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Ph. Gros Comment atteindre la MSY ? 04.12.2005 /7 1 F MSY F Y MSY Captures Taux de mortalité due à la pêche Représentation générique de la dépendance de Y (biomasse extraite d’un stock) vis-à-vis de F (taux de mortalité due à la pêche) L’objectif de rendement maximal de l’exploitation durable d’un stock halieutique : la MSY (Maximum Sustainable Yield), quels enjeux pour les halieutes ? Philippe Gros, Ifremer Qu’est-ce que la MSY ? La production maximale soutenable (MSY en anglais) est rigoureusement définie à partir des équations des modèles de dynamique des populations exploitées. Cependant, en s’affranchissant du formalisme mathématique, il demeure aisé d’appréhender le concept de MSY à l’aide de la figure suivante : Le graphe montre l’allure générale des variations de la production exploitée d’un stock, classiquement notée Y, en fonction de l’intensité de l’extraction qu’il subit, représentée ici par le taux de mortalité due à la pêche, classiquement noté F. On établit que la courbe Y vs. F passe par un maximum, qui est précisément la MSY, obtenue pour la valeur F MSY du taux de mortalité F. Il est implicite dans la définition de la MSY qu’elle n’est pas une référence absolue, mais liée à une forme d’exploitation donnée : sa valeur dépend donc, inter alia, de la sélectivité des engins de pêche. Lorsque le taux F est inférieur à F MSY , il existe une marge de gain ; si au contraire F est supérieur à F MSY , le stock est exploité au-delà de ses capacités productives (« surexploité »), et le volume des captures décroît au fur et à mesure que l’effort de pêche (et son coût réel) augmente(nt). Dans ce second cas, l’exploitation est au mieux suboptimale au plan de la « rentabilité biologique », au pire elle engage le stock sur la voie de l’effondrement. Selon cette représentation théorique, l’exploitation d’un stock qui permet d’en extraire durablement le maximum de biomasse est celle qui ajuste son intensité d’extraction de telle sorte que la mortalité par pêche soit maintenue égale à F MSY . Cette idée à la fois simple et séduisante, née avec l’essor de la modélisation mathématique de la dynamique des ressources halieutiques, était celle qui prévalait dans les années cinquante. Rappelons qu’à cette époque d’expansion des pêcheries, le volume des débarquements mondiaux n’était que de l’ordre du tiers de ce qu’il est aujourd’hui. Jusqu’ici, la MSY a été définie de façon purement déterministe. C’est là un point de vue mal adapté au caractère naturellement fluctuant des stocks et de l’environnement dans lequel ils évoluent. Cette variabilité est intégrée comme suit à la définition « moderne » de la MSY : la MSY est la plus grande quantité de biomasse que l’on peut en moyenne extraire continûment d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes, sans affecter le processus de reproduction 1 . 1 d’où l’appellation aussi employée aujourd’hui : Maximum Average Yield (MAY). Il faut cependant noter que recourir à la MAY ne suffit pas à « lisser » la variabilité des ressources dites instables, qui sont en général de petites espèces pélagiques à faible longévité, et dont un bon exemple est offert par l’Anchois.

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FMSY F

Y

MSYC

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Taux de mortalité due à la pêche

Représentation générique de la dépendance de Y (biomasse extraite d’un stock) vis-à-vis de F (taux de mortalité due à la pêche)

