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99 98 Paul Pagk Pierre Buraglio “Morceaux choisis 1965-1999” Estelle Fredet, Jung-Yeun Jang David Gelot, Gudrun von Maltzan “Intimement dessin” Wade Saunders “Une chose après l’autre” Carte blanche à Pierre Wat : Frédérique Loutz, Claude Tétot 1-2-3 Vues de l’exposition P. Buraglio “Morceaux choisis 1965-1999” Vue de l’exposition P. Pagk 2 1 3 2000

MACC 20 ans, 3ème partie

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Paul Pagk Pierre Buraglio “Morceaux choisis 1965-1999” Estelle Fredet, Jung-Yeun Jang David Gelot, Gudrun von Maltzan “Intimement dessin” Wade Saunders “Une chose après l’autre” Carte blanche à Pierre Wat : Frédérique Loutz,

Claude Tétot

1-2-3 Vues de l’exposition P. Buraglio “Morceaux choisis 1965-1999”

Vue de l’exposition P. Pagk

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1-2 Vues de l’exposition D. Gelot, G. von Maltzan, “Intimement dessin”

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3 Vue de l’exposition E. Fredet, J.-Y. Jang à gauche E. Fredet, à droite J.-Y. Jang

4-5 Vues de l’exposition Wade Saunders, “Une chose après l’autre”

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Vue de l’exposition “Carte blanche” à P. Wat”, œuvres de C. Tétot

1-2 Vues de l’exposition “Carte blanche à P. Wat”, œuvres de F. Loutz

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Alix Le Méléder “Peintures” Eudes Ménichetti, Hélène Muheim “Une journée ordinaire” MarioPalmieri, Benyounès Semtati “Peintures et dessin” Marco Coelho Benjamin, Ester Grinspum, Manfredo de Souzanetto

A. Le Méléder, sans titre, huile sur toile, 1998, 200 x 200 cm

1-2 Vues de l’exposition E. Ménichetti, H. Muheim3-4-5 Vues de l’exposition M. Coelho Benjamin, E. Grinspun, M. de Souzanetto

6-7 Vues de l’exposition M. Palmieri, B. Semtati

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avec Bernard Moninot et Jacques Monory avril 2011, dans l’atelier de Jacques Monory à CachanCéline Leturcq  (à Jacques Monory)  : la première question à poser, au sujet de votre exposition à la maison Chaillioux de janvier à mars 1998, concerne le choix des œuvres qui y a été opéré. Marcel Lubac est très attentif à ce moment de décision, qui lui per-met de construire un propos véritable. Rarement il ne s’oppose à quelques remaniements et suggestions, lorsque le projet se précise autant pour lui que pour les artistes exposés.

Jacques Monory  : C’était il y a si longtemps… C’était ce que je faisais à ce moment-là, en général j’expose ce que je fais récemment.

CL : Mais quelque chose de complexe devait être résolu car les grands formats que vous élaboriez d’ordinaire ne rentraient pas dans les espaces de la Macc. C’était un réel problème. Comment rendre compte d’une œuvre qui installe la vision dans de très grands formats, parfois proches d’un panoramique, du cinémascope, et nous plonge dans une couleur, le bleu, qui imprègne toute la représentation ? Il a fallu en quelque sorte que le projet d’exposition s’adapte aux dimensions de la Macc, plus modestes que celles d’un musée par exemple.

JM : Il y avait plusieurs grands formats et des plus petits. Il y avait des objets aussi, un objet avec un revolver, pour moi c’est emblématique. Ce truc-là c’était au sol1. (Jacques Monory regarde un petit meuble aux tiroirs ouverts reproduit sur une photo de l’exposition publiée dans le journal d’exposition Le Petit Chaillioux)

Bernard Moninot  : Je me souviens que tu avais l’idée de prolonger la surface du tableau avec quelque chose qui se déploie dans l’espace, et tu avais récupéré pour ce projet un meuble dans la rue.

JM : Dans la rue j’ai trouvé ça ?

BM : Oui, l’objet t’avait intrigué car il semblait ne pas pouvoir tenir debout, il avait été construit bancal dès l’origine, impossible de le placer de manière ration-nelle dans l’espace, il était absurde, et tu l’as intégré tel quel dans l’exposition.

JM : Ah ? Continue !

BM : Ce qui t’intéresse à chaque fois c’est que quelque chose de nouveau se passe. Si tu n’avais exposé que des tableaux sans cette intervention dans l’espace, cela aurait été juste une exposition de plus. Tandis que là, il y avait une sorte de réactualisation et une relecture du sens de ta peinture par l’introduction de ces éléments de mobilier, qui étaient associés aussi si je me souviens bien à des films. Mais il n’y avait pas que le revolver, il me semble, il y avait aussi des bobines de films, plus qu’une installation, c’était une sorte de scénographie dans l’espace.

JM : Peut-être y a-t-il eu des projections en-dehors de la Macc ? À Fresnes mais dans un autre lieu.

CL : Oui, la Macc avait aussi organisé la projection de vos films dans une autre structure de Fresnes. Mais ce n’était qu’un rendez-vous ponctuel. L’expo-sition avait lieu uniquement au centre d’art, à l’excep-tion d’une toile accrochée dans le hall de la mairie, ce qui se faisait à l’époque pour chaque exposition. La peinture la plus imposante était celle que vous ve-nez d’évoquer en effet, devant laquelle un ensemble d’objets complétaient la représentation et intégraient le spectateur, elle s’intitulait “énigme n°17”.

JM : Il y avait plusieurs peintures assez grandes et l’exposition s’appelait épilogue… Il y a treize ans !

BM : À cette époque tu appréhendais une période de renouvellement de ton travail, en jouant de la possi-bilité des dispositifs fictionnels et des indices, comme dans cette exposition, les tiroirs sont entrouverts

et complètement de guingois, il vient de se passer quelque chose et l’on s’interroge.

JM : Oui, il y a une mise en scène.

BM : Il y a aussi ces bobines de films qui sortent du tiroir. Et tu avais tracé sur le sol, avec un film collé, l’intersection de deux lignes formant une grande croix, que l’on voit sur la photo de l’œuvre en situa-tion. On y voit les éléments intérieurs et extérieurs au tableau, on oublie des choses, on se souvient mais seu-lement partiellement de ce qu’on a vu ; une certaine inquiétude s’installe comme au cours d’un interroga-toire de police où l’on a peur de raconter l’histoire de travers. Ça devient problématique, nous ne sommes plus seulement des témoins mais complices.

JM : Je m’en souviens oui. L’œuvre était récente, de 1996, et mesurait trois mètres quarante. Elle a été ins-tallée au rez-de-chaussée. Il est en Israël maintenant ce tableau. Il a été acheté.

BM : Dans ton travail, tu as utilisé dès le début des images aux contours découpés et des objets réels sor-

tant du plan. Là c’est encore différent dans ce dispo-sitif : les éléments sortant devant le tableau, le regar-deur est incorporé à l’intérieur de la fiction.

JM : Oui j’avais un peu cette tendance comme ça de me servir d’objets extérieurs à ma peinture qui avaient un rapport mental avec mes “petits” travaux. Ils meublent…

BM : Un certain nombre d’éléments sont caractéris-tiques de ton œuvre. Ils font de toi le créateur d’un monde “monoryen” ; il y a souvent dans ton travail des objets, des éléments qui sont les indices d’une his-toire, qui nous interrogent.

JM : Je suis tout à fait narratif. Mais je raconte des histoires incompréhensibles.

BM : Incompréhensible comme notre monde qui est une énigme  ! Par contre je me souviens qu’au moment de ton exposition un incident bien réel s’est produit. La ville de Fresnes est à côté de la Maison d’Arrêt et comme le disait Céline l’une de tes œuvres était présentée dans la mairie, sur la peinture il y avait

Entretien

J. Monory et B. Moninot dans l’atelier de J. Monory

1. Montage, 1997.

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des cibles et des vraies douilles de balles étaient collées sur le tableau. La municipalité a pensé que ce n’était pas possible de l’exposer car on pouvait y voir une incitation au meurtre ! Le tableau a été décroché car dans ce contexte à Fresnes on pouvait l’interpréter comme une apologie du crime…

JM : Confusion, en prison ! Tout le monde y a cru… Un évadé !

BM : D’ailleurs la communication de la municipalité est assez drôle, j’avais lu dans un petit bulletin muni-cipal “Évadez-vous à Fresnes !”.

JM : Où as-tu trouvé cette belle phrase ?

BM : Au service de la communication de la ville, quelqu’un avait certainement voulu faire de l’hu-mour…

Je continue dans mes souvenirs à propos de cette période, j’ai exposé à la Macc avant Jacques. Et c’est à la suite de cette exposition que Marcel Lubac m’a demandé si je connaissais Jacques Monory dont il aimait le travail. Pouvais-je les mettre en relation ? Je lui ai donné ses coordonnées. Au début, tu n’étais pas très enthousiaste d’exposer ici, mais par la suite tu as changé complètement d’avis. Il est vrai que lorsqu’on vous propose une exposition, on n’est pas toujours disponible, mais tu t’es pris de sympathie pour Mar-cel, et tu m’avais confié que pour une fois tu étais en face d’un interlocuteur s’intéressant vraiment à ton travail, vraiment à l’écoute et en connexion avec ton univers. Marcel a accepté toutes tes propositions pour organiser cette présentation scénographique nou-velle. Et tu as dit : je préfère travailler avec quelqu’un comme Marcel avec qui je sens une véritable écoute plutôt qu’avec des gens qui programment mes expos mais qui traitent ça “par-dessus la jambe”…

JM : Je le pense encore !

BM : Marcel c’est curieux, notre rencontre s’est pas-sée en deux fois. Je l’ai connu aux Beaux-Arts de Paris en 1967 étudiant, repérable avec ses cheveux longs, vestes à frange et Santiags, il ressemblait au

guitariste Johnny Winter. Quand je l’ai revu, trente ans plus tard il dirigeait la Macc et à l’occasion d’une exposition de Joël Kermarrec, il m’a proposé de mon-trer mon travail. C’était en 1997, quelques mois pré-cédant mon exposition au Jeu de Paume à Paris, et ça posait un problème car il ne fallait pas déflorer le contenu de cette grande exposition à caractère rétros-pectif. Il fallait faire quelque chose de différent. Mar-cel avait choisi des dessins sur verre de la série À Ciel ouvert et les Ombres portées, qui sont des constructions légères et de taille plus modeste. On avait également montré les Ombres panoptiques. L’idée de l’exposition consistait à présenter chaque série complète. L’exposi-tion occupait les salles du bas, au premier étage, il y avait Jérôme Pouvaret, un jeune artiste élève de Ker-marrec, qui faisait des photographies de petit format en noir et blanc.2

CL : Là encore je pourrais poser la même question  : quelle a été la mise en place des séries, comment leur choix s’est-il opéré ? Il me semble que l’accrochage a une grande importance dans votre travail, puisque certaines de vos œuvres jouent avec le mur, par exemple grâce à des jeux d’ombre. Surtout si vous deviez aussi différencier les deux expos, il fallait effec-tuer un choix judicieux et respectueux de la modestie de la Macc, en tachant de ne pas simplement illustrer votre propos mais bien de l’actualiser.

BM : Marcel est venu à l’atelier et l’on a choisi les œuvres les plus spécifiques. Je réalisais des tableaux. Enfin pour être précis des dessins sur verre avec une technique inventée que j’appelle des Dessins déco-chés. À partir d’un dessin scarifié sur carton, cette matrice est chargée de poussière de graphite, et grâce à l’impact d’un coup de marteau, le tracé est trans-féré instantanément sur le verre préparé avec une colle. Ces œuvres présentaient une autre curiosité : disposées à quelques centimètres du mur et éclairées elles se redoublaient d’une ombre portée. Ce système conférant à ces dessins une spatialité particulière que l’œil est invité à parcourir dans un mouvement de va-et-vient d’accommodation entre le dessin-obstacle et son ombre portée sur le mur.

Dans cette exposition, d’autres œuvres s’émanci-paient complètement du support et du plan tradi-tionnels. Le passage vers un autre espace était encore plus radical avec les ombres portées qui sont de petites constructions en corde à piano, formant une struc-ture de lignes soudées. Un certain nombre de points sont localisés et tenus à distance de la structure par des aiguilles. À l’extrémité de chaque épingle est col-lée une petite plaque elliptique ou circulaire en plas-tique. Tout est peint en blanc, comme le mur, lorsque l’œuvre est éclairée, on ne voit plus que l’ombre.

Cette exposition marque le moment où mon travail s’est émancipé du cadre, pour se composer directe-ment comme projection sur le mur…

CL : Ce qui était déjà en gestation ? Je crois savoir qu’actuellement, une grande partie de votre œuvre consiste en cela, en cette émancipation qui prend en compte toutes les dimensions du regard, non seu-lement frontale mais également vers d’autres possi-bilités, grâce à des installations, à des vitrines, à des dispositifs lumineux. Un autre temps s’installe.

