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DE L OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L HOMME AVEC L APPUI DE L ACAT-LITTORAL ET DE L ACAT-FRANCE Une répression sanglante à huis clos 25-29 février 2008 RAPPORT Cameroun

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DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMMEAVEC L’APPUI DE L’ACAT-LITTORAL ET DE L’ACAT-FRANCE

Une répression sanglanteà huis clos

25-29 février 2008

RAPPORT

Cameroun

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1RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

L’OBSERVATOIRENATIONAL

DES DROITS DE L’HOMME

L’observatoire national desdroits de l’homme du Cameroun a étécréé en 2006 avec l’appui du Pro-gramme concerté pluri-acteur (PCPA).Il est constitué de cinq observatoiresrégionaux qui comptent chacun plu-sieurs organisations de la société civilecamerounaise.

Les observatoires régionaux se présen-tent comme suit :1. L’Observatoire régional du Littoral :il couvre les régions du Littoral etdu Sud-ouest. Sa thématique portesur les arrestations arbitraires et lesdétentions illégales.

2. L’Observatoire du Centre : il couvreles régions du Centre économiqueset sociaux.

3. L’Observatoire de l’Ouest : il couvreles régions de l’Ouest et du Nord-ouest. Son observation porte sur lesproblèmes fonciers.

4. L’Observatoire du Nord : il couvreles régions de l’Extrême-nord, duNord et de l’Adamaoua. Sa théma-tique d’observation porte égalementsur les problèmes fonciers.

5. L’Observatoire de l’Est : il travaillesur la criminalité forestière etminière.

Chacun des observatoires régionaux estporté par un chef de file, organisationde la société civile camerounaise.

Les missions de l’observatoire portententre autres sur : l’observation des vio-lations des droits de l’homme sur labase des thématiques ci-haut cités ; laproduction et la publication annuelled’un livre blanc sur la situation desdroits de l’homme au cameroun.

L’observatoire comprend une assem-blée générale (rencontre de toutes lesorganisations des observatoires régio-naux) et un secrétariat technique qui,est constitué de trois organisations,chef de file des observatoires régionauxdu Littoral, de l’Ouest et du Centre.Leurs responsabilités au sein du secré-tariat technique portent sur : la coor-dination ; la communication ; la gestiondes projets.

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RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME3

SOMMAIREINTRODUCTION

APERÇU DU CONTEXTE GÉNÉRALAVANT LES MANIFESTATIONS DE FÉVRIER 2008• Contexte politique• Contexte économique et social

ÉVÉNEMENTS DE FÉVRIER 2008,JOUR APRÈS JOUR• Les faits jour après jour• Bilan humain non exhaustif des violences de février 2008• Bilan matériel des violences de février 2008

NATURE DES ALLÉGATIONS DE VIOLATIONSDES DROITS DE L’HOMME• Usage excessif de la force et atteintes à la viede manifestants non armés- Législation nationale et normes internationales relativesau recours à la force létale- Un recours abusif à la force létale

• Exécutions arbitraires• Arrestations et détentions arbitraires ciblées• Tortures et autres traitements ou châtiments cruels,inhumains ou dégradants

• Non prise en charge des blessés par les autorités• Rançonnement de la population par des garants de l’autorité publique• Violations des droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’information- Attaques contre des leaders d’opinion et des hommes politiques- Censures de médias et attaques contre des journalistes- Menaces à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme

• Détention arbitraire et mauvaises conditions de détention

LES DYSFONCTIONNEMENTSDE LA JUSTICE CAMEROUNAISE• Procès expéditifs et déni de justice• Les commutations et remises de peines• Impunité : l’unique réponse du gouvernement face aux violences commisespar les forces de l’ordre

• Réponse de la communauté internationale face aux exactions commises

CONCLUSION

RECOMMANDATIONS

LISTE NON EXHAUSTIVE DES DÉCÈS

5

7

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9

91517

18

19

19

20222324

24242525252627

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4CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

PRINCIPALES

VILLES

TOUCHÉES

PAR

LES ÉVÈNEMENTS

DE FÉVRIER 2008

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INTRODUCTION

5RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

Du 25 au 29 février 2008, le Cameroun a été le théâtre de violentes mani-festations sociales que les observateurs ont appelé « les émeutes de la faim ». À ladifférence d’autres pays africains qui ont connu le même type d’évènements (Sénégal,Côte d’Ivoire,Burkina-Faso…), c’est un facteur politique— le projet de modificationconstitutionnelle, perçu comme une perspective de prolongement de la mauvaisegouvernance du régime du président Paul Biya — qui, conjugué avec la hausse desprix des carburants et des denrées alimentaires, a servi de déclencheur au soulè-vement populaire.

À la suite de l’appel à la grève des principaux syndicats de transporteurs contre lahausse du prix du carburant, les populations, notamment les jeunes, ont prisd’assaut les rues des principales villes de cinq provinces du sud Cameroun — lesprovinces du Sud-Ouest, Nord-Ouest, Ouest, Centre et Littoral — avec des reven-dications socio-économiques, civiques et politiques. Face à l’ampleur du mouve-ment social, les forces de sécurité (policiers, gendarmes et militaires) ont étédéployées en nombre sur le terrain, avec des moyens souvent disproportionnés pourcontenir des populations aux mains nues. Dans ce contexte, les forces de sécuritése sont livrées à une répression sanglante de la population et ont commis de gravesviolations des droits de l’Homme, causant la mort d’au moins 139 personnes.Alorsque des milliers de personnes ont été arrêtées pendant et après les émeutes et tra-duites en justice, aucun élément des forces de sécurité suspecté d’avoir commis degraves violations des droits de l’Homme n’a fait l’objet de sanctions ou de pour-suites judiciaires.Aucune commission d’enquête n’a par ailleurs été constituée afind’établir la vérité sur ces quatre journées de violences. Même si la situation estaujourd’hui stable, la possibilité de nouveaux troubles et de répression demeureréelle, notamment à l’approche des élections présidentielles de 2011.

Face à ce constat, plusieurs associations camerounaises, membres de l’Observa-toire national des droits de l’Homme, ont souhaité procéder à la documentationdes violations des droits de l’Homme commises fin février 2008. Elles ont ainsiconduit des enquêtes sur le terrain, de manière impartiale et indépendante, et inter-rogé de nombreuses victimes et témoins. Ces enquêtes ont été compliquées par lasituation sécuritaire qui a prévalu immédiatement après les émeutes. Plusieursvictimes et témoins oculaires ont, par ailleurs, été réticents à rencontrer les ONG,par peur d’éventuelles représailles.

Le rapport intitulé « Cameroun – 25-29 février 2008 : Une répression sanglanteà huis clos » est la synthèse de ces enquêtes et entretiens. Le travail de compila-tion a été mené grâce au concours de l’ACAT-Littoral et de l’ACAT-France, à l’oc-casion de la visite d’un représentant de l’ACAT-France au Cameroun en juin 2008.

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APERÇU DU CONTEXTE GÉNÉRALAVANT LES MANIFESTATIONS DE FÉVRIER 2008

La révision de la Constitution a été adoptée à l’Assemblée nationale le 10avril 2008 par 157 voix pour, 5 voix contre et 15 voix non-votants. Le RDPCdisposait de 153 députés sur 180.Principales modifications apportées à la constitution camerounaise ayanttrait au statut de président de la République :Article 6 —Alinéa 2. Le président de la République est élu pour un mandatde sept ans. Il est rééligible.

> Auparavant, le président de la République ne pouvait exercer que deuxmandats.

Article 15 — Alinéa 4. En cas de crise grave ou lorsque les circonstancesl’exigent, le président de la République peut, après consultation du présidentdu Conseil constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée nationale et duSénat, demander à l’Assemblée nationale de décider, par une loi, de prorogerou d’abréger son mandat. Dans ce cas, l’élection d’une nouvelle Assembléenationale a lieu quarante jours au moins et cent vingt jours au plus après l’ex-piration du délai de prorogation ou d’abrégement de mandat.

> Dorénavant, en cas de crise grave, le président de la République peut semaintenir au pouvoir sans élections.

Article 53 —Alinéa 3. Les actes accomplis par le président de la Républiqueen application des articles 5, 8, 9 et 10 ci-dessus, sont couverts par l’immu-nité et ne sauraient engager sa responsabilité à l’issue de son mandat.

> Dorénavant, le président de la République,même lorsqu’il n’est plus chefde l’État, bénéficie de l’immunité.

NOTE

1• Plusieurs chefs d’États africains ont fait modifierleur constitution afin de ne plus limiter le nombre demandats présidentiels : Mauritanie (1991), Tunisie(2002), Guinée (2002), Togo (2003), Gabon (2003),Tchad (2005), Ouganda (2005), Algérie (2008).

7RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

CONTEXTE POLITIQUE•••

Dans le courant de l’année 2007, plu-sieurs dignitaires du Rassemblementdémocratique du peuple camerounais(RDPC) – parti au pouvoir – appellentindividuellement à la modification de laconstitution afin de permettre au prési-dent Paul Biya de briguer un nouveaumandat en 2011,ce qu’interdit la consti-tution. Le débat est lancé. Diversesforces politiques de l’opposition expri-ment alors leur mécontentement et aver-tissent de prochaines manifestations. Le30 octobre 2007,Paul Biya explique à lachaîne de télévision France 24 que laConstitution ne lui permet pas, « àl’heure actuelle », d’envisager une nou-velle candidature, avant d’ajouter :« Vous avez aussi des gens qui estimentque pour assurer la continuité, il faut quele président se présente. Je laisse ledébat se dérouler. » Le 6 novembre2007, à l’occasion de la journée com-mémorative de l’arrivée au pouvoir deM.Paul Biya, (le 6 novembre 1982), leRDPC appelle publiquement à la révisionconstitutionnelle.Le 31 décembre 2007,le président camerounais annonce,à l’oc-casion des vœux du nouvel an,sa volontéde réformer la Constitution :« De toutesnos provinces,de nombreux appels favo-rables à une révision me parviennent, et

je n’y suis évidemment pas insensible.Defait, les arguments ne manquent pas quimilitent en faveur d’une révision notam-ment, de l’articleVI.Celui-ci apporte eneffet une limitation à la volonté popu-laire, limitation qui s’accorde mal avecl’idée même de choix démocratique.J’ajoute qu’en soi, une révision constitu-tionnelle n’a rien d’anormal. » Le dis-cours présidentiel suscite de nouveau lescritiques de l’opposition politique et dela société civile qui dénoncent une« dérive monarchique » visant à assurerle maintien au pouvoir du chef de l’Étataprès 2011 (1).

6 NOVEMBRE 1982 :LE PREMIER MINISTRE PAUL BIYA

ACCÈDE À LA TÊTE DE L’ÉTAT.

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LES CAMEROUNAIS ONT,DANS L’ENSEMBLE,

LE SENTIMENT QUE LE

GOUVERNEMENT, SCLÉROSÉPAR L’ÉLITE AU POUVOIR,EST PROFONDÉMENT

INDIFFÉRENT À SES

ATTENTES.

NOTE

2 • Le Cameroun est membre du Commonwealthdepuis 1995.

8CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

Camerounais et de nombreux observa-teurs jugent « truquées ».Le dernier scru-tin présidentiel, d’octobre 2004, a parexemple fait l’objet de vives critiques desobservateurs de l’Église catholique(1200 observateurs dans tout le pays) etde ceux du Commonwealth (2) : de nom-breuses personnes n’ont pas pu voterfaute d’être inscrites sur les listes électo-rales (seulement 4,6 millions d’inscritssur environ 8 millions de personnes deplus de 20 ans) ; l’ensemble du proces-sus électoral a été dirigé par le ministèrede l’Administration territoriale et non parune commission électorale indépendante.Aujourd’hui, les Camerounais ont, dansl’ensemble, le sentiment que le gouverne-ment, sclérosé par l’élite au pouvoir, estprofondément indifférent à ses attentes.La jeunesse,qui n’a connu que Paul Biyaau pouvoir, est désespérée par une révi-sion constitutionnelle tendant à obstruerl’espoir d’un changement politique et àpérenniser un régime estimé à l’origine dela précarité, du chômage, et des mau-vaises conditions de vie actuelles. Saseule aspiration : quitter le pays pourtrouver mieux ailleurs.Dans ce contexte,l’explosion du prix du pétrole, entraînantune hausse vertigineuse des prix des pro-duits de première nécessité (riz, pain,huile) et des matériaux de construction,aaggravé le malaise social et renforcé larancœur contre les élites.

CONTEXTE ÉCONOMIQUEET SOCIAL

•••

Les vingt-six années de pouvoir deM. Paul Biya sont globalement jugéesavec sévérité par les Camerounais.Depuis son accession à la tête de l’État,la situation économique du pays n’a faitque se dégrader, entraînant du coup unedétérioration constante de la situationsociale : corruption, chômage, pauvreté,misère, insécurité. Les coupures d’eau etd’électricité sont devenues régulières.Lasanté et l’éducation sont devenues moinsaccessibles.Les conditions de vie des étu-diants se sont détériorées : absence debourses d’étude, montants d’inscriptionen hausse constante, logements universi-taires insalubres et rares.L’avènement dela démocratie et de la pluralité des opi-nions, obtenues au début des années 90au terme d’un puissant mouvement decontestation, n’a pas empêché le régimeen place de semaintenir au pouvoir par lebiais d’élections présidentielles que les

GRAFFITIS DE MANIFESTANTS

SUR LES MURS DE DOUALA

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ÉVÉNEMENTS DE FÉVRIER 2008JOUR APRÈS JOUR

RESTE DE BARRICADE

SUR LA CHAUSSÉE À DOUALA

9RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

dans lesquels des critiques sévèresétaient émises par des auditeurs à l’en-contre du projet de révision constitu-tionnelle.

