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Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacifique Exposé le 2 avril 2003 Tournier ne cherche pas à faire de son territoire un territoire mythique : nous sommes dans ce roman, Vendredi ou les limbes du Pacifique , en présence d’un territoire qui a déjà la valeur d’un mythe : l’ile déserte .Et c’est en partie grâce à cette toile de fond que Tournier va bénéficier d’ une reconnaissance dans le monde littéraire, car il obtient le Grand Prix du Roman de L’Académie Française même s’il reprend un thème éculé. Donc, avant toute chose, je vais vous présenter brièvement l’auteur Michel Tournier est né le 19 décembre 1924 à Paris, cadet de 4 enfants c’était un « écolier exécrable », reconnaît-il dans son autobiographie intitulée «Le vent paraclet »publiée en 1977, ila été exclu de plusieurs établissements, ce qui ne l’empêchera pas heureusement de découvrir la philosophie en 1941(il va suivre les cours de Gaston Bachelard à la Sorbonne, soutient un diplôme sur Platon)et part en Allemagne en 1946 pour étudier la philosophie allemande. La culture allemande ,d’ailleurs, a imprégné son enfance : un de ses grand-père a été prêtre et professeur d’allemand, sa mère est germaniste ; Revenu en France, il échoue au concours de l’agrégation, en 1949, tout comme Michel Butor, et renonce alors à l’enseignement, qui restera à ses yeux une « vocation contrariée ». Il sera donc traducteur, journaliste à Europe 1. En 1958 il est nommé chef des services littéraires des éditions Plon ; Et parallèlement, il suit les cours de Claude Lévi-strauss au Musée de L’Homme et découvre ainsi l’ethnographie, et les sociétés dites sauvages, ce qui va lui donner certaines bases pour l’écriture de Vendredi ou les limbes du Pacifique . De plus en plus, il ressent le désir de devenir un romancier, tt en restant un philosophe sa 1ere œuvre est Vendredi ou les limbes du Pacifique qu’il publie en 1967 à l’age de 43 ans, Le succès est immédiat et car c’est un ouvrage destiné à un large public, puisque qu’il prend la défense du roman traditionnel.(opp avec le Nouveau Roman) sera élu à l’académie Goncourt en 1972 , puis les romans vont se succéder :Le roi des Aulnes, Les météores en 1975, Le coq de bruyère , qui est un recueil de nouvelles, un essai en 1981 : le vol du vampire, un autre roman, la Goutte d’or en 1985, pour ne citer que les plus connus… Mais Vendredi ou les limbes du Pacifique raconte l’histoire d’un homme, Robinson Crusöe, un anglais originaire d’York, qui a abandonné sa femme et ses 2 enfants pour courir le monde. Il a fait des études à l’université, a 22 ans au début du roman, le 29septembre 1759, il embarque sur un bateau nommé le Virginie à Lima. Mais la tempête fait rage au large des côtes chiliennes ; le navire se brise contre un écueil, fait naufrage, et Robinson est emporté par une vague gigantesque. Il ne se réveillera que longtemps après, sur une plage déserte. Le roman raconte donc son adaptation à la nature sauvage, loin de tte civilisation. En effet, il reste seul jusque l’apparition de Vendredi, au 7ème chapitre(le roman est d’ailleurs divisé en 12 chapitres). Vendredi est un jeune Araucan, c’est à dire un Indien du Chili, métis, d’une

Milou Michel Tournier Et Le Territoire Mythique

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Michel Tournier 

Vendredi ou les limbes du Pacifique

Exposé le 2 avril 2003

Tournier ne cherche pas à faire de son territoire un territoire mythique : nous sommes

dans ce roman, Vendredi ou les limbes du Pacifique, en présence d’un territoire qui a déjà la

valeur d’un mythe : l’ile déserte .Et c’est en partie grâce à cette toile de fond que Tournier va

bénéficier d’ une reconnaissance dans le monde littéraire, car il obtient le Grand Prix du

Roman de L’Académie Française même s’il reprend un thème éculé.