BM : L’idée de ces constructions était venue en fabri-quant les dessins de la série Murmures, dessins réalisés tout d’abord sur papier, ensuite chaque ligne est rem-placée et matérialisée par une tige de corde à piano, les formes étaient découpées dans du plastique collé. Puis cette construction était posée sur une plaque de verre et je saupoudrais au tamis une pluie de pous-sière de sable extrêmement fine. Grâce à ce procédé, j’enregistrais en négatif la construction. Le dessin ex-posé à quelques centimètres du mur en lumière am-biante, on ne voyait absolument rien, mais lorsque la lumière directionnelle traversait le verre, apparaissait l’ombre d’un objet absenté... Un jour, un ami à l’ate-lier a vu ces constructions que je ne montrais pas, et il m’a dit que c’est ça qu’il fallait montrer! L’idée était juste et plus vraie et ces œuvres avaient la force d’un phénomène, elles n’étaient plus une trace.

JM : Oui. C’est subtil, sensible, intelligent ce que tu racontes. J’ai l’impression d’être une grosse brute.

CL : J’aurai donc une question pour vous aussi : fon-damentalement, est-ce que l’exposition à la Macc a déclenché quelque chose de nouveau ? A-t-elle eu un impact sur le regard que vous portiez et que l’on por-tait à votre œuvre ?

JM : Ça n’a rien changé de fondamental car je suis très obsédé si l’on peut dire.

BM : Il y a quelque chose que l’on peut considérer dommageable, les expositions au moment où elles ont lieu ne sont pas signalées suffisamment tôt par des articles importants ! Il est rare que les expositions quelle que soit l’ampleur de celles-ci coïncident avec un article pouvant changer la perception et l’audience d’un travail.

Souvenez-vous de l’exposition de Monory à l’ouver-ture du Mac/Val en 2005, l’article du Monde regret-tait la décision d’avoir confié à l’artiste la scénographie de son exposition, et se concluait ainsi “L’exposition Jacques Monory reste à faire.”, pas très encourageant !

La réception de mon travail dans ce journal n’est pas plus satisfaisante car depuis qu’André Fermigier a cité mon nom, déplorant mon absence dans l’exposition Pompidou en 1972 au Grand Palais 3, je n’y ai jamais eu le moindre article.

Mais je ne me décourage pas, je pense souvent au destin de l’œuvre d’Aurélie Nemours.

JM : J’avais organisé le couloir en colimaçon. C’était très bien d’avoir permis que l’artiste construise le scé-nario de son propre travail. En plus c’était réussi. Ils ont dix lignes à écrire alors…

BM : Tu viens d’utiliser le terme de scénario.

JM : Je suis un peu cinématographique. À la Macc c’était cela.

BM : Le scénario inclut quelque chose d’important : le spectateur est pris entre deux feux et intégré à l’his-toire.

2. Bernard Moninot, Jérôme Pouvaret, novembre - décembre 1994 3. 72-72, exposition rétrospective de douze années d’art contemporain en France avec soixante-douze artistes, à l’initiative du Président Georges Pompidou, du 16 mai au 18 septembre 1972, Paris, Grand Palais. L’exposition sera l’occasion de vives polémiques, des manifestations en empêchent l’accès et certains participants retirent leurs œuvres.

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JM : Pour l’exposition en colimaçon aussi. Sur un socle avec un petit lapin il était inscrit “Mono l’a peint”. C’est Jean-Christophe Bailly qui a trouvé cette astuce que j’apprécie toujours.

CL : Jacques, à l’époque de l’exposition à la Macc, votre travail bénéficiait-il d’un intérêt sensible ? N’y a-t-il pas eu, notamment à la fin des années 90 un moment d’ombre autour de votre œuvre ? J’ai cru comprendre en effet que la peinture figurative, après avoir été portée au-devant de la scène dans les années 80 et avoir supplanté une certaine peinture abstraite en France, s’est vue délaissée un peu plus tard…

JM  : Ce moment-là était un bon moment pour moi. J’ai fait des expos importantes après, comme le Mac/Val.

CL  : En 2005. C’est une reconnaissance plus récente ?

JM : J’ai eu comme tous les artistes beaucoup de mal à montrer mon travail. Mais j’ai eu une certaine facilité quand même parce que je suis rentré dans un groupe. Quand c’est le cas, vous avez plein de possi-bilités, faire partie d’un groupe, d’un mouvement. Si vous êtes vraiment seul, c’est beaucoup plus difficile. Alors en entrant dans le groupe “peinture narrative” 4, j’ai profité de cela. En fait c’est moi parce que je suis vraiment narratif. Je raconte des histoires.

BM : Tu m’as dit un jour quelque chose qui m’a fait beaucoup rire : “La vie d’un peintre, c’est difficile sur-tout pendant les soixante premières années !”. Main-tenant je pense que tu te trompais, en France pour les artistes c’est au moins le double !

Dans la politique de programmation de Marcel Lubac, on ne mesure pas le courage de réussir à tenir avec exigence une telle originalité pendant vingt ans ! Il n’y a pas beaucoup de lieux comme la Macc qui parviennent à tenir une position originale, ouverte et curieuse sur une aussi longue durée. Marcel repère et distingue, il a un œil. Il visite les ateliers et choisit des travaux qui sont souvent exposés pour la première

fois. C’est dommage qu’on n’ait pas pensé à lui pour diriger un lieu plus important.

Il donne la possibilité à des artistes très divers d’accé-der à une certaine audience à l’occasion d’une expo-sition personnelle. Le lieu n’est pas très grand, mais il y a toujours une publication ou un catalogue, c’est comme ça qu’il a fait émerger certains artistes remar-quables comme Frédérique Loutz.

CL : L’une des premières expositions pour Frédérique Lucien, Agnès Thurnauer, Christophe Cuzin, Sylvie Fanchon, Mamadou Cissé, Anthony Vérot, Domi-nique Liquois et d’autres, a eu lieu à Fresnes…

JM : Je n’ai pas tout vu, mais je continue de suivre l’actualité de la Macc, maintenant je sais ce qu’il s’y passe.

CL : Un artiste y est exposé pour la deuxième fois en ce moment, Carlos Kusnir, à dix années d’intervalle. De la part de Marcel Lubac, il me semble que cela témoigne d’une fidélité aux artistes mais également d’une imprévisibilité dans ses choix. La relation s’en-tretient et évolue, tout reste ouvert.

BM : Pour confirmer ce que tu dis, j’y ai été exposé trois fois. La première, avec mes travaux sur verre et les ombres portées, puis en 1998 sur le thème des carnets d’artistes, à cette occasion, j’ai écrit un texte sur le dessin. Plusieurs films avaient été réalisés sous forme d’entretiens par Marc Plas, il y avait aussi mon ami Gilgian Gelzer. Les vidéos étaient présentées à côté des vitrines où nos carnets étaient exposés. Il me semble qu’il y a une autre exposition après ?…

CL : Celle qui commémore les vingt ans de la Macc ! Deux de vos œuvres se trouvaient à l’étage, dont une “Ombre portée”, aux côtés d’un diptyque de Joël Kermarrec et de dessins d’artistes défendus plus ré-cemment par la Macc, Diana Quinby et Mamadou Cissé.

BM : Oui.

JM : C’est magnifique ! Ils se rappellent de tout, les noms de personnes, les lieux…

BM : Il faut dire que la programmation de la Macc prend un sens particulier du fait que l’on sente un individu là derrière, c’est rare  ! Marcel a su aussi s’entourer d’une équipe de gens qui s’est renou-velée constamment, chevilles ouvrières du centre d’art,  toujours là pour assurer le fonctionnement et la pédagogie des expositions... L’idée est d’avoir une programmation originale qui ne soit pas à la traîne de ce qui se fait ailleurs et qui anticipe certaines fois l’avenir. Le caractère dont témoigne ses choix est le fait d’un esprit libre, ce serait formidable si en France il y avait une dizaine de centres d’art comme celui-ci, les choses changeraient.

CL : L’une des particularités de la Macc consiste sans doute à parvenir grâce à des moyens restreints il faut le dire, à mener des projets d’une grande qualité, comme vous le souligniez tous les deux, relationnels et artistiques.

JM : Tout à fait, quoique le lieu soit “perdu” en ban-lieue, ce n’est pas excitant a priori, mais la manière dont c’est proposé fonctionne avec les artistes. Grâce à Marcel, cela devient excitant parce qu’on voit qu’il est branché avec d’autres intelligences, alors qu’on pense dans un premier temps que le lieu est un peu perdu.

CL : Très peu d’endroits avec si peu de moyens se maintiennent si longtemps. Car jusqu’à présent la Macc continue à vivre.

BM : C’est très courageux d’arriver à tenir pendant vingt ans à raison de cinq expositions par an, et d’organiser avec sérieux et régularité tout ce qu’il y a autour des expositions, la communication, la péda-gogie, les conférences et les rencontres avec le public. C’est un véritable travail de fond à un endroit excen-tré de Paris. Malgré cette difficulté due à la distance, ce lieu suscite de l’intérêt pour les œuvres de toutes tendances, qu’il expose.

JM  : C’est toujours propre ce que Marcel Lubac arrive à montrer.

BM : Il n’y a pas de ligne, et il n’y a rien d’interdit, Marcel peut travailler avec des artistes ayant des démarches extrêmement diverses, lyriques, géomé-triques, figuratives, hyperréalistes…

CL : Qui touchent quand même la plupart du temps la peinture.

JM : Vous voulez dire que ce qui relie tout ça ce serait la peinture ?

CL : Cet espace-là, que vous évoquiez tout à l’heure. Marcel Lubac porte un intérêt tout particulier à la peinture et son espace, une véritable réflexion se met en place autour de l’œuvre, ce dès les premières expo-sitions, qui, rappelons-le, ont présenté des peintres plus que tout autres artistes : Vincent Creuzeau, Ri-chard Texier, Gérard Duchêne, Jean-René Hissard pour ne citer qu’eux car j’en oublie…

JM : Il fut un temps où l’on rejetait plutôt tout ce qui avait un rapport avec la peinture mais Marcel n’a jamais eu ce préjugé-là.

CL : J’ai cru comprendre qu’en 1990 la Macc avait été créée dans un contexte où la peinture était moins considérée qu’aujourd’hui. L’art conceptuel dominait la scène française ?

JM : Oui.

BM : L’on se rend compte que ce qui reste d’une époque, ce sont les œuvres d’art mais beaucoup d’entre elles auront du mal à tenir dans le temps du fait des techniques pas très fiables dans la durée. Et dans les installations  l’évolution rapide des médiums va rendre difficile la conservation de l’intégrité des œuvres et leur restauration complexe. Mais peut-être ce qui sera sauvé c’est juste l’idée qu’à une époque, les artistes auront eu le désir d’explorer tous les possibles, et ça c’est unique dans l’histoire et ça doit nous faire réfléchir.

4. Jacques Monory fait allusion au groupe de la figuration narrative auquel il a été associé, notamment avec l’exposition Mythologies quotidiennes organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les artistes Bernard Rancillac et Hervé Télémaque au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en juillet 1964.

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Le tableau n’a jamais été aussi difficile à penser et si complexe à réaliser que maintenant. Il y a une grande nécessité pour les artistes à créer des œuvres où se concentrent les préoccupations et la complexité de notre époque et c’est peut-être encore par le moyen de la peinture avec des moyens aussi simples, que l’on parvient le mieux à formuler ça.

CL : Comment selon vous les jeunes artistes peuvent-ils se positionner par rapport à celle-ci ?

JM : Pour tous ces artistes contemporains, il y a tou-jours un détachement parce que c’est une projection mentale en général et pas réalisée avec la main. Dans la peinture il y a un facteur très ancien depuis la Pré-histoire, c’est le rapport à la “chose”. Vous faites une chose mais vous la faites avec votre main, ce qui en résulte acquiert une sorte d’authenticité et de vérité.

BM : C’est une décision importante que de choisir de travailler avec des moyens éphémères, dans mon travail parfois je fais ce choix aussi mais c’est toujours avec l’idée que c’est une solution qui permette de continuer par d’autres moyens le dessin ou la pein-ture.

Dans ton travail Jacques, il y a les films, la photo-graphie et le roman. Et tes tableaux où tu adoptes un point de vue qui instaure avec l’usage particulier que tu fais de la couleur une distance qui crée de l’es-pace dans ce que tu figures. Le monde de Monory s’impose à nous par cet effet de distance qui para-doxalement crée un sentiment d’empathie et de ten-dresse. Ce que tu viens de dire est très juste, l’auteur doit incorporer tous les éléments de sa pratique. C’est un sentiment magnétique qui est dépeint dans tes images et c’est ce qui donne à ton travail une identité et ce style absolument unique, vécu en actes pictu-raux. “Le corps est dans le monde comme le cœur est dans l’organisme”. Cette phrase de Merleau-Ponty dit autrement comment le corps s’implique dans tes œuvres.

