36
Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme Author(s): J. L. MORENO Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 6 (1949), pp. 43-77 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40688691 . Accessed: 13/06/2014 11:21 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Méthode expérimentale, Sociométrie et MarxismeAuthor(s): J. L. MORENOSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 6 (1949), pp. 43-77Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40688691 .

Accessed: 13/06/2014 11:21

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCahiers Internationaux de Sociologie.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme1

PAR J. L. MORENO

A l'époque où Comte et Mill, les deux théoriciens de méthode expérimentale, construisaient leurs systèmes universels, Karl Marx était en train d'édifier le sien selon une orientation différente. Théoricien et philo- sophe de la pratique, Marx leur adversaire, poussait en un sens opposé au leur dans les Thèses sur Feuer- bach (1845) et dans le Manifeste Communiste (1848). A quelqu'un de versé dans les méthodes sociométriques, il semblerait qu'il suivait inconsciemment un modèle de méthode expérimentale plus spontanément appro- prié aux sciences sociales, un modèle d'acteurs sociaux dans un monde en action. Nous ne voulons pas insi- nuer par là que Marx s'intéressait à la méthode expé- rimentale pour elle-même. Il ne se préoccupait pas du type de précision et de preuve qui fait l'objet de cette méthode ; mais il s'intéressait à des méthodes particu- lières qui fonctionnent dans la pratique sociale et que corroborent les « expérimentations de la nature ». On peut comparer les applications que font de la méthode expérimentale la sociométrie et le marxisme.

I. SOCIOMÉTRIE ET MÉTHODE EXPÉRIMENTALE.

La Méthode Expérimentale de la Sociométrie. - La i. Une partie de cette étude est emprunté© à un chapitre du recueil

Current Trends in Svcial Psychology, Pittsburg University Press, 1948.

43

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

principale tâche méthodologique de la sociométrie a été de réviser la méthode expérimentale de manière à pouvoir l'appliquer effectivement aux phénomènes sociaux. La sociométrie a été définie comme « l'étude mathématique des propriétés psychologiques des popu- lations ; la technique expérimentale des méthodes quan- titatives et les résultats obtenus par leur application » ; et encore comme « l'enquête concernant l'évolution et l'organisation des groupes et la position qu'y occupent les individus ». Comme « science de l'organisation de groupe », « elle aborde le problème, non pas à partir de la structure extérieure du groupe, de sa surface, mais à partir de sa structure interne ». La définition de la sociométrie était ainsi en accord avec son étymo- logie latine, mais l'accent portait non seulement sur la seconde moitié du terme, sur metrnm, mesure, mais aussi de plus en plus sur la première : sur socius, com- pagnon. L'un et l'autre principes avaient été négligés ; mais une analyse plus poussée avait omis bien plus encore l'aspect socius que celui de metrum. Le mot sociométrie est construit, au point de vue linguistique, comme d'autres termes scientifiques traditionnels : bio- logie, biométrie ; psychologie, psychométrie ; sociologie, sociométrie. Du point de vue de la classification des sciences, la sociométrie contribue à des ensembles de problèmes tels que la sociologie, l'anthropologie, la psy- chologie sociale, la psychiatrie sociale, etc. Elle se préoc- cupe des aspects : compagnon et mesure, communs à tous les domaines sociaux. La sociométrie comme science n'est pas encore définitivement constituée ; dans sa pers- pective la plus vaste, elle englobe des tendances variées. Depuis ses débuts systématiques, elle a donné naissance à trois ordres de recherches : a) la sociométrie dyna- mique (les représentants en sont J. L. Moreno, H. Jen- nings et, jusqu'à un certain point K. Lewin) ; b) la sociométrie diagnostique (J. Criswell, G. Lundberg, U. Bronfenbrenner, M. Northway, B. Bonney, L. Zeleny, C. Loomis, F. Chapin, E. Bogardus, etc.) ; c) enfin la

44

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociometrie et Marxisme

sociométrie mathématique (P. Lazarsfeld, L. Katz, S. Dodd, J. Stewart). Ces trois divisions se chevauchent et certains chercheurs (comme l'auteur de cet article) ont apporté des contributions à chacune d'entre elles.

Chaque science se rapporte à une constellation de faits et aux moyens de les mesurer. Sans moyens adé- quats pour découvrir les faits et sans moyens adéquats pour les mesurer, une science ne peut exister. La démarche préliminaire au développement de toute science est de réaliser les conditions dans lesquelles apparaissent les faits essentiels ; ces conditions varient d'une science à l'autre. On sait relativement bien com- ment isoler les faits physiques et biologiques pour les décrire, les observer soigneusement et les étudier. Le problème de créer l'ambiance nécessaire à la saisie des faits les plus significatifs dans le domaine des rapports humains, est beaucoup plus compliqué. Il ne faut rien de moins qu'une méthode révolutionnaire. Les raisons pour lesquelles il y a une si grande différence entre les préliminaires des sciences sociales et ceux des sciences physiques ne sont pas immédiatement évi- dentes. Dans les sciences physiques, le sujet étant ina- nimé, l'accent porte principalement sur les aspects mécaniques, physiques de la situation. Nous ne nous attendons pas à ce que les pierres, l'eau, le feu, la terre ou les planètes, le soleil et les étoiles apportent une contribution personnelle à leur étude ; nous ne leur attribuons pas d'âme ou de personnalité, sauf dans les mythologies ; du moins nous ne le faisons plus. Les attaches métaphysiques qui pourraient exister entre les planètes et les étoiles, comme acteurs mythologiques doués d'âme, ne concernent donc pas la science de la physique. Ce problème ne change guère quand on s'oc- cupe d'organismes infrahumains, par exemple dans des expériences sur les rats, les cobayes, etc. L'enquêteur social, celui qui organise l'expérience et interprète les données, est un être humain, et non un cochon d'Inde ou un rat. Dans de telles expériences ceux-ci ne jouent

45

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

aucun rôle comme acteurs pour leur propre compte. Toutes les entreprises expérimentales analogues sont des entreprises humaines, et non des entreprises de cobayes ou de rats. Si un esprit poétique à la Swift pou- vait décrire les sentiments des rats les uns pour les autres et ce que signifient pour eux les expériences que font à leur dépens les hommes, ce serait probablement du ressort de notre compréhension artistique, mais en dehors de notre compréhension scientifique. On pour- rait dire que nous essayons de mesurer le comporte- ment des rats tel qu'il « est » et non ce que les rats le sentent être, mais ceci ne change pas la difficulté méthologique à laquelle nous nous heurtons quand nous appliquons les mêmes techniques d'observation aux relations des hommes entre eux. On peut soutenir que les sociétés animales sont données et prédéterminées exactement comme les organismes animaux indivi- duels ; mais la société humaine n'est pas automatique- ment donnée et prédéterminée. Bien qu'étroitement liée aux conditions physiques et biologiques, la structure de la société se crée et se développe du dedans et peut être étudiée de l'intérieur.

Freud a déjà insisté sur la nécessité de participation volontaire et spontanée des sujets d'un traitement à la notification et à l'analyse de leurs idées. S'il fut scep- tique quant aux expériences psychologiques des écoles logicisantes, c'est qu'il se rendit compte intuitivement que l'étude de la nature humaine est difficile sinon impossible si l'on ne comprend pas ce que j'ai appelé « le processus de libération de la spontanéité » (war- ming up process). Mais Freud s'est arrêté à mi-chemin. Il fallut plus d'un quart de siècle après sa première publication en 1895, pour qu'avec l'avènement du psy- chodrame en 1923, sot complètement dégagé l'aspect extérieur d'une situation psychologique et que l'on en obtienne une compréhension plus approfondie ; il a fallu vingt-cinq ans de plus pour que cette interpréta- tion pénètre dans la littérature psychologique. Ma théo-