Donc, avant toute chose, je vais vous présenter brièvement l’auteur 

Michel Tournier est né le 19 décembre 1924 à Paris, cadet de 4 enfants c’était un « écolier 

exécrable », reconnaît-il dans son autobiographie intitulée «Le vent paraclet »publiée en 1977,

ila été exclu de plusieurs établissements, ce qui ne l’empêchera pas heureusement dedécouvrir la philosophie en 1941(il va suivre les cours de Gaston Bachelard à la Sorbonne,

soutient un diplôme sur Platon)et part en Allemagne en 1946 pour étudier la philosophie

allemande. La culture allemande ,d’ailleurs, a imprégné son enfance : un de ses grand-père a

été prêtre et professeur d’allemand, sa mère est germaniste ;

Revenu en France, il échoue au concours de l’agrégation, en 1949, tout comme Michel Butor,

et renonce alors à l’enseignement, qui restera à ses yeux une « vocation contrariée ».

Il sera donc traducteur, journaliste à Europe 1. En 1958 il est nommé chef des services

littéraires des éditions Plon ;

Et parallèlement, il suit les cours de Claude Lévi-strauss au Musée de L’Homme et découvre

ainsi l’ethnographie, et les sociétés dites sauvages, ce qui va lui donner certaines bases pour 

l’écriture de Vendredi ou les limbes du Pacifique .De plus en plus, il ressent le désir de devenir un romancier, tt en restant un philosophe

sa 1ere œuvre est Vendredi ou les limbes du Pacifique qu’il publie en 1967 à l’age de 43 ans,

Le succès est immédiat et car c’est un ouvrage destiné à un large public, puisque qu’il prend

la défense du roman traditionnel.(opp avec le Nouveau Roman)

sera élu à l’académie Goncourt en 1972 , puis les romans vont se succéder :Le roi des Aulnes,

Les météores en 1975, Le coq de bruyère, qui est un recueil de nouvelles, un essai en 1981 :

le vol du vampire, un autre roman, la Goutte d’or en 1985, pour ne citer que les plus

connus…

Mais Vendredi ou les limbes du Pacifique raconte l’histoire d’un homme, Robinson

Crusöe, un anglais originaire d’York, qui a abandonné sa femme et ses 2 enfants pour courir 

le monde. Il a fait des études à l’université, a 22 ans au début du roman, le 29septembre 1759,

il embarque sur un bateau nommé le Virginie à Lima. Mais la tempête fait rage au large des

côtes chiliennes ; le navire se brise contre un écueil, fait naufrage, et Robinson est emporté

par une vague gigantesque. Il ne se réveillera que longtemps après, sur une plage déserte. Le

roman raconte donc son adaptation à la nature sauvage, loin de tte civilisation. En effet, il

reste seul jusque l’apparition de Vendredi, au 7ème chapitre(le roman est d’ailleurs divisé en

12 chapitres). Vendredi est un jeune Araucan, c’est à dire un Indien du Chili, métis, d’une

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15aine d’années. Il a été sauvé par Robinson, alors qu’il allait être l’objet d’un sacrifice.  Ce

sont donc les 2 seuls habitants de l’île , ainsi qu’un vieux chien, Tenn.

Voilà pour le résumé de l’histoire.

Le sujet est donc loin d’être original : on connaît le roman de Daniel Defoe Robinson

Crusoë , publié en 1719, et inspiré d’une histoire réelle, celle d’un marin écossais Alexander Selkirk, abandonné à sa demande sur une île de l’archipel Juan Fernandez au large des côtes

du Chili, île où il vivra seul de 1704 à 1709.

Tournier s’en s’inspire très largement il va jusqu’à reprendre les noms des

personnages de Defoe; il dira lui même avec beaucoup de provocation « qu’il n’a aucune

imagination pour les histoires » mais chaque page du livre est un hommage implicite et

évident à Defoe.

L’ile déserte est un thème que l’on retrouve aussi chez Jules Vernes par exemple,

avec L’ île mystérieuse, et qui est très présent en littérature de jeunesse ;Tournier a adapté

Vendredi ou les limbes du Pacifique aux enfants, sous le titre de Vendredi ou la vie sauvage.(1971)

D’ailleurs, on peut souligner que les réécritures de l’œuvre de Defoe ont donnénaissance à un véritable genre littéraire :les robinsonnades, genre littéraire né au XVIIIe

siècle.  Ces robinsonnades ont été véhiculées par la littérature de colportage, chaque pays en a

de nombreuses versions, et s’interroge sur le débat philosophique entre nature et culture

propre au XVIIIe s. Dans les diverses adaptations, le déroulement de « l’histoire »

est, réaliste, et suit un schéma narratif précis :

