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Logiques professionnelles et logiques familiales : une articulation contrainte par la délocalisation de l’emploi Family and occupational lives: Balancing them under the constraint of delocalization Cécile Vignal Centre de recherche sur l’espace, les transports, l’environnement et les institutions locales, institut d’urbanisme de Paris, université de Paris XII–Val-de-Marne, 61, avenue du Général de Gaulle, 94010 Créteil cedex, France Résumé Cet article analyse l’articulation entre les aléas de l’intégration professionnelle et les formes de l’intégration domestique. Sur la base d’une enquête auprès de salariés confrontés à la fermeture de leur usine et à sa délocalisation à 200 kilomètres de leur domicile, est présentée une typologie de leurs arbitrages géographiques et professionnels. Certains choix résultent de tensions entre les logi- ques familiales et les logiques professionnelles alors que d’autres, au contraire, voient la recherche de ressources professionnelles et économiques dominer sans contredire les logiques familiales. Quatre types sont discutés. Ainsi, l’instabilité et la mobilité de l’emploi contribuent à renforcer d’autres formes d’affiliation comme le logement, l’espace de vie et la famille. Par ce biais, ces injonctions à la mobilité résidentielle aggravent les inégalités sociales entre salariés différemment armés face aux risques professionnels et familiaux. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A survey of French wage-earners faced with the delocalization of their factory, which moved 200 kilometers away from their homes, sheds light on the contingencies of integrating life at work Adresse e-mail : [email protected] (C. Vignal). Sociologie du travail 47 (2005) 153–169 http://france.elsevier.com/direct/SOCTRA/ 0038-0296/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2005.03.001

Logiques professionnelles et logiques familiales : une articulation contrainte par la délocalisation de l'emploi

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Logiques professionnelles et logiques familiales :une articulation contrainte

par la délocalisation de l’emploi

Family and occupational lives: Balancing themunder the constraint of delocalization

Cécile Vignal

Centre de recherche sur l’espace, les transports, l’environnement et les institutions locales,institut d’urbanisme de Paris, université de Paris XII–Val-de-Marne, 61, avenue du Général de Gaulle,

94010 Créteil cedex, France

Résumé

Cet article analyse l’articulation entre les aléas de l’intégration professionnelle et les formes del’intégration domestique. Sur la base d’une enquête auprès de salariés confrontés à la fermeture deleur usine et à sa délocalisation à 200 kilomètres de leur domicile, est présentée une typologie deleurs arbitrages géographiques et professionnels. Certains choix résultent de tensions entre les logi-ques familiales et les logiques professionnelles alors que d’autres, au contraire, voient la recherche deressources professionnelles et économiques dominer sans contredire les logiques familiales. Quatretypes sont discutés. Ainsi, l’instabilité et la mobilité de l’emploi contribuent à renforcer d’autresformes d’affiliation comme le logement, l’espace de vie et la famille. Par ce biais, ces injonctions à lamobilité résidentielle aggravent les inégalités sociales entre salariés différemment armés face auxrisques professionnels et familiaux.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

A survey of French wage-earners faced with the delocalization of their factory, which moved200 kilometers away from their homes, sheds light on the contingencies of integrating life at work

Adresse e-mail : [email protected] (C. Vignal).

Sociologie du travail 47 (2005) 153–169

http://france.elsevier.com/direct/SOCTRA/

0038-0296/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2005.03.001

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and at home. A typology is presented of how wage-earners balanced geographical and occupationalfactors so as to make choices. Certain decisions resulted from tensions between family and occupa-tional interests whereas occupational and economic purposes prevailed in other cases without contra-dicting family attachments. Four types are discussed; for instance, job instability and mobility tend toreinforce affiliations having to do with housing, the family and the private sphere. Requirements forresidential mobility thus increase social inequality between wage-earners, who are not all equippedalike for coping with occupational and family-related risks.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Logiques familiales ; Logiques professionnelles ; Ouvriers ; Licenciement ; Délocalisation ; Mobilitérésidentielle ; Migration ; Ancrage ; Territoire

Keywords: Family vs. occupational interests; Workers; Dismissals; Delocalization; Residential mobility; Migra-tion; Territory; France

Les conséquences de la flexibilité de l’emploi et du chômage sur l’intégration profes-sionnelle, d’une part, et sur la sphère domestique, d’autre part, ont été étudiées en sociolo-gie mais ont rarement été appréhendées conjointement1.

D’un côté, on sait que les appartenances professionnelles sont aujourd’hui plus fréquem-ment remises en cause « soit de manière contrainte, par les mouvements du capital, soit demanière volontaire, par la mise en œuvre d’un projet de mobilité, souvent par une transac-tion entre les deux » (Dubar, 2000, p. 201). Le chômage déstabilise l’identité sociale desindividus et conduit parfois à inhiber leurs capacités d’action (Demazière et Dubar, 2001)et à diminuer l’estime de soi des personnes (Linhart et al., 2002). Dès lors, si le travaildemeure central dans le processus de construction et de reconnaissance de chacun, la dif-fusion des formes d’emplois temporaires, flexibles et mobiles ne permet plus d’assurer uneintégration sociale et une identité professionnelle stable.

De l’autre, la perte d’un emploi questionne le rapport au logement et à la famille dessalariés dont l’ancrage dans un bassin de vie a pu longtemps prévaloir et composer leuridentité sociale. Alors que l’intégration professionnelle est mise à mal, la sphère domesti-que peut être valorisée et valorisante notamment par le biais du statut de propriétaire pourlequel les Français témoignent d’un attachement continu (Drosso, 2000). La maison peutdevenir un lieu de sécurisation et la famille un foyer idéalisé de ressourcement identitaireparfois associé à des attitudes de retrait du marché du travail (Palmade et Dorval, 1999). Lerapport au logement peut aussi s’inscrire dans un attachement territorial plus large cons-truit notamment autour de relations familiales et amicales largement décrites par les socio-logues de la famille et les démographes (Bonvalet et al., 1999 ; Ortalda, 2001 ; Degenne etal., 1991).

Notre questionnement portera sur l’articulation entre la déstabilisation de l’intégrationprofessionnelle et les formes de l’intégration domestique. Serge Paugam constate, au sujetdes formes précaires d’intégration professionnelle, que « le repli sur la vie hors travail estencore plus courant aujourd’hui que la vie à l’usine n’offre plus de perspectives » (Paugam,2000, p. 243). Mieux, on peut estimer que l’instabilité et la flexibilité de l’emploi peuvent

1 L’auteur remercie Nicolas Kaciaf pour ses relectures critiques.

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avoir des conséquences sur les pratiques spatiales et résidentielles et peuvent contribuer àrenforcer d’autres types d’affiliation comme le logement, l’espace de vie et la famille.

