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Maurice Hauriou, "Les rapports entre le recours pour excès de pouvoir et le recours contentieux ordinaire" Publié le 08-27-2014 par à la Revue générale du droit (http://www.revuegeneraledudroit.eu) Les rapports entre le recours pour excès de pouvoir et le recours contentieux ordinaire Maurice Hauriou Publié le August 27, 2014 http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2014/08/27/les-rapports-entre-le-recours-pour-exces-de-pouvoir- et-le-recours-contentieux-ordinaire/ Un dessinateur attaché au bureau municipal de la voirie passe avec le maire de la commune une convention en vertu de laquelle il entre au service de la ville pour une année au moins. Cette convention n’enlève pas au maire le droit de révoquer cet employé avant l’expiration de l’année. Si le requérant entend se prévaloir de la convention intervenue, ce qui ne pourra être que pour réclamer une indemnité, ce n’est d’ailleurs pas par la voie du recours pour excès de pouvoir qu’il peut faire valoir ses droits (V. sur ces questions, Cons. d’Etat, 13 déc. 1889, Cadot, S. et P. 1892.3.17; 28 mars 1890, Drancey, S. et P. 1892.3.65; 29 avril 1892, Wottling, S. et P. 1894.3.33; 3 févr. 1899, Lecocq, S. et P. 1901.3.84; 8 août 1899, Burgat, S. et P. 1902.3.6; 15 déc. 1899, Adda, S. et P. 1900.3.73; 11 déc. 1903, Villenave, S. et P. 1904.3.121; 15 févr. 1907, Lacourte, S. 1907.3.49, les notes de M. Hauriou et les renvois. V. au surplus sur la présente affaire, Rabany, Rev. gén. d’adm., 1907, t. I, P. 422 et s.; Jèze, Rev. du dr. public, 1907, p. 239 et 240, notes). Ces décisions résultant de notre arrêt nous procurent l’occasion d’examiner, une fois pour toutes, les rapports qui existent entre le recours pour excès de pouvoir et le recours contentieux ordinaire et de fixer des idées qui, pour beaucoup, doivent être singulièrement flottantes. Pourquoi, dans notre affaire, la convention passée, par le dessinateur avec le maire n’enlève-t-elle pas à ce dernier le droit de révoquer l’employé avant l’expiration du terme fixé ? Pourquoi, si le requérant entend se prévaloir de la convention intervenue pour demander une indemnité, n’est-ce point par le recours pour excès de pouvoir qu’il peut faire valoir ses droits ? Les définitions courantes du recours pour excès de pouvoir et du recours contentieux ordinaire ne sont pas d’un grand secours pour résoudre ces questions; elles consistent à dire que le premier appartient au contentieux de l’annulation et le second au contentieux de la pleine juridiction; mais, visiblement cela ne va pas au fond des choses et ne fournit aucune lumière. Ce n’est qu’une constatation de fait relative aux pouvoirs du juge. Dans un cas, il ne peut qu’annuler un acte (V. Cons d’État, 8 août 1890, Comp. des bateaux à vapeur de la Guadeloupe, S. et P. 1898.3.110, et le renvoi; 27 janv 1899, Comm. de Blanzac, S. et P. 1901.9.77, et la note. Adde, la note, § 1er de M. Hauriou sous Cons. d’Etat, 30 nov. 1906 [2 arrêts], Denis et Rage-Roblot, S. 1907.3.17) ; dans l’autre cas, il peut statuer au fond sur les droits des parties, mais pourquoi ? Bien loin d’avoir une solution, nous nous heurtons à une question nouvelle dont l’embarras s’ajoute à la difficulté des autres questions. Quand on est embarrassé, il est toujours bon de jeter un regard circulaire, afin de chercher des analogies. Si l’on s’enferme dans une situation obscure, et si on la considère comme isolée, on risque de méconnaître l’importance des différents termes du problème, on est porté à trancher le noeud gordien en sacrifiant tel ou tel élément dont l’importance ne saute pas aux yeux. L’avantage qu’il y a à user de comparaison, c’est qu’on s’aperçoit que l’élément qu’on serait disposé à sacrifier dans une institution est justement très vivace dans une institution similaire. Cette vitalité force à réfléchir. 1 / 5

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Maurice Hauriou, "Les rapports entre le recours pour excès de pouvoir et le recours contentieux ordinaire" Publié le 08-27-2014 par à la Revue générale du droit (http://www.revuegeneraledudroit.eu)

Les rapports entre le recours pour excès de pouvoir et le recourscontentieux ordinaire

