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formation | physiopathologie 12 OptionBio | Lundi 23 mars 2009 | n° 415 L a ménopause se définit 1 comme l’absence de règles depuis au moins 12 mois. L’évolution des règles dans le temps est le meilleur indicateur de l’état de postménopause car les mesures hormonales d’œstradiol et d’hormones folliculo- stimulantes (FSH) varient largement pendant la période de péri- ménopause. Elle correspond à une période de règles irrégulières débutant lorsque la durée des cycles menstruels devient variable, soit plus longue, soit plus courte. La périménopause peut durer 4 ans et prend fin une année après les dernières règles. Ménopause et risque cardiovasculaire Les maladies cardiovasculaires (MCV) représentent la première cause de décès chez les femmes dans les pays occidentaux 1 . En France, en 2005, 32 % des décès des femmes étaient secondaires à une MCV contre 25 % pour les cancers. Avant la ménopause, les femmes sont mieux protégées des MCV que les hommes, et l’infarctus du myocarde est rare avant 60 ans. Vers l’âge de 70 ans, l’incidence des MCV est la même que chez les hommes, ce qui laisse à penser que le déficit en œstrogènes est responsable d’une rapide accélération du risque cardiovasculaire. L’étude de Framingham montre que les MCV sont multipliées par quatre dans les 10 ans qui suivent la ménopause. Il en est de même lorsque la ménopause survient précocement après chirurgie 2 . Une étude menée auprès de 294 femmes méno- pausées depuis 5 à 8 ans, comparées à 292 femmes avant la ménopause et appariées en âge, a montré que 45 % des femmes ménopausées ont une augmentation de l’épaisseur intima-média des carotides contre 16 % des femmes non ménopausées 3 . L’épaisseur intima-média des carotides est un élément puissant de prédiction du risque cardiovasculaire 4 . Les calcifications aortiques, témoignant de l’athérosclérose, sont également plus importantes à la ménopause et leur extension augmente avec le nombre d’années de ménopause 5 . Parmi les facteurs qui influencent l’augmentation du risque car- diovasculaire à la ménopause, il faut mettre en avant le déficit en œstrogènes. Celui-ci contribue aux anomalies lipidiques et joue un rôle direct dans la distribution centrale de la graisse corporelle, l’insulinorésistance, et les perturbations de la fibrinolyse. Ces trois derniers facteurs contribuent à l’augmentation de la prévalence du syndrome métabolique chez les femmes ménopausées 6 . Le syndrome métabolique Les éléments constitutifs du syndrome métabolique incluent, entre autres : une accumulation de graisse abdominale ; une hypertension artérielle traitée ou non ; une insulinorésistance ; une hypertriglycéridémie ; un HDL (High Density Lipoprotein)- cholestérol bas ; des LDL (Low Density Lipoprotein) petites et denses ; une glycémie à jeun ≥ 1,10 g/L. La ménopause augmente de 60 % le risque de survenue d’un syndrome métabolique, même après ajustement pour l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC) et l’activité physique 6 . La moitié des événements cardiovasculaires qui surviennent chez les femmes ménopausées est due à la présence d’un syndrome métabolique 7 . Composition corporelle La perte des œstrogènes lors de la ménopause est associée à une accumulation de la graisse centrale, celle-ci constituant un déterminant majeur du syndrome métabolique et un facteur de risque cardiovasculaire indépendant 8 . Même en l’absence de gain de poids, la distribution de la graisse change avec la ménopause. La transition préménopause/ménopause est asso- ciée à une augmentation préférentielle de l’adiposité abdomi- nale, indépendante de l’âge et de l’adiposité totale 8 . Le rapport taille/hanche augmente, ainsi que la graisse corporelle totale. L’augmentation de la graisse abdominale a été confirmée après mesure par scanner 9 . La ménopause est également associée à une diminution de la masse maigre (muscles), qui semble liée à une moindre activité physique, et pourrait expliquer en partie l’augmentation de la graisse centrale 10 . Le rôle de l’adiponectine dans la survenue d’un syndrome métabolique reste contro- versé 11 . Plusieurs travaux suggèrent, par ailleurs, que l’élévation de la pression artérielle après la ménopause est davantage liée à l’augmentation de l’IMC qu’à l’absence d’œstrogènes 11 . Métabolisme des lipides Une augmentation de la graisse abdominale est associée à une plus grande insulinorésistance, une élévation des acides gras libres, et peut-être une diminution de l’adiponectine 12 . Tous ces facteurs contribuent à une production accrue d’apoprotéines-B avec, pour conséquence, une hypertriglycéridémie, une éléva- tion des taux de la lipase hépatique responsable d’une synthèse accrue de petites LDL denses et d’une diminution de la synthèse des HDL2 anti-athérogènes 1 . Bien que ce ne soit pas un des élé- ments du syndrome métabolique, les LDL augmentent de 10 à 20 % et les changements les plus importants s’observent lors de la période de transition préménopause/postménopause 13 . La prévalence des petites LDL denses est basse avant la ménopause Ménopause et syndrome métabolique Le syndrome métabolique, fréquent chez la femme ménopausée, semble ici lié au déficit en œstrogènes à cette période de la vie. Or, il est un facteur de risque majeur d’athérosclérose et nous savons que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès, en France, chez les femmes postménopausées.

