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Mementos LMD. Introduction historique au droitexcerpts.numilog.com/books/9782297011044.pdf · s’appuyer sur la sanction de la règle normative et sans la référence à l’État

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IntroductionLes juristes positivistes peinent fréquemment à donner une définition du droit sanss’appuyer sur la sanction de la règle normative et sans la référence à l’État. Le pluscouramment, soit ils définissent le droit par son côté pathologique de la sanction dujuge, soit ils s’appuient sur le particularisme occidental qu’est le développement del’État comme instrument d’organisation de la société pour en souligner les spécificités.De là à considérer que les sociétés sans État, sans normes bien répertoriées, relèventdes sociétés primitives, il n’y a plus qu’un pas que les anthropologues nous ont apprisà reconsidérer, en soulignant l’existence de modèles de comportements dont la sanc-tion n’est pas automatique dans des sociétés dépourvues d’État et qui s’apparententpourtant à des règles de nature juridique1. Si la définition des positivistes ne suffit pasà caractériser définitivement le droit, la formule antique selon laquelle « le droit est l’artdu bon et du juste » ou la réduction « légicentriste » au contenu de la loi n’épuisent pasdavantage son sens.Le recours à l’histoire et le regard anthropologique participent à une appréhensioncomplémentaire de la matière et du concept de droit.Premier avantage, ils viennent relativiser la vision statique et ethno-centrée qui estgénéralement portée sous nos latitudes occidentales, françaises en particulier, sur lerôle dévolu au droit dans la société et sur sa forme matérielle. Ils confirment le fait quele droit ne se définit pas uniquement comme un ensemble de règles spécifiques maisplutôt comme un processus inter-normatif avec la morale et la religion, selon desvaleurs qu’une société juge essentielles pour assurer sa perpétuation à un momentdonné de son évolution. En cela, son contenu et son effectivité varient selon lescultures.Par exemple en Chine, une notion de droit proche de celui de l’Occident a été déve-loppée au cours de son histoire. Mais par choix politique, l’usage du droit est rejeté auprofit de la tradition fortement teintée de morale, qui fait de la vertu des sages et del’éducation les garants de l’équilibre de la vie collective. Recourir au droit est malvenuet constitue la pire des solutions en rompant l’harmonie ; mieux vaut privilégier larecherche de consensus, la conciliation des points de vue pour régler les différends.De façon différente en Inde, à côté du système de common law introduit par le colonisa-teur anglais se maintient le droit hindou dans lequel l’humain a été pensé dans tous sesaspects et où nature, religion, structure sociale sont imbriquées dans une planification del’ordre qui bénéficie à la notion de Dharma. Celle-ci fixe la voie à suivre par des guides decomportement, des idéaux, bien plus que par des règles obligatoires. Elle prend en

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1. N. Rouland, Anthropologie juridique, PUF 1988 ; Aux confins du droit, Od. Jacob, 1991.

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charge la totalité des devoirs qui pèsent sur un individu selon son statut et l’étape de savie et fait se relier le matériel et le spirituel, le séculier et le sacré. Le droit, fluctuant enfonction des désirs de la société, n’y trouve pas véritablement sa place2.Ces exemples contemporains peuvent être opposés à des situations expérimentées aucours de l’histoire, et la particularité de l’Occident dans la définition d’un rôle éminentet spécifique reconnu au droit dans l’organisation de la société par rapport au champdistinct réservé à la règle religieuse ou morale ressort avec davantage de relief. Bref, lemodèle occidental n’est ni universel, ni immuable. Il n’est pas davantage homogène etse subdivise en différentes familles qui, partageant une conception du droit identique,diffèrent dans la définition des outils techniques et des institutions autorisées à dire ledroit : c’est ce qui différencie essentiellement les familles de droit romano-germaniqueet de common law3.À l’heure où la construction européenne met en relation les systèmes juridiques desÉtats de l’Union européenne appartenant à ces deux familles constitutives du modèlejuridique occidental, il apparaît plus que jamais indispensable d’en connaître les fonde-ments communs.La seconde vertu de l’histoire dans l’appréhension du droit réside dans la démonstra-tion de son caractère changeant et évolutif, au fil d’une « sédimentation » de stratesjuridiques au fil du temps, dont l’évolution et le renouvellement ne sont jamais définitifset dont la qualité « d’héritage », de « patrimoine », force à considérer le droit commeun produit du passé transmis et transformé à chaque génération, et non comme uneconstruction instantanée ou un théorème à jamais établi par une science exacte.Créé et instrumentalisé par les sociétés pour leur assurer solidité et pérennité, le droits’inscrit en effet dans une évolution multimillénaire. Depuis la préhistoire, les groupe-ments humains se sont dotés d’usages, de prohibitions qui relèvent du droit et s’impo-sent à tous quelle que soit leur forme. En cela, l’histoire rejoint l’anthropologie poursouligner que le droit et l’État ne sont pas indissolublement liés, que le droit n’a pastoujours reçu une forme légale mais a longtemps procédé de faits pour relever de lacoutume ou de l’usage. Il apparaît avec l’apparition du langage et d’un minimum depensée abstraite au sein des premières communautés humaines, bien avant l’inventionde l’écriture.Sans en revenir à une préhistoire dont les sources nous sont manquantes, l’élaborationdu droit au fil du temps contraint de fait à revenir à des temps anciens et à élargir lechamp géographique et intellectuel aux civilisations dont nous sommes débiteurs etdont l’éloignement temporel ou géographique n’exclut pas une filiation intellectuelle.Voilà le fil directeur qui guide ce mémento et conduit à signaler, sans exhaustivitéexcessive et dans un ordre chronologique qui nous a semblé facilité l’approche la plussimple et cohérente possible, les couches successives qui se sont amoncelées dans laconstruction de notre système juridique et dont il conserve les traces.Les premières sources dont nous disposons encore proviennent du Moyen-Orient et ontété élaborées pour les sociétés des vallées du Tigre, de l’Euphrate, déjà au XVIIIe siècleav. J.-C. Au fil des siècles, le phénomène juridique gagne le centre du bassin méditerra-néen, le royaume des Hébreux et surtout les cités-États grecques aux structures