46

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

rie et ma pratique du psychodrame ont profondément transformé la situation telle qu'elle a été vue par Freud. Il appelait « libres » les associations qu'il voulait déga- ger pour les soumettre à l'analyse scientifique, mais celles-ci se limitaient en fait à des associations de mois (et en outre à l'interprétation de l'analyste). La spon- tanéité du corps restait en dehors de l'opération. La situation psychologique en elle-même était jusqu'à un certain point artificielle - une conversation dans un cabinet médical entre un docteur et un malade - ce qui, inévitablement, limitait et déformait le courant naturel des associations. Les méthodes psycho-drama- tiques cherchèrent à corriger ce défaut ; on abandonna la relation psychanalytique artificielle docteur-malade ; l'individu revint au lieu où il vit et agit en fait, à l'atmosphère normale de son existence, à ce que signi- fié littéralement la situation, in situ, sur les lieux, l'en- droit où il pense, sent et agit naturellement, spontané- ment et, jusqu'à un certain point, de manière créatrice. Ce retour au cadre normal aurait été une régression, si nous n'avions pas pu, d'une façon consciente, appro- fondir et élargir la situation psychologique au delà de ce que Freud avait réussi à faire. Je modelai le cadre expérimental de manière à ce qu'il pût être pour l'in- dividu un plan de vie, une reproduction en minia- ture des situations de son existence. On ne demandait pas seulement au sujet de parler de lui-même, de se laisser aller verbalement, mais d'agir, de s'extérioriser^ d'être un acteur. L'association des mots s'élargissait du fait de la combinaison des actes. Ces chaînes de mots et d'actes étaient eux-même reliés les uns aux autres et à une situation vitale concrétisée ; tous les fantômes verbaux étaient maintenant matérialisés comme les rôles des gens dans le psychodrame. La dynamique d'actes combinés fut encore élargie en enchaînement d'interactions entre différents individus. C'est peut-être grâce à cette extériorisation maxima de toute la per- sonnalité que le psychodrame rend directement appli-

47

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

/. L. Moreno

cable à la personnalité humaine, au moyen du test psy- chodramatique,, la méthode expérimentale. L'expé- rience in situ et le cadre de la vie ne faisant qu'un, on surmonte ainsi,, dans de nombreuses formes de produc- tions psychodramatiques, l'aspect artificiel de l'expé- rience organisée. Les premiers types de procédés psy- chodramatiques furent des expériences sur les lieux. Le transfert d'un psychodrame à un « théâtre », un laboratoire, ou une salle de traitement fut un dévelop- pement secondaire et plus tardif. Le processus social normal n'est pas, naturellement, tout spontané ; il engendre ses propres restrictions. Cependant si l'on garde comme modèle dans l'esprit l'expérience in situ, on peut réduire au minimum l'aspect artificiel de l'ex- périence organisée. Les observateurs et les analystes s'incorporent au processus de la vie du groupe : ils reçoivent une fonction immédiatement utile à chaque participant.

Parce que la méthode psychodramatique accorde une importance primordiale au processus de libération de la spontanéité humaine, elle est capable de tirer le maximum de spontanéité et de coopération des sujets participants. Un progrès a été réalisé dans la prise de conscience de l'aspect matériel de la situation psycho- logique ; c'est pourquoi on peut espérer que l'interpré- tation logique en sera faite de manière plus adéquate et plus sérieuse que dans le passé.

Si complexe que soit la structure de l'existence d'un individu particulier, il reste toujours possible de l'ob- server à part, dans un certain isolement. On peut lui parler individuellement et il peut répondre. Mais la structure matérielle de l'existence du groupe est infini- ment plus compliquée. Plus grande est l'étendue du groupe, plus compliquée et impénétrable est sa struc- ture matérielle. On ne peut pas parler au groupe et il ne peut pas répondre. Il n'a pas de Moi. Le processus de libération de la spontanéité du groupe est (s'il est possible) un plus grand mystère encore que celui d'un

48

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

individu et à moins d'inventer des méthodes grâce aux- quelles les actions dramatiques au sein du groupe puis- sent être déclenchées du dedans et par le groupe même, tous les efforts pour arriver à une science des groupes peuvent échouer plus radicalement encore que la science de l'homme.

La logique dynamique des bases matérielles des rela- tions sociales est particulièrement compliquée et elle est restée inconsciente chez l'homme du fait qu'il est intimement mêlé à sa propre situation. Pendant des millénaires, les activités de la société humaine ont donc été pour lui un mystère plus grand encore que n'im- porte quel autre aspect de l'univers. Parce qu'ils étaient plus loin de lui, il pouvait observer plus objectivement les mouvements des étoiles et des planètes, ou la vie des plantes et des animaux. Aussi la science de la société humaine est-elle aujourd'hui à peine aussi dé- veloppée que l'étaient la physique et l'astronomie au temps de Démocrite et de Ptolémée. Il faut à l'homme beaucoup d'esprit de sacrifice et de discipline pour se concevoir et s'accepter en tant qu'individu, ainsi qu'ac- cepter la structure de la mentalité individuelle et sa psychodynamique ; mais la structure de la société humaine et sa sociodynamique sont difficiles à accéder. L'effort d'objectivité vis-à-vis du socius rencontre beau- coup plus d'obstacles que l'objectivité vis-à-vis de notre propre mentalité. Le Moi peut encore saisir les situa- tions où il est lui-même engagé ; il peut, peut-être, pré- tendre les connaître parce que ces implications agissent à l'intérieur de lui-même. Les situations où est impli- qué le socius, il ne peut, cependant, prétendre les con- naître étant donné qu'elles opèrent en dehors de lui ; mais c'est un en dehors auquel il est inévitablement lié.

La sociométrie nous a appris à reconnaître que la société humaine n'est pas une fiction de l'esprit, mais une puissante réalité gouvernée par des régularités et un ordre qui lui sont propres, essentiellement différents de tous ceux qui gouvernent d'autres secteurs de l'uni-

49 4

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

/. L. Moreno

vers. Elle a ainsi élaboré des méthodes appelées socio- métriques grâce auxquelles on peut définir exactement ce domaine et l'explorer.

La structure interne, matérielle, du groupe ne devient qu'en des cas rares visible à la surface des interactions sociales ; et lorsqu'elle devient visible, personne ne peut savoir avec certitude si la structure de surface est la réplique de la structure en profondeur. Afin donc de créer des conditions dans lesquelles la structure en pro- fondeur puisse devenir visible - fonctionnellement - les «organismes » du groupe doivent se transformer en « acteurs » ; ils doivent se dégager en fonction d'un but commun, d'un point de référence (critère) et le « cadre » ou le « terrain de recherches » doit se trans- former en causes susceptibles de provoquer l'action des motifs. Comme nos observations, même les plus détaillées, de l'interaction peuvent être incomplètes, dépourvues de sens ou inutiles aux acteurs, nous devons obtenir que nos acteurs agissent comme ils le feraient dans la réalité. Les expérimentateurs doivent donc entrer dans le mouvement de la vie sociale elle-même et aider à ses participants sur les lieux et dans l'action même, à accroître leur souplesse et leur productivité, à élargir leur perception de la réalité au delà de leur horizon habituel. La seule manière féconde de les faire révéler les uns aux autres leurs vrais Moi - en se référant à un critère vital - est de trouver des techni- ques qui les induisent à créer communément et sponta- nément. La sociométrie a élaboré plusieurs techniques de ce genre. Deux exemples en sont : l'expérimentation sociométrique sur les lieux et le sociodrame sur les lieux (in situ). Ce sont des formes dynamiques de l'in- tervention operative dans la réalité sociale grâce à laquelle celle-ci se définit par des actions effectuées par les acteurs sociaux eux-mêmes, pour autant qu'ils ont des objectifs communs.

Les techniques sociométriques représentent une syn- thèse de méthodes de recherche subjectives et objec-

50

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

tives. Une expérimentation sociométrique sur les lieux réalise à un haut degré : a) l'autonomie des caractères individuels ; b) leur observation et leur appréciation par les autres ; c) la mensuration des aspects subjectifs et objectifs de leur comportement ; d) l'autonomie des groupes particuliers et leur interaction réciproque. Il en est de même du sociodrame ; c'est une synthèse de méthodes subjectives et objectives de recherches : a) les protagonistes dépeignent leurs propres expériences dans leurs propres paroles et par leurs actions propres ; mais : b) ils sont aussi observés et jugés par d'autres ; et : c) on mesure et on enregistre les phases de l'expé- rience, sous l'aspect subjectif et objectif.

L'expérimentation sociométrique vise à transformer en un ordre nouveau l'ancien ordre social. C'est un plan pour rebâtir, s'il est nécessaire, les groupes, de manière à ce que la structure officielle ou de surface ressemble autant que possible à la structure en profondeur. Le test sociométrique représente, sous sa forme dynamique, l'introduction d'un élément révolutionnaire dans la recherche. Il bouleverse le groupe du dedans, ainsi que dans ses rapports avec les autres groupes ; il engendre une révolution sociale sur une échelle microscopique. S'il ne produit pas à quelque degré un bouleversement, on peut suspecter l'enquêteur de l'avoir modifié - par respect pour l'ordre social existant - de manière à en faire un instrument inoffensif et inefficace.