Actuellement dans l’art contemporain, souvent le style a disparu au profit des solutions formelles offertes par les techniques industrielles et ça donne

l’impression étrange que c’est un même artiste qui fait tout.

JM : Oui. Je me suis appuyé un jour sur une photo et la peinture qui en est sortie avait la même taille : il y avait la photo et à côté la peinture. Normalement, cela aurait dû être pareil. Je copie les photos, je me suis demandé pourquoi j’ai besoin des copies, je suis com-plètement con. On peut prendre la photo ! Et bien non, ce n’est pas vrai. Je m’en suis donné la preuve lorsque j’ai refait en peinture la photo à sa grandeur et mis les deux côte à côte. Celle qui était peinte était plus intéressante. Alors que la photo était parfaite ! Ce que je crois avoir compris. La main et le cerveau ont un rapport très spécial ; si c’est un appareil qui remplace notre main, dans mon cas en tout cas, c’est beaucoup moins bien. C’est beaucoup moins riche. Pour d’autres qui sont cinéastes purs ça n’a pas d’im-portance, ils ne mettent pas leurs mains là-dedans !

BM : Est-ce que tu crois que le tableau, objet culturel vieux de plusieurs siècles, porte en lui une vertu parti-culière, du fait de cette incorporation ?

JM : C’est-à-dire qu’il y a l’histoire…

BM : C’est une possibilité de faire entrer la vie et notre époque dans l’Art et l’Histoire ?

JM  : On peut défendre l’inverse. Au contraire, le tableau n’a plus de valeur puisque c’est exactement la position de la peinture comme elle l’a toujours été. Ne pas du tout se servir de peinture, c’est beaucoup plus contemporain.

BM : Oui, mais le fait de prendre des documents et des images de ta vie, comme c’est ton cas et de les déplacer dans le champ de la peinture c’est vouloir la situer dans la perspective d’une plus vaste Histoire ?

JM : Parce qu’évidemment cela renvoie ailleurs… À la Renaissance, on peignait encore avec un pinceau.

CL : Et on ne peignait pas à partir d’une image pro-duite par une machine, ou si peu. Il y avait bien des

dispositifs de vision qui subodoraient non seulement l’idée et l’œil de l’artiste, mais surtout sa main.

BM : On peignait avec des instruments comme la camera obscura, où le réel se dépose par projection d’une image sur un verre dépoli. Notre époque nous propose des choix évidemment différents, mais il y a des éléments qui perdurent pour fabriquer une image objective. Pendant le XXe siècle, il se passe quelque chose de nouveau, de nombreuses œuvres passion-nantes se réduisent une fois la disparition de leurs au-teurs à l’attitude que les artistes ont adoptée. Ce qu’ils laissent après eux, ce sont les archives de leur propre vie. Par exemple Joseph Beuys qui est un artiste pas-sionnant, a une production d’archives et de traces à caractère quasi religieux. De sa vie et de ses actions, il a fait des reliques plutôt que des œuvres au sens tra-ditionnel, ce qui confère à ce qu’il a laissé un aspect

magique. Par contre dans sa peinture Jacques met en scène sa vie et notre époque, mais c’est différent de la relique. La relique relie par la pensée le fragment à une totalité. Chez Monory, chaque tableau est un tout composé, chaque tableau est un monde, ce qui en fait des œuvres.

CL  : Il y a ce contre-exemple en la personne de Marcel Broodthaers. Des documents et des objets d’origines diverses composent son “Département des Aigles”. C’est un projet à caractère total qui se joue des protocoles, des symboles et de l’institution par lequel l’artiste ne crée pas directement son matériau mais le rassemble, le collecte, le provoque.

JM : Ça rejoint ce que je disais, ça passe par la main, le cerveau et la main ; tandis que ça ne passe que par

J. Monory et B. Moninot dans l’atelier de J. Monory

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le cerveau quand tu prends l’objet. Tu peux même être sans mains !

CL : Jacques, n’êtes-vous pas en train de remettre en cause notre rapport à l’image contemporaine, filmée ou photographiée ? La “valeur sûre” de notre époque en termes de représentativité, c’est bien plus ce réel capté par une caméra, puis construit sur les bancs de montage, à titre documentaire ou fictif, qu’une pein-ture sortie de la tête d’un individu !

JM : Oui évidemment. Le cinéma représente beau-coup plus notre époque que la peinture. La peinture c’est comme un cri désolé. D’un type perdu dans une forêt.

BM : J’ai compris que l’image photographique ou l’image mouvement n’était pas mon histoire, c’est déjà de l’Histoire, mais j’ai fait mon “cinéma” en pensant l’apport poétique et imaginaire généré par les techniques optiques de la photographie. J’ai consi-déré mon atelier comme un lieu où l’on fabriquait une autre réalité, un lieu de projection et une sorte de cinéma...

Si nous accordons tous les deux de l’importance à la fabrication, c’est qu’elle implique un autre rapport au temps et à la vie.

JM : Ce sont deux manières de vivre qui sont au choix !

CL (à Jacques Monory) : Regardez ce que vous aviez écrit pour le journal de la Macc !

JM (se relisant) : “Me persuader que je suis mort ainsi je serai plus vivant.” 5

CL : La situation actuelle n’est-elle pas plus difficile maintenant qu’il y a plus de monde sur le marché et peut-être moins de regroupements possibles ? Vous disiez avoir été identifié à la peinture narrative.

JM : Oui c’est plus commode matériellement. Il y avait plus de possibilités. Une fois que vous êtes un vieil artiste ça n’a plus d’intérêt. Quand on est jeune

artiste pour se montrer c’est difficile, c’est dur et celui qui trouve la chance de pouvoir rentrer sans tricher dans un mouvement aura plus de facilité à se faire une petite place.

BM : Je n’ai jamais participé à un groupe c’est dom-mage. C’est effectivement difficile de choisir de faire quelque chose en peinture car c’est l’engagement et la construction d’une vie entière. Cet art a besoin d’une maturation sur un temps très long et c’est complexe car il y a toute cette histoire extraordinaire qui nous précède. Au moment où par exemple sont apparues les techniques de la vidéo, tous les artistes qui s’en sont emparés sont entrés dans les collections des musées, parce que c’était un médium nouveau, et ce qu’ils ont produit était de ce fait nouveau. Si l’on observe ce qu’il se passe dans la peinture c’est diffé-rent et infiniment plus complexe de transgresser une histoire pareille.

CL : Effectivement, il faut aussi considérer les frac-tures qui ont traversé le XXe siècle, on pourrait dire qu’une crise de la représentation s’installe pour le bonheur de certains et le malheur des autres…

JM : Je ne sais pas, c’est peut-être un cri désespéré mais enfin, on est devant une réalité qu’on ne peut pas changer.

Le monde est plutôt façonné par les objets, les méca-niques et les mouvements que par la réflexion sur la motivation. On n’échappe pas à la technique mais on peut la transcender.

CL : Je remarque aussi que des jeunes artistes sont peintres aujourd’hui, qu’un regain d’intérêt pour le dessin laisse à penser que ces procédés, les plus simples qui soient, reviennent en avant, font partie d’un champ de recherche autant que du commerce de l’art.

BM : Oui c’est ce que l’on constate actuellement, ce qui est attirant c’est la simplicité du médium. Chris-tian Boltanski dit dans un entretien à propos de Giacometti, et que je cite très imparfaitement : il y aura toujours un artiste qui avec un crayon sur un

bout de papier saura dire en quelques traits ce qu’il y a d’essentiel dans la vie…

JM : Oui j’ai cru comprendre ça.

CL : Et qu’en pensez-vous ?

JM : C’est-à-dire que ça doit être un besoin profond, humain, que de fabriquer avec la main.

BM : Il y a beaucoup de jeunes artistes qui ont re-cours au dessin. Jean Hélion disait “avoir eu recours à la figure”, dans sa peinture pour dire à nouveau “la complexité du monde”. Recours c’est différent de retour au dessin.

Au moment de l’apparition du mouvement de la Figuration Narrative, les artistes produisaient des choses nouvelles, par contre les artistes actuels qui tra-vaillent avec les images de l’actualité du monde font des œuvres qui font bien souvent penser à quelque chose qui existe déjà. Ils peignent comme d’autres avant eux, ils peignent comme toi sans même le savoir…

CL : C’est une vision catégorique !

BM : Dans l’ignorance se joue la comédie des avant-gardes, il est facile de s’illusionner. Mais s’il s’agit de comprendre ce que pourrait être la peinture mainte-nant, c’est une autre affaire ! Jacques Monory est un novateur par l’utilisation qu’il a fait de la photogra-phie dans la peinture, mais c’est aussi l’un des pre-miers artistes à avoir associé la peinture à un travail de cinéaste, c’est important historiquement de recon-naître cet apport.

JM : Je n’avais pas les moyens de les réaliser moi-même, c’est très compliqué comme tout le monde sait, et c’est très cher ! Je fais mon cinéma à la maison.

CL : Jacques, continuez-vous toujours à filmer ?

JM : Non, je préfère peindre. Je n’ai jamais vraiment réalisé de films. J’ai filmé des petits bouts.

BM : Le montage filmique correspond au collage pour les peintres, dans tes œuvres le tableau divise la surface en plusieurs plans séquences autonomes qui créent par ces rapprochements un récit ouvert.

J’aime beaucoup ton idée : pour qu’un tableau fonc-tionne, il faut toujours qu’il y ait un élément contra-dictoire.

JM : Un film doit durer assez longtemps pour bien s’exprimer. Les beaux films ne peuvent pas durer dix minutes. Le regard sur la toile peut être très rapide et la pensée va derrière le tableau, après. Alors elle peut se développer. L’appréhension de l’œuvre en peinture, vous l’avez en quelques secondes.

BM : Pour revenir à l’histoire de la Macc et de sa programmation, ce qui est vraiment bien, c’est qu’il y a aussi de la part de Marcel un véritable regard sur la scène française.

CL : Oui mais par exemple Léon Golub qui était américain y a été montré, ce qui est singulier car cet artiste n’était pas très exposé en France. Enfin, il est vrai que Marcel Lubac porte une réelle attention à ses contemporains et à ce qui se passe en France.

BM : Oui, si tu regardes bien, en proportion il a fait l’inverse de ce que font les centres d’art. En France quand on voit la réticence répétée par toutes les grandes institutions à ne pas mettre en valeur les œuvres de tous les grands créateurs qui depuis la guerre ont travaillé ici... On peut se désespérer de l’ampleur d’une situation que l’on pourrait qualifier de suicide culturel. On a l’impression d’être un pays occupé dont la politique culturelle est décidée en fonction du marché international. On ne regarde pas sérieusement ce qu’il y a de spécifique ici en France.

JM : Les Français ont été des cons quand ils ont décrété à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, qu’il n’y avait qu’en France qu’on savait peindre ! “Les Allemands sont des grossiers personnages, les Anglais ne savent pas ce qu’est la peinture…”. On donnait au monde ces pensées stupides. Je l’ai ressenti, j’ai bien vu ça en Amérique dans les années soixante-quinze.

5. Citation de l’artiste mise en exergue dans le journal d’exposition Le Petit Chaillioux, Jacques Monory “Épilogue”, du 16 janvier au 1er mars 1998, entretien avec Marc Plas, Maison d’art contemporain Chaillioux, pp.5-6.

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Une fois je suis entré dans une galerie à New York, le type était tout au bout, dans son bureau. Je me suis approché de lui, je lui ai demandé, je suis peintre, est-ce que ça vous intéresse de voir ce que je fais ? Il m’a dit, vous êtes français hein ? Comme ça : “Il y a la porte. Vous êtes nuls les Français !”. J’ai trouvé cela choquant, vexant et bête. Mais à la réflexion j’ai trou-vé que c’était assez juste. On a dit au monde entier qu’ils étaient tous des crétins en art, que les Français étaient les plus grands peintres, Renoir etc. On leur refilait ça en pleine gueule et bien maintenant ils nous le renvoient. C’est juste. Il vaut mieux ne pas dire d’où l’on vient !

BM : Une histoire identique était évoquée lors de l’exposition de Ferdinand Hodler à Orsay.6 Cet ar-tiste merveilleux envoyait chaque année un tableau à Paris pour le Salon, sans succès. Ses œuvres étaient de vraies merveilles, mais il était considéré avec dédain et mépris. J’ai pu voir il y a quelques années une ré-trospective de ses paysages à Genève, au Musée Rath. L’histoire a bien changé, on se rend compte enfin que c’est l’un des plus grands peintres de son époque. Il est extraordinairement en avance, il peint avec une audace supérieure à ce que Mondrian peindra quinze ans plus tard, sa touche et sa couleur anticipent par-fois les tout premiers tableaux abstraits de Rothko! Hodler pouvait nous faire pénétrer dans le paysage par la peinture, et nous faire ressentir la sensation de froidure de l’atmosphère en altitude, de silence, et d’éblouissement, aucun autre peintre n’a jamais peint les cimes comme lui.