Maurice Hauriou Publié le August 27, 2014

http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2014/08/27/les-rapports-entre-le-recours-pour-exces-de-pouvoir-et-le-recours-contentieux-ordinaire/

Un dessinateur attaché au bureau municipal de la voirie passe avec le maire de la commune uneconvention en vertu de laquelle il entre au service de la ville pour une année au moins. Cette conventionn’enlève pas au maire le droit de révoquer cet employé avant l’expiration de l’année. Si le requérantentend se prévaloir de la convention intervenue, ce qui ne pourra être que pour réclamer une indemnité, cen’est d’ailleurs pas par la voie du recours pour excès de pouvoir qu’il peut faire valoir ses droits (V. surces questions, Cons. d’Etat, 13 déc. 1889, Cadot, S. et P. 1892.3.17; 28 mars 1890, Drancey, S. et P.1892.3.65; 29 avril 1892, Wottling, S. et P. 1894.3.33; 3 févr. 1899, Lecocq, S. et P. 1901.3.84; 8 août1899, Burgat, S. et P. 1902.3.6; 15 déc. 1899, Adda, S. et P. 1900.3.73; 11 déc. 1903, Villenave, S. et P.1904.3.121; 15 févr. 1907, Lacourte, S. 1907.3.49, les notes de M. Hauriou et les renvois. V. au surplussur la présente affaire, Rabany, Rev. gén. d’adm., 1907, t. I, P. 422 et s.; Jèze, Rev. du dr. public, 1907, p.239 et 240, notes).

Ces décisions résultant de notre arrêt nous procurent l’occasion d’examiner, une fois pour toutes, lesrapports qui existent entre le recours pour excès de pouvoir et le recours contentieux ordinaire et de fixerdes idées qui, pour beaucoup, doivent être singulièrement flottantes. Pourquoi, dans notre affaire, laconvention passée, par le dessinateur avec le maire n’enlève-t-elle pas à ce dernier le droit de révoquerl’employé avant l’expiration du terme fixé ? Pourquoi, si le requérant entend se prévaloir de laconvention intervenue pour demander une indemnité, n’est-ce point par le recours pour excès de pouvoirqu’il peut faire valoir ses droits ? Les définitions courantes du recours pour excès de pouvoir et durecours contentieux ordinaire ne sont pas d’un grand secours pour résoudre ces questions; elles consistentà dire que le premier appartient au contentieux de l’annulation et le second au contentieux de la pleinejuridiction; mais, visiblement cela ne va pas au fond des choses et ne fournit aucune lumière. Ce n’estqu’une constatation de fait relative aux pouvoirs du juge. Dans un cas, il ne peut qu’annuler un acte (V.Cons d’État, 8 août 1890, Comp. des bateaux à vapeur de la Guadeloupe, S. et P. 1898.3.110, et lerenvoi; 27 janv 1899, Comm. de Blanzac, S. et P. 1901.9.77, et la note. Adde, la note, § 1er de M. Hauriousous Cons. d’Etat, 30 nov. 1906 [2 arrêts], Denis et Rage-Roblot, S. 1907.3.17) ; dans l’autre cas, il peutstatuer au fond sur les droits des parties, mais pourquoi ? Bien loin d’avoir une solution, nous nousheurtons à une question nouvelle dont l’embarras s’ajoute à la difficulté des autres questions.

Quand on est embarrassé, il est toujours bon de jeter un regard circulaire, afin de chercher des analogies.Si l’on s’enferme dans une situation obscure, et si on la considère comme isolée, on risque deméconnaître l’importance des différents termes du problème, on est porté à trancher le nœud gordien ensacrifiant tel ou tel élément dont l’importance ne saute pas aux yeux. L’avantage qu’il y a à user decomparaison, c’est qu’on s’aperçoit que l’élément qu’on serait disposé à sacrifier dans une institutionest justement très vivace dans une institution similaire. Cette vitalité force à réfléchir.

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Si les rapports de l’excès de pouvoir et du fond du droit sont une des difficultés du droit administratif, lesrapports du possessoire et du pétitoire sont une de celles du droit civil. Voyons si, entre les deux séries derapports, il n’existe pas de profondes analogies.

Le possessoire est une question de pouvoir, la possession étant un pouvoir physique sur une chose, lepossesseur est troublé dans son pouvoir sur la chose, il s’agit pour lui d’être restitué dans son pouvoir. Lepétitoire est une question de commerce juridique, la propriété étant essentiellement la juste acquisitiond’une chose en vertu d’un titre reconnu par le commerce juridique, et qui est, en principe, un moded’acquérir dérivé, c’est-à-dire un titre de transmission.