Ainsi cet article a-t-il pour objectif de rendre compte de l’impact du caractère fragmentéet incertain des trajectoires professionnelles sur les pratiques résidentielles de mobilité oud’ancrage des salariés. Un des contextes susceptibles d’éclairer ce questionnement est celuides restructurations d’entreprises. Celles-ci sont porteuses de risques majeurs de déstabi-lisation des trajectoires professionnelles et résidentielles, notamment lorsqu’elles impli-quent la délocalisation du lieu de travail. Dès les années 1950, la résistance au déménage-ment des ouvriers des secteurs du charbon et de l’acier était identifiée. Serge Moscovicirejetait alors l’hypothèse communément admise d’une immobilité inhérente à la psycholo-gie des individus (Moscovici, 1959). En fait, le déménagement était davantage acceptélorsqu’il s’accompagnait d’un maintien ou d’une amélioration du niveau de vie et, en par-ticulier, des conditions de logement2. Aujourd’hui, les analyses permettant d’expliquer lesrefus fréquents de mobilités géographiques dans un contexte de restructuration ou de chô-mage sont rares. Les travaux sur les plans sociaux se sont davantage centrés sur l’emploi etles politiques de gestion des entreprises. Pourtant les restructurations industrielles et lesreconversions des territoires ont engagé depuis plus de 30 ans des formes d’incitation à lamobilité géographique des salariés (Villeval et al., 1989). D’un traitement collectif et ter-ritorial, on est passé à des dispositifs plus individuels, orientés vers la reconversion dusalarié et parfois accompagnés d’aides favorisant le déménagement. Toutefois la mise enœuvre de ces mesures est difficile : il n’est pas rare que moins d’un tiers des salariés accep-tent les reclassements ou délocalisations proposés3.

L’enquête sur laquelle se fondent nos observations nous permet d’explorer les consé-quences des arbitrages géographiques des salariés confrontés à la fermeture et à la déloca-lisation d’une usine : comment vivent-ils la délocalisation ou la perte de leur emploi ?Quels mécanismes mettent-ils en œuvre pour en limiter les effets ? La famille joue-t-elle unrôle « assurantiel » de protection contre les risques ? Nous formulons l’hypothèse selonlaquelle la famille n’est pas un objet passif des mutations sociales, mais un acteur quicontribue à définir les modalités et les directions des changements économiques et sociauxqui tentent de s’imposer à elle. Les contraintes de délocalisation ou de perte d’emploi enga-geraient une tension entre des sphères d’intégration professionnelle, résidentielle et fami-liale jusqu’alors géographiquement proches. Notre objectif sera ici de dégager une typolo-gie des arbitrages géographiques des salariés selon la place respective des logiquesprofessionnelles et familiales.

2 Au sein de l’Ined, Alain Girard (Girard, 1956 ; Girard et Cornuau, 1957) a également étudié les échecs desmesures favorisant la mobilité géographique des établissements des zones en récession (par exemple, les mineursdes Cévennes). À l’inverse,Alain Tarrius (Tarrius, 2000) a bien montré comment la migration de près de 20 000 Lor-rains (les sidérurgistes et leurs familles) en Provence, suite à l’ouverture du chantier de Fos-sur-Mer au début desannées 1970, a pu être réalisée grâce à une planification urbaine dans laquelle la question du logement des salariéset de leur famille était fortement intégrée.

3 L’interview d’une douzaine de consultants de cabinets spécialisés dans l’accompagnement de plans sociauxnous a permis de confirmer ce que des travaux récents et la presse quotidienne régionale révèlent régulièrement :lors des restructurations d’entreprise, les propositions de reclassement qui impliquent un déménagement sontdifficilement acceptées, y compris par des ouvriers résidant dans des bassins d’emplois en crise (Malsan, 2001 ;Rénahy, 1999 ; Villeval et al., 1989 ; Wachter, 1991).

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1. Licenciement–ancrage ou mutation–migration : des arbitrages entre contrainteset ressources

L’analyse se fonde sur une enquête qualitative4 menée auprès de salariés en majoritéouvriers confrontés, en 2000, à la fermeture de leur usine de Laon en Picardie5 et à sadélocalisation, à Sens en Bourgogne à 200 kilomètres de leur domicile. Malgré la suppres-sion d’un tiers des postes, l’ensemble des 300 salariés s’est vu proposer une mutation sur lenouveau site de Sens. Le plan social, engagé au début du printemps 2000, leur proposait dese déclarer, ou bien pour la mutation directe, ou bien pour une mutation d’essai d’au moins6 mois dite « période probatoire », ou bien encore pour le licenciement6.

Après avoir étudié les dimensions structurantes de ces arbitrages (1.1.), nous présente-rons la construction d’une typologie des formes de migration et d’ancrage selon les rela-tions entre logiques professionnelles et familiales (1.2.).

1.1. Les conditions des décisions des salariés

Le refus de la mutation professionnelle fut élevé puisque près des deux tiers des 300 sala-riés ont opté pour le licenciement d’emblée ; in fine près des trois quarts d’entre eux furentlicenciés. Le tableau 1 (voir Tableau 1) permet de visualiser les choix des salariés enquê-tés dont nous allons développer l’analyse : sur 154 personnes, 112 ont été licenciées. Parmiles 42 salariés mutés enquêtés, 19 personnes ont opté pour le dédoublement du lieu derésidence.

Quelques indicateurs permettent de décrire rapidement le profil des salariés choisissantla mutation ou le licenciement. Avoir une qualification élevée (techniciens, agents de maî-trise), ne pas avoir d’enfants à charge et être locataire sont les caractères discriminants dessalariés acceptant la mutation d’emblée. À l’inverse, les salariés refusant la mutation àSens et se faisant licencier sont en moyenne plus âgés, ont une conjointe pourvue d’unemploi, ont des enfants et sont accédants à la propriété ou locataires d’une maison du parcHLM.

4 Nous avons effectué, dans le cadre d’une recherche doctorale (Vignal, 2003), une enquête composée de deuxvagues d’entretiens semi-directifs, auprès des mêmes salariés à un an d’intervalle. Cinquante-neuf salariés (80 %d’ouvriers et 20 % de techniciens) ont été rencontrés au cours de l’été 2000 ; 56 d’entre eux ont été interviewés 10à 12 mois après. Ces entretiens ont été enregistrés, retranscrits puis analysés de façon transversale (thématique) etindividuelle. En outre, un questionnaire envoyé à d’autres salariés nous permet de décrire le contexte familial etrésidentiel de la moitié de l’effectif initial de l’entreprise (soit 154 personnes).