Le samedi 23 février, un meeting duSDF— prévu au « rond-point Dakar »à Douala, visant à sensibiliser la popu-lation sur la révision de l’article 6 ali-néa 2 de la Constitution, est annulé endernière minute par les responsablesprovinciaux du SDF, par peur de repré-sailles policières. Un important dispo-sitif de forces de l’ordre était en effetdéployé sur le terrain depuis la veille.Après le départ du député SDF duWouri Est, M. Jean Michel Nintcheu,les forces de l’ordre décident de

Le mercredi 13 février à Douala, auterme d’une conférence de presse dudirigeant du Social Democratic Front(SDF), M. Ni John Fru Ndi, portantsur la réforme constitutionnelle, desheurts se produisent entre les forces del’ordre et les participants à laditeconférence. Ces derniers sont dispersésà coup de gaz lacrymogène.

Le jeudi 21 février, la chaîne de télé-vision privée Équinoxe TV émettantdepuis Douala, qui avait montré desimages de ces manifestations, est fer-mée par les autorités pour « exerciceillégal de la profession de diffuseur decommunication audiovisuelle ». Le ven-dredi 22 février, radio Équinoxe estégalement fermée. Ces médias organi-saient régulièrement des débats libres,

LES FAITSDU 13 AU 29 FÉVRIER

•••

Dans ce climat de tension latente, legouverneur de la province du Littoralpublie, le 15 Janvier 2008, un arrêtéinterdisant, sur l’ensemble de la pro-vince, les manifestations et autresoccupations non autorisées sur la voiepublique, pour une durée indéterminée.Cette décision ravive le mécontente-ment populaire suscité par le projet deréforme de la constitution. Malgré cetarrêté, plusieurs meetings de l’opposi-tion portant sur le sujet de la réformeconstitutionnelle se succèdent à Douala,chef-lieu de la province du Littoral.M.Mboua Massock Ma Batalong,mili-tant politique non-conformiste, tientainsi plusieurs meetings de quartier àDouala début février 2008, et tented’organiser des marches de protesta-tion contre le projet de réforme constitu-tionnelle. Conformément aux injonctionsdu gouverneur de la province, les forcesde l’ordre dispersent les manifestantsqui se rassemblent pour écouterM. Mboua Massock. Il est interpellé àplusieurs reprises et fait même l’objet,le 16 février 2008, d’une déportationdans la forêt deYabassi, à une centainede kilomètres de Douala, où il y estabandonné en pleine nuit.

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DES BARRICADES SONT

DRESSÉES DANS DE

NOMBREUSES RUES ET DES

PNEUS ET AUTRES

MATÉRIAUX SONT BRÛLÉS

SUR LA VOIE PUBLIQUE.LES ENTRÉES DE LA VILLE

SONT IMPRATICABLES.

RESTE DE BARRICADE

SUR LA CHAUSSÉE À DOUALA

NOTE

3 • Selon les autorités trente et une villes ont été tou-chées par les manifestations :Province du Centre :Yaoundé.Province du Littoral : Douala, Nkongsamba, Mbanga,Melong, Njombè, Penja et Loum.Province du Nord-Ouest : Bamenda, Kumbo, Santa,Nkambé, Ndop, Bali, Mbengwi et Batibo.Province de l’Ouest : Bafoussam, Dschang, Bafang,Kékem,Mbouda et Foumbot.Province du Sud-Ouest : Buéa, Limbé, Muyuka, Tiko,Ekona, Muéa, Ombé, Mutenguéné et Kumba.

10CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

jeunes, descend spontanément dans lesrues des quartiers populaires pourexprimer son ras-le-bol et son espoird’un avenir meilleur. La grève se muealors en un vaste mouvement de reven-dications sociales.Aucune organisationpolitique ou syndicale ne semble alorsmaîtriser le mouvement de contesta-tion. Les villes sont totalement paraly-sées. Des marches pacifiques seconstituent un peu partout.Des attrou-pements se forment aux carrefours desgrands axes.Des jeunes brandissent despancartes portant des slogans divers :« Touche pas à ma Constitution »,« Biya doit partir », « Halte à la viechère ». Des barricades sont dresséesdans de nombreuses rues et des pneusainsi que d’autres matériaux sont brû-lés sur la chaussée. Des magasins sontforcés de fermer. Les rues sont égale-ment prises d’assaut par des jeunes pil-leurs et casseurs. Profitant de laparalysie des villes, ils s’attaquent auxcommerces.

Le lundi 25 février, le mot d’ordre degrève générale est massivement suivi.Dans les principales villes des cinq pro-vinces du Centre, du Littoral, du Nord-ouest, de l’Ouest et du Sud-ouest (3)

aucun taxi,moto taxi et bus interurbainne circulent. Craignant d’éventuelsdébordements, les particuliers laissentleurs voitures à l’arrêt. Les rares per-sonnes qui se hasardent à conduiresont stoppées. Dans plusieurs cas, desvéhicules privés sont endommagésvoire incendiés. En raison de l’absencede transports, la majorité des serviceset des commerces restent fermés, demême que les écoles, collèges et lycées.Profitant de la grève générale destransporteurs, une grande partie de lapopulation provenant des couchessociales démunies, dont de nombreux

disperser les personnes présentes auxalentours du carrefour avec des gazlacrymogènes et des lances à eau. Lasituation dégénère.Des jeunes du quar-tier, échaudés par la brutalité desforces de l’ordre, érigent des barri-cades, incendient des pneus sur lachaussée. Les forces de l’ordre ouvrentle feu. L’embrasement spontané de cequartier populaire de Douala tourne àl’émeute durant la nuit avec, outre lamultiplication des affrontements entrejeunes et forces de l’ordre, des pillagesde commerces et des destructions parincendie de véhicules et d’édifices (sta-tions services essence, kiosques du Parimutuelurbaincamerounais—PMUC).Lestirs à balles réelles des forces de policefont trois morts et de nombreux bles-sés. Un certain nombre de personnessont également arrêtées.

Le dimanche 24 février, la situationreste tendue à Douala mais aucune vio-lence n’est signalée, à part quelquescoups de feu entendus près de l’aéroport.Parallèlement au mouvement politiquede lutte contre la modification de laconstitution, un mouvement social avecdes revendications économiques se meten place dans la même période. Pourprotester contre l’augmentation du prixdu carburant, des syndicats de trans-porteurs appellent à la grève générale

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CARTE DE DOUALA

Le lundi 25 février 2008, dans uncommuniqué publié dans le quoti-dien Cameroon Tribune, le minis-tre de la Communication, JeanPierre Biyiti Bi Essam, condamneles violences du 23 février, déplore« les dégâts occasionnés par cesactes irresponsables » et dénonce« fermement ceux qui exploitentla naïveté des jeunes. »

11RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

pharmacies, hôtels, restaurants, sta-tions-service sont saccagés et pillés.Les kiosques du Pari Mutuel UrbainCamerounais (PMUC) sont particuliè-rement visés.Des édifices administratifssont incendiés. Dans le Ve arrondisse-ment, la sous-préfecture, la mairie etle centre divisionnaire des impôts sontsaccagés puis incendiés par les mani-festants. Les services de la SNEC(entreprise de distribution d’eau) et deAES-SONEL (entreprise de distribu-tion d’électricité) sont attaqués et van-dalisés. À Bonabéri, une vingtaine degendarmes sont séquestrés, tabassés etdélestés de leur uniforme. Des renfortsmilitaires sont envoyés de Yaoundé etKoutaba afin d’appuyer les policiers etgendarmes sur le terrain. En fin dejournée, les forces de sécurité repren-nent le contrôle des principaux carre-fours et artères de Douala etmultiplient les contrôles d’identité etles arrestations. La ville de Douala estalors bouclée et quadrillée par lesforces de l’ordre, dont des troupesd’élite de combats, qui n’hésitent pas àtirer sur les personnes qui se trouvent àproximité des lieux où il y a eu des pil-lages ou des actes de vandalisme. Celan’empêche toutefois pas les pillagesdurant la nuit.

À Yaoundé, quelques incidents margi-naux opposent des transporteurs grévistesaux forces de l’ordre.

À Kumba, aucun véhicule ne circule aumatin.Toute la ville est bloquée par desbarricades, contrôlées par des groupesde jeunes gens.Toutes les boutiques decommerce sont fermées. Seuls les pié-tons circulent en ville.Dans l’après midi,les manifestants brandissent, pour cer-tains, des pancartes avec des messagesanti-Paul Biya :« Biya is old and tired »,« Biya must go », « ConstitutionalChange only over our death bodies ».Lesdivers cortèges de manifestants se diri-gent vers Fiango, où ils se rassemblent àproximité du dépôt de la société des

À Douala, des milliers de contestatairesmanifestent de manière incontrôlée.Des barricades sont dressées dans denombreuses rues et des pneus et autresmatériaux sont brûlés sur la voiepublique. Les entrées de la ville (versYaoundé et vers l’Ouest) sont imprati-cables. Le pont duWouri est bloqué parles manifestants. Le mouvement, audépart pacifique, connaît des dérapageset des scènes de violence. Plusieursvéhicules de particuliers sont endom-magés pour avoir essayé de circuler.Plusieurs magasins restés ouverts sontsaccagés. En différents endroits de laville, la police intervient avec descamions lance eau et des gaz lacrymo-gènes pour essayer de disperser lesmanifestants. Les manifestants répli-quent par des jets de pierres. Les mani-festations se transforment alors enbatailles rangées entre forces de l’or-dre et jeunes protestataires. Face auxjets de pierres, les forces de l’ordretirent à balles réelles.Dans certains casà bout portant. À la vue du sang, lasituation se dégrade et les manifesta-tions se transforment en de véritablesémeutes urbaines. De nombreusesscènes de pillage et des actes de van-dalisme se multiplient dans tous lesquartiers de la ville, excepté dans lequartier administratif de Bonanjo et auport, qui restera sécurisé tout au longdes événements. Dans le quartierd’Akwa, des bandes de plusieurs cen-taines de jeunes, armés de pierres et degourdins, s’attaquent à des établisse-ments privés.Desmagasins,boulangeries,

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DES BARRICADES SONT

DRESSÉES DANS

DE NOMBREUSES RUES

ET DES PNEUS ET AUTRES

MATÉRIAUX SONT BRÛLÉS

SUR LA VOIE PUBLIQUE.LES ENTRÉES DE LA VILLE

SONT IMPRATICABLES.

RESTE DE BARRICADE

SUR LA CHAUSSÉE À DOUALA

NOTE

4 • De nombreux Camerounais considèrent la Francecomme étant responsable, en partie,de leur misère du faitde son soutien continu au régime du Président Paul Biya.

12CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

mis au palais de justice est vite maîtrisé.À Kékem, tous les kiosques apparte-nant au PMUC sont détruits.À Bafou, des dégâts importants sontenregistrés dans l’entreprise agro-ali-mentaire EPA. La répression est trèsviolente. On parle d’exécutions som-maires dans les plantations.À Mbouda, Bangangté, Foumbot,Bandjoun et Baham, les émeutes sontvite maîtrisées.

Dans la soirée, le ministre de la Com-munication et porte-parole du gouver-nement accuse le SDF d’être derrièreles mouvements de Douala et deBamenda. Cette intervention fait mon-ter la tension car la population attendaitdavantage des mesures d’apaisementque des actes d’accusation.

Mardi 26 février. Après une nuit relati-vement calme à Douala, au cours delaquelle des pillages se sont toutefoispoursuivis dans certains quartiers, lesmanifestations et les violences qui lesaccompagnent reprennent de l’ampleurnotamment dans les quartiers deBépanda, Grand Moulin, Logpom,Maképè, Bonamoussadi, Bonabéri,Ndog-passi…Les commerces et marchésrestent fermés, à part deux boulangeriesprotégées par desmilitaires en armes.Lesavions devant atterrir à Douala sontdéroutés surYaoundé.Le port de Doualaest à l’arrêt.Des commerces,des stationsservices et des symboles des intérêts fran-çais (boutiques Orange,kiosques PMUC)sont détruits (4). L’entreprise SIDEM,située au niveau de l’échangeur de l’aé-roport de Douala, est attaquée par lesémeutiers et subit d’énormes dégâts(incendie de plusieurs camions neufs etd’autres matériels de travail). Des por-traits de Paul Biya sont maculés en plu-sieurs endroits de la ville. Au Campus del’université de Douala, des manifestantsdemandent le départ de Paul Biya et durecteur de l’Université. Des contingentsmilitaires supplémentaires arriventdepuis l’intérieur du pays pour prêtermain-forte aux forces de l’ordre débor-dées. L’usage des armes à feu devient sys-tématique et la répression prend del’ampleur.

Brasseries du Cameroun afin de se ravi-tailler en boissons. Les forces de l’ordredispersent alors les manifestants par destirs de gaz lacrymogènes. S’ensuiventdes affrontements violents entre gen-darmes et manifestants.La brasserie estpillée puis brûlée. Au moins une femmemeurt sous les débris du bâtiment.Durant toute la nuit, forces de l’ordre etmanifestants s’affrontent. Policiers etgendarmes ouvrent le feu à plusieursreprises et blessent plusieurs personnes.

Dans la journée, les violences attei-gnent également Bafoussam et Buéa.La ville de Buéa est ainsi le théâtred’affrontements entre forces de l’ordreet manifestants armés de pierres quiont dressé des barricades. Des pillagesy ont également lieu.L’université de Dschang est le théâtrede protestations. Un élève est tué parballes aux abords du campus universi-taire. Plusieurs bâtiments et voituressont incendiés.D’importants dégâts matériels sont àdéplorer à Bafang. Tous les kiosquesappartenant au PMUC sont détruits.Lapermanence du RDPC et deux stationsessences Total sont incendiées. Le feu

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AU COURS DE CETTE

JOURNÉE DU 26 FÉVRIER,DE NOMBREUSES

PERSONNES SONT TUÉES

PAR BALLES, NOTAMMENTÀ LOUM, OÙ ON DÉNOMBRE

SIX JEUNES TUÉS.