Situation initiale : le départ

Complication : le naufrage

Action : la lutte pour la survie dans l’île

Résolution : la délivrance

Situation finale : le retour au sein de la famille ou du pays originel

Tournier reprend donc la trame générale du livre de Defoe, mais il s’en différencie très

fortement :

Defoe a écrit un roman d’aventures, qui montre l’ingéniosité de l’homme face à une nature

hostile et sauvage, tandis que Tournier aborde ces aventures d’une façon double :

Il raconte évidemment les aventures de Robinson sur l’ île mais aussi et surtout il raconte les

pensées de Robinson, ses impressions face à l’ expérience extraordinaire qu’il vit, qui est qd

même une rupture totale avec la société, l’expérience extrême de la solitude. De fait, Tournier 

utilise un moyen assez original pour nous livrer les impressions de Robinson: il crée un log

book, ie un journal intime un journal de bord, où il note, à la 1 er  personne évidemment, ses

réactions. On peut donc retracer au fil du livre son évolution mentale.

C’est en partie, le traitement du cadre spatial qui renouvelle le mythe, et c’est pourquoi j’ai

choisi ce roman, dans le cadre du séminaire sur l’écrivain et son territoire. L’ île déserte n’est

pas seulement un lieu, le cadre d’une histoire, Tournier fait d’elle un personnage, un véritable

actant dirait-on d’après la terminologie de Greimas, qui contribue au parcours initiatique de

Robinson, et entraine chez lui une métamorphose spirituelle.

l’île déserte est tjs apparu comme un espace mythique pour notre imaginaire. C’est un

espace sacré car source de tout les possibles, et surtout du recommencement, d’une vie

nouvelle. « C'est, nous dit Tournier, l’endroit où il est possible de réitérer "l'acte

cosmogonique par excellence: la création du monde »

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Mais pour commencer, penchons nous sur le titre choisi par Michel Tournier, qui ne met plus

l’accent , comme Defoe sur le personnage principal, Robinson Crusoe, mais plutôt sur 

Vendredi et surtout sur la topographie.

Le sous-titre "Les limbes du Pacifique" possède en effet une double allusion topographique :

Tout d’abord, le Pacifique.Cet océan, par sa large étendue et sa profondeur est un lieu mystérieux, relativement inconnu,

et est par conséquent le lieu de tous les dangers

L’ île n’en est que plus isolée, elle est inconnue des cartographes. Dans le livre il est écrit « C

’est un « îlot inconnu, situé quelque part entre juan fernandez et le continent américain »

Defoe avait placé dans les Caraïbes l’aventure de Robinson,

Pour Tournier, cette région était +connue et riche en légendes, et visait au succès populaire.

Ici, lieu à l’écart de l’exotisme, pour souligner l’absencede vie

 

Le mot limbes quant à lui, est beaucoup plus abstrait ;c’ est un terme théologique,

emprunté au latin du Moyen Age, qui désigne un séjour céleste, situé au bord du paradis. C'est

le lieu où les âmes des justes de l'Ancien Testament attendaient que Jésus-Christ apporte lesalut à l’humanité qui a péché. C’est aussi l’endroit où se trouvent les enfants morts sans

baptême.

Il s'agit par conséquent d'un espace de lisière et l'attente, le mot latin limbus signifie le

bord. Il fait aussi référence à La divine Comédie de Dante, qui situe les limbes dans le

premier cercle de l'Enfer 

Nous sommes en présence d'un lieu A la frontière entre le Paradis et l'Enfer et donc

où le salut est possible, tout comme la chute et c’est un lieu placé sous le signe de l'ambiguïté.

Robinson parle en ces termes des limbes : « Cela seul suffit (...) à me repousser aux

confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes en somme".

De par leurs qualités de lieu de passage, les limbes nous introduisent dans le domaine

d’une expérience fondamentale, la mise à l’écart de la société, et le retour à l’état de nature,

qui aboutit soit à une re-naissance, soit à la mort.

L’association du lieu réel et du lieu imaginaire contribue à situer l’histoire dans un lieu hors

du temps et de l’espace humain, et met l’accent sur le caractère spirituel de l’expérience,

Voilà pour la signification du titre.