L'une des raisons de la fécondité de la sociométrie dans le passé et plus encore de ses promesses pour l'avenir, c'est son utilité immédiate. Parce qu'elle se rend directement utile, elle évite ce caractère factice que présentent la plupart des soi-disant « essais d'expé- rimentation sociologiques :». Une seconde raison de son succès et de ses promesses est qu'elle traite de données concrètes, observables dans de petits systèmes sociaux. Il serait réjouissant de connaître entièrement des sys- tèmes sociaux compliqués, mais il est prudent de dire que nous n'en connaîtrons jamais grand'chose tant que

51

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

nous n'aurons pas acquis la maîtrise de la structure et du fonctionnement de systèmes sociaux plus simples. Nos généralisations plus vastes, qui restent toujours plus ou moins des hypothèses, peuvent alors être formu- lées, mises à l'épreuve et révisées à partir de ce que nous savons de précis sur des systèmes sociaux simples, observables et modifiables... Ainsi en a-t-il toujours été, en est-il et en sera-t-il toujours dans les sciences phy- siques et biologiques ; ainsi aussi doit-il en être pour les « sciences sociales. »

Processus de libération de la spontanéité et la méthode expérimentale. - Nous parlons, souvent sans précaution, de généralisations et de lois sociométriques, supposant évidemment que certaines régularités sont à l'œuvre dans les relations humaines comme dans les autres secteurs de l'univers. Comment pouvons-nous justifier une telle prétention ? L'instrument de la preuve a été le canon de la méthode expérimentale, mais dans le domaine des relations humaines l'aspect matériel et l'aspect logique de l'enquête montrent un conflit diffi- cile à résoudre, à cause de la nature même du proces- sus de libération de la spontanéité. Le processus de libération de la spontanéité peut être défini comme l'expression provoquée de la spontanéité. (La sponta- néité est une réponse relativement satisfaisante par laquelle un être humain réagit à une situation qui pré- sente un degré variable de nouveauté). Lorsqu'on entre- prend une recherche sur le processus de libération de la spontanéité, il est recommandable d'envisager le pro- cessus du haut en bas : d'abord l'acteur, puis l'orga- nisme, puis l'acte. On ne peut pas effectuer d'actes à moins d'être un organisme et on ne peut pas rendre son organisme productif sans qu'il devienne un acteur. L'organisme dans le champ d'expérience devient l'ac- teur sur les lieux. On ne peut pas étudier l'acteur en sens inverse s'il est incapable d'agir en sens inverse. On ne peut l'étudier que selon les lignes de force de sa capacité à agir, telle qu'elle apparaît au moment de

52

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

l'étude. Si on induit l'acteur - pour des raisons d'en- quête - à libérer sa spontanéité dans une direction pour laquelle il n'est pas prêt ou qui est contraire à ses tendances, on introduit un élément artificiel dans le drame qui ne peut être éliminé complètement par aucun moyen. L'acteur humain peut perdre sa spon- tanéité en un instant et quelques moments plus tard avoir de la peine à se rappeler l'expérience. Pour qu'il soit à la hauteur de l'acte qu'il est appelé à effectuer, l'acteur devrait commencer à libérer sa spontanéité à un moment aussi proche que possible de l'acte et on devrait connaître l'instant où il commence à la libérer. (Règle de libération de la spontanéité ou de producti- vité active). Dans le processus de libération de la spon- tanéité du groupe, il est nécessaire de prendre en consi- dération tous les co-acteurs sur les lieux et tenir compte de l'orientation de leur productivité. Afin de les saisir dans leur ensemble, il faut se mouvoir avec eux ; mais comment se mouvoir avec eux à moins que l'expéri- mentateur ne fasse partie du mouvement, ne soit un co-acteur ? La meilleure manière de s'intégrer dans le processus de libération de la spontanéité est de devenir un membre du groupe (Règle de la « co-action » de. l'enquêteur avec le groupe). Mais devenir membre du groupe, c'est d'être dépouillé du rôle d'enquêteur qui doit se trouver en dehors du groupe, qui projette, qui crée, qui manipule l'expérience. On ne peut pas être simultanément un membre du groupe et un « agent secret » de la méthode expérimentale. La seule manière de sortir de ce cercle vicieux, c'est de donner à chaque membre du groupe le statut d'enquêteur, c'est de les transformer tous en expérimentateurs, en s'entendant avec eux pour entreprendre en commun une expéri- mentation sociale. Si un groupe possède une centaine de membres, on est désormais en présence d'une cen- taine d'expérimentateurs et comme chacun fait sa « propre expérimentation », il y en aurait une centaine ; il faudrait donc les coordonner entre elles. La sociomé-

53

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

trie est la sociologie du peuple, par le peuple et pour le peuple ; ici cet axiome s'applique à la recherche sociale elle-même (Règle de la participation universelle à V action).

Mais en renonçant à son identité, qu'a donc gagné l'expérimentateur du point de vue de l'aspect logique de son enquête ? A première vue, il ne semble pas qu'il ait gagné quoi que ce soit. Il ne semble pas que, pour prouver une hypothèse, il puisse provoquer plus faci- lement qu'auparavant deux situations opposées se trou- vant sous son contrôle. Mais d'un point de vue socra- tique, il a gagné quelque chose : il participe à des expé- riences, à des expériences sur les lieux ; il apprend. Il réalise un progrès lent, mais réel en participant au mouvement dialectique vers la méthode socio-expémen- taie, authentique, de l'avenir. Au lieu de se hâter de mettre à l'épreuve une hypothèse en construisant rapi- dement un groupe de contrôle par opposition à un groupe expérimental réel - pseudo-expérimentation qui donne de pseudo-résultats, - il prend son temps pour réfléchir à tous les aspects de la nouvelle situa- tion. Une hypothèse pourrait rester vraie bien que la preuve n'en ait jamais été administrée. Mieux vaut attendre jusqu'à ce qu'on puisse vraiment la prouver que de l'invalider en voulant la prouver prématuré- ment. A mesure que le temps passe, l'expérimentateur peut devenir mieux adapté à son double rôle puisqu'il le partage avec chaque membre de son groupe. Mais quand il prépare une expérience, il doit prendre ses précautions et ne pas l'imposer trop précipitamment au groupe. En fait il ne doit, pas plus que n'importe quel autre membre, prendre des allures d'expérimen- tateur. Vivant au sein du groupe, il découvrira bientôt qu'il y a une profonde différence entre le comportement officiel et le comportement secret de ses membres chez qui les besoins officiels et les besoins secrets, les valeurs officielles et les valeurs secrètes se livrent une lutte continuelle (Règle d€ la différence dynamique dans la

54

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

structure de groupe, la périphérie opposée au centre). Il découvrira bientôt aussi que les individus sont poussés à certains moments par des aspirations individuelles, à d'autres par des aspirations collectives qui divisent le groupe selon une ligne spéciale de partage. (Clivage du groupe dû aux processus psychostructurels et socio- structurels). Avant de proposer un plan expérimental ou un programme social quelconque, l'expérimentateur doit tenir compte de la constitution actuelle du groupe. Pour que chaque membre ait un motif adéquat d'y participer spontanément, l'expérimentation doit appa- raître à chaque participant comme « sa propre cause », comme « un motif, un excitant, un but essentiellement propre à lui et non à celui qui lance l'idée (expérimen- tateur, employeur ou autre agent disposant du pou- voir) ; l'expérience doit « se présenter comme entrant dans les fins vitales du sujet », « une occasion pour lui de devenir un facteur actif dans ce qui concerne sa situation et son existence » (Règle de la motivation adéquate). Comme il apprend à se familiariser inté- rieurement avec les directives de la recherche, il peut concevoir l'idée de devenir membre de deux ou plu- sieurs groupes, l'un servant de contrôle à l'autre. Ceci devrait être une expérimentation, non pas naturelle- ment formée, mais consciemment et systématiquement créée par le groupe dans son ensemble, selon un projet d'avance formulé. Tout ceci, naturellement, ne peut se produire que si les processus de libération de la spon- tanéité de tous les individus et tous les groupes parti- cipants se fondent dans une seule et même expérience (Règle d'inclusion « graduelle » de tous les critères extrinsèques). Une équipe intelligente de co-expérimen- tateurs pourra rencontrer bien d'autres difficultés et d'autres obstacles sur son chemin vers la perfection scientifique. Mais si peu ou si loin qu'ils avancent, ils ne feront jamais illusion à eux-mêmes ou aux autres ; ils préféreront le lent processus dialectique de l'expé- rimentation sociométriqüe sur les lieux à des expé-

55

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

riences sociales qui ne sont fondées que sur l'induction et la logique.

