auteur et illustratrice, apublié près d'une vingtaine de livres etd'albums. Parmi ceux-ci, Le Peuple dessardines (Atelier du poisson soluble,2004), Oncle Hector (Éditions ThierryMagnier, 2006), Moi, le loup et lesvacances avec pépé (Éditions ThierryMagnier, 2010)... www.chezdelphine.net

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.