Livre noir de la laïcité - Gauche Avenir

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INVITATIONIl y aura 50 ans le 31 dcembre, malgr les nombreuses et imposantes manifestations de protestation, le Gouvernement de Michel Debr faisait voter la loi qui portera son nom. En donnant un statut lenseignement priv, cette loi ouvrait la brche par laquelle les partis de droite saperaient la loi du 9 dcembre 1905 de sparation des Eglises et de lEtat, fondatrice de la Rpublique laque, c'est-dire unie et attentive lgalit de ses citoyens. Aujourdhui, notre Rpublique drive vers le communautarisme et le clricalisme renaissant, dont lhistoire et le prsent montrent les dangers de division et de conflits. Il faut ragir. Cest le but du colloque :

LACIT 2010 : RENAISSANCE DE LA RPUBLIQUE INDIVISIBLE,LAQUE,DMOCRATIQUE ET SOCIALE(Titre 1er de la Constitution Franaise)

Samedi 10 octobre 2009 Salle Victor-Hugo 101, rue de lUniversit Paris 7eJe veux ce que voulaient nos pres, lglise chez elle et ltat chez lui Victor Hugo lAssemble Nationale le 15 janvier 1850 La question scolaire rejoint la question sociale. Ces deux questions se tiennent. Lacit de lenseignement, progrs social, ce sont deux formules indivisibles Discours de Jaurs la Chambre des Dputs le 25 janvier 1910

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PROGRAMME9h 9h30 9h40 10h10 Accueil Ouverture du colloque par Marie-Nolle Lienemann,animatrice de Gauche Avenir

Valeur universelle de la lacitIntervenant : Henri Pea-Ruiz. Philosophe. Auteur notamment de Dieu et Marianne, philosophie de la lacit

Sciences et lacitIntervenant : Guillaume Lecointre, Professeur au Museum d'Histoire Naturelle, coauteur de Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences

10h30 10h50 14h20

Les atteintes la lacit de l'enseignement : un cas d'coleIntervenant : Eddy Kaldi. Enseignant-militant associatif

Echange avec les participantsAnimateur : Michel Charzat, Conseiller de Paris, ancien dput

Contre le communautarismeIntervenant : Julien Landfried, porte-parole du Mouvement Citoyen et Rpublicain, directeur de lObservatoire du communautarisme

14h40

Le retour du clricalisme en France et dans l'Union EuropenneIntervenante: Vera Pegna, reprsentante de la Fdration Humaniste Europenne auprs de l'OSCE( organisation pour la scurit et la coopration en Europe)

15h

Exiger le retour la loi du 9/12/1905 et son applicationIntervenant: Guy Georges, ancien syndicaliste, animateur de Gauche Avenir

15h20 16h50

Echange avec les participantsAnimateur : Ivan Leva, Journaliste

Prsentation du manifeste et conclusion du colloquepar Paul Quils, animateur de Gauche Avenir

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INTERVENTION DE MARIE-NOLLE LIENEMANN

Chers amis, Je suis heureuse de vous accueillir au nom de Gauche Avenir et de vous dire quelques mots de bienvenue. Je voudrais tout dabord vous remercier de vous tre dplacs nombreux pour dfendre cette cause majeure : la lacit. Le club "Gauche Avenir", est n de linitiative de ses 18 premiers signataires, il y a maintenant deux ans, juste aprs l'lection prsidentielle parce que nous estimions fondamental d'engager nouveau une reconqute idologique face la droite puisque Nicolas Sarkozy lu prsident considrait que sa victoire tait aussi sur ce terrain. Nous ressentions la ncessit que la Gauche raffirme son identit, son projet. Cest le premier objectif que nous poursuivons. Le second qui justifie pleinement le travail de Gauche Avenir est duvrer au rassemblement de la Gauche parce que nous pensons qu'il n'y aura pas de victoire sans un grand lan unitaire qui puisse la fdrer. Nous constatons qu'au sein de la Gauche, les divergences de fond, entre les diffrents partis ne sont plus clairement identifies par les citoyens et que certaines divisions d'hier ne sont plus pertinentes. Il est donc impratif de recomposer la Gauche dans son unit. Evidemment, cette unit, pour nous, ne signifie pas la ngation de la diversit, au contraire. Nous agissons pour reconnatre cette diversit, lapport de chacun et raliser une synthse dynamique. Notre troisime raison dtre procde dune constatation : la Gauche n'est pas seulement la Gauche politique. C'est aussi des associations, des syndicats, des clubs, des citoyens qui doivent tre partie prenante de cette reconqute, qu'elle soit idologique ou politique. Et qui doivent tre en mme temps entendus, compris, en dialogue permanent dans toutes les tapes de l'union de la gauche quand elle veut conqurir le pouvoir, mais aussi quand elle l'exerce. C'est pour cela que nous avons repris la formule qui videmment ne peut pas tre totalement calque sur l'histoire, mais qui montre la dynamique que nous voulons crer, savoir l'ide d'un nouveau front populaire. C'tait l'unit des forces de gauche autour d'un programme. Et il y avait une mobilisation de mouvements, d'associations comme la Ligue des Droits de l'Homme, qui ont constitu un puissant levier pour la victoire Voil le but de notre club. 4 5

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Les clubs, ont souvent t les creusets, les lieux de prparation des grands changements qui ont permis la rnovation de la pense de la gauche, en particulier lorsque cette dernire tait mal en point. C'est dans cet esprit - en rfrence aux clubs rvolutionnaires, au club Jean Moulin, et d'autres qui ont marqu l'histoire de la gauche- que nous avons voulu inscrire notre dmarche. Ceux qui l'animent sont des hommes et des femmes qui nappartiennent pas aux mmes partis, des militants associatifs, syndicaux, des intellectuels. Renouer les liens avec tous ces milieux est essentiel. Gauche Avenir rassemble des responsables qui ne sont plus en activit et aussi des jeunes. Vous connaissez bien celui qui a t la cheville ouvrire et intellectuelle de ce colloque, notre ami Guy Georges, qui symbolise des combats nombreux pour beaucoup d'entre vous, et tout particulirement pour moi-mme qui ai adhr la FEN avant d'adhrer au PS. Nous avons voulu mettre la Lacit au cur de nos rflexions aprs avoir trait de la crise conomique, de la crise financire, de la fiscalit. Nous avons pens que la lacit tait une question de principe fondamentale pour nous et pour la vision rpublicaine que nous voulons promouvoir. elle ne doit pas s'arrter nos frontires et elle est tout fait essentielle dans le dbat europen et mme au niveau de la plante o l'on observe la monte des intgrismes religieux, le recul d'une pense rationnelle libre, le recul de l'esprit critique. C'est un des grands combats de ce 21e sicle. Et puis, la lacit, c'est un peu comme le fminisme. A certains moments de l'histoire, on croit qu'on a gagn la bataille. Et on dcouvre que c'est un combat permanent parce que les forces en face de nous sont des forces mobilises, puissantes, organises..Par manque de pugnacit, de vigilance, ou par manque de rflexion sur la manire de transmettre la jeunesse l'idal qui est le ntre, nous nous voyons perdre le terrain que nous avions conquis. Le plus grave videmment, c'est quand les institutions de la Rpublique sont actrices de ces reculs idologiques. Il est donc tout fait important de contribuer la mobilisation de la Gauche et des laques pour promouvoir ce bel idal en lui donnant toute sa pertinence contemporaine et en trouvant les mots, les concepts, les rflexions, les sujets concrets qui soient de nature largir le camp qui les dfend. Il sagit dabord dentretenir la flamme pour ceux qui lont. Mais faut-il encore la faire partager et je pense en particulier aux jeunes gnrations. Nous devons avoir souci de rflchir la manire de leur passer le flambeau. Nous aurons bien besoin deux pour continuer le combat. 6

Merci tous les intervenants daujourdhui. Avant de donner la parole Henri Pea-Ruiz, je vais excuser quelques personnalits, en particulier des partis politiques, le PCF, le PS, qui runissent leurs instances de dcision au mme moment. Martine Aubry nous a adress une lettre qui indique quelle aurait t heureuse dtre nos cts mais son agenda ne le permet pas. Mme la Maire du 12e arrondissement de Paris, le prsident de la rgion de Lorraine, se sont excuss pour la mme raison. Nous avons reu les excuses de Mme Hlne Langevin-Joliot, du Professeur Changeux, qui souhaite recevoir la documentation de notre colloque, du Professeur Philippe Meirieu, dj requis par un autre engagement et qui espre dautres occasions de collaboration, de Mme Elisabeth Badinter, prise galement par un autre engagement et qui souhaite bonne chance notre colloque. Le Mouvement Rpublicain des Citoyens est reprsent par M. Chailley, le Parti de Gauche par Franois Cocq. La rgion des Pays de Loire est reprsente, comme la Mairie dAubervilliers et celle de Fontenay sous Bois. Trois syndicats sont prsents, lUNSA, la FSU, le SNPDEN, et 17 associations. Je donne la parole Henri Pea-Ruiz, qui a sign lappel de Gauche Avenir et mne le combat de la lacit

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INTERVENTION DE HENRI PEA-RUIZ

Je veux simplement rappeler ce qu'est vritablement la lacit. Nicolas Sarkozy dans son discours de Latran : La Rpublique a besoin de croyants parce que les croyants, ce sont des gens qui esprent Dans l'exercice de ses fonctions, le premier fonctionnaire de la Rpublique bafoue l'galit de traitement des croyants et des athes Aragon: Celui qui croyait au ciel, Celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle Cette clart sur leur pas Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y drobt La rose et le rsda, ddie Guy Mcquet et Gilbert Dru, l'un croyant, lautre athe. Gabriel Pri, communiste athe. D'Etienne d'Orves, officier catholique. Tous les quatre lgalement assassins par les nazis. Qu'est-ce que la lacit ? Ses adversaires , quelquefois inattendus car dans les rangs mmes de ceux qui devraient la dfendre, ont invent deux arguments pour brouiller les cartes ; l'argument relativiste : il y a 36 dfinitions de la lacit, 36 lacits en Europe; l'argument pragmatique : c'est un beau principe, mais quand on est dans le cambouis de la pratique politique,il faut faire de petits accommodements raisonnables aux principes. Je voudrais rpondre ces deux arguments qui ont ce point brouill l'idal laque Racontons une histoire. Il tait une fois dans notre rpublique un creuset, le creuset franais o coexistaient des personnes issues de traditions diverses, des croyants, des athes, des agnostiques. Ils respiraient l'air de la lacit sans y penser, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir. N'est-il pas naturel que lorsque quelqu'un croit, il soit libre de croire; et lorsque quelqu'un ne croit pas, il soit libre de ne pas croire ? Ils refusaient de dfinir ngativement ceux qui ne croient pas en Dieu, mais qui croient dans le destin de l'humanit. L'humanisme athe n'est pas la privation de la religion; il est une option spirituelle comme la religion. Ils vivaient donc sur la base de la libert de conscience. L'ide que la Rpublique, cette res-publica qui est commune tous, les traitt de la mme manire leur semblait tellement vidente ! 8 9