MANIFESTATION À DOUALA

13RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

vernement a consenti une baisse de6 francs CFA (moins de 0,01 €) duprix de l’essence lors de négociations.Ils appellent à la reprise du travailpour le lendemain. Les maires d’arron-dissement de Douala lancent un appelau calme. Les évêques du Cameroun, àtravers la voix du Cardinal ChristianTumi, invitent les Camerounais au dia-logue. Le gouverneur de la ville deDouala exige de certaines stations ser-vices et pharmacies qu’elles ouvrent ànouveau sous la protection de l’armée.Dans le même temps, plusieurs chefstraditionnels proches du RDPC dénon-cent le soulèvement populaire et appel-lent à une répression plus forte contreles manifestants. Ils demandent dansdes messages aux relents xénophobesque : « Les émeutiers aillent manifesterchez eux… ». Au cours de cette jour-née, de nombreuses personnes sonttuées par balles, notamment à Loum,où on dénombre six jeunes tués.

Mercredi 27 février. La levée du motd’ordre de grève n’est pas suivie par labase qui considère la concession faitepar le gouvernement comme très insuf-fisante. La grève continue. Malgré laréouverture de quelques boulangeriessous protection militaire, et le déploie-ment de patrouilles mixtes (armée-police), la ville de Douala reste

manifestants. Deux personnes sonttuées. Le bâtiment est en partie brûlépar la foule. L’arrivée de la pluie calmeles ardeurs des émeutiers et met unterme aux violences de la journée.Quelques échauffourées sont signaléesau cours de la nuit. Durant la nuit, desmilitaires arrivent en renfort depuisDouala et Buéa.Toutes les activités sont à l’arrêt àBuéa,Bafoussam et à Bamenda, où desviolences ont cours.L’agitation sociale gagne égalementFoumban, Loum, Dschang, Banganté,Limbe, Nkongsamba : pas de circula-tion automobile, attroupements, barri-cades, fermetures des boutiques.

Dans la soirée, les représentants dessyndicats de transporteurs acceptentl’arrêt de la grève, après que le gou-

À Yaoundé, la grève des transporteursest massivement observée pendant queles syndicats de transporteurs négo-cient avec le gouvernement. Pour lapremière fois, dans l’histoire des mou-vements sociaux au Cameroun, la capi-tale politique est paralysée.Par mesurede précaution, les commerçants fermentleurs établissements. Des manifestantsportent des pancartes indiquant :« Touche pas à ma Constitution » etdénoncent la vie chère. Des barragessont érigés dans certains quartierspériphériques et des affrontementsentre manifestants et forces de l’ordresont signalés durant toute la journée etpendant la nuit. Des installations duPMUC et un centre des impôts sontattaqués.

À Kumba, des barricades sont érigéessur toutes les routes. Plusieurs bâti-ments administratifs — centre desimpôts, trésorerie, urbanisme, affairessociales — sont pillés (ordinateurs,chaises,mobiliers) puis brûlés. Les sta-tions essences et leurs boutiques sontégalement ciblées, de même que leskiosques du PMUC. Les émeutiersprennent rapidement le contrôle de laville. Les forces de l’ordre se barrica-dent alors dans leurs bâtiments.Depuisle commissariat de police, les policierstirent à balles réelles pour éloigner les

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DANS TOUTES LES

LOCALITÉS CONCERNÉES

PAR LES VIOLENCES, LESAUTORITÉS

ADMINISTRATIVES ET LES

DIGNITAIRES DU RDPCMOBILISENT LES

« ÉLITES » ET LES CHEFSTRADITIONNELS POUR LES

AMENER À CONTENIR LES

POPULATIONS AFIN

D’ÉVITER DE NOUVELLES

MANIFESTATIONS.

affrontements violents ont lieu entre lapopulation et les forces de l’ordre dansplusieurs quartiers deYaoundé (Tsinga,Mokolo, Mendong, Ngousso, Mimbo-man, Ekounou…). Après le messagejugé « va-t-en guerre » du chef de l’État,les étudiants envahissent le campusuniversitaire de Yaoundé 1. Ils sontalors brutalisés par les forces de main-tien de l’ordre et de défense. Des bar-ricades sont érigées dans les rues, ycompris sur les voies d’accès menantau Palais présidentiel. Il s’en suit desarrestations massives.

Dans la matinée, la circulation routièrereste bloquée à Buéa.Des affrontementsse poursuivent dans les quartiers popu-laires. Les forces de l’ordre tuent unjeune par balles dans la localité deMuéa.

À Bamenda, la situation reste bloquée(absence de moyens de transport,magasins fermés et rues barricadéespar les jeunes). La mairie est attaquéeet brûlée.La voiture du délégué du gou-vernement subit le même sort et uneécole appartenant à son épouse est en

MANIFESTATION À DOUALA

14CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

partie saccagée. D’autres bâtimentssont attaqués et incendiés : la tribuneofficielle des défilés et des festivitéspubliques, le bureau des impôts, leslocaux AES-SONEL, le dépôt desBrasseries du Cameroun.

À Nkongsamba, au matin, des élémentsdu Groupement mobile d’intervention(GMI) — troupe d’élite de la police —tirent sur un rassemblement de jeunes.Deux personnes sont tuées, de nom-breuses autres sont blessées.

À Bafoussam, les jeunes tiennent desbarricades dans presque tous les quar-tiers de la ville : Toungang, Tyo ville,Tamdja, Djéleng, Nylon, Banengo, car-refour TPO, bloquant ainsi la circula-tion. Les forces de l’ordre tentent deles déloger et de violents affrontementsont lieu. Les forces de l’ordre répon-dent aux jets de pierres par des tirs àballes réelles. Cinq jeunes sont tués(entre autresTantoh Emmanuel,25 ans,et Momo Elvis). Au cours des affron-tements, plusieurs véhicules, dont ceuxdu préfet de la Mifi et du sous-préfetde Bafoussam 1er sont endommagés.Des établissements privés sont égale-ment pillés, notamment, un magasinOrange et l’antenne PMUC situés tousdeux au carrefour Auberge, ainsi quedeux boulangeries.

À Dschang, la circulation reprend pro-gressivement.

paralysée et des scènes de violence et depillage se déroulent dans divers quar-tiers. À Bonabéri, l’usine CIMENCAM,productrice de ciment est attaquée. ÀBonapriso, quartier chic, des échauf-fourées sont signalées durant la mati-née. On observe d’autres points chaudsau carrefour des Deux églises, dans lavallée Bessenguè, et au lieu-dit ShellNew bell. Mais l’élément le plus mar-quant est la répression sanglante d’unemarche pacifique de milliers de jeunesde Bonabéri sur le pont du Wouri. Uncertain nombre de jeunes meurent parnoyade ou sous les balles des forces del’ordre.Un couvre-feu est décrété dansla ville de Douala de 18 heures à 6 heuresdu matin.

En tout début de matinée, les taxis cir-culent à Yaoundé. Mais à partir de 9heures, des manifestants occupent lesrues, dressent des barricades, incen-dient des pneus, arrêtent la circulationet ferment les boutiques de force, ycompris au marché central. Les forcesde l’ordre interviennent en tirant à ballesréelles et en lançant des grenades lacry-mogènes, notamment depuis un héli-coptère. Une marche pacifique vers laprésidence de la république est violem-ment réprimée et la capitale politiqueest à son tour quadrillée par les mili-taires. La situation dégénère et des

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Le mercredi 27 février, à 20 heures, le prési-dent Paul Biya sort de son silence en prononçant un dis-cours musclé de cinq minutes à la télévision. Le chef del’État, après avoir évoqué un « bilan humain et matériel[…] probablement très lourd », déclare que « ce qui esten cause c’est l’exploitation, pour ne pas dire l’instru-mentalisation qui a été faite de la grève des transpor-teurs à des fins politiques ». Il dénonce alors, de manièrevoilée, un complot de l’opposition visant à le renverser.Selon lui : « Pour certains […] l’objectif est d’obtenirpar la violence ce qu’ils n’ont pas eu par la voie desurnes, c’est-à-dire par le fonctionnement normal de ladémocratie […]. Les apprentis sorciers qui, dans l’om-bre, ont manipulé ces jeunes ne se sont pas préoccupésdu risque qu’ils leur faisaient courir en les exposant àdes affrontements avec les forces de l’ordre ». Le pré-sident conclut son discours en assurant que « le Came-roun entend bien rester un État de droit… Le désordrene peut apporter que malheur et misère.Tous les moyenslégaux dont dispose le gouvernement seront mis enœuvre pour que force reste à la loi. » Si l’interventionde Paul Biya a montré la volonté du président dereprendre le contrôle de la situation, par la force, et dechercher des boucs émissaires dans l’opposition, elle n’aapporté aucune réponse, ni mesure, ni promesse aux pro-blèmes concrets posés par la population au cours de cesjournées de manifestations. Rien sur le problème de laréforme de la Constitution, sur la cherté de la vie, sur la

hausse des prix et sur le chômage chronique des jeunes.La déception est grande au sein de la population. Le dis-cours est perçu par beaucoup comme une déclarationde guerre aux jeunes manifestants. À peine le discoursterminé, un grand nombre de militaires fortement armésprennent position dans les rues des grandes villes.Mêmeles unités spéciales comme le GSO, ESIR et le BIR sontmobilisées sur le terrain. Des chars sont déployés àYaoundé. Des hélicoptères tournent dans le ciel. La ges-tion des émeutes urbaines prend dès lors l’allure d’uneguerre contre insurrectionnelle et les manifestants sontdorénavant considérés comme des ennemis de l’État.

Alors que le Chef de l’État demeure le garant de la paixsociale, de la sécurité des biens et des personnes, son dis-cours crée au sein des forces de l’ordre un sentimentd’impunité. Les policiers, les gendarmes et les militairesse sentent dès lors investis d’une mission et libres deréprimer tout regroupement extérieur comme bon leursemble. La traque des meneurs dans les quartiers com-mence : arrestations arbitraires de jeunes, mauvais trai-tements sur les personnes arrêtées, détentions au secret.Des forces de l’ordre profitent de la situation pour entrerde force dans des habitations et extorquer de l’argent etdes biens à leurs occupants sous la violence et les inti-midations. Dans la soirée, des éléments armés des forcesde l’ordre attaquent le campus universitaire de NgoaEkele, au centre deYaoundé, saccagent les chambres desétudiants et molestent plusieurs d’entre eux alors queceux-ci ne se livraient à aucun mouvement revendicatif.Plusieurs étudiants sont interpellés. Le bilan de l’expé-dition punitive est d’au moins cinq blessés. De son côté,la jeunesse répond au discours par de nouveaux incendieset casses. Des incidents sont signalés durant toute la nuità Douala et Yaoundé. Les forces de l’ordre répondentaux émeutiers par des tirs à balles réelles.

15RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

INTERVENTION RADIOTÉLÉVISÉE DU CHEF DE L’ÉTAT :UN DISCOURS QUI ENVENIME LA SITUATION

PAUL BIYA,PRÉSIDENT DU CAMEROUN

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À Foumbot, des accrochages ont lieu.Les forces de l’ordre venues de Doualaet de Buéa se déploient dans le centre-ville de Kumba afin de protéger certainsbâtiments : marché central, BICEC(banque), leTribunal de grande instance.Jusqu’à la mi-journée la ville est calme.La plupart des barricades ont été déga-gées des routes et quelques rares véhi-cules privés et mototaxis recommencentà circuler en ville.Dans l’après-midi, desmanifestants barricadent à nouveau lesroutes et bloquent les véhicules rencon-trés rendant ainsi la circulation impos-sible, particulièrement dans les zonesKumba II (Fiango) et Kumba III(Mambanda). Alors qu’il n’y a pasd’émeutes en cours, à au moins quatrereprises, à proximité du marché central,des militaires présents dans trois véhi-cules civils non immatriculés, dont unpossédant une mitrailleuse légère fixéesur la cabine arrière, tirent sur des civilsmarchant en groupes (plus de trois indi-vidus), de manière indiscriminée et àhauteur d’homme,occasionnant le décèsd’au moins trois personnes. Dans lemême temps,depuis un hélicoptère mili-taire, des soldats jettent des gaz lacry-mogènes et tirent à balles réelles, sansavertissement, en direction de groupesde personnes. Plusieurs d’entre ellessont blessées.Des soldats profitent de lasituation pour harceler la population etdépouiller les passants (argent, télé-phone portable, bijoux).

Au moins 16 personnes — notammentTegen John, Elizie Saidu, TchoumnouThomas, Tah Dorothy Andong, BabilaDoh Elvis,Atemgeh George,MbohNapo-leon— sont soignées, le 27 février 2008,dans trois centres de santé — Presby-terian Health centre, Hope Clinic etKumba District hospital — pour desblessures par balles, notamment deuxpersonnes qui se trouvaient dans undépôt de Brasserie à Fiango. Au moinsquatre autres personnes sont tuées parballes à Kumba le 27 février 2008.Dans toutes les localités concernéespar les violences, les autorités adminis-tratives et les dignitaires du RDPCmobilisent les « élites » et les chefs tra-ditionnels pour les amener à contenirles populations afin d’éviter de nou-velles manifestations.

Jeudi 28 février. Les principales villesdu pays sont quadrillées par les mili-taires depuis la veille au soir et restentsans activités. La situation reste extrê-mement tendue dans la plupart desvilles.À Douala, il n’y a toujours pas de cir-culation et les commerces restent fer-més. Les quelques banques ouvertessont placées sous haute surveillancedes forces de l’ordre.Des incidents sontencore signalés dans plusieurs quar-tiers.À Kumba, c’est le retour au calme. Lesmilitaires sont partout et la peur estperceptible au sein de la population.Lasituation est identique à Buéa etBafoussam. Des affrontements et despillages sont à déplorer à Bamenda, oùplusieurs personnes sont tuées parballes.

CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »16

JEUDI 28 FÉVRIER.LES PRINCIPALES VILLES

DU PAYS SONT

QUADRILLÉES

PAR LES MILITAIRES

DEPUIS LA VEILLE AU SOIR

ET RESTENT SANS

ACTIVITÉS.

