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Maladie de Recklinghausen et tumeurs stromales digestives

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Page 1: Maladie de Recklinghausen et tumeurs stromales digestives

Fait clinique

Maladie de Recklinghausen et tumeurs stromales digestivesJ. Giuly1*, B. Monges1, R. Picaud2, D. Giuly1, C. Leroux1, R. Nguyen Cat1

1Clinique Fallen, boulevard Val-Pré, 13400 Aubagne, France ; 2service de chirurgie digestive, CHU, hôpital Nord,Chemin-des-Bourrelly, 13915 Marseille cedex 20, France

RESUMELes tumeurs conjonctives gastro-intestinales associées àla maladie de Recklinghausen doivent être analysées à lafaveur du concept nouveau des tumeurs stromales diges-tives qui se basent sur les apports modernes de l’immuno-histochimie. Dans ce contexte, le potentiel de malignité deces tumeurs est important. La place de la chirurgie doitêtre large. Des possibilités thérapeutiques intéressantessont apparues récemment dans les formes métastatiques.© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

Maladie de Recklinghausen / Tumeurs stromales /Duodénopancréatectomie

ABSTRACTRecklinghausen’s disease and gastrointestinalstromal tumors.Gastro-intestinal stromal tumors associated with Reckling-hausen’s disease should be considered in the currentconcept of the stromal tumors with reference to recentadvances in immuno-chemistry. In this setting, there is anhigh potetial of maluignancy. For the treatment of theselesions, surgery is the main tool. Frequency of malignantdigestive diseases associated with Recklinghausen dis-ease should be kept in mind. © 2002 Éditions scienti-fiques et médicales Elsevier SAS

Recklinghausen’s disease / Stromal tumors /Pancreatecticoduodenectomy

Les localisations digestives de la maladie de Rec-klinghausen posent un certain nombre de problèmesdiagnostiques, évolutifs et thérapeutiques. Parmiceux-ci, l‘appréciation du caractère bénin ou malin,

et le risque hémorragique constitue des pointsimportants. Nous rapportons un nouveau cas detumeur stromale duodénopancréatique maligne,associée à la maladie de Recklinghausen et ayantnécessité une duodénopancréatectomie en raisond’une hémorragie digestive.

OBSERVATION

Une patiente de 46 ans, était admise pour unimportant melæna nécessitant une transfusion. Elleétait atteinte d’une maladie de Recklinghausen avecen particulier un volumineux neurofibrome thoraci-que stable depuis plusieurs années. Deux ans avantcette admission, il avait été découvert une tumeur dela région duodénopancréatique étiquetée neurofi-brome bénin sur les données du scanner ; uneabstention chirurgicale avait été décidée.

Le bilan morphologique (endoscopie, scanner,écho-endoscopie, transit gastro-duodénal, artériogra-phie, imagerie par résonance magnétique nucléaire)confirmait la tumeur duodénopancréatique et mon-trait une ulcération duodénale communiquant avecune cavité intratumorale (Figs 1 et 2). Le diagnosticde neurofibrome bénin était remis en cause et lalaparotomie était décidée en raison de l’hémorragiedigestive et du doute diagnostique.

Lors de la laparotomie, il était impossible dedéterminer si cette volumineuse tumeur sur laquellese moulait le duodénum était d’origine duodénale oupancréatique. Il était réalisé une duodénopancréatec-tomie céphalique ; un nodule indépendant de 1 cmétait prélevé sur la face antérieure du moignongastrique. Les suites opératoires étaient simples.

L’étude anatomopathologique concluait à une volu-mineuse tumeur stromale maligne de 8 cm, ayant unedifférenciation nerveuse. L’origine de la tumeur étaitduodénale. L’immuno-marquage montrait que les cel-lules étaient fortement positives pour les anticorps

Reçu le 26 novembre 2001 ; accepté le 27 décembre 2001.*Auteur correspondant. Tél. : +04-42-84-85-86 ;fax : +04-42-03-18-65.