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Dclaration du 26 aot 1789 : Les hommes naissent libres et gaux en droits; Le mot naissent est le plus important puisqu'il veut dire que la libert, l'galit ne sont pas des cadeaux octroys, alors qu'ils pourraient tre refuss, mais des donnes natives. Ds qu'un tre humain vit et respire, il doit jouir de la libert et de l'galit. L'galit consiste faire le mme traitement de tous les citoyens. Finance-t-on sur fonds publics des coles prives qui enseigneraient l'humanisme athe ? La rponse est ngative. On ne doit donc pas financer sur fonds publics des coles prives qui diffusent la croyance religieuse parce qu'on dtourne l'argent des contribuables, athes ou agostiques, pour promouvoir la croyance religieuse. Ils croyaient navement, ceux qui respiraient l'air de la lacit sans le savoir, que c'tait une donne. Il se rvla que c'tait une conqute. Cette conqute tait priodiquement remise en question par ceux qui voulaient donner un monde inhumain le supplment d'me d'un monde sans me, la dimension caritative d'une religion instrumentalise comme spiritualit de compension, ce qui ferait frmir Victor Hugo, croyant, disant Je veux l'Eglise chez elle et l'Etat chez lui. Les historiens ont brouill les cartes. On appelle concordat la rintroduction d'avantages unilatralement consentis au Vatican. Moyennant quoi l'AlsaceMoselle bnficie encore du financement public de la religion dans les lyces et collges. Dans le rgime concordataire, la religion est la rgle et l'athisme une drogation la rgle, ce qui est humiliant puisqu'on donne entendre qu'entre les options spirituelles des citoyens , il n'y a pas galit de traitement. Quand un parti de gauche mettra - il a son programme l'abolition du concordat en Alsace-Moselle et le retour l'galit de traitement sur tout le territoire ? Quand un parti de gauche mettra-t-il dans son programme la remise en question de la loi Debr aujourd'hui aggrave par la loi Carle? Loi Debr qui organise sur fonds publics le financement d'tablissements religieux ayant leur caractre propre ? Hlas ! Je n'ai pas vu ces choses-l dans les programmes de la gauche rpublicaine. Y a-t-il 36 dfinitions de la lact ? Sans dogmatisme, mais de faon raisonne, je voudrais solliciter votre jugement. Fiction: nous sommes une assemble constituante; nous tions les Etats Gnraux et voil que maintenant nous allons constituer notre rpublique. 10

Premire question. Il y a parmi nous des croyants, des athes, des agnostiques comme dans toute la population franaise. Lorsque j'tais membre de la commission Stasi, je me suis renseign sur les options spirituelles des Franais. Il apparaissait qu'il y avait en gros 45% d'athes, 5% d'agnostiques et 50% de distes ou de croyants , avec des fluctuations puisqu'on peut croire un jour et ne plus croire le lendemain. Reste que je ne sais pas qui croit et qui ne croit pas; a ne me regarde pas parce que c'est la sphre prive de chacun. Imaginons que nous devions jeter les bases de notre rpublique. Trois principes apparaissent comme vidents. Premier principe ; la croyance religieuse doit-elle engager quelqu'un d'autre que le croyant ? Non. Donc la croyance est une affaire prive particulire qui n'engage que les croyants, moyennant quoi elle doit tre rigoureusement libre, libre de s'exprimer, de s'affirmer dans l'espace public. Un vque hostile la pilule du lendemain a bien le droit de le dire, mais pas une matrise sur l'espace public. Distinguons bien les choses: s'exprimer dans l'espace public, oui; avoir un pouvoir sur l'espace public est totalement illgitime. L'humanisme athe n'engage que les athes. L'Union Sovitique stalinienne qui rigeait le matrialisme athe en religion officielle bafouait autant la lacit que la Pologne qui impose la prire dans les coles. Nous comprenons que la lacit, ce n'est pas l'athisme officiel; mais ce n'est pas non plus le rgime des privilges des religions. Le concept de lacit n'implique aucune hostilit la religion. En revanche,lorsque ceux qui croient veulent dicter la loi au nom de leur foi, s'opposent l'IVG comme c'est le cas dans beaucoup de pays (pensons aux commandos anti-IVG en Amrique, o ils veulent interdire l'enseignement de la biologie sous prtexte que l'volution darwinienne contredit la lettre du rcit biblique), ceux-l doivent bien comprendre que la lacit n'est pas hostile la religion, mais ce n'est pas non plus le privilge de la religion. Quand on hurle au scandale parce qu'on remet en question le financement public des religions ou qu'on baptise libert religieuse le fait de jouir de fonds publics, comme le maire socialiste de Lyon en a donn pour la communaut San Edgidio, alors, on se demande qui a brouill les cartes. 11

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Deuxime principe. Serait-il lgitime que la puissance publique, qui est ce qui nous unit tous par del nos diffrences, donne plus aux croyants qu'aux athes ? Si nous prenons au pied de la lettre le principe d'galit sans accommodement raisonnable, nous dirons : c'est illgitime. Nous revendiquons en tant que citoyens la stricte galit des croyants, des athes, des agnostiques, ce qui veut dire qu'on ne peut pas donner plus aux croyants qu'aux autres ; mais on ne doit pas non plus donner plus aux autres qu'aux croyants. Le deuxime principe que nous voterons est l'galit stricte de tous les citoyens quelles que soient leurs options spirituelles. Posons-nous la question : comment vivre fraternellement dans un horizon qui dpasse nos diffrences sans les nier ? Il faut rpondre, me semble-t-il : stricte galit par la puissance publique des croyants, des athes, des agnostiques. Cest pourquoi jai jug absolument scandaleuse la prise de position de Nicolas Sarkozy qui, ouvertement, dans lexercice de ses fonctions, effectuait une discrimination entre les citoyens de la Rpublique. Quelle honte que, dans lexercice de ses fonctions, le premier personnage de la Rpublique bafoue le principe de lgalit en accordant plus aux croyants quaux athes ! Contradiction M. Sarkozy. Guy Mquet, dont vous avez demand quon lise la lettre bouleversante, ntait-il pas quelquun qui esprait ? Mais ctait lesprance de len-dea. Celle qui faisait dire Altapayoulka Nous ne voulons pas seulement tre gaux dans le ciel, mais aussi sur terre Daignez aux athes la capacit despoir, Lespoir titre dun livre de Malraux sur la Rpublique espagnole. Cest une discrimination explicite. Il est trange que le Conseil Constitutionnel, que toute la gauche, aient pu laisser passer ces choses-l, sans mettre en accusation un Prsident de la rpublique qui bafoue lgalit de traitement des citoyens de la Rpublique. Moi, professeur de lcole publique, si jentre dans ma classe et que je commence par dire la Rpublique a besoin de croyants parce que les croyants, ce sont des gens qui esprent, les parents dlves se lveront tout de suite, scandaliss, en disant Mais, Monsieur, vous utilisez votre parole publique pour faire de la discrimination. Le Prsident de la Rpublique, lui, ne se gne pas. Quelque temps plus tard, Fadela Amara prsente le plan banlieue avec louverture de 500 classes denseignement priv dans le moment mme o on supprime 12 000 postes denseignements. 12

Est-ce cela que conduisent les accommodements raisonnables ? Troisime principe : Quelle est la finalit de la puissance publique ? Cest videmment ce qui est commun tous Trois quantificateurs logiques nous aident penser cette chose. Quelle place au singulier, au particulier, luniversel ? Condorcet disait les connaissances sont universelles et les croyances sont particulires. Dire quelles sont particulires , cela nest pas les dvaloriser, cest dire quelles nengagent quune partie des hommes. Donc la croyance est particulire. La sant, la culture, lducation les services publics sont universels. Lorsquun croyant entre dans un hpital public, il est souhaitable quil soit soign en fonction de ce que requiert son tat de sant, sans franchise mdicale, sans dpassement dhonoraires. LEtat est assez pauvre pour se replier de ses services publics qui sont universels pour financer ce qui nengage quune partie de la population, la croyance religieuse. Tel est le douloureux paradoxe en face duquel nous sommes : une Rpublique ultralibrale qui se dsinvestit de ses services publics, au nom de Lisbonne et de la dvolution la concurrence prive de ce qui devrait rester de lordre des responsabilits de lEtat commun tous. Un tel Etat est assez riche pour accorder des privilges financiers ceux qui croient par rapport ceux qui ne croient pas. Dire quil faut rserver largent public ce qui est dintrt public, ce nest pas lser les croyants. Raisonnons : si un croyant va lhpital public et quil y est soign gratuitement et avec la meilleure qualit de soins possible, il fait des conomies par rapport ce quil dpenserait dans lhypothse dun libralisme qui lobligerait payer les soins et qui conditionnerait la qualit des soins la richesse de la personne. Ce croyant fait des conomies parce que la puissance publique est prsente dans le champ social dune Rpublique sociale et laque, comme le disait Jaurs. Ceux qui veulent consacrer ces conomies financer des lieux de culte le pourront dautant plus facilement que la Rpublique sociale et laque, universelle, aura assum son rle Il nest pas dans le rle de la puissance publique de financer des lieux de culte, mosques, temples ou autres. Il est dans son rle que tous les citoyens accdent gratuitement aux services publics gratuitement, non, on le sait bien : financs par limpt de tous. Enfin, il est dans son rle que tous les citoyens accdent ce qui est universel. Je vous propose, partir de cette observation, une dfinition simple de la lacit. 13

