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Sylvane no.8 Voilà, ce sont les puces le matin par tous les temps comme ici sous la neige. Parfois c’est très dur, l’hiver. La Police est même venue interdire le déballage deux fois cette année, car ça glissait trop. Les brocanteurs sont là tous les jours. Ils recouvrent de bâches les marchandises qui pourraient être abîmées quand les intempéries risquent d’abimer la marchandise. Portrait de deux brocanteurs discutant sur le marché, le jeune et l’ancien, A. et Mr C. Ici c’est l’étal de P. le français, il a vendu tous ces vases de Carnet

"Marolles: Trajectoires, identités, territoire" Livret 8

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DESCRIPTION

Durant près de deux mois, 25 habitants des Marolles ont participé à des ateliers artistiques basés essentiellement sur la marche, la photographie et l’écriture. Des mots ont émergé comme pompiers de la lune, chaleur humaine, Los Marolles, Limace Mystique, promiscuité, luttes pour le logement, opération matelas, propreté, territoire confisquée, privatisé, dépendance, action sociale, émancipation, associations, esprit bruxellois, commémorations latinistes, Vieux-Marché, le promoteur et sa fidèle épouse la bureaucratie, le complot, l’accueil, la tolérance, l’ascenseur, le paradis et une corde pour la nuit… Cette richesse vécue est ici présentée composé de photos, de morceaux d’âmes choisis, de chair, de sang, de matière poétique et singulière… d’esprits tapageurs.

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Sylvaneno

.8Voilà, ce sont les puces le matin par tous les temps comme ici sous la neige. Parfois c’est très dur, l’hiver. La Police est même venue interdire le déballage deux fois cette année, car ça glissait trop.

Les brocanteurs sont là tous les jours. Ils recouvrent de bâches

les marchandises qui pourraient être abîmées quand les intempéries risquent d’abimer la marchandise. Portrait de deux brocanteurs discutant sur le marché, le jeune et l’ancien, A. et Mr C.

Ici c’est l’étal de P. le français, il a vendu tous ces vases de

Carnet 1

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chimie à Pierre Kröll. Il est là, en semaine, et le we.

Louis, un grand fidèle qui a 87 ans et adore venir le dimanche. Il n’a rien perdu de son humour.

Il y a le pire comme le meilleur, les caisses à banane remplies d’articles dépareillés, mais aussi de belles trouvailles.

A la fin du marché, il faut remballer, parfois il y a du vent ce n’est pas simple. Le marché aux puces vit 365 jours sur 365

de 06h du matin à 2h de l’après-midi et jusque 3h le dimanche.

On trouve des objets exotiques comme on le voit ici en provenance d’Afrique.

Voici l’étal de C., il a de belles choses, il trie bien sa marchandise, il est exigeant.

Une bande de brocs qui déjeunent, ils ont finit de déballer et ils se réconfortent avec un petit déjeuner avant de redémarrer la journée.

Le broc B., au « Chineur » déjeune lui aussi, bière et cigarettes, il est 06h du matin.

M. et M., vend du blanc, de la dentelle, du linge de maison, des jouets en tissu et peluche.

Les brocs achètent aussi les uns chez les autres en fonction de leur spécialité, cette marchande fait son tour avant l’arrivée de la clientèle.

Le père et le fils C. s’installent. Et quand on veut faire des jolis

étals, c’est chaque jour la même routine, dure : emballer, déballer, déballer, remballer.

Les caisses de bananes.

B. s’installe, elle expose des fringues de seconde main de qualité, du linge de maison, des fourrures…

Le russe, un monument. Ca faisait 30 ans qu’il était sur le marché. Maintenant il a un petit étal de bijoux, il est parti longtemps en Russie puis il

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est revenu, c’est quand même mieux ici, apparemment !

C. et A. La Chance , brocanteurs pointus. G. et sa camionnette genre armoire de Gaston Lagaffe.

Willy, le patron du café du même nom, aime se donner des allures de gitan. C’est un faux bourru.

