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Marx- Engels - L'idéologie alemande

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L'IDOLOGIE ALLEMANDE

CHEZ LES MMES DITEURSO UVRAG E SlHa n uscrits deDE

KARL MAR X-

Les L u ttes de classes en France Louis Bonaparte. La Guerre civile e n France Misre de la philosophie.

1844.

(1848-1850).

Le

18 bru maire

de

(1871).

Contribution la critique de l'conomie politit}ue. Le Capital (8 voL). Lettres li KugelnHlnn.

Travail salari et capital. - Salaire, prix et profit.

OUVRAG E S D E FR I E D HI C II E NGELSLa Rvolution dmocra tique bourgeoisie en Allemagne (La Guerre des Payan. - La Campagne pour la Constitution du Reich. RAvolution ct contre-rvolution en Allemagne). La Question du logement. Socialisme utopiqu e et socialisme scientifique.

Anti-Dhring (M. Eugcn Dhring boulevcrse la scicnce). Le Rle de la violence dans l'histoire. Dialectique de la nat ure. 1. 'Origine de la famille, de la proprit prive et de l'tat. La Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Correspondance Friedrich Engels-Pa ul et Laura Lafargue (3 voL). La Question paysa nne en France et en Allemagne. Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classiqu e allemande.

OUV RAG E S D E KARL M A R X ET FR I EDRIC HManifeste du Parti communiste. Critiqu e des programmes de Gotha et d'Erfurt. L'Idologie allemande. L"Idologie allemande (Premire partic: Feuerbach). La Nf/Ill'elle Gazelle rhnane (:3 VIlI.)

E NGE LS

C OR R E S PON DAN C E MAUX-E NG E LSLettres sur Le Capital.

T E XTES C H O I S I S D E MARX ET E N G E LSh udes philosophiques. Sur la liltruture el l'a r l. Sur la religion.

KARL MARX

-

FRIEDRICH ENGELS

L'IDOLOGIEALLEMANDEDE SES REPRE'SEJvTA.NTS

CRITIQUE

DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE

LA PLUS R'CENTE DANS LA PERSONNE

FEUERBACH, B. BA UER ET ST/RNER, ET DU SOC/ALISME ;1LLEMAND DANS

CELLE DE SES D/FFi!;lNTS PROPHTES

Prsente et annote par Gi lb e rt BAD lA Traduction de Henri AUGER, Gilbert BADIA, Jean BAUDRILLARD, Rene CARTELLE

DITIONS

SOCIALES

146. rue

du Faubourg-Poissonnir. Paris (IOO)

Service de vente: 24, rue Racine, Paris

(6)

Tous droits de reproduction ct de traduction rservs pour tous les pays.

lfditiolls sociales,

Paris 1968.

AVANT-PROPOSC'est dans L'Idologie allemande que Karl Marx et Friedrich Engels formulent pour la premire fois, de manire labore, la thorie du matrialisme historique. Aprs leurs articles parus dans les Annales franco-allemandes, aprs les Manuscrits de 1844 de Marx, aprs leur premire uvre commune La Sainte Famille, enfin, Marx et Engels affirment, avec nettet, leur position philosophique et politique. Prenant le contre-pied des thories idalistes d'un Bruno Bauer et d'un Stirner, ils dgagent quelques principes qui vont constituer les fondements mmes du marxisme et les expriment en une srie de formules frappantes, qui n'ont, plus d'un sicle plus tard, rien perdu de leur force. Formules frappantes? Ce n'est pas la conscience qui dtermine la vie; mais la vie qui dtermine la conscience ... Les circons tances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances... Les penses de la classe domi nante sont aussi, chaque poque, les penses domi nantes... Dans l'activit rvolutionnaire, l'homme se change lui-mme en changeant les circonstances... La conscience, c'est l'tre conscient et surtout la onzime thse sur Feuerbach: Les philosophes n'ont fait qu'interprter le monde de diffrentes manires, ce qui importe, c'est de le transformer. L'Idologie allemande constitue d'abord, aux yeux de Marx et d'Engels, une tape dans la formation de leur doctrine. C'est pres que, pourrait-on dire, un ouvrage que Marx et Engels ont crit pour eux-mmes, pour lucider leur position thorique en attaquant avec verve et mordant celle de leurs adversaires. Dans la prface de la Contribution la critique de l'conomie politique 1, treize ans plus trd, Marx n'crit-il pas: Nous rsolmes [ Engels et moi ] de travailler en commun dgager l'antagonisme existant entre notre manire de voir et la conception idologique de la philosophie allemande; en fait, [IlOUS dcidmes ] de1. Prface la Contribution la critique de l'conomie politique, Editions sociales, Paris H)66.

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L'idologie aIIemande rgler nos comptes avec 1I0tre conscience philosophique d'autrefois . ;

et, un peu plus loin, il explique que l'essentiel tait de voir clair cn [ eux ] -mmes 1 et que ce but a t atteint grce, prcisment, la rdaction de L'Idologie. L'Idologie allemande a donc eu d'abord une fonction pdagogique et critique. Ainsi cet ouvrage prsente nos yeux un intrt double: premier expos d'ensemble du matrialisme historique, il nous rvle aussi les dmarches de la pense de Marx et d'Engels. L'Idologie alle mande est donc la fois un texte essentiel du m arxisme et un jalon trs important dans l'laboration de la pense de J\larx.

L'ELABORATION DU MATI':RIALISME HISTORIQUE Dans la prface la Contribution la critiquc dc l'conomie politique, Marx a lui-mme expliqu quels rsultats il tait parvenu au moment o, expuls de Paris, il vint se fixer BruxeIIes en 1845 : Le rsultat gnral auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur mes tudes, peut bri vement se formuler ainsi: dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports dtermins, ncessaires, indpendants de leur volont, rapports de production qui correspondent un degr de dveloppement dtermin de leurs forces productives matrieIIes. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure conomique de la socit, la base concrte sur laqueIIe s'lve une superstructure juridique et politique et laqueIIe correspondent des {ormes de conscience sociale dtermines. Le mode de production de la vie matrielle conditionne la processus de vie social, politique et intelIectuel en gnral. Ce n'est pas la conscience des hommes qui dtermille leur tre; c'est inversement leur tre social qui dtermine leur conscience. A un certain stade de leur dveloppement, les forces productives matrielIes de la socit entrent en contradiction avec les rapports de production exis tants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de proprit au sein desquels eIIes s'taient mues jusqu'alors. De formes de dveloppement des forces productives qu'ils taient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre Ulle poque de 1.

Ibidem, p. 4.

Avant-propos

9

rvolution sociale. Le changement dans la basc cono mique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'norme superstructure. Lorsqu'on considre de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matriel - qu'on peut constater d'une m anire scientifiquement rigoureuse - des conditions de production conomiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le m nent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge Ull individu sur l'ide qu'il se fait de lui-mmc, on ne saurait juger une telle poque de bouleversement sur sa conscicnce de soi; il faut, au contraire, expliquer cette consciencc par les contradictions de la vie m atrielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production... Les rapports de production bourgeois sont la dernire forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradic tion qui nat des conditions d'existence sociale des individus; cependant, les forces productives qui se dveloppent au sein de la socit bourgeoise crent en mme temps les conditions matrielles pour rsoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achve donc la prhistoire de la socit humaine 1. ,. Ce texte, rappelons-le, est de 1 859. La formulation est ici plus prcise, la terminologie plus fixe quO elle ne l'est dans L'Idologie allemande, rdige treize ans plus tt. Nous essaierons de voir plus loin ce que recouvrent ces diffrences de vocabulaire. D'ailleurs, ces conclusions, ce rsultat gnral ne se sont pas imposs brusquement Marx; il les atteint au terme d'un long cheminement, la suite d'une rflexion approfondie. Dans la Criti que de la Philosophie du droit de Hegel, plus tard dans les Manus crits de 1844, Marx avait dj conclu que les rapports juridiques, ainsi que les formes de l'Etat, ne peuvent tre compris ni par eux-mmes ni par la prtendue volution gnrale de l'esprit humain, mais qu'ils plongent au contraire leurs racines dans les conditions matrielles d'existence. En 1 844, Marx parlait enCore le langage de Feuerbach. Dans L'Idologie allemande, il m ontre les limites de ce philosophe matrialiste; s'il a ramen l'homme du ciel sur terre, ce n'est pas l'homm e rel qu'il tudie, c'est--dire l'homme dans ses rapports avec les autres 1101J1mes. Feuerbach se rfre trop la nature et pas assez la politique,., avait crit Marx dans1. Ibidem, pp. 4 et ).

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L'idologie allemande

une lettre Ruge du 13 mars 1843 1 et Engels notera plus tard: Ni de la nature relle, ni de J'homme rel, il ne sait rien nous dire de prcis. Or on ne passe de l'homme abstrait de Feuerbach aux hommes rels vivants que si on les considre en action dans J'histoire, et Feuerbach s'y refusait... 2 Etudier J'homme vivant, insr dans J'histoire et la politique, c'est prcisment ce que se proposent Marx et Engels dans L'Ido logie allemande 3. Dans les c Thses sur Feuerbach, revient sans cesse cette notion de l'activit pratique, rvolutionnaire de J'homme qui transformera les conditions sociales en mme temps qu'elle changera l'homme lui-mme. Dans toute sa polmique contre Stirner et Bauer, Marx revient dix reprises sur cette ide qu'il faut com mencer par J'tude de la ralit sociale concrte, c des rapports empi riques comme il dit, car ce sont ces rapports qui expliquent les reprsentations et non J'inverse, comme le croient les idologues, c J'ide abstraite devient chez eux le moteur de l'histoire... si bien que l'histoire est rduite J'histoire de la philosophie. Corollaire: pour les Jeunes-Hgliens, pour Bruno Bauer en particulier, le rdle essentiel est dvolu la c Critique. Ils entendent par l la critique des reprsentations fausses c de J'Homme. Comme ils J'avaient dj entrepris dans leur ouvrage prcdent, La Sainte Famille, Marx et Engels tournent en drision la croyance que pareille c critique suffirait modifier la ralit sociale et politique.c

FORCES PRODUCTIVES ET MODE DE PRODUCTION Les philosophes auxquels s'en prennent Marx et Engels tablis saient une sparation radicale entre conomie politique et histoire. Dans la premire, on rencontrait une thorie de la socit fonde sur la division du travail, mais cette thorie avait pour base J'ide d'un homo economicus toujours semblable lui-mme: elle ignorait J'histoire de la production. L'histoire, au contraire, ou bien se limitait la chronique ou s'efforait de retrouver derrire les vnements politiques ou le mou vement des ides le grand thme philosophico-religieux d'un devenir de la raison. Marx dit que toute J'histoire tait transforme... en un processus de dveloppement de la conscience 4 .c

1. MARX-ENGELS: WerJce (en abrg': M.E.W.), Dietz, Berlin 1963, t. 27, p. 4 17. 2. ENGELS: Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande., Etudes philosophiques, Editions sociales, Paris 1 969, p. 42. 3. Dans sa ralit, elle (l'essence de l'homme) est l'ensemble des rap ports sociaux. (. Thses sur Feuerbach. VI, ci-dessous p. H). 4. Cf. L'Idologie allemande, p. 105. Toutes les indications de pages donnes sans prcisions, par la suite, dans les notes se rapportent au texte de la prsente dition de L'Ido logie allem ande.