L’objectif de rendement maximal de l’exploitation durable d’un stock halieutique : la MSY (Maximum Sustainable Yield), quels enjeux pour les halieutes ? Philippe Gros, Ifremer Qu’est-ce que la MSY ? La production maximale soutenable (MSY en anglais) est rigoureusement définie à partir des équations des modèles de dynamique des populations exploitées. Cependant, en s’affranchissant du formalisme mathématique, il demeure aisé d’appréhender le concept de MSY à l’aide de la figure suivante : Le graphe montre l’allure générale des variations de la production exploitée d’un stock, classiquement notée Y, en fonction de l’intensité de l’extraction qu’il subit, représentée ici par le taux de mortalité due à la pêche, classiquement noté F. On établit que la courbe Y vs. F passe par un maximum, qui est précisément la MSY, obtenue pour la valeur FMSY du taux de mortalité F. Il est implicite dans la définition de la MSY qu’elle n’est pas une référence absolue, mais liée à une forme d’exploitation donnée : sa valeur dépend donc, inter alia, de la sélectivité des engins de pêche. Lorsque le taux F est inférieur à FMSY, il existe une marge de gain ; si au contraire F est supérieur à FMSY, le stock est exploité au-delà de ses capacités productives (« surexploité »), et le volume des captures décroît au fur et à mesure que l’effort de pêche (et son coût réel) augmente(nt). Dans ce second cas, l’exploitation est au mieux suboptimale au plan de la « rentabilité biologique », au pire elle engage le stock sur la voie de l’effondrement. Selon cette représentation théorique, l’exploitation d’un stock qui permet d’en extraire durablement le maximum de biomasse est celle qui ajuste son intensité d’extraction de telle sorte que la mortalité par pêche soit maintenue égale à FMSY. Cette idée à la fois simple et séduisante, née avec l’essor de la modélisation mathématique de la dynamique des ressources halieutiques, était celle qui prévalait dans les années cinquante. Rappelons qu’à cette époque d’expansion des pêcheries, le volume des débarquements mondiaux n’était que de l’ordre du tiers de ce qu’il est aujourd’hui. Jusqu’ici, la MSY a été définie de façon purement déterministe. C’est là un point de vue mal adapté au caractère naturellement fluctuant des stocks et de l’environnement dans lequel ils évoluent. Cette variabilité est intégrée comme suit à la définition « moderne » de la MSY : la MSY est la plus grande quantité de biomasse que l’on peut en moyenne extraire continûment d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes, sans affecter le processus de reproduction1.

1 d’où l’appellation aussi employée aujourd’hui : Maximum Average Yield (MAY). Il faut cependant noter que recourir à la MAY ne suffit pas à « lisser » la variabilité des ressources dites instables, qui sont en général de petites espèces pélagiques à faible longévité, et dont un bon exemple est offert par l’Anchois.

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Quel est le contexte de l’application de la MSY ? Il existe une relation de proportionnalité directe entre le taux F et l’effort de pêche exercé sur un stock. L’effort, classiquement noté E, désigne l'ensemble des moyens de capture déployés par unité de temps : la définition de E combine explicitement les moyens de production mobilisés et la durée pendant laquelle ils sont employés. Aux premiers correspond la « capacité de pêche2 » des flottilles [i.e., le nombre des navires qui les composent, leurs caractéristiques (e.g., tonnage, puissance motrice) ainsi que celles des engins de pêche qu'ils utilisent, l'expérience et la qualification des équipages, …], à la seconde le temps de pêche réel (inférieur au temps passé en mer). Dans la représentation de la dynamique d’un stock exploité, le « paramètre de contrôle » est le taux F, et l’extraction peut donc être régulée par contingentement (i) des prises (c’est le système des TAC et quotas), (ii) et/ou de l’effort de pêche E. La « gestion par TAC » est le mode dominant de la Politique Commune de la Pêche, même si certains outils issus de la réforme 2002 de la PCP (e.g., plans de reconstitution et plans de gestion) font explicitement référence à la gestion de l’effort. Les difficultés attachées à l’estimation de la capacité de pêche, est plus généralement à celle de l’effort de pêche E, ont été parfois invoquées pour justifier la prééminence du contingentement par TAC. Parmi les raisons citées, retenons qu’il peut a priori sembler plus simple de disposer de données de capture3 que de données d’effort, et aussi qu’il serait plus facile, pour partager la ressource, de standardiser des quantités pêchées que des efforts de pêche. Ces points techniques sont ici de second ordre. C’est en 1946 à la Conférence de Londres sur l’overfishing (« surpêche ») que fut prise la voie de la gestion des captures plutôt que celle de l’effort. Cette seconde option, qui avait été proposée par le Royaume-Uni, fut refusée par les autres pays. En effet, partager l’effort en tenant compte des « droits historiques » aurait désavantagé les pays qui n’avaient pas encore développé leurs propres flottes, d’où le choix de limiter les captures sans entraver la croissance des capacités de pêche4. De cette orientation est en partie héritée l’actuelle « surcapacité » des flottes de l’Union Européenne, surcapacité qui perdure en dépit des plans de réduction des flottes mis en œuvre depuis une vingtaine d’années. Il n’a été jusqu’ici question que de l’un des deux grands « leviers » du dispositif de la gestion des pêcheries, celui dit de la « conservation » (par contingentement des captures et/ou de l’effort, assorti de mesures techniques comme par exemple la sélectivité des engins). L’autre levier est celui de la régulation de l’accès aux ressources. La mise en œuvre des instruments de la régulation de l’accès (normes administratives, incitations économiques, mesures juridiques) est aujourd’hui considérée comme l’une des réformes essentielles du secteur de la pêche : dans le contexte où la capacité de pêche des flottilles excède le prélèvement autorisé, un système de gestion principalement fondé sur la conservation (le TAC) plutôt que sur la régulation de l'accès à la ressource stimule la rentabilisation à court terme de l'outil de production. Il incite à adapter les capacités de pêche à une situation de concurrence, i.e., à les accroître, au lieu de les ajuster à la MSY. La surexploitation naît de cette « boucle » génératrice de surcapacité, processus qui s’auto-entretient en raréfiant les ressources, aggravant ainsi la concurrence et son corollaire, la « course au poisson ».