L'expérimentation sociométrique ne fonde pas ses découvertes sur la méthode d'interview ou de « ques- tionnaire », ce que l'on croit souvent à tort ; c'est une méthode d'action, une pratique. L'enquêteur en socio- métrie recherche « l'état naissant » (en train de se faire) de la situation; il intériorise la méthode expé- rimentale, et en devient un acteur. Il se limite étroite- ment à la partie matérielle de l'enquête et ne se permet pas à lui-même de passer à la partie logique, à moins de pouvoir le faire en toute sécurité. Il cherche à mesu- rer ce qui peut être mesuré, à prouver ce qui peut être prouvé, mais dédaigne mesures et preuves pour elles- mêmes. Cependant la prise des mesures fait intrinsè- quement partie de la dialectique sociométrique. L'ex- périmentateur cherche la preuve qui ressort du maté- riel lui-même sans référence à des critères extrinsèques. L'index sociométrique, par exemple, est un index de validation des sélections observées dans les comporte- ments d'attraction et de répulsion à l'intérieur d'un groupe. Criswell souligne que « les régularités obtenues ont une signification intrinsèque et n'ont pas besoin d'être validés par référence à des critères externes » 2. La méthode expérimentale ne pourrait rien prouver au delà de ce que prouve l'index sociométrique.

La contribution fondamentale apportée par la socio- métrie aux sciences sociales consiste dans ses méthodes de découverte ; leur centre, le domaine des relations entre personnes et entre groupes, était un domaine où les connaissances se réduisaient pratiquement à zéro. La méthode expérimentale appliquée aux sciences sociales s'est préoccupée uniquement des méthodes de preuve. Pour une science naturelle bien constituée et en progrès, les méthodes de découverte viennent

?. Joan H. Criswell, « A Sociomolric Study of Race Clivage in the Class- Room », Archives of Isychology, no^t), 33, et 235.

56

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

d'abord, les méthodes de preuve ensuite. Les méthodes de preuve devraient découler des méthodes de décou- verte. Le canon de la méthode expérimentale formulé par Mill est issu de la physique et a été pensé pour répondre aux besoins des méthodes de découverte dans ce domaine. Les sciences sociales ont besoin d'élabo- rer des méthodes de preuve correspondant à la structure de leurs matériaux. Les méthodes sociométriques de découverte sont nombreuses et sont encore en train d'augmenter : 1. Test de la première rencontre - index de la première rencontre - diagramme de la première rencontre. 2. Test sociométrique - index sociométri- que - sociogramme ou sociomatrice. 3. Test du rôle - index du rôle - diagramme du rôle. 4. Test d'inter- action - index d'interaction - diagramme d'inter- action. 5. Test de spontanéité - quotient de sponta- néité - graphiques de spontanéité. 6, Psychodrame - notifications - analyse du processus. 7. Sociodrame - notifications - analyse du processus. 8. Le journal parlé à plusieurs voix. 9. Le film thérapeuthique.

Dans l'analyse sociométrique de groupe, on fait res- sortir conjointement plusieurs aspects. La sociométrie n'est pas une méthode utilisant comme point de repère un aspect unique. Le test sociométrique, lui, n'explore qu'un seul aspect : attraction, répulsion ou télé ; le test de spontanéité explore la spontanéité ; le test de rôle, l'aspect du rôle, etc. Au moyen des enquêtes laborieuses sur la vie d'ensemble de petits groupes, nous pouvons apprendre à explorer des systèmes sociaux de plus en plus petits (microsociométrie) et graduellement monter ensuite vers les systèmes sociaux de plus en plus vastes (macrosociométrie) jusqu'à ce que nous puissions envi- sager comme un système unique l'ensemble de la société humaine. La sociométrie est dans une large mesure une science classificatoire et on peut entreprendre des géné- ralisations en se fondant sur de telles classifications. La géographie et la géologie sont des exemples d'autres sciences classificatoires. Leur pendant en sociométrie

57

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

est la géographie psychologique ou sociographie. Au cours de recherches sociométriques nous rencon-

trons souvent des situations antinomiques et nous en profitons pour nos études. Mais le processus de libéra- tion de la spontanéité entre en jeu quand l'expérimen- tateur cherche à créer des situations antagonistes en provoquant une combinaison de facteurs appropriés pour une interprétation logique et qu'il réussit à amé- nager une conjoncture sociale de telle sorte qu'elle répond aux exigences d'un contrôle précis. Les êtres humains ne peuvent pas être manipulés comme des rats et forcés d'entrer dans des combinaisons requises sans que l'on introduise par là dans l'expérimentation des erreurs plus que lourdes. Du fait de préparatifs à l'ex- périmentation on risque de modifier les sujets et de déformer leurs processus de libération de la sponta- néité. L'expérimentation peut donc ne pas mesurer ce qu'elle prétend mesurer. Peu à peu les sujets durant l'expérience peuvent retourner à leur état d'esprit d'avant celle-ci en raison de leurs inclinations sponta- nées et de conjonctures produites par la libération de celles-ci.

La méthode sociométrique apporte une solution à ce problème. L'expérimentation sociométrique a engendré un nouvel ensemble de règles expérimentales. L'expé- rimentation doit être entreprise sur les lieux, c'est-à- dire dans les localités mêmes, dans les cadres mêmes où les caractères humains se manifestent le plus spon- tanément, où la libération de la spontanéité se produit le plus intensément et où ils ont la connaissance la plus approfondie de cette dernière grâce à leurs propres expériences. La structure même du processus de libé- ration de la spontanéité ne permet pas d'attribuer une égale valeur aux paroles et aux réactions des hommes les plus honnêtes, lorsqu'ils ont été artificiellement éloi- gnés de la scène de leurs amours et de leurs crimes et lorsqu'ils s'y trouvent effectivement. Cette situation peut changer dans un groupe construit d'une façon socio-

58

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

métrique, étant donné que l'éducation de la spontanéité dans ce cas s'intègre aux processus institutionnels du groupe. Tous les individus d'un tel groupe devien- draient des enquêteurs sur les situations qui leurs sont communes. Comme tels, ils pourraient assumer des fonctions différentes dans l'expérimentation sociale entreprise ; mais aucun membre du groupe ne serait tenu à l'écart de l'équipe de chercheurs, de même que personne ne pourrait être laissé sans nourriture et abri garantis. Ceci contredit absolument la conception cou- rante de l'expérimentation sociale selon laquelle il ne serait nullement besoin que les sujets observés fissent partie active de l'expérience ni que l'expérimentateur lui-même participât comme acteur. Le schéma établi après coup n'est pas une expérimentation au vrai sens du mot. Les partisans de ce type de recherche, parce qu'ils fuient les difficultés d'une méthode de participa- tion active et directe, et parce qu'ils craignent les situa- tions inextricables du présent et redoutent de se mon- trer incapables de trouver une réponse précise, lors- qu'ils sont mis en face de la réalité vivante du social, se retirent dans les cimetières du passé. C'est le plus grand triomphe de l'affirmation de Mill, selon laquelle les sciences sociales seraient incapables d'appliquer la méthode expérimentale à leurs données. Le physicien a pu organiser et manipuler en « autocrate scientifi- que » les objets physiques, les plantes et les animaux des règnes inférieurs. Mais le sociologue ne réussirait pas à devenir un autocrate dans son domaine et ver- rait sa recherche devenir d'autant moins féconde qu'il s'élèverait plus haut sur l'échelle de la réalité qu'il étudie.