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Trois mots grecs veulent dire peuple : laos, demos, ethnos. Laos, cest la totalit dune population ; demos, cest la communaut des citoyens dont on sait qu Athnes, elle tait singulirement limite ; ethnos qui a donn ethnographie, un groupe dhumains selon ses caractristiques culturelles. Nous sommes le Laos. Nous sommes le peuple indivis. Les diffrences qui sont entre nous ne sauraient en aucun cas donner lieu des affrontements si du moins, la puissance publique reflte ce qui est commun tous. La croyance religieuse ou lhumanisme athe ne nous est pas commun. Cest une chose particulire. Le souci de la sant, de la culture, de lducation nous est commun. Cest universel. De grce, ne sacrifions pas luniversel sur lautel du particulier. Jappelle lacit lunion de tout le peuple indivis sur la base de la libert de conscience, de lgalit de traitement quelle que soit loption spirituelle et de la finalit universelle de la puissance publique. Trois principes qui entrent en rsonance vidente avec le triptyque rpublicain. Libert de conscience : la religion nengage que les croyants, lathisme que les athes. Egalit de traitement : la puissance publique ne peut pas favoriser les uns par rapport aux autres. Cest pourquoi la loi Debr que le mouvement laque cesse de combattre est une injustice perptue. Je veux rendre hommage ceux qui ont prt serment Vincennes de combattre cette loi. Quand Baubrot exclut lgalit, il renforce le privilge des croyants. Il renforce laccommodement raisonnable. Je vous demande un peu Quest-ce que cela signifie de faire des accommodements raisonnables sur le principe dgalit des sexes ? Cela veut dire quil faut mixer lgalit des sexes avec un peu dingalit ? Est-ce quon va transfrer une femme un tribunal islamique sous prtexte de diversit des cultures ? Ou est-ce quon va la garder sous la protection de la loi gnrale qui implique la stricte galit des sexes ? Expliquez-moi cet accommodement raisonnable du principe dgalit des sexes : il faut introduire un peu dingalitcomme par hasard pour les religions Non. Ceux qui ont invent le concept abject de lacit ouverte portent une crasante part de responsabilit. Quand je dis je suis pour la justice et pour les droits de lHomme, est-ce que je dis attention, une justice ouverte, des droits de lHomme ouverts Quest-ce dire ? Cest une insulte la connaissance de 14

la lacit. Prtendre que la lacit doit tre ouverte, cest sous-entendre quelle est ferme. Ce sont donc les adversaires qui lont baptise lacit ouverte. Je fais des confrences en Espagne, l o lEglise jouit encore de privilges en raison de son rle historique Parlons-en ! Les bchers de lInquisition sont encore dans toutes les mmoires. Et ce que disait Franco ! En Espagne, on est catholique ou on nest rien. Cest cela le rle historique de lEglise qui justifierait quon continue aujourdhui la financer publiquement ? Est-ce faire preuve dhostilit la religion quand je dis cela ? Non. Les adversaires de la lacit peuvent bien dguiser les choses comme ils veulent en disant quon est dogmatique quand on dfend une lacit comme ils disent intgriste. Quelle stupidit ! Lintgrisme, cest la non-reconnaissance de lindpendance de la sphre prive ; cest donc le contraire de la lacit. Quand je dfinis la lacit comme lalliance indissociable de 3 principes, libert de conscience, galit de traitement de tous les citoyens et finalit universelle de la puissance publique, je ne vois pas en quoi cette dfinition est dogmatique. Victor Hugo , croyant, qui dans son testament disait Je crois en Dieu ; je refuse loraison de toutes les Eglises, qui sexclamait le 15 janvier 1850 je veux lEglise chez elle et lEtat chez lui, donnait la formule impeccable de la lacit, 50 ans avant la loi du 9 dcembre 1905. Il est maintenant temps de conclure. Deux objections. Lobjection relativiste qui donne plusieurs dfinitions de la lacit. On sait ce que recouvre ce relativisme qui en dautres temps pouvait tre un outil de libert et de critique. Ici, le relativisme est une volont de noyer le poisson, comme le fait Manuel Valls Evry, quand il estime que la puissance publique est fonde tre dans son rle lorsquelle finance des lieux de culte. Il ny a pas 36 dfinitions de la lacit. Ce nest pas tre dogmatique que de le dire. Jespre que vous ne mestimez pas dogmatique quand je rappelle que les mots ont un sens et non pas un autre. Deuxime argument, largument pragmatique. Je me suis entendu dire par des responsables socialistes : oui, vous avez de beaux principes, mais dans la pratique, cest diffrent... Quest-ce que a veut dire ? Quest-ce quun principe quon viole au nom de la pratique ? Lorsque Jean Glavany ma propos de venir laider laborer un projet de loi laque pour lAssemble Nationale et quil me met sous les yeux un projet qui commence par dire il faudra renforcer le cahier 15

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des charges des coles prives, jai dit je ne fais pas de mise en cause ad nominem, mais nous ne pouvons pas continuer travailler ensemble ; le ver est dans le fruit. A partir du moment o des socialistes considrent que la loi Debr est une donne quon ne remettra plus jamais en question et quon va mme la consacrer en renforant le cahier des charges, le pire, cest que vous renforcez le cahier des charges pour mettre les coles prives identit avec les charges des coles publiques, vous supprimez toute spcificit des coles prives . Ni largument relativiste ; ni largument pragmatique Ces deux arguments ont fait tant de mal la lacit ! Tmoin cette odieuse loi Carle qui organise ce que dit si bien Eddy Khaldi, Nanterre qui va financer Neuilly . Pourquoi a-t-on tant de mal runir le camp laque ? Pourquoi le concept de lacit est-il ce point perdu de vue ? Ce beau concept que nous respirons sans le savoir. Nest-il pas merveilleux de vivre dans un pays qui respecte les croyances religieuses et qui respecte aussi lhumanisme athe ? Qui respecte la libert de conscience, lgalit de traitement de toutes les options spirituelles et qui consacre les fonds publics uniquement ce qui est universel ? Nest-ce pas une belle et grand-chose ? Pourquoi lavoir oubli ? Pourquoi en avoir brouill le sens ? Pourquoi avoir dsespr le camp laque par des pratiques de compromission et de trahison ? Pourquoi ne pourrait-on pas dire : dans un dlai dune lgislature (5 ans) on demande aux coles prives de se financer elle-mme. On ne va pas leur couper les vivres tout de suite ; on leur donne 5 ans pour sorganiser. Et largent public va aller louverture dtudes surveilles, daide aux enfants en difficult dans les coles publiques. On retirera ainsi aux parents qui mettent leurs enfants dans les coles prives parce quils veulent plus dencadrement, les raisons quils ont de le faire en donnant aux institutions publiques largent public issu de tous les contribuables. Je suis all en Espagne tout rcemment. Jy retourne pour dfendre la lacit parce que nos amis espagnols ont besoin dun sacr coup de main. Quand je leur dis quil y a en France des coles prives finances par des fonds publics, ils sont abasourdis. Parce quils voient dans la France le phare de la lacit. Nous avons une responsabilit et un devoir : dfendre la lacit en France, cest aussi rendre le plus grand des services Taslima Nasrin, au Bengladesch, Educalaca en Espagne, nos amis italiens. Nous avons une immense responsabilit non seulement lgard de la France en disant quune rpublique laque et sociale est infiniment prfrable une 16

rpublique ultralibrale qui transforme en charit la justice sociale. Ce que fait M. Sarkozy en disant que la Rpublique ne peut pas donner un sens la vie, il ny a que les religions pour faire a. En rigeant le cur au-dessus de linstituteur. Il na rien compris. Ils ne peuvent tre compars, ils ne remplissent pas la mme fonction. Quest-ce que linstituteur ? Cest quelquun qui instruit lenfant de ce quil ignore pour quun jour, cet enfant puisse se passer de matre. Cest cela, la fonction de lcole publique. On ne doit pas loublier. Jespre que vous ne mavez pas trouv dogmatique dans cette dmonstration raisonne de lidal laque et dans cet hommage vibrant de cette lacit qui nest pas plurielle, singulire, ouverte, ferme, qui est la lacit tout court. Nadjectivons pas la lacit. Le cur est auprs de la raison. Lidal laque est lavenir parce que dans un monde o les migrations de populations ne cessent de se dvelopper, il est clair quon aura traiter de la diversit culturelle ; et seul, un cadre juridico-politique mancip de toute tradition particulire pourra faire vivre ensemble, fraternellement, des personnes issues de cette diversit.

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INTERVENTION DE GUILLAUME LECOINTRE

Enseigner le primtre des sciences : un enjeu laque et dmocratiqueUN PRIMTRE DE SCIENCE TRS SOLLICIT

Les citoyens des pays occidentaux sont confronts, dans lexercice mme de leur citoyennet, deux prils opposs. Ici, la science se trouve mime ou instrumentalise par des forces mercantiles, politiques ou religieuses pour servir des objectifs qui nont pas de rapport avec lavance des connaissances objectives. Cette dernire opration est facilite parce que la science semble dtenir un prestige symbolique et les cls dune certaine efficience tout en tant dpourvue de moyens de dfense. Par exemple, les forces religieuses peuvent facilement faire intrusion en science en entretenant une confusion entre discours de valeurs et discours de faits : soit on cherche utiliser les sciences pour lgitimer des positions de valeurs, soit on fait comme si les mthodes de travail et rsultats des scientifiques taient en euxmmes lexpression de valeurs forcment arbitraires- forges dessein. Dans ce dernier cas, on rclamera alors en retour des modifications de la dmarche scientifique elle-mme pour modifier ces valeurs et les soumettre celles vhicules par telle ou telle religion (ce fut le cas de lIntelligent Design aux Etats Unis dAmrique), lorsquil ne sagit pas tout bonnement de spiritualiser la dmarche scientifique. L, la science se trouve purement et simplement nie dans ses mthodes et ses rsultats sur la base darguments dapparence rationnelle. Elle semble pouvoir tre facilement nie parce quelle produit des assertions contre-intuitives, dans un langage spcialis, et qui peuvent parfois paratre instables. La ngation est facilite parce que lon confond quatre acceptions courantes et vernaculaires du mot science : 1. la science comme ensemble de rsultats un moment donn, 2. la science comme communaut professionnelle, 3. la science comme ensemble dapplications haute teneur technologique et 4. la science comme mthode collective et rationnelle de comprhension du monde rel. Le procd consiste alors rejeter le bb avec leau du bain, cest--dire refuser en bloc lapproche rationnelle du monde rel parce que lun des trois premiers motifs a dysfonctionn (rsultats instables, scientifiques malhonntes, mauvaises applications). 18 19

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JEUX DE MOTS SUR LES CROYANCES