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2. Ch. Chêne, B. Durand, A. Leca, Introduction historique au droit, Montchrestien, 2004.3. J. Vanderlinden, Histoire de la Common Law, Common Law en poche, Y. Blais Inc, 1996.

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politiques distinctes de celles des empires moyen-orientaux et qui, à leur tour, investis-sent le champ du droit. Or, à l’aube des civilisations moyen-orientales, le droit et la reli-gion sont dans des rapports étroits tels qu’en connaissent encore certaines sociétéstraditionnelles repérées de nos jours par les anthropologues en Inde, dans les pays deconfession musulmane... Si de l’Orient ancien à la Grèce, un glissement s’observe pource qui concerne le caractère « révélé » du droit et si les hommes tendent à s’approprierl’initiative de l’élaboration juridique inspirée par les dieux, c’est à la civilisation romainequ’il revient d’avoir détaché le droit de la religion pour en signaler la singularité dansl’organisation politique et sociale. Au-delà de sa technicité sophistiquée et de sarichesse conceptuelle, également porteuses pour l’avenir, cette autonomie du droitpar rapport à la religion jointe à son organisation systématique tardive singularisel’apport romain à l’histoire du droit de la période antique et assure son exemplaritédurable pour l’Occident européen (Partie 1).À la chute de l’Empire au Ve siècle après J.-C., alors que les terres de la Gaule romainesont occupées par des peuples venus du nord-est de l’Europe, aux usages distincts deceux des autochtones, la Gaule rapidement fédérée par une foi commune se trouve à lacroisée de traditions culturelles germanique et romaine. Malgré le recul juridique quimarque la période allant jusqu’à la fin du XIIe siècle, l’imbrication de ces deux traditionssous la forme d’abord de lois nationales respectueuses des groupes ethniques puis decoutumes ancrées seulement sur le territoire, en contrechamp de la reconstruction etdes rechutes de l’autorité publique et avec pour horizon la tradition chrétienne quiimprègne le droit et réduit son autonomie, constitue le socle de son identité juridiqueà venir (Partie 2).L’attention renouvelée portée au droit romain à partir du XIe siècle jointe à l’effort desystématisation qui caractérise le droit de l’Église, valorise l’émergence d’un droitcommun savant. Celui-ci imprime un renouveau et une modernisation d’ensemble dessédiments juridiques d’inspiration germanique de l’Europe continentale et singularise lafamille romano-germanique face à la common law anglaise. La lente reconstruction del’autorité publique en la personne du roi et la structuration des États-nations entre leXIIIe et le XVIIIe siècle diversifient le paysage juridique du continent européen et enfer-ment progressivement dans les frontières des États les systèmes juridiques en mutation.En France, la reconnaissance à côté du droit savant d’un droit propre au royaume sousforme coutumière anticipe l’affirmation d’un ordre juridique national, indépendant àl’échelle internationale, et dans lequel le pluralisme juridique et les droits savantsperdent du terrain au profit de la loi du roi (Partie 3).Le tournant du XVIIIe au XIXe siècle, de la révolution à la chute du Ier Empire, marque uneréaction fondamentale par rapport aux valeurs et fondements de l’Ancien Régime touten prolongeant un mouvement de fond d’unification du droit initié sous la monarchieet à partir desquels les bases d’un droit nouveau sont posées. Si techniquement la loidevient la source essentielle du droit et exprime la souveraineté désormais transmise duroi à la Nation, elle est plus que jamais idéalisée comme un instrument destiné à façonnerla société à venir sur les principes révolutionnaires de liberté et d’égalité et est assortied’un caractère messianique fort. Au-delà des illusions qui accompagnent pareil enthou-siasme, elle conduit à une codification d’ensemble du droit sous le Consulat et l’Empire etle nouveau système juridique national qui va être prolongé au XIXe siècle est marqué parune société égalitariste, individualiste et de plus en plus laïque (Partie 4).

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