Dans la matière de l’excès de pouvoir, nous sommes aussi en présence d’une question de pouvoir, lapuissance publique étant un pouvoir de domination sur des hommes libres; seulement, ce n’est pas lapuissance publique troublée dans son pouvoir qui demande à être restituée ; c’est, au contraire, le citoyen,l’homme libre, à qui la puissance publique doit laisser une sphère de liberté, c’est-à-dire de pouvoirpropre, qui demande à être restitué dans ce pouvoir propre parce qu’il prétend que la puissance publique,en excédant ses pouvoirs, a empiété sur le sien. Le recours pour excès de pouvoir est donc une sorted’action possessoire par laquelle le citoyen demande une restitution de pouvoir parce qu’il a été troublépar la puissance publique dans la paisible possession de ses libertés, qui sont ses pouvoirs à lui. L’actepar lequel la puissance publique l’a troublé ou dépouillé constitue une sorte de violence, et son recoursest une sorte de réintégrable par laquelle l’acte de la puissance publique doit, avant toutes choses, êtreannulé.

Le fond du droit, en matière administrative, c’est-à-dire le contentieux ordinaire ou de pleine juridiction,est, au contraire, une question de commerce juridique, c’est-à-dire qu’à côté des relations de pouvoir quiexistent entre la puissance publique et l’administré, il s’est établi des relations du commerce juridiquepar suite de conventions intervenues, ou simplement par suite de l’exécution des services publics. Dansnotre affaire, à côté des relations de pouvoir résultant de la nomination du fonctionnaire, il y avait desrelations du commerce juridique résultant de ce que l’employé avait conclu avec le maire une conventionrelative à la durée de son engagement. N’eût-il pas été passé de convention, d’autres relations ducommerce juridique se fussent établies par rapport au traitement et à une indemnité de congé, par le seulfait que l’employé aurait accompli son service pendant un certain nombre de mois. Dans la matière desconcessions de travaux publics, à côté des relations de pouvoir qui résultent de la concession de ladépendance du domaine public et de celle de l’entreprise publique, il y a des relations du commercejuridique résultant des conventions financières qui sont annexées, etc.

Les bénéfices du rapprochement que nous opérons ainsi entre le possessoire et la matière de l’excès depouvoir apparaissent immédiatement et sont au profit de la théorie du possessoire aussi bien qu’au profitde la théorie de l’excès de pouvoir.

D’une part, il n’y a pas lieu de s’étonner que le droit administratif ait engendré une distinction analogueà celle du possessoire et du pétitoire, puisque le droit civil l’a engendrée depuis si longtemps et qu’il laconserve malgré ses difficultés, ses obscurités, ses inconvénients pratiques. Reconnaissons même que ledroit administratif français a, mieux que tous les autres, réalisé cette distinction par la perfection qu’il adonnée à son recours pour excès de pouvoir. Reconnaissons que ce recours est véritablement contentieuxcomme l’action possessoire, bien qu’il participe du moyen de police et de l’action disciplinaire. Maisn’oublions pas qu’en administration, l’excès de pouvoir n’est pas tout, que, derrière cette espèce de

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possession, il y a un pétitoire, c’est-à-dire un fond du droit provenant de ce que les relations ducommerce juridique ont largement pénétré dans la gestion des services publics.

D’autre part, en droit civil, ne nous laissons pas trop séduire par la théorie d’Ihering, qui voit lefondement de la protection possessoire uniquement dans une facilité de preuve plus grande pour le droitdu propriétaire (V. von Ihering, Œuvres choisies, t. II, trad. de Meulenaëre, § 230). La possession a pu,accidentellement et après coup, être considérée comme un fait plus facile à prouver que le droit depropriété et servir ainsi de protection avancée pour le droit de propriété, mais originairement elle estprotégée pour elle-même. Elle représente une sphère de pouvoir qu’il est d’ordre public de protégeravant tout, parce que les hommes tiennent avant tout au pouvoir. Le possessoire n’est pas subordonné aupétitoire; il est et doit rester indépendant. Sur ce point, les idées de Savigny sont plus justes que celled’Ihering, ou, si l’on veut, plus fondamentales (V. Savigny, Tr. de la possession en dr. rom., 7e éd., parRudorff, trad. par Stœdtler, § 6, p. 29 et s.).

