L'Objet a in S X

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Lacan

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  • Introduction la lecture du Livre X

    LangoisseNathalie Charraud

    Lobjet a dans le sminaire X

    Dans le sminaire X, Lacan souligne quau stade oral le petit sujet est dans la confusion delobjet a et de lAutre, et de lui-mme avec lobjet. Le sein fait partie de lui, mais peut devenircessible, spar : langoisse de sevrage correspond au moment o le sein, il puisse le prendreou le lcher, cest l o se produit le moment de surprise le plus primitif, accompagn dunsentiment de drliction1. La connexion de lobjet oral avec la voix instaure les manifestationsprimaires du surmoi sous forme dincorporation.Les objets a dans leur pluralit renvoient aux objets pulsionnels freudiens et Lacan tente dansla dernire partie du sminaire une formalisation de chacun de ces objets dans leurappartenance au sujet ou lAutre, en des schmas distincts pour chaque objet maisprcurseurs2 de ceux de lalination et de la sparation que lon trouve dans le sminaire XI,et qui vaudront pour lobjet a en tant que tel. Lobjet oral correspondant au besoin renvoie un besoin dans lAutre alors que lobjet anal, objet de demande ducative, indique la demandedans lAutre. Lobjet oral complte le petit enfant dun sein dont il cherchera assez vite, nonsans angoisse, se sevrer. Il ne sait pas, il ne peut pas savoir, que le sein, le placenta, cest la ralit de la limite de apar rapport lAutre. Il croit que a, cest lAutre, le grand Autre, la mre. En revanche, cestau niveau anal quil a pour la premire fois loccasion de se reconnatre dans un objet. 3 Lobjet anal se trouve tre le premier support de la subjectivation dans le rapport lAutre, je veux dire ce en quoi, ou ce par quoi, le sujet est dabord requis par lAutre de semanifester comme sujet, sujet de plein droit 4

    Au stade anal, cest la premire fois que le sujet a loccasion de se reconnatre dans un objetdont il se spare, en rponse la demande de lAutre. Lexcrment devient objet agalmatique,avec toute lambivalence dune reconnaissance ambigu de la part de lAutre qui en faitbientt, dun objet admir, quelque chose de repoussant. Lvacuation du rsultat de lafonction anale en tant que commande va prendre toute sa porte au niveau phallique commeimageant la perte du phallus 5Cette imaginarisation sappuie sur la connexion du stade anal et la scoptophilie. En mmetemps, elle sassociera langoisse de castration : lamour se mtaphorisera en don, mme sion ne donne rien. Le dsir si particulier de lobsessionnel, son ambivalence, est rattacher ce nouage entre anal, scopique et castration. Le dsir sous le mode anal sappuie sur une sortede mtonymie scopique qui fait quun objet remplacera toujours lautre, un dsir prendra laplace dun autre, ce qui peut tre source dinhibition. Le sujet fonctionnant sous le mode oralaura au contraire pour fixation un point, jusqu laveuglement, avec langoisse de se perdre

  • en perdant lobjet. Langoisse chez lobsessionnel, que Lacan caractrise comme angoisseanale, saccroche ce noyau irrductible quil faut que lAutre demande a . Sesmanuvres audacieuses, ses tentatives perverses et raffines, visent cette demande de la partde lAutre.La mtaphore du don, la fonction de la trace, voire de la signature (chez le voleur) sontempruntes la sphre anale. Le don est lacte suprme, a-t-on dit, et mme lacte socialtotal 6La rfrence de Lacan est ici clairement lessai sur le don de Marcel Mauss.Nous nous proposons de faire un rapide dtour par le texte du grand sociologue avant deconsidrer la faon dont Lacan mathmise la grammaire dune phrase dont la signification estun objet qui merge dun nud de sens tournant prcisment autour du don.