Jacques a raison nous payons une dette que nous su-bissons du fait de l’arrogance française qui s’est mani-festée pendant un siècle envers tout ce qui se créait d’important ailleurs.

Ensuite la capitale artistique mondiale s’est déplacée de Paris à New York au moment où en 1964 Raus-chenberg remporte le grand prix de la Biennale de Venise.

JM : Oui ça a tout changé là.

BM : Le critique d’art Pierre Cabanne était prophé-tique en écrivant dans Arts “L’Amérique proclame la fin de l’École de Paris et lance le Pop Art pour colo-niser l’Europe !”.

Bissière de l’École de Paris représentait la France à cette biennale, tout le monde pensait que Bissière allait recevoir le prix et paf ! Le prix de la Biennale est donné à Rauschenberg ! Ce qui est absolument normal car Rauschenberg est génial, mais Bissière est un artiste à qui je rends hommage au passage, car il a été pour moi un artiste qui a compté, lorsque j’ai découvert au Musée des Arts Décoratifs, exposé peu après sa mort, son journal en peinture réalisé au cours de l’année précédant sa disparition.

Suite au prix attribué à Rauschenberg, les Américains ont continué à faire usage du soft power. Ils ont com-pris qu’ils ne domineraient pas le monde militaire-ment mais culturellement avec le cinéma, le Rock’n Roll, le Coca-Cola et Andy Warhol !

Les œuvres de cet artiste étaient effectivement très pertinentes pour traduire visuellement une nouvelle époque. Je me souviens de la première exposition d’envergure à Paris à l’ARC organisée par Pierre Gaudibert  au début des années 70 consacrée à l’ar-tiste Warhol, qui incarnait à lui seul l’Artiste de son époque. Pourtant au vernissage parisien il n’y avait pas foule, une centaine de visiteurs maximum attirés par le sulfureux artiste underground. Le peintre Jean Hélion était là, artiste important mais d’une autre génération, sa présence n’était pour moi pas évidente à ce vernissage, car je pensais à tort qu’il ne s’intéres-sait pas à Warhol. Il m’a dit “Andy Warhol est un très grand peintre, regardez la subtilité du rapport de ce noir à ce gris argenté” - le tableau était une Liz Tay-lor sérigraphiée en noir sur fond argenté de peinture pour tuyau de poêle - Et Hélion de se lancer dans un éloge des qualités picturales de Warhol “C’est un très grand peintre !”. Alors qu’à cette époque, tout le monde pensait que Warhol se foutait pas mal de la peinture.

CL (à Jacques Monory) : Allez-vous voir le travail d’autres artistes ?

JM : De moins en moins car je suis de plus en plus coincé sur moi-même. Ce n’est pas bien.

BM : Il faudrait que tu racontes la période où vous vous retrouviez tous les jours avec Gérard Gasio-rowsky.

JM : Je le connaissais depuis très longtemps. J’ai tou-jours compris qu’il était vraiment exceptionnel.

BM : Quand il est mort, tu étais chez moi dans le Jura avec Paule ta femme et tu as dit : “Je ne pour-rai plus jamais parler de la peinture avec personne, comme j’ai pu en parler avec Gérard.”

JM : C’était un amoureux de la peinture ! Il était même devenu fou, il croyait qu’il était le Christ de la peinture, mis sur la croix. Cela paraît stupide ainsi, mais il en était quasiment convaincu. Ce qui deve-nait antipathique parce que cette espèce de croyance au pouvoir de la peinture et de lui en tant que peintre plombait tout. Il reste exceptionnel.

CL : Bernard, vous qui enseignez, si vous aviez à évo-quer la très jeune création contemporaine, que diriez-vous ?

BM : Je suis aux premières loges pour observer la jeune création aux Beaux-Arts de Paris. Dans les ateliers, je vois bien qu’à la différence d’autres écoles dans lesquelles j’ai pu enseigner comme Nantes, qui est une école où j’ai vu apparaître des jeunes artistes qui ont eu par la suite une belle carrière, à Paris il y a beaucoup de peintres. Mais bizarrement moi qui aime particulièrement la peinture, je regrette parfois que les jeunes peintres ne s’intéressent pas à autre chose. Quand j’ai commencé à peindre, j’ai vu les premières expositions de l’Arte Povera, de l’Art Conceptuel, du Land Art… J’étais passionné et tout le temps fourré chez Sonnabend, Alexandre Iolas, Denise René, Claude Givaudan et Yvon Lam-bert, des galeristes, mais je peignais en admirant et comprenant l’importance de ces artistes. Ces mou-vements artistiques m’ont énormément apporté. Actuellement chez les artistes qui peignent, on peut regretter le côté défense de leur pré carré.

Il n’y a qu’à voir lorsqu’on organise à l’école des confé-rences, les artistes prestigieux qui sont invités ne dé-placent qu’une minorité de personnes. J’ai l’impres-sion que beaucoup d’artistes pensent créer en faisant des choses confortables dans leur coin, ce qui est effectivement possible aussi car il n’y a pas de règles. Cependant il est regrettable de constater que trop peu ont la curiosité d’essayer de comprendre leur époque.

Des révolutions se passent actuellement dans d’autres domaines de la connaissance comme dans les sciences, qui nous donnent la possibilité de vérifier comment la réalité change d’aspect lorsqu’on déplace sa pensée.

En 1968, Piotr Kowalski proposait une affiche sur laquelle était inscrit : “Ceci se déplace à 29 Km se-conde par rapport au soleil.”. C’est tout.

CL : C’est un conseil à donner à la génération mon-tante ?

BM : Je me méfie des conseils, il faut aider autrement et trouver sa propre voie. Ce que j’essaye d’appréhen-der avec eux c’est plutôt de réfléchir à quelle vitesse évolue-t-on ?

Une rencontre au cours d’une conférence ou la visite d’une exposition peuvent être décisives, mais il faut aussi avoir la chance de se trouver au bon endroit au bon moment.

Je me souviens qu’au lycée alors que je n’avais encore rien décidé, ce qui a tout déclenché s’est produit pen-dant une semaine où il n’y avait pas de cours où l’on était invité à assister à un colloque sur l’Art ; le pre-mier jour deux mecs sont arrivés c’était Pierre Resta-ny et Arman ; en 1965 j’avais seize ans et ils nous ont projeté des photos de voitures explosées et les Colères qui sont des œuvres réalisées à coup de hache sur des pianos, j’étais sur le cul ! Restany a évoqué Marcel Duchamp et Yves Klein ; je me suis dit c’est quoi ce monde de terroristes, en pleine guerre du Vietnam cette violence dans la création était une jouissance libératrice, une puissante protestation, pour moi ça

6. Ferdinand Hodler (1853-1918), du 13 novembre 2007 au 3 février 2008, Paris, Musée d’Orsay.

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avait encore plus de force subversive que le Rock’n Roll que j’écoutais.

Un artiste qui réalisait des œuvres à coup d’explosif, c’était incroyable ! Le lendemain un autre homme arrive sur la scène avec sous son bras un 33 tours, il défait lentement la pochette et sans rien dire pose le disque sur la grosse chaîne stéréo et la musique part comme ça… J’ai eu l’impression de décoller de mon siège, c’était Iannis Xenakis et il venait de nous faire écouter l’une de ses œuvres Pithoprakta.

De ce jour, je suis allé à tous les concerts de musique contemporaine, j’écoutais à l’époque les Rolling Stones, et ce musicien contemporain nous propulsait dans un tout autre rapport au son. J’étais assailli de questions à propos de l’Art et de ce que faire avec la peinture, par rapport à la puissance que j’avais ressen-tie au contact de ces œuvres.

Quand on prend la décision de peindre, ce qu’il y a de plus profitable c’est de visiter les musées,  les expositions et les bibliothèques, mais pour le manie-ment des concepts,  les philosophes sont beaucoup plus forts, les scientifiques n’en parlons pas c’est un monde passionnant d’idées qui ne nous impose pas d’images.

Qu’en penses-tu Jacques ?

JM : C’est parfait !

CL : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

BM  : Lors d’expositions communes, entre autres celle du C.N.A.C à Paris, Hyperréalistes américains, réalistes européens, en 1974.7 Je réalisais des vitrines, Jacques des tableaux sentimentaux. Je me souviens parfaitement de sa première exposition à l’ARC inti-tulée Velvet Jungle, N.Y. C’était en 1971.

Mais c’est bien avant cette époque que j’ai connu le travail de Jacques, dans la revue Planète, en 1967. Un cahier de huit pages reproduisait ses tableaux dont l’un était intitulé Partir, inoubliable  ! On y voyait

le visage d’une jeune femme avec en bas du tableau deux séquences d’une vague de l’océan, et aussi l’œuvre J’ai vécu une autre vie, je les aie encore clai-rement dans la tête, et par empathie immédiatement j’ai plongé dans son monde.

JM : On s’est bien connu dans ta maison du Jura. Alain Jouffroy m’avait conseillé de s’arrêter là te rendre visite, jeune peintre très bien.

BM : Suite à cette rencontre dans le Jura tu m’as invité à Paris à ton atelier boulevard Brune où tu étais en train de peindre un étrange tableau : un chien amputé avec un petit chariot à roulettes attaché à la place de ses pattes arrières… Terrible !

JM : J’ai fait un tableau comme ça ?

BM : Tu venais d’en terminer un autre avec un tigre tournant en rond dans une cage et un paysage de banquise, un autre encore était en cours représentant des chevaux bondissant hors des stalles de départ d’une course hippique, la moitié inférieure n’étant pas terminée. Mais un truc m’avait bluffé, ton studio était tout blanc et il n’y avait rien aucun objet, que notre reflet dans un grand mur entièrement recou-vert de miroirs, et un singe dans une cage !

JM : La vache oui.

BM : Un singe intenable ! Qui balança des trucs sur nous.

JM : Il me pissait sur la tête ! Il la visait pour pisser.

BM : Il n’y avait rien, tout était clair et blanc sauf un canapé noir et une table basse sur laquelle nous avons déjeuné avec ton amie Jacqueline Dauriac qui avait une présence magnifique au milieu de ton univers… 

JM : C’est toi qui t’émerveilles  ! Bravo. La vie est belle.

BM : Une présence violente, directe. Ce qui était nouveau c’est la manière dont tu peignais les femmes modernes. Jacques a été pour beaucoup d’artistes de

ma génération un artiste mythique qui savait peindre les femmes comme aucun autre, il y a un grand ta-bleau que j’adore c’est : Adriana n° 3, un visage entou-ré de tigres.

JM : Adriana Bogdan était la femme d’Alain Jouffroy à l’époque. Une femme d’Europe centrale, une comé-dienne très belle.

BM : Jacques n’était entouré que de belles femmes et il peignait des tableaux qui avaient une charge éro-tique évidente, qu’ils ont encore maintenant.

JM : Je ne sais pas, Adriana était exceptionnelle.

BM : Dans tes tableaux le sublime et le danger se cô-toient, les tigres sont tapis au milieu des fleurs, même dans les instants les plus tragiques et menaçants la beauté est là évidente partout.

JM : C’est bien ça fait un beau final ! Tout a été enre-gistré dans une petite boîte comme ça ? C’est joli la modernité.

J. Monory et B. Moninot dans l’atelier de J. Monory

7. Hyperréalistes américains, réalistes européens, exposition itinérante organisée par le C.N.A.C., Paris, Musée Boymans van Beuningen, Rotterdam, Hollande, Rotonda della Bessana, Milan, Italie, Cnac Paris.

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Jacques Monory “Epilogue” Livres, carnets d’artistes, estampes, multiples : Pierre Buraglio, Dominique Gauthier, Gilgian Gelzer, Bernard Guerbadot, Jean-Olivier Hucleux, Jean-François Maurige, Bernard Moninot, Daniel Nadaud, Bernard Rancillac, Vladimir Skoda

François Bouillon “Job” Jean-François Maurige “Tableaux”, Peter Soriano “Sculptures” Carte blanche à Frédéric Valabrègue : Carlos Kusnir, Jean Laube Jean-Claude Silbermann “Le chant du rossignol est un passage souterrain

pour les revenants”

1-2-3 Vues de l’exposition J. Monory “Épilogue”,

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5

4-5-6 Vues de l’exposition J. Monory “Épilogue”

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1998

5 J. Monory

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Vue de l’exposition J. Monory “Épilogue”

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4 B. Guerbadot 5 J.-O. Hucleux

1 D. Nadaud2 B. Moninot, V. Skoda

3 G. Gelzer

Vue de l’exposition F. Bouillon “Job”

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Vues de l’exposition “Livres, carnets d’artistes, estampes, multiples”

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1-2 Vues de l’exposition J.-F. Maurige “Peintures”, P. Soriano “Sculptures” 3-4-5 Vues de l’exposition “Carte blanche à F. Valabrègue”, C. Kusnir, J. Laube

1

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2 Vue de l’exposition J.-C. Silbermann sur la photo à gauche G. Bourdin Maire de Fresnes et à droite J.-C. Silbermann

1-3-4 Vues de l’exposition J.-C. Silbermann “Le chant du rossignol est un passage souterrain pour les revenants”

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1

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Entretien avec Christophe Cuzin et Jean-François Maurige juillet 2011, dans l’atelier de Christophe Cuzin à Paris

Jean-François Maurige : Ce ne sont peut-être pas les souvenirs de la guerre que tu veux ?