Je vais donc d’abord vous présenter l’ile , puis la relation qui l’unit à Robinson

I-Description de L’île

a)Description objective

Je vais commencer par vous lire la description objective de l’ile , faite par le narrateur 

omniscient.

«Puisque cette terre n’était pas l’île de Mas a Tierra, il devait s’agir d’un îlot que les cartes ne

mentionnaient pas, situé qq part entre la grande ile et la côte chilienne.[…] Cependant que

Robinson se faisait ce triste raisonnement, il examinait la configuration de l’île .Toute sa

partie occidentale paraissait couverte par l’épaisse toison de la forêt tropicale et se terminer 

par une falaise rocheuse abrupte sur la mer. Vers le levant au contraire, on voyait ondoyer une

prairie très irriguée qui dégénérait en marécages aux abords d’une côte basse et laguneuse.Seul le nord de l’îlot paraissait abordable. Il était formé d’une vaste baie sablonneuse,

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encadrée au Nord-est par des dunes blondes, au nord-ouest par les récifs où l’on distinguait la

coque de la Virginie, empalée sur son gros ventre . » p.19

carte ?

Tout en sachant que cela reste un lieu imaginaire..

a) première étape : rejet de « l’île de la Désolation ».

Mais la plupart des descriptions sont de nature subjective, et reflètent la pensée de

Robinson.

L’île est d’abord perçue comme une prison, dont les murs sont les flots ; c’est le lieu

du naufrage, qui marque une rupture brutale avec la société. Elle suscite évidemment un

sentiment de peur et de répulsion.

La forêt , dans laquelle s’enfonce Robinson est perçue comme un labyrinthe où s'enchevêtrent

des lianes formant autour du personnage un filet gigantesque, où gisent des troncs d'arbres

morts et pourrissants. On peut même qualifier l’île de tombeau, puisque le roman s’ouvre sur 

la description de la grève, qui après le naufrage, ne laisse entrevoir que des animaux marinsmorts: « La grève était jonchée de poissons éventrés, de crustacés fracturés, et de touffes de

varech brunâtre, tel qu’il n’en existe qu’à certaines profondeurs. » p.15 .Le silence est

écrasant et les bruits éclatent en échos effrayants. La grotte, située au milieu de l’île, n'offre à

son regard je cite »qu'une énigmatique gueule noire ».

Robinson qualifie l’île de "paysage d'Apocalypse" et la baptise « l’île de la désolation » :

«Puisque ce n’est pas Mas a Tierra, dit-il simplement, c’est l’île de la désolation ».

Tournir enveloppe l’ile d’une atmosphère fantastique, propre à semer le doute dans l’esprit

rationnel de Robinson. C’est le lieu de la métamorphose et de l’illusion(la souche, forme

végétale, se métamorphose en une forme animale : un bouc /un espace dépourvu de points de

repère et d'indices interprétables pour robinson .Il a des hallucinations« Puis, allant plus loin,

il se figura qu’il s’agissait du dos de quelque animal fabuleux dont la tête devait se trouver de

l’autre coté de l’horizon. »

Robinson se détourne de la terre

La dualité terre-mer est évidente dans le roman : Robinson est, dans les premiers chapitres

tout entier tourné vers la mer, et espère la venue d’un bateau qui pourrait le délivrer de sa

solitude. "Tournant le dos obstinément à la terre, il n'avait d'yeux que pour la surface bombée

et métallique de la mer d'où viendrait bientôt le salut"

Ce n’est que lorsque Robinson, comprenant qu’il est condamné à rester sur l’ile ( en effet,le

bateau qu’il a construit, censé lui apporter la délivrance, ne peut être mis à flots), se tourne

vers l’intérieur des terres et apprend à les découvrir.Il a donc dépassé, pour reprendre l’expression de Deleuze, « degré zéro de la vie insulaire »

Sa seule alternative est d’accepter la terre. Il dit, p.51

« Mais le fond d’un certain christianisme est le refus radical de la nature et des choses, ce

refus que je n’ai que trop pratiqué et qui a failli causer ma perte. Je ne triompherai de la

déchéance que dans la mesure au contraire où je saurai accepter mon île et me faire accepter 

par elle »

b) une terre appréciée : Speranza

Robinson va donc essayer de surmonter sa répugnance, et se tourne vers l’intérieur des

terres 

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Pour ce faire, il engage une véritable entreprise de reconnaissance , dès le chapitre 3. Il

explore l’île « Robinson consacra les semaines qui suivirent à l’exploration méthodique de

l’ile et au recensement de ses ressources. Il dénombra les végétaux comestibles, les animaux

qui pouvaient lui être de qq secours, les points d’eau, les abris naturels »etc ...Il entrepose ses

ressources dans la grotte. Celle-ci est donc à présent un adjuvant pour sa survie.