5 Précisons que le département de l’Aisne, dont Laon est la Préfecture, est un territoire semi-rural comportantdes pôles industriels et urbains. Le Laonnois comptait 30 % d’ouvriers en 1999 parmi sa population active (45 %des actifs hommes). Le taux de chômage y était en mars 1999 de 12,5 % (9,7 % en 2002).

6 Des moyens financiers et logistiques significatifs ont été prévus par le plan social : (i) une prime de licencie-ment pouvant atteindre 23 000 Q selon l’ancienneté ; (ii) pour les salariés mutés, des primes et remboursements defrais de mobilité s’élevant à 16 770 Q avec le maximum d’ancienneté, auxquels s’ajoutaient 12 196 Q d’aide àl’accession à la propriété ou de remboursement de loyer sur deux ans ainsi que le remboursement des déplace-ments hebdomadaires pendant 6 mois si la famille restait sur place ; (iii) les salariés en période probatoire dispo-saient d’une chambre d’hôtel, de la restauration du soir et des frais de déplacements hebdomadaires remboursés.Ils bénéficiaient ensuite des mêmes indemnités selon qu’ils choisissaient de rester dans l’entreprise ou d’êtrelicenciés.

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Les entretiens permettent d’identifier le rôle certain de l’entourage familial (ménage etréseau de parenté) et du logement dans les décisions des salariés : les trois quarts des enquê-tés sont nés dans l’Aisne, les deux tiers vivent à moins de 10 kilomètres de la commune derésidence de leurs parents. Dès lors, une grande majorité d’ouvriers appartiennent à une« famille–entourage » (Bonvalet et Maison, 1999) et sont particulièrement attachés à leurlogement7. Le réseau familial et amical est appréhendé comme une ressource locale, unfilet protecteur face à l’instabilité de l’emploi8.

Toutefois, les arbitrages ne relèvent pas seulement d’une logique d’ordre familial. Ilsrésultent bien souvent d’une évaluation de l’intérêt, professionnel et économique, à démé-nager ou à rester sur place. Une dichotomie entre ouvriers et techniciens apparaît sur les154 personnes enquêtées : 38 % des cadres et techniciens auront finalement accepté lamutation en 2001 contre 25 % des ouvriers.

On commence ainsi à entrevoir l’existence d’un mécanisme itératif entre les motivationsprofessionnelles, les intérêts économiques du ménage et les logiques familiales et résiden-tielles. Certains ont accepté la délocalisation puis ne l’ont pas prolongée au terme de lapériode d’essai : parmi les 30 salariés en période probatoire enquêtés par entretien ou ques-tionnaire, 19 choisissent d’être licenciés. Un tel réajustement met en lumière les hésitationset les difficultés liées à l’organisation familiale et aux aspects financiers. C’est bien moinsun choix positif d’abandon de l’emploi à Sens parce que de nouvelles opportunités dansl’Aisne se dessineraient, qu’un choix par défaut qui devient impératif d’un point de vuefamilial mais aussi professionnel. Les nouvelles conditions de travail vont générer chez cessalariés un sentiment d’insatisfaction, parfois un désinvestissement au travail et des ten-sions entre collègues suscitées par la crainte de perdre sa position dans l’usine.

7 Les deux tiers sont accédants à la propriété ou propriétaires d’une maison individuelle souvent en zone périur-baine ou rurale.

8 On a ainsi pu constater une relation entre le rapport à l’espace familial et la décision d’accepter ou de refuserla mutation de l’emploi. Les formes d’inscription spatiale et le type de liens familiaux (affiliation au territoirefamilial, autonomie ou dispersion familiale) ont des incidences sur les ressources mobilisables et sur le rapport auterritoire et au logement des salariés. L’échelle des espaces familiaux permet ainsi d’expliquer des décisions quisemblent, à première vue, économiquement peu rationnelles (voir Vignal, 2005).

Tableau 1Formes de migration et d’ancrage selon l’acceptation ou le refus de la mutation professionnelle

Nombre de logementdu ménage

Configurations familiales

Licenciement/Ancrage112 salariés licenciés

Mono résidence(Aisne)

Refus de déménager

Mutation professionnelle/ Migration42 salariés mutés

Mono résidence(Yonne)23 salariés mutés

Migration en famille,ou seul si célibataire

Double résidence(Aisne et Yonne)19 salariés mutés enmigration « temporaire »

Migration en famille,ou seul si célibataire(13 cas)Migration sans la conjointeou les enfants(10 cas)

Source : Enquête par entretiens sur la fermeture d’une usine de câbles de Laon (Aisne) et sa délocalisation à Sens(Yonne). 154 salariés enquêtés par entretiens ou questionnaire.

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1.2. Les tensions dans la prise de décision et dans son aménagement : constructiond’une typologie

S. Moscovici a pu identifier dans les années 1950 et 1960 différents types d’articulationentre mobilité géographique et mobilité professionnelle (Moscovici, 1959 ; Moscovici,1961). Mais ces travaux n’envisageaient pas à proprement parler l’analyse des logiquesfamiliales et les manières dont on peut aménager ce type de transfert. Or, dans notre enquête,les tensions suscitées entre logiques professionnelles et logiques familiales apparaissentclairement9.

Par la notion de logiques familiales, nous désignons une séquence de comportementsessentiellement motivés par le souci de garantir l’équilibre familial. Nous y incluons toutesles préoccupations qui ont trait à la « scène » familiale (Weber, 2001) que ce soit l’organi-sation quotidienne, l’économie domestique, la recherche d’une proximité géographiquecomme celle d’une distanciation avec le réseau de parenté. Nous associons ainsi à ceslogiques familiales l’expression d’un attachement au territoire ou d’un rapport plus lâcheau lieu de résidence. Bien sûr, nous ne réduisons pas le rapport au territoire à des questionsde liens familiaux mais nous prenons acte du fait que, dans ce corpus d’entretiens, cettedimension territoriale est souvent mêlée à un discours sur la famille et sur le logement. Icile logement, et en particulier la propriété du logement, peut être compris à la fois commeun moyen et comme une raison potentielle de rester sur place ou de dédoubler son lieu derésidence.