La dame âgée, c’est la veuve de Sois van de Visiteur. « Sois » en bruxellois c’est le diminutif de François. Il avait près de 90

ans, je crois, quand il est mort et faisait toujours le marché, il y a un an ou deux. Son surnom, van de visiteur, lui est venu parce que son père était visiteur chez les pauvres. Et madame continue avec son petit étal, c’est vraiment la fonction d’origine du Vieux Marché, comme au temps de la Place Annessens. Les puces permettent aux pauvres gens de vendre le peu qu’ils ont ramassé pour gagner leur vie.

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5Ici on voit aussi que l’hyper-moderne de seconde-main cohabite avec l’ancien.

Et ça c’est une surprise, voici une chambre de barbie, chez les frères K. installée comme une chambre romantique, c’est drôle.

J-P-A vous attend au magasin Apostrophe, style brocante anglaise.

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Pour moi il y a une transition depuis une petite dizaine d’années où j’ai vu des brocs devenir de plus en plus pointus et sérient leur marchandise. D’autres déchargent leurs caisses à banane, avec parfois encore la graisse au fond de la poêle à frire parce qu’ils viennent de vider une maison, c’est toujours une surprise.

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6C’est la base du métier de brocanteurs, ils vont chercher leur marchandise dans les maisons qu’ils vident. M. a commencé comme ça. On parle souvent des personnes qui vivent au jour le jour sur le marché, ce n’est pas facile pour ceux-là. Parce que si que tu veux acheter de belles marchandises en salle de vente, il faut avoir les fonds pour démarrer. Ca veut dire qu’il faut travailler dur un moment, en faisant du « vide-maison ».

Donc ils passent à un autre stade quand ils arrivent à acheter en salle des ventes.

Oui mais tous n’ont pas envie de changer de style. C’est ce qui fait la variété et le pittoresque. R. garnit son étal de caisses à bananes, il y a aussi le plaisir du client de farfouiller, et il a des aides et donne de ce fait du boulot à d’autres. Son père était sur les puces bien avant lui, il avait hérité du surnom de Sarma, parce qu’il avait une

vieille camionnette avec le logo de Sarma dessus. C’est un monsieur âgé maintenant, qui a fait manger sa famille toute sa vie grâce à ce métier où il ne faut pas avoir mal au dos ni craindre d’être dehors par tous les temps.

Le principe du marché aux puces, c’est quand même d’offrir une possibilité d’activité économique un peu « noman’s land » à la limite de la légalité et l’insertion sociale. C’est un marché professionnel, il faut

avoir un registre de commerce pour exposer, beaucoup d’emplacements sont loués au mois par les exposants. Les placeurs sont chargés d’écarter les illégaux. Faut-il être intransigeant et procéder au nettoyage de la place au niveau professionnel ? C’est une question difficile. Les brocanteurs bien en règle ont une opinion respectable sur le sujet. Comme il faut avoir des papiers pour avoir un boulot en Belgique, le marché permettrait

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8aussi aux travailleurs qui n’ont pas de papiers en règle de pouvoir subsister le temps que leur situation se débloque.

Et pendant ce temps, ils ont une activité professionnelle qui préserve leur dignité. J’aime bien voir des gens qui au départ n’avaient rien, deux pieds et deux jambes deux bras comme tout le monde, et qui bossent. Ils n’ont pas peur de se lever à 4h du matin.

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Est-ce que tu as le sentiment que le tourisme a augmenté ? Est-ce que le Vieux Marché de Bruxelles a franchi les frontières des bureaux de tourisme ?

Ah oui, il y a quelques années, les amis du Vieux marché avaient fait un dépliant. On est allé dans les hôtels dans et autour de Bruxelles. On a distribué ces dépliants de façon très artisanale. Les concierges des hôtels disent « oh oui, si vous saviez le nombre de clients qui nous demandent une carte et des infos sur ce quartier. Les concierges de ces beaux hôtels prenaient la caisse, 300

dépliants et « je vous passe un coup de fil quand il nous en faudra de nouveaux. ». Il avait eu beaucoup de succès, on voyait les gens se déplacer dans la rue avec le dépliant déployé devant eux.