Puis, robinson va tenter de maitriser ces ressources : il songe à l’élevage, puis l’agriculture,ce qui montre bien le degré de domestication et d’appropriation de la terre.

Il se battit une petite habitation, puis transforme peu à peu l’île en une sorte de bourg fortifié

comprenant un pavillon des poids et mesures, un palais de justice et un temple . La grotte

regorge de "provisions qui auraient suffi à nourrir la population d'un village durant plusieurs

années. On voit donc tte l’ironie d’une telle entreprise qui devient absurde puisque Robinson

est seul.mais qui lui permet d’avoir l’impression d’être dans une communauté.

Cette entreprise s'achève par une topographie exacte des lieux, qu’il enregistre dans un

cadastre…………

Et surtout, un nouveau baptême par lequel Robinson confère à son île le nom "mélodieux et

ensoleillé" de Speranza, gommant ainsi tout ce qui avait concouru à faire de ce même espacel'île de la Désolation. Speranza "en souvenir d'une ardente italienne qu'il avait connue jadis a

l’université",

II- Une métamorphose totale

a) La personnification de l’île

Ce baptême est la 1ere étape d’un processus de personnification d l’île.

« Enfin, il lui parut que l’île , ses rochers, ses forêts, n’étaient que la paupière et le sourcil

d’un œil immense, bleu et humide, scrutant les profondeurs du ciel. »

Puis, Robinson change de Vocabulaire pour parler de l’île :, protectrice,elle s’humanise , et

est comparée à une femme

« Il lui semblait d’ailleurs, en regardant d’une certaine façon, la carte de l’île qu’il avait

dessinée approximativement,, qu’elle pouvait figurer le profil d’un corps féminin sans tête,

une femme oui, assise, les jambes repliées sous elle, dans un attitude où l’on n’aurait pu

démêler ce qu’il y avait de soumission, de peur ou de simple abandon. » Puis petit à petit il

acquiert la conviction que l’ile est "une personne, de nature indiscutablement féminine (...) la

grotte [étant] la bouche, l'œil ou quelque autre orifice naturel de ce grand corps"

On peut dire qu’ il s’agit là d’un véritable processus d'anthropomorphisation de la nature,

Peut etre succédané qui répond à l'absence d'autrui

De plus, la terre s’associe à son histoire personnelle, en établissant un lien avec son enfance,

« En divaguant dans le bois, j’ai découvert quelques pieds de térébinthes, arbustes conifères

dont l’écorce éclatée par la chaleur transudait une résine ambrée dont l’odeur puissante

contenait tous les lundis matin de mon enfance. »p.55

Robinson abandonne progressivement ce que Kirsty Ferguson appelle le monde "où je suis"

pour aller à la découverte de "celui que je suis"34, en le mettant en parallele

avec on histoire personnelle.

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b)L’exploration mentale : le territoire comme palimpseste

On peut remarquer qu’ à l’exploration géographique de l’île correspond une

exploration mentale de Robinson . Cette exploration mentale est à mettre en relation avec

l’apparition du log-book,chap. 3 qui est nous l’avons vu, le journal de ses méditations et de

son évolution mentale. A la volonté de maitriser la terre correspond la volonté de maitriser lemonde et le discours ; le log-book organise et rationalise le discours (dans log, on reconnaît la

racine grecque logos)

Si j’en parle, c’est parce que justement, on peut faire un parallèle entre le territoire concret, le

terre, et les pages du log-book :en effet, il s’agit d’un ancien journal, que Robinson a retrouvé,

dont l’encre a été effacée par l’eau de mer, et sur lequel il écrit. C’est un palimpseste, en

réalité,un manuscrit dont la 1ere écriture a été lavée ou grattée et sur lequel un nouveau texte

a été écrit .Le symbolisme du palimpseste est de

On peut considérer l’œuvre de Tourbier comme un palimpseste, dans la mesure où il s’empare

de l’œuvre de Defoe, et la réécrit

Et de la même façon, dans l’optique de notre problématique, Robinson se réapproprie un

territoire, qui préexiste, et le modèle, il modifie la physionomie de l’île, ; il y imprime samarque , il est d’ailleurs écrit….