2 la connaissance de la capacité de pêche est indispensable à la gestion des pêcheries, et à l’application des mesures qui visent à éviter l’excès d’effort de pêche. La FAO propose la définition suivante : "La capacité de pêche est la quantité de poisson susceptible d’être capturé sur une certaine période de temps (e.g., une année ou une saison de pêche) par un bateau ou une flottille pour une condition de ressource donnée". 3 en fait, le contrôle du TAC n’est pas fondé sur les captures réelles, car il repose sur la comptabilisation des quantités débarquées : en d’autres termes, les rejets ne sont quasiment jamais pris en compte. 4 Serge M. Garcia, FAO, comm. pers.

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L’exploitation actuelle des stocks halieutiques produit elle la MSY ? La réponse est oui pour ca. la moitié des stocks mondiaux, selon les diagnostics annuels qu’établit la FAO d’après les données officielles. On estime par ailleurs qu’un peu moins du quart des stocks mondiaux possède un potentiel d’accroissement de production, et que le dernier quart est soit surexploité, soit épuisé. L’examen des tendances montre que la proportion des stocks surexploités (ca. 10% au début des années soixante-dix) n’a cessé d’augmenter depuis 30 ans. En Atlantique Nord Est, la situation des stocks halieutiques est préoccupante : les proportions de ceux qui sont pleinement exploités, surexploités, et épuisés atteignent respectivement 60, 22 et 18%. On note qu’il n’existe plus dans cette région de stock modérément à sous-exploité5. En d’autres termes, l’extraction globale qu’opèrent les pêcheries sur les ressources évaluées de l’Atlantique Nord Est est le fait de mortalités par pêche dont les taux F sont généralement supérieurs à FMSY. Dans une synthèse sur l’état des mers européennes publiée en 2003 par le CIEM, il était confirmé que la surexploitation demeure un problème majeur en Atlantique Nord Est. Le CIEM évalue chaque année plus d’une centaine de stocks dans cette région. Au cours de la période 1996-2001, près d’un tiers d’entre eux était en mauvais état, l’état d’un autre tiers était inconnu, et l’état de moins d’un quart des stocks pouvait être considéré comme satisfaisant (et, à condition d’en réduire l’exploitation, ca. 17% supplémentaires pourraient entrer dans cette dernière catégorie). Il convient de préciser qu’un stock « dont l’état est satisfaisant » n’est pas nécessairement un stock dont l’exploitation produit la MSY. En effet, le diagnostic que formule le CIEM pour un stock donné est fondé sur la position de ce stock par rapport à des « points de référence biologiques » : il s’agit (i) du seuil de biomasse de géniteurs au dessous duquel ne pas descendre (noté Blim), et (ii) du taux de mortalité par pêche à ne pas excéder (noté Flim). Ces « points limites » définissent la zone de danger d’effondrement du stock, zone dans laquelle l’évolution à court terme de celui-ci est en l’état actuel des connaissances impossible à prévoir. Les valeurs Blim et Flim sont entachées d’incertitude. Pour cette raison est associé à chacune un seuil « de précaution », repéré par l’indice pa. Ainsi l’écart entre Bpa et Blim est il d’autant plus grand que la connaissance nécessaire à la détermination de valeur de Blim est insuffisante – et aussi que les gestionnaires acceptent de minimiser la prise de risque. De même en est il pour la distance qui sépare Fpa de Flim. Avec ces définitions, un stock est considéré par le CIEM comme exploité « dans des limites biologiques sûres » (« within safe biological limits ») lorsque la biomasse des géniteurs est supérieure à Bpa, et que le taux F est inférieur à Fpa. Il convient de retenir : - que les points de référence biologiques Bpa et Fpa ne sont pas des objectifs de gestion, mais

