Lucier, P. - La profession enseignante au temps des réformes - 2003

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    Chaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 1 de 7 2003

    Lucier, PierreLa profession enseignante au temps des rformes

    Notes pour lallocution de monsieur Pierre Lucier, sous-ministre de lducation, louverture du Colloque international La profession enseignante au temps des rformes du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante

    (CRIFPE), Montral, le 19 novembre 2003

    Monsieur le Recteur,Monsieur le Doyen,Monsieur le Directeur du CRIPFE,Mesdames, Messieurs,Chers collgues,

    Dabord et avant tout, je vous transmets les salutations personnelles du ministre delducation, monsieur Pierre Reid. Lui-mme enseignant de mtier, monsieur le ministreaurait aim tre ici, cet aprs-midi. Mais il est retenu Qubec par ses obligations

    parlementaires et ministrielles. Il ma pri de vous souhaiter des changes fructueux. Il seravidemment intress prendre connaissance des Actes du colloque.

    Je vous salue moi-mme cordialement et souhaite la bienvenue tous nos visiteurs delextrieur. Je ne vous cacherai pas le grand plaisir que jai de retrouver ici plusieurscollgues, amis, compagnes et compagnons darmes en diffrents lieux au cours des trentedernires annes. Merci au CRIFPE davoir maintenu son invitation malgr mon dpart deluniversit et mon retour au ministre de lducation, un retour quil ne juge donc pascomme mritant quelque ostracisme. Pour ma part, honorant aujourdhui un engagement prisdans un contexte universitaire, je maintiendrai volontiers lallure plus analytiquequadministrative de mon propos.

    Au cours des deux prochaines journes, vous allez vous pencher ensemble sur la professionenseignante au temps des rformes , et cela sous plusieurs angles, allant de la gestion duchangement lidentification des professionnalits de lenseignement, de lexercice concretde la profession la complexe pistmologie du rapport au savoir et la culture. Vousmavez invit, pour ma part, me placer en amont de ces thmatiques particulires, souhaitantquune approche plus panoramique je nai pas dit abstraite ou floue ! pourraitcontribuer camper le dcor et baliser le terrain de vos changes. Je le ferai modestementen essayant, dans un premier temps, de cerner les traits marquants des rformes en cours dansde nombreux systmes dducation des Amriques et dEurope et, par exportation ou par uninvitable jeu de proche de proche, dans bien dautres systmes des pays du Sud. La saisiedes traits indits de ces rformes, en esprant quelle ne soit pas dnue de tout fondement,

    me conduira ensuite et ce sera la deuxime partie de mon propos identifier un certainnombre dimpacts sur la profession enseignante.

    1. La nouveaut des rformes actuelles

    Lide mme de rforme lide et la chose, vrai dire -, ce nest pas une nouveaut enducation. En fait, cest gnralement sous le mode de la vision rformatrice que les thoriesde lcole, de lducation et de la pdagogie ont merg au cours de lhistoire. Ctait le cas

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    de la plupart des vieux traits De Magistro . Ce fut aussi le cas des Comenius, Rousseau,Condorcet, Claparde, Montessori, Bloom, sans oublier le Ratio Studioum des Jsuites. Lesavances en histoire de lducation correspondent presque toujours des plans de rforme :une rforme en chasse une autre, pourrait-on dire. Nous en avons nous-mmes exprimentici quelques-unes, celles qui ont marqu la vaste ingnierie sociale de laprs-guerre et qui ontculmin, dans les annes 60, avec la dmocratisation et luniversalisation sans prcdent que

    lon sait, dans des rvolutions, plus ou moins tranquilles selon le cas, et animes par ce que legrand rformateur qubcois que fut Paul Grin-Lajoie avait propos comme une grandecharte de lducation . Il y eut ensuite cette autre vague de rformes du tournant des annes80, comme si, aprs le tourbillon organisationnel des annes 60 70, plusieurs systmesdducation avaient senti le besoin de consolider leurs acquis, dapprofondir leurs perces etde corriger leurs drives. Au Qubec, le Livre orange de 1979 et ses suites illustrent biencette tape, parmi bien dautres observes dans des systmes comparables.