Avant-propos

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Refusant cette dissociation, Marx et Engels tablissent les grandes lignes d'une conception de l'histoire compltement nouvelle. Du mme coup, ils saisissent quelques traits fondamentaux de l'idologie en gnral. Le caractre rvolutiOIlIlaire, sur le plan thorique, de L'Idologie allemande tient donc dans le rapport qui se trouve tabli entre l'ensemble des transformations politiques (statut de la proprit, forme du droit de l'Etat, constitution des nations) et idologiques et l'histoire de la production des biens matriels. Tcl est le fil conducteur qui peut, partir de la base relle rcndre intelligible l'histoire de la socit tout entire. A l'oppos des Jeunes-Hgliens, Marx, descendant. du ciel sur la terre -, va se lancer dans l'tude de l'histoire des hommes. Non une histoire a priori, o chaque poque serait considre de points de vue acquis par l'humanit au cours de la priode suivante, ce qui aboutit introduire dans l'histoire une finalit qui n'y rside point. farx dgage cette ide fconde que le moteur de l'histoire, ce n'est pas la pense, mais la production des besoins humains :JO,

Le premier acte historique de ces individus, par lequel ils se distinguent des animaux, n'est pas qu'ils pensent, mais qu'ils se mettent produire leurs moyens d'existence 1 . _ Ce sont ces besoins qui sont l'origine des changements hi toriques : toute rvolution ainsi que les rsultats auxquels elle aboutit taient dtermins par ces conditions d'existence des individus (Verhaltnisse) , par les besoins. . 2 .

Ainsi le travail et ses formes d'organisation constituent la vritable scne de toute l'histoire '. Or les besoins de l'homme ne cessent de se modifier, de se dvelopper, dc se diffrencier, et ces modifications sont l'origine des transformations sociales. La structure 1' articulation (Gliederung) de la socit est fonction du mode de production historiquement existant. Un mode de production dtermin implique un mode de coopration dter min et, par consquent, une forme dtermine des rapports sociaux. Or le mode de production est li la nature des forces productives qui ont t dveloppes par l'histoire antrieure de l'humanit (cette expression : forces productives, dsignant dans L'Idologie alle mande les instruments de production qui exigent une plus ou moins grande division du travail) . Marx peroit parfaitement la rupture qu'une telle conception_, JO

2.

1 . P. 45, note P. 415.

2.

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L'idologie allemande

introduit par rapport la philosophie hglienne, lorsqu'il crit: c Cette conception de l'histoire... n'est pas oblige... de chercher une catgoric da ns chaque pri ode ... 1 Dans la conception hg lienne, chaque priode tiraIt son unit d'une catgorie Ou d'un principe spirituel dont le droit, la politique, la religion n'taient que la manifestatioll phnomnale; mieux, chaquc priode se dfi nissait soit par lJII principe religieux. soit par un principe juridique, ctc. La conception de Marx rattache l'Ilistoire des socits l'tude des variations intcmes du mode de production. Dans le cours du dveloppement lJistorique, il arrive un momcnt o la forme d'changes (lcs rapports de production) c dcvenue une entrave (est remplace) par une nouvelle forme qui correspond aux forces productives plus dveloppes... 2 Ces changements entranent chaque fois des modifications sociales: une classc sociale nouvelle se substitue l'ancienne classe dominante. L'histoire de la socit, c'est l'histoirc de la lutte des classes.c AillSi, la socit a toujours volu dans le cadre d'un antagonisme, celui des hommes libres et des esclaves dans l'antiquit, des nobles et des serfs au moyen ge, de la bourgeoisie et du proltariat dans les temps modemes 3.

Lcs !Jommcs sont pris()JJniers des rapports dc production qui cntravcnt lcur libre dveloppement. Le travail, dans L Ido logie allemandc. c'est cette activit impose chacun par la division du travail, par la place qu'il occupe dans la socit. L'individu n'a qu'ulle activit bome, mutile, unilatrale. Pour abolir cct tat de c!Joses, pour pcrmettrc l'individu de dvelopper toutes ses facults, pour permettre la libre activit de l'holIIme (ce que ["farx appellc la Selbstbctatigung). il faut dOliC abolir ce qui est ici conu COlllme le contrairc de cet accomplissement : lc travail ct, corrla tivclllcnt, la division du travail et la proprit prive 4. !'.fais cette abolition des contraintes qui psent sur les individus rels ne saurait tre que le rsultat de l'action pratique des individus et non de la seule critique des reprsentations fausses, conune le croyaient les Jeunes-Hglicns. Ce n'est pas la conscicnce des hom mes qu'il s'agit cIe mocIificr cI'aborcI, mais la ralit sociale d'o procdc cette consciencc.'

1. P.2.

3 P. 474 4. ... dans la socit communiste, oil chacun n'a pas une sphre d'activit exclusive, mais peut sc perfectionner dans la branche qui lui plat, la socit rglemente la production gnrale, ce qui cre pour moi la possi bilit de faire aujourd'hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pcher l'aprsmidi, de pratiquer l'levage le soir, de faire de la critique aprs le repas selon mon bon plaisir... . P. 6.

P. 9 8 .

6J. De plus, il a entendu dire que la concurrence tait la guerre de tous contre tous et cette formule, amalgame sa rvolution dpouille de son carac tre sacr, constitue la pice matresse cie sa cc rvoltc >1.cc Cherchant une comparaison pour tre plus clair, Je pense, de faon trs inattendue, la fondation du christianisme. >J (p. 423). cc Le Christ , apprenons-nous ici, n'tait pas un rvolutionnaire, llIais u n rvolt qui s'est dress, lev3 AusRi n'attachai t,il de prix qu' un seul prcepte : cc Ayez la prudence des serpents. Il (I bidem)

Pour que la c c faon trs inattendue Il et le cc SCUl l) [prcepte] e Sancho aient un sens, il faut faire abstraction de la deuxime moiti du verset qu'il cite (Matthieu, 1 0, 1 6) : cc et l'innocence des colombes . Voil le Christ ohlig de faire figure, u ne deuxime fois, de personnage historique pour jouer le rle que jouent plus haut les Ngres et les1. Voir ci-dessus p. 4 1 5. 2. A u fhebt. 3. Stirner jOllc encore sur Jc llIots Emporer (rvolt), sic" emporrichlen (se dresser).

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III.

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Mongols. On ne sait toujours pas si le Christ est une illustration de la rvolte ou si c'est la rvolte qui doit tre une illustration du Christ. La crdulit germano-chrtienne de notre saint est tout entire rsume par cette phrase : le Christ (( a tari les sources de vie de tout le monde paen, ce qui devait amener de toute faon (il fau t comprendre : sans lui)) l'Etat existant dprir comme une plante fane. (p. 424). Fleur fane d'loquence sacre ! Voir plus haut les Anciens . Pour le reste, credo ut intelligam2, ou pour trouvcr une comparaison afin d 'trc plus clair n. Nous avons vu par d'innombrablcs cxcmples qu'cn toute occasion notre saint ne pense qu' l'histoire sainte, et ceci dcs moments o elle n'intcrvient contrc toute attente que pour le lecteur. De faon trs inattendue , il y pense mme dans le Commentaire , o Sancho fait dire aux critiques juifs de l'ancienne Jrusalcm, pour rfuter la dfinition chrtienne Dieu est amour : Voyez, c'est bien un dieu paen, ce Dieu dont les chrtiens annoncent la venue, car, si Dieu cst amour, il s'agit du Dieu Amor, le Dieu de l'Amour ! - Mais, contre toute attente , le Nouveau Testament est crit en grec et la dfinition chrtienne cst : 0 eEO cXycX7n') cmv3, (1. saint Jean, 4, 1 6,) alors que le Dieu Amor, le Dieu de l'Amour se nomme "Epwc;. Par quelle mthode les eritiques j uifs ont-ils opr la transformation de cXYClTn;4 en fFWC;6, il faudra que Sancho nous l'explique. A cet endroit du Commentaire , le Christ est en effet compar Sancho, toujours pour tre plus clair ; et il faut d'ailleurs reconnatre qu'ils se ressemblent de faon tout fait frappante, tant tous deux des tres de chair et le joyeux hritier, lui au moins, croyant une relation entre leurs deux existences, voire leur unicit. Sancho, Christ moderne : voil son ide fixe n laquelle tend , ds le dpart, tout ce montage historique. La philosophie de la rvolte, qui vicnt ainsi de nous trc expose cn mauvaiscs antithses ct fleurs de rhtorique fanes, n'est en dernire analyse qu'une apologie fanfaronne de l'arrivisme du parvenu (parvenu, arriviste, qui s'cst lev au-dessus de sa condi tion, rvoltS). Tout rvolt agissant gostement se trouve en face d'une situation donne particulire au-dessus de laquelle il cherche s'lever, sans se soucier des eonditions gnralcs. I I cherche se dgagcr de l'ordre existant dans la seule mesure o celui-ci constitue une cntrave pour lui ; par ailleurs, il chcrche1. J eu .IC 1Il0ts ; .Ie toute faon (ollnehin) rcssemb l e en al le mand sans lui (olme ihn). 2 .Je cro is pour compren.Ire. 3. Dieu est amour. 4. Amour (.Iu prochain), charit. 5. Amour sensuel (Cf. le mot fra n ais rotique ). 6. Marx met cn vidence une parent tymologique cntre les mots arri viste , parvenu et rvolt en lI11cmnnd. I l s drivent de III mme racine empor (mollter) ; Hmporkommling (parvenu), Emparer (rvolt).

L'idologie allemalldeplutt au contraire s'y in tgrer. Le tiss('rallli arriv Il ll ui evient inustriel sc libre de son mt ier tisser, i1 l'ahanonnl: ; par ailleurs le momIe continue d'aller comme avant, ct notre rvolt Il qui russit Il e contente d'exhorter hypocritement les autres devenir des parvenus comme lui l Toutes les rodomontades helliqueusl's de St irner tournent pour finir en morales de fables de Gellert2 ct en spculat ions qui ne font qu'interprter la mdiocrit hourgeoise. Nous avons vu jusqu' maintenant que la rvolte est tout ce qu'on veut, except u n acte. Page 342, nous apprenons que le procd qui consiste s'approprier ce qui est la porte de sa main n'est pas mprisable, mais reprsente au contraire l 'acte pur de l'goste ell accord at'ec lui-mme . Il fau t comprendre sans doute : des gostes d'accord elltre eux, car, sinon, l'acte d'appropriation revient au I( proc peu civilis des voleurs ou au procd civilis des bourgeois ; dans le premier cas, il n'a gure d'avenir ct, dans le ;,econd, cc n'est pas ulle rvolte )1. A noter qu' l'gostc en accord avec lui-mme et qui ne fait rien correspond ici l'acte pur )1, un acte qu'on ne pouvait gure attendre vrai dirc que d'un individu aussi peu actif. Eu passant, nous apprenons l'origine de la populace c t nuus pou vons prvoir quc c'est une fois de plus un l( article de foi ct la croyancc en cet art icle, au sacr, qui, pour changer, sc prsente cette fois SOllt; la forme de conscience d u pch : Cc n'est (lue parce que le fait de prendre cst u n pch, u n crin\(', c c n'est qu'cn vcrtu de c e t article d e foi qu'il existe une populace. . Seule en est responsable la vieille cOllscicnce d u pch. ) 1 (p. 342)..