des seuils d’alerte au delà desquels des mesures conservatoires doivent être prises (considérer Fpa comme un objectif de gestion, c’est choisir de maintenir un niveau d’effort de pêche à risque, plutôt que privilégier la maximisation de la productivité du stock)

- et qu’un stock « exploité à FMSY » peut souvent être aujourd’hui considéré comme situé dans

la zone de sécurité biologique, mais la réciproque n’est pas vraie : les définitions supra n’entraînent pas qu’un stock situé dans cette zone produise la MSY.

5 Cette synthèse est établie par la FAO d’après les données que lui fournissent les « pays pêcheurs ». Concernant la pêche française, il faut cependant noter que certains stocks non soumis à évaluation communautaire (e.g., la sardine, le bar, plusieurs stocks de petits bivalves et peut-être certains céphalopodes) semblent aujourd’hui modérément exploités.

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La MSY, objectif de gestion : quel bilan ? Depuis une trentaine d’années, la MSY a été l’objet de nombreuses critiques, en particulier6 :

- ce n’est pas un indicateur stable dans le temps (d’où l’actuelle référence à une valeur moyenne),

- c’est un indicateur « monospécifique » (i.e., propre à un stock donné), et donc peu utile au plan opérationnel lorsqu’il s’agit de traiter le difficile problème de la gestion des « pêcheries mixtes » (i.e., dans une même zone de pêche, plusieurs flottilles capturent chacune différentes proportions d'un même ensemble de plusieurs espèces),

- l’effort de pêche qui produit la MEY (Maximum Economic Yield) est inférieur à celui qui produit la MSY. La critique décisive demeure cependant le constat d’échec résumé par la figure qui suit : Le schéma illustre le diagnostic empirique suivant : l’expérience montre que les gestionnaires tendent à considérer Fpa comme un objectif de gestion, et qu’en pratique la probabilité de dépasser la zone cible correspondant à la MSY excède très largement la probabilité de l’atteindre. La reconduction année après année de taux de mortalité F trop élevés aboutit inéluctablement à une situation de surexploitation de nombreux stocks (cf. ci- contre et infra), surtout dans un contexte de surcapacité des flottilles et d’un accès aux ressources faiblement régulé. . . L’effet cumulatif du dépassement des valeurs recommandées de F est graphiquement résumé par le schéma ci-contre (NB : l’axe des ordonnées repère ici la biomasse des géniteurs, à la différence du schéma précédent où il repère les captures). Le diagnostic formulé par le CIEM en octobre 2005 sur l’état de plusieurs stocks sous gestion communautaire exploités par la France montre que seule une faible part d’entre eux est située dans les limites biologiques de sécurité. 6 parmi les critiques figurent aussi certaines difficultés d’estimation, la non prise en compte de la dimension économique, l’inaptitude à fournir un outil de gestion opérationnel. Ces considérations avaient conduit P.A. Larkin à publier en 1977 un article remarqué, intitulé an epitaph for the concept of MSY.