Dautres difficults proviennent dun relativisme larv qui utilise le mot croyance comme passe-partout. Les hommes sont capables de produire toute une gamme dassertions sur le monde : philosophiques, religieuses, thologiques, mythologiques, potiques, oniriques, artistiques, politiques, scientifiques, narratives, idologiques, morales, ludiques, etc. Nous serions enclins penser que tous ces modes reposent sur des croyances et produisent des croyances : tout serait croyance, autant pour les scientifiques qui croient aux assertions rationnelles, que les religieux qui croient une transcendance lorigine du monde, voire la version littrale dun texte sacr, ou encore dun homme politique qui croit en un idal de socit. Si tout est croyance, nous serions alors autoriss franchir le pas vers un relativisme o tout se vaut. Les assertions scientifiques auraient le mme statut que les assertions religieuses ou artistiques (ou autres). Ce serait oublier deux questions fondamentales : 1. Il y a diffrents sens au mot croyance et 2. les modalits de production des affirmations sur le monde sont extrmement diverses : elles nont pas les mmes objectifs ni les mmes mthodes ; elles ne reposent pas sur les mmes codes, les mmes ressorts de lassentiment. Il ne faut pas confondre le mot croyance au sens de rational belief et le mot croyance au sens de faith (foi). Si un scientifique croit un rsultat et son interprtation issus de ses expriences, cette croyance est prendre au sens du degr de confiance (trs lev) quil est permis daccorder au rsultat en question, au-del de tout doute raisonnable. Une proprit essentielle de cette croyance est quelle reste questionnable, que sa remise en cause est toujours possible et mme souhaitable. Cest le propre des assertions scientifiques. La croyance au sens de foi, elle, ne peut tre remise en cause, de par la dfinition mme du mot. La foi nprouve pas le besoin de se justifier : elle est laffirmation de la vrit non ngociable de ce qui est. Ds lors, elle ne tire pas sa lgitimit de la possibilit dtre remise en cause, mais dun pouvoir qui produit et maintient laffirmation. La croyance scientifique, elle, tire sa lgitimit de louverture laisse sa propre dstabilisation. Les assertions scientifiques sortiront renforces dune rsistance de multiples mises lpreuve. En raison de ces diffrences fondamentales, il nest pas souhaitable de parler de croyance lorsque lon fait allusion au degr de confiance que les scientifiques accordent leurs rsultats, ni mme la confiance quils accordent leur bagage mthodologique (voir plus loin). 20

Enfin, ces diffrents modes de production dassertions sur le monde sont mthodologiquement varis. Ils ont tous besoin de communiquer et donc de transmettre quelque chose autrui, de convaincre, mais nutilisent pas les mmes codes et techniques pour cela. Ce que chacun va tenter de mobiliser chez autrui afin de se faire comprendre est mme diffrent. Nous expliciterons par la suite comment les scientifiques produisent leurs affirmations et dans quel but. La ncessit de bien faire identifier ces modes ne rsulte pas dune volont denfermer les assertions sur le monde dans des botes catgorielles tanches. Bien au contraire, cest crer la condition mme de leur dialogue : on ne dialogue jamais aussi bien, lchange nest jamais aussi fructueux que lorsque les partenaires identifient bien leurs objectifs et leurs modes de fonctionnement respectifs. Par exemple, les problmes que suscitent les crationnismes dans les sciences viennent prcisment du fait que ceux-ci assignent aux sciences des objectifs qui ne sont normalement pas les leurs ; et tentent de modifier les mthodes scientifiques afin de les instrumentaliser.DIVERSIT DES CRATIONNISMES

Depuis quelques annes le crationnisme dguis en science refait surface dans les medias et dans les coles (du ct des lves en France, du ct des parents dlves aux Etats-Unis et en Australie), ainsi que dans la bouche de certains hommes et femmes politiques des pays dvelopps (comme la Pologne, lItalie, la Serbie, les Pays-Bas, sans parler des Etats-Unis dAmrique), sans quil soit toujours possible pour le citoyen didentifier sil sagit vraiment dune affaire de scientifiques. Il est vrai que certains journaux ont contribu crer la confusion. Cette contribution tente de donner des cls pour identifier les limites des sciences et montrer en quoi le crationnisme se positionne bien au-del, cest--dire en dehors des sciences. En fait, le crationnisme nest pas un problme de scientifiques en tant que corps professionnel constitu. Aucune des affirmations crationnistes nest collectivement valide par les scientifiques spcialistes des champs concerns. Le crationnisme vient de lextrieur du monde des sciences, pour tre clair de forces politiques et religieuses qui prouvent le besoin de mobiliser de force les sciences et les scientifiques pour leurs besoins. Examinons prsent les diffrentes versions du crationnisme. Nous ne traiterons, dun point de vue interne la dmarche scientifique, que de ceux dentre eux qui entendent mobiliser la science de lintrieur, soit au niveau de la socit des chercheurs, soit au niveau dune redfinition des objectifs de la science, voire de la dmarche scientifique. Voici une typologie de ces crationnismes : 21

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A. Les crationnismes intrusifs : A.a. Nier la science : le crationnisme ngateur dHarun Yahya. A.b. Mimer la science : le crationnisme mimtique de H. Morris et D. Gish. A.c. Plier la science : le Dessein Intelligent ou la thologie de William Paley prsente comme thorie scientifique B. Le spiritualisme englobant : B.a. Science et thologie vues comme les pices dun mme puzzle : lUniversit Interdisciplinaire de Paris B.b. La fondation John Templeton : lorsque la thologie finance la science Dans le monde occidental, le crationnisme scientifique le plus puissant et le mieux organis est certainement celui de certains fondamentalistes protestants, qui cherche les preuves scientifiques de lintgralit des affirmations de La Gense de la Bible. Littralement, la Bible ne parle pas dvolution des espces mais de cration. En prenant le texte non pas comme une mtaphore mais au pied de la lettre, les crationnistes sorientent coup sr vers un conflit avec ce que dit la science daujourdhui du droulement historique et des modalits de la formation de notre univers, de notre plante et de la vie qui sy dveloppe. Ce conflit est deux tages. Dabord, un conflit factuel : les faits tels que les racontent les crationnistes (toutes les espces sont le fruit dune cration divine, la terre a 6 000 ans) ne concordent pas avec ceux produits par la science daujourdhui (la diversit des espces est le fruit dun dveloppement gnalogique pass au cours duquel elles se sont transformes, et la terre a 4,5 milliards dannes). Ensuite il faut traiter dun conflit beaucoup plus profond, de nature pistmologique : comment les crationnistes prtendent-ils prouver scientifiquement ce quils avancent ? Il sagit dun scientisme extrme puisquils font outrepasser ses droits la science en la faisant lgifrer sur un terrain exprimentalement inaccessible, dans le second cas ils tentent de prouver ce qui est dj crit dans le marbre et, ds lors, le scepticisme initial lgard des faits, attitude requise pour toute dmarche scientifique, nest plus de mise. Ce premier constat montre bien que, pour traiter ces questions, le scientifique daujourdhui ne peut pas se contenter de relever les erreurs factuelles commises par les crationnistes. Quand bien mme ne commettraient-ils pas derreurs, leur dmarche nen serait pas valide pour autant. Il faut donc, dun point de vue critique et pdagogique, invitablement dfinir la connaissance objective, rappeler comment les scientifiques lacquirent, dfinir les objectifs et les limites de la science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi les constructions crationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi 22

crationnisme et scientifique sont deux mots antagonistes. Dfinir les limites de la dmarche scientifique implique en soi dexaminer les rapports entre science et philosophie. Cest galement utile car cest sur ces frontires que les spiritualistes convoquent la science.DJOUER LES CRATIONNISMES SCIENTIFIQUES : UN NCESSAIRE RETOUR L PISTMOLOGIE

Le crationnisme des lves pose de nouveaux problmes aux enseignants europens, ds lors quil saffirme ouvertement en classe de sciences naturelles (en France : SVT). Face la recrudescence des interventions crationnistes dans les classes, il ne saurait y avoir pour lenseignant de conduite adquate une posture scientifique et laque sans quil soit inform de quelques lments dpistmologie rappelant le type de contrat que la science a pass avec la connaissance voici un peu plus de deux sicles. Les sciences exprimentales vont prendre leur envol chez les philosophesscientifiques naturalistes du XVIIme sicle dans un triangle situ entre Amsterdam, Londres et Paris, par un nouveau contrat qui va sinstaurer entre la science et la connaissance, toujours en vigueur aujourdhui. Le nouveau contrat est dunir les hommes par leur raison mise en uvre dans un rapport au rel qui est lexprimentation. Le projet scientifique devient un universalisme non dogmatique : le but de la science est de construire des connaissances universellement partageables et partages, des connaissances objectives. Une connaissance nacquiert cette qualit dobjectivit que lorsquelle a t corrobore par plusieurs observateurs indpendants. Encore aujourdhui, il nest pas plus beau cadeau donn un scientifique que de voir un rsultat quil a publi confirm exprimentalement par une autre quipe avec laquelle il na pas interagi. La question de la reproductibilit des expriences scientifiques devient donc centrale cet objectif. Elle est fonde sur quatre piliers : - Premier pilier. La dmarche scientifique ne peut sinitier que sur un Scepticisme initial concernant les faits. Nous nexprimentons sur le monde rel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est dcouvrir est dj crit, nous navons demble quune parodie de science. Ceci se produit chaque fois quune force extrieure la science lui dicte ce quelle doit trouver. - Deuxime pilier. Les mthodes de la science sont ralistes. Le monde l dehors existe indpendamment et antrieurement la perception que jen ai et aux descriptions que lon en fait. En dautres termes, le monde des ides na pas la 23

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priorit sur le monde physique. Si je fais des expriences et que je les publie, cest dans lespoir quun collgue inconnu me donnera raison en ayant trouv le mme rsultat que moi. Je parie donc que le monde physique se manifestera lui comme il sest manifest moi. Je ne vois aucun sens lactivit scientifique, en tant que poursuite dun projet de connaissance universelle, si ce ralisme nest pas de mise. - Troisime pilier. Les mthodes de la science mettent en uvre la rationalit de lobservateur. La rationalit consiste simplement respecter les lois de la logique et le principe de parcimonie. Ce sont des proprits de lobservateur, pas celles des objets observs. Logique - Aucune dmonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ; la sanction immdiate tant sa rfutation. Luniversalit des lois de la logique, soutenue par le fait que les mmes dcouvertes mathmatiques ont pu tre faites de manire convergente par diffrentes civilisations, devrait recevoir une explication naturaliste : elle proviendrait de la slection naturelle. Parcimonie - Les thories que nous acceptons sur le monde sont les plus conomiques en hypothses. Plus les faits sont cohrents entre eux et moins la thorie quils soutiennent a besoin dhypothses surnumraires non documentes. Les thories les plus parcimonieuses sont donc les plus cohrentes. La parcimonie est une proprit dune thorie ; elle nest pas la proprit dun objet rel. Ce nest pas parce que nous utilisons la parcimonie dans la construction de nos arbres phylogntiques que nous supposons que lvolution biologique a t parcimonieuse, comme le croient erronment certains. Le principe de parcimonie est utilis partout en sciences, mais il peut tre aussi utilis hors des sciences, chaque fois que nous avons besoin de nous comporter en tres rationnels. Le commissaire de police est, sur les crans de tlvision, le plus mdiatis des utilisateurs du principe de parcimonie. Il reconstitue le meurtre avec conomie dhypothses, ce nest pas pour autant que le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tir le moins de balles possible et conomis son essence pour se rendre sur les lieux du crime. - Quatrime pilier : La science observe un matrialisme mthodologique : tout ce qui est exprimentalement accessible dans le monde rel est matriel ou dorigine matrielle. Est matriel ce qui est changeant (Bunge, 1981), cest-dire ce qui est dot dnergie. En dautres termes, la science ne travaille pas avec des catgories par dfinition immatrielles (esprits, lans vitaux, etc.) ; cela participe de sa dfinition. 24