Mais, pour s’en rendre compte, il convient de s’élever au-dessus de l’excès de pouvoir, au-dessus de ladistinction du possessoire et du pétitoire, jusqu’à la distinction fondamentale des relations de pouvoir etdes relations du commerce juridique.

Le système juridique n’est pas homogène, ainsi qu’une observation distraite nous porte trop souvent àl’imaginer; il est, comme l’écorce terrestre, constitué de plusieurs couches ou stratifications. Les deuxplus importantes de ces couches superposées sont celle du droit disciplinaire, qui correspond aux relationsde pouvoir, et celle du fond du droit, qui correspond aux relations du commerce juridique.

La couche du droit disciplinaire est celle des « institutions » en lesquelles se réalise une espèce d’ordrefondé sur l’équilibre des pouvoirs et dont l’ordre public est un exemple. Quand cet ordre est troublé, ildoit être rétabli, et, à cet effet, s’emploient des moyens de police rapides et énergiques qui restituent lasituation de fait.

La couche du « fond du droit » est celle du « commerce juridique », c’est-à-dire du commerce deséchanges; le principe fondamental de cette espèce de droit est l’équilibre des patrimoines assuré par lajustice dans les échanges. Lorsque la justice a été violée dans un échange, elle doit être rétablie par unecompensation pécuniaire.

Ainsi, d’un côté, un droit qui tend à la restitution en nature de situations de fait, de l’autre, un droit quitend à des compensations ou à des indemnités pécuniaires. Nous n’avons pas ici à rechercher si l’une deces couches juridiques est historiquement plus ancienne que l’autre, mais seulement à déterminer leurspositions respectives actuelles. Elles se caractérisent de la façon suivante : 1° les moyens disciplinaires, làoù ils tendent à la restitution d’une situation de fait (nous ne nous préoccupons pas de ceux quiproduisent des conséquences pénales), doivent être employés d’une façon préalable, parce que l’ordredes pouvoirs doit être rétabli avant tout; 2° une fois l’ordre de fait rétabli, si des préjudices ont été causés,soit par la violation de l’ordre, soit même par le rétablissement de l’ordre, ces préjudices, appréciésd’après les principes du commerce des échanges, devront être réparés par des indemnités pécuniaires. Etc’est là le fond du droit, c’est-à-dire que les droits des parties n’entrent en scène complètement que danscette seconde phase juridique.

Telle est bien la combinaison des deux éléments dans le droit administratif. Quand la puissance publique

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a passé un acte par lequel elle a réalisé son pouvoir, et par lequel en même temps elle a causé un préjudiceà un administré, il se découvre deux questions, celle de l’équilibre des pouvoirs et celle de l’équilibrepécuniaire. La question de l’équilibre des pouvoirs est préalable, elle doit être réglée d’abord dans lecontentieux de l’excès de pouvoir : là on examinera si la puissance publique a oui ou non violé l’ordredes pouvoirs et si son acte doit être annulé ou maintenu. Le préalable réglé, on passera à la question del’équilibre pécuniaire ou de la compensation des préjudices. Ce sera l’affaire du contentieux de pleinejuridiction, et il est à ce point indépendant du contentieux de l’excès de pouvoir que, tantôt une indemnitésera accordée parce que l’acte a été annulé et parce que l’Administration avait excédé ses pouvoirs, ettantôt elle sera accordée, quoique l’acte de l’Administration n’ait pas été annulé et, par conséquent, aitété accompli dans la limite de ses pouvoirs, parce que, dans l’espèce, l’équilibre des pouvoirs se trouveraen désaccord avec l’équilibre pécuniaire des patrimoines. Ainsi, dans notre affaire, le Conseil d’Etatlaisse suffisamment entendre que le requérant, bien qu’il ne puisse pas faire annuler sa révocation,laquelle était dans la sphère des pouvoirs du maire, obtiendra une indemnité fondée sur la violation de laconvention qui lui assurait son emploi pour une année, à la seule condition de demander cette indemnitépar un contentieux de pleine juridiction distinct de celui de l’excès de pouvoir. Il y avait donc un défautde concordance, une contradiction entre la convention passée et l’ordre des pouvoirs, contradiction quisera résolue par une indemnité. Dans toute la matière des dommages occasionnés par les opérations depuissance publique, par l’expropriation, par les travaux publics, par des réquisitions militaires, etc., il estadmis aussi que des opérations correctes au point de vue du pouvoir, mais qui causent des dommages,entraînent des indemnités pécuniaires pour la violation des droits patrimoniaux des citoyens.