    Je ne vous entranerai pas ici dans quelque fastidieuse recension des rformes de ces deuxpriodes de toutes faons, elles vous sont connues. Je veux seulement souligner que ctaittrs gnralement des rformes qui, quant leur origine, relevaient surtout de proccupationssociales dgalisation des chances et de dmocratisation et, quant leurs paradigmes internes

    les plus structurants, sinspiraient de proccupations et didaux dont les pdagogues taientles promoteurs les plus actifs.

    Dans la plupart des pays occidentaux, et dans de larges proportions, les ducateurs et lesmilieux de lducation ont soutenu ces rformes, quils attendaient souvent depuis longtempset quils accueillaient mme parfois comme on reoit le printemps aprs lhiver. Tout cela,dans un amalgame complexe avec des perspectives que, plusieurs gards, on pourraittiqueter comme dinspiration plutt social-dmocrate. Je ne crois pas anticiper vraiment surla suite de mon propos en notant ds maintenant que la lecture de cette littrature des rformesdes annes 60, 70 et dbut des annes 80 se dmarque assez nettement par rapport ce quenous lisons et entendons aujourdhui en matire de rformes en ducation.

    Il y a donc rformes et rformes. Et toutes nont pas les mmes rapports la professionenseignante. Il importe donc surtout de saisir la couleur propre du temps des rformes quiest le ntre et que vous mettrez sous analyse au cours de ce colloque, de faon en saisirlimpact sur la profession enseignante. Lexercice nest pas simple, car on nobserve, danscette volution, ni brisures nettes, ni tapes rigoureusement dates. En revanche, lmergenceprogressive des nouvelles inspirations est facile observer depuis une quinzaine dannes,mme si elle na pas chass toutes les perspectives antrieures et mme si elle ne sest pasaffirme partout au mme moment.

    Au cours des annes 80, je frquentais rgulirement les officines, les personnels et les tablesde travail de lOCDE. Et je me souviens trs bien de ce moment, au milieu des annes 80

    ctait en 85 ou 86 o les instances de lOCDE voues aux choses de lducationcherchaient des faons de sauver la mise et dviter que lorganisation nabandonne sesactivits en ducation au profit de travaux plus exclusivement conomiques. Des pressionssexeraient alors sur ces pdagogues qui cotaient cher aux instances remarquez que,au mme moment, lUNESCO tait soumise au mme genre dinterpellation. Trs vite staitalors implante chez les ducatifs eux-mmes lide que lducation est aussi une ralitconomique et que la formation du capital humain nest pas un -ct mineur dudveloppement conomique. Plus mme : quelle pourrait bien tre une clef essentielle de laprosprit venir. Je me souviens trs bien davoir alors longuement chang l-dessus avec

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    des collgues et amis dAmrique du Nord, dEurope et dailleurs. Nous sentions ensembleque quelque chose de neuf tait en train de saffirmer et, sans que nous ne sachions tropcomment, allait entraner des changements de perspectives. Javoue sans honte que noustions aussi inquiets que vivement intresss.

    Cela tient sous doute un peu de lanecdote et de la tranche de vie . Mais pas vraiment. Car

    on a vu ensuite voluer les choses assez rapidement et saffirmer une pense ducative dont sesont inspires pratiquement toutes les grandes rformes rcentes de lducation dans nos pays.Il nest pas vraiment surprenant que, en 1995, le Livre blanc sur lducation et la formation dela trs srieuse Commission europenne (Enseigner et apprendre. Vers la socit cognitive)soit all jusqu affirmer sans ambages la fin des dbats de principe . La conception desmissions des systmes ducatifs et de formation , y soutenait-elle, leur organisation, lecontenu des enseignements, voire la pdagogie, ont fait lobjet de dbats souvent passionns.La plupart de ces dbats paraissent aujourdhui dpasss (pp. 43-44). Et toc! Nous necderons pas la caricature, mais cela peut nous aider ne pas sous-estimer la nouveaut dece qui est en train de se dvelopper dans la pense ducative dominante, ou plutt dans lediscours dominant sur lducation dans les systmes de lhmisphre Nord.