Christophe Cuzin : D’avant les FRAC. Notre vie d’avant les “Fonds régionaux d’art contemporain” !

Céline Leturcq : Juste avant.

CC : Je me souviens que Jacques Lang était venu à Pali-Kao. Il venait d’être nommé ministre. Les conditions de sécurité étaient scandaleuses.

JFM : Il faisait un froid là-dedans !

CL : À qui appartenait ce lieu ?

CC : C’était à un type qui nous avait fait un bail pré-caire parce qu’il savait que ça allait être détruit. La rue de Pali-Kao a été complètement détruite. Il ne reste rien de l’époque.

JFM : Ils ont tout reconstruit. Il y a même une école maternelle à la place du lieu. Elle n’a pas gardé son nom ?

CC : Non. Ils ont construit, c’est mieux, la rue Fran-cis Picabia.

JFM : Il n’y a plus la rue Pali-Kao, elle a même dis-paru de nom ?

CC : Si, la rue de Pali-Kao existe toujours. Mais pour rejoindre la rue des Couronnes, entre ils ont pensé qu’il y avait besoin d’une rue. C’est tombé à l’endroit de notre usine. La rue de Pali-Kao 1 avait été filmée dans le film Police de Maurice Pialat. Tout se passait là parce que c’était la rue crade, typique du Paris à refaire.

JFM  : 1975-1980. Ils ne l’ont pas arrangée, c’est moche.

CC : Il n’y a plus de commerces, il n’y a plus rien.

JFM : Architecturalement il n’y a plus rien.

CC : Comme un bombardement sous anesthésie.

CL : Ce sont des propos de peintres que vous nous tenez-là ?

CC : Mais ce fut une initiative de peintres, pour pré-senter des expositions, du théâtre, de la danse, des concerts et beaucoup de performances.

JFM (à Céline Leturcq) : Tu as apporté des docu-ments, carrément !

CL : Voici les journaux de vos expositions à la Macc. En 1998 pour Jean-François et Christophe un an avant, en 1997. Avec une exposition d’ailleurs assez surprenante puisqu’il n’y avait que des prises de vues et pas de peinture  ! Chaque fois vous étiez mon-trés avec un autre artiste. Jean-François avec Peter Soriano et Christophe avec Charles Belle.2

CC : Marcel m’avait demandé de faire autre chose que ce que je faisais d’habitude, comme justement je ne faisais jamais de photos, j’ai fait une expo de photos.

CL : À votre avis, pour quelle raison vous l’avait-il demandé ?

CC : Parce qu’il n’aimait pas mon travail sans doute. Il voulait nous déplacer avec Charles Belle qui expo-sait en même temps, nous étions dans un dialogue un peu surprenant !

JFM : Parce que vous étiez amis.

CC : De longue date. Avant toi Jean-François.

JFM : Aux Beaux-Arts ?

CC : Oui de Besançon. Je suis monté à Paris en 1980, et Jean-François est le premier peintre que je suis allé voir parce que je trouvais son travail intéressant.

CL : Que peigniez-vous à l’époque Jean-François ?

CC  : C’est ce que tu présentes actuellement chez Bernard Jordan ? 3

JFM : Presque oui.

CC : Tu utilisais les grilles de peintre.

JFM : Oui, sur des toiles qui étaient rouges mais non tendues.

CC  : Au moment de l’exposition de Lamarche- Vadel ? 4

JFM : Cette exposition a consisté en un “break” de six mois où j’ai fait tout autre chose. C’était curieux parce qu’en fait, la figuration nous poussait tellement aux fesses…

CC : Nous étions marginalisés.

JFM : Il y avait une pression.

CC : Nous étions six peintres abstraits !

JFM : Nous voyions bien que nous allions passer dans autre chose… Avant il y avait un petit milieu français, et là on sentait que la pression internationale arrivait de tous les côtés. Les modes en Italie, aux Etats-Unis, en Allemagne, partout ! Et les Français étaient là dans une fébrilité, à se dire, mais qui va sauter…

CC : Ils ont trouvé une bande d’étudiants de Sète et quelques autres dont toi.

JFM : Voilà, ils ont trouvé une bande qui était toute prête qui était déjà là-dedans et moi dans cette expo-sition par un hasard phénoménal, à faire non pas de la figuration mais des tableaux qui étaient la figura-tion de l’espace dans lequel j’étais, c’est-à-dire toiles rouges, du blanc… Comme une espèce de torsade qui représentait cette idée de l’espace dans lequel j’étais. J’ai fait cela six mois. Je suis revenu à un rouge tranquille. Le seul gag était de me retrouver entre Hervé Di Rosa et Catherine Viollet, entre le rose et le violet moi qui faisais du rouge.

CC : D’ailleurs aujourd’hui dans les catalogues tu es répertorié dans la figuration.

JFM : Catherine Millet dans son livre 5 n’a pas chan-gé son intitulé. L’intention de regard des critiques façonne notre actualité.

CC : Ils te voient une fois et c’est ad vitam aeternam.

JFM : Oui mais c’était une époque aussi. L’omnipré-sence de la figuration a fini de marginaliser les gens qui étaient dans une autre forme de peinture.

CC : Il y avait Georges Rousse qui était là-dedans.

JFM : Il y a des gens qui se sont greffés là-dessus, qui sont devenus artistes et ont été connus rapi-dement. Mais ça n’a pas beaucoup changé parce qu’aujourd’hui non-figuration et abstraction sont des terminologies caduques.

CC : La peinture meurt et renaît tous les dix ans par la figuration. À force, il y a de moins en moins de peintres abstraits.

CL : Je ne suis pas de votre avis. Je me suis intéressée assez vite à la peinture abstraite qui me semble exister sur la scène artistique autant que la figuration, peut-être parce que je connais les artistes et les acteurs d’un réseau qui la pratique et la soutient. Il est vrai que je

1. L’Usine Pali-Kao a été un haut lieu de la création artistique alternative du début des années 90. L’Usine Pali-Kao a été fondée en 1981 par quatre artistes plasti-ciens : Christine Caquot, Thierry Cheverney, Bruno Rousselot et Christophe Cuzin.2. Charles Belle, Christophe Cuzin, du 29 janvier au 13 mars 1997. Peter Soriano (sculptures), Jean-François Maurige, (tableaux 97), du 5 juin au 26 juillet 1998.

3. Tableaux 1982-1984, Jean-François Maurige, du 9 juin au 13 juillet 2011, Paris, Galerie Bernard Jordan.4. Finir en beauté, juin 1981, Paris, rue Fondary, avec Jean-Michel Alberola, Jean-Charles Blais, Rémi Blanchart, François Boisrond, Robert Combas, Hervé Di Rosa, Jean-François Maurige et Catherine Viollet, exposition organisée à son domicile par l’écrivain, critique d’art et collectionneur Bernard Lamarche-Vadel.5. Catherine Millet, L’Art contemporain en France, Paris, édition Flammarion, 1998.

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ne parle pas du réseau contemporain dans son entier mais bien de la partie infime d’un tout !

CC : En tant que peintres abstraits on nous a aussi appris à nier notre histoire. L’École de Paris sont des ringards, donc on travaille sans père en quelque sorte.

JFM : Ou alors on va très loin derrière et on ne peut plus les nommer.

CC : C’est cela.

CL : Ce seraient qui ?

JFM : Le Panthéon classique forcément ! Ceux qui ont presque dit que c’était fini, entre Malevitch et Mondrian… Ce serait alors chercher une paternité qui dirait déjà qu’il ne peut pas y avoir de suite. Ce serait quand même relativement ambigu.

CL : Et Supports-Surfaces pour rester en France ? Ou BMPT ?

JFM : J’ai bien pataugé dedans on va dire.

CC : Nous avons appris à les mépriser tout autant. D’ailleurs certains y sont allés aussi, à la figure.

JFM : Eux non plus ne se citent pas. C’est ainsi que les artistes allemands nous roulent dessus. C’est vrai que l’histoire de l’École de Paris, on la traîne comme un boulet…

CC : Je pense que ça va nous revenir en leçon par l’Amérique.

JFM : C’est ce qui se passe. L’an dernier, j’ai participé à une exposition intitulée en français “Le Tableau” organisée à New-York par la Cheim & Read Gal-lery 6. Il y avait des artistes français et américains dont certains renvoyaient beaucoup plus à l’École de Paris qu’à l’abstraction américaine. Il y a un revirement. Selon moi, nous n’avons pas démérité. Si nous étions un petit peu plus optimistes, un petit peu plus défen-

dus, peut-être un petit peu plus homogènes dans nos diversités…

CC : Et achetés. C’est le marché qui mène la danse !

JFM  : Oui, aujourd’hui notre travail aurait une bien meilleure lisibilité qu’il y a vingt ans et pour-rait montrer sa singularité : nous n’avons pas à avoir honte mais sommes là avec une espèce de timidité effrayante.

CC  : Ce sont les quarante ans d’abstinence du marché.

JFM : Paradoxalement même si ce n’est pas à nous de le dire, nous avons une certaine forme de qualité, d’égalité plastique qui n’a pas démérité. Il y a une place à trouver. L’institution en France fait peu de choses.

CC : Ils sont hyper timides. On peut les rencontrer à Berlin ou à New-York mais pas à Paris.

JFM : Ou alors après ils organisent des projets de valorisation de la scène française mais je pense que c’est une erreur. Il y a des stratégies plus ouvertes à trouver sur la scène internationale. Cette scène est prenable en ce moment, contrairement à une ving-taine d’année où on nous aurait ignorés.

CL : Je ne sais pas si vous connaissez Alix Le Mélé-der, une artiste défendue par la Macc dont un tableau était présenté à l’exposition anniversaire des vingt ans. Elle a été exposée récemment à New-York par la galerie Zürcher 7, également à l’initiative de Joe Fyfe artiste et commissaire de l’exposition à laquelle Jean-François a participé, elle m’avait racontée que son tra-vail avait été très bien reçu par les artistes américains qu’elle a rencontrés.

JFM : Je pense qu’ils sont en attente. Ils ne sont pas dans une phase de production.

C. Cuzin et J.-F. Maurige dans l’atelier de C. Cuzin

6. Le Tableau, du 24 juin au 3 septembre 2010, New-York, Cheim & Read Gallery, avec des œuvres de Richard Aldrich, Martin Barré, Jean Fautrier, Louise Fishman, Joe Fyfe, Hans Hartung, Daniel Hesidence, Charline von Heyl, Merlin James, Jonathan Lasker, Jean-François Maurige, Joan Mitchell, Miquel Mont, Katy Moran, Bernard Piffaretti, Serge Poliakoff, Sarah Rapson, Milton Resnick, Jean-Paul Riopelle, Kimber Smith, Cheyney Thompson, Juan Uslé, Claude Viallat et John Zurier, commissariat de Joe Fyfe.7. Devotion, du 7 avril au 16 mai 2010, New-York, Galerie Zürcher, avec des œuvres de Joe Fyfe, Mary Heilmann, Alix Le Méléder, Emily Kame Kngwarreye, Chris Martin, Pat Steir, Joel Shapiro et Al Taylor, commissariat de Joe Fyfe.

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CC : Ils se font voler la vedette par les Allemands. Je pense par ailleurs que l’abstraction vit bien dans un milieu hostile.

JFM : On aime bien le combat. La bagarre au fond d’un couloir, ça nous excite. Mais personne n’en parle !

CL : C’est consubstantiel !

JFM : Oui parce qu’il y a un rapport d’opposition. On voit bien que cela nous excite un peu, c’est ce qui m’a fait choisir cette voie. S’opposer à quelque chose qui était un lieu commun ou une espèce d’apprécia-tion générale, en faisant des choses qui n’étaient pas figuratives.

CL : Le lieu commun c’était quoi en l’occurrence, c’était le tableau ou la figure?

JFM : Une utilisation de la matière, la figure.

CC : La Bad Painting, ça marchait pas mal. On avait imaginé la Bad Abstract Painting, c’est un train qui n’est pas passé !

JFM : Et après, l’autre problème, ce sont les artistes allemands et leur appropriation du plan américain.

CL : Ils sont allés trop loin, impossible de les rattra-per ?

JFM : Ils ont un paquet d’artistes de grande qualité qui monopolisent le marché. En France on a répété que la peinture, c’était fini, tandis que les artistes alle-mands ont maintenu leur désir de peinture à la suite du Pop Art américain.