Ann Chir 2002 ; 127 : 477-9© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003394402007976/SCO

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anti-CD 117 et anti-CD 34, faiblement positives pourl’antiprotéine S 100, et négatives pour les anti-actinesmusculaires lisses alpha-desmine. On notait huit mi-toses pour 50 champs au fort grossissement. Il n’y

avait pas de métastase ganglionnaire. Sur l’estomac,il s’agissait d’une petite tumeur stromale histologi-quement bénigne à différenciation musculaire. Lescellules étaient positives pour les anti-CD 117 etanti-CD 34, focalement positives pour les anti-desmines et actines musculaires lisses alpha, négati-ves pour les anti-protéines S 100.

La surveillance par scanner n’a pas montréd’argu-ment en faveur d’une récidive avec un recul de 12mois.

COMMENTAIRES

Notre observation illustre les difficultés diagnosti-ques dans cette pathologie puisque la tumeur avaitété considérée, probablement sur des arguments defréquence, comme un neurofibrome bénin et doncsimplement surveillée pendant deux ans. Une com-plication grave (hémorragie digestive avec transfu-sion) a fait décider de l’exérèse de cette lésion dontl’analyse histologique a révélé le caractère malin.

On distingue deux types de neurofibromatose [1].La neurofibromatose de type I, qui seule nousintéresse ici, appelée aussi périphérique ou maladiede Recklinghausen, concerne une naissance sur3000, résulte d’une transmission autosomique domi-nante, peut être sporadique, et implique une anoma-lie sur le chromosome 17. La neurofibromatose detype II encore appelée centrale, plus rare (1 sur50 000 naissances) implique une anomalie sur lechromosome 22.

Les atteintes digestives de la maladie de Recklin-ghausen surviennent à l’âge moyen de la vie, engénéral bien plus tard que les lésions cutanées, etpeuvent être divisées en quatre entités [1] : a) leslésions du système nerveux digestif intrinsèque et deses tissus de support ; b) les tumeurs stromales ; c)les tumeurs endocrines du duodénum et de la régionpéri-ampullaire ; et d) des tumeurs diverses nonclassables dans les catégories précédentes. L’atteintedigestive de la maladie est présente dans 12 à 60 %des cas [2]. A côté du tube digestif qui est le plussouvent concerné, le foie et le pancréas peuventégalement être atteints [3].

La fréquence des tumeurs stromales du tube diges-tif au cours de la maladie de Recklinghausen a étéchiffrée à environ 35 % des cas dans les sériesautopsiques contre seulement 5 % des cas environdans les séries cliniques, ce qui suggère que cestumeurs—qui peuvent être bénignes ou

Fig. 1. Coupe TDM montrant une volumineuse tumeur excavéeduodénopancréatique, refoulant le foie vers la droite et la tête dupancréas vers la gauche.

Fig. 2. Représentation schématique des lésions. Canal cholédoqueet Wirsung refoulés à gauche. → : ulcération duodénale ; X :excavation tumorale ; ↑↑ : papille refoulée en D3.

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malignes—sont dotées d’une certaine latence [1].Même en l’absence des stigmates habituels de lamaladie de Recklinghausen, la constatation detumeurs stromales multiples doit faire recherchercette maladie chez le patient et sa famille. La notionde malignité doit être présente à l’esprit car globa-lement le risque de tumeurs malignes au cours de lamaladie de Recklinghausen serait quatre fois plusélevé que dans la population générale [4]. Toutes lesétudes évoquent les difficultés du diagnostic histo-logique, celles à faire la part entre malignité etbénignité et donc les incertitudes pronostiques : lacombinaison d’un index mitotique supérieur à cinqmitoses pour 50 champs à fort grossissement et unetaille supérieure à 5 cm sont très en faveur de lamalignité [1,4,5].

Les circonstances diagnostiques des tumeurs stro-males gastro-intestinales sont variables : découvertefortuite, douleurs, syndrome de masse, anémie, hé-mopéritoine, et surtout hémorragie digestive qui est lesymptôme le plus fréquent [1-3]. Le traitement de ceslésions repose essentiellement sur la chirurgie, dont laseule limite est le caractère parfois multiple des loca-lisations gastro-intestinales [1] qui peut obliger à neréaliser que l’exérèse des localisations symptomati-ques ou compliquées. L’embolisation par voie radio-logique peut être utile pour arrêter l’hémorragie maisne permet probablement pas un traitement définitifdans cette indication [6,7]. De plus, dans notre obser-vation, l’embolisation n’apparaissait pas logique enraison de la suspicion de malignité chez une maladepar ailleurs en bon état général et opérable.