    En fait, et pour simplifier un peu, tout se passe comme si les dfis lancs la professionenseignante venaient finalement plus de paradigmes environnants que du dveloppementendogne de la pense ducative et de la profession elle-mme. moins et cela est peut-tre plus conforme la ralit , moins que ces paradigmes ne se soient dj insrs dans lesapproches ducatives elles-mmes, dans la meilleure des hypothses, pour les enrichirdapports nouveaux, ou, selon une moins bonne hypothse, pour y susciter lopposition ou ysemer la zizanie.

    On a dj fait observer je lai fait moi-mme en dautres lieux(1) que les rformes de cetemps ne sont pas vraiment issues du monde de lducation. Cela est devenu banal rappeler,mais cela nest pas moins vrai pour autant. Cest plutt de lextrieur, beaucoup des milieuxdes affaires et de lentreprise, que sont venues les interpellations les plus fortes, sous forme dereproches, de remises en cause, voire daccusations : lducation ne serait pas adquatementau rendez-vous de la socit du savoir et ne permettrait pas au payeur de taxes den avoir pourson argent. Il nest ds lors pas tonnant que les rformes en cours aient t gnralementportes, parfois promues, au plus haut niveau politique. Chefs dtat, premiers ministres,gouverneurs montent volontiers au front, avec lassurance dexprimer la volont populaire etde contribuer au progrs de la nation.

    En cohrence avec ces origines nouvelles, les discours rformateurs des dernires annesproposent des rfrences indites en ducation. Celles de la globalisation et de lamondialisation, dabord : le monde est maintenant troitement rseaut, nos standards doiventdonc tre comparables et nos diplms doivent pouvoir comptionner partout armes gales.

    Lenjeu, cest la capacit concurrentielle globale de nos socits, atout essentiel pour assurerleur prosprit. Sur ce fond de scne, se dtachent des paradigmes issus de plusieurs horizonspistmologiques et institutionnels, des paradigmes qui trouvent des lieux de dveloppementet de propagation dans nos facults et dans nos chaires universitaires de gestion,dadministration, de sciences conomiques, et aussi dducation : responsabilisation desacteurs, gestion par rsultats, mesure de la performance, imputabilit des dcideurs et desintervenants, accent sur la comptence acquise et vrifie, laboration de nouvelles mesures etde nouveaux indicateurs, subventionnement par approche contractuelle, laboration de plansdaffaires et de plans de russite, comparaison publique des ralisations, etc. Il y a l un

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    ensemble, complexe mais cohrent, plac sous le signe de la modernisation et port par unevolont de rationalit et defficacit gnralement qui est soutenue par les contribuables etqui, faut-il le souligner, nest pas spcialement rogrienne dinspiration.

    Sur le plan organisationnel, un grand nombre de systmes dducation sont redployer lesresponsabilits et les pouvoirs vers les units locales et rgionales vers lcole, au premier

    chef, dont on reconnat le statut et favorise la visibilit, et que lon dote dinstancesdcisionnelles auxquelles participent des parents et des reprsentants de la communaut.Lcole prend ds lors des dcisions, analyse ses contextes, tablit ses stratgies et ses plans,rend ses comptes et, volens nolens, est objet de comparaisons et de reportages nominatifs etpublics. Elle est ainsi et ses agents avec elle engage dans le circuit des rfrences et desparadigmes que jai voqus. Les instances intermdiaires et ministrielles ne sont pas enreste, qui, elles aussi, participent aux mcanismes dexplicitation de leurs objectifs et sontimputables de leurs livrables .

    On le voit, une sorte de Gestalt trs englobante se dessine et saffirme, qui modifie lesrgles du jeu du fonctionnement mme des systmes dducation. Si tant est quon a dj puy tre entre soi et labri des interventions externes, les temps ont dcidment chang. Je ne

    suis pas sr par ailleurs que lcole ait dj vraiment t un jardin denfants autosuffisantou une tour divoire; en tout cas, ni souvent, ni longtemps. Comme lieu explicite detransmission et de reproduction, on ne voit pas comment lcole aurait pu tre si diffrente deses environnements et ne pas tre sous influence . Lcole est toujours lcole de sontemps. Mais cela est une autre affaire.