CC : C’est ce que je disais tout à l’heure, on ne peut pas revendiquer de pères, mais en Allemagne, en Angleterre, tout fonctionne dans un système d’héri-tage. De Joseph Beuys, d’Anthony Caro, de Gerhard Richter forcément. Même si nous rendrions hom-mage à un peintre qui a vingt ans de plus que nous, lui-même nous enverrait nous faire voir ailleurs.

JFM : Justement, arrivé à Paris je ne m’étais pas trop rendu compte de cela parce qu’on vivait avec le phé-nomène Supports-Surfaces par le Musée de Saint-Etienne 8… Nous y étions immergés.

CC : Je me souviens lorsque nous sommes montés à Paris, l’art contemporain c’était Grenoble, Saint-Étienne.

JFM : Grenoble, Saint-Étienne, Marseille, c’était un peu l’axe. C’était un peu géré par Supports-Sur-faces… Toni Grand, par exemple. Venant à Paris je me suis confronté à des gens comme Martin Barré et Simon Hantaï. Martin Barré a vraiment marqué mon engagement avec le tableau, quelque chose qui donnait espoir que ça puisse continuer là-dedans.

CC : Il y avait Jean Degottex aussi qui était impor-tant à l’époque.

JFM : On ne peut donc pas dire qu’on n’a pas derrière nous des choses sur lesquelles s’appuyer. Sauf qu’on ne peut pas les nommer de la même manière, comme économiquement ça n’existe que très peu, ce ne sont pas des exemples.

CC : À l’étranger tu dis Martin Barré…

JFM : Si, ça commence maintenant.

CC : Aurélie Nemours a une place en Allemagne.

JFM  : Par le biais de l’abstraction concrète. L’Art Concret est beaucoup plus international.

CC : Qui circule de fondations en fondations plutôt que de musées en musées !

JFM : Quelqu’un comme Martin Barré, on allait aux vernissages il y a vingt ans, franchement il y avait cinquante pèlerins ! Et quand tu allais en parler on te répondait, ah oui c’est un Parisien… Il y avait une es-pèce de marginalisation de son œuvre… C’est quand même une œuvre théorique.

CL : Ce n’était pas un théoricien, je veux dire, avant tout un peintre.

JFM : Il était, heureusement pour lui, défendu par une bande d’intellectuels qui en ont fait un peu trop une figure isolée…

Mais pour moi, je colle à cette histoire de gens comme Jean Dubuffet et Yves Klein… Ce n’est pas non plus un vide après l’École de Paris, nous ne sommes pas perdus avec des gars aux spatules qui faisaient des peintures à la croûte. Des événements importants ont été minorés sur la scène internationale.

CC : C’est une vengeance commerciale. L’hégémo-nie française est morte avec l’abstraction lyrique amé-ricaine. On coupe la pompe. Mais le marché il y a cent cinquante ans n’était pas non plus tenu par les Français. Ce n’étaient pas eux qui achetaient.

JFM : L’École de Paris, c’est une peinture que l’on trouve dans tous les pays. Il y a eu un coup de frein en 1975-1977.

CC : Cela s’est arrêté avec la naissance d’Art Press.

JFM : Les premiers numéros, c’est Barnett Newman en couverture, ce n’est pas vraiment Dubuffet.

CC : Dubuffet cela pouvait encore passer parce qu’il y avait un marché américain et qu’il était “à côté” de tous les autres.

JFM : Notre génération est une génération coincée.

CL : Il y a quand même des gens qui vous défendent même si c’est un “petit” réseau d’esthètes.

JFM : Si nous étions allemands, cher ami, vous au-riez une voiture quatre portes, plusieurs voitures…

CC : Voire même un appartement !

CL : Si c’est ce que vous recherchez à travers la pein-ture, dans ce cas détrompez-vous. Je sais bien que ce n’est pas l’argent qui vous motive.

JFM : Les prix de vente des artistes allemands ne sont pas comparables à ceux des artistes français !

CC : Collectionner en France est un acte héroïque !

CL : Selon vous si je comprends bien, les politiques culturelles françaises ne sont pas à la hauteur de vos espérances.

CC : C’est notre premier client quand même !

JFM  : Quelques achats de FRAC oui. Dans les commandes aussi. Les FRAC possèdent de belles collections qui ne sont pas toujours valorisées comme il faudrait. Si ça avait été dans un musée, ç’aurait été mieux valorisé.

CC : On me racontait il y a deux ou trois ans que la présentation des collections des FRAC avait été proposée en Allemagne et les Allemands avaient répondu par l’affirmative mais en choisissant les artistes allemands dans les FRAC français. Quand on a fait l’exposition Peintures / Malerei en 2006  au Martin Gropius Bau à Berlin 9 qui était un état des collections de Beaubourg et du Fond National d’Art Contemporain de la peinture française, ça a été un tollé. Aucun Allemand ne s’est déplacé et dans la presse ça a été un massacre.

CL : Pour passer à autre chose, à des considérations d’ordre plus esthétiques, sans doute, ce qui vous réu-nit tous les deux, n’est-ce pas votre questionnement personnel sur ce que devient actuellement la pein-ture, avec ou sans le tableau ?

CC : C’est notre école.

JFM : C’est pour ça que je citais Martin Barré tout à l’heure. Par rapport à Supports-Surfaces, cette pra-tique marquait quelque chose avec lequel on pouvait peut-être travailler.

8. Bernard Ceysson ancien conservateur du Musée des Beaux-Arts de Saint-Etienne et actuellement directeur d’une galerie qu’il a ouverte à son nom, a été l’un des premiers à défendre, exposer et acheter les artistes de Supports-Surfaces, qui ont ainsi pu intégrer les collections publiques françaises.

9. Peintures / Malerei, du 23 septembre au 12 novembre 2006, Berlin, Martin Gropius Bau, exposition hors les murs du Centre Georges Pompidou dans le cadre de l’événement “Art France Berlin, Kunst aus Frankreich”.

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CC : De Martin Barré ce que je retiendrai c’est cette exposition étrange qu’il avait faite à la galerie Daniel Templon 10. Où il avait présenté des photos.

JFM : Je n’osais pas le dire lorsque tu parlais de ton exposition à la Macc.

CC : Une belle parenthèse dans l’interrogation qu’il menait dans son travail. Les photos présentaient des détails architecturaux de la galerie elle-même.

JFM : Des tautologies. Il montrait ce qui était là. Il a dû faire cela pendant un an avec plusieurs pièces, des calendriers, etc., dans l’influence conceptuelle, puis il a repris la peinture.

CC : Quand il a repris la peinture, c’était avec des tableaux coupés qu’il accrochait très haut et une in-terrogation sur l’architecture plus marquée qu’aupa-ravant.

JFM : Après il a réalisé cette série Renault, une com-mande de l’entreprise qui avait été exposée à l’ARC, une espèce de série de tableaux avec les premières lignes en oblique. On voyait ce qu’il y avait dessous et dessus. Les formes étaient comme inscrites dans le tableau. Ce dont tu parles c’est avant les tableaux aux transparences grises et all-over.

CC : Je me demandais si je n’étais pas aujourd’hui encore plus figuratif que la figuration dans la mesure où je peins sur le modèle, sur ce qui est là !

JFM : Mais il y a une forme d’abstraction qui colle beaucoup à l’idée d’un sujet et de formes existantes.

CC : La question à se poser serait est-ce que l’archi-tecture est abstraite ? Il n’y a pas de solution là-dessus.

JFM : Je ne pense pas non plus être dans de l’abstrac-tion. C’est un terme en ce qui me concerne qui n’a plus tellement de réalité.

CC : Ce que disaient les peintres concrets dans les années 50, la véritable abstraction c’est de représenter la réalité. Est-ce que ça ne l’est pas ?

JFM : Il y a autant d’abstraction chez Henri Matisse que dans beaucoup d’autres peintures dites de l’École de Paris qui sont non-figuratives. Donc le propos abs-traction je ne le vois plus tellement.

CL : Il y aurait plutôt l’idée d’une architectonique ou d’une structure interne communes au tableau et au réel ?

JFM : J’y vois plutôt un effet de réalité. On a long-temps essayé de penser que dans le tableau il y avait de l’illusion, la forme rectangulaire, la perception d’une illusion potentielle dans le plan. Depuis maintenant vingt-cinq, trente ans, cet effet d’illusion a disparu au profit d’une réalité aussi importante que celle du mur. Du même coup on est dans quelque chose où il n’est pas question d’abstraction mais où il va bien falloir désigner ou évoquer cette surface.

CC : Autant chez Ellsworth Kelly que pour le re-groupement Supports-Surfaces.

JFM : C’est un mouvement assez général chez pas mal d’artistes, comme l’utilisation de la toile non tendue de Claude Viallat… Et on arrive à ce constat qu’il n’y a pas d’illusion dans le plan, qu’est-ce qu’on en fait, comment on le produit, à quoi il sert ? Il y en a qui disent que ça ne sert plus à rien…

CL : Je ne suis pas certaine qu’on puisse évacuer si vite la question de l’illusion.

CC : Toute peinture accrochée sur un mur est une peinture accrochée sur une peinture !

JFM : À ce moment-là on peut interroger la question de l’architecture. Le tableau fixé sur le mur désigne le mur.

CL : Alors il n’y a pas de point de vue absolu car cette idée, ce concept, n’existe pas tant qu’il n’y a pas d’il-lusion. C’est une convention sur une autre conven-tion, un espace sur un autre espace. Le mur aussi est une convention. Le point de vue unique renaissant, même s’il fait date et référence, existe encore.

CC : Il y en avait plein d’autres possibles à ce mo-ment-là. On a même pu faire des appareils photo en rapport à la convention donnée. On pourrait fabri-quer des appareils photo byzantins avec un point de fuite devant !

CL : Dans vos œuvres à tous deux a priori il n’y a pas de distinction entre l’espace réel et celui de l’illusion, pour reprendre une réflexion sur les origines mo-dernes du tableau. On est dans le même espace, un espace qui se construit au moment où on le regarde, où on le vit.

JFM : Justement la stratégie serait que le regard soit pris dans une déconstruction, un démontage des manipulations qui ont amené à cette réalisation.

CL : Il y a un vécu aussi.

JFM : Qui ne serait pas dissimulé, il faut au contraire tout montrer pour qu’on puisse en faire la lecture et la compréhension par étapes. Évidemment ça ne marche pas uniquement comme ça parce que le spectateur déjà y projette quelque chose de lui-même. Un monochrome d’il y a cinquante ans possède de l’illusion. Pourtant lorsqu’il a été peint, il n’y en avait plus, c’était une réalité tangible.

CC  : Je pense que les monochromes aujourd’hui sont comme des autoportraits puisqu’on peut y re-connaître leurs auteurs pour qui s’intéresse un peu à l’histoire de l’art récent.

JFM : Du coup, désillusion, ou fin de l’illusion ? Je dirais qu’on est toujours dans l’ambition de faire qu’il n’y en ait pas. Je suis sûr que dans trente ans, si les tableaux sont encore à regarder, on va en voir, cette projection fait partie du regard. Par contre il y a des tableaux dans lesquels on ne verra jamais rien, très bien peints, belle technique, mais il y a comme un effet de glaçage.

Moi, la question qui m’obsède le plus si on peut dire, c’est la définition du plan. On peut peindre sur un mur, moi j’ai choisi le tableau par commodité mais aussi parce que cet objet on va dire daté sur lequel on

peut encore faire des transgressions, m’amuse. C’est cette qualité de surface. Qu’est-ce qu’elle possède ?

Chez certains artistes, c’est excitant de le voir. Ils en-voient une charge, entre le sensuel et l’intellectuel. Et chez d’autres, c’est relativement la forme qui prend le dessus. Moi, je cherche à ce que les formes ne ren-voient pas à elles-mêmes mais aident à la compréhen-sion du plan. Que l’on comprenne le tout. Et là c’est quand même un sacré plaisir.

CC : De toute façon ça reste une pensée et quand tu es en face, cela te transporte.

Jean-François dit utiliser la toile par commodité, moi j’ai arrêté la toile par commodité. Je n’ai pas besoin d’atelier, je n’ai pas besoin de stockage, je n’investis même plus d’argent dans mon travail puisque quand on me demande, je n’ai rien, donc il faut le produire. C’est une vraie commodité économique déjà. C’était la question du monochrome, je me disais juste-ment dans cette personnalisation du monochrome “Qu’est-ce qui peut être plus impersonnel qu’un mur peint ?”. Un mur peint, tu ne dis pas que c’est un mur peint, tu dis c’est un mur rouge ou tu dis que c’est un mur vert, mais il n’est pas peint, apparemment.

Donc essayer de tenter cette limite monochrome.

JFM : Quelque part on voit bien qu’il est peint.

CC : C’est ce que je dis souvent, les outils du peintre en bâtiments ça reste un bâton avec des poils au bout ou une peau de bête qui tourne autour d’un axe. Cet archaïsme-là de ces outils par rapport aux autres corps de métier du bâtiment, est pour moi signifiant. C’est comme s’il fallait qu’un appartement ait été parcouru par une main pour qu’il devienne habitable. C’est ça un peu l’histoire pour moi, de la peinture en bâtiments. Aussi pendant très longtemps j’ai gagné ma vie en faisant des chantiers chez les gens pour pouvoir faire des tableaux le soir. À un moment tu compresses la chose.