MANIFESTATION À DOUALA

ÀYaoundé, les taxis et les voitures pri-vées ne circulent toujours pas. L’arméeest positionnée aux différents carre-fours de la ville pour prévenir toutesituation de conflit. La tension restetoutefois perceptible dans les quartierspériphériques où des coups de feuretentissent. Mis à part le quotidienprivé Le Jour et le quotidien gouverne-mental Cameroon Tribune, aucunorgane de presse n’est disponible dansla capitale.Alors que les directeurs desdifférentes publications sont convoquéspar le ministère de la Communication,la gendarmerie investit les locaux de laradio privée Magic FM, à 10h30, etconfisque son matériel ainsi que lestéléphones portables des journalistes.La radio arrête d’émettre. Magic FMavait eu le tort de laisser la parole àdes auditeurs qui avaient fortement cri-tiqué le discours présidentiel.

Vendredi 29 février.En raison de l’in-tervention massive des forces de l’or-dre, le calme revient dans le pays. Lesvilles sont sous haute surveillance desforces de l’ordre, dont certains arbo-rent des tenues civiles. Les taxis repren-nent le travail et les commerces sont denouveau ouverts. La peur est percepti-ble et certaines familles se réfugient àla campagne de peur des arrestations.

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Cependant, aucun chiffre exact ne peutêtre donné. Il est en effet très difficiled’arriver à un bilan précis des mortspour plusieurs raisons :

• Beaucoup de victimes n’ont pas ététransportées à l’hôpital ou à la morgue,mais ont été rapidement inhumées parleurs familles, selon la tradition quiveut que la victime soit enterrée dansson village d’origine.

RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME17

BILAN HUMAINNON EXHAUSTIFDES VIOLENCES

DE FÉVRIER 2008•••

Le bilan officiel des violences de février2008 est de 40 morts dont un policier(cf. tableau ci-dessous) Le nombre deblessés n’est pas connu mais, selon lesautorités, il existe de nombreux cas deblessés chez les civils et au sein desforces de maintien de l’ordre. Ce bilana été dressé au cours d’une conférencede presse du ministre de l’Administra-tion territoriale et de la décentralisa-tion, M.Marafa HamidouYaya, le lundi10 mars 2008, à Yaoundé. Ce bilanofficiel des incidents, déjà lourd, sembletoutefois bien en deçà de la réalité.Malgré la difficile vérification decertains incidents et allégations deviolences ayant entraîné la mort, aumoins 139 personnes ont perdu la viedurant ces événements, principalementà Douala (cf. tableau ci-dessous).54 noms de victimes ont été à ce jourrecensés par l’Observatoir nationaledes droits de l’Homme (cf. tableaupage 36).

VILLE

Douala

Yaoundé

Mbanga

Bafang

Buéa

Njombé-Penja

Loum

Bamenda

Santa

Bafoussam

Kumba

Limbe

Dschang

Muéa

TOTAL

NOMBRE DE MORTS SELONL’OBSERVATOIRE NATIONALDES DROITS DE L’HOMME

› 100

NC

2

2

2

2

7

6

NC

4

7

5

1

1

AU MOINS 139

NOMBRE DE MORTSSELON LES AUTORITÉS

26

2 (dont un policier)

1

0

0

1

2

4

1

1

0

0

1

1

40

• Des consignes semblent avoir étérapidement données aux directeurs descentres hospitaliers afin de couvrir lescrimes commis par les forces de sécu-rité et dissimuler des preuves. Ainsi lepersonnel hospitalier et le personnelmortuaire n’ont que très rarementfourni de document de décès (Certifi-cat de genre de mort) aux familles devictimes. L’Hôpital Laquintinie deDouala n’a par exemple décerné aucunpapier de genre de mort ou de certifi-cats de décès spécifiant que les vic-times ont été tuées par balles. Dansplusieurs cas, des professionnels de lasanté ont même tenté de donner auxfamilles de victimes tuées par ballesdes documents erronés, présentant lescauses de décès comme étant dû à desimples traumatismes. Les balles reti-rées des corps des victimes ont disparu.

• De nombreuses familles ne parlentpas de peur des représailles en cas detémoignages. Des parents ont pu récu-pérer les corps de leurs enfants aprèsavoir promis de garder le silence. Desconseils de diverses autorités ont étéprodigués aux familles pour éviterquelles ne parlent trop.

• Aujourd’hui encore, des victimes gra-vement blessées pendant la grève conti-nuent à succomber à leurs blessures.

VICTIME À DOUALA

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De nombreux véhicules publics ouappartenant à titre privé à des fonc-tionnaires ont été incendiés ou sérieu-sement endommagés.

ATTEINTES AUX BIENS PRIVÉSLes opérateurs économiques privés ontégalement subi de lourdes pertes, quiselon les autorités camerounaises se chif-frent en dizaines de milliards de francsCfa (plusieurs millions d’euros (5)).

Trente-trois stations-service ont étéentièrement ou partiellement détruites.Plusieurs dépôts des sociétés brassi-coles ont été pillés. Il en est de mêmede l’incendie ou du pillage des siègessociaux de certaines entreprises, desofficines pharmaceutiques, des kiosquesdu PMUC ou encore la destructiond’exploitations agro-industrielles. Enoutre, plusieurs véhicules privés ont étévandalisés ou incendiés. À Douala, parexemple, la SIDEM, dont la rumeur ditqu’elle appartiendrait au fils aîné dePaul Biya, a été saccagée. Plusieursvéhicules y ont été incendiés. Le 27février, l’usine de ciment CIMENCAMa été attaquée à Bonabéri.

NOTE

5 • 650 francs CFA équivalent approximativement à1 euro.

• Nkongsamba : mairie de Nkong-samba IIe.• Bamenda : mairie de Bamenda IIe,Centre divisionnaire des impôts.• Mbanga : Centre divisionnaire desimpôts.• Kumbo : Centre divisionnaire desimpôts,Délégation provinciale du minis-tère de la Promotion de la femme et dela famille du Nord-Ouest, Délégationsdépartementales de l’éducation de base,des travaux publics, du commerce, destransports et de la communication dudépartement du Bui.Les voiries urbaines et leurs acces-soires, tels que les équipements d’éclai-rage public ont été fortement dégradésdans ces mêmes villes, de même que lesreprésentations des concessionnairesdes services d’eau (SNEC) et d’électri-cité (AES-SONEL) qui ont été mis àsac ou incendiées.Des établissements scolaires ont aussiété la cible de pillage et de destruction :lycée de Bafang-rural dans le Haut-Nkam, CETIC de Kekem, école catho-lique de Medjo dans la Menoua…

CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »18

BILAN MATÉRIELDES VIOLENCES DE FÉVRIER

2008•••

Dans les villes touchées par les mani-festations et les émeutes, des actes depillage, de vandalisme et de destruction(par incendie) de biens publics et debiens privés ont été perpétrés en grandnombre par des civils. Certains ont étéspontanés.D’autres ont été conduits demanière plus ciblée dans le but de punirles autorités camerounaises (symbolesde l’État visés), les entreprises appar-tenant à des proches du régime, maiségalement les intérêts des entreprisesfrançaises (kiosques PMUC, boutiquesOrange, stations services Total). Denombreux Camerounais considèrent eneffet que la France est en partie res-ponsable de leur misère du fait de sonsoutien continu et irréprochable auprésident Paul Biya.

ATTEINTES AUX BIENS PUBLICSSelon les sources gouvernementales, 44édifices publics ou bâtiments abritantdes services publics ont été saccagés ouvandalisés, notamment par le feu :• Douala : sous-préfecture de DoualaVe, mairie de Douala Ve, Centre divi-sionnaire des impôts n° 13.• Kumba : commissariat de sécuritépublique de Kumba Ier, commissariatspécial de la Mémé, Centre départe-mental des finances, Recette desfinances, Délégations départementalesde l’éducation de base, du Développe-ment urbain et de l’habitat, desdomaines et des affaires foncières dela Mémé.• Yaoundé : Centre de l’insertion desjeunes de Nkomkana.• Kekem : sous-préfecture.• Santa : sous-préfecture, Brigade degendarmerie territoriale.

STATION SERVICE DÉTRUITEÀ DOUALA

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RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME19

L’analyse d’un certain nombre de casd’atteintes aux droits de l’Homme,recensées par les associations membresde l’Observatoire national des droits del’Homme, a permis de dégager des phé-nomènes récurrents sur les méthodesemployées par les autorités pour répri-mer les mouvements de foule. Il estclair que le lourd bilan en perte de vieshumaines a été principalement causépar l’usage excessif ou illégitime de laforce par les forces de l’ordre et, dansquelques cas, par des exécutions som-maires. Ces cas d’exécution de per-sonnes qui ne menaçaient pas les forcesde sécurité sont particulièrementpréoccupants.

USAGE EXCESSIFDE LA FORCE ET ATTEINTESÀ LA VIE DE MANIFESTANTS

NON ARMÉS•••

Les autorités camerounaises ont la res-ponsabilité de maintenir l’ordre publicdans le pays et de protéger l’ensemblede sa population. Ce rapport d’enquêtene met donc nullement en cause lanécessité d’une intervention de lapolice en réaction aux infractionscommises dans le cadre des manifes-tations de février 2008, qui ont tourné

en émeutes.Toutefois, les témoignagesrecueillis ont permis d’établir demanière claire que les forces de l’or-dre ont fait un usage excessif de laforce au cours de l’exécution de leursopérations de maintien de l’ordre, enviolation du droit camerounais et desnormes internationales applicables encette matière.

NATURE DES ALLÉGATIONSDE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME

FORCES DE L’ORDRE À DOUALA

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NOTE

6 • Autodéfense ou défense d’autres personnes contreun risque imminent de mort certaine ou de blessuregrave.

20CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

inadaptée pour conduire des opérationsde maintien de l’ordre contre des per-sonnes qui ne détiennent pas d’armes àfeu. Il s’agit d’une arme de guerred’une puissance de feu importante(450 coups par minute) et d’une portéede 300 mètres. Des témoignages fontégalement état de l’utilisation de pis-tolets.

De manière encore plus préoccupante,des témoignages font état de l’utilisa-tion de mitrailleuses légères, position-nées sur des pick-up, au cours desopérations de maintien de l’ordre,notamment à Bonabéri et à Kumba.Ces armes, dont la cadence de tir peutatteindre les 600 coups par minute etdont la portée peut avoisiner les 450mètres, sont conçues, et normalementutilisées, dans des opérations de guerre.Les mitrailleuses légères sont totale-ment inappropriées dans des opérationsvisant à procéder à l’arrestation depersonnes en infraction non détentricesd’armes à feu.

L’usage des AK47 pourrait s’expliquerpar le fait que ces armes constituentl’équipement standard des militaires.L’usage des armes à feu pourrait éga-lement s’expliquer dans certains cas,par la panique des forces de l’ordreface à une foule nombreuse et indisci-plinée. Cependant, dans la plupart descas recensés, la manière dont ces armesont été, à de nombreuses reprises et endifférents endroits, utilisées à l’encon-tre de civils qui n’avaient pas d’armesà feu, constitue une violation manifestedes Principes de base sur le recours àla force et l’utilisation des armes à feupar les responsables de l’applicationdes lois.À plusieurs reprises, des armesmilitaires ont en effet été utilisées parles forces de sécurité dans les centres-villes ainsi que dans les quartiers rési-dentiels à forte densité de populationoù aucun objectif ne pouvait justifierles moyens ou le degré de la force uti-lisée, et où aucune considération n’aété accordée à la sécurité de la popu-lation civile. Des forces de sécurité ontainsi ouvert le feu, de manière indiscri-minée et sans sommations préalables,à hauteur d’hommes ou en ciblant lesorganes vitaux des contrevenants (têteet abdomen).

UN RECOURS ABUSIFÀ LA FORCE LÉTALE

Afin de contrôler les manifestants etaffronter les émeutiers, les autoritésont rapidement décidé d’appeler l’ar-mée ainsi que des unités de forces spé-ciales (GSO, GPIGN, BIR, BTAP), ensoutien de la police, et de leur confieren partie la conduite des opérations demaintien de l’ordre. Le Groupementspécial d’opération (GSO) — unitéanti-terroriste basée àYaoundé — s’estainsi déployée à Douala dès le 25février 2008. Le choix de recourir àdes bataillons militaires a eu des consé-quences très néfastes sur l’utilisationexcessive des armes à feu. La plupartdes bataillons déployés sur le terrainavaient bénéficié d’entraînements et deformations essentiellement militaires,et non de formations en matière detechniques de police anti-émeute.

• UTILISATION D’ARMES LÉTALESLes autorités responsables de l’appli-cation des lois ont utilisé des camionslance eau, du gaz lacrymogène, des gre-nades assourdissantes et disposaient,pour certains, de matraques et de bou-cliers. Elles ont également utilisé desarmes à feu de manière répétée et inap-propriée, conduisant ainsi à des viola-tions graves des droits de l’Homme.Des douilles ont été récupérées dansdifférentes villes et à différents moments.Les forces de l’ordre ont utilisé princi-palement des AK47. Cette arme est

LÉGISLATION NATIONALE ETNORMES INTERNATIONALESRELATIVES AU RECOURS À LAFORCE LÉTALE

Conformément aux dispositions perti-nentes du droit camerounais, l’utilisa-tion de la force par les autoritésresponsables de l’application de la loiest strictement réglementée : les poli-ciers ne sont autorisés à recourir à laforce qu’en cas d’absolue nécessité etde manière proportionnelle (6). Avantd’utiliser une arme à feu, un avertisse-ment préalable doit être donné.Les Principes de base des Nationsunies sur le recours à la force et l’uti-lisation des armes à feu par les res-ponsables de l’application des lois(1990), donnent d’importantes indica-tions limitant le recours à la force dansles circonstances de troubles civils.Bien que ces principes ne soient pascontraignants sur le plan juridique, ilsreflètent un niveau élevé de consensuspar la communauté internationale ausujet des normes de conduite appro-priée par les représentants de l’Étatdans un tel contexte.Le principe n° 5 établit que, toutes lesfois où l’usage légitime de la force oudes armes à feu est inévitable, les res-ponsables de l’application des lois :a) En useront avec modération et leuraction sera proportionnelle à la gra-vité de l’infraction et à l’objectiflégitime à atteindre ;

b) S’efforceront de ne causer que leminimum de dommages et d’at-teintes à l’intégrité physique et derespecter et de préserver la viehumaine ;

c) Veilleront à ce qu’une assistance etdes secours médicaux soient fournisaussi rapidement que possible àtoute personne blessée ou autrementaffectée ;

d) Veilleront à ce que la famille ou desproches de la personne blessée ouautrement affectée soient avertis leplus rapidement possible.