Le fait que le canon expérimental de Stuart Mill ne puisse pas s'appliquer aux sciences sociales n'est donc pas dû à l'infériorité de celles-ci par rapport aux sciences naturelles ; c'est que le modèle ne leur con- vient pas. Le nouveau modèle, l'expérimentation socio- métrique sûr les lieux, est dans son enfance, mais paraît

59

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

plein de promesses. Mill, en sociologue passif, comme beaucoup de ses disciples contemporains, considéra l'univers du point de vue des étoiles et répondit à sa propre question concernant la possibilité d'expérimen- tation sociale par un Non catégorique. Marx en socio- logue participant activement à la vie sociale et peu préoccupé de desseins expérimentaux, répondit à la question par un Oui catégorique. Quelles sont les racines de ces deux conceptions diamétralement oppo- sées ? Elles sont les suivantes : les grands expérimen- tateurs religieux, tels que Bouddha, le Christ, Gandhi ; les utopistes sociaux, Fourier et Owen ; les réalistes sociaux, Marx et Lénine - si inconciliables que soient leurs points de vue - se rendaient bien compte en quoi consiste et comment se réalise la libération de la spon- tanéité des individus et des masses. Ils savaient par intuition qu'une expérimentation sociale doit pour réus- sir, suivre étroitement et anticiper les désirs vitaux ancrés, ne fut-ce que sous forme de rêve, dans la con- science des intéressés. Bien qu'ils n'aient jamais eu l'in- tention d'utiliser les réalisations auxquelles ils abou- tirent comme preuves de la validité de leurs hypothèses, ils ont infiniment plus contribué à la connaissance que les sciences sociales ont pu accumuler jusqu'à présent, que toutes les expérimentations sociales, artificiellement construites, mises ensemble. Au sens le plus large du mot il y a deux types de recherche sociale : observation périphérique, extérieure, indirecte, pseudo-objective et recherche pénétrante, interne, directe, subjective-objec- tive à la fois. Il y a ici, à la base, deux conceptions sociologiques opposées : 1) le genre humain peut atten- dre passivement le jour où sera achevée la tâche des recherches sociales soi-disant scientifiques ; 2) le genre humain, dès maintenant et immédiatement, peut pren- dre activement sa destinée sociale dans ses propres mains, mettre en train des expérimentations sociales, vérifier leur validité par leurs effets directs.

La conception sociométrique d'expérimentation et la

60

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

Sociologie Marxiste. - Dans ses « Thèses sur Feuer- bach », Marx a imaginé la phrase fameuse : « Les phi- losophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diffé- rentes façons ; le problème cependant consiste à le changer ». Cette citation pourrait nous introduire direc- tement à sa théorie et à sa pratique de la révolution sociale, mais notre objet ici est autre. Notre dessein est de juger de la contribution apportée par la socio- logie marxiste à la méthode expérimentale. Nous pou- vons interpréter dans ce but la phrase de Marx, en la formulant ainsi : la seule manière certaine de décou- vrir la structure propre de la société humaine, c'est d'essayer de la changer. Mais Marx, consciemment du moins, ne cherchait pas à découvrir « ce qu'est la struc- ture propre de la société humaine » ; il ne s'occupait pas de savoir si elle en a une. Il voulait changer la société en utilisant les moyens de révolution sociale, tels qu'il les avait conçus. Il possédait une intelligence trop rigoureuse et était un esprit réaliste trop péné- trant pour ne pas désirer savoir toute la vérité au sujet des problèmes que posent les rapports sociaux, pro- blèmes auxquels il avait consacré sa vie entière ; mais il croyait savoir d'avance ce dont a besoin la société humaine. Le révolutionnaire était à certains moments plus puissant en lui que le chercheur. Dans tous ses écrits ce conflit entre les deux est bien visible. Son esprit critique ne se satisfait pas de n'importe quel pro- jet de révolution sociale. Il révisait continuellement ses théories. Il vaudrait la peine d'étudier les réactions contre Marx chez Marx lui-même. Du fait de cette oscil- lation entre les deux extrêmes, Marx, à certains moments, se rapprocha, bien plus que nombre de ses adversaires, de l'idée d'une expérimentation sociale authentique. Il n'a pas prévu cependant que la société humaine ayant une structure propre peut être étudiée et déterminée avec un degré considérable de précision. La société était pour lui une cible immense, un champ d'actions décisives. Il en explora les forces et les idéo-

61

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J, L. Moreno

logies constituant ce champ, mais la société humaine comme telle lui apparaissait comme un ensemble amor- phe d'événements et d'individus en proie à ces puis- santes forces idéologiques qu'il avait découvertes. Les institutions économiques comme le capitalisme, cultu- relles comme la religion et la famille, politiques comme les formes de gouvernement, leur origine et leur évo- lution à travers l'histoire, et les stratifications sociales dont elles ont été la cause, tels furent les points cen- traux auxquels s'appliquait son matérialisme dialecti- que. Par contre le fait que la société ait une structure sociale autonome qui exige des technique spéciales pour l'étudier et la modifier, cela n'entra pas directement dans les perspectives qu'il avait ouvertes. Il ne s'inté- ressait qu'aux répercussions sociales d'une lutte intense entre deux forces idéologiques : capital et travail. On peut dire que Marx, le plus grand réaliste, peut-être, qui ait jamais existé en ce qui concerne les forces qui pèsent « du dehors » sur les ensembles humains, fut plutôt dépourvu de sens de réalité quant aux structures « internes » de la société. C'est à ce point de vue, d'ail- leurs, que l'on peut chercher l'explication de l'aspect irrationaliste des révolutions sociales prévues et fomentées par lui-même, Engels, Lénine et Trotzky.

Marx voulait s'occuper d'êtres humains réels vivant dans le monde présent et trouver une solution à leurs soucis les plus pressants. Comme nous le voyons, il ne s'engagea pas, malheureusement pour nous, assez pro- fondément dans des recherches minutieuses concernant les rapports sociaux. Il n'avait que peu d'intérêt pour l'individu et pour les unités sociales restreintes. Il était dérouté par un dogmatisme révolutionnaire excessif, tout comme certains sociologues contemporains sont déroutés par un dogmatisme logique excessif. Sa foi dans le progrès social et la justice sociale était plus grande que son désir d'étudier patiemment les struc- tures concrètes, délicates et compliquées, de la situa- tion humaine. Marx avait une idée pratique de ce que

62

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

devrait être une expérimentation authentique, mais il ressemblait quelque peu au médecin de l'ère préscien- tifique qui devait appliquer des remèdes au corps malade sans en connaître exactement l'anatomie, l'his- tologie et la physiologie.

Les révolutionnaires marxistes n'attendent pas que « les événements » se produisent. Ils craignent un retard dans le soulèvement des masses, ou même que ce sou- lèvement des masses ne se produise jamais ; aussi le provoquent-ils en appelant les masses à l'action (ils l'ap- pellent : la « volonté » des masses). Us créent ainsi jus- qu'à un certain point et inconsciemment, l'atmosphère d'une expérience sociométrique : ils transforment une situation collective - sur le lieu où elle se produit effec- tivement, in situ - en un laboratoire social. Mais l'opé- ration révolutionnaire est menée dans le noir ; on méconnaît la structure interindividuelle et sociodyna- mique des masses impliquées dans l'action, sauf en ce qui concerne la motivation idéologique et les rôles sociaux de surface, par exemple le « rôle » des travail- leurs opposés au « rôle » des capitalistes. Le danger pour les révolutionnaires marxistes, lorsqu'ils soulèvent les masses, consiste à les inciter à plus d'action qu'elles n'y seraient spontanément portées et qu'eux-mêmes ne sont capables d'en diriger. La conséquence en est que, non seulement les gains révolutionnaires (s'il y en a) sont parfois d'une valeur douteuse - car les marxistes n'arrivent pas à prévoir les moments de retour en arrière ou de réaction, - mais aussi parce que leur analyse sociale elle-même rencontre des difficultés inextricables, étant donné qu'ils ne s'intéressent pas au moment où l'action révolutionnaire a commencé et qu'ils ne posent pas la question de savoir quelle était la structure des masses in statu nascendi (c'est-à-dire : se faisant) et quels étaient les facteurs dynamiques spécifiques qui les ont agitées.

63

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

II. SOCIOMÉTKIE ET MARXISME.

Il y a un siècle que le Manifeste Communiste fut lancé par Karl Marx et Friedrich Engels. Il y a trente ans que la révolution russe et la dictature du proléta- riat furent instaurées, ayant pour chefs Lénine et Trotzky. L'humanité a regardé et continue à regarder ces événements avec un espoir sans précédent depuis l'apparition du Christianisme, en s'interrogeant sur leur sens. Quels sont les résultats acquis, quelles sont les innovations apportées par cette Grande Charte de la Science Sociale Révolutionnaire ? Quel est le bilan de gains et pertes ?

Marx a établi une distinction entre la propriété pri- vée des moyens de production et la propriété privée des biens de consommation. Comme les moyens de pro- duction appartiennent à une classe particulière, celle des capitalistes, les bénéfices, appelés par Marx la « plus-value », n'enrichissent qu'un petit nombre d'hom- mes, les bourgeois, au lieu d'enrichir le grand nombre, les travailleurs. Il posa la question de savoir qui des deux devrait disposer des moyens de production afin d'éliminer une répartition de revenus injuste et inégale. Jusque-là l'analyse de Marx était incontestable. Mais l'épreuve décisive, celle de la réalité, n'a pas justifié les conclusions qu'il en tira.