JFM : Pour moi ce sont les mêmes outils. Il me pa-raît illusoire d’acheter des outils chez le marchand de

10. Objets décrochés, mai-juin 1969, Paris, Galerie Daniel Templon.

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Beaux-Arts. Il y a l’acrylique, le pinceau de chantier. Ce que je retiens dans ce que tu dis c’est l’histoire du monochrome. Un moment où le monochrome cristallise des questions. On le prend sous différents points mais il est un outillage conceptuel avec lequel on a affaire. Même si on ne travaille pas dans l’espace réel mais encore avec le tableau, on a affaire à cette question-là.

CC : Et il est venu de plein d’endroits, autant de questions d’ordre spirituel que de questions d’ordre matériel.

JFM  : Jusqu’à la question “C’est fini l’art” parce qu’on ne peut plus produire de formes.

CC : C’était mon duel, comment faire un mono-chrome et ne pas faire de formes. Donc la forme je l’emprunte au support qu’est l’architecture. Je n’in-vente aucune forme, elle est déjà là.

JFM : C’est pour cela que pour moi il y a un côté figuratif dans la reprise d’une forme réelle.

CC : C’est un peu comme une photo, tu regardes ce qui est là.

CL : Mais du coup cela peut mettre en évidence certaines caractéristiques d’un lieu, ou certaines ma-nières de s’y déplacer.

JFM (à Christophe Cuzin) : C’est toute l’ingéniosité que tu as par rapport à l’espace qui va permettre d’en lire des qualités ou des défauts.

CC : Oui, d’exacerber même ces défauts. Je suis d’ail-leurs plus à l’aise dans des architectures banales que dans des architectures signées. Dans des architec-tures signées c’est carrément le bras de fer.

Je me souviens quand j’ai exposé au Carré d’Art 11 à Nîmes un assistant de Norman Foster 12 devait passer et la conservatrice m’a dit, ce serait bien que je com-mence mon travail après son passage. Elle craignait un petit clash car pour moi le travail que j’ai proposé

là-bas était une critique nommée de cette espèce d’antimusée, un musée tout en verre, ce qui est la gé-néralité aujourd’hui. Tout architecte qui doit faire un musée réalise un antimusée. Cela commence avec le musée Guggenheim 13, le fait de ne pas donner de murs.

Je l’ai vu par exemple quand j’étais enseignant à l’École d’Art de Clermont-Ferrand, ils ont construit une école neuve avec un grand mur, il n’y en avait qu’un et il était peint en rouge. L’architecte ne voulait pas qu’on le change de teinte. Tout le reste c’était des vitres. Donc j’étais prof de peinture et j’ai vu la pein-ture diminuer dans la pratique des étudiants. Il n’y avait plus de murs.

JFM : C’est la même chose au niveau des collections et des lieux d’exposition, ce qui raréfie l’exposition des tableaux dans ces architectures. Beaubourg en est le bon exemple avec des remaniements, des remises en cloison. Je me rappelle l’exposition de Jackson Pol-lock 14  : on voyait des grands tableaux qui étaient accrochés sur des cloisons censées imiter les murs. Ces cloisons étaient risibles, les tableaux semblaient installés et la réalité du mur manquait. Il y avait une inadéquation, en fait inhérente à cette époque.

CC : C’est le système de la Foire Internationale d’Art Contemporain où les murs sont des châssis entoilés sur lesquels tu accroches des châssis entoilés. C’est une espèce de tautologie là aussi.

JFM : Et cela a beaucoup nuit à une perception juste des tableaux. Et pourtant dans l’architecture il y a eu ce moment radical des années 30 qui pense l’espace de manière dynamique.

CC : Si l’on pense à De Stijl, la peinture était un acte aussi important que l’architecture. Elle redessinait l’architecture. Il y a encore à bosser la question, ce n’est pas mort ! Ma compagne me disait devant un tableau de Morris Louis, “Mais c’est évident comme le chant !” et je trouve que c’est ça, pourquoi la pein-ture devrait mourir alors qu’elle est peut-être arrivée avant la parole ?

JFM : Et en France, dans un pays quand même basé sur la mode, sur le renouvellement, ayant subi l’École de Paris, la peinture est obsolète, n’a plus d’efficacité. Ce n’est pas nouveau - voir Manet et compagnie -, la pratique de la peinture est difficile. Nous sommes très forts pour nous tirer dessus.

CC : Il y a des balles perdues.

JFM : Du coup nous arrivons relativement désarmés face à l’ennemi.

CC : Nous nous sommes déjà entretués.

JFM : Nous manquons en France d’un rassemble-ment d’horizons divers pour tester et envisager un fonctionnement commun. Là on ne peut pas.

CC : Mais c’est un outil la dérision dans le travail, d’être un peu moins crispé, de montrer de l’élégance.

JFM : Une forme de légèreté même ! Cette adap-tation et cette légèreté devraient nous aider dans la diffusion de notre travail.

CC : Je pense qu’il y a plus de porosité entre les genres chez les artistes que chez les institutionnels. On peut aimer des œuvres qui paraissent antinomiques. C’était un peu le cas par exemple de l’exposition que j’ai eue à la Macc avec mon ami Charles Belle. Des gens me disaient pourquoi tu aimes cette barbouille, et sans doute des gens disaient à Charles, pourquoi tu aimes ce conceptuel froid, etc.

JFM : Sans aller jusqu’au grand écart, il y a des li-mites à accepter.

CL  : Comme d’exposer Peter Soriano et Jean-François Maurige à la Macc ? Ce rapproche-ment était peut-être un peu plus probant parce que vous êtes du même milieu artistique mais vos pra-tiques sont très différentes et lui ne peint pas avec une toile et un tableau. Il est considéré comme sculpteur.

JFM  : J’avais vu des expositions de lui chez Jean Fournier mais nous ne nous connaissions pas.

CC : Ce qui s’est passé je me souviens maintenant avec Charles Belle, il y a eu une demande, je ne sais plus si c’est Bernard Jordan ou Marcel Lubac qui l’avait faite, qu’on ait un entretien avec une tierce personne, qui était Antoine Perrot 15. Charles Belle n’a pas voulu ensuite que ce soit publié, peut-être un peu coincé par nous deux, et du coup on avait repris cette histoire d’entretien dans un entretien croisé avec Claude Briand-Picard, Antoine Perrot et moi-même, ça a donné lieu à un livre qui s’intitule PEINDRE ? 16.

Au bout de cet entretien on arrivait à cinq questions qu’on a envoyées à une cinquantaine d’artistes qui nous semblaient se les poser aussi et qui ont donné leurs réponses par rapport à ces questions.

L’idée que je leur avais proposée c’était de continuer cette expérience comme une édition. Pour le deu-xième livre, un de nous trois s’en va et un troisième rentre. Quelque chose qui se régénère et où les prota-gonistes finiraient par disparaître parce que la ques-tion se déplaçait. Finalement pour le deuxième livre ils n’ont pas repris quelqu’un et l’ont fait à deux, c’est Ready-made color 17. C’est devenu un bouquin sur la couleur. C’est la peinture sans peinture, avec les objets commercialisés. Antoine Perrot ne peint plus mais achète des objets. Claude aussi.

L’exposition à la Macc a entraîné cette aventure. Ce sont des livres épuisés maintenant, je crois. Tout est coloré autour de nous et on n’est pas obligé de prendre des pinceaux pour créer. Assembler c’est peindre.

CL : Ce geste doit avoir beaucoup de succès auprès des étudiants !

CC : C’est une manière de continuer la peinture. Comme Jessica Stockholder par exemple qui est aussi un peu là-dedans. Demander à récupérer de la teinte, à travers les objets.

CL : Mais vous, ce n’est pas votre propos.

11. Bruno Carbonnet / Christophe Cuzin, du 7 juillet au 30 septembre 2001, Nîmes, Carré d’art – Musée d’art contemporain.12. L’architecte Lord Norman Forster a réalisé en 1993 le bâtiment qui abrite le Carré d’art.13. Le 21 octobre 1959, le Guggenheim Museum de New-York conçu par l’architecte Frank Lloyd Wright est inauguré. Les journaux américains de l’époque évoquent la beauté de l’édifice qui plus qu’un musée devient un monument symbole à la gloire de l’un des plus grands architectes qu’ait connu le XXè siècle.14. Jackson Pollock, Janvier-Avril 1982, Paris, Mnam Centre Georgres Pompidou.

15. Peintre dans la mouvance de l’Art Concret, représenté par la Galerie Lahumière à Paris.16. PEINDRE ?, ouvrage collectif sous la direction de Claude Briand-Picard, Christophe Cuzin et Antoine Perrot, Ed. Positions, 1996. 17.17. Ready-made color/La couleur importée, ouvrage collectif sous la direction de Claude Briand-Picard et Antoine Perrot. Ed. Positions, 2002.

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CC : Je suis artiste peintre, en bâtiments. Je ne veux créer aucun objet. Et l’ensemble de mon travail est effacé après exposition.

CL : Est-ce que ça n’équivaut pas à créer un lieu de peinture ou faire en sorte que la peinture devienne le lieu d’un événement ?

CC : Cela participe de cet événement, dans les an-nées 80, de l’hégémonie du commissaire et du lieu. C’est-à-dire que le lieu faisait l’exposition, ou le com-missaire faisait l’exposition. Les artistes convoqués n’étaient que l’illustration soit du lieu, soit du com-missaire.

JFM : Dans les années 80 quelqu’un comme Daniel Buren avait posé les règles du jeu.

CC : Je ne fais que sublimer le lieu d’art.

CL : À propos de votre travail m’était venue l’idée que vous aviez à voir avec le monument. Pourtant vous ne commémorez pas un lieu avec votre peinture qui recouvre, ce n’est pas non plus une manière d’en figer la mémoire.

CC  : Du fait que c’est éphémère aussi. Camille Moreno disait de mon travail que je faisais du monu-mental discret. 18

CL : La discrétion est un beau concept qui renvoie aussi à l’idée d’intervenir sur un lieu sans le changer, par fragments, même si évidemment d’y apposer des couleurs va en modifier la perception.

CC : Daniel Buren et Claude Rutault ont été impor-tants pour moi. Nous évoquions les pères, en voilà. Buren, autant par son travail que par ses écrits.

JFM : L’invention de l’in situ, c’est monumental, ce n’est pas le tableau.

CC : J’insiste mais De Stijl s’y était collé, on n’invente pas tout.

JFM : Nous sommes dans la continuité.

CC : Je pense d’ailleurs que la peinture en général n’a plus rien à inventer sinon qu’à creuser les chemins tracés. C’est ce qui fait penser qu’elle est morte, c’est qu’elle n’a plus à inventer.

CL : Une forme d’innovation qui fait peur.

CC : La discrétion, c’est cela. Un acte d’immense orgueil et d’immense humilité en même temps.

CL : Nous posons des lauriers sur la peinture.

CC : Tout nous y invite !

CL : C’est vrai que sa technique existe depuis des millénaires.

CC : Ces trente dernières années je n’y ai rien vu de nouveau.

JFM : Ce n’est pas tant l’invention que la manière dont la peinture se réapproprie son territoire et se réinvestit. Et comment elle se produit, cette surface ?

CC : Ce que je trouve intéressant en peinture, c’est que chaque décision sur un centimètre carré a déjà été débattue préalablement. Et c’est avec cela que l’on doit se battre. C’est-à-dire que l’on est vraiment lié à l’histoire. Et c’est forcément culturel tout ce qu’on va faire. Et c’est de ça dont nous libère cette idée qu’il n’y aura plus d’originalité. Il y aura encore de l’originalité mais il n’y aura plus d’invention totale, de révolution.

CL : Le point névralgique est là.

CC : Mais la situation est moins crispée qu’il y a dix ans. Avant tu faisais de la peinture, tu ne faisais que de la peinture. Chez les étudiants aujourd’hui, ils font de la peinture, de la vidéo, du volume, de l’installa-tion, ils peuvent passer de médium à médium sans rogner leur engagement. C’était la victoire allemande par exemple. Il y avait plein d’artistes allemands

qui passaient d’un médium à un autre. Tu n’es pas peintre à vie. Ce que nous sommes hélas !

JFM : Justement le tableau, c’est aussi un outil pour arriver à passer à autre chose : des éditions, des col-lages, des peintures sur papier, des carnets, des mises en volume d’expérimentations de ces formes et même la photographie. Et non pas simplement la clôture d’une pratique sur la pratique.

CL : Il y a une contre-expertise de l’écriture dans le travail de Jean-François. Vous remplissez des carnets mais dans vos tableaux il y a un mutisme, comme si la peinture ne pouvait pas dire ou écrire, ou qu’elle faisait fuir les mots.