Enfin, tout usage arbitraire ou abusifde force mortelle par les responsa-bles de l’application des lois doit êtrepuni en tant qu’infraction pénale.

FORCES DE L’ORDRE À DOUALA

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RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME21

25 février 2008, Douala.Mort par balles de M. Étienne Diba-benLes événements ont dégénéré aucarrefour du feu rouge Bessenguelorsque six gendarmes, dans unecamionnette, ont commencé à lancerdes gaz lacrymogènes sur la foulenombreuse, qui brûlait des pneus.Une femme gendarme a alors étédésarmée par les manifestants puisbrièvement séquestrée. Les renfortsdes forces de l’ordre sont arrivés ennombre (deux camions et un camionlance eau) et ont tiré à balles réellessur la foule bien que les manifestantsavaient les mains en l’air et avaientdéjà relâché la gendarme, sansqu’elle ait été violentée. Vers 10 h.,M.Étienne Dibaben, qui parlait avecplusieurs de ses voisins à l’entrée desa demeure, a reçu une balle perdueen pleine tête. Il est mort sur le coup.Il avait cinq enfants.

27 février 2008, Douala.Massacre sur le pont duWouri.Dans la matinée du mercredi 27février 2008, des milliers de jeunes,venant de divers quartiers de Bona-béri et portant des pancartes avecdes messages de paix, entreprennentune marche pacifique pour aller ren-contrer le gouverneur de la provincedu Littoral et lui faire part de leursdoléances : les violences dont lesjeunes ont été victimes les deuxjours précédents, la vie chère, le chô-mage, etc.Au niveau du cimetière, le sous-pré-fet de l’arrondissement de Douala IVe

vient à la rencontre des manifestantset tente de les convaincre de ne pas serendre au quartier administratif(Bonanjo). Il propose de recevoirleurs doléances et de les transmettreau gouverneur. Face au refus desjeunes, le sous-préfet se propose d’ac-compagner les jeunes jusque chez legouverneur. Il se met devant lamarche pacifique avec son véhiculede service.Juste à l’entrée du pont duWouri, côté Bonabéri, le sous-préfetgare son véhicule et laisse passer lamarche sur le pont. Au moment oùles jeunes commencent à traverser le

pont du Wouri (7), les forces de l’or-dre se déploient avec des véhicules,notamment des camions lance eau,de part et d’autre du pont et bloquentles jeunes sur cet axe.Des gaz lacrymogènes sont lancéssur la foule. Un hélicoptère en faitde même. Certains éléments desforces de l’ordre tirent à ballesréelles. La panique gagne immédia-tement la foule. Les jeunes qui sonten tête de la manifestation tententde s’enfuir en direction de la baseRazel. Ils sont arrêtés par les forcesde l’ordre. Au milieu du cortège, denombreux jeunes se jettent à l’eaupour éviter les gaz, les balles et lespiétinements. Plusieurs ne saventpas nager et se noient.D’autres sontinterpellés par les forces de l’ordresur les rives. Les jeunes arrêtés sontdéshabillés puis allongés tête contreterre. S’ensuivent des bastonnades

et d’autres mauvais traitements. Lessoldats leur marchent dessus et lesfrappent avec les pieds et diversinstruments (crosses, matraques,machettes, branches d’eucalyptus).Après plusieurs heures de violences,les jeunes sont embarqués dans descamions de la police, de la gendar-merie et de l’armée vers divers cen-tres de détention (base navale,GMI,Légion de gendarmerie,Division pro-vinciale de la police judiciaire, lecommissariat central n° 01 de laville de Douala, l’escadron de la gen-darmerie de Mboppi…). Jusqu’àtard dans la nuit, les jeunes sontsoumis à des épreuves physiques etmorales éprouvantes et régulière-ment frappés. Certains parents réus-sissent à faire libérer leurs enfantsen payant des éléments des forces del’ordre. La répression sur le pont duWouri a fait de nombreuses vic-times. Il est toutefois difficile dechiffrer les pertes humaines. Destémoins ont parlé de plus de vingtcorps retrouvés en amont et en avalpar des pêcheurs, lesquels pêcheursse sont vus interdire toute déclara-tion à ce sujet par les autoritésadministratives.

NOTE.7. Le pont du Wouri à Douala relie Bonabéri à Déïdo(rond point), sur une distance approximative de 1,5 km.

DES GAZ LACRYMOGÈNES

SONT LANCÉS SUR LA

FOULE. UN HÉLICOPTÈRE

EN FAIT DE MÊME.CERTAINS ÉLÉMENTS DES

FORCES DE L’ORDRE TIRENTÀ BALLES RÉELLES.

EXEMPLES D’UTILISATION EXCESSIVE D’ARMES LÉTALES

PONT DU WOURI, DOUALA

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27 février 2008, Douala.Mort par balles de NjantengNgantchou et de Nono Laplage.Après le discours du président PaulBiya, Njanteng Ngantchou (élève enclasse de 1ère F dans un lycée) estsorti dans le quartier résidentiel deNdogpassi 3, situé à 1,5 km de laroute goudronnéeYaoundé – Douala,afin de s’enquérir de la situation avecd’autres jeunes. Il a croisé en pleinenuit un détachement d’une quinzainede militaires et d’éléments du GSOqui patrouillait dans le secteur. Lesforces de l’ordre ont tiré sans discer-nement à hauteur d’homme sur lafoule à plusieurs reprises et ont pour-chassé plusieurs individus. NjantengNgantchou ainsi qu’un autre jeune—Nono Laplage— ont été touchés parballes en essayant de fuir les tirs. Ilssont morts sur le coup.Les militairesont quitté les lieux et ne sont plusrevenus.

EXÉCUTIONS ARBITRAIRES•••

Des allégations faisant état de dizainesd’exécutions arbitraires ont été reçues parl’Observatoire.Ces allégations ont été suf-fisamment corroborées par des témoinsfiables pour être relaté dans ce rapport.Certains manifestants ont été délibéré-ment ciblés par les forces de l’ordre etexécutés à bout portant à la tête ou auniveau de l’abdomen, alors que ces per-sonnes auraient pu être arrêtées. D’au-tres ont été exécutées à bout portantalors qu’il n’y avait aucune émeute nimouvement de foule à proximité. Dansles deux cas, il semblerait qu’il s’agissed’exécutions sommaires destinées àpunir la population (après la séques-tration de forces de l’ordre par desmanifestants, après le pillage ou la des-truction d’édifices publics ou privés) ouà punir des individus qui ont, par le

passé, sali l’image du Cameroun et deses élites politiques. Selon plusieurstémoignages de défenseurs des droits del’Homme, il existerait une liste de per-sonnes à abattre en période de troubles.

• CAS D’EXÉCUTIONS ARBITRAIRESLe mercredi 27 février, à Loum, AyaPatrick Lionel, onze ans, a été tuépar balles devant le domicile fami-lial. Il était le fils de Kameni DeVinci (Joe La Conscience), un artisteengagé contre la modification de laConstitution. L’atelier de menuiseriede son oncle a également été mis àsac par les forces de l’ordre.

Le jeudi 28 février 2008, vers 9h00,M. Jacques Ngnintedem Tiwa, né en1972, est sorti de son domicile pouraller chercher du pain pour sa famille.À proximité du palais de justice deNdokoti, un militaire est sorti d’uncamion et, sans sommation, a tiré àbout portant sur M.Tiwa au niveaude son abdomen. La rue était alorscalme et aucun autre passant n’a étéinquiété.Transporté par des passantsà l’hôpital Laquintinie, M.Tiwa estdécédé trente minutes plus tard.

M.Jacques NgnintedemTiwa était unancien dirigeant du Parlement estu-diantin au début des années 90. Cemouvement revendiquait de meil-leures conditions d’études pour lesétudiants. En 1992, comme bonnombre de ses camarades, il avait dûfuir le Cameroun sous la répression.Après un exil en Afrique de l’Ouest(1992-2003), il avait décidé de ren-trer au pays. Il était marié et avaitdeux enfants. La famille du défuntn’a pas porté plainte de peur desreprésailles éventuelles. Elle a pré-féré simplement déménager aprèsavoir reçu les coups de fil anonymes.

CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »22

AYA PATRICK LIONEL,ONZE ANS, A ÉTÉ TUÉ

PAR BALLES DEVANT LE

DOMICILE FAMILIAL.IL ÉTAIT LE FILS D’UNARTISTE ENGAGÉ.

VICTIME À DOUALA

Les récits recueillis dans plusieursvilles, notamment à Kumba, fontenfin état de civils qui ont été déli-bérément visés, sans aucune raisonapparente, par des forces de l’or-dre situées,dans certains cas,à unedistance éloignée de leurs cibles.

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ARRESTATIONS ETDÉTENTIONS ARBITRAIRES

CIBLÉES•••

Près de 3000 arrestations parmi lapopulation civile, dont un certain nom-bre de mineurs, ont été enregistréesdurant les événements de fin février2008. Dans la province du Littoral,environ 2 000 personnes ont été arrê-tées, et dans la province de l’Ouest, aumoins 384 (Bafoussam :213,Bafang :85,Dschang :65,Bandjoun :4,Baham :17).Les arrestations ont commencé le lundi25 février 2008, puis se sont intensi-fiées au cours des journées du mardi26, mercredi 27, jeudi 28 et du ven-dredi 29 février 2008.Certaines personnes ont été arrêtées enflagrant délit de pillage ou de recel.Mais la très grande majorité des per-sonnes interpellées l’ont été arbitraire-ment, en groupes, au cours de raflesdans la rue. Le délit de faciès (jeunesen groupe,mal habillés : short ou torsenu) semble avoir été le critère qui a leplus prévalu dans les milliers d’arres-tations opérées. Des enfants d’à peineplus d’une dizaine d’années, en uni-formes de classe, ont ainsi été arrêtésdans la rue. Dans les quartiers popu-laires, des individus ont également étéinterpellés à leurs domiciles, souventpar effraction et sans mandat, au seul

prétexte qu’ils étaient jeunes ou qu’ilsavaient été dénoncés. Ces personnesont par la suite été condamnées pourflagrant délit de pillage.Afin d’arrêter des jeunes pour desinfractions de flagrant délit, les forcesde l’ordre ont fabriqué des preuves, àplusieurs reprises et en différents lieux.Des jeunes circulant en ville étaient parexemple contraints de se dévêtir enpartie puis de se rouler dans la pous-sière de la cendre résultant des feuxallumés sur la chaussée. Ils étaientensuite soit embarqués manu militari,soit relâchés après avoir été battus,puis de nouveau arrêtés par d’autresforces de l’ordre du fait de leurs accou-trements.Les personnes interpellées ont été déte-nues en majorité dans des centres dedétention improvisés : unités de gen-darmerie, de police et de l’armée. ÀDouala, un certain nombre de casernesont ainsi servi de centres de détention :légion de gendarmerie à Bonanjo, esca-dron de gendarmerie de Mboppi, bri-gade de recherche de la gendarmerie,groupement mobile d’intervention n° 2du Littoral (GMI), division provincialede la police judiciaire du Littoral (PJ),base navale militaire…Les familles n’ont pas été prévenues del’arrestation de leurs enfants et ont dûrechercher par elles-mêmes des infor-mations sur les lieux de détention.

JEUNES EN ÉTAT D’ARRESTATIONÀ CÔTÉ DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE

INSTANCE DE DOUALA

RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME23

RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME23

AFIN D’ARRÊTER DES

JEUNES POUR DES

INFRACTIONS DE FLAGRANT

DÉLIT, LES FORCES DEL’ORDRE ONT FABRIQUÉ

DES PREUVES. DES JEUNESCIRCULANT EN VILLE

ÉTAIENT PAR EXEMPLE

CONTRAINTS DE SE

DÉVÊTIR EN PARTIE PUIS

DE SE ROULER DANS LA

POUSSIÈRE.

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TORTURES ET AUTRESTRAITEMENTS OU

CHÂTIMENTS CRUELS,INHUMAINS OU DÉGRADANTS

•••

Au cours des événements de fin février2008, de nombreuses personnes ontfait l’objet d’actes de torture. Lesforces de l’ordre ont arrêté avec vio-lence un certain nombre de personnesdans la rue ou au cours de rafles. Unefois que ces personnes étaient immobi-lisées, elles ont de nouveau subi descoups et des bastonnades jusqu’à, pourcertaines, en perdre la vie ou perdrel’usage d’une partie de leur corps. Aucours d’une expédition punitive à laCité Universitaire de l’universitéYaoundé 1, dans la nuit du 27 février,au moins 5 étudiants ont été victimesde mauvais traitements de la part demilitaires, entraînant des blessures à latête et aux jambes.

Ces faits contreviennent aux standardsinternationaux de lutte contre la tor-ture auxquels le Cameroun est partie,notamment le Pacte international rela-tif aux droits civils et politiques(PIDCP), qui stipule dans son article7 que : « Nul ne sera soumis à la tor-ture, ni à des peines ou traitementscruels, inhumains ou dégradants…» etla Convention contre la torture etautres peines ou traitements cruels,inhumains ou dégradants, qui demandeà tous les États membres de prendredes mesures effectives afin d’empêcherla perpétration d’actes de torture.

