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Livret de fin de résidence d'auteur dans le Val de Nièvre 2012

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Livret de fin de résidence d'auteur dans le Val de Nièvre 2012

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2293, le marais est pollué. Au milieu du marais, un Arbre à Trois-Troncs a poussé, mais il est si sale, si couvert de détritus que les habitants du Marais lui ont donné d’autres noms : « le décharbre », « l’arbre à canettes », « le saoûl pleureur », « l’arbre à laid », « l’arbre-plastique ». Alors, pour se remonter le moral, il se dit qu’il est un arbre moderne, un « art plastique ».

Sur une branche, trois canettes attachées suspendues dans le lierre, dansent dans le vent. Sur l’un des troncs, quatre fers à cheval sont accrochés dans l’écorce dans la broussaille, une jante de voiture.

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Complainte de l’Arbre à Trois Troncs

Je suis un arbre à trois troncs Je suis un arbre à trois trous Je suis tout seul je suis fou

J’ai mal au ventre j’ai des pneus autour du cou

dans mon feuillage des chewing-gum comme des poux

sur mon écorce des sacs plastiques, des vieux clous

Je suis un arbre à trois troncs Je suis un arbre à trois trous Je suis tout seul je suis fou

Je suis sans racine

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Dans cet arbre aux mille noms vit un héron maigrichon, toujours enrhumé au bec recourbé, on l’appelle Nez-Plié. D’ailleurs ici, la pollution a tant abîmé et affaibli les habitants, que tous marchent un peu courbés, un peuple plié.

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Dans l’ombre du marais tristesse et pollution

ont tout emporté Dans l’arbre du héron les rêves et les passions

se sont envolés

Son bec mou en caoutchouc Nez Plié comme un genou Quand il reçut un caillou

(Ou c’était peut-être un chou)

Maigrichon, vraiment pas rond Ses pattes comme des cheveux longs Son grand cou en manche de pioche

Il ressemble à une vraie cloche

Dans l’ombre du marais tristesse et pollution

ont tout emporté Dans l’arbre du héron les rêves et les passions

se sont envolés

Chanson du héron Nez-Plié

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Dans l’ombre du marais tristesse et pollution

ont tout emporté Dans l’arbre du héron les rêves et les passions

se sont envolés

Il a le cœur en compote Il sanglote car sa cocotte est partie avec son pote

Et il craque comme une biscotte

Le héron, p’tit patapon flotte dans son pantalon

Y’a plus rien dans son chaudron pas même un pauvre quignon

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C’est pourtant dans ce marais pollué, que vient souvent jouer Gauthier, un petit garçon. Son coin préféré, c’est un pont, un petit pont chromé, là, au bord du ruisseau, où poussent des oreilles d’éléphant, de grandes feuilles larges comme des toits. Ce jour-là, Gauthier joue dans le marais avec sa voiture télécommandée. Une voiture-fusée à ailerons qui file sur l’eau et le vent, comme des ricochets. Le garçon l’a construite avec des vieilles canettes, des allumettes et du polystyrène et deux petites bouteilles percées en guise de pot d’échappement, un petit moulin usagé la propulse.

Quelle chance, aujourd’hui, ce ne sont pas de petits courants d’air mais des rafales. Ça n’était jamais arrivé avant, c’est très étrange.

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La voiture est puissante, elle glisse, elle vole, Gauthier fait des zigzags entre les arbres. Soudain, la voiture devient incontrôlable, elle frôle l’eau, s’envole à nouveau, tombe en vrille, l’enfant court après l’engin, trop tard ! La voiture est projetée et atterrit au milieu d’un massif d’oreilles d’éléphant. Gauthier essaie de la faire reculer pour la décoincer. Enfin il réussit à la délivrer. Les pneus sont endommagés, mais elle peut encore rouler. Gauthier répare sa voiture lorsque le ciel commence à s’assombrir. Il se met à pleuvoir. Au début, ce ne sont que des petites gouttes, mais la pluie redouble, quadruple, l’enfant arrête de jouer. La pluie se déchaine, il pleut des seaux, des océans. Gauthier court se mettre à l’abri dans l’Arbre à Trois Troncs. Alors qu’il grimpe, il tombe nez à nez avec Nez-Plié.