Son article de foi lui, e'cst de croire 'lue la conscicnce l'st rcs ponsable de tout, ct c'cst ce qui fait tic lui U I I rvolt .) (t de la popu lace, un ramassill dc peheur. EII oppositioll avec cel le cOllsciellce du pch, l'goste ",'clleou rage et encourage la populace prendre cc (l ui cst la porte de ba llI aill dans les tcrmcs suivllnts : (( Je Mc dis : jusqu'o ya MOIl pouvoir, yoil Ma pru prit et Je revendique comme 1\Ia proprit tout cc quc Je Mc se ilS capable d'atteindre, etc. (p. 3,10). Ainsi, saint Saneho e dit qu'il yeut sc dire lJuelque chuse, il s'cxhorte avoir cc qu'il a et exprime sa situation relle sous la1 . [Passage bill' dans le manuscrit] : C'est l a vieille morale du petit bour geois : tout ira pour le mieux en ce monde si chacun pour soi essaie de russir le mieux possible et ne se proccupe pas de la faon dont va le monde. 2. GELLERT : fllbuliste allemand du XVIIIe sicle, imitateur de La Fontaine, d'esprit trs petit bourgeois.

Le

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I l l.

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forme d'un rapport d e force : c'est cettc paraphrase qui constitue d'ullc faon gnrale le secret de ses rodomontades (voir Logique ). Puis, lui qui est il chaquc instant ce qu'il peut tre et a donc aussi ce Il u'il peut avoir, le voici qui distingue sa proprit ralise, effective, iuserite en usufruit au compte de son capital, de sa proprit vir tuelle, de son Il sentiment de force irralis, qu'il inscrit au compte des profits ct pertes. Contribution l'tude comptable de la pro prit au sens cxtraordinaire du mot. L'importancc qu'il faut attribuer ce Il Jc Me dis solennel, Sancho nous la rvle dans un passage dj cit : I( Je .\le dis vide. .

c'est encore vrai dire un bavardage

Et il poursuit : Il L'golSte ) dit Il la populace aux mains vides pOUl' la (( fairc disparatre : (( Saisis ce qui est porte de Ta main et prl'nd8 cc tlont Tu as besoin ! ) ( p . 34,1). Combien cc ( 1 bavardage vle i mmdiatement.)

est (( vide , l'exelllpic suivant le r

Il Dans la fortune du banquier Je ne vois pas un objet tranger, pas plus que Napolon ne considrait commc trangers les pays des rois : Nous (le Je se transforme soudain en I( Nous )) n'avons aucun scrupule Nous cn emparer ct cherchons les moyens d'y parvenir. Nous la dpouillons donc de ce caractre d'objet tranger dont NOliS avions eu peur. (p. 369). Sancho a si l 'cu dpouill la fortune du banquier dc son I( carac tre d'objet tranger ) qu'il donne la populace le conseil bien inten t ionn de I( s'en emparer en s'cn saisissant. I( Qu'il la prenne ct voie ec \fui lui reste entre les mains ! )) Ce n'est pas la fortune du banquier mais du papier sans valeur, le cadavre )) de cette fortune qui n'est plus une fortune pas plus qu'un chien crev n'est encore un chien . La fortune du banquier n'est une fortune que dans le cadre des rapports de production et d'changes existants et on ne peut s'en emparer )) que dans les conditions cres par ces rapports ct par des moyens qui leur soient adapts. Et s'il prenait envie Sancho de s'attaquer d'autres biens, il s'apercevrait qu'il n'aurait gure plus de chance. Si bien que (( l'acte pur de l'goste en accord avec lui-mme se rduit en fin de compte un fort sor dide malentendu. I( Et voil o l'on en arrive avec le fantme ) du sacr. S'tant dit ce qu'il voulait se dire, Sancho fait maintenant tenir la populace rvolte les propos qu'il lui Il dicts. Il a, en effet, dans

422

L'idologie allemande

l'ventualit d'une rvolte, rdig une proclamation avec mode d'emploi, destine tre affiche dans tous les estaminets de villages et distribue dans les campagnes. Avec prire d'insrer dans les Messagers boiteux 1 et l'almanach officiel du duch de Nassau. Pour l'instant, les tendances incendiaires de Sancho se limitent aux eam pagnes, la propagande parmi les valets et les filles de ferme, l'exclusion des villes : nouvelle preuve de l a faon dont il a d pouill la grande industrie de son caractre d'objet tranger . En attendant, nous allons dOImer des extraits aussi complets que possible du prcieux2 document qui nous est prsent - il ne fau drait pas qu'il se perde - pour contribuer dans la mesure de nos forces rpandre une gloire bien mrite. ( Wig[andJ, p. 191) La proclamation se trouve pages 358 et suivantes et commence ainsi : Privilgis, par quoi Votre proprit est-elle donc garantie ? Par le fait que Nous Nous abstenons d'y portcr atteinte, par Notre protection par consquent Par le fait que Vous Nous faites violence. . ..

C'est d'abord par le fait que nous nuus abstenons d'y porter atteinte, autrement dit que nOlls nous faisons violence, ensuite par le fait que Vous nous faites violence. Cela va merveille. Continuons.cC: Si Vous voulez Notre respect, achetez-Ic au prix qui Nous convient Nous voulons simplement un prix quita ble. .

D 'abord les rvolts veulent vendre leur respect au prix qui leur convient , puis ils font de l'quit le critre du prix. C'est d'abord un prix arbitraire, ensuite un prix dtermin par les lois du commerce, par le cot de production et le rapport de l'offre et de l a demande, indpendamment d e tout arbitraire.

Nous Vous laisserons Votre proprit, si Vous compensez ce renoncement comme il convient... Vous crierez la violence si Nous y touchons sans violence

1. Hinkende BOl/en (ou Boren) : publications semblables un almanach qui apparurent vers 1 590 et constituaient un complment des Nouveaux journaux. Ces derniers apportaient dcs nouvelles trop rapides et donc souvent fausses. Les Messagers boiteux, par contre, faisaicnt une rtrospective des ,!nements d'une anne et accordaient plus d'importance l'authcnticit qu' l'actualit. On sc moquait souvent de cette lenteur. Des caricatures (graves sur bois) montraient un invalide juch l'envers sur un vieux cheval qui ne tenait plus sur ses pattes, tandis que le courrier passait devant lui au grand galop d'un cheval fougueux. Jusqu' l'poque moderne, les Messagers boiteux oni. eu beaucoup de succs : citons le Messager boiteux de Lahr (pays de Bade) 2. Dans l'dition Mega ne figure pas l 'adjectif wertvoll (prcieux)..

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Nous ne les aurons pas Il (il s'agit des hutres des pri vilgis) ... Nous ne voulons rien Vous prendre, rien du tout. Il D'abord nous Vous le laissons , ensuite nous Vous le prenons et sommes obligs d'employer la violence , et enfin nous aimons quand mme mieux ne rien Vous prendre. Nous Vous le laissons dans le cas o Vous y renoncez Vous-mmes ; dans un moment de lucidit, le seul que Nous ayons, nous nous rendons compte, il est vrai que ce laisser re'vient prendre et employer la vio lence , mais on ne peut quand mme nous reprocher en fin de compte de Vous c( prendre quoi que ce soit. Les choses cn restentl. Nous sueur de quelques vail. .. Ne

Nous chinons douze heures par jour la Notre front et Vous Nous offrez en change sous. Prenez-en donc al/tant pour Votre tra parl ons pas d'galit !

Les valets de ferme turcs de Stirner.

rvolts se rvlent tre de vraies

cra

Vous n'tes pas d'accord ? Vous Vous imaginez que Notre travail est largement rtribu par ce salaire et que, par contre, le Vtre vaut des mille ct des cents. Mais si Vous n'estimiez pas le Vtre un tel prix et si Vous Nous laissiez tirer meilleur parti du l'itre, Nous raliserions peut-tre l'occasion un travail bien plus important que ce que Vous faites pour tant de milliers de thalers!, et si Vous n'aviez qu'un salaire comme le Ntre, Vous ne tarderiez pas travailler avec plus d'ardeur pour avoir davantage. Si Vous fournissez un travail qui Nous semble valoir dix, cent fois plus que Notre propre travail, eh bien (Ah ! le brave et fidle serviteur 1) Vous recevrez en change cent fois plus ; mais Nous pensons, Nous aussi, produire des choses que Vous Nous rtribuerez un tarif bien plus lev que Notre salaire journalier ordinaire.

Tout d'abord les rvolts se plaignent de ee que leur travail n'est pas assez pay. Mais la fin ils promettent de ne fournir Ull travail qu'cc il faudra rtribuer un tarif plus lev que le salaire journalier ordinaire Il que si on les paye davantage. Puis ils croient qu'ils pro duiraient des choses extraordinaires, si seulement ils toucbaient un meilleur salaire, tandis qu'en mme temps ils attendent du capita liste des rsultats extraordinaires pour peu que son salaire soit1. Thaler : ancienne monnaie d'argent, valant 3 marks-or (approximati vement 30 F aetuels).

L'idologie ullema/H/eabaiss au niveau du leur. Enfin, aprs avoir accompli ce tour dl' force conomique qui consiste transfurmer le profit en salaire, ce pro fit qui est ulle forme ncessaire du (lapilal et sans lequel ils pri raient en mme temps que le capitalisll', ils ralisent ce miracle dl' payer cent fois plus que leur propre travail n, c'est--dire cent fois plus qu'ils ne gagnent. Tel est le sens de la phrase ci-dessus. si Stirner (( pense ce qu'il dit n. Mais s'il a simplement commis une faute de style, s'il a voulu faire offrir par les rvolts pris ensemble cent fois plus que chacun d'eux ne gagne, alors il leur fai t proposer au capitaliste ce que tout capitaliste empoche dj l'heure actuelle, ni plus ni moins. Que le t ravail du capitaliste, en liaison avec son capita l , vaille le dcuple, voire le centu ple de ce que vaut le travail d'un simple ouvrier, c'est clair. Dans ce cas-l. comme toujours. Sancho ne change rien rien. Nous finirons bien par t rouver Ull terrain d'ententt>, si seulement Nous Nous mettons d'accord sur ce point : personne n'a faire de cadeau l'autre. Nous irons mme jusqu' payer les invalides, les vieillards ct les malades un prix suffisant pour (IU'ils ne meurent pas, victimes de la faim et de la misre ; car si Nous voulons qu'ils vivent, il convient aussi d'acheter la ralisat ion de Notre volont. Je dis hien acheter, il ne s'agit donc pas de misrable aumne.