    Lessai sur le don de Marcel Mauss7

    Dans les socits dites primitives, les offrandes aux dieux taient faites pour obtenir leurbienveillance et leur protection. Par contamination, tout don est en quelque sorte signifiant dedemande. Lobligation de rendre met laccent sur le fait que lobjet est toujours lintersection du sujet ($) et de lAutre (A barr), et quil doit circuler. Mauss sinterroge sur cette force qui pousse rendre la chose reue, et en gnral excuter les contrats rels (p .153). La question du don met en jeu le symbolique des contrats et le rel de lobjet. Cestun systme de prestation totale dans la mesure o cest tout le clan qui contracte pourtous, pour tout ce quil possde et pour tout ce quil fait, par lintermdiaire de sonchef (p.152). Il y a encore prestation totale au sens o cest le principe de rivalit qui domineces pratiques, jusquau potlach. Il y a obligation de donner et de recevoir, refuser de prendrequivaut dclarer la guerre.Les objets offerts chez les Trobriandais par exemple, tudis par Malinowski, taient desbracelets, des colliers, des haches, etc.., des objets fabriqus, des objets culturels. Pour Mauss,ces objets jouaient le rle de monnaie. Thsauriss, ils ont t la source de la fortune desTrobriandais. Non dtruits par lusage, ces objets pouvaient tre quantifis, mme silsnavaient pas la valeur libratoire de nos monnaies modernes. Au contraire, ils demeuraientattachs des personnes et des clans, leur valeur est encore subjective et personnelle,mesure lempan de leurs donateurs successifs (p.178).

    Dans son introduction luvre de M.Mauss, Claude Levi-Strauss exprime son admirationpour le grand ethnologue qui voyait donc juste quand il constatait ds 1902 quen somme,ds que nous en arrivons la reprsentation des proprits magiques, nous sommes enprsence de phnomnes semblables ceux du langage> (p. XXXI). Quand Mauss parle desystme, comme le faisait dailleurs Saussure, Levi-Strauss y voit la naissance dune pensestructuraliste : Pour la premire fois, le social cesse de relever du domaine de la qualit pure : anecdote,curiosit, matire description moralisante ou comparaison rudite et devient un systme,entre les parties duquel on peut donc dcouvrir des connexions, des quivalences et dessolidarits (p.XXXIII). Les activits sociales sanalysent en termes de relations et decombinatoire et L.S. compare lessai sur le don la phonologie et la linguistique, du moinschez Mauss cette orientation est reste ltat desquisse. Que Mauss nait jamais entreprislexploitation de sa dcouverte et quil ait ainsi inconsciemment incit Malinowski se lancerseul () dans llaboration du systme correspondant, est un des grands malheurs delethnologie contemporaine (p.XXXV). Ceci dautant plus que ce dernier fit reculer lesprogrs acquis en dcrivant des phnomnes et en introduisant des postulats sans valeurscientifique. Le commun dnominateur aux yeux de Levi-Strauss des activits sociales

  • dcrites dans lEssai est le terme dchange. Ainsi le hau est un produit de la rflexionindigne et Mauss naurait pas tir toutes les consquences de son observation sur laparticularit linguistique releve chez les Papous et les Mlansiens qui nont quun seulmot pour dsigner lachat et la vente, le prt et lemprunt. Les oprations antithtiques sontexprimes par le mme mot . L.S. nous invite reformuler ce problme de linterprtation dujugement mlansien : Ne sommes-nous pas ds lors fond dire que si Mauss avait puconcevoir le problme du jugement autrement que dans les termes de la logique classique, etle formuler en termes de logique des relations, alors, avec le rle de la copule, se seraienteffondres les notions qui en tiennent lieu dans son argumentation (il le dit expressment : ), et le hau dans la thorie du don ? (p.XL)Le don est donc un acte signifiant au cur des relations sociales comme des relations entredeux individus. Pour M. Mauss, cest un acte social total, qui implique et organise la totalitde la communaut autour, ajoutera Lacan, de la question de lobjet.