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– Eh là, pas si vite, sale gosse, veux-tu descendre ! siffle l’oiseau déplumé. C’est mon arbre ! – Je t’en prie ! s’écrie Gauthier. – Cause toujours ! coasse le héron. – Cet arbre n’est pas qu’à toi, radin ! proteste le garçon.

– J’y suis depuis ma naissance ! Tu oses m’insulter, petit chenapan, descends ! – Arrête de râler, héron, ou je vais t’arracher le peu de plumes qui te restent ! Tu vois bien que c’est la tempête ? Tu aurais bien besoin de lunettes ! Nez-Plié est tout ébouriffé de colère : – Je vais te… Il n’a pas le temps de finir sa phrase que Gauthier est déjà arrivé à la cime de l’arbre. Autour d’eux les eaux montent, montent sans cesse. Gauthier et Nez-Plié sont bientôt rejoints dans le décharbre par une horde d’animaux affolés. Des écureuils, une famille de hiboux, des pics verts, un castor. L’enfant leur lance une corde, au grand désarroi du héron.

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– Ben voyons, c’est la fête ! grogne-t-il méchamment. On me rejette tout le temps, mais quand il s’agit de se protéger, on vient me supplier ! Les écureuils se serrent dans des sacs plastiques pour ne pas être mouillés, les pics verts se réfugient dans des canettes de soda. Le décharbre balance dans tous les sens. Tout tremble, tout craque, le vent siffle, la foudre explose. Puis c’est le silence. Tout à coup, un terrible bruit résonne au loin. Un grondement féroce, qui enfle et se rapproche de plus en plus, un tremblement de terre. – Tous aux abris ! hurle Gauthier quand une gigantesque vague noire déferle sur eux.

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Une vague noire comme la nuit. Une vague noire de peur et de désespoir. Une vague noire comme l’oubli. Dans l’arbre, c’est la panique : – Attrape ma main ! – Attrape ma patte ! – Attrape mon pied ! – Au secours, je vais lâcher ! La vague noire est si énorme, si puissante, qu’elle soulève le pont, arrache ses piliers l’arbre s’abat sur le pont, qui se met à dériver. La vague emporte tout sur son passage…

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Un pont oublié au fond du marais un pont bien caché personne n’y passait et il déprimait

puis l’orage éclate les éclairs explosent odeur de brûlé courant déchaîné un raz de marée

REFRAIN : Une vague noire de désespoir une peur bleue un trou d’mémoire

Tout est emporté dégommé, craqué déformé, cramé les pierres arrachées le pont, les piliers

un arbre à trois troncs tombé sur le pont qui largue les amarres quitte le brouillard sous la houle, il tangue

Chanson du bateau-pont

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REFRAIN : Une vague noire de désespoir une peur bleue un trou d’mémoire

L’oreille d’éléphant volait dans le vent la feuille s’est posée sur l’arbre échoué le vent l’a gonflée

changé en voilier le p’tit pont chromé devient pont crawlé vogue sur la vague jusqu’à Copenhague

REFRAIN final :

Nouveau départ lueur d’espoir sur un voilier ça va swinguer

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Alors un silence inquiétant fige à nouveau le marais dévasté, plus rien ne parle, plus rien ne bouge, sur le pont arraché, tous ouvrent des yeux effarés. Gauthier, le héron Nez-Plié et les autres naufragés sortent de leurs cachettes. Stupeur, ils sont vivants ! – Oui, on est vivants, murmure l’enfant, mais on est… on est noirs et blancs ! Autour d’eux, à perte de vue, horreur ! Le paysage est sans couleurs.

A bord du bateau-pont, on s’organise : le décharbre sert de mât, avec la roue du moulin, Gauthier fabrique une hélice, on transforme des pneus en bouées de sauvetage, avec quelques branches et de vieilles pelles, le castor taille des rames, une jante sert de gouvernail, les canettes, de flotteurs, les hiboux font des longues-vues avec des bouteilles, avec les bâches, l’écureuil coud des hamacs, avec quatre fers à cheval, on fait une ancre, Nez-Plié plonge et pêche des poissons pour nourrir les naufragés. Le bateau-pont est devenu une véritable Arche de Noé. Les jours passent, le bateau-pont dérive vers le nord. Mais où sont les couleurs ?

