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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux » Extrait du 7 Lames la Mer http://7lameslamer.net/loys-masson-il-fait-soleil-sur-les-1058.html Hommage à Loys Masson Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux » - Océan Indien - Date de mise en ligne : dimanche 10 août 2014 Description : A l'heure où le monde bruisse de la« houle des tueries », souvenons-nous de la parole et du verbe du poète et romancier mauricien Loys Masson. Car « rarement l'épopée des camarades s'épaulant dans la lutte indispensable aura été chantée avec tant de tendresse maternelle et de fraternité heureuse », écrit Patrick Quillier dans cet hommage au « fou de Paula ». Copyright © 7 Lames la Mer - Tous droits réservés Copyright © 7 Lames la Mer Page 1/9

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Extrait du 7 Lames la Mer

http://7lameslamer.net/loys-masson-il-fait-soleil-sur-les-1058.html

Hommage à Loys Masson

Loys Masson : « Il fait soleil

sur les bourreaux »- Océan Indien -

Date de mise en ligne : dimanche 10 août 2014

Description :

A l'heure où le monde bruisse de la« houle des tueries », souvenons-nous de la parole et du verbe du poète et romancier mauricien Loys Masson. Car « rarement

l'épopée des camarades s'épaulant dans la lutte indispensable aura été chantée avec tant de tendresse maternelle et de fraternité heureuse », écrit Patrick

Quillier dans cet hommage au « fou de Paula ».

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

A l'heure où le monde bruisse de la « houle des tueries », souvenons-nous de la parole et duverbe du poète et romancier mauricien Loys Masson. Car « rarement l'épopée des camaradess'épaulant dans la lutte indispensable aura été chantée avec tant de tendresse maternelle et defraternité heureuse », écrit Patrick Quillier dans cet hommage au « fou de Paula ».

De gauche à droite : Pierre Emmanuel, Henri-Irénée Davenson (Marrou), Lanza del Vasto, Max-Pol Fouchet, LoysMasson (Lourmarin, 1941). Photo lanzadelvasto.fr

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Venu en 1939, quelques jours à peine avant le début de la guerre, en France, il était de l'île Maurice, né en 1915à Rose-Hill. Ce citoyen anglais (Commonwealth oblige) épouse la France où il a rencontré Paula, la femme de sa vie

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

(qui a le même prénom que sa mère), où il devient secrétaire de rédaction à la revue de Pierre Seghers « Poésie »,où il trouve dans la résistance de quoi accorder sa foi chrétienne et ses aspirations communistes. Bien entendu, enmille neuf cent quarante huit il tranchera ce noeud gordien : ayant rompu avec le parti il ne cessera de vivre dansl'idéal d'une foi généreuse et sans limite, nourrissant d'amour tout, autour d'elle, par universelle sympathie.

Son grand exemple, le Christ, il l'a nommé plus d'une fois dans ses poèmes, « frères des plaies et des fanges», « aile clouée du Verbe », « nuit d'Orphée, syllabe arrêtée du chant d'adieu », « brouillard en forme de pendu », «captif otage à jamais pour les hommes libres », « éblouissant ressuscité »... Son verbe part de ce fait : « Il fait soleilsur les bourreaux ».

Ce fait insupportable il ne l'admet jamais et se déploie sans cesse avec la force organique des branches d'unarbre immense, protecteur et plein d'oiseaux. Et rarement l'épopée des camarades s'épaulant dans la lutteindispensable aura été chantée avec tant de tendresse maternelle et de fraternité heureuse. On pense parfois àWhitman, un Whitman plus fluide, à Hikmet, un Hikmet plus élégiaque, à Neruda, un Neruda exempt de rhétorique, àAragon mais sans le moindre excès d'imageries.

Il chante comme Whitman les camarades dont le coeur bat juste, « à l'unisson des fortes racines », ces frères àqui il veut ramener l'infini, allant parmi eux avec l'amitié de son visage. Il chante comme Hikmet les camarades decombat et comme Hikmet il écoute « le râle des prisons venir de cent lieues », il voit dans son enfant le futurcombattant pour la justice, dont les armes seront « le grain, l'eau, le miel et le pardon ».

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Il chante comme « Pablo nuestro » la descente vers les villages des morts qui « vont en troupe parce qu'ils onthonte de leurs vivants » ; à ceux-ci ils demandent d'être respectueux et accueillants pour tous ces « morts terriens »que la guerre a pris : le canonnier « sur qui douze chars d'horreur ont passé laissant pour tout un petit os fumantdans un tas de chair glaise », « le mourant très doux de la biffe en qui une balle de mauser a fait une découpureronde et propre comme un hublot », et tant d'autres, « le mitrailleur qui roule dans un buisson de douilles », « lecavalier qui trouve la mort assise sous le soleil » ou « l'artilleur blasphématoire qui tire sur l'avion et il a tout à coupl'impression qu'il tire sur la divinité » ; il dit qu'« il n'y a qu'une même famille, vivants et morts » : « Frère, mon frèrevoici le temps où ton mort rejette sa mort et descend vers ta maison pour sonner à la grande cloche le rappel desfrères : Ne laisse pas clouer le cercueil. »