Cet pisode sentimental des invalides, etc., est destin prollvf'r que lcs valets de ferme rvolts de Sancho se sont hausss ce niveau de la conscience bourgeoise o ils ne veulent ni faire de ca deaux ni en recevoir et o ils se figurent que la dignit et l'intr;'t des deux parties en prsence sont sauvt>gards ds lors que ce rap port est transform en march. A cette proclamation tonitruante du pcuple rvolt dans l'ima gination de Sancho succde le mode d'emploi sous forme I)'un dia logue entre le propritaire foncier ct ses domestiqueR, le propritairl' se comportant comme Szeliga et les domestiques comme Stirner. Dans ce mode d'emploi les strikes1 anglaises et les coalitions ouvrires franaises2 sont fabriqul"s a priori la berlinoise. Le porte-parole des valets : Que possdes-Tu donc? Le propritaire : J 'ai ulle proprit de mille ar pents. Le porte-parole : ( Et moi, Je suis Ton valet et dsor mais Je ne cultiverai Ton champ que pour un salairt journalier d'un thaler. Le propritaire : Al n rs, J'engage u n autre valet. 1. Grves. 2. Les grvc ont t appeI('s

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Le porLc-parolc : Tu n'en trouveras pas, car Nous, les domestiques, Nous ne travaillerons plus d'autres conditions : et s'il s'en prsente un qui accepte moin, qu'il prenne gardc Nous ! Et voici la servante qui rclamc autant, elle aussi, maintenant et Tu n'en trou veras pas d'autre en dessous de ce tarif. Le propritaire : Alors c'est ma ruine certaine ! ) Les valets, en chur : Pas si vite ! Tu toucheras bien autant que Nous. Et s'il n'pn tait pas ainsi, NOliS Cil rabattrions assez pour que Tu puisscs vivre COIJ1!11C Nous. - Ne parlons pas d'galit ! Lc propritairc : cc Mais Je suis habitu il vivre mieux ! Les valets : (c Nous n'avolls rien l-cont re. Mais ee n'est pas Notre aH'aire ; si Tu peux mettrc davantagc dc ct, tant micux. Faut-il Nous louer au-dessous du tarif pour que Tu puisses mener la bellc vic ? Le propritaire : cc Mais Vous, qui n'tcs pas c1es gens cultivs, n'avez pas autant dc bcsoins quc Nous ! Lcs valets : (( Eh bien justcmcnt, Nous prcnolls Ull pcu plus pour pouvoir Nous procurer cette culture qui Nous manque sans doute. Le propritaire : (c Mais si Vous ruinez ainsi les riches, qui dOllc subventionnera alors les arts ct les sciences ? Lcs valets : (c Tiens, mais il faudra que cc soit l a lIlasse ; Nous Nous cotiserons, cela fera une coquette petite somme ; ct d'ailleurs, Vous. les richcs, Vous n'achetez quc les livres les plus plats. les madone pleurnichardes ou une paire de j ambes de danseusc. ) Le propritaire : cc 0 funeste galit ! Les valets : cc Non, mon bon vieux monsieur, Ile parlons pas d'galit. Nous voulons tre apprcis Notrc j uste valeur et si Votre valeur est plus grande. ma foi, Vous serez apprci davantage. Nous ne voulolU; qu'un prix quitable et Nous pensons Nous montrer dignes du prix que Vous Nous paierez. A la fi n de ce chef- d'uvre dramatique, Sancho rcconnat qu'vi dcmment cc l'unanimit dcs valets est indispcnsable n. Comment se ralisc-t-c l le, on ne nous l e dit pas. Ce qu'on 1l0US dit, c'cst que II' va l et 8 n'ont pas l'intention de m odi fier en quoi que cc !oit les ra}) ports de production ct d'changes existants, mais simplement d 'arra chcr au propritaire foncicr ce qui correspond la diffrence entrc ses dpenses ct lcs lcurs. Quc cette diffrence, rpartie sur la masse des proltaires, ne puisse procurer chacun qu'une bagatelle qui n'am liorerait pas le moins du monde sa situation, c'cst cc qui illlpor\( peu notre bOTlhomme dhordant de bonnes intentions. De que l type d'agriculture relvent ces hroques valets de fernH', nous l e

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voyons tout de suite aprs la conclusion du drame lorsqu'ils se trans forment en domestiques tout court. Ils vivent donc sous un rgime patriarcal oll la division du travail cst cncorc trs peu dve loppe ct o, du rcste, toute cettc conjuration atteindra ses fins dernires sous la forme de quelques coups dc bton dont le pro pritaire gratifiera le porte-parole aprs l'avoir conduit dans la grange, tandis que dans les pays plus civiliss le capitaliste rgle l'affaire en arrtant le t ravail quelque temps et en envoyant s'amuser les ouvriers. Quel sells pratique Saneho manifeste en construisant son chef-d'uvre pt comme il reste dans les limites du vraisemblable, c'est ce qui ressort tout particuliremcnt de la coali tion des servantes - mise part l'ide trange de vouloir mettre sur pied un turnout1 des valets de fermc. Et quelle candeur de croire que le prix du bl slIr lc march mondial s'tablira sur la base des rcvendications de salaire de ces valets du fin fond de la Pomranie et non d'aprs le rapport de l'offre et de la demande ! Ce qui fail vraiment un effet de choc, c'est le topo surprenant des valets sur la littrature, la dernire cxposition de peinture et la danseuse la mode ; l'effet de surprisc subsiste mme aprs la question trs inat tendue du propritaire concernant les arts et lcs sciences. Ces gens deviennent tout fait courtois, ds qu'ils abordent la question de la littrature, et le propritaire en diffieult oublie mmc pour un ins tant la ruine qui le menaee pour manifester son dvoment la eause ds arts et des scienees. Finalement lcs rvolts eux aussi l'assurent de leurs bonnes intentions et lui dclarent, ce qui le tran quillise, qu'ils ne sont pousss, ni par le vil intrt ni par des ten dances subversives, mais par les plus purs mobiles moraux. Ils ne veu lent qu'un prix quitable et promettent sur leur honneur d'honntes gens qu'ils se montreront dignes du prix plus lev qu'on leur paiera. Toute cette histoire n'a qu'un but : assurer chacun son d, un salaire juste et honnte, des plaisirs honntement acquis par le travail . Que ce prix dpende de la situation du march du travail et non de la rvolte morale de quelques valets de ferme frus de littrature, c'est un fait qu'on ne saurait assurment demander nos braves gens de connatre. Ces rvolts du fin fond de la Pomranie sont si modestes qu'ils veulent, en dpit de leur unanimit , qui les rendrait capables de bien d'autres choses, rester des valets aprs comme avant ; un salaire journalier d'un thaler cst le dsir suprme de leur cur. En bonne logique, ee n'est donc pas eux qui catchisent le pro pritaire, qu'ils tiennent merci, mais c'est le propritaire qui les catehise. Le courage tranquille et la c( mle fiert du domestique s'ex priment aussi dans les propos fermes et virils qu'il tient, lui ct ses compagnons. Sans doute - tiens il faudra que ce soit la-

1 . Cessation de travail, le mot Strcik (grve) n'existe pas cncore, cette poque dans le vocabulaire allemand.

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masse - coqueLte petite sommc - mon bUll vieux monsieur - ma foi. Plus haut dj, dans la proclamation, 011 pouvait lire : peut tre l'occasion - eh bien - nous pensons produire - sans doute peut-tre, etc. A croire que les valets de ferme ont eux aussi enfourch le fameux cheval Clavileiio1 2 Toute la bruyante rvolte de notre Sancho sc rduit donc, en dernire analyse, un turnout, mais un turnout au sens extraordinaire du terme, un turnout berlinis. Alors que les tur nouts, dans les pays civiliss, constituent un aspect de plus en plus lmentaire du mouvement ouvrier parce que la liaison de plus en plus gnrale des ouvriers entre eux conduit d'autres formes de mouvement, Sancho tente de prsenter cette caricature petite bourgeoise de turnout comme la forme ultime et suprieure de la lutte historique mondiale. Les vagues de la rvolte nous jettent maintenant sur les rivages de la Terre promise o coulent le miel et le lait, o tout bon Isralite campe sous son figuier et o a commenc le Millenium8 de la com prhension .

III. L'ASSOCIATION.

A propos de la rvolte, nous avons d'abord pass en revue les rodomontades de Sancho, pour nous attacher ensuite la faon dont se droulait dans la pratique l'acte pur de l'goste en accord avec lui-mme . Nous entreprendrons pour 1' Association la dmarche inverse en examinant d'abord les institutions positives pour ensuite les confronter avec les illusions que se fai t notre saint sur ces institutions.

1. Proprit foncire Si, retirant aux propritaires la jouissance du sol, Nous voulons Nous l'approprier, Nous Nous runissons cette fin, formons une Association, une socUt*, qui s'rige en propritaire ; Cil cas de russite, les premiers propritaires du sol cessent d'tre propritaires . Le

1. Cheval de bois sur lequel des plaisantins ont fait monter Don Quichotte les yeux bands en lui faisant croire qu'il vole ainsi travers le systme solaire. 2. [Passage biff dans le manuscrit :] En France, on produit relativement plus qu'en Pomranie. En France, d'aprs Michel Chevalier si l'on rpartit galement toute la production annuelle sur l'ensemble de la population, on trouve 97 francs par tte, ce qui fait pour une famille...Bruxelles 1845.

CHEVALIER

Michel

:

Co"r d'conomie politique f ait a" Collge d. Franc.,

3. Empire millnaire que le Christ doit instaurer selon ccrtaines croyances.

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bien-fonds devient alors II la proprit de ceux qui s'en emparent... Et ces individus, constitus en collec tivit, ne disposeront pas du sol moins arbitrairement qu'un individu pris isolment ou propritaire* selon le terme consacr. Dans ces conditions aussi, la pro prit subsiste, et l encore sous sa forme exclusive )1, tant donn que l'humanit, cette grande socit, exclut l'individu de ce qui est sa proprit elle, lui en don nant la rigueur une simple parcelle bail, titre de salaire ... Les choses resteront et deviendront ainsi. L'objet auquel tous veulent avoir part est retir l'individu qui veut l'avoir pour lui tout seul, il est trans form en bien collectif. Bien collectif, chacun en a sa part et cette part est sa proprit. Dans notre systme traditionnel, une maison qui appartient cinq hritiers n'est-elle pas ainsi leur bien collectif, tandis que le cinquime du revenu est la proprit de chacun des cinq ? (pp. 329, 330). Nos valeureux rvolts s'tant forms en association, en socit et s'tant, en cette qualit, empars d'une parcelle de terrain, voici que cette socit* , cette personne morale, s'rige en propri taire n. Et pour qu'on ne s'y mprenne pas, on nous dit tout de suite que cette socit exclut l'individu de la proprit, lui en donnant la rigueur une simple p arcelle bail, titre de salaire . C'est de cette faon que saint Sancho reprend son compte et au bnfice de son Association le communisme tel qu'il se l'imagine. Le lecteur se rappellera que Sancho, dans son ignorance, a reproch aux communistes de vouloir riger la socit en propritaire suprme, remettant l'individu son cc avoir sous form e de fief. Examinons ensuite la perspectie que Sancho ouvre ses quipiers cc d'avoir une part du bien collectif . En une autre occasion, ce mme Sancho critique eneore les communistes en ces termes : c( Que les richesses appartiennent la collectivit qui m 'en remet une part ou appartiennent des propritaires individuels, cela reprsente pour Moi la mme contrainte, tant donn que Je ne peux en dis poser absolument ni dans un cas ni dans l'autre (et voici pour quoi cc l'ensemble de la collectivit lui retire les biens dont elle ne veut pas qu'ils lui appartiennent lui tout seul, lui faisant ainsi sentir le pouvoir de la volont collective). Troisimement, nous retrouvons ici encore le caractre exclusif qu'il a si souvent reproch la propri't bourgeoise, caractre en vertu duquel (c il n'est mme pas propritaire du pauvre petit point sur lequel il volue )J. Disons plutt qu'il n'a que le droit et le loisir d'y croupir en tant que tenancier1 misrable et opprim. tenure )) a ete attrIbu!'.