    Je te demande de refuser ce que je toffre

    Cette phrase clbre, produite par Lacan le 9 fvrier 1972, est construite avec trois verbesdont le dernier signifie un don envelopp des deux premiers. Cet embotement se rvle plusprcisment avec lcriture quil propose : le je te demande + substantif scrit f(x,y,z). Lesubstantif scrit son tour refuser : z=g(x,y,z), o le substantif son tour scrit ce queje toffre : z=h(x,y). La grammaire ainsi fait partie de la signification, comme Jakobsonlavait affirm la veille lors dune confrence. La signification qui merge est celle dunobjet : Je te demande de refuser ce que je toffre, parce que cest pas a . Mais Lacanprcise que, mme sans le cest pas a , la signification de lobjet surgirait dun nud desens, du nud form par les trois verbes, qui pourrait plutt snoncer : je te demande derefuser que je toffre , lobjet est dautant plus l quil est clips de la phrase. Cest de lademande paradoxale qumerge lobjet, qui nest pas ici ramen lobjet anal, mais lobjeten tant que tel.

    Cest dun nud de sens que surgit lobjet lui-mme, et pour le nommer, puisque je lainomm comme jai pu, lobjet a .

    Lobjet a fait partie de ces choses qui ne peuvent se dire, propos de quoi il vaut mieux setaire, selon Wittgenstein. Et Lacan dajouter que cest bien pourquoi cest pas a .Au niveau de la logique classique, la phrase devient impossible : si cest pas a que je toffre,alors pourquoi le refuser, et pourquoi le demander ? Il est impossible de soutenir une relationde la demande au refus, de mme du refus loffre. Autrement dit, si cest pas a que jetoffre, cest pas a que tu peux refuser, et cest pas a que je te demande. Mais lobjet nestpas tant dans le cest pas a que dans le nud des trois verbes, et Lacan affirme que si onte un de ces verbes, a ne veut plus rien dire : leffet de sens est dans la conjonction des troisverbes, en tant que je lappelle petit a . Ce nud plus prcisment sera le nud borromenquil introduit dans cette leon pour la premire fois.Nous navons plus affaire des objets a, mais une fonction a que lon pourrait crire a(x),o le x dcrirait les quatre ou cinq objets de la pulsion. De ces objets pulsionnels, lobjet amerge donc dans une quivalence des verbes binaires : je temmerde, je te regarde, je teparle, je te bouffe, sont tous les quatre grammaticalement quivalents, et cest cettequivalence mme qui est lobjet a.Le pivot de la signification qui se trouvait encore dans le sminaire X du ct du pre dansson unicit8, se dplace clairement ici du ct de lobjet a labor comme unique.

  • J.A.Miller, dans sa prsentation des prochaines journes de lAMP consacres lobjet a,soulignait le moment tournant que reprsente le sminaire X, concernant la question du preen relation lobjet a.

    En effet, il y a la fin de ce sminaire une sorte dhommage rendu au pre comme pre dudsir. Ce pre singulier est contemporain dune laboration plurielle des objets a. Dans lessminaires suivants, lobjet a tend se logifier pour devenir lindicateur dune pure placetopologique, alors qu linverse le pre, au moins le Nom-du-Pre, se pluralise en les Noms-du-Pre9. On assiste dans le sminaire X ce chiasme entre objet et pre, et nous avons pumettre en vidence un moment, dans le sminaire XIX, o lobjet a est effectivement construitcomme ce autour de quoi tourne la signification. Cest lobjet qui, dune certaine faon,capitonne la signification, et non plus le Nom-du-Pre. Au niveau thorique, le petit a dans lesderniers sminaires sera au centre du coinage du nouage borromen entre le symbolique,limaginaire et le rel.

    1 Lacan J., Le Sminaire, livre X, L'angoisse, texte tabli par J-A Miller, Seuil, Paris, p.362

    2 Ibid, p.336

    3 Ibid, p.350

    4 Ibid, p.379

    5 Ibid, p.351

    6 Ibid, p.353

    7 Marcel Mauss, essai sur le don , Sociologie et anthropologie, PUF 1991 (4me dition)

    8 On se rappelle le commentaire de Lacan de la grande scne dAthalie dans le sminaire III, chapitre XXI, o la

    crainte de Dieu est le point de capiton de toute la scne.9 Les noms-du-Pre tait le titre prvu pour lanne de sminaire suivante, auquel Lacan renoncera pour

    introduire, dans le nouveau contexte de lENS, les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.