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Il traverse des mers gelées, il devient brise-glace, il vogue plus loin que Copenhague, plus loin que la Finlande, il vogue jusqu’au Pôule-Nord, il finit par être prisonnier de la glace, impossible d’avancer. Les naufragés débarquent sur la banquise. Là, au milieu de l’étendue gelée, ils aperçoivent une étrange maison isolée, autour, de la glace lisse comme un lac. Dans un coin, une pancarte enneigée, où il est écrit : « Maison de retraite. » Les naufragés frappent à la porte. Rien. Il refrappent. Attendent longtemps. Toujours rien. Enfin, la porte s’ouvre et ils découvrent une vieille cocotte. – Qu’est-ce que c’est ? dit la poule en les dévisagent d’un air méfiant.

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Ça chuchote, derrière elle. On ne voit pas, mais on entend : – Pourquoi ils sont noirs et blancs ? Ça jacasse, ça caquète, ça discute tout en même temps, elles doivent être un régiment : – On dirait des grizzlis ! – Est-ce que c’est mon mari ? – Non ce sont des zombies ! – Des vampires ? Des momies ? – Ils ont une maladie ? – Si c’était des bandits ? – Ça suffit ! s’écrie la première cocotte, qui semble la plus courageuse, on s’entend plus ici ! – Oh, je vous en supplie, dit Gauthier en grelottant, on cherche un abri.

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La vieille cocotte entrouvre un peu plus la porte. A l’intérieur, Nez-Plié, Gauthier et les naufragés découvrent une centaine de vieilles poules, armées de balais, de martinets, de chaises, de cannes et de casseroles. Les caquètements reprennent : – On n’aime pas les étrangers ! – Ils pourraient se laver ! – Il faut les assommer ! – Ils vont nous contaminer ! – Appelons la poulice ! Appelons les poules-piers ! Mais la vieille cocotte s’emporte : – Arrêtez ! Vous n’êtes que des poules mouillées ! C’est enfin le silence.

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– Essaie de leur parler, murmure Gauthier à l’oreille de Nez-Plié. Le héron s’avance, d’un air décontracté : – Salut, poulettes ! lance-t-il à l’assemblée en inclinant son cou déplumé. Cette fois-ci, ça glousse : – C’est vrai qu’il est beau gosse, murmure une poule rousse. – On est gentils, on ne vous veut aucun mal, dit Gauthier. – On est juste congelés, gémit Nez-Plié. La vieille cocotte leur fait signe d’entrer : – Venez vous réchauffer, dit-elle en leur tendant une aile, je m’appelle Chouquette. Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Alors les naufragés expliquent leur histoire. La vague noire, les couleurs disparues, le bateau-pont, la dérive, la glace, leur désespoir.

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Les poules acceptent d’accueillir les naufragés dans leur maison de retraite. Ici, des ventilateurs géants fonctionnent en permanence. Des jeunes poulettes viennent aider les vieilles cocottes pour les repas et la toilette.

Il y a une cantine, un salon avec écran plasma, une salle de cinéma, des consoles de jeux, une médiathèque avec accès Internet illimité. Les poules dorment dans des nids de paille installés sur des étagères, elles ont des ascenseurs et des fauteuils volants. Des douches lumineuses où elles peuvent écouter la radio. Gauthier et Nez-Plié découvrent même des robots-massants en salle de repos.

– Vous pouvez essayer si vous voulez, c’est bon pour le dos, dit la vieille cocotte. – Et là-bas, qu’est-ce qu’on voit ? demande Nez-Plié en désignant des croix. – C’est le cimetière, explique la vieille cocotte. C’est là-bas que mon mari est enterré. Et à son tour, elle se met à leur raconter :

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– Mon mari le coq est mort, je suis triste, je suis très vieille, je sais que je vais bientôt mourir. J’aimerais tellement me télétransporter pour le rejoindre, mais notre machine est en panne, elle a gelé. Je voudrais revenir en arrière pour retrouver l’assassin de mon mari. Et puis, ma famille est si loin, elle habite à l’autre bout du monde. Je me sens si seule… – Venez avec nous, lui propose le héron.

Gauthier et le héron doivent repartir et mener à bien leur mission : retrouver les couleurs. Mais le bateau-pont est coincé par la glace, impossible de repartir par la mer. – Et si on repartait par les airs ? dit Gauthier. – Ça c’est une idée ! s’exclame Chouquette. Et si on vous tricotait une montgolfière ? – Oh oui, oui ! renchérissent les autres cocottes. Aussitôt dit, aussitôt fait, toutes les cocottes se mettent à l’ouvrage. Enfin un projet !