Bio

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Taux de mortalité due à la pêche (F)

Cardine de M Celtique & GdG

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Sole M d N

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Fpa Flim

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http://ww

w.ices.dkLieu Noir

Mer du NordW Écosse

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Baudroies de MCeltique & GdG

Sole GdG

Flim Fpa F

Y

MSYZone cible

Situation actuelle denombreux

stocks

F cible Danger Danger

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Changer de paradigme La MSY a connu une évolution paradoxale : dans le même temps qu’elle était considérée avec une réserve croissante par la communauté des halieutes, elle était par ailleurs inscrite dans plusieurs textes fondateurs du cadrage international de la gestion aussi bien multilatérale que nationale des pêcheries. Ainsi la MSY figure-t-elle, entre autres : - dans la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (1982), - dans l’un des instruments de cette convention, comme elle juridiquement contraignant, l’accord de

1995 sur les stocks de poissons grands migrateurs et les stocks chevauchants, - dans le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO (1995, art. 7.2.1). Il convient d’ajouter à cette liste non exhaustive que la MSY a été adoptée comme objectif de gestion par plusieurs organisations régionales de pêche, par exemple la CICTA7. Suivant cette logique, « l’objectif MSY » est inclus dans le plan d’application du Sommet Mondial pour le Développement Durable de Johannesburg (SMDD 2002, dont la France est signataire) : « Assurer la durabilité de l’exploitation des ressources halieutiques nécessite [entre autres conditions de] maintenir ou rétablir les stocks à un niveau permettant d’obtenir un rendement maximal constant, le but étant d’atteindre d’urgence cet objectif pour les stocks épuisés, et si possible en 2015 au plus tard 8 ». Afin de ne pas reproduire les échecs mentionnés précédemment, une rupture avec les références traditionnelles s’impose, en considérant conjointement : - que l’expérience confirme qu’en gestion des pêches, il est plus efficace de définir une limite à ne

pas franchir, plutôt qu’une cible manquée de façon répétée ; - qu’il n’est pas conforme aux engagements du SMDD 2002 d’exploiter un stock halieutique au delà

du maximum de biomasse qu’il est capable de produire durablement, i.e., au delà de la MSY. Par conséquent, pour atteindre « l’objectif 2015 », les gestionnaires devront se référer à un nouveau repère : le taux de mortalité due à la pêche FMSY devient une limite à ne pas franchir, il n’est plus un taux-cible. Définir FMSY comme « le nouveau Flim » vise à empêcher la péren-nisation du régime de surexploitation, et à éviter les pertes biologiques et économiques afférentes. La comparaison du graphe ci-contre avec son homologue présenté supra révèle l’ampleur du chantier de la décennie à venir. Pour les gestionnaires, la question cruciale est la suivante : comment parvenir à réduire fortement les taux F, et donc résorber la surcapacité et se donner les moyens de la maîtriser ensuite, sans engendrer une crise sociale au cours de la période de réajustement de l’intensité de l’exploitation ? 7 Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique (ICCAT en anglais), organisation établie en 1969, et dont la convention fait référence au MSY (art. IV, § 2b). 8 § 31(a) : “Maintain or restore stocks to levels that can produce the maximum sustainable yield with the aim of achieving these goals for depleted stocks on an urgent basis and where possible no later than 2015”.

Flim F

Y

FMSY : mortalité limite de référence, à éviter avec une probabilité élevée

Situation-cible des stocks en 2015

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Inverser la tendance : les ordres de grandeur de la nécessaire diminution de F La figure qui suit met en évidence la direction vers laquelle s’engager pour atteindre « l’objectif 2015 ». Pour chacun des stocks considérés est représentée l’étendue des valeurs plausibles par lesquelles doit être divisé le taux F de mortalité due à la pêche9. La borne la moins contraignante (diviseur le plus faible) correspond à la limite FMSY, celle située le plus à gauche (diviseur le plus fort) indique le voisinage du taux-cible vers lequel tendre pour exploiter durablement le stock10.

Le graphique appelle trois remarques : - Les estimations supra sont obtenues à partir de données relatives à l’état présent des stocks et

des moyens de production (en particulier CIEM, oct. 2005) ; ces estimations sont évidemment destinées à être révisées en fonction des changements à venir.

- À ce stade de la réflexion, c’est d’abord la tendance générale qui importe, plutôt que la

précision des estimations propres à chacun des stocks ; le graphe qui précède n’a d’autre but que de donner une indication approchée de l’ampleur du réajustement à appliquer au régime d’exploitation actuel.

- Ainsi qu’il a été précédemment rappelé, les caractéristiques de l’exploitation d’un stock donné

influencent la valeur de la MSY. À cet égard, et sans pour autant constituer une panacée, une substantielle amélioration de la sélectivité des engins devrait contribuer significativement à progresser vers « l’objectif 2015 ».