1 . Tenancir. : das le systme

fodnl, rotnrl'r on paysan

qui ulle

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Quatrimement, Sancho reprend ici sou compte le systme fodal qu'il a retrouv, son grand dplaisir, dans toutes les formes de socits jusqu'ici existantes ou imagines. La socit qui s'empare de la terre se comporte peu prs comme les associations de Germains demi sauvages qui se sont empars des provinces romaines et y ont tabli un systme fodal primitif, tout pntr encore de traits caractristiques du vieux systme tribal. Elle donne chaque individu un petit bout de terre titre de salaire . Au niveau o se trouvent aussi hien Sancho que les Germains du VIe sicle, le systme fodal a encore, il est vrai, plus d'un point commun avec le systme du salaire1 )l. I! va de soi du reste que la proprit tribale, remise ici l'honneur par Sancho, ne tarderait pas se dcomposer en peu de temps, pour aboutir au systme actuel. Sancho lui-mme s'en rend compte quand il s'crie : les choses resteront et (ce et est splendide) devien dront ainsi et il prouve pour terminer, par son magnifique exemple de la maison appartenant cinq hritiers, qu'il n'a nullement l'inten tion de dpasser les structures sociales actuelles. Tout son plan d'organisation de la proprit foncire ne vise qu' nous ramener, par un dtour historique, au bail hrditaire petit bourgeois et la proprit familiale des villes d'Empire allemandes. De notre systme traditionnel, c'est--dire celui que nous avons encore aujourd'hui, Sancho n'a repris que cette absurdit juridique selon laquelle les individus ou propritaires disposent arbitraire ment de la proprit foncire. Dans 1' Association , cet arbi traire imaginaire subsiste, attribu cette fois la socit . Ce que l'on fait du sol est pour 1' Association si indiffrent que la socit donnera peut-tre aux individus des parcelles bail, ou peut-tre n'en donnera pas. - Qu'une organisation donne du travail agricole entralle une forme donne d'activits, subor donne un niveau dtermin de la division du travail, Sancho assu rment ne peut pas le savoir. Mais tout autre que lui s'apercevra que les petits tenanciers que Sancho propose de crer sont fort loin de cette situation o chacun d'eux pourra devenir un Moi tout-puissant et leur proprit, rduite une misrable parcelle, s'accorde trs mal avec cette proprit de toutes choses qu'il nous a tant vante. Dans le monde rel, les rapports des individus entre eux dpendent du mode de production qui est en vigueur, ct c'est pourquoi il se pourrait que le peut-tre de Sancho flanque par terre toute SOIl Association. Mais peut-tre aussi, ou plutt sans aucun doute, c'est la conception que Sancho a en ralit des rapports des individus au sein de l'Association qui apparat ici, et cette conception c'est que les rapports gostes ont pour base le sacr. Sancho nous prsente ici la premire institution de sa future Association. Les rvolts, qui aspiraient se passer de constitu1. Jeu z pa!! sOlls-estimer la valeur d.. ce que Vous donnez. I( N'en diminut> z pas le p r i x . )) I( Ne Vous lasiiez pas I()n t raindre liquid er ali dessous du prix. Ne Vous en laissez pas accroire, si oU' Vous dit que Votre marchandise ne vaut pas son prix. cc Ne Vous rendez pas ridicule par un prix drisoire. )) Imitez les audacieux , etc. ! P. 420 : Tirez p arti de Votre proprit ! Tire parti de Toi-mme ! II Ces maximes de pacotille que Sancho a apprises d'un Juif d'Anda l ousie donnant son fils des rgles de vie et de ngoce et qu'il tire maintenant de sa besace, voil la richesse principale de l'Association.1. Voir HEINE : CI Sonettellkranz an A. W. Schlegel ( Couronne cie 80n Ilet pour A. W. SC'hll'gl'l n) , BI/rh ,1er Li,cl,r (U"re cle" chants). 2. Vermogen.

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Le fondement de toutes ces maximes, c'est le grand principe de la page 351 : Tout ce que Tu peux constitue Ton bien1 Cette phrase, ou bien n'a pas de sens. c'est--dire qu'elle se rduit une simple tautologie, ou bien est un non-sens, une ineptie. C'est une tautologie si elle signifie : Ce que Tu peux, Tu le peux. C'est une ineptie si le deuxime terme est pris au sens habituel , s'il est cens dsigner la fortune, la fortune commerciale, et si tout repose sur cette tymologie. L'ambigult rside trs prcisment dans le fait que l'on attribue mon pouvoir la facult de produire autre chose que ce qu'il peut produire, par exemple que l'on attend de mon pouvoir d'crire des vers la facult de convertir ces vers cn monnaie sonnante et trbuchante. On attend en fait de mon pouvoir quelque chose qui n'a rien voir avec le produit propre dc cette facult particulire, un produit qui dpend de conditi ons extrieures chappant ce pouvoir. Cette difficult est cense tre rsolue dans l'Association par un jeu de mots bas sur l'tymologie. On voit que notre matre d'cole goste vise un poste importunt dans l'Asso ciation. Du reste, cette difficult n'est qu'apparenle. C'est le principe central de la morale bourgeoise : anything is good to ml/ke money op qui est ici complaisamment tal dans le style pompeux caract rist ique de Sancho.

C. 1\10rales, changes, thorie de l'exploitation.P. 352 : Vous procdez de faon goste si Vous Vous considrez les uns les autres non comme des propri taires, des gueux, ou des ouvriers, mais comme une partie de Votre patrimoine, comme des sujets utilisables. Alors Vous ne donnerez rien, ni au propritaire pour ce qu'il possde, ni celui qui travaille, mais Vous donnerez seulement celui dont Vous avez besoin. Avons-Nous besoin d'un roi ? se demandent les Amricains du Nord et ils rpondent : Pour Nous, ni lui ni son travail ne valent u n sou. Par contre, il reproche, page 229, la priode bourgcoise : Au lieu de Me prendre comme Je suis, 011 considre u niquement ce que Je possde, cc que Je suis capable de faire, et on contracte avec Moi une alliance matri llloniale3 uniquement pour l'amour de Mes biens. 011 pouse en quelque sorte ce que J'ai, non ce que Je suis. 1 . Marx revient longuement sur le procd de Stirner qui joue slIr le double Aens du mot Vermogen. 2. Toute chose est bonne faire de l'argent. 3. Dans Stirner, il y a : alliance honnte.

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Autrement dit, par consquent, on ne tient compte que de ce que Je suis pour autrui, du parti qu'on peut tirer de Moi, on Me traite comme un sujet utilisable. Sancho crache dans la soupe de la priode bourgeoise pour l'avaler ensuite, tout seul, dans l'Association. Si les individus de la socit actuelle se considrent les uns les autres en tant que propritaire, ouvriers, et, si Sancho y tient, en tant que gueux, cela signifie simplement qu'ils se traitent en sujets utilisables ; c'est l un fait que seul un individu aussi inutilisable que Sancho peut mettre en doute. Le capitaliste qui considre l'ouvrier comme ouvrier ne tient compte de lui que parce qu'il a besoin d'ouvriers ; l'ouvrier en use de mme avec le capitaliste ; comme aussi les Amricains qui, selon l'opinion de Sancho (il voudra bien nous indiquer quelle source il a pris ce fait historique), n'ont pas besoin de roi pour la seule raison qu'ils n'ont pas besoin de son travail. Sancho a encore choisi son exemple avec sa maladresse habituelle, en voulant lui faire dmontrer le contraire de ce qu'il dmontre en ralit. P. 395 : Tu n'es pour Moi qu'une nourriture, de mme que Moi aussi, Je Te sers d'aliment, d'objet de consommation. Entre Nous, n'existe qu'une seule relation : quoi pouvons-Nous servir, quoi tre utiliss, tre utiles. P. 416 : Nul n'est pour Moi une personne que Je doive respecter, ceci est vrai aussi de Mon semblable ; l'instar d'autres tres (!) il est pour Moi uniquement un objet dont Je M'occupe ou Je ne M'occupe pas, qui M'intresse ou ne M'intresse pas, un sujet utilisable ou inutilisable. Ce rapport d' utilisation possible qui est prtendment la seule relation des individus entre eux dans l'Association se trouve, tout de suite aprs, paraphras dans cette image de nourriture rciproque. Les chrtiens accomplis de l'Association communient, eux aussi bien entendu, non pas en avalant l'hostie ensemble, mais en se servant rciproquement d'hostie. A quel point cette thorie de l'exploitation rciproque, dj dve loppe satit par Bentham, pouvait apparaitre, ds le dbut de ce sicle, comme une tape appartenant au sicle prcdent, c'est ce que Hegel dmontre dans la Phnomnologie. Voir dans cet ouvrage Le Combat de la philosophie des Lumires contre la superstition , o la thorie de l'utilisation possible est prsente comme le produit final de la philosophie des Lumires. Cette apparente niaiserie, qui consiste rduire les multiples rapports que les hommes ont entre eux cet unique rapport d'utilisation possible, cette abstraction d'apparence mtaphysique, a pour point de dpart le fait que dans la socit bourgeoise moderne, tous les rapports sont pratiquement subordonns et rduits au seul rapport montaire abstrait, au rapport du troc. Cette thorie apparut avec Hobbes et Locke : elle fut