Le concept de tumeurs stromales, regroupant lestumeurs conjonctives non différenciées du tubedigestif, ne date que de la dernière décennie et s’estimposé à la faveur de plusieurs étapes successivesdans la connaissance des tumeurs conjonctivesgastro-intestinales, à savoir : 1) une phase purementmorphologique qui distinguait les léïomyomes depronostic incertain des schwannomes de bon pro-nostic ; 2) l’arrivée de l’ Immuno-histochimie avecen particulier la découverte d’un marqueur destumeurs conjonctives (la protéine CD 34) et l’appa-rition du terme de tumeurs stromales ; 3) le diagnos-tic de léïomyome et de schwannome réservé auxseules tumeurs exprimant un ou plusieurs marqueursspécifiques de leur différenciation ; et 4) l’émer-gence d’un nouveau marqueur (la protéine C-KIT ouCD-117), exprimée par la quasi-totalité des tumeurs

stromales mais pas par les léïomyomes ni lesschwannomes. L’origine possible à partir des cellu-les interstitielles de Cajal est fortement suggérée [9].

Tous stades confondus, la survie après résection destumeurs stromales gastro-intestinales malignes est de35 % à5 ans [8, 9]. Pour une tumeur primitive isolée,la survie est de 50 à56 % à5 ans et de 35 à43 % à10ans avec un pronostic plus favorable pour l’estomacque pour l’ intestin grêle [9]. Le traitement d’une tu-meur isolée est essentiellement chirurgical. En cas demétastases, la chimiothérapie était réputée inefficace[8]. Récemment est apparu un inhibiteur d’unetyrosine-Kinase responsable de la prolifération stro-male (STI571). Ce médicament peut entraîner une ré-ponse spectaculaire sur une tumeur stromale métasta-tique, avec négativation de l’ immuno-marquagetumoral C-KIT(CD 117) et KI67, une normalisationde la tomographie à émission de positons, et une ré-gression des métastases hépatiques en quelques mois(disparition de certaines et kystisation des autres)[10]. Cette molécule est l’une des premières àdémon-trer son intérêt dans un traitement ciblésur un proces-sus tumoral sélectif (C-KIT).

REFERENCES

1 Fuller CE, Williams GT. Gastro-intestinal manifestations of type Ineurofibromatosis (von Recklinghausen’s disease). Histopatho-logy 1991;19:1–11.

2 Dewailly A, Yasdanparrah Y, Renou C, Paris JC. Urgencesabdominales et neurofibromatose de von Recklinghausen. Gas-troenterol Clin Biol 1997;21:227–8.

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5 Barrier A, Huguier M, Levard H, Montariol T, Fagniez PL,Sauvanet A. Tumeurs gastriques conjonctives. Résultats d’uneétude multicentrique. Chirurgie 1999;124:494–502.

6 Beajow M, Singh HK, Wiese DA, Pandyan JR. Bleeding jejunalleiomyoma: a new approach. Am J Gastroeneterol 1995;90:131–3.

7 Kramer SC, Gorich J, Rilinger N, Siech M, Aschoff AJ, Vogel G,Brambs HJ. Embolization for gastrointestinal hemorrhage. EurRadiol 2000;10:802–5.

8 Balaton AJ, Coindre JM. Tumeurs stromales digestives. Gastroen-terol Clin Biol 2001;25:473–82.

9 Boudet MJ, Demestier Ph. Les tumeurs stromales du tube digestif.J Chir 2001;138:104–8.

10 Joensuu H, Roberts PJ, Sarlomo-Rikala M, et al. Effect of thetyrosine-Kinase inhibitor STI571 in a patient with a metastaticgastro-intestinal stromal tumor. N Engl J Med 2001;344:1052–6.

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