Sa première conclusion fut qu'il est impossible d'éta- blir tout de suite une société « sans classe ». Pendant la période de « transition », la majorité, le prolétariat, devrait s'emparer des moyens de production, les gérer et constituer un gouvernement des travailleurs : « la dictature du prolétariat ». Marx s'attendait à ce que cet Etat « secondaire » allât s'évanouissant graduellement et qu'une société complètement socialiste, se passant de l'Etat, vînt se substituer à lui. Son erreur fut de penser que le problème humain ne peut pas être saisi d'em-

64

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

blée comme un problème à la fois économique et psy- chologique, que la solution du problème psychologique peut attendre, que deux révolutions différentes pour ainsi dire sont nécessaires, que la révolution économi- que doit précéder la révolution psychologique, sociale et créatrice de la nouvelle société humaine. C'est l'ob- session de la stratégie de la révolution, de la « tac- tique » à suivre qui provoqua la division théorique d'un problème indécomposable, en deux questions diffé- rentes. La modification totale de la structure économi- que en Russie depuis la révolution de 1917 ne semble pas avoir été accompagnée des transformations socio- logiques et psychologiques auxquelles on pouvait s'at- tendre dans le domaine des relations interpersonnelles. Les transformations psychologiques sont restées bien en retard sur la révolution économique, la société communiste est toujours dans sa première phase, l'Etat ne s'est pas encore évanoui 3. L'Etat prolétarien n'a pas disparu, il n'a pas l'intention de disparaître ; il s'est si fortement retranché, qu'on ne voit plus pratiquement d'instrument qui permette de l'éliminer. La « dictature du prolétariat » s'est transformée tout bonnement en dictature.

Je crois que la cause essentielle du fait que la révo- lution n'a pas abouti à ses fins ultimes est due à la disjonction du psychologique et de l'économique dans la théorie marxiste de la révolution. Elle nous donne la clé pour la compréhension des événements surpre- nants et des changements brusques de politique qui ont eu lieu en Russie Soviétique pendant les trente-deux ans de l'existence du régime. Il est incontestable que le fondateur du « socialisme scientifique » a eu une intuition profonde de la révolution sociale, mais il nie paraît qu'il ne possédait pas toutes les connaissances nécessaires pour formuler une théorie de la révolution, du moins une théorie plus complète qui devrait tenir

3. Cf. J.-L. Moreno, Who shall survive?, New-York 193/i, seconde <§d. 19Í9.

65 5

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 25: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

compte de toutes les dimensions et de tous les aspects de la réalité sociale. Il prépara une esquisse « par- tielle » et laissa le reste dans le noir, en croyant que les circonstances en prendraient soin. Peut-être serait-il juste de dire que Marx ne mit dans son esquisse que ce qu'il connaissait vraiment et négligea ce qu'il ne connaissait pas. Il savait qu'il avait découvert dans ce qu'on pourrait appeler « le syndrome capitaliste » un phénomène de première importance et il s'adonna à la tâche de déclencher la révolution en se fondant sur sa découverte. Il ignorait tous les autres aspects de la structure sociale et les techniques avec lesquelles on pourrait les explorer. C'est pourquoi il divisa le scheme de la révolution en plusieurs étapes et remit à plus tard (en fait indéfiniment) l'action pour les réaliser ; il voulait attendre qu'on en sache davantage avant d'agir 4.

La seconde conclusion de Marx était que la « plus- value » se produit spécialement dans les sociétés capi- talistes. Affirmation vraie dans certaines limites : elle n'est vraie que pour autant que les phénomènes de l'économie capitaliste sont étudiés isolément, à part du reste de la situation et sans prendre en considération la manière dont ils dépendent de l'ensemble de la struc- ture sociale. Les études sociométriques ont montré que la plus-value n'est qu'un cas particulier d'une tendance universelle, en d'autres termes un effet sociodynamique. L'image inexacte des sources du profit dans les rela- tions économiques est parallèle à l'image inexacte des rapports interpersonnels et intergroupaux. La révolu- tion sociale fondée sur la lutte de classes nous paraît être une idée ayant pour origine l'indistinction du plan microscopique et du plan macroscopique. Marx travail-

t'. Nous pouvom; a'oir ici la clé du dédoublement de la personnalité de Marx, dos deux 'Marx : l'homme de science pressentant la sociométrio el le politicien. L'homme de science analysait et mesurait, le politicien s'im- patientait et voulait sauter par-dessus les obstacles. C'est à cause de ce conflit avec son autre moi (alter ego) que Marx écrivait à Paul Lafargue : « Je ne sui« pas marxiste. »

66

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 26: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

lait en se plaçant dans ses analyses au point de vue macroscopique, celui des événements sociaux. Comme il ignorait l'aspect de microscopie sociale caractéristi- que de la sociométrie moderne, il nous paraît avoir commis des erreurs. Les effets sociodynamiques ne ces- sent pas d'agir dans une société socialiste, ils revêtent seulement des formes différentes. Il serait intéressant d'imaginer l'effet que cette conception aurait eu sur sa théorie et sa méthode pour susciter la révolution sociale. Il nous semble que l'action révolutionnaire aurait été avant tout orientée vers les unités les plus restreintes des relations humaines, les « atomes sociaux » (dans notre sens), les cellules primaires des « actes de pré- férence », ce qui garantiraient leur efficacité fondamen- tale et durable. C'est par là que la révolution aurait dû prendre spontanément une forme plus réaliste. En même temps qu'économique, elle serait devenue d'em- blée et indissolublement psychologique, sociale, axiolo- gique et créatrice ; autrement dit, elle aurait dû pren- dre en premier lieu la forme d'une expérimentation sociométrique. Nous pensons pouvoir éviter des erreurs théoriques en proposant d'intégrer la théorie du socia- lisme dans celle de la sociométrie, et éviter des erreurs pratiques en suggérant de commencer la révolution sociale et économique prolétarienne globale où il s'agit du tout ou de rien par des révolutions sociométriques sur une petite échelle. Ce point de vue peut être appli- qué : a) à la théorie de la révolution sociale et : b) aux moyens de cette révolution.

Théorie de la Révolution Sociale. Marx tenait pour assuré qu'au moyen d'une analyse matérialiste minu- tieuse des relations humains, il était arrivé à compren- dre pleinement les tares de la société présente, et à démontrer qu'il faut modifier sa structure économique et que ce changement ne peut pas avoir lieu sans une révolution sociale. Sa conception de l'action pratique était édifiée en fonction d'un bouleversement à prépa- rer, d'une agitation à provoquer, culminant en un ou

67

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 27: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

/. L. Moreno

plusieurs actes de révolte des masses. Son attention se portait exclusivement sur un changement dynamique global qui, pensait-il, devait avoir lieu au cours du sou- lèvement des masses ; il ne s'intéressait pas ainsi suffi- samment à la contre-épreuve de X échec dynamique. Il ne réalisait pas toute l'importance, au point de vue théorique, de la défaite d'une expérience de la révolu- tion sociale. Il n'admettait pas que le programme d'une révolution pouvait être faux. En présence de la défaite (cf., par exemple, La lutte des Classes en France), il ne s'attachait qu'à saisir ce qui est allé de travers dans la situation politique et économique à laquelle devait être appliquée l'idée révolutionnaire. Il ne se permet- tait pas de douter de la valeur et de la véracité de la révolution sociale en tant que telle. Le sociométriste, quelque ardent que puisse être son désir de changer le monde, devrait se placer à un point de vue différent. Ce qui peut n'avoir que peu d'intérêt pour un révolu- tionnaire marxiste envisageant la situation au point de vue de l'action pratique, peut avoir la plus grande importance pour le sociométriste, car il envisage dans son travail scientifique la révolution sociale en tant qu' « expérimentation sociale ». « Dans une certaine mesure », c'est-à-dire, au point de vue de l'analyse socio- logique, il lui est indifférent qu'elle réussisse ou qu'elle échoue. Etant donné le bas niveau de nos connaissances sociologiques, il doit s'intéresser tout autant à une expé- rimentation de découverte qu'à une croisade sociale, et dans les deux cas également à ce que l'on peut y apprendre et non pas seulement à la mesure du perfec- tionnement de la société.