JFM : La peinture c’est cela, se poser la question, “Y a-t-il quelqu’un là-dedans ?”.

CL : Le refus de toute communication !

JFM : C’est très certainement une réflexion qui d’une certaine manière se voit et se dit, une manipulation de la matière, dont moi en tant que sujet je ne crie ni invention ni proclamation.

CC : C’est toujours dans cette décomposition des éléments. C’est la leçon de Supports-Surfaces. La déconstruction.

CL : N’a-t-on pas du mal ici en France à se dépêtrer de cette notion ? Vous utilisez quand même ce terme, emprunté à la philosophie française et appliqué à la pratique picturale, la déconstruction de la surface ?

JFM : La déconstruction de la surface ou des étapes de la fabrication.

CC : Je pense que dans le champ de la peinture, on le doit à Supports-Surfaces.

C. Cuzin et J.-F. Maurige dans l’atelier de C. Cuzin

18. Catalogue Abstraction-Abstraction/géométrie provisoire, janvier-février 1997, Saint-Étienne, Musée d’Art Moderne.

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JFM : Et cette forme de légèreté qui serait un régéné-rateur du Sud.

CC : Toutes les premières expositions sur la plage, ailleurs que dans le musée, ont eu lieu là-bas. Si l’on resitue vraiment le début de Supports-Surfaces, c’est d’une audace incroyable.

JFM : C’est Nice et Marseille. Il y a quelque chose de l’idée des Nouveaux Réalistes. Claude Viallat, Bernard Pagès, s’ils sont importants, c’est aussi par la lecture qu’ils font de ce mouvement et comment ils font de la peinture autrement.

Martin Barré que nous évoquions ne se branche pas là-dessus. Mais il a su lire objectivement ce qu’a pu produire Yves Klein dans le champ de la peinture. Yves Klein amène une radicalité terrible et en utili-sant la bombe aérosol, Barré fait rentrer la réalité dans le tableau. Il fait un trait sur un tableau et basta. Il ne s’est pas cassé la tête à inventer des formes. Il reprend des tableaux quand ça a raté. On voit bien que l’ob-session peinture reprend le dessus, qu’on ne peut pas s’en débarrasser.

CC : Eteignez la télé !

JFM : Voilà. Mais le geste est quand même un geste de libération invraisemblable et de synthèse de ce qu’il a devant les yeux.

CC : On voit quand même l’héritage de ce qui s’est fait ici dans ce pays.

JFM : Finalement nous ne sommes pas orphelins.

CC : Pour moi, quelqu’un comme François Morel-let 19 aussi a été important, il a amené de la dérision dans une abstraction froide. L’humour français ! Je le trouve très drôle, il a une audience internationale, il était là avant Sol Lewitt, c’est le vieillard qui peut tout se permettre maintenant…

Cela rejoint le renouveau de l’Art Optique par exemple, parce que l’art participatif, c’était quand

même eux avant Nicolas Bourriaud 20. On a l’im-pression d’être sur une table rase où tout est une découverte alors que si tu creuses un peu l’histoire ça a déjà eu lieu. C’est notre humilité de peintre parce qu’on le sait nous.

JFM  : Ce travail nous amuse, pas dans un sens catholique mais comme un bois qui travaille dans l’eau. La matière qui travaille et se modifie selon des conjonctures et des manipulations, tout le temps. Pour ma part cela m’obsède.

CC : Et cela m’émerveille.

JFM : Quand on voit les autres, il y a des moments particulièrement euphoriques si on voit les choses.

CC : Et surtout que tu les fais pour les voir. C’est parce que tu ne les as pas encore vues que tu les fais.

JFM : Donc il n’y a pas de visible. C’est stoïcien.

CC : On ne peut pas y être imperméable non plus à cette dimension philosophique.

CL : La peinture serait liée au langage ?

CC : C’est un acte muet déjà, c’est pour cela qu’on est si bavard. (à Jean-François Maurige) Tu te souviens de ces réunions que l’on faisait avec Bernard Jordan et les artistes de la galerie ? C’était enthousiasmant. Chacun campait dans ses positions.

JFM : La Galerie Bernard Jordan a été un lieu de passage, de discours de gens hétérogènes.

CC : Une famille sans doute, mais plus hétérogène que d’autres galeries, malgré tout.

JFM : Cela confère presque à Bernard Jordan une position…

CC : De sage !

JFM : D’avoir laissé passer, permis des rencontres, des mises en relation. L’économie ne suit pas toujours mais nous lui sommes reconnaissants de n’avoir pas voulu prendre une direction objective, de tout diri-ger, contrôler.

CC : Je crois que Bernard Jordan aime véritablement la peinture.

JFM : C’est là où on s’était revu, à la galerie rue Cha-pon.

CC : C’était presque comme une espèce de forum, à se souvenir des discours entre chacun des exposants. Il y a moins de débats entre nous aujourd’hui. Et Ber-nard Jordan a trois galeries maintenant.

JFM : Par contre il y a des écoles des Beaux-Arts qui essayent de monter un réseau peinture. À Rennes.

CC : À Rouen, Le Havre, Nantes, etc.

JFM : Comme nous sommes pour la plupart ensei-gnants.

CC : Nous y sommes arrivés !

JFM : Longtemps en France, être enseignant sup-posait que l’on ne vendait pas assez et du coup pas crédible. On fait ça pour survivre.

CC : Déjà financièrement.

JFM : C’est quelque chose de logique. Chez nous cela reste encore marginal, on n’ose pas trop le dire.

CC  : C’est pourtant de l’enseignement supérieur dans les écoles des Beaux-Arts !

JFM : Et comme pratiquement tous les artistes sont enseignants…

CC : Beaucoup. Les écoles d’art en France consti-tuent un réel vivier. Meilleur qu’ailleurs. C’est aussi

un lieu de débat fabuleux, même s’il n’y a que nous qui le savons.

JFM : L’extension elle se fait là ; peut-être pas dans un prosélytisme, de convertir à la peinture, absolument pas, au contraire, comme tu le disais un étudiant fait de la photo, de la peinture, de la vidéo…

CC : Il n’y a qu’aux Beaux-Arts de Paris que cela existe encore.

CL : Pour conclure cet entretien et revenir à la Macc, que diriez-vous ?

CC : Il y a eu l’aventure en Autriche à Innsbruck aussi avec Marcel Lubac, qui représentait bien son éclectisme 21.

JFM : Nous étions cinq ou six artistes  : Bertrand Gadenne, Eric Corne, Bernard Lallemand, nous deux.

CC : Et Jacquie Kayser. À part lui nous étions tous allés là-bas monter l’exposition et ça a été aussi un lieu de discussion, de sympathie, avec justement des démarches et des œuvres très différentes.

JFM : Ce qui quelquefois je trouve est l’écueil des institutions, c’est qu’ils veulent trop rassembler des gens qui sont dans les mêmes pratiques. La qualité de cette exposition était due aux hétérogénéités des gens. Christophe présentait quelque chose par rapport à l’espace réel dans lequel on exposait, moi forcément il y avait des tableaux, Bertrand Gadenne c’était plutôt une installation vidéo interactive, Bernard Lallemand des sculptures en rapport avec le corps et Jacquie Kayser des robes de mariées. Des artistes de même génération à peu près, cela fonctionnait bien.

CC : Ce qui m’avait stupéfié c’est que nous étions présentés dans un supplément du journal quotidien. Cette exposition touchait un public considérable.

CL : Marcel Lubac est sensible à cette dimension.

19. François Morellet, Réinstallations, du 2 mars au 4 juillet 2011, Paris, Mnam Centre Georges Pompidou.20. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Paris, Les Presses du réel, 1998.

21. Corps/décor-Zeitschnitt Frankreich, janvier-avril 1997, Innsbruck, Kunstraum, avec Eric Corne, Christophe Cuzin, Bertrand Gadenne, Jackie Kayser, Bernard Lallemand, Jean-Francois Maurige, commissariat de Bernard Jordan et Marcel Lubac.

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C. Cuzin et J.-F. Maurige dans l’atelier de C. Cuzin

JFM : Il y avait plein de bonnes idées. Je trouve que c’est un modèle d’exposition d’artistes français entre guillemets, avec dans la manière de les montrer, la curiosité et le désir de les confronter. La Macc pour moi c’est un peu ça. J’ai d’ailleurs une déception dans l’anniversaire de ses vingt ans, je pensais que Mar-cel allait assumer cette espèce de pluralité et de pêle-mêle et qu’une certaine catégorie d’artistes se seraient retrouvés là. Une famille, je ne sais pas quel mot em-ployer. J’étais un peu déçu de ne pas y être, ce n’est pas le problème mais du coup je me suis demandé de quel bord nous sommes. Je pensais que j’avais affaire à ces gens-là, comme Christophe, et nous ne nous sommes pas retrouvés dans les vingt ans tels qu’ils ont été présentés par l’exposition qu’a organisée Marcel pour l’anniversaire de la Macc.

CL : C’est d’autant plus vrai ce que vous dites que le commissariat de l’expo a été confié par Marcel à quelqu’un en qui il a donné sa confiance, son ami historien Pierre Wat, très proche de la Macc. Une fois de plus transparaît la volonté de ne pas faire autorité en concluant vingt ans d’existence par des choix exhaustifs. Une belle aventure qui doit se poursuivre. L’anniversaire de la Macc ne clôture pas une époque, elle en ouvre une autre. Ce qui compte c’est de rester présent.

CC  : La Macc, pour beaucoup, est un sacré tremplin.

JFM : Pour différentes générations.

CC : On évite d’être dans un jeunisme. Parce qu’il y a des vieilles générations qui ont encore besoin de tremplins.

JFM : Il y a ces deux, trois éléments-là avec lesquels Marcel travaille assez bien. Il y a cette ouverture à une scène française qui a besoin d’être exposée, quoi que l’on pense de ses choix.

CC : C’est en périphérie de Paris que ce travail de diffusion est pris en charge. À part Le Plateau, il n’y a pas de centre d’art à Paris, ce lieu est justement à l’initiative d’un peintre qui exposait avec nous à Innsbruck, Eric Corne.

CL : Qu’y avait-il d’Eric Corne à l’exposition ? Sa série des grands visages ?

CC : Oui. Les gros portraits.

JFM : Ah la peinture… C’est vrai que ces discus-sions se sont déplacées pour moi dans le réseau des écoles d’art.

CL : Ce qui correspond à votre histoire personnelle et à votre maturité naissante !

CC : C’est vrai que je suis pour ma part très heureux d’enseigner, je me suis aperçu que je n’ai plus vingt ans. De parler avec des gens de vingt ans te ramène à d’autres champs référentiels aussi, c’est un échange.

JFM : J’aimerais bien être irresponsable. Mon irres-ponsabilité je la revendique dans ma façon d’être et de travailler, alors que dans l’enseignement on est obligé d’avoir un propos tangible. Sans tomber dans le prosélytisme comme je le disais tout à l’heure. Je n’y crois pas.

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Charles Belle “Peintures”, Christophe Cuzin “Photographies” Bruno Descout, Michel Gouéry Joël Kermarrec “Melode Oldmee Doelme” Bertrand Gadenne “Le temps suspendu” “Au tableau” : Eric Corne, Jean-Loup Cornilleau, Dominique Dehais, Léo Delarue

1-2 Vues de l’exposition C. Belle, C. Cuzin

1

Vue de l’exposition B. Descout, M. Gouéry, œuvres de B. Descout

12

Vue de l’exposition B. Descout, M. Gouéry, œuvres de M. Gouéry

1997

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149148 J.Kermarrec, “Autoportrait de Bahia à la Réunion”, 1978-1994, dernier état

4

1 J. Kermarrec, “Fond bleu”, acrylique et huile sur toile, 1967, 100 x 100 cm

2-3-4 J. Kermarrec, “Ensemble d’ardoises”, techniques et matériaux divers sur ardoise d’écolier, 1969-1994, 20 x 27 cm chacune

32

1

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1-2 Vues de l’exposition B. Gadenne “Le temps suspendu”

2

1

4 E. Corne, sans titre, huile sur papier, 1995, 33 x 21,5 cm 3-5 Vues de l’exposition “Au tableau”, E. Corne, J.-L. Cornilleau, D. Dehais, L. Delarue

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Jackie Kayser “Sculptures”, Catherine Melin “Dessins” Colette Hyvrard “Installation”, Jean Rault “Photographies 83-85” Frédérique Lucien “Dessin”, Stephen Maas “Aquarelles, dessins et sculptures” Bernard Lallemand “Placenta et personnalité” Agnès Thurnauer “Peintures”, Catherine Vernier “Sculptures”

1-2-3-4 Vues de l’exposition J. Kayser, C. Melin5-6 Vues de l’exposition

C. Hyvrard, J. Rault7-8 Vues de l’exposition

F. Lucien, S. Maas

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1996

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Vue de l’exposition B. Lallemand “Placenta et personnalité”

1-2 Vues de l’exposition A. Thurnauer, C. Vernier

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