Si, maintenant, nous passons au droit civil nous constatons que la combinaison du possessoire et dupétitoire se présente dans les mêmes conditions. Un individu a usurpé le terrain d’autrui, ou du moins estaccusé de l’avoir usurpé ; la première question à régler est celle du possessoire, c’est-à-dire la questionde savoir comment doit être rétabli l’ordre au sujet de la possession de cette terre, ce qui est, nous lesavons, de la sphère du pouvoir. Le préalable réglé, les deux adversaires plaideront au point de vue del’équilibre de leurs patrimoines ; il s’agira de savoir lequel des deux patrimoines a droit à recouvrer cettevaleur économique. Et ce sera le fond du droit. La différence entre le droit civil et le droit administratif,car il y en a une, consiste en ce que, en droit administratif, les moyens pétitoires n’aboutissent en principequ’à des indemnités pécuniaires, tandis qu’en droit civil, les moyens pétitoires aboutissent, eux aussi,souvent à la restitution de la chose, telle la revendication. Il serait trop long d’examiner si larevendication, comme action rei persecutoria, est une forme primitive ou si plutôt elle ne serait pas unemodification lentement acquise d’une action en indemnité. Il nous suffit, en réalité, de savoir que larevendication est motivée par la nécessité de rétablir l’équilibre des patrimoines, et qu’elle exige despreuves du commerce juridique ; par là elle appartient suffisamment à la sphère du commerce juridique.

Il serait superflu d’insister davantage sur ces aperçus, à propos de notre mince affaire; nous aurons sansdoute occasion d’y revenir plus d’une fois par la suite. Reprenons simplement les trois questions qu’audébut de cette note nous avons posées et auxquelles nous cherchions des réponses :

a) Pourquoi la convention passée entre l’employé municipal et le maire de Langres, assurant à l’employéun traitement de 225 francs par mois pour une durée d’au moins une année, n’a-t-elle pu avoir pour effetde priver le maire du droit de révoquer cet employé municipal ? Réponse : parce que le droit de révoquerun employé municipal est un élément de pouvoir (V. Cons. d’Etat, 13 déc. 1889 et 15 déc. 1899, précités,et les notes de M. Hauriou), et, qu’en droit administratif, il est d’ordre public que les autorités nerenoncent pas à leur pouvoir et ne laissent pas lier leur pouvoir par des conventions. Si des conventions

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du commerce juridique sont conclues qui semblent contraires, elles doivent s’interpréter en ce sens que lepouvoir n’est pas lié, mais que son exercice, opéré à l’encontre de la convention, donnera lieu àindemnité.

b) Pourquoi y a-t-il en droit administratif deux contentieux, celui de l’excès de pouvoir, qui estd’annulation, et celui de pleine juridiction ? Réponse : parce qu’il y a deux couches fondamentales dudroit, la couche disciplinaire, à laquelle appartient l’excès de pouvoir en droit administratif et lepossessoire en droit civil, et la couche du commerce juridique, autrement nommée « fond du droit » ou« contentieux ordinaire ».

c) Pourquoi, enfin, les conclusions tirées du fond du droit ne peuvent-elles pas être soutenues par la voiedu recours pour excès de pouvoir ? Réponse : parce que le contentieux disciplinaire est toujours et partoutindépendant du contentieux ordinaire. Il en est ainsi en matière pénale, lorsque le même acte constitue à lafois une faute disciplinaire et un délit de droit commun; les deux poursuites sont indépendantes (V. sur leprincipe, Pau, 4 janv. 1880, S. 1881.2.80; P. 1881.1.449; Cass., 9 nov. 1881, S. 1884.1.127; P.1884.1.526; Dijon, 5 déc. 1884, S. 1886.2.102; P. 1886.1.576; Chambéry, 30 janv. 1885, S. 1886.2.101;P. 1886.1.575; Bordeaux, 28 juill. 1902, S. et P. 1903.2.231, avec les notes et renvois sous ces arrêts), etles deux pénalités peuvent se cumuler. Il en est ainsi en matière civile; le possessoire et le pétitoire sontdistincts, les deux contentieux ne sont point portés devant les mêmes juges; enfin, dans le possessoire, ilest interdit de déposer des conclusions relatives au fond du droit et même de faire valoir des moyens tirésdu fond du droit. (V. sur ce principe, Cass. 7 mars 1894 et 7 mars 1898, S. et P. 1898.1.516; 20 déc. 1899,S. et P. 1901.1.211, et les renvois. V. aussi, Cass. 27 déc. 1904, S. et P. 1905.1.276, et la note).

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