Le nombre de fois où on doit renseigner les gens, parce que nous habitons sur le chemin évidemment.

Mais il faut reconnaître que le touriste achète peu sur les puces selon les dires des marchands, parce qu’il se déplace sans véhicule le plus souvent.

En principe on ne peut pas vendre du neuf, ce doit être de la seconde main ou des objets qui ont au moins 20 ans d’âge. Ceux qui arrivent avec des tringles de fringues à 5 €, en principe ils n’ont pas le droit d’être là.

Un gars avait été saisi, il avait vidé la maison d’un ancien colonial, je crois, qui avait des collections d’ivoire, de peaux, de carapaces de tortues, de peaux de serpent. Il est arrivé avec tout ça sur les puces mais ce sont des dépouilles interdites à la vente pour la protection des animaux, c’était un sukeler, le type n’a pas su se défendre, il s’est fait saisir

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toute sa marchandise. Je ne sais pas comment l’affaire s’est terminée.

Bien sûr que tu ne peux pas venir avec une peau de tigre abattu avant-hier mais si la bête a été tuée aux alentours de 1900, je suis désolée, cette loi de protection des espèces en voie de disparition ne devrait pas être appliquée, la marchandise a changé de statut, il ne s’agit pas de trafic.

Mais en fait les placeurs ne peuvent pas effectuer ce contrôle et quand passe un expert, c’est très ponctuel et parfois son action est contestable. En plus la Ville doit le payer, j’ai entendu dire que cela coûtait 1000€ à chaque passage, ils ne passent pas souvent, de fait.

Des marchands pestent quand un exposant déballe du neuf et contactent l’association. Mais l’association du Vieux Marché n’a pas et ne souhaite pas avoir de droit ou de devoir de police ou de contrôle.

Nous n’avons pas le droit de faire cela, en plus on n’en a pas envie, les brocanteurs non plus, je pense. Si on devient le bureau des réclamations et de contrôle, on va se faire casser la figure. C’est une association de bénévoles, ce n’est pas non plus un bureau administratif où on est payé pour gérer le marché, non ce n’est pas de notre ressort.

Nous, nous sommes associés pour promouvoir le Vieux Marché, avoir un regard vigilant sur le maintien de l’activité et le respect de son authenticité,

protéger le patrimoine de ce quartier particulier.

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Comment tu as décidé de t’investir dans les Amis du Vieux Marché ?

Cela s’est fait naturellement. Je vivais Avenue de la Couronne et mes voisins de murs sont brocanteurs et antiquaires. Ils avaient un magasin Rue des Renards. Et ils faisaient les puces aussi. On les voyait revenir du marché bien fatigués, le dimanche, et puis on est devenu amis, petit à petit. Et quand mes enfants ont grandi, j’ai commencé à descendre aux puces le dimanche. Et comme lui il est membre fondateur de l’association des amis du Vieux

Marché, quand je venais le voir, il me faisait un peu travailler pour l’association. J’étais membre de l’association et puis je me suis présentée comme administratrice. Et c’est comme cela que je connais assez bien le quartier. Parce que j’y passe tous mes dimanches.

Y a-t -il autre chose qui te lie à ce quartier ? Comment tu es arrivée à te sentir bien ici ?

Ben déjà j’y ai fait mes études, dans les années 70. Je venais déjà manger une soupe chez Marcel, on pouvait apporter ses tartines à l’époque. J’y ai travaillé pendant 3 ans, après des études d’institutrice primaire. Mes élèves habitaient le quartier et y habitent encore. Je les rencontre, ils ont des enfants, et on bavarde. Et puis

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c’est un des vrais vieux quartiers de Bruxelles d’un point de vue historique. Qui n’a pas été encore complètement bousillé. Il est très vivant le week-end. Au centre ville il n’y a pas grand chose d’ouvert. Tandis qu’ici tout vit et vit d’ailleurs surtout le week-end.