Et comme Aragon, qui a dans sa voix reconnu la voix d'un frère vrai, il chante la venue de la liberté avec sonbruit de mésange et d'alouette, avec les forges qui éclatent tandis que la colère gifle les chars stoppés « contrel'épaule des ossuaires », que « les prisons se vêtent de lin et ploient sous un dais de lumière et de miel », que « lahoule des tueries » vient mourir aux genoux des morts, et il écoute, « coquille marine au fond de leur mort chanterune grève de liberté. »

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Loys Masson, avec Louis Aragon et Philippe Dumaine montrant une photo de Pierre Seghers. Photo Fonds PierreSeghers/IMEC

Il est le fou de Paula, lui à qui il est advenu un grand orage, dès sa jeunesse, et Paula lui a fait don des « septlumières » et des « sept raisons », et il dit à Paula : « Je n'ai rien aimé qui ne soit de vous ». Dans son poème, ilregarde Paula à tout instant, c'est son « seul paysage » (« Le seul où j'aie jamais été heureux »), et son poèmes'adresse à Paula sans cesse, même quand il est poème épique chantant le bouleversant combat des hommesgénéreux : « Paula, je vous ai aimée par la rose et je vous ai aimée dans le cri, je vous ai aimée dans la course del'eau claire et par les racines des fougères, par toutes les mains jointes de toutes les prières, je vous ai aimée par lahaine des prisons, par la liberté de la mère, je vous ai aimée par la femme crucifiée et l'enfant dé-porté trahi saliperdu, gardez-moi de la malencontre, mon amour sauvé, Paula »...

Il chante l'épopée du fils qui est « le lilas et le mai et le lis et la rose ouverte », et le fils remet « la clarté la bonté enplace la tendresse en place » et sourit sans savoir que Loys Masson est « cet homme meurtri infiniment » qui l'aime« du fond du tombeau de sa jeunesse ».

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Les écrivains Emmanuel Mounier, Yvonne Leenhardt, Max-Pol Fouchet et Loÿs Masson à Lourmarin, en septembre1941. Fonds Max-Pol Fouchet/IMEC

Ô Loys, toi grâce à qui chaque nouvel élan, chaque nouvel ébranlement sont comme « une syllabe homérique »,un « oiseau phénix qui se hâte de flamber pour renaître en pierre philosophale », ô Loys, grâce à qui on entend enfin« ce cri séminal du bleu » volant sur ta « parole, nue, tendre, splendide », sur « le plasma des sons », ô Loys quinous dis : « Je vous aime — je suis Loys Masson le poète de la tendresse, de vous, et de la révolution », ô Loys toiqui veux « un chant jailli de l'amour même » et qui affirmes : « Ah, que la poésie se taise en moi si elle ne doit pasêtre cette chanteuse ! », ô Loys qui vois ton fils futur marcher « dans l'ombre des martyrs, camarade des fleuves, desforêts, des sillons », suivi par un « ange lent sur les hécatombes », Loys qui pries ta mère de sourire en écoutant « lemurmure des peuples heureux » vaincre tout ce que tu n'entends que trop : « Paris silencieuse fourbissant latrompette d'argent sous l'opprobre », « l'Inquisition dressant son gibet sur les reins de l'aube », et « tout ce quisouffre », et « tout ce qu'on frappe, l'enfant avec le vieillard, le captif avec l'aède », « l'innocent qu'on tue et le martyrau silice de liberté couché dans les blés drus », et la faim, et la soif, et la haine, et « le nu des chairs sous tout unhorizon de balafres », ô Loys, écoute-nous avec ton « peuple qui s'adosse à ses morts » nous adosser à toi, grandfrère galérien, grand frère forestier, charpentier, sapeur pompier, toi l'inventeur d'une respiration « avec l'argile tendreet les poumons des fougères », toi qui prends toute vie à ton compte, parlant « avec le naphte et la semence », etainsi adossés nous tenons bons « mangés de vent » avec ta « croix d'éclairs » où nul Christ ne se cloue.<spanclass='spip_document_4036 spip_documents spip_documents_right' style='float:right;'>

Patrick Quillier

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Chacun à l'heure d'aimer regarde le soleil en face tel l'aigle en sa légende

et puis ferme les yeux sur une étoile du tard, l'humble et l'habile

la tamisante qui fait durer l'espoir en son leurre, le tranquille.

J'ai regardé jusqu'au vertige.

Temps enfui, cristal rebondissant en son écho de cristal en cristal, aveugle désormais de ne mirer que leconvexe et l'oblique.

De lourds loriots anciens, cendres de leur chant encore convoient le matin vers son nom d'été.

Le révolu vit de proies humbles endormies sous le sommeil des haies ; il n'est là que pour témoigner

d'un homme parti de lui-même depuis plusieurs années.

La cécité des larmes est la plus profonde ces yeux dans les yeux qui en calme tumulte ne fixent que l'amouret la mort.

Loys Masson Extrait de « La croix de la rose rouge »

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Loys Masson : « Il fait soleil sur les bourreaux »

Patrick Quillier (à droite sur la photo) et Geoffroy Géraud Legros, rédacteur en chef de "7 Lames la Mer". 7 Mai2012. Saint-Denis de La Réunion.

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