Ces proprits conditionnent la reproductibilit des expriences, caractrisent les sciences exprimentales, et du mme coup dfinissent la science par ses mthodes. On remarquera que cette dfinition est la plus large qui soit ; beaucoup plus large que les critres de scientificit retenus par les poppriens, et au-del de limprcise et regrettable division entre sciences dures et sciences molles. Mais si la science a pris son essor grce la philosophie matrialiste, elle nest pas pour autant cette philosophie. Comme le rappelle le philosophe Pascal Charbonnat, Le matrialisme ne subsiste dans les sciences qu ltat de mthode, et non pas comme conception de lorigine, dmarche non empirique par dfinition. Cest en ce sens quon parle de matrialisme mthodologique. Les crationnismes qui se proccupent de science commettent tous au moins une entorse lun des quatre piliers cits plus haut. Les spiritualistes englobants (catgorie B) dnigrent et dforment le matrialisme mthodologique (quatrime pilier) pour pouvoir introduire en sciences un spiritualisme sans limites. Les crationnismes intrusifs A.a et A.b sont pris en dfaut de manquement au scepticisme initial sur les faits (premier pilier) : ce qui est dmontrer scientifiquement est dj crit dans un texte sacr. On peut mme dire que le crationniste qui se qualifie de scientifique est le contraire dun scientifique dans le sens o le premier cultive un scepticisme manipulateur sur les mthodes tout en tant convaincu des faits dmontrer, tandis que le second fait confiance en ses mthodes pour questionner les faits au sujet desquels il est sceptique. Enfin, la catgorie A.c commet des fautes de parcimonie, tout en rcusant le matrialisme mthodologique que dailleurs il dforme pour mieux laccuser de tous les maux. Les crationnismes scientifiques sont incompatibles avec la science, et cest pour cela quils tentent de la redfinir lusage de leurs besoins politiques. Car en effet, y regarder de prs, les crationnismes sous toutes leurs formes prennent naissance en dehors des sciences et du milieu des scientifiques, mus par de puissants mouvements et motifs politiques (Intelligent Design), idologiques (Harun Yahya) ou religieux (tous). Une dernire entorse commise par eux est, la plupart du temps, de dformer les objectifs des sciences. Au lieu de cantonner les sciences llucidation de questions de faits et llaboration de connaissances objectives telles que dfinies plus haut, ce qui devrait tre, ils attendent des sciences quelles rpondent ou prescrivent dans des secteurs qui ne relvent normalement pas delles, afin de les instrumentaliser : attendre des sciences quelles rpondent des questions mtaphysiques de sens, quelles nous rassurent, ou faire delles des prescriptrices de postures morales, politiques, lgislatives ou religieuses. Dvoyer ainsi une 25

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profession permet de linfiltrer et dutiliser son dynamisme pour lgitimer des combats politiques ou mtaphysiques que ces mouvements ne seraient pas capables de gagner par ailleurs. Cest un point examiner en dtail.LA CONFUSION ENTRE LES QUESTIONS DE FAITS ET LES QUESTIONS MORALES : UNE STRATGIE DE CHOIX POUR LES CRATIONNISMES

ouistiti, le gibbon et le chimpanz, lhomme a ses deux os frontaux fusionns et cette fusion fut acquise par ascendance commune. Cette assertion nest pas de lordre du discours des valeurs ; elle est testable empiriquement (os frontaux par lanatomie, ascendance commune par la phylognie). En raison de lindpendance des mthodes et objectifs de la science dj voque plus haut, la grande majorit des scientifiques nutilise pas de valeurs ni de postures morales ni politiques dans le cours des dmonstrations ; ni ne dmontrent le bien fond de valeurs. Mme si certains ont pu le faire au cours de lHistoire des sciences, par exemple en distordant les faits plus ou moins consciemment pour conforter des valeurs, ils ont t rcuss a posteriori. Si le cur mthodologique de la science est amoral (-et non pas immoral-), il nen va pas de mme pour le contrle social de lactivit scientifique. Le cur des dmonstrations est amoral, mais les scientifiques expriment ou se plient des valeurs, normes et lois au niveau du contrle social de la science, par exemple lorsquun biologiste signe une charte contre la souffrance animale alors que lanesthsie dun animal ne sert pas en elle-mme lexprience. Cette distinction est importante pour djouer les discours de rejet de la science sous prtexte dimmoralisme, ou de tentatives de spiritualisation de la dmarche scientifique destines la moraliser. Aujourdhui les rapports entre la science et la philosophie sont asymtriques. La science a acquis, depuis deux sicles, une pleine indpendance de ses productions. Cela veut dire quaucune force extrieure ses seules mthodes ne saurait lui dicter davance ce quelle a dcouvrir ou dmontrer, sous peine de corruption du processus exprimental et dmonstratif. Cela vaut pour les forces mercantiles, idologiques ou religieuses, mais aussi pour les injonctions morales ou politiques, les philosophies. Les sciences ne sont pas isoles de la philosophie ; elles sy enracinent. Mais elles ne se dploient pas pour une philosophie particulire. En dautres termes, si la philosophie matrialiste a mancip les sciences, en retour les sciences ne lui doivent rien, pas plus elle qu nimporte quelle autre philosophie. Cest en ce sens quon ne saurait demander la science de servir sur commande une posture philosophique ou des valeurs, quelles quelles soient. Le rapport est asymtrique en ce sens que la philosophie, si elle le souhaite, peut en revanche prendre en compte les rsultats des sciences exprimentales. Mais en aucun cas ces rsultats nauront t produits dessein. L rside toute la diffrence entre servir et servir . Le rapport est asymtrique galement dans le sens o, tout en ne produisant rien sur commande, la science a de surcrot le pouvoir dexercer une fonction 27

Les crationnismes philosophiques ou mme scientifiques prnent un retour de la religion dans la dmarche scientifique parce quils qualifient celle-ci dimmorale. Selon eux, seule la religion saurait moraliser la science. Certains vont mme tenter de faire passer une thorie scientifique, la thorie contemporaine darwinienne de lvolution pour dgradante pour lhomme (cette thorie dirait que la vie dun homme na pas plus de valeur que la vie dun ver de terre) ou encore comme prescrivant des comportements immoraux. Lindignation suscite et attendue suffirait ensuite remporter lassentiment et mobiliser les citoyens contre cette science dltre pour les valeurs. Il fut une poque o la science tait le serviteur de la thologie, et donc de la philosophie. A ce titre, la science mlangeait les discours sur les faits et les discours de valeur. Depuis la rvolution scientifique des XVII et XVIIIe sicles, la science na pourtant plus vocation de servir ou de justifier dessein un discours de valeurs. Son nouveau contrat pass avec la connaissance se cantonne mettre en lumire des faits exprimentalement reproductibles. Cela nempche en rien les valeurs dtre rgies dans les domaines moral, civique, thique, politique, voire thologique ou religieux. Une bonne comprhension de cette sparation des rles aidera faire face lirruption dinterventions idologiques, politiques ou religieuses au sein du cours de sciences, ou du dvoiement du cours de sciences naturelles en liste de prescriptions civiques. Par exemple, le simple fait scientifiquement prouv quun sac plastique met plusieurs sicles se dgrader dans un sol ne devrait pas conduire dans la mme leon de sciences linjonction selon laquelle il ne faut pas jeter les sacs au sol. Et si le sac ne mettait que trois jours se dgrader, serait-il alors justifi de le jeter dans la nature ? Quelle est la vritable justification de linjonction civique ou morale ? Par ailleurs, lorsquun scientifique ou un enseignant de sciences dit lhomme est un singe il ne sagit en rien dune insulte et lassertion ne doit pas tre prise comme telle. Il sagit dun discours de fait. Pour le discours scientifique, singe renvoie simiiformes qui est, dans la classification, un ensemble argument par la fusion des deux os frontaux (entre autres caractristiques) ; en dautres termes une convention taxonomique. Cela revient dire comme le babouin, le 26

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critique sur les productions de la philosophie, des religions, des superstitions, des pseudosciences, ds lors que ces productions prtendent lgifrer dans le monde rel. En ce sens la science est passivement contraignante pour la philosophie. Passivement signifie que toute philosophie est libre ou non daccepter une telle contrainte.UNE DISTINCTION RAREMENT RELEVE MAIS POURTANT CAPITALE : L INDIVIDUEL ET LE COLLECTIF

Enfin, et en guise de conclusion, attirons lattention du citoyen sur les mfaits dune confusion accrue entre les domaines du public et du priv. Les scientifiques professionnels pays par lEtat ont sign un contrat de construction collective de connaissances objectives. Une connaissance devient objective lorsquelle a t vrifie et valide par des observateurs indpendants, ce qui implique la dimension collective du contexte de validation. Lors des tests exprimentaux mens, chaque scientifique laisse au vestiaire de son laboratoire ses options mtaphysiques et politiques personnelles. Le contexte de validation des savoirs est donc tacitement laque. Leur profession entire na pas prendre position activement sur le plan mtaphysique, ceci relevant du mtier de philosophe (ou de thologien). Autrement dit, un scientifique du secteur public invit titre professionnel devant un public doit sabstenir de faire passer ses options mtaphysiques personnelles pour valides scientifiquement on ne le tolrerait pas dun enseignant de sciences naturelles. La raison en est vidente : la validation des savoirs scientifiques possde une dimension laque intrinsque, rarement revendique mais profondment ancre dans lethos de la science. Pourtant, la principale activit des plus sophistiques des formes du spiritualisme moderne telle la fondation John Templeton ou de lUniversit Interdisciplinaire de Paris est prcisment de brouiller compltement ces limites de lgitimit. Le citoyen doit tre arm dune conscience laque trs marque pour djouer les confusions qui sont luvre. Rien de tout cela ne remet en cause la libert individuelle d'opter pour une mtaphysique de son choix. Mais ce choix ne saurait constituer une connaissance objective. Les connaissances empiriques, universellement testables, constituent la partie de nos savoirs qui unissent les hommes, et cest pour cela quelles sont politiquement publiques. Les options mtaphysiques restent personnelles et politiquement prives car elles peuvent diviser les hommes et donc devenir dans le champ politique une source doppression. Les organisations telles que le Discovery Institute (promotrice de lide dIntelligent Design), la John Templeton Foundation ou lUniversit Interdisciplinaire de Paris en France ont bien compris 28

que pour faire gagner du terrain la thologie il faut brouiller les limites pistmologiques de lgitimit entre religion et science, et les limites politiques entre lindividuel et le collectif, entre le priv et le public. Ils ont bien compris qu'en finanant des scientifiques, des laboratoires, des colloques, elles peuvent coopter des scientifiques individuellement afin de crer la confusion sur le projet collectif d'une profession ; et faire passer une posture mtaphysique pour scientifiquement valide et donc collectivement valide. Il est donc de leur plus haut intrt de se faire les amis de la science et des scientifiques. La fondation T empleton soutient lAmerican Association for the Advancement of Science qui publie le journal Science, et soutient surtout de nombreuses recherches. Sur le long terme, l ouverture au dialogue entre science et religion sur laquelle la fondation T empleton ou lUIP fondent leur communication risque de savrer dsastreuse pour lautonomie de la science dans un contexte o le financement public des recherches ne cesse de diminuer au profit des financements privs de ce type.CONCLUSION : L INDPENDANCE DES SCIENCES ET LA LACIT DE SON ENSEIGNEMENT SONT DUN SEUL TENANT.