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En une milliseconde, elles tricotent un éclair. En une seconde, elles tricotent un grain de poussière. En une minute, elles tricotent un trou de gruyère. En une heure, elles tricotent une pomme de terre. En un jour, elles tricotent une grosse pierre. En une semaine, elles tricotent un ours polaire. En un mois, elles tricotent… une montgolfière ! Si ça continue, dans mille ans, elles tricoteront Jupiter. Dans dix mille ans, elles tricoteront l’univers.

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La veille du départ des naufragés, les vieilles cocottes organisent un grand bal. Elles se maquillent, mettent des plumes à paillettes, des gants noirs, des talons qui brillent et des perruques. Dans la cantine, un grand œuf à facettes illumine la salle. Le DJ écureuil installe la sono, des poulettes prépare les boissons, de la bière au grain et du cidre doux. Nez-Plié invite une petite poule rousse à danser. Quand elle dit oui, Nez-Plié sourit et rougit. Le DJ met un slow. Ils sont rejoints sur la piste par les vieilles cocottes, c’est une grande fiesta. Elles dansent le madison, le coq and roll, puis elles se défoulent sur du hip hop et de la tecktonik, c’est bon de se déchaîner, elles chantent, elles caquètent. Une p’tite poulette fait même un strip-tease. Mais Chouquette est encore triste... A la fin de la fête, une vieille cocotte – si vieille, qu’elle ressemble à une momie – vient trouver Nez-Plié et Gauthier :

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– Je me souviens, leur dit-elle, que quelque part vit une grenouille multicolore. Elle seule a le pouvoir de rendre les couleurs et de redonner l’espoir. Elle vit dans un Parc-en-ciel. Puis elle leur tend un petit boîtier : – Ceci est un détecteur de couleurs, il vous aidera à trouver le Parc-en-Ciel. Quand il se mettra à émettre un signal, c’est que vous approcherez de votre destination. – Merci, dit Nez-Plié. – Je crois que je vais vous accompagner, dit Chouquette à Gauthier. Il paraît que la grenouille multicolore est une bricoleuse hors pair, elle saura peut-être réparer la machine gelée, et je pourrai retourner dans le passé retrouver mon mari. – Moi, le présent me suffit, dit la petite poule en regardant le héron, je pars avec vous aussi.

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S’il le pouvait, le héron ronronnerait, mais il se contente de rougir. L’amour, c’est bien connu, ça redonne des couleurs. C’est enfin le jour du départ. La montgolfière tricotée est hissée au-dessus du bateau-pont, qui devient un pont volant… une pontgolfière ! Gauthier tire sur la corde et le gaz gonfle le ballon. La pontgolfière s’élève dans le ciel.

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Ça rapetisse ça rétrécit on prend de l’altitude on vole au loin on grimpe au ciel et depuis la nacelle

Les toits sont si petits on dirait des chapeaux Les arbres sont des choux-fleurs Les herbes, des haricots

Les champs, un jeu d’échec Les rivières, des serpents L’eau est comme un miroir La Tour-Eiffel carrée

Ça rapetisse ça rétrécit et de plus en plus haut on vole au loin on grimpe au ciel et depuis la nacelle

La France est une étoile L’Italie une botte La Finlande est jolie on dirait un dragon

L’île de Bora-Bora est comme un cœur brisé Les dunes sont du savon La Terre n’est plus qu’un rond

Chanson des pontgolfiers

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Ça rapetisse ça rétrécit et de plus en plus haut on vole au loin on grimpe au ciel et depuis la nacelle

L’Amérique du Sud ressemble à une femme L’Amérique du Nord est comme un oiseau L’Afrique est pareille à une chevelure L’Australie a une tête de dauphin

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Après des jours dans les airs, le boîtier détecteur de couleurs émet enfin un signal. – Là-bas ! s’écrie Nez-Plié. Poussée par les vents, la pontgolfière file, tandis que le boîtier sonne de plus en plus fort. Les naufragés découvrent alors un Parc multicolore peuplé d’étranges manèges, au beau milieu du ciel, flottant sur les nuages comme des œufs à la neige. – Un ventboggan ! crie un pic vert – Une planançoire ! renchérit le castor. – Une Grande Ourse foraine ! s’exclame l’écureuil. – Des couleurs, enfin des couleurs ! murmurent les hiboux. Gauthier reste rêveur devant un anneauskate de Saturne, de quoi faire de sacrés flips ! Leur flânerie est interrompue par un coup de sifflet strident, suivi d’un éclair vert. Et cette fois, ce n’est pas le boîtier. – C’est quoi, ce machin clignotant ? grogne Nez-Plié.