Ménopause et syndrome métabolique

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12 OptionBio | Lundi 23 mars 2009 | n° 415

La ménopause se définit1 comme l’absence de règles depuis au moins 12 mois. L’évolution des règles dans le temps est le meilleur indicateur de l’état de postménopause car

les mesures hormonales d’œstradiol et d’hormones folliculo-stimulantes (FSH) varient largement pendant la période de péri-ménopause. Elle correspond à une période de règles irrégulières débutant lorsque la durée des cycles menstruels devient variable, soit plus longue, soit plus courte. La périménopause peut durer 4 ans et prend fin une année après les dernières règles.

Ménopause et risque cardiovasculaireLes maladies cardiovasculaires (MCV) représentent la première cause de décès chez les femmes dans les pays occidentaux1. En France, en 2005, 32 % des décès des femmes étaient secondaires à une MCV contre 25 % pour les cancers. Avant la ménopause, les femmes sont mieux protégées des MCV que les hommes, et l’infarctus du myocarde est rare avant 60 ans. Vers l’âge de 70 ans, l’incidence des MCV est la même que chez les hommes, ce qui laisse à penser que le déficit en œstrogènes est responsable d’une rapide accélération du risque cardiovasculaire.L’étude de Framingham montre que les MCV sont multipliées par quatre dans les 10 ans qui suivent la ménopause. Il en est de même lorsque la ménopause survient précocement après chirurgie2. Une étude menée auprès de 294 femmes méno-pausées depuis 5 à 8 ans, comparées à 292 femmes avant la ménopause et appariées en âge, a montré que 45 % des femmes ménopausées ont une augmentation de l’épaisseur intima-média des carotides contre 16 % des femmes non ménopausées3. L’épaisseur intima-média des carotides est un élément puissant de prédiction du risque cardiovasculaire4. Les calcifications aortiques, témoignant de l’athérosclérose, sont également plus importantes à la ménopause et leur extension augmente avec le nombre d’années de ménopause5.Parmi les facteurs qui influencent l’augmentation du risque car-diovasculaire à la ménopause, il faut mettre en avant le déficit en œstrogènes. Celui-ci contribue aux anomalies lipidiques et joue un rôle direct dans la distribution centrale de la graisse corporelle, l’insulinorésistance, et les perturbations de la fibrinolyse. Ces trois derniers facteurs contribuent à l’augmentation de la prévalence du syndrome métabolique chez les femmes ménopausées6.

Le syndrome métaboliqueLes éléments constitutifs du syndrome métabolique incluent, entre autres : une accumulation de graisse abdominale ; une

hypertension artérielle traitée ou non ; une insulinorésistance ; une hypertriglycéridémie ; un HDL (High Density Lipoprotein)-cholestérol bas ; des LDL (Low Density Lipoprotein) petites et denses ; une glycémie à jeun ≥ 1,10 g/L.La ménopause augmente de 60 % le risque de survenue d’un syndrome métabolique, même après ajustement pour l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC) et l’activité physique6. La moitié des événements cardiovasculaires qui surviennent chez les femmes ménopausées est due à la présence d’un syndrome métabolique7.