    Toutes les rformes actuelles en ducation ne font pas explicitement leurs chacun des traits deces environnements et de ces modles dominants. Et il serait faux de prtendre que les rformateurs daujourdhui sont des propagandistes vous la promotion de cette visionglobale, que certains qualifient un peu sommairement de marchande ou de no-librale. Le contenu des rformes en cours est tout de mme plus ducatif que cela. De celle quisimplante actuellement au Qubec une rforme issue de lapproche essentiellementducative des tats gnraux et laquelle, plus rcemment, se sont greffs dautres apportsexternes -, je dirai mme quelle est une rforme qui na perdu ni la foi ni son me et qui tablesur la mobilisation des personnes, des quipes et des communauts autour dun mme sujet,llve, et autour dun mme objectif, sa russite la plus pousse et la plus globale possible.Mais je ne connais gure doprations de rforme qui soient totalement trangres auxenvironnements dcrits et qui, de ce fait, nen intgreraient pas certains lments structurants.Comme oprations sociales et publiques denvergure la rforme qubcoise ne fait pasexception -, elles ne peuvent pas chapper la logique des paradigmes qui, dans nos pays,balisent actuellement le champ des pratiques sociales, conomiques et politiques culturellesaussi, bien sr, quoi quen disent certains discours subversifs, mais sachant trs bien compterpar ailleurs.

    2. Les interpellations des rformes actuelles

    La profession enseignante, dans tout cela? Et bien, elle est, directement et profondment aucentre de ces mutations. Et de trs nombreux gards.

    Dabord, et bien videmment, dans lintime mme de ses gestes professionnels. Cest quetoutes les rformes visent ultimement le cur de lactivit denseignement et dapprentissage,la relation pdagogique, ce qui se passe lcole, dans la classe, entre des personnes. De

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    manire diverse et avec des insistances variables, toutes les rformes parlent de contenusdapprentissage, de programmes, de mthodes, dinstru-mentation didactique, de gestion declasse, dvaluation, de travail dquipe, etc. On veut toujours, nest-ce pas, que les enfantsapprennent plus et mieux, quils apprennent davantage les bonnes choses, quils russissentmieux, quils soient plus heureux lcole, quils sentendent bien avec leurs enseignants, queceux-ci soient comptents plus comptents , dvous plus dvous et, bien sr, plus

    patients trs, trs patients. Pour la profession enseignante, les rformes sont ds lorstoujours, et par dfinition, drangeantes , en cela quelles font la promotion dechangements cest leur essence mme et leur nom.

    De fait, il y a, dans les rformes actuelles, la promotion explicite de nouveaux paradigmespdagogiques. Je pense ici, notamment et je men servirai comme exemple l approche par comptences . Celle-ci est ne principalement dans le contexte de la formationtechnique et du Skill Development , ce que certains considrent toujours comme une tacheoriginelle indlbile. Mais elle a rapidement essaim et a beaucoup contribu faireprogresser notre comprhension du processus dapprentissage et de ses rsultats attendus.Mme dans les domaines apparemment les moins professionnels - la philosophie, parexemple, elle aide comprendre quon y vise, bien au-del de la seule acquisition de

    connaissances conceptuelles et historiques, une certaine aptitude raisonner validement, distinguer correctement les concepts, penser avec rigueur. Vaste programme, nest-ce pas,et pour des comptences essentielles sil en est!

    Lapproche par comptences a contribu resituer les acquisitions proprement cognitives parrapport la matrise effective du vrai savoir, lequel intgre toujours un ensemble complexedhabilets. Apprendre pour de vrai , titrait nagure le Conseil suprieur de lducation,convaincu quon ne sait pas vraiment quand on ne peut que resservir des notions. De ce fait,lapproche par comptences a puissamment aid mettre laccent sur lapprentissage pluttque sur lenseignement, un renversement qui remet les choses lendroit. En dernireanalyse, en effet, limportant nest-il pas ce que japprends et matrise vraiment, plutt que cequon menseigne ou que la matire quon veut couvrir mon intention, cest--diresouvent devant moi ? Cela a lair de rien, mais cest plein de consquences pourlintervention pdagogique et pour lorganisation scolaire. La dynamique des comptences traverse au double sens du mot lapproche strictement disciplinaire et oblige placerlapprentissage en temps rel et en situation de ralit. Elle exige aussi forcment des modesplus complexes et plus riches dvaluation et de certification, des modes plus lisibles, doncaussi plus exposs .