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contemporaine de l a premire et de l a deuxime Rvolution anglaise, des premiers coups qui permirent la bourgeoisie de se tailler une part du pouvoir politique. Dans les ouvrages des conomistes, elle constitue naturellement, avant cette poque dj, un postulat tacite. La science proprement ditc de cette thorie de l'utilit, c'est l'conomie ; chez les physiocrates, elle apparat avec son contenu vritable, car ce sont eux qui ont propos les premiers une vue d'ensemble systmatique de l'conom ie. Chez Helvtius et d'Holbach dj, on rencontre une idalisation de cette doctrine qui correspond tout fait l'attitude oppositionnelle de la bourgeoisie- franaise avant la Rvolution. D'Holbach prsente toute manifestation active des individus rsultant de leurs relations mutuelles, par exemple, parler, aimer, etc., comme un rapport d'utilit et d'utilisation. Les rapports rels prsupposs ici sont la parole, l'amour, manifestations dtermines de facults dtermines des individus. Mais, dans cette perspective, ces rapports ne sont pas censs avoir leur signification propre. Ils sont censs tre l 'expression et la manifestation d'un troisime rapport prsent comme sous-jacent, le rapport d'utilit6 ou d'utilisation. Cette transposition, absurde et arbitraire, ne cesse de l'tre qu' partir du moment o les premiers rapports n'ont plus pour les individus d'importance en eux-mmes, o ils ne reprsentent plus une activit spontane mais un masque qui recouvre non pas la catgorie abstraite d'utilisation, mais un but rel, un rapport rel, celui-l mme qu'on appelle rapport d'utilit. Ce dguisement sur le plan du langage n'a de sens que s'il constitue l'expression consciente ou inconsciente d'un dguisement rel. Dans le cas prsent, le rapport d'utilit a un sens tout fait prcis, il signi fie que je tire un profit du tort que je fais un autre (exploitation de l'homme par l'homme) ; dans ce cas prcis, en outre, le profit que je tire d'un rapport est u n lment compltement tranger ce rapport, c'est ce que nous avons vu cidessus au chapitre biens : on attend de toute aptitude un produit qui lui est tranger, c'est une relation dtermine par les conditions sociales - et cette relation est prcisment une relation d'utilit. Tout ceci se vri fie rellement chez le bourgeois. Pour lui, il n'y a qu'un seul rapport qui ait en luimme un intrt, c'est le rapport d'exploitation ; tous les autres rapports n'ont d'intrt pour lui que dans la mesure o il peut les ramener ce rapport-l, et mme quand i l se trouve en prsence de rapports qui ne se laissent pas directement cataloguer dans le rapport d'exploitation, il les y classe, au m oins sur le plan de l'illusion. L'expression matrielle de ce profit qu'on tire des choses, c'est l'argent, le reprsentant de la valeur de toutes choses, gens et rapports sociaux. On voit d'ailleurs du premier coup d'il que c'est seulement des relations d'changes relles que j 'entretiens avec d'autres hommes qu'on peut dduire, par ahstraction, la catgorie (c utilisation ; elle ne peut se dduire ni de la rflcxion ni de la simple volont ; et prsenter alors ces relations comme des preuves de la ralit de cette catgorie qu'on a ahstraite d'eux, c'est une

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faon de procder purement spculative. De la mme m amere et tout aussi lgitimement, Hegel a prsent tous les rapports comme des rapports de l'esprit objectif. La thorie de d'Holbach est donc l'illusion philosophique, historiquement justifie, sur le rle de la bourgeoisie dont c'est prcisment l'avnement en France et dont la volont d'exploitation pouvait tre encore interprte comme une volont de voir les individus s'panouir compltement dans des changes dbarrasss des vieilles entraves fodales. Cette libration, du point de vue de la bourgeoisie, c'est--dire la concurrence, c'tait certes la seule faon possible au XVIIIe sicle d'ouvrir aux individus la voie d'un plus libre dveloppement. La proclamation thorique de cette prise de conscience correspondant la pratique bourgeoise, prise d e conscience d e l'exploitation rciproque en t ant que rapport universel dcs individus entre eux, constituait, elle aussi, un progrs hardi et manifeste, une mise en lumire sacrilge de l'exploitation, dpouille ainsi des dguisements politiques, patriarcaux, religieux et sentimentaux qu'elle avait sous la fodalit ; cette idalisation correspondait la forme d'exploitation de l'poque fodale dont spcialement les crivains de la monarchie absolue avaient tir tout un systme. Mme si Sancho avait fait dans son Livre ce qu'Helvtius et d'Holbach ont fait au sicle dernier, son anachronisme n'en serait pas moins ridicule. Mais nous avons vu qu'il a remplac l 'gosme bourgeois entreprenant et actif par un gosme fanfaron, l'gosme en accord avec lui-mme. Il n'a qu'un mrite, mrite inconscient et involontaire, c'est d'tre l'expression des petits bourgeois d'aujour d'hui qui aspirent devenir de vrais bourgeois. Il tait tout fait logique que l'Unique , reprsentant de ces petits bourgeois, inonde le monde entier de ses vantardises, aussi charlatan, fanfaron et sr de lui qu'ils sont mesquins, timors et borns dans leur compor tement pratique ; rien ne reflte mieux la situation de ces petits bourgeois que le fait qu'ils ne veulent pas entendre parler de leur hros fort en gueule et que ce hros ignore tout d'eux, qu'ils ne sont pas d'accord entre eux et qu'il en est rduit prcher l'gosme en accord avec lui-mme ; Sancho aperoit peut-tre maintenant le cordon ombilical qui relie son Ass'ociation au Zollverein1 Il existe une exacte interdpendance entre les progrs de la thorie de l'utilit et de l'exploitation, ses diffrentes tapes, et les diffrentes priodes de l'volution de la bourgeoisie. Chez Helvtius et d'Hol bach, cette thorie n'a jamais beaucoup dpass, si l 'on en considre1. Jeu de mots sur Verein (association) et Zollverein (union douanire). Celle-ci fut une union conomique et politique des diffrents tats allemands sous l'gide de la Pmsse pour la suppression des douanes intrieures et l'ta blissement de tarifs douaniers communs. Elle fut constitue le 1er janvier 1834 par la Pmsse et d'autres tats de la Confdration allemande. L'Autriche et quelques petits tats n'y adhrrent pas.

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le contenu rel, le niveau d'une transposition des formules employes par les crivains de la monarchie absolue. Les formules taient diffrentes, c'tait plutt le dsir de ramener tous les rapports au rapport d'exploitation, d'expliquer les changes par les besoins matriels et la faon dont ils taient satisfaits que l'action elle-mme. La tche accomplir tait dfinie. Hobbes ct Locke avaient sous les yeux aussi bien le dveloppement antrieur de la bourgeoisie hollandaise (ils vcurent tous les deux pendant un temps en Hol lande) que les premires actions politiques par lesquelles la bour geoisie brisa en Angleterre ses limites locales et provinciales, sans oublier le niveau relativement dvelopp des manufactures, du commerce maritime et de la colonisation ; cela est surtout vrai pour Locke, qui crivit au moment o l'conomie politique anglaise connaissait son premier dveloppement, o naissaient les socits par actions, la banque anglaise, ct o s'affirmait la suprmatie mari time de l'Angleterre. Chez eux et tout particulirement chez Locke, la thorie de l'exploitation est encore directement lie un contenu conomique. Helvtius et d'Holbach avaient devant eux, sans parler de la thorie anglaise et de l'volution dj accomplie par la bourgeoisie d'Anleterre et de Hollande, l'exemple de la bourgeoisie franaise en lutte pour son libre panouissement. L'esprit de ngoce gnra lement rpandu au XVIIIe sicle s'tait empar de toutes les classes de la socit, en France notamment sous la forme de la spculation. Les emban-as financiers du gouvernement ct les dbats sur la fisca lit qui en taient la consquence intressaient, ds cette poque, la France entire. Ajoutons cela que Paris tait, au XVIIIe sicle, la seule mtropole, la seule ville o s'tablissaient des relations per sonnelles entre individus de toutes les nations. Ces prmisses, j ointes au caractre davantage universaliste des Franais en gnral, don nrent la thorie d'Helvtius et de d'Holbach cette couleur particu lire de caractre universel, tout en la privant du contenu conomique positif qu'on rencontrait encore chez les Anglais. La thorie, chez les Anglais encore simple constatation d'un fait, se dveloppe chez les Franais pour devenir un systme philosophique. Ce caractre de gnralit, avec disparition du contenu positif, qui se m anifeste chez Helvtius et d'Holbach, est fondamentalement diffrent de l'universalit nourrie de donnes concrtes qu'on rencontre pour la premire fois chez Bentham et Mill. La premire correspond la bourgeoisie en lutte, en voie de dveloppement, la seconde la bourgeoisie triomphante, qui a achev sa croissance. Le contenu de la thorie de l'exploitation, nglig par Helvtius et d'Holbach, fut dvelopp et systmatis, l'poque o crivait ce dernier, par les physiocrates. Mais ceux-ci basaient leur analyse sur les conditions conomiques assez primitives de la France, une poque o le fodalisme, qui met au premier plan la proprit fon cire, n'tait pas encore bris ; aussi restrent-ils prisonniers de l'optique fodale dans la mesure o ils firent de la proprit foncire

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et du travail agricole la force productive qui dterminc la physio nomie de toute la socit. Le dveloppement ultrieur dc la thorie de l'exploitation passa en Angleterre par Godwin, mais surtout par Bentham, qui y rintgra peu peu le contenu conomique nglig par les Franais, au fur et mesure que la bourgeoisie, en Angleterre aussi bien qu'en Francc, tendait son influence. Le livre de Godwin : Political Justice, fut crit pendant la Terreur, les principales uvres de Bentham pendant et aprs la Rvolution franaise et lors du dveloppement de la grande industrie en Angleterre. Finalement, on trouve chez Mill la fusion complte de la thorie de l'utilit et de l'conomie politique. L'conomie politique, tudie autrefois, ou bien par des financiers, des banquiers ou des ngociants, donc en rsum par des hommes qui avaient directement affaire aux questions conomiques, ou bien par des esprits universels comme Hobbes, Locke, Hume, qu'elle intressait en tant que branche du savoir encyclopdique, fut levc au rang dc science particulire par les physiocrates d'abord, et c'cst depuis cux qu'on la traite comme telle. En tant que scienLe spcia lise, elle engloba les rapports politiques, j uridiques, etc., dans la mesure o elle les rduisait aux rapports conomiques. Mais elle considra cette subordination de tous les rapports elle-mme comme un aspect parmi d'autres de ces rapports et elle leur laissa par ailleurs une signification propre, indpendante de l'conomie. C'est chez Bentham seulement que tous les rapports existants sont subordonns au rapport d'utilit, c'est uniquement chez lui qu'on rencontre la promotion inconditionnelle de ce rapport d'utilit, cens reprsenter lui seul le contenu de tous les autres, une poque o, aprs la Rvolution franaise et le dveloppement de la grande industrie, la bourgeoisie* n'apparat plus comme une classe parmi les autres, mais comme la classe dont les conditions d'exis tence sont celles de la socit tout entire. Lorsqu'il n'y eut plus rien tirer des paraphrases sentimentales et moralisantes qui constituaient chez.les Franais tout le contenu de l'utilitarisme, il ne resta plus qu'une question susceptible de permettre uni dveloppement ultrieur de cette thorie : comment utiliser, exploiter les individus et les rapports qu'ils' entretiennent. La rponse cette question avait dj t donne entre temps par l'conomie ; le seul progrs possible rsidait dans l'intgration du contenu conomique. Bentham ralisa ce progrs. Mais l'conomie politique avait dj nonc cette ide que les rapports fondamen taux de l'exploitation taient, en gros, dtermins par la production, indpendamment de la volont des individus isols, et que les indi vidus les trouvaient tout constitus. Il ne restait alors l'utilitarisme qu'un seul champ ouvert ses spculations : la situation des individus en face de ces rapports l'chelle de la socit, l'exploitation prive par les individus d'un monde qu'ils trouvaient tout constitu. Sur1 . L' J1:dition Mega indique : le.