Il y a des ressemblances et des différences entre la conception sociométrique et la conception socialiste de changements sociaux. Voici quelques-unes des ressem- blances : 1) toutes deux préconisent l'action directe ; 2) toutes deux sont révolutionnaires, c'est-à-dire exi- gent un changement radical de la structure sociale exis- tante ; 3) toutes deux s'opposent à des mesures provi-

68

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 28: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

soires qui ne s'attaquent qu'aux symptômes ; 4) toutes deux affirment qu'une connaissance scientifique de la dynamique des relations sociales est indispensable à une théorie de la révolution sociale ; 5) toutes deux affirment qu'il y a interdépendance entre les maux sociaux, économiques, psychologiques, axiologiques et culturels ; 6) toutes deux appellent les intéressés à défendre leurs propres intérêts et les poussent à parti- ciper à une action sociale commune.

Voici quelques-unes des différences : 1) la connais- sance scientifique de l'économie est importante, mais insuffisante pour une véritable transformation de la structure sociale ; pour élaborer une théorie véridique de la révolution sociale, il faut connaître et prendre en considération non seulement l'économie, mais la structure dynamique du socius, des rapports inter-indi- viduels et iriter-groupaux ; 2) le socialisme est la révo- lution d'une seule classe, le prolétariat économique ; la « révolution sociométrique » est une révolution per- manente de tous les individus et de tous les groupes inorganisés ou organisés, de petite ou de grande enver- gure ; 3) le marxisme cherche à intensifier la conscience de classe du prolétariat, à amener les masses à « pren- dre conscience » de leur puissance et des conditions économiques actuellement existantes ; la sociométrie appliquée à l'étude des questions politiques cherche à développer dans les masses un haut degré de « con- science sociométrique », c'est-à-dire de la connaissance de la structure des groupes sociaux, en particulier des groupes dont ils sont directement membres ; cette con- naissance concerne également les critères pouvant ser- vir de base à la formation des groupes (le facteur éco- nomique n'étant qu'un seul de ces critères vitaux). La recherche sociométrique peut ainsi encourager les masses à exiger des changements de structure écono- mique, juridique, sociale, politique et culturelle, en s'ap- puyant sur les tendances des infra-structures dynami- ques sous-jacentes.

69

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 29: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

/. L. Moreno

Les progrès essentiels que la sociométrie ait réali- sés par comparaison avec le marxisme sont, nous paraît- il, les suivants : a) son effort pour explorer les aspects microsociologiques des tensions sociales, ainsi que ses procédés de microscopie sociale, points de vue que le sociologue français Georges Gurvitch, a développé de manière indépendante 5 ; b) son lien avec l'attitude essentiellement active et pratique durant l'observation et l'expérimentation mêmes. Ces progrès ont été faits dans un esprit semblable à celui de la médecine soma- tique au xix° siècle. Celle-ci découvrit finalement la cause de nombreuses maladies mystérieuses dans les microbes, créatures invisibles, micro-organismes ; grâce à cette connaissance nouvelle, on a réussit à guérir de nombreux phénomènes pathologiques d'ordre macros- copique et des maladies épidémiques telles que la diph- térie, le choléra, la syphilis, etc. La médecine sociolo- gique de l'avenir, la « sociatrie », tirera des avantages semblables des recherches sociométriques orientées vers la microsociologie qui essaye de découvrir des électrons sociaux dans la structure sociale, avec l'aide technique de sociogrammes, de sociomatrices et de diagrammes d'interaction. La microsociologie, cependant, est encore dans son enfance. Je ne suis pas d'accord, moi-même, avec certains de mes partisans pour qui la sociométrie a atteint sa majorité. Nous en sommes loin. Un tel optimisme provient de la tendance à ramener les tests sociométriques à des questionnaires et à réduire la par- ticipation active des enquêteurs à l'effervescence sociale, à l'état intermédiaire entre celui de cobayes et de sujets qui décident eux-mêmes de leur destinée. On décou- vrira peu à peu dans la réalité sociale d'immenses réseaux psychologiques non repérés, au fur et à mesure que de « petites révolutions » sociométriques se répan-

5. Georges Gurvitch, « Analyse critique de quelques classifications des Formes de la Sociabilité », Archives de Philosophie du Droit et de Socio- logie Juridique, rg36 ; « Essai d'une classification pluraliste des Formes de la Sociabilité »., Annales Sociologiques, iq37, Série A, Fascicule III-

70

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 30: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

dront sur tout le globe et qu'on analysera de manière approfondie les actions sociales. La conscience socio* métrique et la maturité des chercheurs se développe- ront en proportion de l'envergure des expérimentations, du nombre et de la vitalité des critères appliqués et des résultats probants que l'on en tirera.

Les Techniques de Révolution. Le terme révolution est employé ici par référence à des méthodes et à des techniques par lesquelles on cherche a provoquer des changements radicaux dans une structure sociale don- née. Le fait que les sciences sociales traitées d'une manière académique aient échoué à élaborer leurs pro- pres techniques de transformation sociale, c'est-à-dire des « méthodes élémentaires d'action » pouvant être appliquées « sur le lieu », a eu des conséquences désas- treuses, entre autre dans la vie politique de notre temps. Sans capacité ni compétence spéciales dans le domaine de l'action la plupart des représentants des sciences sociales ont été pris au dépourvu par le déroulement des événements politiques récents. Vivant pendant près d'un demi-siècle au milieu de guerres et de révolutions, ils ont dû assister passivement à ces événements et lais- ser les généraux et les politiciens transformer le monde» Ils cherchèrent parfois à discuter au sujet de quelques mesures de caractère indispensable. Des raisonnements intelligents et des manières courtoises de congrès scien- tifiques restaient sans effet sur les slogans des par- ties, les invectives, l'ironie, les clameurs, les plaisan- teries vulgaires et les jurons, les mensonges et la défor- mation des faits. Ils cherchèrent à combattre les tech- niques de propagande et d'action par surprise en leur opposant des déclamations critiques et des éditoriaux ; avant qu'ils eussent compris la leçon, il était trop tard. Quand ils s'éveillèrent de leur état de panique et de peur paralysante, les jeux étaient faits et la première phase de la bataille perdue. Autrement dit, l'avant- garde des sciences sociales universitaires ne possédait aucune technique d'attaque et de contre-attaque dispo-

71

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 31: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

nibles en période d'urgence. C'est ainsi que les socio- métristes sont entrés dans la lice et ont essayé au moins d'amorcer des « méthodes de choc, psychologiques et sociales » qui pourraient devenir des bases scientifiques d'action sociale, par exemple des préventifs ou des anti- dotes contre la persuasion des masses hypnotisées par des slogans politiques.

La sociométrie a élaboré, entre autres, deux techni- ques de transformation sociale : a) « Le test de popu- lation » et b) « Le sociodrame ». « Le test de popula- tion » est une technique qui fonctionne sur les lieux ; il amène la population à exprimer son moi collectif et sa volonté à l'égard de toutes les activités fondamen- tales dans lesquelles elle est, ou va être, engagée. C'est un procédé souple qui demande une action immédiate et l'application sans délai à l'organisation du groupe de toutes les sélections inter-individuelles et de toutes les décisions qu'il vient de manifester spontanément. La population peut être celle des habitants d'un village, des techniciens et des ouvriers d'une usine, etc.

« Le sociodrame » est une technique qui permet d'ex- plorer l'image véridique des maux sociaux dans un groupe, c'est-à-dire la vérité effective et souvent camou- flée sur la structure sociale réelle et sur les conflits qu'elle provoque ; d'indiquer la direction des transfor- mations désirables au moyen de méthodes dramatiques. Il peut fonctionner comme un meeting dans une ville avec cette différence que sont présents les seuls indi- vidus que concerne le problème social discuté et que l'action dramatique touche aux questions d'importance capitale pour la collectivité. Dans un sociodrame, les solutions et les actes jaillissent du groupe même. Le choix du problème et de sa solution avec toutes ses implications vient du groupe, et non d'un dirigeant de l'expérience. Les chercheurs employant des techniques sociodramatiques doivent pour commencer organiser des meetings préventifs, didactiques et thérapeutiques dans le groupe où ils vivent et travaillent ; organiser,

72

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 32: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

lorsqu'on le leur demande, des meetings du même genre partout où se posent des problèmes analogues ; pénétrer dans des groupes en proie à des difficultés sociales urgentes ou chroniques, se mêler à des mee- tings organisés par des grévistes, à des émeutes de dif- férent genre, à des rassemblements et manifestations politiques, etc., afin d'essayer de participer à la situa- tion et de la saisir ainsi sur place. Le chercheur usant des techniques sociodramatiques, étant accompagné d'une équipe d'auxiliaires, doit se mêler à la vie du groupe qu'il voudrait étudier avec la même détermina- tion, la même dureté où férocité qu'un chef politique ou syndical. Le meeting sociodramatique peut tourner dans une action collective aussi déprimante ou enthou- siaste que les meetings politiques, avec cette différence fondamentale que les politiciens cherchent à soumet- tre les masses à leur volonté, tandis que le test socio- dramatique s'efforce d'amener la masse à un maximum de réalisation spontanée de soi, d'expression de soi et d'analyse de soi par elle-même. Les méthodes mention- nées ont des buts opposés ; c'est pourquoi les meetings politiques et sociodramatiques prendront des orienta- tions différentes. Le drame politique trouve son origine dans les buts des hommes politiques et de leur clique ; il est arrangé d'avance et soigneusement calculé pour exciter l'hostilité ou des préjugés contre des ennemis politiques. Le sociodrame, au contraire, trouve sa source parmi les auditeurs présents ; il est calculé pour édu- quer, éclairer et affranchir l'auditoire.