L’attachement est symbolisé par la Signature de robinson dans la roche

On peut dire que Robinson est un inventeur, au deux sens du terme

étymologiquement, il « trouve » un territoire, il s’agit d’une ile inconnue

et il invente le territoire , le modèle et le fait vivre, en interaction avec sa propre vie. .

Le tout est de savoir ce que signifie cette re-création, et où elle va amener Robinson.

C’est ce que nous allons essayer de voir.

b)Une interaction et fusion entre le territoire et Robinson

Le territoire apparaît comme un territoire vierge, qui permet à l’homme d’aller vers la

connaissance de lui même.

Le territoire ne se transforme qu’au fil des transformations intérieures de Robinson :nous

l’avons vu avec le passage de l’ile de la Désolation à Spéranza

En effet, l’île n’est plus un contexte, comme dans l’œuvre de defoe, .au contraire, l’île est le

seul objet sur lequel robinson peut exercer sa pensée, le seul miroir, qui lui indique ce qu’est à

présent son existence »;( L’homme a besoin de se penser).Elle est donc le reflet de l’évolutionde sa pensée et de ses émotions. Par conséquent, il m’est assez difficile de vous la présenter,

puisqu’elle est en constante évolution : elle est , physiquement toujours la même, mais c’est

justement la vision que robinson porte sur elle ne cesse d’évoluer, ce qui fait qu’elle semble

différente, tout en étant la même.

Cette interaction est en réalité une véritable fusion : Robinson dit p.« A la fin le monde tout

entier se résorbe dans mon ame qui est l’ame même de spéranza arrachée à l’île

une fusion spirituelle et physique

Cette fusion est spirituelle, mais aussi physique

*spirituelle

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« Alors , robinson est spéranza.Il n’a conscience de lui –même qu’a travers les frondaisons

des myrtesoù le soleil darde une poignée de flèches, il ne se connaît que dans l’écume de la

vague glissant sur le sable blond »p.

*physique

**la terre-mère

Robinson fait l’expérience d’une renaissance dans la grotte située au centre de l’île. La grotteest un espace mythique auquel l'homme donne une portée très symbolique, et qui remonte aux

origines du monde. En effet, avec la grotte nous retrouvons l'image primordiale de la création,

"les premiers hommes auraient vécu dans le sein de la Mère, c'est-à-dire au fond de la Terre,

dans ses entrailles »

Une scène est particulièrement révélatrice, je vais en lire un passage.

p.105 ?

Le voyage de Robinson est un voyage ds les entrailles de la mère, la comparaison est flagrante

C’est donc le territoire qui accouche d’un homme nouveau,un homme loin de la civilisation et

proche de la nature

Néanmoins, ce passage est également une prise de cs

Robinson se rend compte de l’horreur qu’il a commise avec la terre : l’inceste ;

**la terre-épouseCar en effet, l’ile n’est pas seulement la figure de la mère , c’est aussi la figure de la femme,

de l’épouse.que Robinson cherche à féconderp121

C’est pourquoi……….

Le résultat de cet accouplement est l’apparition, la naissance d’une progéniture-hybride : des

mandragores,qui vont pousser à la surface de l’ile, dont Robinson va se préoccuper avec un

soin véritablement paternel

Les mandragores sont des plantes qui existent réellement, mais que l’homme a entouré depuis

très longtemps d’un symbolisme particulier : en effet, la forme des racines de cette plante, à

l’aspectcharnu et blanc, rappelle le tronc et les jambes d’un corps humain. C’est un mythe qui

été repris notamment les romantiques allemands(et on connaît l’intérêt que Tournier porte à

cette culture).Elle montre donc le transfert d'un règne à l'autre,de l’humain et du végétal.Ce

sont les enfants de Robinson et de la terre,.Elle sont le résultat de la symbiose de Robinson et

de l’île. D’autres images symbolique évoquent l’union de ces 2 règnes, notamment l’image de

la barbe du naufragé enracinée dans la terre…….