9 référence : valeur moyenne des 3 années les plus récentes (F des années 2002 à 2004). 10 Comme recommandé plus haut, on assimile FMSY à une valeur limite Flim ; on retiendra que ce choix modifie sensiblement la définition usuelle du seuil Flim, telle qu’énoncée à la page 3 de la présente note.

5 4 3 2 1

Valeur du diviseur de F

Églefin Mer du NordLieu Noir MdN – W. Écosse

Merlu « stock nord » Baudroie (L. b.) M. Celtique – G. Gascogne

Cardine M. Celtique – G. GascogneSole Manche Est

Plie Mer Celtique Sole Manche W

Sole Mer Celtique Baudroie (L. p.) M. Celt. – G. Gasc.

Sole Golfe de GascognePlie Mer du Nord limite cible

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La responsabilité des scientifiques Les décisions afférentes au processus d’échelonnement de la réduction de l’effort sont bien entendu du ressort de l’autorité publique. L’enjeu est le « reformatage » des pêcheries de l’Union Européenne à l’horizon décennal, suivant une démarche qui associera l’ensemble des parties concernées. Il va de soi que la communauté scientifique ne saurait être absente de ce processus. Par delà cette position de principe, il importe de bien mesurer la responsabilité qui échoit aux halieutes. L’objectif de restauration des stocks au niveau auxquels ils produisent la MSY converge avec la position que les halieutes défendent de longue date, à savoir que l’extraction doit être ajustée au potentiel de production biologique des écosystèmes. En ce sens, les engagements du SMDD 2002 impliquent que la MSY devient un critère fondamental du dimensionnement de la capacité de pêche des flottilles. Suivant cette logique, les analyses des scientifiques, et en particulier l’estimation la plus exacte possible de la MSY, contribueront à instruire le dossier sur lequel s’appuiera l’autorité publique pour décider du plan d’évolution de la flotte et des pratiques de pêche. Il s’agit là d’une tâche qui doit être accomplie dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire (associant sciences exactes et sciences humaines), dans la mesure où l’estimation de la MSY (et de ses fluctuations) nécessite d’intégrer : - les effets du changement climatique sur les espèces exploitées, - les incidences des altérations de l’environnement sur l’état des stocks, - la connaissance précise des rejets, - l’impact des mesures de gestion émergentes sur la productivité des milieux et des ressources, par

exemple les conséquences de la mise en place d’un réseau d’aires marines protégées 11 (AMP). L’objet d’étude étant la dynamique du couplage entre production naturelle et extraction, il s’agira aussi de prévoir, pour mieux cerner la capacité effective de capture : - l’évolution de la structuration en « métiers » de flottilles confrontées à la croissance du prix du

carburant et aux préoccupations environnementales de la société, - les redressements concomitants des diagrammes d’exploitation, - les futures modalités de l’encadrement de l’activité, - et, tenant compte de l’ensemble des facteurs précités, les changements de capturabilité.

Cet inventaire non exhaustif de questions vise simplement à souligner, s’il en était besoin, que « l’objectif 2015 » définit à moyen terme, et en grande partie, les bases de la recherche halieutique européenne. Il convient enfin d’insister sur le fait que la progression vers « l’objectif 2015 » procèdera par étapes. Dans cette démarche, la latitude de décision de l’autorité publique n’est aucunement entravée par la non-disponibilité immédiate de l’ensemble des réponses à la variété des questions qui précèdent, comme le précisent les termes de référence internationaux. L’esprit de cette liberté de décision est par exemple clairement exprimé dans le Code de conduite pour une pêche responsable (art. 7.1.1) : « Les mesures de conservation et d’aménagement […] devraient reposer sur les données scientifiques les plus fiables disponibles et être conçues pour assurer la durabilité à long terme des ressources halieutiques […] ; la réalisation de ces objectifs ne devrait pas être compromise par des considérations de court terme ».

11 cf. plan d’application du SMDD 2002, § 32(c).

Remerciements à Loïc Antoine, Alain Biseau, André Forest, Jean-MarcFromentin, Benoît Mesnil et Patrick Prouzet, dont les remarques etcommentaires ont permis d’enrichir la version initiale de la présente note.