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cette question, Bentham et son cole se sont livrs de longues r6exions moralisantes. Toute la critique que l'utilitarisme fait du monde existant voit du mme coup sa perspective rtrcie. Prisonnier des lois de la bourseoisie, il ne lui restait critiquer que les lments qui, hrits d'une poque antrieure, gnaient le dveloppement de la bourseoisie. Certes, l'utilitarisme analyse ainsi les liens qui unissent l'ensemble des rapports existants aux rapports conomiques, . mais il ne le fait que de faon limite. L'utilitarisme avait d'emble le caractre de la thorie du bien commun, mais ce caractre ne prit toutefois un contenu concret que lorsque les lments conomiques lui furent intgrs, en particulier la division du travail et les changes. Dans le cadre de la division du travail, l'activit prive des individus devient d'intrt gnral ; l'intrt gnral de Bentham se rduit l'intrt gnral tel qu'on l'invoque dans la concurrence. En faisant intervenir les lments conomiques tels que rente foncire, profit et salaire, o n introduisit, dans la thorie, les rapports d'exploitation dtermins de chaque classe particulire, puisque la forme d'exploitation dpend de la situation qu'occupent, dans la vie, ceux qui exploitent. Jusqu'ici, l'utilitarisme pouvait se rattacher des faits sociaux dtermins ; en cherchant tudier plus en dtail la forme de l'exploitation, il n'aboutit qu' se perdre dans des phrases de catchisme. Le contenu conomique transformaI peu peu l'utilitarisme en simple apologie de l'ordre existant2, tendant dmontrer que, dans les conditions actuelles, les rapports des hommes entre eux, sous leur forme prsente, sont les plus avantageux et les plus utiles tous. C'est ce caractre que l'utilitarisme prsente chez tous les conomistes modernes. Tandis que l'utilitarisme avait au moins l'avantage de faire entre voir la liaison entre tous les rapports existants et les fondements conomiques de la socit, il a perdu chez Sancho tout contenu posi tif, il est isol de tous les rapports rels et devient simplement l'illu sion que chaque bourgeois en particulier se fait sur son intelli gence exploiter le monde. Du reste, Sancho n'voque l'utilita risme, mme sous cette forme dulcore, qu'en de trs rares passages ; l'gosme en accord avec lui-mme, autrement dit l'illusion de cette illusion du petit bourgeois, remplit presque tout le Livre , comme nous avons vu. Et mme ces rares passages, Sancho finit par les faire se dissiper en fume, comme on va le voir.

D. La religion. Dans cette communaut ( savoir : communaut avec d'autres gens) Je ne vois absolument rien qu'une

1. L'11:dition Mego indique : transforme. 2. L'11:dition Mega indique : der Bestehenden (ce qui est probablement une erreur) au lieu de des Bestehenden )) (de J'ordre existant).

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L'idologie allemandemultiplication de Ma puissance, et Je ne la conserve qu'aussi longtemps qu'elle est Ma force multiplie. (p. 416). Je ne M'humilie dsormais devant aucune puis sance et Je prends conscience du fait que toutes les puis sances ne sont que Ma puissance, et il Me faut les rduire aussitt, si elles menacent de devenir une puis sance hostile ou suprieure Moi : chacune de ces puis sances ne doit tre qu'un de Mes moyens d'imposer Ma volont. n

Je t'ois n, je prends conscience n, il me faut rduire n, la puis sance ne doit tre qu'un de Mes moyens n . Ce que ces exigences morales reprsentent et quel rapport elles ont avec la ralit, nous l'avons constat dans le chapitre sur 1' Association n. A cette illusion sur sa puissance en correspond une autre : celle selon laquelle dans l'Association la substance n (voir Libralisme humanitaire n ) est dtruite et les rapports des membres de cette association ne prennent jamais une forme stable vis--vis de chaque individu en particulier..

L'Association, l'union, cette union perptuellement mouvante de tous les lments stables Bien sr, une socit se constitue par l'Association aussi, mais seule ment de la faon dont une pense peut devenir une ide fixe Si une Association s'est cristallise en socit au sens ordinaire du mot, elle a cess d'tre une union ; car union signi fie acle de s'unir par un processus inin terrompu ; l 'Associat ion est alors rduite au participe pass tre uni, c'est le cadavre de l'Association ou de l'union... la socit Il n'y a ni lien nat urcl, ni lien spi rituel qui assure la cohsion de l 'Associat ion. n (pp. 294, 408, 416).. .. .

En ce qui concerne le lien naturel n, il existe, dans l'Association (( quoi qu'en ait n Sancho, dans l'conomie base sur le servage et l'organisation du travail, etc., et le lien spirituel, c'est la philosophie de Sancho. Pour le reste, nous n'avons qu' renvoyer le lecteur ce que nous avons dit plusieurs fois, y compris dans le chapitre consacr l'Association, sur les rapports qui prennent une existence auto nome en face des individus dans les conditions de la division du travail. (( Bref, la socit est sacre, l'Association est Ton bien propre : la socit T'exploite, c'est Toi qui exploites l'Association, etc. n (p. 418).E. Notes complmentaires sur l' (( Associationn.

Jusqu'ici nous n'avions vu, pour entrer dans l' Association , qu'une seule possibilit : la rvolte. Voici maintenant que nous appre-

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nons par le c c Commentaire que l' c c Association des gostes existe dj des c( centaines de milliers d'exemplaires et qu'elle constitue un ct de la socit bourgeoise existante et nous est acces siblc sans le secours de la moindre rvolte ni de quelque c( Stirner que cc soit. Sancho nous montre ensuite

de telles Associations dans la vie. C'est au milieu de telles Associations que se trouve Faust lorsqu'il s'crie : Ici je suis homme ( !) ; ici il m'est permis de l 'tre1 Gthe l'crit mme noir sur blanc ici (mais Huma nus est le nom du saint, v. Gthe2, cf. le Livre ) . . . c( Si Hess regardait attentivement la vie relle, il aurait sous les yeux des centaines de milliers de telles Associations gostes, les unes trs phmres, les autres durables.

Sancho nous montre alors des enfants qui s'attroupent pour jouer devant les fentres de Hess, (c quelques bons amis qui l'em mnent au caf et Hess lui-mme allant retrouver sa matresse .cc Bien sr, Hess ne verra pas combien ces exemples tout simples sont significatifs, aux antipodes des socits sacres et mme de la socit fraternelle, humaine, des saints socialistes (Sancho contra Hess, Wigand, pp. 193, 194).

De la mme faon, (c la recherche en commun d'objectifs et d'int rts matriels a t assimile dj, page 305 du Livre , une association volontaire d'gostes ou baptiss tels. L'Association se rduit donc ici aux unions bourgeoises et socits par actions d'une part, et d'autre part aux clubs bourgeois, pique niques, etc. Les premires sont un pur produit de l'poque actuelle, tout le monde le sait ; et les seconds tout autant, et tout le monde le sait aussi. Que Sancho prenne la peine de cOllsidrer les associa tions d'une po q ue passe, de la fodalit par exemple, ou celles d'autres nations, disons des Italiens ou des Anglais, etc., jusques et y compris let! enfants, et la diffrence lui apparatra. Il confirme simplement, par cette nouvelle interprtation de l'Association, son conservatisme sclros. Aprs avoir radmis, dans son institution prtendment nouvelle, la socit bourgeoise tout entire dans la mesure o elle lui eonyenait, Sancho ne fait ici pour finir que pro clamer bien haut que dans son Association on s'amusera anssi, et qu'on s'y amusera de la manire la plus traditionnelle. Quelles condi tions, dont l'existence est indpendante de lui, le mettront en tat ou hors d'tat cc d'accompagner quelques bons amis au caf c'est quoi notre bonhomme ne pense naturellement pas. L'ide de dcomposer toute la socit en groupes bass sur l'adh2 . lIumarllls

1. Extraits

de

: figure dcs (

GTHE : Faust, 1 re partie, Promenade pascale . Secrets , pome inachev de Gthe.

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L'idologie allemarnk

sion volontaire, ide revue et corrige ici par Stmer d'aprs ce qu'il en a ou dire Berlin, appartient Fourier1 Mais, chez Fourier, ce systme suppose une transformation totale et rvolutionnaire de la socit et repose sur la critique des associations existantes tant admires par Sancho et de tout l'ennui qui s'en dgage. Fourier dpeint ces tentatives de divertissement actuelles en rapport avec les conditions actuelles de production et d'changes et il polmique contre elles. Bien loin de les critiquer, Sancho veut les transplanter avec tiges et feuilles dans sa nouvelle institution destine faire le bonheur des gens et qu'il appelle 1' entente D, et ne fait que dmontrer par l, une fois de plus, quel point il est prisonnier de la socit bourgeoise existante. Pour finir, Sancho plaide encore pro domo2, c'est--dire pour 1' Association : Une Association dans laquelle le plus grand nombre se laisse gruger au mpris de ses intrts les plus naturels et les plus vidents, est-ce une association d'gostes ? Est-ce que ce sont des gostes qui se sont runis l o l'un est l'esclave ou le serf de l'autre ? Des socits dans lesquel l es les besoins des uns sont satisfaits au dtriment des autres, dans lesquelles, par exemple, les uns peuvent satisfaire leur besoin de repos en contraignant les autres travailler j usqu' l'puise ment ... Hess... identifie . . . ces associations gostes de sa faon avec l'Association stirnrienne d'gostes. (Wigand, pp. 192, 193).

Sancho formule donc le vu pieux que, dans son Association fonde sur l'exploitation rciproque, tous les membres puissent tre gale IDent forts, roublards, etc. etc., afin quc chacun exploite les autres juste autant qu'il est exploit par eux et que personne ne soit grug au mpris de ses intrts les plus naturels et les plus vidents , ou au contraire puisse satisfaire ses besoins au dtriment des autres . Remarquons ici que Sancho reconnat l'existence d' ntrts natu rels vidents et de besoins communs tous - donc d'intrts et de besoins gaux. D'autre part,la page 456 du Livre nous revient galement en mmoire, d'aprs laquelle le fait de vouloir rouler autrui est une ide morale inculque par l'esprit corporatiste ct reste pour l'homme qui a reu une ducation sense une ide fixe contre laquelle ne protge aucune libert de pense D. Sancho reoit ses ides d'en haut et en reste l (Ibid). Si l'on admet son exigence que chacun soit tout-puissant, c'est--dire que tous soient

I. FOURIER : Thorie de l'Unit universelle . Cet essai a paru dans les volumes 2-5 des uvru compUus de Ch. Fourier, Paris 1 841-1845, et constitue une refonte d'une publication antrieure : Trait de l'Association domestique-agricole. Paris, Londres 1822. 2. Pour su propre cause.