NON PRISE EN CHARGE DESBLESSÉS PAR LES AUTORITÉS

•••

De nombreuses personnes ont été tou-chées par balles et auraient dû recevoirdes soins médicaux immédiats. Toute-fois, les forces de l’ordre n’ont pasrempli leur obligation d’assurer uneassistance médicale aux personnesblessées et d’informer les membres deleurs familles. La population a assumé,seule, la responsabilité du transport desblessés jusqu’aux centres hospitaliers.Du fait de cette absence de prise encharge des blessés par les autorités,plusieurs personnes sont mortes dessuites de leurs blessures.

RANÇONNEMENT DE LAPOPULATION PAR DES

GARANTS DE L’AUTORITÉPUBLIQUE

•••

Un certain nombre d’éléments desforces de l’ordre, indisciplinés et sous-payés, ont également participé aux pil-lages de biens privés (argent, téléphonesportables, sacs de riz et sucre…) et aurançonnement des personnes interpel-lées, dans le but de se faire un peu d’ar-gent à l’occasion de ces évènements.Denombreux parents ont ainsi été soumis àdes marchandages incluant de fortessommes d’argent de la part des élé-ments des forces de l’ordre, en échangede la libération de leurs enfants.Un business macabre s’est par ailleursopéré dans la plupart des morgues. Lepersonnel mortuaire a profité de la dou-leur et de la détresse des familles de vic-times ou de disparus pour les rançonner.

24CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

LES FORCES DE L’ORDREONT ARRÊTÉ AVEC

VIOLENCE UN CERTAIN

NOMBRE DE PERSONNES

DANS LA RUE

OU AU COURS DE RAFLES.DE NOMBREUSES

PERSONNES ONT FAIT

L’OBJET D’ACTES DETORTURE.

JEAN PAULIN NOUKWA,HÔPITAL LAQUINTINIE, À DOUALA

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À la morgue de l’Hôpital Laquintinie,outre les habituels frais de morgue, desfamilles ont dû payer au personnel dessommes allant de 10 000 à 50 000FCFApour identifier les corps de leurs proches.

VIOLATIONS DES DROITSÀ LA LIBERTÉ D’EXPRESSION,

D’OPINION ETD’INFORMATION

•••

ATTAQUES CONTRE DESLEADERS D’OPINION ET DESHOMMES POLITIQUESOutre l’attaque de la voiture du diri-geant du SDF par les forces de l’ordreà Douala, le 13 février 2008, et lesmultiples arrestations de Mboua Mas-sock, l’arrestation de l’artiste Joe DeVinci Kameni, dit Joe La Conscience(son fils a été tué par balles le27 février 2008 à Loum, cf. « Exécu-tions arbitraires »), est symptomatiquedes intimidations et autres actes deharcèlement orchestrés par les autori-tés pour faire taire les leaders d’opi-nion et les hommes politiques del’opposition qui se sont opposés au pro-jet de réforme constitutionnelle. L’ar-tiste Joe la Conscience a été arrêté le1er mars 2008 devant l’ambassade desÉtats-Unis à Yaoundé par des gen-darmes alors qu’il menait une grève dela faim contre la révision de la Consti-tution. Il a été jugé et condamné à sixmois d’emprisonnement ferme et à50 000 Francs CFA d’amende.

CENSURES DE MÉDIASET ATTAQUES CONTRE DESJOURNALISTESTout au long des événements de février2008, les autorités camerounaises ontcontinuellement exercé des pressionssur les médias dès lors qu’ils nerelayaient pas l’information officielle à

propos des violences et du projet demodification constitutionnelle.Le 21 février 2008, un arrêté du minis-tre de la Communication, Biyiti BiEssam, a ordonné la suspension de lachaîne de télévision privée ÉquinoxeTV,émettant à Douala, au motif que lachaîne ne s’était pas acquittée de la cau-tion de 100millions de francs CFA (envi-ron 150 000 euros) qui conditionnel’obtention d’une licence d’exploitation.Les locaux de la radio et de la télévisionont été mis sous scellés par des officiersde police qui ont ordonné aux journa-listes de quitter les bâtiments. Depuis lalibéralisation du secteur audiovisuelintervenue en 2005, aucune chaîne detélévision ou station de radio n’a encorerempli toutes les formalités imposées parle gouvernement.L’invocation de raisonsfinancières pour justifier la suspensiond’ÉquinoxeTV apparaît donc comme unprétexte pour museler un média qui nerelaie pas la ligne officielle. À plusieursreprises, Équinoxe TV avait diffusé desdébats et des interviews de personnesopposées à la réforme constitutionnelleet à la suppression de la clause de limi-tation du nombre de mandats du prési-dent de la République. La chaîne avaitégalement diffusé des images montrantdes forces de sécurité en train de frapperdes sympathisants de l’opposition lorsd’une manifestation contre le projet deréforme constitutionnelle à Douala.Avant sa suspension, Équinoxe TV avaitdéjà reçu, de la part des autorités admi-nistratives de Douala et deYaoundé, desremontrances et des menaces.

Le 27 février, Lambert Ngouanfo,journaliste à AITV/RFO, reçoit unappel anonyme sur son téléphoneportable lui demandant de « cesserde salir l’image du Cameroun àl’étranger ».Son interlocuteur lui ditde faire « très attention » s’il conti-nue à envoyer des images dégra-dantes du pays. Cette menace seréfère à des images des manifesta-tions que le journaliste a fait parve-nir au groupe France Télévision, etqui ont été reprises sur TV5.

Le 28 février, le ministre de la Communi-cation a convoqué, à Yaoundé, les direc-teurs de publication des journaux privésdans son cabinet, pour leur enjoindre de« faire preuve de responsabilité » et « nepas publier des informations qui met-traient de l’huile sur le feu ».Ainsi mis engarde, la plupart des médias et journa-listes ont montré une très grande pru-dence quant au suivi des affrontementspassés ou en cours. Le même jour, unedizaine de gendarmes ont pénétré, sansmandat, dans les locaux de la radio pri-vée Magic FM,àYaoundé, et ordonné safermeture. Les forces de l’ordre ontconfisqué le matériel de diffusion, endisant aux journalistes qu’ils avaient étéirresponsables en laissant les auditeursanalyser le discours du chef de l’État.Laveille, peu après l’intervention téléviséedu président Paul Biya,Magic FM avaitorganisé un débat au cours duquel le pré-sident avait été sévèrement critiqué quantà la gestion de la crise et quant à savolonté de modifier la constitution. Lematin du 28 février, dans l’émissionMagic Attitude, certains auditeursavaient estimé que le discours du chef del’État, prononcé la veille et dans lequel ilpromettait d’utiliser « tous les moyenslégaux » pour rétablir l’ordre,était « plusbelliqueux qu’apaisant », et qu’il ne« répondait pas aux attentes des popula-tions ». Le propriétaire de la radio, Gré-goire Mbida Ndjana, et le présentateurde l’émission incriminée,Jules Elobo,ontété entendus par la gendarmerie.Les journaux privés, majoritairementimprimés à Douala, n’ont pas pu paraî-tre durant ces journées d’émeutes.M.Polycarpe Essomba, correspondantde Radio France internationale àDouala, a été forcé de rentrer dans laclandestinité pendant plusieurs jours, àla suite de menaces que sa famille etlui-même ont reçues.

Enfin, quatre journalistes couvrant lesmanifestations sur le terrain, à Douala,ont été agressés par des agents desforces de l’ordre :• M. David Nouwou, rédacteur en chefdélégué du quotidien privé La Nouvelle

RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME25

UN CERTAIN NOMBRE D’ÉLÉMENTS DES FORCES DEL’ORDRE, INDISCIPLINÉS ET SOUS PAYÉS, ONT ÉGALEMENT

PARTICIPÉ AUX PILLAGES DE BIENS PRIVÉS.

JOELACONSCIENCE

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LES PASSAGES À TABAC

DE JOURNALISTES, LESINTIMIDATIONS ET LES

CENSURES DE MÉDIAS ONT

ÉTÉ DÉNONCÉS PAR LE

SYNDICAT NATIONAL DES

JOURNALISTES DU

CAMEROUN (SNJC) ET LESORGANISMES DE VEILLE

MÉDIATIQUE INTERNATIONALE.À LA SUITE DE CES

DÉCLARATIONS, LE PREMIER

SECRÉTAIRE NATIONAL DU

SNJC A REÇU DES

MENACES DES FORCES DE

SÉCURITÉ.

26CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

MENACES À L’ENCONTRE DEDÉFENSEURS DES DROITS DEL’HOMMEPour avoir dénoncé les violations desdroits de l’Homme perpétrées finfévrier 2008 dans les médias interna-tionaux et pour avoir entrepris desenquêtes,Mme Madeleine Afité, prési-dente de l’Action des chrétiens pourl’abolition de la torture — Littoral(ACAT-Littoral) et de la Maison desdroits de l’Homme du Cameroun(MDHC), a été intimidée à plusieursreprises en mars 2008.Sa voiture a étésaccagée dans la nuit du 5 au 6 mars2008.Mme Madeleine Afité a clairement étéintimidée pour avoir fait et continué àfaire son travail de défenseur des droitsde l’Homme, reconnu par les disposi-tions de la Déclaration sur les défen-seurs des droits de l’Homme adoptéepar l’Assemblée générale des Nationsunies le 9 décembre 1998.Selon l’article 12.2 de la Déclarationsur les défenseurs des droits del’Homme l’État camerounais aurait dûprendre « toutes les mesures néces-saires pour assurer que les autoritéscompétentes protègent [Mme Made-leine Afité] de toute violence, menace,représailles, discrimination de facto oude jure, pression ou autre action arbi-traire dans le cadre de l’exercice légi-time des droits visés dans la présenteDéclaration ». Or, le 7 mars 2008,Mme Madeleine Afité a été dénigréesur Cameroon Radio and Télévision(CRTV), média public, lors du journalde 13 h par François Marc Modzom :« Une inconnue, sortie de nulle part,une femme qui se prétend défenseurdes droits de l’Homme et qui se faitentendre sur le plan international alorsqu’elle ne dit rien de vrai… »

D’autres défenseurs des droits del’Homme ont été inquiétés, et dénon-cés comme étant des instigateurs desémeutes, notamment :• Philippe Njaru, Directeur de Friendsof the press network, du fait de sesactivités de défense des droits despopulations victimes d’abus et de vio-lences à Kumba ;• Zambo Amougou, Ndzana Olongo,MbomMefe,Essiga Benoît et ZacharieMendogo, syndicalistes, du fait de leursrevendications en faveur de véritablesnégociations du prix des carburants àla pompe.

expression, M. Patient Ebwele, corres-pondant du quotidien privé Le Jour etMme Yvonne Cathy Nken, journalistede Canal 2 International ont été agres-sés, dans les rues de Douala, par desagents des forces de l’ordre ;• M. Eric Golf Kouatchou, cameramande la chaîne privée Canal 2 international,en plus d’être brutalisé, a été briève-ment détenu, le 27 février, par desagents du Groupement mobile d’inter-vention (GMI). Sa caméra a étédétruite et il n’a été libéré que contre lepaiement, sans reçu, d’une caution de56000 francs CFA (environ 83 euros).Les passages à tabac de journalistes,les intimidations et les censures demédias ont été dénoncés par le Syndicatnational des journalistes du Cameroun(SNJC) et les organismes de veillemédiatique internationale, commeReporters sans frontières (RSF) et laFédération internationale des journa-listes (FIJ).À la suite des déclarationscondamnant les attaques contre lesjournalistes, M. Jean Marc Soboth,premier secrétaire national du SNJCa reçu des menaces des forces de sécu-rité.Équinoxe TV, Équinoxe FM et MagicFM ont été ré-ouverts en juillet 2008,après plus de six mois de suspension.

L’ACAT-LITTORAL,BUREAU À DOUALA

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AVEC LES RAFLES ET

ARRESTATIONS DE FÉVRIER

2008, CE SONT PLUSIEURS

MILLIERS DE JEUNES, QUIONT ÉTÉ INCARCÉRÉS,

FAITS QUI ONT CONTRIBUÉ

À DÉGRADER DAVANTAGE

LES PRÉCAIRES

CONDITIONS DE

DÉTENTION.

JEUNES ENTRANT AU TRIBUNAL DEPREMIÈRE INSTANCE DE DOUALA

27RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

Selon, le code de procédure pénalecamerounais, entré en vigueur en 2007,les mineurs âgés de 14 à 18 ans nepeuvent être incarcérés qu’en cas decrime et ceux de moins de 14 ans qu’encas de meurtre. Or de nombreuxmineurs ont été incarcérés pour « écartde conduite », ce qui est normalementinterdit par la loi.À la prison centrale de Douala, lesjeunes prisonniers de février 2008vivent dans des conditions particulière-ment déplorables. Ils dorment à mêmele sol, dans la cour centrale, au gré desintempéries. Cet établissement, conçupour accueillir un maximum de 800détenus, abritait plus de 3825 per-sonnes au 10 mars 2008, alors que ceteffectif était inférieur à 3000 le 25février au matin. En 2003, le Comitédes Nations unies contre la torture arecommandé que les mineurs détenusdans les prisons du Cameroun soientséparés des adultes, ou que l’Étatconstruise des prisons spécialementdestinées à les accueillir.Notre enquêten’a pas établi l’existence de tellesstructures.Des systèmes de séparationsentre mineurs et adultes existent, maissont inefficaces. Les détenus mineursont régulièrement des contacts avec lesdétenus adultes.

DÉTENTION ARBITRAIREET MAUVAISES CONDITIONS

DE DÉTENTION•••

Surpopulation, insalubrité, promiscuité,maladies, sous-nutrition, malnutrition,violences, insuffisance du personneld’encadrement, manque de formationdes personnels pénitentiaires : lesconditions désastreuses de détentiondans les prisons centrales camerou-naises s’apparentent à des traitementsinhumains et dégradants qui violent lesPrincipes des Nations unies concernantl’Ensemble des règles minima pour letraitement des détenus. Les décès deprisonniers sont courants. Le 7 mars2008, quatre décès ont ainsi été enre-gistrés à la prison centrale deYaoundé,en une seule journée.