Composition corporelleLa perte des œstrogènes lors de la ménopause est associée à une accumulation de la graisse centrale, celle-ci constituant un déterminant majeur du syndrome métabolique et un facteur de risque cardiovasculaire indépendant8. Même en l’absence de gain de poids, la distribution de la graisse change avec la ménopause. La transition préménopause/ménopause est asso-ciée à une augmentation préférentielle de l’adiposité abdomi-nale, indépendante de l’âge et de l’adiposité totale8. Le rapport taille/hanche augmente, ainsi que la graisse corporelle totale. L’augmentation de la graisse abdominale a été confirmée après mesure par scanner9. La ménopause est également associée à une diminution de la masse maigre (muscles), qui semble liée à une moindre activité physique, et pourrait expliquer en partie l’augmentation de la graisse centrale10. Le rôle de l’adiponectine dans la survenue d’un syndrome métabolique reste contro-versé11. Plusieurs travaux suggèrent, par ailleurs, que l’élévation de la pression artérielle après la ménopause est davantage liée à l’augmentation de l’IMC qu’à l’absence d’œstrogènes11.

Métabolisme des lipidesUne augmentation de la graisse abdominale est associée à une plus grande insulinorésistance, une élévation des acides gras libres, et peut-être une diminution de l’adiponectine12. Tous ces facteurs contribuent à une production accrue d’apoprotéines-B avec, pour conséquence, une hypertriglycéridémie, une éléva-tion des taux de la lipase hépatique responsable d’une synthèse accrue de petites LDL denses et d’une diminution de la synthèse des HDL2 anti-athérogènes1. Bien que ce ne soit pas un des élé-ments du syndrome métabolique, les LDL augmentent de 10 à 20 % et les changements les plus importants s’observent lors de la période de transition préménopause/postménopause13. La prévalence des petites LDL denses est basse avant la ménopause

Ménopause et syndrome métabolique

Le syndrome métabolique, fréquent chez la femme ménopausée, semble ici lié au déficit en œstrogènes à cette période de la vie. Or, il est un facteur de risque majeur d’athérosclérose et nous savons que les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès, en France, chez les femmes postménopausées.

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(10-13 %), mais augmente entre 30 et 49 % lors de la méno-pause, et constitue un risque majeur d’infarctus du myocarde14.L’augmentation des triglycérides est probablement liée au fait que leurs niveaux sont corrélés à l’importance de la graisse abdominale et à l’insulinorésistance. Plusieurs études ont montré une légère diminution du HDLc lors de la ménopause, et en particulier des HDL2 les plus anti-athérogènes (–25 %), alors que les HDL3 augmentent15. L’étroite corrélation inverse entre graisse abdominale et HDLc est largement dépendante des variations de HDL216. La Lp(a) (lipoprotéine a), qui possède une homologie structurelle avec le plasminogène, bien que peu mesurée en pratique clinique, est un puissant élément prédictif du risque cardiovasculaire, indépendamment des valeurs des LDL. Plusieurs études ont montré une élévation de la Lp(a) de 25 à 50 % lors de la ménopause. Cette augmentation s’explique par le fait que la Lp(a) est sensible aux hormones stéroïdiennes et revient à des niveaux identiques à ceux de la préménopause lors d’un traitement hormonal substitutif de la ménopause17.

InsulinorésistanceL’insulinorésistance (IR) est l’un des deux éléments physiopa-thologiques majeurs du syndrome métabolique, avec l’obésité abdominale. Celle-ci est fortement associée à l’augmentation de l’IR, à l’augmentation compensatrice de l’insulinémie et au risque accru de diabète de type 2. L’IR et l’hyperinsulinémie ina-déquate contribuent à l’augmentation de la production d’acides gras libres provenant du tissu adipeux. Ces derniers, à leur tour, entravent la captation périphérique du glucose, augmentent la gluconéogenèse hépatique et réduisent la clairance hépatique de l’insuline18. La diminution de la sensibilité à l’insuline augmente avec l’âge, ainsi que la graisse viscérale, ce qui rend difficile à différencier de façon formelle les rôles respectifs de l’âge et de

la ménopause. Dans un travail qui comparait, chez des femmes de 20 à 78 ans, l’IR et l’obésité viscérale, il a été conclu que l’IR n’apparaît pas avant 60 ans, l’âge auquel les femmes ont accumulé des niveaux de graisse viscérale proches de ceux des hommes, suggérant un possible seuil d’apparition de l’IR19.

TraitementLe traitement n’est guère différent de ce que l’on peut propo-ser dans le cadre du syndrome métabolique en dehors de la ménopause. Celui-ci repose essentiellement sur des modifi-cations de l’hygiène de vie. Une perte de poids et une activité physique régulière sont les clés d’une diminution du risque cardiovasculaire. Même une perte de poids modeste agit sur l’adiposité viscérale et diminue l’insulinorésistance. Des exer-cices d’endurance, même modestes, améliorent la sensibilité à l’insuline, indépendamment de la perte de poids total. Il faut essentiellement que l’activité physique soit régulière.