    Je cite cet exemple, moins en raison de sa nouveaut ce nest quand mme pas dhier quecette approche est promue en Occident! -, que parce quil illustre bien la fois le type de dfique les rformes en cours comportent pour la profession enseignante et lassimilation que lapense pdagogique a commenc raliser de modles venus den dehors de lcole, de

    lcole de base en tout cas. Il traduit ainsi un intressant point de rencontre et dhybridation.Ce genre ce changement pdagogique comporte son lot de difficults et ne peut pas se ralisersans rencontrer de rsistance. Mais je ne suis pas de ceux qui pensent que les enseignantsseraient, plus que dautres, rfractaires aux changements. En fait, ils ne le sont ni plus nimoins que dautres professionnels. Mme si, par plusieurs aspects de leur engagement, ilsoeuvrent dans un cadre institutionnel qui incarne une stabilit voulue par ailleurs. Ce sont des institutionnels au sens fort on les a mme justement dsigns comme instituteurs et institutrices de la Rpublique. Leur mission est elle-mme instituante , qui leur demande

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    dtre des agents de transmission, dintgration et oui, le terme nest pas forcment en touspoints ngatif des agents de reproduction. Sans tre pour autant enferms dans lternelretour, ils sont dans lincessant recommencement, avec des humains dont les tapesessentielles de croissance se ressemblent. Et puis, ils voluent dans de gros systmes, plusproches du porte-avions que de la vedette rapide. La clbre remarque du ministre Allgresur le mammouth tenait, cet gard, davantage de la provocation que de lerreur!

    Je serais cependant port penser que, par rapport aux rformes actuelles, ce nest pas surtoutpar ce noyau proprement pdagogique que les enseignants et les ducateurs en gnral sont leplus drangs. Il me semble observer quils sont davantage interpells par lensemble desparadigmes dominants qui constituent lenvironnement structurant des rformes, cest--direles rfrences, les modles et les valeurs dont jai voqu tout lheure les plus marquants.En fait, dinstituteurs et dinstitutrices de la Rpublique, ils deviennent des professionnels delenseignement, appels uvrer dans des institutions et des contextes dont le rapport lasocit et la profession a radicalement chang. Ils travaillent dans une institution lcole qui entretient des rapports nouveaux de participation et de rgulation avec la communaut, lasocit civile et ltat. Dans une institution qui sengage quasi-contractuellement ralisercertaines performances et atteindre certains objectifs et qui est appele rendre des comptes

    en empruntant des cadres conceptuels qui ne sont manifestement pas ns dans le giron dessystmes dducation. lintrieur du systme dducation, ils exercent leur profession dansune cole qui est en plein repositionnement socio-communautaire, notamment auprs desparents, et ds lors cible comme jamais au collimateur. Et, dans lcole mme, ilsinterviennent de concert avec dautres agents aux multiples profils professionnels, ainsiappels composer et partager autour dobjectifs communs et exprimenter lacomplmentarit sur le terrain. Quant la population scolaire elle-mme, elle a aussiconsidrablement volu. Vers plus de diversit ethno-culturelle, cela est vident, mais aussivers plus de diversit quant aux types denvironnements familiaux, de rfrences culturelles etmme de rapport au savoir. Sur ce dernier point, on ne mesure pas encore suffisammentleffet de mise en ballottage que connat lintervention des enseignants face la multiplicitdes autres modes daccs linformation, voire la multiplicit et au nivellement desinformations elles-mmes.