Avec les rafles et arrestations de février2008, ce sont plusieurs milliers dejeunes, qui ont été incarcérés, faits quiont contribué à dégrader davantage lesprécaires conditions de détention.Parmi eux, de nombreux mineurs,condamnés à des peines d’emprisonne-ment pour des délits pourtant non pas-sibles de prison.

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PROCÈS EXPÉDITIFSET DÉNI DE JUSTICE

•••

Alors que la justice camerounaise estconnue pour sa lenteur, les procéduresjudiciaires engagées à l’encontre desprésumés émeutiers de février 2008ont été rapidement mises en œuvre aucours d’audiences spéciales « flagrantsdélits ». Les prévenus, amenés pargroupes (d’environ 5 à 10 personnes),ont été, pour certains, présentés à lajustice à peine quelques heures aprèsleurs arrestations.Certaines audiences avaient une durée nedépassantpascinqminutes,et sesuccédaientà un rythme déconcertant, violant consé-quemmentplusieurs dispositionspertinentesdu code de procédure pénale, et mettant àmal les droits de la défense et les principesdu débat contradictoire ainsi que de la pré-somption d’innocence.

Doivent notamment être dénoncés :

• L’absence d’informations donnéesaux prévenus sur leurs droits de sefaire assister par un avocat ou de gar-der silence lors des auditions(lorsqu’elles auront eu lieu), ce qui vaà l’encontre des dispositions de l’arti-cle 116 (alinéa 3) du Code de Procé-dure Pénale qui stipule : « L’officier de

police judiciaire est tenu, dès l’ouver-ture de l’enquête préliminaire et, souspeine de nullité, d’informer le suspectde son droit de se faire assister par unconseil ou de son droit de gardersilence ».

• L’absence devant le tribunal des plai-gnants et témoins à charge.

• La non-fiabilité de l’identification desaccusés (âge, nom) du fait de l’absence,chez de nombreux prévenus, de papiersd’identité, et de la non-possibilité deprésenter des actes de naissance du faitde la rapidité des procédures.La justices’est ainsi contentée d’informationsorales des prévenus. De nombreux pré-venus ont ainsi été jugés dans l’urgence,

29RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

LES DYSFONCTIONNEMENTSDE LA JUSTICE CAMEROUNAISE

JEUNES DANS LA SALLE D’AUDIENCEDU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE DOUALA

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avec des âges fictifs, qui leur ont étéattribués, soit par l’enquêteur, soit parle juge, sans la présence d’avocats. Desmineurs ont ainsi été jugés au mêmetitre que des adultes et condamnés enflagrants délits, alors qu’ils auraient dûêtre jugés par le juge des mineurs.

• La non-signature des procès-verbauxd’enquêtes par les accusés.

• Le non-établissement des procès-ver-baux par les procureurs.

• Le non-respect du droit des prévenusde préparer leur dossier judiciaire. Lesprévenus n’ont pas eu le temps de pré-parer leur défense comme le stipulel’article 300 du Code de procédurepénale : « Lorsqu’il comparaît à la pre-mière audience des flagrants délits, leprévenu est informé par le présidentqu’il a le droit de demander un délai detrois jours pour préparer sa défense. »Les juges n’ont pas tenu compte decette disposition de la loi. Presque tousles prévenus ont été jugés à la premièreaudience et les affaires ont été placéesen délibéré pour l’audience d’après quiavait généralement lieu moins de deuxjours plus tard.

• L’absence de preuves matériellescontre les prévenus. Les juges ont pré-féré invoquer la relativité de la notionde preuve plutôt que de prononcer larelaxe (Article 365 alinéa 3), estimantque les éléments produits par le minis-tère Public étaient suffisants pour queles prévenus comparaissent.

• Le non-respect des procédures dansla rédaction des procès-verbaux. Lesprocès-verbaux ont été dressés par lesofficiers de police judiciaire et non parle Procureur de la République commel’exige la loi. Le Code de procédurepénale précise en son article 91 que :« Sauf disposition contraire de la loi,les procès-verbaux dressés par l’officier depolice judiciaire ont valeur de simples ren-seignements. » Dans la procédure de fla-grant délit, « le suspect arrêté en flagrantdélit est déféré par l’Officier de PoliceJudiciaire devant le Procureur de laRépu-blique qui procède à son identification,l’in-terroge sommairement et, s’il engage despoursuites,le place en détention provisoire,ou le laisse en liberté avec ou sans cau-tion » (article 114).L’alinéa 2 de cet arti-cle précise : « Dans tous les cas, leprocureur de la République dresse le pro-cès-verbal de toutes ses diligences, et en

cas de poursuites,traduit le suspect devantle tribunal à la prochaine audience. »

• La non-consultation du casier judi-ciaire du suspect avant la condamna-tion à des peines de prison, etl’impossibilité de connaître le passépénal des prévenus du fait de la rapi-dité des procédures.Les prévenus, accusés de « manifesta-tion sur la voie publique, attroupement,pillage et vol, destruction et incendie,port d’armes, rébellion en groupe ouviolence à fonctionnaires » ont été jugésde manière expéditive, bien qu’ils aientpour la plupart plaidé non coupable.Les premières peines prononcées à l’en-contre des prévenus ont été lourdes :des amendes et des peines de prisonsallant jusqu’à 5 ans de détention.Aucunavocat n’était alors présent pour assu-rer leur défense. Rapidement, de nom-breux avocats, pour certains membresd’associations de défense des droits del’Homme, se sont mobilisés pour défen-dre les prévenus, afin de faire prévaloirle bon droit et la justice, malgré despressions externes. Dès que des avocatsont pu assister les prévenus, lescondamnations ont été moins lourdes(peines de prison inférieures à 2 ans).Néanmoins, du fait de l’exécution de la« contrainte par corps », les amendesqui n’ont pu être payées par les préve-nus ont été remplacées par des peinesd’emprisonnement supplémentaires.

La manière expéditive des jugements etles violations répétées des dispositions ducode de procédure pénale camerounaiset des conventions régionales et interna-tionales qui garantissent les droits de ladéfense laissent penser que des pressionsont été exercées sur les instances judi-ciaires et que les juges n’ont pas eu lesmains libres dans l’exécution du droit.

30CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

JEUNES ARRIVANT AU TRIBUNAL DEPREMIÈRE INSTANCE DE DOUALA

LES PREMIÈRES PEINES

PRONONCÉES À L’ENCONTREDES PRÉVENUS ONT ÉTÉ

LOURDES. AUCUN AVOCAT

N’ÉTAIT ALORS PRÉSENTPOUR ASSURER LEUR

DÉFENSE.

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L’une des injustices les plus fla-grantes a été observée à Bafoussam,où six jeunes hommes (Parfait Zub-dom, Séverin Sado Saha, SynclairTadda,Calvin Fotie,Chancelin Fowo-kon, Léonel Kamgang), arrêtés res-pectivement les 25, 26 et 27 février,ont été condamnés à trente-six moisde prison ferme, chacun pour cam-briolage de la boutique Orange situéau carrefour Auberge, lequel a eu lieudans la nuit du vendredi 29 février2008.Les six jeunes hommes étaientalors en garde à vue.

Le 25 mars 2008, le vice-Premierministre, ministre de la Justice, gardedes Sceaux, M. Amadou Ali, déclarequ’il y a eu un total de 1137 personnesinterpellées dans les cinq provinces tou-chées par les troubles. 729 personnesont été condamnées à de peines com-prises entre trois mois et six ans de pri-son ferme, dont 466 ont fait appel. 251personnes ont été relaxées et 157 pré-venus attendent d’être jugés.

LES COMMUTATIONSET REMISES DE PEINES

•••

Le 20 mai 2008, le président Paul Biyasigne deux décrets (n°s 2008/0174 et2008/0175) portant commutation etremise de peines pour les personnescondamnées pour les émeutes de finfévrier 2008 au Cameroun.Le décret présidentiel précise que lespersonnes condamnées à une peined’emprisonnement inférieure ou égaleà un an bénéficient d’une remise totalede peine tandis que les peines de plusd’un an de prison sont réduites desdeux tiers.Toutefois, les prisonniers retenus pourdéfaut de paiement des amendes nepeuvent pas recouvrer la liberté. Il enest de même pour ceux qui ont faitappel car n’étant pas encore condam-nés définitivement. Or pratiquementtoutes les personnes condamnées à despeines d’emprisonnement, l’ont égale-ment été à des peines pécuniaires(amendes et dépens). La plupart descondamnés n’ont pas pu payer et ontfait appel de leur jugement d’instance.Par conséquent, peu de détenus ont pu

bénéficier de ces remises et commuta-tions de peines, alors qu’une amnistie(effacement des peines dans le casierjudiciaire) aurait permis de réparer lespréjudices subis par ces jeunes, auraitpu être l’amnistie.

IMPUNITÉ :L’UNIQUE RÉPONSE DU

GOUVERNEMENT FACE AUXVIOLENCES COMMISES PARLES FORCES DE L’ORDRE

•••

D’après la Constitution camerounaiseet d’après les normes internationales etrégionales relatives aux droits del’Homme, et notamment le Pacte inter-national relatif aux droits civils et poli-tiques et la Charte africaine des droitsde l’Homme et des peuples, le gouver-nement camerounais est tenu de garan-tir le respect du droit à la vie, du droità l’intégrité physique, du droit à laliberté et à la sécurité de la personne,et des libertés d’expression, d’associa-tion et d’assemblée.Elles exigent également du gouverne-ment camerounais que l’usage arbitraireou abusif de la force ou des armes à feupar les officiers chargés de l’applicationdes lois soit puni comme une infractionpénale.À plusieurs reprises,des famillesde victimes sont allées voir les autoritéspour leur faire part des violences dontelles ont été l’objet de la part des forcesde l’ordre. Après les violences de finfévrier 2008, le gouvernement came-rounais aurait donc dû entreprendre desenquêtes sur les allégations d’usage

arbitraire de la force et des armes à feupar les autorités responsables des lois, etdéclarer que les auteurs de tels abusseraient jugés et condamnés sévèrement.Malheureusement, l’État camerounaisn’a respecté aucune de ses obligations.Les autorités n’ont mené aucune enquêtequant aux circonstances ayant conduit àl’utilisation des armes à feu par les forcesde l’ordre. Aucun auteur de tirs ayantentraîné la mort n’a été traduit en jus-tice. Aucun élément des forces de sécu-rité, responsable de violences, n’a faitl’objet de mesure disciplinaire, ni admi-nistrative. Enfin,aucun dédommagement,ni indemnisation,n’a été apporté aux vic-times et à leurs familles.Seules des poursuites judiciaires degrande ampleur ont été engagées àl’encontre de civils, auteurs présumésde troubles sur la voie publique et àl’ordre public.Le gouvernement camerounais,par l’en-tremise du ministre de l’Administrationterritoriale et de la décentralisation,M.Marafa Hamidou Yaya, a même, aucours d’un point de presse le lundi 10mars 2008 « salué l’action, mais sur-tout la tempérance des forces de main-tien de l’ordre qui n’ont pas fait unusage abusif de leurs armes,malgré lesnombreuses provocations auxquelleselles étaient sujettes ». Il a assuré que« les cas de décès ne sont pas tousimputables à l’action de la forcepublique. » Selon lui « de manière spé-cifique à Douala, beaucoup de mortssont le résultat des rixes entre desbandes de gangsters qui ont infiltré lacontestation. Le partage des biensvolés à la suite d’actes de pillage adonné lieu à des disputes violentes

RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME31

MALHEUREUSEMENT,L’ÉTAT CAMEROUNAIS N’ARESPECTÉ AUCUNE DE SES

OBLIGATIONS. LESAUTORITÉS N’ONT MENÉAUCUNE ENQUÊTE QUANT

AUX CIRCONSTANCES AYANT

CONDUIT À L’UTILISATIONDES ARMES À FEU PAR LES

FORCES DE L’ORDRE.

AU CAMEROUN, LESMANIFESTATIONS, SONT

RÉGULIÈREMENT

RÉPRIMÉES DANS LE SANG

PAR LES FORCES DE

L’ORDRE, QUI N’HÉSITENTPAS À TIRER À BALLES

RÉELLES SUR DES

POPULATIONS NON

ARMÉES.

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entre les bandits. Et certains ont étévictimes du phénomène de justicepopulaire. Ce que nous déplorons. »Au Cameroun, les manifestations,quelqu’en soit l’objet, sont régulièrementréprimées dans le sang par les forces del’ordre, qui n’hésitent pas à tirer à ballesréelles sur des populations non armées.En réaction aux brutalités policières dis-proportionnées, les symboles de l’Étatsont pris pour cibles par les manifestants.

Il existe ainsi de nombreux exemples deviolences policières restées impuniesentre 2005 et 2007 :• En avril 2005, deux étudiants del’université de Buéa sont tués parballes.Une commission d’enquête estcréée afin de déterminer les faits etles responsabilités. Les conclusionsd’enquête de la commission n’ontjamais été rendues publiques.

• En novembre 2006,quatre personnessont tuées à Buéa lors de manifesta-tions estudiantines.

• Deux lycéens (Marcel BertrandMvogo Awono et Jean Jaurès ShimpePoungou Zok) sont tués par balles etde nombreuses autres personnes sontblessées dans la répression d’unemarche de protestation contre la pri-vation d’électricité à Abong Mbang,le 17 septembre 2007. L’enquêteprescrite par le gouvernement n’ajamais été rendue publique.

• Le 5 octobre 2007, àYaoundé, deuxpersonnes sont tuées par balles, etplusieurs autres blessées, lorsquedes policiers ouvrent le feu sur descommerçants du marché Mokolodescendus dans la rue pour protestercontre le cambriolage de plusieursde leurs comptoirs.

• Pour avoir protesté contre les tra-casseries policières quatre personnes,dont une femme enceinte et deuxchauffeurs de taxi (Simon Ambé etPatrick Nché Tabong), sont tuées àBamenda le 16 octobre 2007.