ConclusionLes maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès chez les femmes en France en période de postménopause. Le syndrome métabolique est un facteur puissant du risque d’athérosclérose et survient de façon fréquente chez les fem-mes ménopausées. Plusieurs critères définissant le syndrome métabolique semblent liés au déficit en œstrogènes. Il en est ainsi de l’augmentation de la graisse abdominale, de l’élévation de la triglycéridémie, d’un HDLc bas et de la présence de peti-tes LDL denses. Il n’est cependant pas possible d’affirmer si le passage de la périménopause à la postménopause augmente le risque cardiovasculaire chez toutes les femmes, ou seulement chez celles présentant les critères diagnostiques d’un syndrome métabolique, avec ou non une prédisposition génétique1. |

FERNAND LAMISSE

Maison du Diabète, Tours (37)

[email protected]

SourcePratiques en nutrition. 2009 ; 17 : 31-5.

Références bibliographiques1. Carr MC. J Clin Endocrinol Metab. 2003 ; 88 : 2404-11.2. Gohlke-Barwolf C. Basic Res Cardiol. 2000; 95 (Suppl 1) : 177-83.3. Sutton-Tyrrell K et al. Stroke. 1998 ; 29 : 1116-21.4. Chambless LE et al. Am J Epidemiol. 1997 ; 146 : 483-94.5. Witteman JC et al. Br Med J. 1989 ; 298 : 642-4.6. Park YW et al. Arch Intern Med. 2003 ; 163 : 427-36.7. Wilson PW et al. Arch Intern Med. 1999 ; 159 : 1104-9.8. Poehlman ET et al. Ann Intern Med. 1995 ; 123 : 673-5.9. Toth MJ et al. Int J Obes Relat Metab Disord. 2000 ; 24 : 226-31.10. Poehlman ET. Acta Obstet Gynecol Scand. 2002 ; 81 : 603-11.11. Nishizawa H et al. Diabetes. 2002 ; 51 : 2734-41.12. Matthews KA et al. Stroke. 2001 ; 32 : 1104-11.13. Carr MC et al. J Invest Med. 2000 ; 48 : 245-50.14. Stevenson JC et al. Atherosclerosis. 1993 ; 98 : 83-90.15. Lamarche B et al. Arterioscler Thromb Vasc Biol. 1997 ; 17 : 1098-105.16. Bruschi F, et al. Obstet Gynecol. 1996 ; 88 : 950-4.17. Despres JP. Nutrition. 1993 ; 9 : 452-9.18. De Nino WF et al. Diabetes Care. 2001 ; 24 : 925-32.19. Ridker PM et al. Lancet. 1993 ; 341: 1165-8.

Fibrinolyse et marqueurs de l’inflammationL’activité fibrinolytique est faite d’un équilibre entre activateur tissulaire du

plasminogène (tPA) et l’inhibiteur 1 de l’activateur du plasminogène (PAI-1).

L’augmentation de ce dernier ralentit le temps de lyse du caillot et potentialise

la thrombose. Des niveaux élevés de PAI-1 sont associés de façon indépen-

dante au risque cardiovasculaire1. Le PAI-1 est considéré comme un marqueur

de l’insulinorésistance. Les femmes ménopausées présentent des niveaux plus

élevés de PAI-1 que les femmes avant la ménopause. Ceci implique qu’un déficit

en œstrogènes et une augmentation de l’adiposité viscérale sont associés à

une diminution du potentiel fibrinolytique2.

La CRP (protéine C réactive) est un marqueur de la présence et de l’intensité

d’une inflammation et prédit de façon indépendante le risque cardiovasculaire

dans les deux sexes. La CRP, comme le PAI-1, est associée de façon positive à

la graisse abdominale. Il a été montré, par ailleurs, que la perte de poids lors

de la ménopause réduit la CRP de 32 %3. Des niveaux élevés d’interleukine-6

(IL-6), qui induit la production de CRP, sont associés à un risque important de

mortalité cardiovasculaire. Plusieurs études ont montré des taux plus élevés

d’IL-6 lors de la ménopause qu’avant la ménopause4.

Notes1. Gebara OC et al. Circulation. 1995 ; 91 : 1952-8.2. Tchernof A et al. Circulation. 2002 ; 105 : 564-9.3. Pfeilschifter J et al. Endocr Rev. 2002 ; 23 : 90-119.4. Despres JP et al. Am J Physiol. 1991 ; 261 : E159-E167.