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Quand on achète un objet ici, on est vite chargé. Ce sont souvent, à part les vêtements, des choses assez lourdes. Alors forcément c’est un quartier où on doit venir en véhicule. Et hop on enlève 5 ou 6 places de parkings par ci par là, pourquoi ? pour mettre des racks à vélos de location. La politique cherche à décourager l’usage des véhicules privés. Visiter Bruxelles est faisable à vélo. Mais faire ses achats est

compliqué. Heureusement les rampes du Palais de Justice sont accessibles le we. En semaine, c’est un peu le casse-tête pour se garer et les commerçants voient leurs rues de moins en moins fréquentées. On ne les voit pas souvent rouler, ces vélos, c’est ça le problème. Bruxelles, ce n’est pas plat, hein ! J’ai croisé quelques cyclistes qui avaient loué de ces vélos, on voyait qu’ils avaient drôlement dur dans les côtes.

N’y a t’il pas de solutions alternatives pour les voitures ?

Le problème c’est que les parkings de dissuasion coûtent chers, donc que fait le client ? Il quitte le Pentagone, il va dans un shopping où on ne lui demande pas de payer, ou il est tenté par des étalages de brocante libre. Cela fait drôlement grincer les professionnels qui

estiment à juste titre que c’est une concurrence déloyale assimilable à du travail en noir, alors que eux paient leurs taxes et impôts.

Ou alors il faudrait un accord sur les parkings ?

Oui mais ce n’est pas facile à obtenir. Parce que le parking de la Porte de Hal qui est quand même très vaste, jusqu’ il y a quelques mois, était fermé le week-end. Vu que c’est un quartier qui fonctionne beaucoup sur le week-end. Ca été des négociations compliquées pour qu’il ouvre. L’association des commerçants est arrivée à les convaincre d’ouvrir le week-end et maintenant il y a une carte à la journée qui est disponible. Donc ça commence à venir. Parking Poelaert c’était pareil.

Delaize a quand même ouvert un City. Mais, il y avait un indépendant Delaize, situé rue Haute, qui avait de la clientèle, parce qu’il ouvrait bien plus tard que le City et puis il a fermé ses portes.

Pour le moment les commerces ne marchent pas si bien que ça, beaucoup de magasins ferment. Ils déménagent. Ils quittent le quartier pour s’installer ailleurs. D’autres ferment carrément. On peut voir beaucoup de locaux commerciaux qui restent vides. C’est un peu triste.

Tous les deux ans, le profil du quartier se modifie au niveau commerces. Sauf certaines toutes vieilles enseignes, mais cela dit elles ne sont pas épargnées non plus ces derniers temps.

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Mais quand vous dites que cela change tous les 2 ans, j’ai quand même l’impression qu’on reste sur la déco d’intérieur depuis un moment.

Oui, jusque dans au début des années 70, chaque rue avait sa spécialité. Rue Haute, c’était le fief des commerces de vêtements, confection et tailleurs.

Rue Blaes, on venait acheter le papier peint et le tapis plain, le

tissu d’ameublement. Puis il y a eu une évolution assez rapide, je crois. J’ai l’impression que ça correspond à l’engouement pour les meubles en pin, j’ai acheté plusieurs meubles à l’époque, sur le marché ou dans les commerces tout proches. On descendait dans des caves voûtées, c’était un peu magique.

Et la descente lente de gros marchands du Sablon qui leur coûtait tellement cher au niveau loyers a participé

au changement de profil du quartier. Il est branché déco d’intérieur. Il y a des commerces qui ouvrent leur espace sous forme de galerie. Mais je pense surtout qu’en ce moment ce n’est pas seulement ce quartier mais c’est le petit indépendant qui se casse la figure un peu partout. Alors évidemment quand on propose autre chose que des produits manufacturés en provenance d’Asie qui coûtent deux francs 6 sous à l’achat et dont le transport a

coûté plus cher que le salaire des ouvriers, l’artisan local est confronté à une rude concurrence.

Il y a des magasins qui ne marchent pas trop mal mais qui préfèrent aller ailleurs parce qu’ils estiment qu’ils stagnent dans le quartier. Beaucoup de ces commerçants ont une autre activité professionnelle en plus de leur commerce.

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