• Deux élèves sont tués par balles le9 novembre 2007, à Kumba, aucours de la répression d’une mani-festation d’élèves protestant contreles coupures intempestives du cou-rant électrique. Beaucoup d’autrespersonnes sont blessées.

Aucun policier n’a été sanctionné nijugé dans aucune de ces affaires.

RÉPONSE DE LA COMMUNAUTÉINTERNATIONALE FACE

AUX EXACTIONS COMMISES•••

Alors que la répression de manifesta-tions dans d’autres parties du monde,notamment au Népal et en Birmanie, aprovoqué, à juste titre, l’indignationinternationale, les événements san-glants qui se sont déroulés au Came-roun, fin février 2008, sont passésquasi inaperçus.

Les principaux partenaires du Came-roun ont certes dénoncé les violencesde fin février 2008 :• Le 25 février 2008, le porte-paroledu ministère français des Affairesétrangères a regretté « l’issue drama-tique qu’a connue la manifestation dusamedi 23 février 2008 » à l’appel duSDF, et a assuré que la France souhai-tait que le débat politique au Camerounpuisse se dérouler de manière pacifiqueet démocratique.• Le 27 mars 2008, l’Union euro-péenne a dénoncé, dans une déclarationde la présidence, les violences de la finfévrier et les tentatives d’instrumenta-lisation ethnique qui ont suivi.• Le 28 février 2008, la France s’estdéclarée « très préoccupée par les vio-lences […] inacceptables d’où qu’ellesviennent »,et a appelé au retour au calme.Mais ces déclarations, imprécises etnon ciblés sur les auteurs des princi-pales violences, n’ont pas eu d’effet surla politique de répression entreprisepar les autorités camerounaises.Seule la Grande-Bretagne a présentéun point de vue plus élaboré sur la crisecamerounaise. Ce point de vue a étéprésenté devant les députés de la hautechambre du parlement anglais, le 27mars 2008, par le ministre d’État encharge des relations extérieures et dudépartement du Commonwealth, LordMalloch-Brown :« Nous attribuons les récentes agita-tions populaires et le désordre auCameroun à l’insatisfaction de certainscitoyens suite aux mauvaises perfor-mances économiques du pays, à unedégradation des conditions de vie demilliers de citoyens, qui éprouvent desdifficultés énormes à survivre, auxconditions de vie de plus en plus insou-tenables pour les pauvres, à la frustra-

tion et à l’absence totale de débat libreet équitable au sujet des éventuelsamendements sur la limitation du man-dat présidentiel quant à la modificationde la constitution, et surtout, la peurde revoir le président Paul Biya réa-juster la constitution à son profit pourrester encore au pouvoir. »

À la fin des violences, alors que la com-munauté internationale aurait dû jouer unrôle clé auprès des autorités camerou-naises pour qu’elles rendent des comptessur les exactions commises,les principauxbailleurs de fonds internationaux commela France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Union européenne, n’ont pasappelé à la mise en place d’une commis-sion d’enquête indépendante,ni au Came-roun ni au niveau international.Les organismes internationaux commel’Union africaine (UA) et le Haut-Com-missariat des Nations unies aux droitsde l’Homme (HCNUDH) sont restéségalement forts silencieux sur le sujet.En raison de l’absence d’une véritablemobilisation de la communauté inter-nationale pour demander des enquêtessur les violations des droits de l’Hommeayant conduit à la mort de plus d’unecentaine de personnes, les autoritéscamerounaises n’ont rien fait pour tra-duire en justice leurs auteurs et res-ponsables, ni pour établir la vérité surces événements.

Ces événements, qui auraient pu ternirl’image du pays, sont passés relative-ment inaperçus sur la scène médiatiqueinternationale.

CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »32

À LA FIN DES VIOLENCES,LES PRINCIPAUX BAILLEURS

DE FONDS COMME LA

FRANCE, LES ÉTATS-UNIS,L’UNION EUROPÉENNE,N’ONT PAS APPELÉ À LA

MISE EN PLACE D’UNECOMMISSION D’ENQUÊTEINDÉPENDANTE, NI AU

CAMEROUN NI AU NIVEAU

INTERNATIONAL.

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RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME33

CONCLUSION

Les émeutes qui ont secoué le Cameroun du 25 au 29 février 2008sont la conséquence d’une crise économique, sociale et politique dont la grève dessyndicats de transporteurs n’a été que le déclencheur. Les autorités ont interprétél’expression du mal être de la population comme une véritable atteinte à la sécu-rité de l’État, voire comme une tentative de renversement du président Paul Biya.Les manifestants, en majorité des jeunes, ont été considérés comme des émeutiersinstrumentalisés par l’opposition politique.Tous les corps de la police, de la gen-darmerie et de l’armée ont été mobilisés pour réprimer brutalement les manifes-tants, comme si le Cameroun était dans une situation insurrectionnelle. L’usage dela force létale a ainsi été utilisé de manière injustifiée, excessive, indiscriminée etinconsidérée, pendant et à la suite des manifestations, qui se sont transformées enémeutes à la suite de provocations des forces de l’ordre. Au moins 139 personnesont perdu la vie après avoir été touchées par balles, ou dans une moindre mesure,à cause de bastonnades, piétinements et noyades.Des violations massives des droitsde l’Homme ont été constatées :

• Des civils ont été sommairement exécutés ;• Des actes de pillage ont été commis par les manifestants mais également par lesforces de sécurité ;

• Des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des jugements iniquesont été recensés massivement ;

• Un grand nombre de détenus ont été victimes de traitements cruels, inhumainsou dégradants ;

• De nombreux actes d’intimidation et de harcèlement ont été commis à l’encon-tre de membres de l’opposition politique, de journalistes et de défenseurs desdroits de l’Homme.

Si la crise est aujourd’hui passée, la stabilité du Cameroun est encore en suspens.La brutalité dont ont fait preuve les forces de sécurité camerounaises et l’impunitéqui en a résulté montrent que le Cameroun n’est pas un véritable État de droit,préalable pourtant indispensable à la construction d’un avenir plus stable. La com-munauté internationale doit s’assurer que les autorités camerounaises mettent unterme à l’impunité qui encourage et prolonge les exactions.

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RECOMMANDATIONS

AU GOUVERNEMENT DU CAMEROUN

• Reconnaître publiquement et condamner le recours excessif à la force par lesforces de sécurité de l’État, au cours des manifestations de fin février 2008.

• Diligenter une enquête judiciaire, indépendante et impartiale, sur les crimes etviolations graves des droits de l’Homme commis fin février 2008, afin que les res-ponsables soient jugés et condamnés conformément à la loi. Le rapport et lesrésultats de cette enquête devront être rendus publics.

• Relâcher immédiatement toutes les personnes qui sont encore en détention et quiont été arbitrairement arrêtées, illégalement détenues, ou injustement condam-nées pendant et après les évènements de fin février 2008.

• Veiller à ce que les blessés reçoivent les soins médicaux et le soutien psycholo-gique nécessaires, et veiller à ce que toutes les victimes reçoivent des réparationsadaptées.

• Coopérer pleinement aux éventuelles enquêtes internationales à venir.• Assurer une meilleure protection des droits de l’Homme et des libertés fonda-mentales, pour créer un environnement propice à la tenue, en 2011, d’électionsprésidentielles libres, ouvertes, démocratiques et transparentes.

À LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE,NOTAMMENT À LA FRANCE ET À L’UNION EUROPÉENNE

• En accord avec les normes internationales, appeler publiquement et en privé legouvernement camerounais à créer une commission d’enquête judiciaire, indé-pendante et impartiale, chargée d’enquêter sur les exactions commises durant lesmanifestations de fin février 2008, et maintenir la pression sur le gouvernementcamerounais tout au long de la procédure judiciaire.

• Apporter une assistance technique et financière aux organisations de la sociétécivile camerounaises qui essaient actuellement de documenter les exactions defévrier 2008.

• Soutenir des programmes de renforcement de l’État de droit qui incluent :- la formation des forces de police et des autres forces de sécurité sur les ques-tions relatives aux droits de l’Homme (techniques d’interrogatoire légales etappropriées, contrôle de la foule, usage approprié de la force). Toutes les for-mations doivent être conformes aux normes internationales relatives aux droitsde l’Homme, comme les Règles minima concernant l’usage de la force et desarmes à feu et le Code de conduite des Nations unies destiné aux agents char-gés de faire appliquer la loi.- le renforcement de l’appareil judiciaire, notamment à travers la formation, ladotation en personnel et en équipement destinées à assurer l’indépendance et lacrédibilité de la justice.

• Exiger du gouvernement camerounais l’indemnisation des familles des victimesdes événements de fin février 2008.

AUX HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIESAUX DROITS DE L’HOMME ET À LA COMMISSION AFRICAINE

DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

• Déployer des rapporteurs spéciaux et des groupes thématiques afin de recueil-lir les informations sur les violations des droits de l’Homme commises fin février2008 devant permettre l’établissement de la vérité, de la justice et réparationspour les victimes.

• Apporter une assistance technique et financière aux organisations de la sociétécivile camerounaises qui essaient actuellement de documenter les exactions defévrier 2008.

35RAPPORT DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME

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36CAMEROUN • 25-29 FÉVRIER 2008 • « UNE RÉPRESSION SANGLANTE À HUIS CLOS »

Liste nonexhaustive

despersonnesdécédéesdurant lesémeutesde février

2008

LISTENONEXHAUSTIVEDESDÉCÈS NOMS ET PRÉNOMS

Ndimah Lovert FuambuhAwana Touabe BlaiseDibaben Étienne ditYoyoDirecteur du snack« 4e protocole » A AkwaEbanga Ndongo LurieEbwele BlaiseIssom Joseph MustaphaJabea Christian DanielMbede Thomas LucresMbeng JuniorNgounou EdouardTsague JulesKameni AuriolKamga RomainOwuboki PaulTantoh EmmanuelTekoh RolandBebbey Epee ThomasBonang Omang Jean PierreChe EmmanuelCorps non identifié (un fou)Etchong RemyHinsiaKamdem Kenmegne JeanKameni Patrick LionelMaleg ThaddeusMinkante Makamte JonasMinkoulouNana Nameni GiresseAlias Nono LaplageNgantchou Njenteng TimotheeNintedem AurelienNorbert (Prénom)Nsoh NsohNyamsi GervaisOnah Patrick JosephOyema PaulSteven Abbia JosephTabungong EmmanuelTurbo (Sobriquet)Walter StephenAnya Eyong ElvisAwah DebeneChe Emmanuel TaniforEtong Taile AndreFontoh IsilyNdogmaWamba JulesNsaba MichelSaayem Jean De DieuTchapda Eric Martial(Vendeur Pièces DétachéesAu Quartier Yabassi)Tiwa JacquesAnthony FomentBlaise EbouelePrudencia BihUn Moto-Taximan (Benskinneur)

ÂGES

19 ans34 ansRAS22 ans

24 ans27 ans16 ans27 ans20 ans25 ans25 ans20 ans24 ans25 ans22 ans22 ans17 ans19 ans24 ansRAS27 ans26 ans24 ans11 ans18 ans32 ans24 ans23 ans

19 ans20 ans17 ans20 ans40 ans30 ans24 ans23 ans

34 ans33 ans24 ans18 ans16 ans21 ans16 ans21 ans27 ans30 ans21 ans

40 ans27 ans22 ans

LIEUX

DOUALA (quartier Village)DOUALADOUALADOUALA

DOUALADOUALADOUALADOUALADOUALADOUALADOUALADOUALABAFANGDOUALAKUMBABAFOUSSAMKUMBADOUALAPENJAKUMBALOUMDOUALADOUALADOUALALOUMKUMBADOUALADOUALADOUALA

DOUALADOUALAMBANGADOUALADOUALADOUALAKUMBABUEAKUMBADOUALADOUALAKUMBABAMENDABAMENDADOUALABAMENDADOUALADOUALADOUALADOUALA

DOUALABAMENDA

DOUALA (quartier Village)

DATE DE DÉCÈS

23 février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 2008

25 Février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 200825 Février 200826 Février 200826 Février 200826 Février 200826 Février 200826 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 2008

27 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200827 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 200828 Février 2008

28 Février 200829 Février 2008

001002003004

005006007008009010011012013014015016017018019020021022023024025026027028029

030031032033034035036037038039040041042043044045046047048049

050051052053054

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Du 25 au 29 février 2008, le Cameroun a été le théâtre de vio-lentes manifestations sociales que les observateurs ont appelé« les émeutes de la faim ».

À la différence d’autres pays africains qui ont connu le même typed’évènements, c’est un facteur politique — le projet de modifica-tion constitutionnelle — qui, conjugué avec la hausse des prix descarburants et des denrées alimentaires a servi de déclencheur ausoulèvement populaire.

À la suite de l’appel à la grève contre la hausse du prix du car-burant, les populations ont pris d’assaut les rues des principalesvilles du sud Cameroun avec des revendications socio-écono-miques, civiques et politiques. Face à l’ampleur du mouvementsocial, les forces de sécurité se sont livrées à une répression san-glante et ont commis de graves violations des droits de l’hommecausant la mort d’au moins 139 personnes.

Aucun élément des forces de sécurité suspecté d’avoir commis degraves violations des droits de l’homme n’a fait l’objet de sanc-tions ni de poursuites judiciaires. Aucune commission d’enquêten’a été constituée afin d’établir la vérité sur ces quatre journéesde violences.

Face à ce constat, plusieurs associations camerounaises, mem-bres de l’Observatoire national des droits de l’homme, ont sou-haité procéder à la documentation des violations des droits del’Homme commises fin février 2008. Elles ont ainsi conduit surle terrain, de manière impartiale et indépendante, des enquêtes etinterrogé de nombreuses victimes et témoins.

Ce rapport intitulé « Cameroun – 25-29 février 2008 : Unerépression sanglante à huis clos » est la synthèse de ces enquêteset entretiens.

DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES DROITS DE L’HOMMEAVEC L’APPUI DE L’ACAT-LITTORAL ET DE L’ACAT-FRANCE

RAPPORT

Une répression sanglanteà huis clos

25-29 février 2008