La relation au territoire ne peut donc pas etre plus poussée

Et c’est d’ailleurs parce que Robinson s’enferme dans une union exclusive avec le territoire,

mais la jalousie qu’il va ressentir en surprenant son compagnon vendredi, fertiliser la terre va

lui montrer la vacuité de la relation à la terre ; cet espace subjectif qu'il croit sien n'est envérité que le fruit de son regard narcissique et anthropocentrique il voit l’homme à travers le

territoire, c’est un substitut à la présence d’autrui cette relation n’est pas adéquate ; il convient

donc pour lui d’explorer une autre voie, ce qui va être une étape supplémentaire dans la

connaissance de lui-même.

 

III La transcendance : de l’ ile à la nature élémentaire

a)l’explosion de la grotte

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C’est l’explosion de la grotte , où étaient entreposés les barils de poudre que Robinson avait

sauvé du naufrage qui marque le climax de la relation de Robinson à l’île : elle réduit à néant

l’aménagement de l’espace insulaire tel que Robinson l’avait créé, ce qui aboutit à une

nouvelle prise de conscience de Robinson, un peu comme un écho à la tempête qui avait

révolutionné sa vie

Le paysage qui suit l'explosion semble replonger Robinson dans les sensations qu'il avaitvécues à son arrivée face à un monde inintelligible. C'est en effet un "spectacle de désolation"

qui l'entoure: "la muraille (...) s'[est] effondrée", les bâtiments "[ont] été soufflés pêle-mêle",

"la Résidence brûl[e]", "les chèvres [ont] défoncé la clôture",

Une image symbolique :c’est le cèdre géant , à l’entrée de la grotte, bascule, mettant à nu les

racines et déliant ainsi Robinson de ses attaches terrestres.

l'île est désormais restituée à son état naturel, sans la moindre empreinte humaine

L'espace a désormais perdu le caractère humain que lui attribuait Robinson. Il s'agit à présent

d'un espace en soi, sans aucune projection humaine, hors du temps, dans l'infini. en une

communion de tous les éléments. C’est l’ile esentielle.

b)une nouvelle définition du territoire

La perception du territoire, dès lors, devient épurée : Robinson voit le territoire en lui

même, pas de façon anthropomorphique; ceci marque la coïncidence avec l’état

d’esprit de Robinson : il est arrivé à se connaître, et rien ne le détournera de sa

philosophie d’harmonie avec lui même : ni l'arrivée du Whitebird, un bateau qui

pourrait le ramener chez lui, ni le départ de Vendredi, qui lui se laisse attirer par les

mirages de la société ne l’empêcheront de cet quitter cet état de grâce.

dès lors, Robinson ne perçoit plus l’espace de façon horizontale, avec les limites que

cela suppose, mais de façon verticale : il est tout entier tourné vers le ciel, l’air fait tout autant

partie de l’espace, peut etre plus car il englobe l’humain.

d’ailleurs, le livre s’achève sur une image d’apothéose : Robinson contemmple l’ile

« du haut du piton rocheux »151

*Conclusion

Ainsi, Tournier va vers un rapport à la terre beaucoup plus élémentaire, c’est de la terre dont il

s’agit, et non plus du territoire. N’oublions pas que le terme territoire désigne un espace

modifié par la main de l’homme ou plutot d’un groupe, administré, avec une juridiction Ici,

on ne peut plus parler de territoire, ou peut être peut-on dire que le sens du mot

territoire s’élargit, se métamorphose: c’est devenu l’espace élémentaire, dont la réflexionpermet de dépasser la condition humaine. c’est le lieu d'un échange constant, l'espace

forgeant le personnage qui, à son tour, transfigure l'espace. Dès lors, l’espace est synonyme de

mouvement. Et pour conclure, je voudrais citer un peintre et sculpteur suisse Alberto

Giacometti

« On peut comparer le monde à un bloc de cristal aux facettes innombrables. Selon sa

structure et sa position, chacun de nous voit certaines facettes. Tout ce qui peut nous

passionner, c'est de découvrir un nouveau tranchant, un nouvel espace. » c’est pourquoi je ne

peux que vous inciter à lire Vendredi ou es limbes du Pacifique, car c’est véritablement un

espace mythique totalement renouvelé que nous fait découvrir Tournier.