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– Je suis Spot-le-Ver, leur répond le machin. – C’est ça, la grenouille bizarre ? dit le castor. Fallait nous dire que c’était encore un têtard ! – Je suis pas un têtard, gros lard, je suis une luciole ! Et quant à la grenouille, je suis son assistant. – S’il vous plaît, monsieur Spot, murmure Gauthier au ver très vexé, vous pourriez nous conduire à votre patronne ? Nous avons quelque chose de très important à lui demander. – Pas question, grommelle le ver, elle est très occupée ! – Mais c’est une question de vie ou de mort… – Ou plutôt, une question de noir ou de blanc, ajoute l’écureuil. – C’est sûr que vous avez une sale tête, dit Spot le Ver, en les dévisageant. Si vous voulez rencontrer ma patronne, vous devrez d’abord réussir quatre épreuves. – Allons bon, soupire Gauthier. – Garez là-bas votre citrouille volante, ordonne Spot, et suivez-moi.

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Les naufragés suivent le ver, qui les entraîne devant un énorme cumulo-nimbus. – Première épreuve, leur explique-t-il : le footéclair. Pour gagner, il vous faudra mettre au moins un but dans cette cage-nuage, avec un ballon-lune. – Où est le goal ? demande Nez-Plié. – C’est un éclair, répond le ver. – C’est gogol, dit le héron, en deux coups de pattes, c’est plié ! – Rira bien qui rira le dernier, dit le ver luisant. A chaque essai raté, le perdant reçoit un coup de foudre. Nez-Plié envoie une première frappe, mais l’éclair l’arrête aussitôt et le héron prend une décharge. Les naufragés font moins les fiers. Pourtant ils crient quand même : – Pour Chouquette, hip hip hip hourra ! La vieille cocotte prend son élan et donne un grand coup de pied dans la lune. Mais elle part sur le côté et Chouquette est éliminée. – Pour gagner, dit Gauthier aux naufragés, il faudrait un truc pour attirer l’éclair comme un paratonnerre, comme ça, plus de gardien de but et tchac, zou aux enfers !

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– Je dois avoir ça dans mes affaires, rétorque Chouquette, en leur tendant une aiguille à tricoter en fer. Gauthier la prend : – Ça c’est une idée super ! Grâce à ce stratagème, il parvient à mettre un but facilement. La poule rousse et Chouquette agitent leurs plumes comme des pompons, elles sont folles de joie et caquètent. – Bon, grogne Spot le Ver, vous avez réussi, passons à l’épreuve suivante : le météogolf. Vous devez lancer un météorite dans un trou noir avec un club-éclair. – Encore un éclair ? grogne le héron. – Oui, dit le ver, mais cette fois-ci, m’est avis qu’il ne se laissera pas faire. – Alors je vais essayer, dit un pic-vert. Tous les naufragés l’encouragent. Pic-Vert pose la météorite sur le tee, prend son club-éclair et son élan. Mais la balle sort du parcours. – Nul ! ricane Spot.

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C’est au tour de l’écureuil d’essayer. Il se concentre. Il prend le club éclair et ce coup-ci, la météorite arrive juste au bord du trou noir. – Encore un échec ! dit le ver luisant. Alors Nez-Plié suggère aux hiboux : – Il faut qu’on change de stratégie. Prenez-moi par les pattes, je vais servir de club, avec moi, vous aurez un bon swing ! – Bonne idée, disent les parents hiboux, tandis que héron serre les genoux. Et grâce à Nez-Plié, la météorite plonge dans le trou. Les naufragés sautent de joie. Spot le Ver est en colère. – Vous avez triché ! – Quoi, grogne le héron, on l’a mise dans le trou, votre fichue balle, oui ou non ? – Vous avez eu de la chance avec les deux épreuves précédentes, répond Spot avec un rire cruel, mais les suivantes seront insurmontables. Vous allez devoir passer l’épreuve de la pétanque glaciale. Le but est de coller au plus près du cochonnet, avec des boules de grêle. Je vous présente le cochonnet : papy Spot. La difficulté est qu’il se déplace, c’est un jeu de précision et de rapidité.

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La petite poule rousse essaie la première. Elle prend dans son aile un gros grêlon, mais il est brûlant, ce glaçon ! – Vas-y, ma poulette ! crie le héron en furie, en sifflant et bondissant. La petite poule rousse se concentre et vise papy Spot : – Prépare-toi à te faire assommer ! Elle lance le grêlon, mais elle est emportée dans son élan, elle roule et s’étale par terre. Spot le Ver éclate de rire. L’écureuil entre en piste, prend à son tour une boule de grêle. La boule voltige et rebondit sur le nez de papy Spot, mais elle termine son chemin dans un cratère. Chouquette reprend alors les choses en mains avec ses vieux réflexes de championne du monde de bataille d’œufs. Elle met un protège-plumes, un protège-patte et un cache-crête, et jette sa boule de grêle, qui atterrit pile sur Papy Spot. Le cochonnet finit dans le cirage. – On a gagné ! s’écrient les naufragés. – Oh my God ! marmonne Spot le Ver, au bord de la crise de nerfs.

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Il vous reste encore la dernière épreuve, la plus difficile, ajoute-t-il en les entraînant vers un immense bassin. Voici une pisciboréale. Si vous réussissez à récupérer les neuf lettres qui sont tout au fond, alors ma patronne répondra peut-être à votre question. – Comment s’appelle-t-elle, votre patronne ? demande Gauthier. – Ça, c’est à vous de le découvrir ! rétorque le ver. Le premier à plonger est Gauthier, mais il manque de souffle et il ne réussit à remonter que deux lettres. Deux L. L’écureuil essaie aussi. Il revient à la surface, avec un A et un E, entre les dents. Castor, qui a l’habitude de l’eau et de construire des barrages, se prépare à son tour. Il reste encore cinq lettres à rapporter. – Attends, dit l’écureuil, en lui tendant deux grosses coquilles de noix pleines d’air, percées d’un tuyau. C’est leur dernière chance, mais Castor garde espoir, et d’un coup de queue, se motive. Il plonge avec les deux coquilles remplies d’oxygène. C’est parti, il trace. Les minutes passent. Enfin, les naufragés aperçoivent une tête qui dépasse.

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Castor ramène les dernières lettres. – U, R, E, Q, A, déchiffre Gauthier. – On est bien avancés, grogne le héron. – Ben aidez-moi à trouver ! lance le garçon. – C’est pas mon fort, dit le castor. – On y voit flou, disent les hiboux. – J’ai mal à l’œil, dit l’écureuil. – J’ai compris, râle Gauthier, y’a que moi qui sais lire. – Ben… Gauthier mélange les lettres et essaie de les assembler. – L, L, A, E, U, R, E, Q, A, épèle-t-il à voix haute. – Euréka ? demande Nez-Plié. Gauthier réfléchit. Spot le ver ricane. – Alors ? C’est la panne ? Soudain Gauthier bondit sur ses pieds : – Euréka, j’ai trouvé ! AQUARELLE ! Pam, pam, boum, boum, pif paf ! Dans un bruit assourdissant, la grenouille Aquarelle apparaît au milieu d’un feu d’artifice. Elle est là, devant eux, avec ses lunettes en kaléidoscope, des outils plein les poches, un gant, et une ceinture de bricoleuse.

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– Bonzour, leur lance-t-elle, vous zavez réussi toutes les zépreuves. Z’ai oublié de vous prézizer quelque zose : z’ai un an, un gant, mais z’ai aucune dent. Ze m’appelle Aquarelle, ze suis la magnifique, la fantaztique, la multicolore. Bon, si on passait aux zozes zérieuzes… Les naufragés se moquent dans un coin. – Z’avez pas un parapluie, pouffe le héron, zinon on va ze prendre des poztillons ! – Qu’est-ze qui y a ? s’agace la grenouille. Les naufragés n’osent pas lui dire en face car ils ont besoin de son aide. La grenouille est vexée, mais elle est curieuse et avant tout, bricoleuse. Elle semble très intéressée par le mécanisme de leur pontgolfière. Elle révèle le responsable de la vague noire : C’est le rat de marée, qui voulait piquer les couleurs du monde !