Les « révolutions sociométriques » ne promettent pas évidemment de résultats voyants et rapides. Mais elles percent en profondeur et leur succès toujours relatif dépend des nouvelles techniques d'éducation appliquées d'abord à des groupes de petite envergure. Comme un nourrisson, l'humanité ne mûrira que pas à pas ; ce n'est que dans la mesure où une « conscience sociomé- trique » remodèlera par degrés nos institutions sociales que l'humanité trouvera une structure sociale capable

73

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 33: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

de servir de cadre à une société universelle. De nom- breuses guerres et soulèvements sociaux continueront probablement à torturer le corps malade de l'huma- nité et pendant cette période de transition, il n'est pas exclu que les médecins deviennent plus importants, peut-être, que les ingénieurs,

Conclusions. - 1. La société humaine possède une structure propre qui ne s'identifie ni à ce qu'on appelle « l'ordre social », ni à la forme de gouvernement au pouvoir. Sa structure est influencée, mais n'est jamais entièrement déterminée par des agences de gestion, par exemple l'Etat. L'Etat peut « disparaître », mais la structure sociodynamique sous- jacente de la société demeurera sous une forme ou sous une autre. C'est donc à la structure même des rapports avec le socius qu'un effort révolutionnaire doit s'attaquer pour effec- tuer une transformation durable et réussir une vérita- ble cure des maux sociaux.

2. La sociométrie a forgé deux types des techniques, les unes pour diagnostiquer les structures sociales, les autres pour les transformer. Le test sociométrique, le psychodrame, le sociodrame et le drame axiologique {axiodrame) peuvent être employés aussi bien pour le diagnostic que pour l'action révolutionnaire dans le domaine social.

3. Le prolétariat le plus ancien et le plus nombreux est « le prolétariat sociométrique ». Il comprend tous les gens qui souffrent d'une forme ou d'une autre de misère, misère psychologique, misère sociale, misère économique, misère politique, misère raciale, misère religieuse. Il existe, en grand nombre, des individus et des groupes dont l'ensemble de situations, d'attractions exercées, de rôles sociaux joués, de spontanéité et de productivité est bien inférieure à l'ensemble de leurs besoins et de leurs capacités. Le monde est rempli d'in- dividus et de groupes isolés, rejetés, éprouvant des répulsions, privés de sympathie et négligés.

4. Ce « prolétariat sociométrique » ne peut pas être

74

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 34: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sociométrie et Marxisme

supprimé par des révolutions économiques. Il existait dans les sociétés archaïques et pré-capitalistes, il existé dans les sociétés démocratiques et en Russie socialiste.

5. La sociométrie (envisagée dans l'ensemble de ses techniques) est la sociologie du peuple, par le peuple et pour le peuple. Elle enseigne que la société humaine ne peut pas être transformée de manière mécanique ou indirecte et que l'appel à la force comme arbitre ne suffit pas à ce but. Quel que soit le type du gouverne- ment et des institutions sociales imposés à un peuple, que ce soient des gouvernements : coopératif, commu- niste, démocratique, autocratique ou anarchiste, tôt ou tard ils perdront leur emprise sur le peuple et le peuple les rejettera, s'ils ne sont pas enracinés dans la volonté créatrice du peuple et si la volonté de chaque membre individuel ne participe pas à cette création.

6. Pour transformer le monde social, des expérimen- tations sociales doivent être organisées de manière qu'elles se montrent efficaces pour produire des chan- gements. Pour que ceux-ci s'opèrent effectivement, les intéressés doivent participer eux-mêmes à l'entreprise. On ne peut pas changer le monde après coup, il faut le faire tout de suite, avec et par l'intermédiaire des intéressés eux-mêmes. Marx n'avait pas la moindre intention de développer une méthode expérimentale des sciences sociales, mais il fut le seul sociologue anté- rieur à la sociométrie qui ait approché de la solution du problème que naus posons. Il est vrai que les révo- lutions sociales dont il a été le promoteur, n'ont pas abouti - en tout cas dans leurs buts principaux - , mais ceci ne contredit pas le fait que sa théorie révo- lutionnaire fut, avant l'avènement de la méthode socio- métrique de notre temps, ce qui ressembla le plus à une méthode expérimentale pour les sciences sociales. Comment les gouvernements et les hommes d'Etat res- ponsables auraient-ils pu prendre au sérieux les travaux des différentes sciences sociales, étant donné l'insigni- fiance de leurs découverte et l'inanité de leur base expé-

75

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 35: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

J. L. Moreno

rimentale. Ils prirent Marx, Engels et Lénine au sérieux parce qu'ils essayèrent de transformer le monde.

7. La difficulté rencontrée par le marxisme peut être résumée en une seule phrase : son ignorance de la struc- ture socio-dynamique autonome de la société humaine. Il attribue exclusivement à la classe des possédants, aux capitalistes, la résistance aux transformations et à la révolution. Il ne se rend pas compte que des résis- tances profondes au mouvement viennent de la struc- ture sociale même de toute société ; et si certains marxistes saisissent confusément cet aspect du problème ils ne font pas un effort suffisant pour en tenir vrai- ment compte.

8. Les recherches sociométriques révèlent l'existence de structures sociales résiduelles que l'on peut attribuer aux phénomènes suivants : a) des structures sociales embryonnaires dont on peut déjà constater la présence dans le monde animal ; b) toute organisation sociale, après qu'elle a fait son temps, au lieu de disparaître entièrement, laisse des traces dans les structures sociales qui lui ont succédé. Les effets accumulés de ces « sur- vivances », renforcés par les éléments embryonnaires mentionnés, constituent une muraille qui explique un des aspects de la résistance aux innovations sociales.

9. L'expérimentateur social ne peut pas connaître tous les facteurs dont l'ensemble constitue une situation, ni tous les changements qui peuvent survenir dans ces facteurs entre le moment où il envisage l'expérimenta- tion et celui où il l'exécute ; il ignore également les nouveaux facteurs qui peuvent modifier la situation au cours de l'expérimentation elle-même. L'expérimenta- teur sociométrique échappe à cette difficulté puisqu'il est d'emblée l'expérimentateur et le sujet de l'expéri- mentation. Même s'il ne connaît pas tous les facteurs qui constituent une situation, ces facteurs sont inhérents à ses sentiments, ses actions et réactions, et ils doivent se manifester dans les procédés expérimentaux et les actions révolutionnaires entreprises en liaison avec eux,

76

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 36: Méthode expérimentale, Sociométrie et Marxisme

Sodométrie et Marxisme

L'expérimentation sociométrique peut être à certains moments imparfaite et imprécise, mais c'est une expé- rimentation sur le vif, consciemment et systématique- ment pratiquée par tout le groupe.

10. La réalité sociale a un aspect sociométrique, c'est pourquoi la méthode sociométrique peut fonctionner. La solution du problème que nous avons discuté est de remplacer la méthode expérimentale que Bacon et Mill avaient élaborée pour répondre aux besoins de la physique, par une méthode expérimentale capable de découvrir et de vérifier la réalité des dynamiques sociales. L'idée d'établir au sein de l'action sociale des instances de contrôle expérimental est une idée mena- çant d'introduire l'artificialité et l'anomalie dans cette action en en déformant les résultats ou en les rendant insignifiants. Des instances spontanées de contrôle sont possibles, jamais cependant établies du dehors, mais introduites du dedans d'un cadre sociométrique. Cette substitution se fait par un processus de renversement. L'humanité elle-même devient, au sens literal et concret du mot, un expérimentateur social ; et l'ancien expé- rimentateur autocrate se perd parmi deux trillions de co-expérimentateurs-participants.

Director of the « Sociometric Institute », New-York City.

77

This content downloaded from 185.44.77.82 on Fri, 13 Jun 2014 11:21:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions