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Jean-Claude M Lasry Mobilite professionnelle chez les immigrants juifs nord-africains a Montreal Centre Hospitalier Jewish General et Universite de Montreal Pitirim Sorokin (1958), pionnier de l’analyse de la mobilitt sociale, dtfinit celle-ci comme le changement de position d’un ou plusieurs individus a I’inttrieur d’un espace social, espace qui peut Ctre stratifit de faqon Cconomique, politique ou occupationnelle. Lors- que la mobilitt implique le passage d’une strate a une autre strate, il s’agit de mobilitt verticale, tandis que le dtplacement a l’inttrieur d’une mCme strate caracttrise la mobilitt horizontale. Sorokin (1959) s’attache particulierement a la mobilitt verticale occupation- nelle en ttudiant la transmission sociale d’une occupation de p h e en fils. Cette mobilitt verticale est qualifite aujourd’hui de mobilitt intergtneration (De Jocas et Rocher, 1968). Dans le cas du cheminement d’un mtme individu a travers les differents emplois qu’il a occupts, I’on pale de mobilitt intragtntration. Dans I’kude des processus d’adaptation des immigrants, on analyse en gknkral leur mobilitk intragtntration (Le Groupe de Recherches Sociales, 1959; Moldofsky, 1968; Bensimon-Donath, 1970, 1971; Chimbos, 1974; Main d’Oeuvre et Immigration, 1974). Seule A notre connaissance, l’ttude tres dttaillte de Richmond (1 968) analyse parall6lement les mobilites intragtntration et in- tergkntr ation. La mobilitt occupationnelle s’tvalue la plupart du temps par le passage d’un sujet d’une strate professionnelle a l’autre, ces strates pouvant varier de faqon apprkciable d’une recherche a I’autre. Richmond (1968) et Chimbos (1974) ont dtmontrt que l’analyse de la mobilitt pouvait Ctre quantifite objectivement. En effet, ils ont International Review of Applied Psychology (SAGE, London and Beverly Hills), Vol. 29 (1980), 17-30

Mobilité professionnelle chez les immigrants juifs nord-africains à Montréal

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Jean-Claude M Lasry

Mobilite professionnelle chez les immigrants juifs nord-africains a Montreal

Centre Hospitalier Jewish General et Universite de Montreal

Pitirim Sorokin (1958), pionnier de l’analyse de la mobilitt sociale, dtfinit celle-ci comme le changement de position d’un ou plusieurs individus a I’inttrieur d’un espace social, espace qui peut Ctre stratifit de faqon Cconomique, politique ou occupationnelle. Lors- que la mobilitt implique le passage d’une strate a une autre strate, il s’agit de mobilitt verticale, tandis que le dtplacement a l’inttrieur d’une mCme strate caracttrise la mobilitt horizontale. Sorokin (1959) s’attache particulierement a la mobilitt verticale occupation- nelle en ttudiant la transmission sociale d’une occupation de p h e en fils. Cette mobilitt verticale est qualifite aujourd’hui de mobilitt intergtneration (De Jocas et Rocher, 1968). Dans le cas du cheminement d’un mtme individu a travers les differents emplois qu’il a occupts, I’on p a l e de mobilitt intragtntration.

Dans I’kude des processus d’adaptation des immigrants, on analyse en gknkral leur mobilitk intragtntration (Le Groupe de Recherches Sociales, 1959; Moldofsky, 1968; Bensimon-Donath, 1970, 1971; Chimbos, 1974; Main d’Oeuvre et Immigration, 1974). Seule A notre connaissance, l’ttude tres dttaillte de Richmond (1 968) analyse parall6lement les mobilites intragtntration et in- tergkntr at ion.

La mobilitt occupationnelle s’tvalue la plupart du temps par le passage d’un sujet d’une strate professionnelle a l’autre, ces strates pouvant varier de faqon apprkciable d’une recherche a I’autre. Richmond (1 968) et Chimbos (1974) ont dtmontrt que l’analyse de la mobilitt pouvait Ctre quantifite objectivement. En effet, ils ont

International Review of Applied Psychology (SAGE, London and Beverly Hills), Vol. 29 (1980), 17-30

18 Jean-Claude Lasry

utilist l’index de Blishen (1967) qui positionne les emplois de Recensement du Canada sur une echelle allant d’ingenieur chimi- que (76’69) a trappeur et chasseur (25,36). Blishen a etabli chaque cote occupationnelle a partir des moyennes de salaire et de scolaritk des emplois respectifs, selon les statistiques de Recensement du Canada. Pineo et Porter (1967)’ d’autre part, ont employe l’ap- proche plus traditionnelle de Hatt et North (1970)’ baske sur le prestige attribut a chaque occupation par un echantillon represen- tatif. Malgre la difference d’approche, la correlation entre l’kchelle objective de Blishen et celle subjective de Pineo et Porter est 0,92.

L’objectif du prtsent travail est de quantifier et d’analyser la mobilite occupationnelle intragtntration d’un groupe d’im- migrants qui s’est installe a Montreal depuis 1957. Comme nous avons dej2i mis en tvidence I’influence de la duree de sejour sur la santk mentale (Lasry et Sigal, 1975; Lasry, 1977)’ nous Cvaluerons aussi l’jnfluence qu’a sur le profil occupationnel la pkriode de temps qu’un immigrant a passee au pays.

Methodologie

Sujets Les immigrants Nord-Africains de Montreal ont l’avantage d’Ctre un groupe ethnique delimit6 dans l’espace et dans le temps, facili- tant ainsi l’etude des processus d’immigration. En effet, les Nord- Africains ont commence immigrer a Montreal a partir de 1957 et ils continuent de le faire jusqu’a present. D’autre part, trois listes (d’association communautaire, d’agence socio-recreative et d’agence d’aide aux immigrants)’ ont rendu facile l’accts a cette population concentrke gkographiquement dans la region du Grand Montreal. Ces trois listes ont etk fondues en une liste maitresse qui a elle-mbme ete completke avec des noms de I’annuaire ttltphoni- que, regroupant ainsi pres de 3.000 foyers, soit 12 A 15.000 person- nes (probablement I’ensemble des membres de cette communaute).

Un Cchantillon a alors kte stratifit a partir des dates d’arrivke au Canada, selon des statistiques fournies par le Ministtre federal de 1’Immigration a Berman et al. (1970). Les durees de skjour au pays des sujets interview& s’ktendaient de 2 a 15 ans, avec 69% des su- jets ayant sejournt au moins 4 ans au Canada.

Comme 82% des immigrants d’Afrique du Nord au Canada, en- tre 1957 et 1972, provenaient du Maroc (Main d’Oeuvre et

Les immigrants jusfs nOTd-afTiCainS 19 -

Immigration, 1974: 21) et comme 86% des Marocains admis au Canada entre 1958 et 1966 ttaient Juifs (Berman et al., 1970: Ap- pendice B. Tableau 3), nous avons limitt notre echantillonnage aux immigrants d’Afrique du Nord de religion juive.

Le nombre total de rtpondants est 469, incluant 82 individus seuls (i.e. ctlibataires, stparts, divorces ou veufs) dont 60 de sexe masculin et 22 de sexe ftminin. Parmi les 199 familles ou les deux conjoints ont Cte interviewts simultanement, 1 1 Canadiens de naissance ont ett exclus de I’analyse des resultats.

Catigories occupationnelles Des renseignements ont t t t obtenus sur cinq emplois: celui occupe au moment de I’entrevue, les trois emplois prtctdents ainsi que l’emploi dans le pays d’origine. Les 175 emplois que l’on a ainsi dtnombrks ont it6 regroupts en neuf categories principales tirtes du Recensement du Canada (1971): 1 ) proprietaires d’usine, de commerce en gros et cadres ad-

ministratifs suphieurs: directeur de banque, de compagnies, etc.

2) personnes exercant une profession liberale ou technique: in- gknieurs, professionnels de la santt, enseignants, dessinateurs industriels, etc.

3) petits commercants: magasins de vCtements, de chaussures, tailleurs, etc.

4) employts de bureau: secrttaires, comptables, employts de ban- que, transitaires, etc.

5 ) vendeurs: reprtsentants, vendeurs d’assurances, de voitures, vendeurs dans des magasins, etc.

6) service et loisirs, transports et communications: coiffeurs, cuisiniers, moniteurs, chauffeurs de taxi, livreurs, etc.

7) ouvriers a la production, artisans: plombiers, mtcaniciens, im- primeurs, ouvriers de la confection, de la construction, etc.

8) manoeuvres: pompistes, aide-infirmiers, bonnes, etc. 9) sans metier

La catkgorie 3 (Petits commerqants) a Ctt ajoutte A celles du recensement du Canada parce qu’elle dtcoule de la rtalitt sociologique nord-africaine (Chouraqui, 1972; Bensimon-Donath, 1970, 1971). Nous avons inch dans la cattgorie 1 les proprittaires de grosses affaires parce qu’ils se distinguent trts nettement des petits commercants tant par leurs responsabilitts que par leurs revenus.2

20 Jean-Cloude Lasrv

Procedure Les rkpondants ont ktk interviewes a leur domicile. Dans le cas de couples, un interviewer faisait passer le questionnaire au mari tan- dis que la femme repondait a un autre interviewer, dans une piece voisine. Les entrevues ont ete unregistrkes sur magnetophone, et chaque questionnaire vkrifik avec l’enregistrement, notamment aux points essentiels. Le groupe ethnique de l’interviewer etant une variable pertinente pour la passation d’un questionnaire (Watson, 1972; Williams, 1964), les quatre interviewers etaient eux-mCmes immigrants d’origine nord-africaine.

Resultats

La tableau 1 presente la repartition des immigrants selon leur type d’emploi actuel et en Afrique du Nord, i.e. selon que I’immigrant ait eu un emploi rtrnunM, qu’il ait Ctft ktudiant, maitresse de maison ou en chamage. Pour I’ensemble des immigrants, le taux de chamage tourne autour de lo%, pourcentage equivalent a celui du chamage national canadien. Les immigrants d’Afrique du Nord ne taxent donc pas de .facon disproportionnee les services de l’assurance-ch6mage du Canada.

Tableau 1 RCpartition des immigrants selon leur ernploi en Afrique du Nord

et lors de l’enquCte, et selon leur sexe

Emploi en Afrique du nord

Emploi lors de I’enquete Hommes Femmes

RCmunCrC Etudiant RCmunCrC Etudiant Maitresse de maison

Remunere 85,8% 93,4% 46,270 48,5% 15,2% En chdmage 11,7% 3,3% 9,7% 6,l% 9,1% Etudiant 2,570 3,3% 0% 0% 3,0% Maitresse de maison - - 44,170 45,4% 72,7% - N = 100% 191 61 145 33 33

Les immigrants juifs nord-africains 21

Ceux qui ttaient Ctudiants avant d’immigrer prksentent au mo- ment de 1’enquCte des taux plus faibles de ch6mage’ 3% pour les garCons et 6% pour les filles. Le statut d’ktudiant avant d’immigrer semble donc Ctre un atout pour faciliter l’obtention d’un emploi quand on est immigrant.

Si seulement 16% de l’ensemble des femnes interviewkes (N = 33) avaient comme fonction principale celle de maitresse de maison en Afrique du Nord, au moment de I’enquCte ce pourcentage passe a 49 (N = 103). Pres de la moitik de celles qui travaillaient ou qui etudiaient dans leur pays d’origine sont aussi devenues maitresses de maison, au moment de 1’enquCte. L’arrivte au Canada a cepen- dant mis sur le marchi: du travail environ le quart de celles qui demeuraient chez elles a s’occuper de leur maison, en Afrique du Nord.

Evolution de la mobilitt occupationnelle Lorsque I’on tient compte de trois moments dans la mobilitk oc- cupationnelle des immigrants interview&, I’emploi dans le pays d’origine, le premier emploi au Canada et l’emploi au moment de I’enqutte, le profil est caractkristique (figure 1).

Figure 1 Mobilitk occupationnelle selon la durke de sbjour et le sexe (les niveaux ayant une m&me lettre affichent une diffkrence

significative B p < .01)

a-a SEJOUR DE 7 b 15 A N 5 .---a SEJOUR DE 2 b 6 A N 5

49- A D - a

H O M M E S - FEMMES IN=67)

If: 48 = z - ‘, (N=169)

-

,. *\

u 43 - CD

I 1 I AFRIQUE PREMIER LOR5 DE AFRIQUE PREMIER LORS DE

42

DU A U L’ENOUETE D U A U L‘ENOUETE NORD C A N A D A NORD C A N A D A

EMPLOIS

22 Jean-Claude Lasry

Quoique les immigrants masculins arrives en premier aient eu une occupation en Afrique du Nord dont le prestige ktait legere- ment inferieur a I’occupation de ceux arrivks plus tardivement, cette difference est non significative, tout comme pour les femmes immigrantes. Quelle que soit leur pkriode d’arrivke, les immigrants trouvent un premier emploi au Canada dont la cote en points Blishen tourne autour de 43. Le niveau de prestige de ce premier emploi est dramatiquement inferieur a celui du pays d’origine. Pour les deux groupes d’arrivie, la chute occupationnelle est significative (p <.oI).

La dichotomie selon la duree de sejour prend toute sa significa- tion lorsque l’on considere la remontee occupationnelle. Pour ceux qui sont depuis moins longtemps au pays (2 a 6 ans), l’occupation au moment de I’entrevue (X = 44,l) est d’un niveau suptrieur a celle du premier emploi, quoique la difference soit non significative; I’occupation lors de I’enquEte est toujours infkrieure a celle du pays d’origine (p <.Ol). Pour ceux dont la duree de skjour au pays est la plus longue (7 A 15 am), I’ascension occupationnelle a eu le temps de se poursuivre. Le niveau de prestige de l’emploi au moment de l’entrevue (x = 45’7) n’est pas significativement diffkrent de I’emploi tenu dans le pays d’origine.

L’on retouve chez les femmes immigrantes qui avaient un emploi en Afrique du Nord et un emploi au moment de l’entrevue la mCme evolution que chez les hommes. Le premier emploi marque une chute du niveau occupationnel tandis que l’emploi lors de l’enquete dtmontre une remontee au niveau de l’emploi en Afrique du Nord. Le petit nombre de sujets pourrait expliquer le fait que les chutes et les remontkes ne soient pas significatives.

Mobilitk selon le type d’occupation Pour faciliter I’analyse, les huit premieres catCgories sont regroupees en trois. Le groupe A (propriktaires et professionnels) comprend la categorie 1 (propriktaires et cadres supkrieurs), la catkgorie 2 (professions liberales et techniques) et la catkgorie 3 (petits commercants). Le groupe B (cols blancs) inclut la cattgorie 4 (employks de bureau) et la catkgorie 5 (vendeurs). Le groupe C (cols bleus) comprend la catkgorie 6 (services et transports), la catkgorie 7 (ouvriers a la production et artisans) et la categorie 8 (manoeuvres). La neuvitme cattgorie est divisee en trois com- posantes: groupe D: etudiants et en recyclage; groupe E: maftresses de maison; groupe F: ceux en chijmage (aucun rkpondant n’ktant a la retraite).

m

N L I t

.: 1 .: I , I I I

Tableau 2

MobilitC

occupationnelle d’un groupe d’imm

igrants d’Afrique du N

orde A MontrC

al

Emploi au m

oment de I’enquete

A

A. Proprittaires, professions

libtrales, comm

erqants B

. Em

ployes de bureau, vendeurs C

. Services, ouvriers, manoeuvres

D. Etudiants

E. M

attresses de maison

F. Cham

age D

ifference moyenne en

points Blishen =

100%

47,7 26,2 12.3 0,o

13,8

-7,2 65

Hom

mes

BC

16,3 9,6

65,O

17,3 10,O

50,O

0,O

9,6

8.8 13,5

-0,9 1

2

80 52

Em

ploi en afrique du nord

D

A

B

59,O

46,4 4,6

ll,5 3.6

394 3.8

0,o 0

8

-

32,l 48,9

33

14,3

991

22,9 3,6

34,1

* -3,3

0.04 61

28 88

Femm

es C

394 29

D * 33

E * 33

~~~~ ~

* ne peut Etre calcule

24 Jean-Ctaude Lasry

Chez Ies hommes. Nous analyserons d’abord le profil des im- migrants masculins (Tableau 2). Ceux qui (ttaient proprietaires, cadres et professionnels en Afrique du Nord (groupe A) subissent la chute occupationnelle la plus marquee: - 7’2 points Blishen. Si en- viron la moitie de ces immigrants ont, au moment de l’enquete, retrouve une occupation de mCme niveau, l’autre moitiC a rkgresse. En effet, 38% des sujets du groupe A ont une occupation de statut infkrieur au moment de I’enquCte, tandis que 14% sont en chbmage.

Deux tiers des sujets qui Ctaient employes de bureau ou vendeurs (groupe B) dans leur pays d’origine ont un emploi equivalent au moment de 1’enquEte. Seize pour cent ont amkliore leur statut tan- dis que 10% occupent un emploi actuel de statut infkrieur. L’indice moyen de mobiliti. occupationnelle de ce groupe est pratiquement nu1 (X = -0,9 points Blishen).

Parmi les immigrants ayant appartenu au groupe C (cols blew), la moitik ont un emploi de statut equivalent A celui qu’ils avaient en Afrique de Nord, tandis que 27% se sont eleves dans 1’Cchelle oc- cupationnelle. Sur les cinq personnes qui, au moment de 1’enquCte ttaient ttudiants (lo%), quatre participent a un programme gouvernemental de recyclage et une a, en fait, un statut d’ttudiant regulier. L’indice moyen de mobilitk indique une legtre ascension de 1,2 points Blishen.

Parmi les 61 sujets du groupe D qui Ctaient etudiants avant d’im- migrer, 59% se retrouvent dans la catkgorie supkrieure (groupe A) au moment de l’enquke, dont 40% dans les professions liberales particulikrement. Seulement 4% sont a la recherche d’un travail, alors que dans les autres groupes le pourcentage de ch6meurs oscille entre 9 et 14%. Au moment de I’enquke, la cote occupation- nelle moyenne de ceux qui ktaient ttudiants en Afrique du Nord est significativement supkrieure a celle des sujets qui avaient un emploi rtmunkrk dans leur pays d’origine (x = 53,7 vs 44,9; p

Chez les femmes. Comme l’indiquait le tableau 1, 44% des fem- mes immigrantes qui avaient un emploi en Afrique du Nord ont cesst tout travail rtmunkrt soit en arrivant au Canada (N = 42)’ soit un peu plus tard (N = 22). Les groupes B, C et D fournissent de 41 B 49% de ma?tresses de maison au moment de I’enquCte. Ce pourcentage tombe a 21 chez les femmes qui occupaient une profes- sion libtrale en Afrique du Nord. Quand une femme, mCme im- migrante, entreprend une carrikre de cadre, elle est moins portke

<.001).

Les immigrants juifs nord-africains 25

que les autres femmes qui travaillent a abandonner son occupation pour devenir maitresse de maison.

Les femmes qui appartenaient au groupe des proprittaires, cadres et professionnels (groupe A) dans leur pays d’origine sont, tout comme les hommes, celles qui subissent la chute occupation- nelle la plus marqute: - 3,3 points Blishcn en moyenne. Comme dans le cas des hommes aussi, environ la moitit de ces femmes oc- cupent un emploi au moment de 1’enquCte dont le statut est tquivalent 2 celui dttenu anterieurement. Leur pourcentage de chamage est aussi identique A celui des hommes (14%).

Dans le groupe des femmes qui ont eu un emploi de type col blanc dans leur pays d’origine, le tiers des immigrantes a au mo- ment de I’enquzte un emploi de statut tquivalent. La mobilitt ascendante ou descendante en pourcentage est minime; la mobilitt moyenne du groupe en points Blishen est nulle.

Sur 29 femmes ayant occupk un emploi dans les services ou la production en Afrique du Nord (groupe C), 17 femmes sont sur le marche du travail au moment de I’enquete. Parmi celles-ci, 14 ont un emploi de statut equivalent, une amtliore sa situation tandis que les deux autres sont en ch8mage. La mobilitt de ce groupe est caracttriste par une ascension moyenne de 3,4 points Blishen.

Alors que 59% des ttudiants masculins en Afrique du Nord se retrouvent, au moment de I’enquEte, dans la classe A, chez les fem- mes qui Ctaient etudiantes prts de la moitit (15/33) deviennent maitresses de maison. En excluant ces dernieres des pourcentages, plus de 55% des etudiantes occupent lors de I’entrevue un emploi de la classe B (surtout travail de bureau), tandis que 28% occupent une profession libtrale (classe A).

La cote occupationnelle moyenne atteinte au moment de l’en- quete par les femmes qui avaient un statut d’etudiant dans leur pays d’origine est semblable a celle des hommes qui avaient le mCme statut (x = 52’5). Cette cote est aussi significativement suptrieure a celle des femmes qui avaient un emploi rkmuntrk en Afrique du Nord (x = 44,9; p <.01), cote identique a celle des hommes ayant le m&me statut.

Evolution des revenus Tout comme le prestige occupationnel s’amtliore avec la duree de sejour au pays, le revenu des immigrants masculins aussi s’ameliore, et de facon presque IinCaire. Les mkdianes de revenus annuels en 1972 passent de $6.600 pour ceux qui sont instalks depuis

26 Jean-Claude Lasry

2 ans a $1 1.600 pour ceux qui sont au pays depuis 15 ans. Chez les femmes, par contre, la duree de skjour n’a aucune influence sur le salaire. Ceci est probablement dQ au fait que la femme immigrante ne s’est pas mise 21 travailler dts son arrivee au pays mais plutat au moment familialement opportun.

Un autre indice de l’amklioration economique tient au passage du statut d’employk a celui d’employeur. L’on retrouve, chez ceux dont la duree de sejour va de 2 21 6 ans, 9 patrons (soit 8%) et 102 employes A plein temps, tandis que 30 patrons (soit 27%) et 80 employ& ont sejournt de 7 a 15 ans au pays (X’ = 12,7; p <.OOl). La duree de sejour influence donc de facon significative le statut economique des immigrants.3

Discussion

Le profil occupationnel des immigrants d’Afrique du Nord, tant hommes que femmes, est caracttrist en premier lieu par une chute. Aprh la rkgression initiale, ceux qui sont installts depuis plus longtemps au pays (7 a I5 ans) retrouvent au moment de I’enqutte un emploi d’un prestige occupationnel tquivalent a celui qu’ils avaient laisse dans l e u pays d’origine. Moldofsky (1 968, Table 111-18) met en kidence un phtnomtne semblable, quoiqu’au niveau de l’impression subjective. Chez les immigrants ayant 9 ans de stjour au pays, environ 40% estiment que l’emploi qu’ils occu- pent au moment de I’enqutte est de statut suptrieur (A celui qu’ils avaient en Afrique du Nord), tandis que chez ceux installks depuis 4 ans, le pourcentage n’est que de 15.

Le revenu annuel de nos sujets s’est accru presque de facon lineaire depuis leur arrivte, au point mtme d’atteindre prts du dou- ble du revenu moyen des Montrkalais de 1970 ($6.061, Statistique Canada, 1976). I1 est donc clair que I’intkgration tant occupation- nelle qu’konomique de I’immigrant est fonction de la dude de s&- jour au pays.

Le statut d’etudiant dans le pays d’origine est un statut privilkgit. En effet, il offre moins de probabilite d’&tre en chbmage, et il favorise I’acquisition d’un emploi dont le statut est nettement superieur. Le fait d’&tre etudiant avant d’immigrer est la clC de l’ascension aux professions libkrales pour les hommes et, dans une moindre mesure, pour les femmes.

Les immigronrs juifs nord-africoins 27

L’analyse de la mobilitt occupationnelle montre que plus I’emploi est de statut klevk dans le pays d’origine, plus la chute oc- cupationnelle sera marquke. Ceux qui souffrent le plus du pro- cessus d’immigration en termes occupationnels sont les pro- prietaires et les cadres administratifs, les membres des professions libkrales et techniques et les petits commercants. Au contraire, les immigrants ayant des emplois de prestige infkrieur (ouvriers a la production, transports, services rkcreatifs, etc.) btnkficient de la transplantation. Leur niveau occupationnel tend a s’elever. L’employk de bureau est celui qui ressent le moins le contrecoup de l’immigration, sa stabilitk occupationnelle est beaucoup plus grande.

Parmi Ies immigrants ayant eu un emploi rkmunkrk ce sont les femmes, par contre, qui dtmontrent la plus grande stabilitk oc- cupationnelle dans I’emploi, de 1’Afrique du Nord au Canada (abstraction faite de celles qui sont devenues maitresses de maison depuis leur arrivke). Lors du dkracinement de I’immigration, la mobilitk occupationnelle descendante affecte donc beaucoup moins les femmes qui travaillent que les hommes. Les conskquences negatives de cette mobilitk sur la sante mentale (Kasl, Gore et Cobb, 1975; Dohrenwend et Dohrenwend, 1975; Eaton et Lasry, 1978) devraient donc &re moins grandes, dans le cas de la femme immigrante.

Le processus d’immigration impose gknkralement des contraintes tconomiques telles que la femme immigrante est obligke de se trouver un emploi rkmunkrk. L’ktude conduite par le Ministere de la Main d’Oeuvre et de I’Immigration (1974) dkmontre ainsi que le pourcentage de femmes immigrantes ayant un emploi rkmunere augmente de 33 a 48, de six mois a trois ans apres leur arrivke au Canada. Dans le cas des femmes nord-africaines, au contraire, le pourcentage diminue de 69 en Afrique du Nord a 5 1 au moment de l’enqutte. L’installation au Canada semble donc &re particuliere- ment favorable au plan kconomique pour la famille nord-africaine. En effet, avec le temps, moins d’kpouses ont besoin d’avoir un emploi remunkrk, et, d’autre part, le nombre de femmes qui ac- quierent le statut de maitresse de maison triple presque (de 16 a 49%), du pays d’origine au pays d’accueil.

En conclusion, l’analyse de la mobilitk occupationnelle selon I’emploi dans le pays d’origine illustre le phknomene statistique de la rkgression vers la moyenne. Mais cette analyse dkmontre surtout que la transplantation d’un pays a l’autre a gknkralement des

Jean-Claude Lasry 28

repercussions plus penibles pour ccux qui occupent des emplois prestigieux, tandis que ces rkpercussions sont beaucoup plus positives pour ceux ayant des emplois de prestige infkrieur.

Notes

1. Cette recherche a t te subventionnee par le Ministere des Affaires Sociales de la Province de QuCbec (RS-136), ainsi que par Ie Ministere fkderal de la Main d’oeuvre et de I’Immigration (PIL 21 1-1573). Nous desirons remercier ici I’Association Sepharade Francophone, le Centre Communautaire Juif du YM-YWHA et la Jewish Immigrant Aid Society pour leur prkcieuse collaboration.

2. Au moment de l’enqutte, en 1972, les revenus medians selon les huit premieres categories, pour les immigrants de sexe masculin sont respectivement de:l) $13.700, 2) $9.100, 3) $6.000, 4) $6.000, 5) $7.000, 6) $4.600, 7) f5.400 et 8) $3.000.

3. Le nombre de femrnes-patrons (N=8) est trop peu elevk pour permettre le calcul.

References

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Occupational mobility of North African Jewish immigrants in Montreal

A sample of 469 North African Jewish immigrants in Montreal was grouped according to the length of time they had lived in Canada. The duration of their residence ranged from 2 to I5 years. The irn- migrants’ occupational mobility follows a classic pattern: the first job marks a significant drop in occupational level. The higher the occupational level in the country of origin, the greater the drop. Regulations concerning students before immigration helped them

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to enter the more prestigious occupations, such as accountancy, law and medicine. At the time of the inquiry, occupational ad- vancement is experienced by those who have resided in the country for more than 6 years. These immigrants attain the occupational level of their country of origin. In the case of the men the pattern of recovery is almost linear. For the North African immigrants therefore, occupational and economic integration is a function of duration of residence in the new country.