Ensuite, par la notion de logiques professionnelles nous désignons différentes séquen-ces de comportements essentiellement motivés par le souci d’acquérir les ressources éco-nomiques et sociales offertes par le travail. Ces logiques peuvent relever de trajectoires auxinclinaisons opposées : ce peut être pour les uns une logique d’accumulation, de mobilitésociale et professionnelle ascendante qui se déploie alors que d’autres s’inscrivent dansune perspective de lutte contre le déclassement, voire de survie économique.

Nous distinguons, d’une part, les conditions dans lesquelles se développent des compor-tements principalement inspirés par une logique professionnelle et qui sont assumés sanscontradiction avec l’équilibre familial. D’autre part, nous identifions des situations danslesquelles la décision et l’aménagement de cette décision provoquent une tension, unecontradiction entre les logiques familiales et les logiques d’ordre professionnel. En sché-matisant, on peut donc opérer une distinction entre des choix « assumés » et des choix « entension ».

Le tableau 2 (voir Tableau 2) distingue les comportements les plus saillants autour dedeux axes : d’une part, en lignes, se situe le choix professionnel et territorial central, celuide la mutation–migration ou du licenciement–ancrage. D’autre part, en colonnes, se situentles aménagements et les conditions de réalisation de ces choix selon la confrontation oul’absence de confrontation des logiques familiales avec les nécessités professionnelles.Ainsise distinguent des individus qui vivent cet événement comme une remise en cause deséquilibres (première colonne). Les choix de licenciement ou de mutation sont davantage

9 De manière plus générale, les recherches sur le fonctionnement du groupe conjugal ont démontré l’établisse-ment de logiques d’interaction entre hommes et femmes fondées sur la conciliation ou le compromis (Nicole-Drancourt, 1989), l’ajustement ou la juxtaposition (Brais, 2000).

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subis et génèrent des tensions, des contradictions entre logiques professionnelles et logi-ques familiales. Pour d’autres (deuxième colonne), la recherche de ressources profession-nelles et économiques est dominante. L’absence de contradiction peut signifier soit uneharmonie entre les aspirations de la sphère professionnelle et familiale, soit l’absence de laprise en compte de la sphère familiale (pour certains célibataires par exemple). Le croise-ment des deux axes dégage donc quatre types dont les dénominations révèlent la place deslogiques familiales dans les arbitrages professionnels et géographiques.

Beaucoup d’histoires individuelles de notre corpus d’entretiens s’inscrivent nettementdans un des types que nous avons construits. En revanche, près de 23 personnes se situentdans des positions « intermédiaires » (Lefeuvre, 1993, p. 309), soit parce que leur situationévolue dans le temps, soit parce que leur logique est équivoque (9 personnes, notamment,se situent entre le type 2 et le type 4).

Analysons, tout d’abord, les deux premiers types qui représentent la majorité des sala-riés enquêtés.

2. Ancrages et migrations, produits des tensions entre logiques professionnelleset logiques familiales

Dans les types 1 et 2, les logiques familiales sont saillantes. L’ancrage ou la migrationne sont pas des choix « naturels », « évidents » mais sont exprimés dans les propos desenquêtés comme le résultat de tensions, d’hésitations voire de renoncements. Ils génèrentdes aménagements complexes entre la sphère domestique et la sphère professionnelle.

2.1. La « migration de compromis familiaux »

Migrer ne signifie pas nécessairement quitter définitivement son « espace fondateur »(l’espace de la formation de l’individu) ou son « espace de référence » (l’espace de l’his-toire familiale (Gotman, 1999, p. 71). La « migration de compromis familiaux » tente detenir ensemble le maintien de l’intégration professionnelle et la préservation de l’intégra-tion domestique et familiale. Les hésitations, les tensions dans la prise de décision sont icitrès fortes tant les impératifs économiques du ménage sont confrontés aux dimensions affec-tives et familiales.

Tableau 2Mode de fonctionnement des logiques familiales dans les arbitrages de mutation–migration ou de licenciement–ancrage

Aménagements des choixConfrontation des logiquesfamiliales avec les logiquesprofessionnelles

Absence de confrontationdes logiques familiales avecles logiques professionnelles

Choix territoriauxet professionnels

Mutation–Migration

Type 1Migration de compromis familiaux(n = 5)

Type 3Migration de carrière(n = 7)

Licenciement–Ancrage

Type 2Ancrage d’affiliation familiale(n = 13)

Type 4Ancrage de projets(n = 8)

Source : Enquête par entretiens sur la fermeture d’une usine de câbles de Laon (Aisne) et sa délocalisation à Sens(Yonne).

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2.1.1. Le rapport à l’emploiLes ouvriers et techniciens acceptent la mutation en partie par crainte du chômage tout

en gardant à l’esprit le risque de déclassement et d’instabilité de leur poste de travail. Lerapport à l’emploi et à la proposition de mutation professionnelle est proche de celui d’une« migration de carrière » (voir 3.1.). Toutefois, ici, une posture plus distante à la carrièreprofessionnelle et une adhésion qui n’est que partielle à la politique de l’entreprise sontexprimées. La délocalisation de leur emploi et leur arrivée dans l’établissement de Sens lesconfrontent à la remise en cause de leur identité au travail. Aussi des tensions ont-elles pus’exercer avec les salariés « autochtones » et les pousser à prendre une position défensive.Les discours de ces salariés se rattachent à un registre de « lutte de conservation » (Maroyet Fusulier, 1996).

2.1.2. Les tensions avec les logiques familiales et les stratégies résidentiellesIci la survalorisation du lieu de résidence et de la région d’origine détermine les logiques

familiales. Les salariés sont tiraillés entre un comportement « raisonnable », prudent etrationnel d’un point de vue professionnel qui incite à la mutation à Sens et l’attachementaffectif au territoire ou à la maison familiale. Ces tensions les conduisent à adopter unrapport stratégique à l’espace et à la migration qui permet de satisfaire les contraintes pro-fessionnelles et économiques du ménage tout en s’adaptant au projet familial d’ancrage.

La « migration de compromis familiaux » se caractérise principalement par une confi-guration en double résidence divisée entre un logement « professionnel » et le logement« familial » dans la région d’origine (voir Tableau 1). Le salarié accepte la mutation etdéménage seul ou avec toute la famille dans la région de Sens. Plus que dans toute autresituation, le logement est ici l’outil du compromis familial. Cette stratégie permet d’articu-ler un rapport à l’emploi fondé sur la protection et un rapport à la sphère familiale et rési-dentielle fondé sur la stabilité. Dès lors, la migration est vécue comme une étape tempo-raire qui ne modifie pas l’appartenance à la région d’origine comme en témoignent lesdéplacements fréquents en direction des espaces familiaux et amicaux. Cela conduit à cons-truire, non pas une double vie, mais une vie entre deux territoires, l’un défini par le lieu detravail, l’autre par l’appartenance familiale ou par un ancrage résidentiel.

Une autre situation exemplaire de la « migration de compromis familiaux » est l’optiond’une mutation en période probatoire. Ici le choix d’une mutation à l’essai repose sur unetension permanente entre sphère professionnelle et sphère domestique : ces salariés nepeuvent se résoudre ni au licenciement ni à une migration qui s’apparente parfois, dans lesdiscours, à un déracinement. L’expérience d’une vie à distance provoque la (dés)organisa-tion du ménage, la déstabilisation des relations entre les deux conjoints, une prise de dis-tance parfois mal vécue avec le réseau de parenté du fait de rencontres moins fréquentes.

En définitive, le type de la « migration de compromis familiaux » révèle l’orientationque peuvent donner les logiques familiales aux choix spatiaux et professionnels. Se dégagealors un compromis entre, d’une part, « rester sur place » et prendre un risque profession-nel, d’autre part « migrer en famille » et perdre la proximité spatiale des proches (Gotman,1999). Les logiques familiales tendent ici à favoriser un rapport stratégique à l’espace et àla mutation, alors même que la sphère professionnelle est vécue comme moins satisfaisanteet moins stable qu’auparavant. C’est donc une tension entre intégration familiale et inté-gration professionnelle qui prévaut.

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Monique10, enquêtée no 6 : une migration de compromis familiauxAprès deux divorces, Monique, 44 ans, vit aujourd’hui seule avec ses enfants, âgés de

16 à 24 ans, dans un appartement de l’office HLM de Laon. Issue d’une famille ouvrièrefortement ancrée dans le quart nord-est du Laonnois, Monique a travaillé 24 ans commeouvrière dans l’usine de câbles. Sa fermeture met un terme à un travail, une ambiance etdes amitiés que Monique appréciait malgré tout. Très vite, la proposition de mutation àSens provoque chez elle une tension forte entre des injonctions contradictoires : d’uncôté il y a le risque de précarité économique et de chômage en cas de licenciement et,d’un autre côté, le refus de migrer de ses enfants. Monique se situe bien dans une « migra-tion de compromis familiaux » à la fois parce qu’elle opte, dans un premier temps, pourune période probatoire (« disons que je me suis dit : « je vais faire l’essai » ... comme çaje... je ne regretterai pas après, je n’aurai pas de remords après ») ; puis parce que, prèsd’un an plus tard, Monique tente toujours de tenir à la fois l’ancrage résidentiel de sesenfants à Laon et son intégration professionnelle dans l’usine de câbles à Sens. Face auxéchos des difficultés de ses anciens collègues licenciés, elle s’engage dans un systèmede double résidence (elle vit seule durant la semaine à Sens grâce aux aides du plansocial et conserve son appartement à Laon). Les deux entretiens réalisés avec elle témoi-gnent des contraintes qu’impose cette délocalisation de l’emploi sur l’organisation, lemode de vie mais aussi l’équilibre financier d’une famille monoparentale. Par exemple,cette situation précipite l’indépendance de son plus jeune fils de 16 ans et complique lefinancement des études de sa fille et de la recherche d’emploi de son fils.

Au-delà, c’est aussi le rapport au territoire et aux liens familiaux qui provoque leshésitations de Monique. L’intégration professionnelle prime donc en tant qu’accès à unrevenu et à des sociabilités professionnelles mais elle prime peut-être davantage pardéfaut, par crainte de la pauvreté, que par choix comme c’est le cas pour d’autres sala-riés plus qualifiés.

2.2. L’« ancrage d’affıliation familiale »

Le type de l’« ancrage d’affiliation familiale » est le propre des situations où les salariés,pris de cours et heurtés par la fermeture de l’usine, vivent une tension entre les impératifsde la sphère familiale et résidentielle et les injonctions professionnelles. Ils fondent leurlicenciement–ancrage avant tout sur la protection des liens et des espaces familiaux.

2.2.1. Le rapport à l’emploiUne des différences entre « l’ancrage d’affiliation familiale » et la « migration de com-

promis familiaux » (ou encore, « l’ancrage de projets » voir 3.2.) est le rapport à l’emploides personnes qui, ici, ne domine pas dans la formulation du choix de licenciement. Larecherche d’emploi est vécue comme une fatalité. L’intégration professionnelle est renduede plus en plus difficile par un marché local du travail relativement peu favorable auxemplois stables de faibles qualifications. D’un point de vue professionnel, l’avenir sembleici « entre parenthèse » (Paugam, 2000, p. 180).

10 Les prénoms donnés pour identifier les personnes rencontrées sont fictifs.

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2.2.2. La confrontation des logiques professionnelles avec les logiques familialesDans ce contexte d’incertitude professionnelle, les relations sociales et l’affiliation fami-

liale dominent. On refuse ici la flexibilité géographique imposée par l’entreprise pour pré-server son enracinement résidentiel et la proximité intergénérationnelle, quand bien mêmecela doit se faire au prix d’un licenciement.

Dans un premier temps, l’annonce de la fermeture de l’entreprise et la proposition dedélocalisation du lieu de travail provoquent un dilemme. Bien que les risques de chômageet de précarité économique du ménage soient tout à fait perçus, des arbitrages de licencie-ment qui peuvent sembler « atypiques » prennent sens lorsqu’on analyse les processusfamiliaux qui ont joué sur la décision. Ainsi le refus de partir alors que la conjointe estinactive voire au chômage ou bien lorsque le ménage est locataire dans le parc social estjustifié par un registre d’arguments familiaux. Les personnes expliquent que, sentant l’unitéde leur couple, l’équilibre des enfants et l’organisation du ménage (dont un membre ou unparent proche est malade) menacés, partir représente un acte trop lourd de conséquences.

Dans un second temps, les modalités d’emploi et les injonctions émises par les servicespublics et privés d’accompagnement de la recherche d’emploi entrent en conflit avec lemode de vie et la démarche d’opposition à la flexibilité qui avait présidé au refus de lamutation un an plus tôt. Pour certains ouvriers accepter un emploi précaire, ou bien éloignéet peu rémunéré n’est pas envisageable, alors même qu’ils n’ont pas toujours les ressourceséconomiques (un deuxième revenu dans le ménage, une seconde automobile) et sociales(habitudes de déplacements, possession du permis de conduire) nécessaires. Certains sevoient confrontés à des problèmes de désynchronisation des rythmes sociaux au sein duménage : la flexibilité des horaires de travail, l’instabilité de l’emploi en intérim ou letemps d’absence qu’impliquent des déplacements domicile–travail plus longs font appa-raître de nouveaux problèmes de garde d’enfants, d’organisation quotidienne des familles,etc.

L’« ancrage d’affiliation familiale » relève davantage de la survie professionnelle quepour ceux qui s’inscrivent dans un « ancrage de projets » (voir 3.2.). Dès lors, ces glisse-ments vers une intégration professionnelle plus précaire modifient le rapport à la sphèredomestique. Sous l’effet d’un chômage qui se prolonge, le bricolage, l’amélioration dulogement, l’entretien de relations familiales ou amicales deviennent une sphère de refuge etrecouvrent donc une logique de « compensation » (Castel, 1995). Mais cet investissementdans le logement est en général subi, sans être porteur de l’intégration sociale et économi-que que l’emploi autorise. Il fait écho à la position sociale de chômeur.

Dans l’« ancrage d’affiliation familiale », le choix du licenciement est le résultat detensions entre la protection de l’acquis, l’affiliation familiale et les risques économiques etprofessionnels à venir. Pourtant l’intégration familiale et domestique se trouve renforcéeprogressivement (mais aussi mise à mal), alors que l’intégration professionnelle devienttrop incertaine.

Michel, enquêté no 7 : un ancrage d’affiliation familialeLa proposition de mutation à Sens apparaît en totale opposition avec les attentes et le

projet familial de Michel, 46 ans, ouvrier non qualifié dans l’usine de câbles de Laondepuis 1974. Michel s’inscrit dans une stratégie spatiale d’ancrage qui peut être qualifiéd’« affiliation familiale » tant cette dimension est présente dans son discours et influence

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sa perception des événements. Son « choix » du licenciement est un rejet à la fois del’éventualité de quitter sa femme (il craint une séparation du couple en cas de doublerésidence), de quitter son réseau de parenté dont il se sent très proche, mais aussi dedevoir vendre sa maison. En effet, pour Michel et sa femme, tous deux issus de famillesnombreuses relativement défavorisées, l’accès à la propriété et la transmission d’un patri-moine sont le signe d’une ascension sociale : « Ben c’était mon projet, déjà, d’avoir mamaison à moi. Et puis de pouvoir dire à mon fils plus tard : « C’est à toi. Fais ce que tuveux ». Voilà. « Ou tu la revendras, ou tu la garderas ». Mais ça, c’est pour lui. » Michela réalisé lui-même, pendant plusieurs années, d’importants travaux d’amélioration et derénovation de sa maison. La perte économique et symbolique en cas de vente de ce bienimmobilier lui semble trop importante : « À l’heure actuelle, dans l’Aisne, on a 10 % dechômeurs. Ma maison est estimée à 50 millions [d’anciens francs]. Qui voulez-vousqu’achète ça ? Je vais pas la brader, quand même, ma maison. Et avec les travaux quej’ai faits dedans, il est hors de question que je la vende, c’est hors de question ! »

Un an après son licenciement, le seul emploi que Michel ait obtenu est un contratd’un mois en tant qu’éboueur. Son âge, son manque de diplôme et de compétences eninformatique, son périmètre de recherche d’emploi limité à 30 kilomètres (le couplen’ayant qu’une seule voiture pour deux actifs) ne lui permet pas de retrouver un emploistable. Or le repli sur le logement s’avère limité car Michel n’a plus de travaux à réaliserchez lui. Cantonné aux tâches ménagères, il vit difficilement l’absence d’activité profes-sionnelle et la remise en cause de son rôle au sein de la famille. Aujourd’hui, on peutcraindre que son installation durable dans le chômage menace aussi son intégration socialeet familiale.

3. Ancrages et migrations, révélateurs de choix professionnels

Dans les deux derniers types, les logiques professionnelles pèsent davantage sur lesarbitrages. Le calcul coût/avantage de la mutation y paraît plus évident, car les logiquesprofessionnelles et familiales sont moins antagonistes et ne génèrent pas de sacrifices tropimportants.

3.1. La « migration de carrière »

Ce type de migration se caractérise par une prévalence des impératifs d’ordre profes-sionnel dans les discours. Ces derniers légitiment une migration choisie sans trop de ten-sions ou de contradictions avec le projet familial.

3.1.1. Le rapport à l’emploiLe discours sur l’emploi et le travail révèle la place centrale de la sphère professionnelle.

Certains ouvriers ont bénéficié de formation et de promotion interne, accédant au statutd’ouvrier qualifié, de chef d’équipe, voire de technicien et de responsable de production.Ce niveau de responsabilité et de rémunération obtenu sur un marché du travail interne àl’entreprise est vécu comme une position qu’il serait difficile de retrouver sur le marché dutravail externe. La mutation est d’autant plus valorisée qu’elle concrétise une ambition

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professionnelle et un investissement dans la vie de l’entreprise. Dès lors, la mutation n’estpas perçue comme une menace de leur identité professionnelle.

3.1.2. Le rapport au logement et à la mobilité résidentielleUne des voies qui permet de satisfaire à la fois les besoins professionnels et les attentes

familiales et individuelles est l’accès à un logement valorisé. La mutation est ainsi l’occa-sion, l’opportunité diront certains, de concrétiser un projet latent d’accession à la propriétégrâce aux aides du plan social. Ces familles s’engagent également dans une véritable démar-che de migration et d’intégration dans la nouvelle région. Les salariés considèrent toutefoisle logement, non plus comme un point d’ancrage définitif, mais bien, à l’image de l’insta-bilité de l’emploi, comme une étape qui recouvre un attachement au territoire plus lâche.

3.1.3. L’ajustement des logiques familiales à la « migration de carrière »La décision de mutation relève d’un intérêt professionnel et économique. Elle fait aussi

écho aux attentes ou simplement aux dispositions des membres du ménage en matière delogement ou de lieu de vie. La démarche de migration peut, en outre, aussi conforter uneffort d’autonomisation vis-à-vis du réseau de parenté, voire une prise de distance volon-taire.

Le type de la « migration de carrière » privilégie l’intégration professionnelle. L’emploiest le pivot de ces logiques familiales et professionnelles qui fonctionnent sur le mode del’ajustement.