Comment aider les citoyens ? Le scientifique citoyen doit tre mobilis, et il lest souvent avec gnrosit : il sait mieux que quiconque en principe- de quoi est faite sa dmarche professionnelle. Pour travailler sur le long terme, il doit aller vers le corps enseignant. Lenseignement dun primtre mthodologique des sciences, dfi pdagogique port sur une question pistmologique, apparat dune urgence renouvele et dune porte politique vidente. Il ne sagit pas de dlivrer une norme ni une description anglique de ce que font les scientifiques dans leur laboratoire, mais dnoncer enfin les termes dun contrat qui est bien celui que nous enseignons tacitement nos doctorants qui apprennent le mtier. Un enseignement laque des sciences prpare la lacit professionnelle des futurs scientifiques et donc leur indpendance quant ce quil y a dire de rationnel sur le monde rel. En retour, la lacit tacite des assertions scientifiques maintient la lacit de lenseignement : comment pourrait-on produire un enseignement laque de rsultats scientifiques si ceux-ci portaient la marque de lappartenance religieuse de ceux qui les ont produits ? Cest pourtant ce qui se prpare avec les sciences enfin spiritualises que nous prconisent la Fondation, John Templeton, lUniversit Interdisciplinaire de Paris ou bien les promoteurs de lIntelligent Design. Lindpendance des sciences et la lacit de son enseignement sont dun seul tenant.

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INTERVENTION DE EDDY KHALDI

Dabord, je vais citer le Prsident de la Rpublique, au travers de son livre co-crit avec Thibault Collin et Philippe Verdin: On ne peut pas duquer les jeunes en sappuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matrielles, voire mme rpublicaines La dimension morale est plus solide, plus enracine, lorsquelle procde dune dmarche spirituelle, religieuse, plutt que lorsquelle recherche sa source dans le dbat politique ou dans le modle rpublicain La morale rpublicaine ne peut rpondre toutes les questions ni satisfaire toutes les aspirations. Il ajoute : La religion est un lment civilisateur. Lesprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer apaiser et rguler une socit de libert. Il dit aussi, ceci cit par Henri Pea-Ruiz, il y a un instant : Dans la transmission des valeurs et dans lapprentissage de la diffrence entre le bien et le mal, linstituteur ne pourra jamais remplacer le cur ou le pasteur. (citation extraite de son discours au Latran le 20 dcembre 2007 lorsquil fut intronis chanoine.) Dans les 28 propositions de lUMP, une seule proposition est explicite. La suppression de la carte scolaire. Rien lpoque de la campagne lectorale sur celles qui sont mises en uvre depuis juin 2007 : la suppression des IUFM, la suppression des postes, la suppression des RASED, la suppression des maternelles... Un seul point a t suivi deffets, les privilges au priv : lUMP veut donner aux parents le choix de ltablissement qui convient le mieux leurs enfants. Le parti a pour objectif de supprimer la carte scolaire mais compte procder par tapes.... Dailleurs, il na pas procd par tape il la supprime dfinitivement ds la premire anne. Dans ce contexte, lUMP qui prend acte des relations apaises avec lcole prive, entend donner plus de libert et dimplication aux tablissements privs sous contrat et permettre aux parents qui le veulent de scolariser leurs enfants dans le priv. Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet du Prsident de la Rpublique, dit en 2004 dans une interview donn au Monde : Jai toujours t conservatrice, jaime lordre. Je crois linitiative individuelle, leffort personnel et, en matire conomique, la main invisible du march. Par exemple, je suis pour une privatisation totale de lEducation nationale. 30 31

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Le 14 fvrier 2008, en charge de lducation, dans le cadre du plan Espoir Banlieue M. Darcos dclare : ... lenseignement priv a fait la preuve de sa capacit accueillir des publics trs divers, y compris des lves en difficult, et leur proposer une pdagogie et un encadrement leur permettant de renouer avec la russite scolaire. Leur savoir-faire reste trop souvent aux portes de la banlieue parce que nous refusons de leur donner les moyens permettant de rpondre la demande. Je suis ministre de toutes les formes denseignement, et je veux offrir aux familles la mme libert de choix que celles dont disposent les familles des centres urbains. Il faut que les choses soient dites clairement : depuis la loi Debr, la Rpublique joue contre son camp. Dabord parce quon na plus une Rpublique unique, indivisible et laque. Il ne sagit pas de retracer tous les pisodes. La loi Goblet du 30 octobre 1886 pour le premier degr dfinit un principe fondamental : cole publique fonds publics cole prive fonds privs. La loi Falloux, qui nest videmment pas une loi laque, est toujours, considre, par la juridiction administrative actuelle comme fondatrice du second degr. Ces deux lois nous disent, la mme chose : Il y a des coles fondes et entretenues par la puissance publique qui prennent le nom dcoles publiques et celles fondes et entretenues par des associations ou particuliers qui prennent le nom dcoles prives. A partir de l, la loi Debr, est, toujours, une entorse au principe gnral dinterdiction de financement. Dailleurs, le juge administratif a fix une jurisprudence pour le 1er degr qui se traduit par linterdiction formelle de tout financement qui nest pas explicitement mentionn dans une loi. Il faut donc une habilitation lgislative expresse. Pareillement avec la loi Falloux, qui fixe une limite de 10 %. La proposition de loi Bourg-Broc, de 1993-1994 visait faire sauter ce verrou des 10%. Christian Nique historien, dans le livre quil publie : Comment lcole devient une affaire dEtat mentionne deux principes qui sopposent dans le service public denseignement : un principe dit commercial, un principe dit patriote. Derrire ce principe commercial, lcole marchande. Lcole patriote devait installer la Rpublique, la conforter. 32

Pendant la priode dite de Vichy, il est important de voir quelles mesures, relatives lducation, ont t prises. Abroges par ordonnance en 1945, certaines de ces dispositions ont t rtablies ou sont sur le point de ltre . LEglise avait rencontr Ptain pour obtenir des subsistes scolaires. Ce quelle a obtenu. Ils ont t tendus avec le dcret Poinso Chapuis, les lois Marie et Barang, et surtout, la loi Debr. Le 18 septembre 1940, les coles normales sont supprimes. Voyons aujourdhui les IUFM. Regardons la comparaison prsidentielle du cur et du pasteur. 13 dcembre 1940 : les devoirs envers Dieu dans les programmes. 13 dcembre 1940 les dlgations cantonales, anctres des DDEN, sont supprimes. Regardons les tentatives actuelles pour les carter de lEcole. On a reconnu dutilit publique les instituts catholiques de Paris. Voyez les accords Vatican-Kouchner ! La caisse des coles prives instaure en 1940, supprime en 1945 rapparat dans la loi liberts, responsabilits locales du 13 aot 2004. En gros, on a pratiquement rtabli tout ce qui avait t abrog en 1945. Arrive 1959, nous abordons une autre phase, aprs laide la famille , laide ltablissement .Cest le dualisme consacr, cest la loi Debr. Vichy ntait pas all aussi loin. Cette loi Debr devient, aujourdhui, de plus en plus un concordat scolaire. Le secrtaire gnral de lenseignement catholique dsign par la confrence piscopale sarroge le droit de reprsenter lenseignement priv globalement. Risque redout par Debr : je vous le dis, il nait pas concevable pour lavenir de la Nation, qu ct de ldifice public, de lducation nationale, lEtat participe llaboration dun autre difice qui lui serait en quelque sorte concurrent et qui marquerait, pour faire face une responsabilit fondamentale, la division absolue de lenseignement en France. Cest ce quil se passe aujourdhui, sous nos yeux. Olivier Giscard dEstaing, rapporteur de la loi Pompidou, publie dans le mme temps, un ouvrage intitul Education et civilisation. Son titre est explicite : Pour une rvolution librale de lenseignement. Giscard dEstaing dit en gros : lenseignement catholique est surdimensionn, il doit servir de cheval de Troie au libralisme scolaire. A partir de l, il faut organiser la concurrence, donner des moyens lenseignement priv et multiplier les formes denseignement financ par lEtat et les collectivits locales. Il parle dj de dsinstitutionnaliser lcole dindividualiser le rapport lcole pour, en particulier, supprimer la carte scolaire. Il veut aussi dmanteler le service public dont la surface est juge trop importante. Il propose dorganiser lapprentissage le plus tt possible. Il voque linutilit de lenseignement 33