    Ce sont l dimportantes interpellations qui sajoutent celles, dordre proprementpdagogique, qui sont inhrentes toute rforme en ducation. Je dis sajoutent , maispeut-tre faudrait-il mieux dire se combinent . Pour lopinion publique, en tout cas, biendes signes donnent penser que les attentes vis--vis de la profession enseignante portentdabord sur ces interpellations venues du dehors, si je peux dire. Cest peut-tre mme surtoutl que lopinion publique place la nouveaut des rformes en cours, alors que, sur leur terrainprofessionnel, les enseignants semploient matriser de nouvelles approches pdagogiques,que, bien paradoxalement, la mme opinion publique ne comprend pas toujours trs bien. Aubout du compte, tout se passe comme si lcole avait de la difficult se faire appuyer dans ce

    quelle a professionnellement rsolu dassimiler de ses environnements. On traite de jargoncela mme que lcole, pourtant non sans rticence dabord, a commenc intgrer deparadigmes administratifs et techniques qui lui taient largement trangers, comme si, lextrieur du monde scolaire, on narrivait plus comprendre ce quon a press lcoledintgrer! Quoi sil en soit, on peut, en toute rigueur de termes, parler de choc culturel, lechoc le plus dlogeant qui soit, comme chacun sait, peut-tre mme de malentendu.

    Dfis pour la profession enseignante; dfis aussi pour les lieux de formation des enseignants.Car, bien au-del de la matrise des disciplines, de la gestion de classe et de lintervention

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    pdagogique, la formation doit pouvoir prparer lexercice de la profession dans ce contexteet dans ces environnements rels. Bien des difficults observes tiennent la dcouvertetardive de ces nouveaux univers dexercice, dont on peut bien prtendre quils nontformellement rien voir avec la pdagogie, mais dont on pourrait tout aussi bien dire quilssont au cur des enjeux de la profession et de la pdagogie elle-mme.

    Somme toute, il est normal que la professionnalisation de lenseignement fasse partieintgrante de la plupart des rformes en cours. Cest que lenseignant est appel intervenirde manire plus autonome dans un lieu devenant lui-mme plus autonome. Cest aussi quecette autonomie doit indissociablement saccompagner de mcanismes de rgulation socio-professionnelle la mesure de la complexit de la fonction exercer. Du coup, et cela estcohrent avec les paradigmes mergents, lenseignant devient un professionnel parmidautres. Il y acquiert assurment un statut et une reconnaissance de gabarit suprieur. Enchange, cependant, dune certaine dsacralisation dune profession dinstituteur qui ntaitnagure pas tout fait comme les autres. Mais comment bouder ce qui pourrait bien tre cela soit dit sans jeu de mots une autre tape de la dconfession-nalisation de lcole etde la profession enseignante? Il y a de bonnes raisons destimer quil y l un progrssignificatif.

    * * *

    Au cours des prochains jours, vous aurez confronter vos propres lectures de ce quicaractrise les rformes actuelles en ducation et leurs impacts sur la profession enseignante.Jai essay, pour ma part, de contribuer vos dbats en suggrant quelques pistes danalyses,tout en tant bien conscient que tout cela serait toffer et illustrer bien davantage.

    Je conclurai par deux remarques trs gnrales. La premire est leffet que lexpriencequasi anthropologique en quoi consiste la relation pdagogique a un norme potentieldassimilation et dintgration. Et que, cet gard, elle en a vu et intgr, des rformes; elleen a absorb, des chocs culturels. Je ne crains donc pas pour elle : elle est faite trs forte. Jesuis mme convaincu que, en dernire analyse, cest encore et toujours delle qumergerontces valeurs longues que Fernand Dumont aimait voquer. Ma seconde remarque, cestque les interpellations actuelles sont particulirement stimulantes et cratrices. En elles-mmes, bien sr, parce que nous y apprenons normment et que de fconds enrichissementssy trouvent pour la vigueur de la pense pdagogique et ducative. Stimulantes et cratricesaussi, parce quelles obligent pratiquer ce quil faut de distance critique pour ne pas cder ce qui ny serait que mode passagre ou, pire, ce qui ny serait que distraction des vraisenjeux, au premier chef la russite de nos enfants et de nos adolescents et la qualit delaccompagnement pdagogique professionnel qui fait lessentiel de ce que vous mepermettrez dappeler encore notre mtier denseignant et dducateur.

    Je vous remercie de votre attention et vous souhaite un trs excellent colloque.