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Le pire est qu’il a réussi, sauf au Poûle Nord. Un rat tout gris, un rat tout sale, un rat jaloux. C’est d’ailleurs lui qui a assassiné votre mari, Chouquette. Chouquette bondit : – C’est lui, ce scélérat ! Mon coq chéri avait des plumes si colorées ! – Z’ai une idée pour attirer ce rat de marée et l’oblizer à rendre les couleurs, dit Aquarelle. Il faut conztruire une grozze mazzine à laver qui l’ezzorera et fera tomber une pluie de couleurs sur la terre et ze pourrai remettre les couleurs dans le monde. – Euh, c’est un nouveau modèle de lave-linge que je ne connais pas, alors, dit le héron. – C’est bien gentil, mais comment l’attirer dans le piège, ce rat d’égout ? demande Chouquette. – Eh bien, z’ai une p’tite idée : il reste un obzet de couleurs très particulier qu’il n’a pas réuzzi à voler et que z’ai en ma pozzezzion : mes lunettes-kaléidozcopes, qui permettent de voir toutes les couleurs de la terre en même temps. Il ne réziztera pas à mon offre.

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Avec l’aide d’Aquarelle, les naufragés construisent la machine. Le castor dit : – Ma queue servira de marteau. Ils fabriquent le caisson avec une carcasse de frigo. Avec de vieux pare-brise, les hiboux proposent de construire le hublot. Pour faire le tambour, l’écureuil demande au décharbre s’il peut utiliser un vieux tonneau. Chouquette et la petite poule rousse cèdent quelques plumes pour le thermostat. Nez-Plié sert de tournevis et de clé à molette. Et pour le moteur surpuissant, Aquarelle décide d’utiliser la force du ventboggan. En une semaine, le résultat est épatant. Après avoir martelé, vissé, moletté, percé, cloué, nivelé et manivelé, la machine est terminée. Ils chantent en bricolant.

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On va essorer le rat d’marée On va le rincer Le décolorer

On va lessiver le rat d’marée On va l’savonner Et le liquider

On va assouplir le rat d’marée On va le frotter Et le faire mousser

On va égoutter le rat d’marée On va l’éponger Et le faire pleurer des larmes multicolores…

Comptine des bricoleurs

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Aquarelle envoie Nez-Plié porter le message au rat de marée. Mais à l’idée de sentir dans son cou les sales pattes du rat d’égout, le héron a du dégoût. – Prends d’abord un sac plastique dans l’Arbre à Trois-Troncs, lui conseille l’écureuil. – J’espère que ça va fonctionner, marmonne Nez-Plié, avant de s’envoler. En survolant son marais, le héron aperçoit une boule de couleurs au milieu du noir et blanc. Nez-Plié se pose, tout ému de retrouver son habitat dévasté. Plus que jamais, il veut se venger.

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– Je t’apporte un message de la part de la grenouille Aquarelle, dit-il au rat. Si tu acceptes de discuter avec elle, elle t’offrira ses lunettes-kaléidoscopes. Avide, le rat se laisse facilement avoir, il prend place dans le sac. Le rat et le héron arrivent enfin au Parc-en-Ciel, où les attendent les naufragés et Aquarelle. La grenouille attire le rat dans le tambour grâce à l’éclat des lunettes, qui scintillent comme un diamant. Caché derrière la machine, Gauthier referme aussitôt le hublot et appuie sur « on ». Aussitôt, la machine se met à laver et essorer le rat de marée. Soupline assouplit l’affreux, les couleurs dégorgent et forment un nuage. La grenouille Parc-en-ciel fait pleuvoir le nuage multicolore sur le monde, qui retrouve toutes ses couleurs.

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Un rat de marée tout vert comme une tempête en mer Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine Pour mettre du vert sur la Terre sauf sur les oursons polaires

Un rat de marée violet danse le rock dans les gilets Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine de la lavande, des iris du raisin et du cassis

Un rat de marée orange dans le linge que c’est étrange Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine Et la savane au couchant retrouve ses couleurs d’antan

Un rat de marée indigo qu’on voit derrière le hublot Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine Indigo, c’est rigolo mais en trouver, c’est dingo

Chanson de la grenouille Aquarelle

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Un rat de marée tout rouge au fond du tambour ça bouge Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine un amour assourdissant dans la lave d’un volcan

Un rat de marée tout jaune Programme essorage sur « on » Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine Une couronne de lumière le monde en un clic s’éclaire

Un rat de marée tout bleu déteint du nez à la queue Pluie de couleurs sous la machine Aquarelle dessine Grâce à toutes ses couleurs, On va r’trouver le bonheur.

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