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prlmentaire pour le supprimer. T cela nous dit, aujourdhui, quelque chose. out Il y a, depuis cette poque-l, une union sacre entre le libral et le clrical. Personnifie par la secrtaire gnrale adjointe de lenseignement catholique, Nicole Fontaine, qui nous vient du club de lHorloge. 1984 arrive, et le grand service public unifi laque de lducation a lissue que lon connat. Depuis cette poque, la gauche est complexe. La gauche ne parle plus du rapport public/priv. La loi Debr sest aggrave constamment on est pass la parit Lenseignement priv revendique la parit des moyens et la disparit des obligations. En 1962, lenseignement public formait les enseignants du priv. A partir de 92, des moyens ont t donns pour que lenseignement priv mette en place des centres de formations pdagogiques, financs par lEtat. Il y en a 26 pour former des enseignants sous tutelle : en application des accords Lang-Cloupet. La suppression des IUFM et laccord Vatican-Kouchner sont lis. Lenseignement catholique voulait maintenir un verrou en matire de formation et de recrutement de ses matres. Il fallait donc que cette formation des CFP ne soit pas adosse lUniversit publique mais des facults catholiques. Et lenseignement priv revendique aussi la formation des matres de lenseignement public dans ses facults libres. Des maquettes pour cette formation des enseignants publics ont t proposes. Lassociation des crateurs dcoles a repris le plan dOlivier Giscard dEstaing. Elle voulait faire sauter des verrous, diminuer la surface de lEtat en matire dducation, organiser la concurrence, supprimer la carte scolaire, introduire le bon scolaire, le chque ducation. Dans cette quipe il y avait le Ministre de lEducation nationale, Darcos, le conseiller ducation lElyse, Dominique Antoine, un certain nombre de recteurs. Cette quipe tait dj en place en 1993 avec Bayrou. Ctait son cabinet, Guy Bourgois, Prsident de Crateurs dcoles, directeur de cabinet de Bayrou, Darcos, directeur adjoint. Ces dmanteleurs avaient suggr Bourg-Broc une proposition de loi permettant de faire sauter le verrou de 10 % de la loi Falloux pour financer les investissements des tablissements privs. Ces Crateurs dcoles taient en premire ligne en 2007. Le priv revendiquait la parit. Aujourdhui il demande une dconnexion de cette parit pour se dvelopper avec des moyens supplmentaires. Cest la loi Carle, lindividualisation du rapport 34

lcole : le chque ducation .Fuite en avant et concurrence sauvage dans laquelle lenseignement catholique revendique dtre associ lEtat. Alors que la loi Debr ne connat lgalement que des tablissements caractre propre. Cest ce que dit trs clairement, le secrtaire gnral de lenseignement catholique : lenseignement catholique est associ lEtat. Ce secrtaire gnral de lenseignement catholique qui ne se satisfait pas de la loi Carle, qui dit cest un compromis un instant T. On voit bien que la guerre scolaire nest pas apaise. Les projets libraux se concrtisent, programms, en catimini, comme nous dit SOS Education : il ny a despoir que si lEducation nationale se trouve menace dans sa survie par la concurrence dun grand secteur ducatif libre. Cest aussi le propos du n 2 du MEDEF que vous avez peut-tre lu le 4 octobre 2007 dans ldito du magazine Challenge sous le titre : le gouvernement doit dfaire mthodiquement le programme du conseil national de la rsistance . Il nous dit : le programme ambitieux de rforme tout azimut lanc par le gouvernement Sarkozy possde une profonde unit quand bien mme les annonces successives des diffrentes rformes par le gouvernement peuvent donner une impression de Patchwork tant elles paraissent varier dimportance ingale et de porte diverse . Et il cite le statut de la fonction publique, les rgimes spciaux de retraite, la rforme de la Scurit sociale, le paritarisme et lEducation nationale... Dans les Echos du 5 dcembre 2006, lditorialiste demande de se sparer du prambule de la constitution de 1946, dont le point 13 dit : la Nation garantit lgal accs de lenfant et des adultes linstruction, la formation professionnelle et la culture. Lorganisation de lenseignement public gratuit et laque tous les degrs est un devoir de lEtat. Ces cls de lecture, montrent une grande cohrence dans la politique de lducation nationale mene aujourdhui. Lenseignement catholique aujourdhui accepte dtre le cheval de Troie des libraux pour le libre march scolaire. Lenseignement priv, cest la discrimination, comme le montre, une tude du CNDP en 2004. On constate, daprs cette tude que les catgories sociales favorises sont pour 39 % dans le priv et 20 % dans le public que les catgories sociales dfavorises sont pour 18 % dans le priv et 43 % dans le public. Illustrons cette offensive clrico- librale par 5 dossiers lourds. 35

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Les moyens budgtaires dabord. La rigueur pour le public, les faveurs pour le priv. En 2007, quand on supprime 11.200 postes on en supprime thoriquement 20 % dans le priv parce qu il y a des postes de contractuel de droit public dans le second degr. Au lieu den supprimer 2.240 on va en supprimer 1 400. Pourtant lenseignement priv dans le second degr cest 24 lves par classe. Dans le public cest plus de 28 par classe. On a dans le public, 27 % de boursiers dans le priv 10 11 %. Avec le plan banlieue, lEtat organise la concurrence avec son propre service public. LEtat ne finance plus a posteriori, mais il finance a priori. En particulier, cette anne, Sartrouville souvre un lyce Jean-Paul II dans une zone o il y a des jeunes issus de limmigration. Cet tablissement sera sous contrat ds cette anne alors que vous avez observ que par exemple, Lille, le lyce Averros ou Lyon, lautre lyce musulman attendent 5 annes comme le prvoit la loi Debr pour passer contrat. Des jardins dveil catholiques pour les moins de 3 ans, et en de. Comme le rappelle gravement, Eric De Labarre, secrtaire gnral de lenseignement catholique, qui dtaillait dj, voil plus dun an, le mode demploi de la cration de ces jardins dveil confessionnels et de leur financement par les pouvoirs publics en vrit je vous le dis: quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n'y entrera pas Dcembre 2007, au Latran, Nicolas Sarkozy dclarait : la Rpublique [] rpugne reconnatre la valeur des diplmes dlivrs dans les tablissements denseignement suprieur catholiques []. Cette situation est dommageable pour notre pays. Dcembre 2008, le Saint-Sige et la France signent par un accord leur reconnaissance. Le chque ducation a fait une entre sournoise, par la petite porte des communes, obliges, dabord par larticle 89, aujourdhui par la Loi Carle, de financer la scolarisation de leurs lves hors communes, dans le priv Ce libre choix de la sgrgation sociale support par les collectivits les plus dmunies sera imput sur lensemble des citoyens. Je vais conclure, en rappelant que non seulement la Rpublique depuis 50 ans joue contre son camp. Mais aujourdhui cest trs clair : La Rpublique joue dans le camp de lenseignement priv. Philippe Meirieu a raison daffirmer : La guerre scolaire nest pas de lhistoire 36

ancienne, elle se droule, aujourdhui, sous nos yeux. () Nous sommes aujourdhui devant un choix dcisif, nationaliser lenseignement priv ou privatiser lenseignement public. Il y a 50 ans la ptition nationale du CNAL de fvrier mai 1960, recueillit prs de 11 millions de signatures. Cette mobilisation extraordinaire dboucha sur le rassemblement de Vincennes le 19 juin 1960 et sur le serment qui se terminait par ces mots : ... que leffort scolaire de la Rpublique soit uniquement rserve lEcole de la Nation, espoir de notre jeunesse . Opposons aux dclarations du Prsident de la Rpublique ce jugement dEdgard Quinet. ...linstituteur a un dogme plus universel que le prtre, car il parle tout ensemble au catholique, au protestant, au juif et il fait entrer dans la mme communion civile () du vivre ensemble, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit ou non la religion de leurs parents.

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INTERVENTION DE JULIEN LANDFRIED

Je suis l'auteur de ce petit livre Contre le communautarisme (Armand Colin, 2007) que je n'aurai pas la prtention de rsumer en quelques minutes. Je vais commencer par donner une dfinition du communautarisme, que j'ai forge dans ce livre, qui concerne le cas franais. Je vais ensuite essayer de distinguer ce qui est mesurable sur le plan dmographique et ce qui relve de l'ordre de lidologie. Je vais dans un troisime point aborder un certain nombre de questions qui n'ont pas t abordes, par exemple la question de l'islam, de l'islamisme. Dans ma conclusion, j'aborderai le problme essentiel quand on discute du communautarisme qui est le problme politique. La dfinition que j'ai essay de construire dans ce livre, c'est que le communautarisme en France est la dynamique cre par la rencontre entre trois acteurs. D'abord les entrepreneurs communautaires, cest--dire des responsables d'associations communautaires, des intellectuels, des responsables de mdias, qui peu peu ont russi peser dans le dbat public et obtenir une place que je considre comme disproportionne par rapport leur vritable reprsentativit. On peut citer normment d'organisations que je place dans cette catgorie d'entrepreneurs communautaires, du CRIF l'instrumentalisation qui peut tre faite du Conseil Franais du culte musulman( CFCM) et de ses principales composantes, l'Union des Organisations Islamiques de France, en particulier. Je cite galement des organisations qui ne sont pas connotation religieuse, je pense notamment au Conseil Reprsentatif des Associations Noires (CRAN), dirig par Patrick Lozs, des associations rgionales, ou des mouvements indpendantistes qui ont russi peser dans le dbat public de manire disproportionne. Je pense l'organisation de M. Talamoni et l'influence qu'elle pouvait avoir la fois sur les mdias (le soutien non- implicite que Le Monde lui a accord pendant presque 10 ans), son poids dans le monde politique puisque le rfrendum de 2003 tait directement issu des revendications de Talamoni et ses amis. Deuxime acteur, les mdias. Ce qui a chang par rapport 1905, c'est que nous sommes dans une socit mdiatique. Il n'est plus ncessaire pour peser politiquement de reprsenter des gens dmographiquement. Vous pouvez avoir un poids politique qui ne dpend pas du fait que vous ayez 1 000, 10 000, 100 000 adhrents, sympathisants, membres de votre association, de votre Eglise. Dans la socit mdiatique contemporaine, il suffit d'tre une poigne pour peser. Il suffit d'allumer sa tlvision, de lire un journal ou d'couter la radio pour s'en 38 39

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rendre compte. La plupart du temps, vous serez confronts des gens qui ne reprsentent qu'eux-mmes ou pas beaucoup plus qu'eux-mmes. Dans la socit trs atomise qui est la ntre, les entrepreneurs communautaires ne drogent pas la rgle; mme s'ils parlent au nom d'une communaut qui ne leur a rien demand - pour peu que la communaut ait un sens sur le plan anthropologique, il n'en demeure pas moins qu'il est impossible pour la plupart d'entreeux de dmontrer qu'ils reprsentent plus que quelques dizaines de personnes. Les mdias participent, dans ce cadre, de manire dcisive ; la lgitimisation des entrepreneurs communautaires. Parce qu'videmment, tant que vous n'avez pas accs ces mdias, vous n'existez pas. Avant que Patrick Lozs soit interview en tant que reprsentant des Noirs de France la tlvision, personne n'aurait eu l'ide qu'il reprsentait les Noirs de France. Quand lancien Prsident du CRIF, Roger Cukiermann tait interrog la tlvision, par la presse, et qu'il exprimait un point de vue qu'il prsentait comme tant celui des Juifs de France, c'tait un raccourci intellectuel fcheux, mais qui n'tait pas discut par les mdias l'origine de l'invitation ou de la mise en visibilit du responsable de l'entrepreneur communautaire Troisime lment du tableau, les responsables politiques. S'il n'y a pas un moment donn des responsables politiques qui accdent aux demandes des entrepreneurs communautaires, il n'y aura pas de dynamique. Si par exemple il n'y a pas un maire qui dit : d'accord pour rserver la piscine le mardi de 14h 16h. pour les femmes supposes de confession musulmane, la revendication d'avoir des horaires rservs tombe d'elle-mme. S'il n'y a pas acceptation par le responsable politique, la revendication communautaire tourne en rond. Depuis un certain nombre d'annes, cette acceptation s'est multiplie. Quon pense aux politiques de discrimination positive, aux politiques qui ont t mises en uvre comme la politique de la parit qui est, de mon point de vue, une politique de discrimination positive sur critres de genre, ou aux politiques de discrimination positive sur critres ethniques rclames de manire rcurrente par des responsables politiques de droite comme de gauche. N. Sarkozy la faisait avant son lection. Yazid Zabeg continue de les dfendre. Dans le gouvernement, il y a des dissensions et des points de vue diffrents sur cette question. A gauche aussi, des responsables politiques au PS et au PCF sont favorables des politiques de discrimination positive sur critres ethniques. Vous vous rappelez sans doute la multiplication des lois dites mmorielles adoptes par les deux Assembles, Assemble Nationale et Snat. Avant quune loi soit vote, diverses propositions de lois sont prsentes. Par exemple, avant le vote de la loi pnalisant la ngation du gnocide armnien, des dizaines de propositions de lois ont t dposes par des dputs ou des snateurs ; toujours 40