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impuissants les uns vis--vis des autres, ce pouvoir gal chez tous est un postulat tout fait logique et nous retrouvons l cette nave aspiration du petit bourgeois un monde du petit commerce o chacun trouverait son avantage. Ou bien alors, c'est que notre saint admet soudain l'existence d'une socit dans laquelle chacun peut satisfaire librement ses besoins sans que ce soit au dtriment d'autrui et, dans ce cas, la thorie de l'exploitation se mue une fois de plus en une absurde paraphrase des rapports rels des individus entre eux. Aprs avoir, dans son Association , fait des autres son ali ment , sa nourriture, et transform ainsi les rapports avec le monde en rapports avec soi-mme, Sancho passe de cette autodlectation indirecte l'autodlectation directe en se nourrissant de lui-mme.C. MON A UTOD LECTA TION La philosophie qui prche la j ouissance est aussi vieille en Europe que l'cole cyrnaque1 Comme les Grecs chez les Anciens, les Fran ais sont, chez les Modernes, les matadors de cette philosophie, et cela pour la mme raison : leur temprament et leur socit les rendaient les plus aptes profiter du plaisir. La philosophie du plaisir n'a jamais t autre chose qu'un langage spirituel l'usage de certains milieux sociaux qui avaient le privilge des jouissances. Indpen damment du fait que la forme et le contenu de leurs plaisirs ont toujours t conditionns par la structure de l'ensemble de la socit et n'chappaient aucune de ses contradictions, cette philosophie devint phrasologie pure ds qu'elle revendiqua un caractre uni versel et se donna pour une conception de la vie valable pour la so cit tout entire. Ce faisant, elle dgnra en sermons difiants, enjolivant par ses sophismes l'image de la socit existante, ou bien alors se mtamorphosa en son contraire, en proclamant jouissance un asctisme impos. La philosophie du plaisir a fait son apparition l'poque moderne avec le dclin de la fodalit et la transformation de la noblesse ter rienne fodale en noblesse de cour, dissipatrice et avide de vivre, sous la monarchie absolue. Chez cette noblesse, elle a encore surtout l'allure d'une conception spontane, qui trouve son expression dans des mmoires, des pomes, des romans, etc. Elle ne devient vrita blement philosophie qu'entre les mains de quelques crivains de la bourgeoisie- rvolutionnaire qui, d'une part, avaient reu la forma tion de la noblesse de cour et partageaient son mode de vie et, d'autre part, avaient en commun avec la bourgeoisie- ce got pour les ides gnrales qui repose sur le caractre plus universel des conditions

sensuel et spirituel le bien suprme (hdonisme), ce plaisir devant tre cepen dant subordonn la libert intrieure.

1. L'cole cyrnaIque fut fonde par le philosophe grec Aristippe (env. 400 av. notre re) dans sa ville natale de Cyrne. Aristippe faisait du plaisir

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d'existence de cette classe. C'est pourquoi cette philosophie fut adopte par lei deux classes, quoique partir de points de vue totale ment diffrents. Si, pour la noblesse, ce langage tait rserv une caste et aux conditions d'existence de cette caste, il fut gnralis par la bourgeoisie et employ l'adresse de tout individu sans dis tinction : on faisait abstraction des conditions d'existence de ces individus, si bien que la thorie du plaisir se transforma de la sorte en une doctrine morale insipide et hypocrite. Lorsque l'volution ultrieure eut amen la chute de la noblesse et fait entrer la bour geoisie en conDit avec son antagoniste, le proltariat, la noblesse tourna la pit dvote et la bourgeoisie la solennit moralisante, elle manifesta beaucoup de rigueur dans ses thories, ou bien encore tomba dans l'hypocrisie voque plus haut ; en pratique toutefois, la noblesse ne renona nulleent aux plaisirs et ceux-ci prirent mme, chez les bourgeois, une forme conomique officielle - le Cette connexion entre les plaisirs des individus chaque poque et les rapports de classes, eux-mmes engendrs par les conditions de production et d'changes dans lesquelles vivent ces individus, la pauvret des plaisirs connus jusqu'ici, trangers au contenu rel de la vic des individus et en contradiction avec lui, la corrlation existant entre toute philosophie du plaisir et les joissances relles qui en constituent l'arrire-plan et l 'hypocrisie d'une telle philosophie lorsqu'elle s'adresse tous les individus sans distinction, tout cela ne

lltxel

1 . [Passage biff dans le manuscrit :] Au moyen ge, les plaisirs taient compltement catalogus ; chaque tat avait ses plaisirs particuliers et sa faon particulire d'en jouir. La noblesse tait l'tat privilgi dont la jouis sance tait la vocation exclusive, tandis que pour la bourgeoie dj existait un divorce entre le travail et la jouissance, celle-ci tant subordonne celui-l. Les serfs, c'est--dire la classe voue exclusivement au travail, n'avaient que des plaisirs extrmement rares et limits qui taient surtout le fruit du hasard, dpendaient de l'humeur de leur mattre et autres cir constances fortuites et ne peuvent gure entrer en ligne de compte. - Sous le rgne de la bourgeoie, la forme des jouissances dpendit des classes de la socit. Les plaisirs de la bourgeoie se modelrent sur ln base matrielle que cette classe avait produite aux diffrentes tapes de son dveloppement et, tant du fait des individus qu'en raison de la subordination persistante du plaisir l'intrt, ils ont pris le caractre ennuyeux qu'ils ont encore aujour d'hui. Quant aux plaisirs du proltariat, la longue dure du travail qui exa cerbait le besoin de jouissance d'une part, et, d'autre part, la limitation qua litative et quantitative des plaisirs accessibles au proltaire leur ont donn la forme brutale qu'ils ont actuellement. - D'une faon gnrale, les plaisirs de toutes les castes et classes qui ont exist jusqu' prsent ne pouvaient tre que purils, puisants ou brutaux parce qu'ils taient toujours coups de l'ensemble de l'activit, du contenu vritable de la vie des individus, se rduisant plus ou moins donner un semblant de contenu une activit qui en tait dpourvue. La critique des jouissances du pass ne pouvait naturellement pas tre entreprise avant que l'opposition entre la bourgeoisie et le proltariat eftt atteint le degr de dveloppement qui a permis aussi la critique du mode de production et d'changes des poques antrieures.

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pouvait naturellement tre mis en lumire avant que puisse tre entreprise la critique des conditions de production ct d'changes que le monde a connues au cours de son histoire, c'est--dire avant que l'antagonisme entre bourgeoisie et proltariat et engendr les thories communistes et socialistes. Cette critique portait en elle condamnation de toute m orale, que ce soit celle de l'asctisme ou celle du plaisir. Notre insipide et moralisate,ur Sancho croit naturellement, comme il ressort de tout son Livre, qu'il s'agit seulement de dcouvrir une autre morale, une conception, nouvelle ses yeux, de la vie, qu'il s'agit de s'ter de la tte quelques ides fixes n pour que tous puissent tre heureux de vivre, j ouir de la vie. Ce chapitre de l'auto dlectation ne saurait donc gure que nous resservir, sous une nou velle tiquette, les mmes phrases creuses ct les mmes sentences qu'il nous a dj si souvent prches pour son autodlectation . Et, de fai t, le seul aspect original qu'on y dcouvre, c'est uniquement quc toute jouissance y est porte aux Tlues sous cette traduction alle mandc et philosophique qui a nom SelbstgeTlllSs (autodlecta tion). Si du moins la philosophie du plaisir du XVIIIe sicle franais dcrivai t sous une forme spirituelle une vic rclle, pleine de gat et d'impertinence, toute la frivolit de Saneho sc rd uit des expressions comme consommer n, gaspiller n, des images comme la lumire n (il veut dire la bougie) et des rminiscences scienti fiques, qui aboutissent soit de la mauvaise littrature ct des absurdits, comme la plante qui aspire l'air de l'ther n. les oiseaux chanteurs qui avalent des scarabes n soit des contre-vrits, par exemple quand il dit qu'une bougie se consume elle-mme. Par contre, nous pouvons apprcier ici une fois de plus cette gravit solennelle avec laquelle il attaque le sacr n dont nous apprenons qu'il a jusqu' prsent, sous la forme de vocation-dtermination mission-idal n, gt aux gens leur autodlectation. Sans d ' ail leurs i nsister sur les formes plus ou moins malpropres sous lesquelles le Moi dans 1' autodlectation peut tre plus qu'un mot creux, il nous faut encore une fois exposer au lecteur, en toute concisioll, les complots que Sancho trame contre le sacr, avec les pauvres petites variations de ce chapitre. Vocation-dtermination-mission-idal n sont, pour le reprendre brivement, soit :1 . la conscience es tches rvolutionnaires matriellement pres crites une classe opprime ; soit

2. de simples paraphrases idalistes ou Lien encore l'exprcssion eOllsciente des modes d'activit des individus correspondant la transformation, du fait de la division du travail, de ces modcs d'activit en mtiers diffrents et autonomes ; soit 3. l'expression consciente de la ncessit o sc trouvcnt tout

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instant individus, classes, nations, de dfendre leur position par une activit bien dtermine ; soit

4. l'expression sur le plan des ides, sous forme de lois, de mo rale, etc., des conditions d'existence de la classe dirigeante (condi tionnes par le dveloppement antrieur de la production), condi tions d'existence dont, plus ou moins consciemment, les idologues de cette classe ont fait une thorie autonome et qui peuvent se pr senter dans la conscience des individus qui en font partie comme vocation, etc., ou encore, proposes comme rgle de vie aux individus de la classe domine, elles enjolivent cette domination ou bien en font prendre conscience, moins qu'elles n'en constituent un instru ment moral. Ici, comme en gnral chez les idologues, il est remar quer qu'ils ne peuvent faire autrement que mettre la chose la tte en bas et qu'ils considrent leur idologie comme la force gnratrice et comme la fin de tous les rapports sociaux, alors qu'elle n'en est que l'expression et le symptme. Nous savons que notre Sancho a une foi indestructible dans les illusions de ces idologues. Parce que les hommes, selon leurs diff rentes conditions d'existence, ont des ides diffrentes d'eux-mmes, c'est--dire de l'homme, Sancho croit que ce sont ces ides diff rentes qui ont cr les diffrentes conditions d'existence et qu'ainsi ce sont les fabricants en grOS de ces ides, les idologues, qui ont domin le monde. (Voir p. 433). Ceux qui pensent rgnent dans le monde , la pense domine le monde ; la prtraille ou les maitres d'cole (( se mettent toutes sortes de ehoses en tte , (( ils imaginent pour l'homme, un idal

auquel tous les autres doivent se conformer (p. 442). Sancho peut mme nous dire trs exactement en vertu de quelle logique les hommes ont t soumis et, dans leur sottise, se sont soumis eux mmes aux lubies des magisters : (( Parce que cela M'est concevable ( Moi, le maitre d'cole), (( cela est possible aux hommes ; parce que cela est possible aux hommes, ils devaient s'identifier avec cela, telle tait leur vocation ; et enfin ce n'est qu'en vertu de cette vocation, au titre d'appels qu'on doit prendre les hommes. Et la conclusion ? Ce n'est pas l'individu qui est l'homme, mais c'est une ide, un idal qui constitue l'homme - le genre [humain] l'humanit. (p. 441). Tous les conflits, avec euxmmes ou avec d'autres, dans lesquels les hommes sont prcipits, du fait de leurs conditions relles d'exis tence, apparaissent notre maitre d'cole Sancho comme des conflits entre les hommes et des conceptions de la vie de (( l'Homme qu'ils

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se sont mises en tte eux-mmes ou se sont laiss fourrer en tte par des matres d'cole. S'ils se les taient de la tte, comme ces pauvres tres pourraient vivre cc heureux , quels cc bonds ne pourraient-ils faire, tandis que, pour le moment, ils en sont rduits danser sur l'air que jouent les matres d'cole et les montreurs d'ours ! (p. 435). (Le dernier de ces montreurs d'ours , c'est Sancho, qui ne mne que lui-mme parle bout du nez.) Si, par exemple, les hommes ne s'taient mis en tte, presque toujours et un peu partout, en Chine aussi bien qu'en France, qu'ils souffrent de surpo pulation, quelle abondance de denres comestibles ces cc pauvres tres n'auraient-ils pas trouve sur-le-champ leur disposition ! Sancho cherche ici replacer sa vieille histoire du rgne du sacr sur le monde sous prtexte de disserter sur la possibilit et la ralit. Le possible, c'est, pour