Véronique, enquêtée no 58 : une migration de carrièreVéronique, 43 ans, vit seule avec sa fille dans un logement HLM à Laon. Ouvrière

dans l’usine de câbles depuis 1973, elle a pu, par formation continue, accéder à diffé-rentes qualifications qui lui permettent aujourd’hui d’occuper le poste d’OAP (opéra-teur assistant de production) et d’avoir la responsabilité d’une petite équipe. PourVéronique cette mutation est une opportunité car elle lui permet, en écartant provisoi-rement le risque de chômage, de répondre à ses attentes de changements et à son ambi-tion professionnelle : « C’est-à-dire que quand on fait un travail, qu’on commence àstagner, au bout de trois, quatre ans on connaît par cœur, et je trouve que quelque part lamutation m’arrange. » En outre, ses difficultés matrimoniales, financières et psycholo-giques ont heurté son cheminement résidentiel (deux accessions à la propriété entrecou-pées de plusieurs passages par le logement social). La mutation est donc aujourd’huil’occasion de concrétiser un double projet : celui de prendre un nouveau départ dans savie privée et professionnelle et celui de pouvoir, à nouveau, accéder à la propriété.

Un an plus tard, Véronique est très satisfaite de sa situation. Le travail occupe tou-jours une place importante dans son discours. Elle estime s’être mise dans une positionfacilitant son intégration et voit aujourd’hui sa satisfaction professionnelle renouveléegrâce aux responsabilités qui lui sont confiées, au travail en équipe avec ses collègues deLaon et à l’amélioration progressive de l’organisation du travail. Véronique fait ainsi lepari de l’adaptation dans la nouvelle région. Elle a acheté une petite maison dans lecentre de Sens qu’elle réaménage avec l’aide de sa fille qui fait ses études à Reims.Même si l’emploi à Sens n’est pas stable, elle compte sur ses capacités de mobilitéacquises durant son enfance : « J’aime bien le changement, même de partir loin, je sais

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que le déménagement ne m’effraie absolument pas... J’y ai été habituée avec mes parents,parce qu’à chaque fois les déménagements, on les vivait avec eux, on rangeait les trucs. »Cette « migration de carrière » de Véronique repose également sur un rapport spéci-fique au territoire et aux liens de parenté. Bien qu’elle exprime une grande affectionpour ses proches, et notamment pour sa fille, sa mère et ses frères, elle estime aujourd’huiqu’il n’est pas nécessaire d’être à proximité géographique pour maintenir des liens.Véronique cherche finalement à trouver la bonne distance avec sa famille : « Mais main-tenant le plus important c’est pas d’être près de ma famille parce qu’en fait, moi je mesens proche de ma famille [...] mais c’est pas une question de distance, mais c’est pourça que... que je m’en vais. »

3.2. L’« ancrage de projets »

Enfin, l’« ancrage de projets » se caractérise par le fait de justifier et de construire lerefus d’une mutation–migration, non pas uniquement par des considérations familiales ourésidentielles, mais aussi par le calcul d’un intérêt professionnel et économique à rester surplace.

3.2.1. Le rapport à l’emploiCe qui caractérise cet « ancrage de projets » est avant tout la place du travail dans l’iden-

tité sociale des personnes. Si certaines dimensions légitiment le refus de la mutation (incer-titude sur la pérennité de l’emploi à Sens, coût économique et affectif du déménagement,dimensions familiales et résidentielles), on cherche à justifier et à préparer l’avenir après lelicenciement par un engagement actif dans la recherche d’emploi. Les salariés s’inscriventdans une logique de reconversion professionnelle afin de changer de métier (conducteur depoids lourds, de bus) ou de se mettre à son compte (chauffagiste, peintre, plombier). Sinon,lorsqu’ils n’ont pas formulé de projets ou de critères professionnels stricts, c’est par l’accep-tation (contrainte) des conditions d’emploi locales (que ce soit des contrats précaires oudes déplacements plus longs vers les bassins d’emplois voisins) qu’ils tentent de retrouverun emploi.

Si l’« ancrage de projets » repose sur un discours de légitimation du licenciement par lesprojets professionnels que les salariés mettent en œuvre, c’est que ces individus sont dansdes positions sociales et professionnelles qui le permettent. Leurs représentations positivesdu champ des possibles professionnels s’appuient sur des qualifications et des ressourcesculturelles (qualification, diplôme, trajectoires) plus importantes que dans l’« ancrage d’affi-liation familiale ».

3.2.2. Le rapport au logementDans l’« ancrage de projets », le logement n’est pas absent de la décision. Une des

situations qui « impose » à nombre d’ouvriers de rester sur place est la propriété ou l’acces-sion à la propriété de la maison. Celle-ci est perçue à la fois comme moyen et commeraison de l’ancrage, comme un filet de sécurité qui permettrait d’amortir les risques éco-nomiques du chômage. Ici l’attachement au logement est souvent le prolongement d’unenracinement plus profond matérialisé par la proximité et l’entretien des liens familiaux etamicaux.

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3.2.3. L’adéquation aux logiques familialesDans un premier temps, ce choix d’ancrage permet de privilégier l’emploi du (de la)

conjoint(e) parce qu’il est jugé plus stable ou qu’il est plus rémunérateur, de maintenir lescontacts sociaux des enfants dans la région et de préserver une proximité spatiale avec lafamille élargie. Dans un second temps (un an après le licenciement), si la recherche d’emploin’occasionne pas de confrontations, de tensions avec les logiques familiales, c’est bienqu’elle n’est pas perçue comme une menace pour la sphère domestique. On adapte mêmel’organisation du ménage à la localisation parfois éloignée de l’emploi et aux statuts pré-caires d’embauche car il est jugé indispensable d’éviter le chômage11.

L’« ancrage de projets » révèle donc la recherche d’un équilibre, d’une conciliationentre l’intégration professionnelle et l’intégration résidentielle, l’attachement au territoireet au mode de vie du ménage. Les salariés se démarquent par leur rapport à l’emploi : ilss’engagent dans des projets de reconversion précis ou dans une recherche active et souventfructueuse. Contrairement à la « migration de carrière », l’inscription territoriale n’est pasneutre. Ici le choix de rester sur place recoupe ce qu’Anne Gotman nomme « l’immobilitécalculée » : « être autonome et ménager l’avenir professionnellement, demeurer auprèsd’une parentèle dont il se sent proche et vis-à-vis de laquelle il se sent des devoirs » (Gotman,1999, p. 89). On peut donc parler ici de rapport stratégique à l’ancrage, tant le choix dulicenciement est jugé et évalué comme préférable à l’équilibre économique et affectif duménage.

Maurice, enquêté no 20 : un ancrage de projetsMaurice, 38 ans, est agent de fabrication dans l’usine de câbles depuis 14 ans. Il est

père de deux enfants, de 14 et 18 ans, sa femme est employée en contrat emploi solida-rité à l’école primaire de leur village. Le couple a acheté une maison en 1990, dans levillage d’enfance de Maurice au nord de Laon, pour laquelle sacrifices financiers ettravaux de rénovations ont été réalisés depuis des années.