issus bizarrement de circonscriptions forte population dorigine armnienne On pourrait multiplier les exemples. Pour prendre lexemple paroxystique du dner du CRIF, qui se droule tous les ans en janvier ou fvrier selon le calendrier, rien ne force les responsables du gouvernement ou de lopposition sy rendre ; cest une dcision adulte, rflchie. En sy rendant, ils donnent videmment une lgitimit au CRIF qui est la bienvenue puisque ce dner na pas dautre but que de lui donner cette lgitimit (la critique que je fais na de valeur qu titre dexemple). Le CRIF a eu un rle jurisprudentiel en France puisquil est copi par dautres. Demain, vous aurez un CRIF musulman et il ny aura aucune raison de lui refuser ce quon a accept avec le CRIF. Cest ce que jappelle la perversion du principe dgalit dans la Rpublique. Quand on a accord un privilge un groupe, on laccorde un autre, au nom du principe dgalit. Cette dfinition est finalement dordre idologique. Ces trois groupes se rencontrent et crent une dynamique. Mais ils ne suffisent pas tablir quil y aurait une dmographie en France pour soutenir le communautarisme. Pour le dire autrement, il ny a pas en France de risque de balkanisation, de libanisation, comme on le lit parfois chez certains critiques, et qui conduirait une guerre civile. On ne va pas assister une dsagrgation de la communaut nationale en communauts ethniques antagonistes. Je ne pense pas quon puisse faire cette peinture de la situation parce que si on sintresse aux principales variables dmographiques qui structurent la socit franaise, en ce qui concerne en particulier les mariages mixtes, la France continue se caractriser comme un pays particulirement exceptionnel lchelle internationale, caractrise par une assimilation des populations dorigine trangre rellement trange si on compare avec ce qui se passe dans les autres pays. Si on compare la France et les Etats-Unis, ce sont deux pays qui ne fonctionnent pas de la mme manire. Si vous tes une petite fille de couleur noire en France, vous ne pouvez pas dterminer avec prcision quelle va faire des enfants avec un blanc, un noir ou quelquun dorigine maghrbine ou autre. Aux Etats-Unis, sans peine vous pouvez dterminer que cette petite fille noire fera des enfants avec un noir ; on en est peu prs sr. La France continue fonctionner comme un pays qui assimile les populations dorigine trangre par le mariage mixte, de manire tolrante la notion de race. En revanche, elle est intolrante sr le plan culturel. Les Franais sont hostiles aux diffrences culturelles trop significatives quon peut mesurer par deux indicateurs essentiels 1) la matrise de la langue : si vous matrisez la langue franaise, vous avez dj de grandes chances de vous intgrer la socit franaise ; 2) le 41

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statut des femmes. Pourquoi les Franais sont aussi hostiles, quand on les interroge, au port dun signe religieux distinctif pour les femmes voile, burqa - ? Tout simplement parce que cela dfie le modle dmographique franais ; je reprends l ce qucrivait Emmanuel Todd, il y a 15 ans, dans Le destin des immigrs. Tout simplement parce quune femme voile est, par dfinition, sortie du march matrimonial, quelle est rserve des musulmans. Cest profondment intolrable pour lanthropologie dmographique traditionnelle, franaise tout au moins. Ce qui explique une trs grande diffrence entre la France et les Etats-Unis, le Royaume Uni, lAllemagne. Cela nous donne des raisons dtre optimistes, mme si on peut se poser la question de savoir si lidologie diffrentialiste dans laquelle nous vivons, qui est dabord une idologie victimaire qui construit la socit comme une agglomration de communauts concurrentes, ne produit pas la longue une volution inluctable. Aujourdhui, on se pose la question de savoir si les adolescents de 15 ans qui se dfinissent dabord sur des critres ethniques, feront, jeunes adultes, des choix matrimoniaux pour des raisons ethniques. On ne sait pas ce qui sera de lordre du discours et de lordre de la ralit dmographique Intuitivement, jai envie de dire que nous sommes dans le discours et que la ralit de la socit franaise reste une socit de mlange dmographique. Si ce ntait pas le cas, la France prendrait une direction catastrophique ; mais je ne le crois pas. En revanche, sur le plan idologique, nous avons des raisons dtre pessimistes parce que je ne vois aucune force sriger contre les entrepreneurs communautaires ni contre la manire dont les responsables politiques, la plupart du temps, accdent leurs demandes, sans rsister leurs revendications. Troisime point, la question de lislam, lislamisme.. Quand on sintresse aujourdhui la question de la lacit, cest souvent le biais par lequel les mdias abordent la question. Dabord, je ne fais que me rpter, cette question de lassimilation touche aussi les populations du Maghreb, dAfrique Noire, de confession musulmane. Je ne vois pas se constituer en France, lhorizon des 10 ou 20 prochaines annes, une communaut musulmane ferme dmographiquement, hostile au mariage exogamique et qui finirait par se libaniser indpendamment de lvolution du corps dmographique national. Cela parat difficilement envisageable. En revanche, il faut constater dmographiquement que la religion dynamique en France nest pas la religion catholique. La religion musulmane est videmment la religion dynamique, quon peut constater par la multiplication des lieux de culte musulman, ou limportance du ramadan dans la socit franaise. Ce qui nest pas ncessairement un symbole de communautarisme. Dmographiquement, cette dynamique implique que beaucoup de revendications dordre communautariste, par exemple, dans le cadre de lcole 42

publique, sont lis la religion musulmane : le fait davoir dans les cantines tel ou tel plat ou tel ou tel amnagement, par exemple le fait de mettre de ct tel enseignement. Le second point, cest quon ne voit pas de dynamique de lenseignement confessionnel musulman en France. Pour diffrentes raisons. Dabord pour des raisons sociales, il faut avoir les moyens de payer lcole prive. Deuximement pour des raisons de comptences. On ne cre pas un collge ou un lyce comme a ; il faut des comptences administratives, pdagogiques, juridiques. Il faut des enseignants ; et force est de constater que dans les organisations musulmanes qui ont aujourdhui pignon sur rue, aucune dentre elles na la capacit de dire : dans les 6 mois, je dpose un dossier de cration dun lyce ou dun collge musulman . Le seul secteur aujourdhui confessionnel, dans lenseignement secondaire, qui est dynamique sur le plan dmographique, cest lenseignement priv juif dont personne ne parle parce que cest politiquement incorrect den parler, qui est le plus ferm sur le plan dmographique et qui pose des questions en termes de dynamique 1) la question de la scurit des lves de confession juive dans les coles publiques, une des principales raisons pour lesquelles ils sont obligs de se rfugier dans des tablissements scolaires privs ; 2) est-ce que les Pouvoirs Publics et les partis politiques doivent systmatiquement avaliser des projets dans lenseignement secondaire dcoles confessionnelles juives ou non ? Parce que si cest simplement pour ne pas avoir rgler des problmes qui concernent lenseignement public, ce nest pas une solution trs positive . Je finis simplement pour dire que le principal problme pour le communautarisme, mme si on ne doit pas sexonrer de critiquer les entrepreneurs communautaires, les vritables responsables, ce sont les responsables politiques. Personne ne les oblige prendre telle ou telle dcision si elle est attentatoire aux principes rpublicains les plus lmentaires. Je rejoins l Henri Pea-Ruiz qui disait ce matin quil ny a pas 36 dfinitions de la lacit ; la loi est gale pour tous Cest un principe quon peut comprendre, diplm ou pas. Pas besoin de sortir de lENA pour le comprendre Visiblement, aujourdhui le cadre politique devient une notion difficile appliquer intgralement ; en tout cas, il est contourn de manire de plus en plus aise par des responsables peu exigeants avec les principes.

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INTERVENTION DE VERA PEGNA

Les nouveaux droits des glises dans lUnion EuropenneIl y a une cinquantaine dannes le pape Jean Paul II dcide de reconqurir une Europe toujours plus scularise, donc en perte de valeurs morales. Pour ce faire le Saint Sige - chef de file des glises dans loffensive thocratique sur les institutions europennes - dclare vouloir atteindre les objectifs suivants : assurer le maintien des relations glise-tat telles qu'elles existent au sein des tats membres (concordats, privilges financiers et autres) et enraciner les relations glise-tat dans le droit communautaire afin dacqurir le statut de partenaire plein titre des institutions europennes. Un dessein clair qui se heurte cependant des rsistances, mais voil quen 1993 arrive la manne du Livre Blanc de Jacques Delors. Dans le chapitre traitant de l'implication de la socit civile dans les processus de gouvernance de lUnion il est question de lidentit des glises et des communauts religieuses qui ont une contribution spcifique apporter. Ces mots permettront aux hirarchies religieuses dobtenir une coute officielle au plus haut niveau des institutions de Bruxelles et constitueront lobstacle principal la mention de la lacit dans le trait constitutionnel europen. sa place un article, le 52, accueille les demandes vaticanes et ouvre la porte lintervention des glises dans le processus dmocratique europen. Supprimez est lamendement prsent par M. de Villepin alors chef de la dlgation franaise, mais quelques mois plus tard - les symboles religieux ostensibles aidant - la France considre que larticle 52 est un bon compromis. Seul le gouvernement belge fait part de son opposition par crit. Et Benot XVI de se rjouir: ...larticle 52 de la constitution europenne garantit les droits institutionnels des glises.... Mais que sont les droits institutionnels des glises ? Et comment en sommesnous arrivs l ? Lors du dbat sur la mention des racines chrtiennes dans le prambule du trait constitutionnel europen, il ne fut gure question dun quelconque droit institutionnel des glises. Par contre, un large battage mdiatique sur lobjectif symbolique la mention de lhritage chrtien et de dieu entretenu au plus haut niveau par les hirarchies chrtiennes, y compris celles de pays