La fermeture de l’usine et la proposition de mutation à Sens viennent rompre cettestabilité résidentielle. Maurice a refusé d’emblée de suivre la délocalisation de l’entre-prise. La perte de confiance et l’incertitude sur l’avenir de l’entreprise et de l’industrieen général ont pesé sur son arbitrage. De plus, les coûts économiques et symboliquesd’un départ lui semblent trop élevés. Aussi, c’est vers un changement de mode de vie,professionnelle et familiale, que s’achemine Maurice. Sa logique d’« ancrage de pro-jets » repose sur l’accès à une formation qualifiante de longue durée afin de devenirchauffagiste et, éventuellement, de se mettre à son compte. Il souhaite ainsi exercer lamême activité que son père artisan, et bénéficier des réseaux de connaissance qu’il s’estlui-même créé au cours des travaux qu’il réalise dans son entourage. Le rapport à l’emploi,central dans le discours de Maurice, est fondé sur l’impératif financier, le besoin d’acti-vité et l’aspiration à bénéficier d’une position sociale plus favorable.

L’objectif de cette reconversion professionnelle est aussi la consolidation du projetrésidentiel et familial. Alors que les sociabilités avec la famille étendue de Maurice sont

11 Ce type d’ajustement de la sphère familiale aux changements professionnels se matérialise « par une diminu-tion des exigences face au travail domestique, une réduction du temps de présence aux enfants, au conjoint, auxamies, une réduction du temps de sommeil et de loisirs » (Brais, 2000).

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restreintes, qu’il semble investir essentiellement l’espace de sa maison et l’éducation deses enfants, les attentes de sa femme sont entièrement dépendantes de la situation pro-fessionnelle de Maurice. Plus qu’une immobilité de principe, c’est bien une non-mobilité résidentielle calculée qui préside à cet « ancrage de projets ».

4. Conclusion : modalités du rapport aux risques professionnels et familiaux

Cette recherche nous donne l’opportunité de réfléchir, plus généralement, aux effets destransformations de la relation salariale sur les comportements résidentiels et spatiaux despersonnes.

Les restructurations d’entreprises mettent à jour la question des mutations économiquesen termes d’équité sociale et territoriale car, pour les salariés, en particulier ouvriers, pourles populations de plus de 40 ans, employés notamment dans les secteurs industriels tradi-tionnels, le licenciement économique est avant tout un risque et une forme d’insécuritésociale : l’articulation entre sphère professionnelle et sphère résidentielle relève bien d’unarbitrage contraint. Ce genre de situation où le salarié doit « choisir » son licenciement finitpar « transformer les causes extérieures en responsabilités individuelles, et les problèmesliés au système en échecs personnels » (Beck, 2001, p. 202). L’alternative devant laquelleles salariés sont placés n’est pas risque contre sécurité mais bien risque contre risque.

Ainsi, loin d’être des « risquophobes » (Castel, 2001), les salariés font face à un systèmede contraintes économiques et familiales qui les conduit à adopter la solution qu’ils jugentla moins mauvaise. Les entretiens font bien apparaître cette perception des différents ris-ques : se retrouver au chômage, perdre sa femme en cas de séparation prolongée, vendre samaison à perte, etc. Selon leurs ressources et le mode d’articulation entre les contraintesfamiliales et les impératifs professionnels, les salariés se sentent mieux armés (ou moinsdésarmés) pour faire face à tel risque plutôt qu’à tel autre. La typologie proposée est utilepour saisir ce rapport au risque.

Accepter de déménager pour suivre la délocalisation de son emploi témoigne d’unerecherche de ressources professionnelles et économiques. Le type caractéristique est celuide la « migration de carrière » qui désigne une adaptation assumée à la flexibilité géogra-phique de l’emploi. Il associe la recherche du maintien de l’intégration professionnelle,voire une perspective d’ascension sociale, et l’adaptation du projet familial. Mais le choixde migration pour l’emploi n’est pas exempt de risques professionnels (en cas de licencie-ment à terme dans une région inconnue) et de risques familiaux et résidentiels (tensionsdans le ménage, abandon d’une maison de famille, perte d’un point ancrage dans la régiond’origine). Les salariés tentent, lorsqu’ils en ont les moyens, de réduire ces risques. C’est lecas de la « migration de compromis familiaux » où l’on s’efforce de maintenir à la foisl’intégration professionnelle, en acceptant la mutation, et l’intégration domestique et fami-liale en optant pour une stratégie de double résidence.

Refuser un déménagement et prendre l’option du licenciement est évidemment un choixcontraint qui comporte la menace du chômage, voire de la précarité professionnelle et éco-nomique pour ceux dont la recherche d’emploi est la plus difficile. Une partie des licenciéspeut s’investir dans un « ancrage de projets » dans lequel ils tentent de construire uneimmobilité viable par la formulation d’un projet professionnel de reconversion ou par une

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recherche d’emploi active et relativement soumise aux contraintes du marché. Mais descontradictions entre les logiques familiales et les logiques d’ordre professionnel suscitentsouvent un « ancrage d’affiliation familiale » dans lequel la recherche d’emploi est subie,précaire et entre parfois en conflit avec le mode de vie et l’organisation du ménage. Lesrisques de cette situation d’ancrage–licenciement sont tels qu’ils suscitent nombre de situa-tions intermédiaires, entre le type de l’« ancrage de projets » et celui de l’« affiliationfamiliale », que nous avons identifiés dans notre corpus d’entretiens.

Finalement, l’importance donnée à la maison individuelle, à l’accession à la propriétéou à l’espace domestique rappellent que la déstructuration des collectifs ouvriers et desidentités de métier ont conduit à un investissement plus grand du pôle domestique et fami-lial. En effet, ces salariés sont aujourd’hui plus autonomes vis-à-vis de la sphère collectivequi a, jadis, marqué la constitution de la classe ouvrière. Ces évolutions participent d’unmouvement d’« individuation » (Terrail, 1990) des modes de vie ouvriers. Mais on retrouveici le paradoxe soulevé par Florence Weber (Weber, 1991) : l’investissement dans la sphèrerésidentielle et familiale est lié à une amélioration des conditions de vie ouvrière mais s’estaccentué, sous une forme négative de repli, avec la crise et le chômage. Dès lors, ces résul-tats suggèrent un effet aggravant des inégalités sociales sous le coup des injonctions pro-fessionnelles à la mobilité résidentielle ou spatiale.

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