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Monnaie, crédit bancaire et cycles économiques

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  • MONNAIE, CRDIT BANCAIRE ET CYCLES CONOMIQUES

  • LHarmattan, 2011 5-7, rue de lcole-polytechnique ; 75005 Paris

    http://www.librairieharmattan.com [email protected]

    [email protected]

    ISBN : 978-2-296-54451-2 EAN : 9782296544512

  • Jess Huerta de Soto

    MONNAIE, CRDIT BANCAIRE ET CYCLES CONOMIQUES

  • Collection Lesprit conomique

    fonde par Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis en 1996 dirige par Sophie Boutillier, Blandine Laperche, Dimitri Uzunidis

    Si lapparence des choses se confondait avec leur ralit, toute rflexion, toute Science, toute recherche serait superflue. La collection Lesprit conomique soulve le dbat, textes et images lappui, sur la face cache conomique des faits sociaux : rapports de pouvoir, de production et dchange, innovations organisationnelles, technologiques et financires, espaces globaux et microconomiques de valorisation et de profit, penses critiques et novatrices sur le monde en mouvement... Ces ouvrages sadressent aux tudiants, aux enseignants, aux chercheurs en sciences conomiques, politiques, sociales, juridiques et de gestion, ainsi quaux experts dentreprise et dadministration des institutions. La collection est divise en six sries : Dans la srie Economie et Innovation sont publis des ouvrages dconomie industrielle, financire et du travail et de sociologie conomique qui mettent laccent sur les transformations conomiques et sociales suite lintroduction de nouvelles techniques et mthodes de production. Linnovation se confond avec la nouveaut marchande et touche le cur mme des rapports sociaux et de leurs reprsentations institutionnelles. La srie Economie formelle a pour objectif de promouvoir lanalyse des faits conomiques contemporains en sappuyant sur les approches critiques de lconomie telle quelle est enseigne et normalise mondialement. Elle comprend des livres qui sinterrogent sur les choix des acteurs conomiques dans une perspective macroconomique, historique et prospective. Dans la srie Le Monde en Questions sont publis des ouvrages dconomie politique traitant des problmes internationaux. Les conomies nationales, le dveloppement, les espaces largis, ainsi que ltude des ressorts fondamentaux de lconomie mondiale sont les sujets de prdilection dans le choix des publications. La srie Krisis a t cre pour faciliter la lecture historique des problmes conomiques et sociaux daujourdhui lis aux mtamorphoses de lorganisation industrielle et du travail. Elle comprend la rdition douvrages anciens, de compilations de textes autour des mmes questions et des ouvrages dhistoire de la pense et des faits conomiques. La srie Clichs a t cre pour fixer les impressions du monde conomique. Les ouvrages contiennent photos et texte pour faire ressortir les caractristiques dune situation donne. Le premier thme directeur est : mmoire et actualit du travail et de lindustrie ; le second : histoire et impacts conomiques et sociaux des innovations. La srie Cours Principaux comprend des ouvrages simples, fondamentaux et/ou spcialiss qui sadressent aux tudiants en licence et en master en conomie, sociologie, droit, et gestion. Son principe de base est lapplication du vieil adage chinois : le plus long voyage commence par le premier pas .

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    PREFACE A LEDITION FRANAISE Jai le plaisir de prsenter aux lecteurs ldition franaise de Monnaie, crdit

    bancaire et cycles conomiques ; elle est particulirement ncessaire lheure o lon assiste la grave crise financire suivie de la rcession conomique mondiale que nous avions annonce ds la premire dition de ce livre, il y a douze ans.

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    La politique dexpansion artificielle du crdit consentie et orchestre par les banques centrales au cours des quinze dernires annes ne pouvait se terminer autrement. Le cycle expansif, prsent conclu, se renforce partir du moment o lconomie nord-amricaine sort de sa dernire rcession (courte et vaincue) en 2001 et o la Rserve Fdrale reprend la grande expansion artificielle de crdit et dinvestissement amorce partir de 1992. Cette expansion de crdit na pas repos sur une augmentation parallle de lpargne volontaire des conomies domestiques. Longtemps, la masse montaire sous forme de billets et de dpts a augment un rythme moyen suprieur 10% par an (ce qui quivaut doubler tous les 7 ans le volume total de monnaie circulant dans le monde). Cette grave inflation fiduciaire des moyens de paiement sest installe dans le march par lintermdiaire du systme bancaire et sous forme de crdits de nouvelle cration accords des taux dintrt trs bas (et mme ngatifs en termes rels). Cela a favoris une bulle spculative. Celle-ci sest traduite par une hausse importante des prix des biens dinvestissement, des actifs immobiliers et des titres qui les reprsentent et schangent en bourse ; et cette dernire a vu augmenter ses indices de faon spectaculaire.

    Chose curieuse, comme cela stait produit dans les annes heureuses davant la Grande Dpression de 1929, le choc de croissance montaire na pas affect de faon significative le prix du sous-ensemble des biens et services de consommation (environ un tiers seulement du total des biens). Car, durant la dernire dcennie, on a assist, comme dans les annes vingt du sicle dernier, une augmentation sensible de la productivit, due lintroduction massive de technologies nouvelles et dimportantes innovations entrepreneuriales. Celles-ci auraient entran, en labsence dinjection montaire et de crdit, une rduction salutaire et continue du prix unitaire des biens et services de consommation. En outre, la pleine incorporation des conomies chinoise et indienne au march mondialis a favoris encore davantage la productivit relle de biens et services de consommation. Labsence dune saine dflation des prix des biens de consommation, dans une tape de croissance de la productivit aussi importante que celle des dernires annes, est la preuve principale de la grave perturbation qua produite le choc montaire sur le processus conomique, phnomne que nous analysons en dtail la section 9 du Chapitre 6.

    Comme nous lexpliquons dans ce livre, lexpansion artificielle de crdit et linflation de moyens de paiement (fiduciaire) ne constituent pas un raccourci permettant un dveloppement conomique stable et soutenu, sans quil soit ncessaire de recourir au sacrifice et la discipline que suppose toujours un taux lev dpargne volontaire (laquelle, au contraire, non seulement na pas augment durant les dernires annes, mais a mme connu parfois des taux ngatifs, surtout aux Etats-Unis). Car les expansions artificielles du crdit et de la monnaie ne font toujours et tout au plus que remettre le problme au lendemain . En effet, on ne doute plus aujourdhui du caractre rcessif que prsente, la longue, le choc montaire : le crdit de nouvelle cration (non pargn pralablement par le public) met, tout de suite, la disposition des entrepreneurs une capacit acquisitive quils dpensent en projets dinvestissement trop ambitieux (en particulier dans le secteur de la construction et de la promotion immobilire, durant ces dernires annes), cest--dire comme si lpargne du public avait augment, alors quen fait un tel accroissement ne sest pas produit. Cela

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    engendre une discoordination gnralise au sein du systme conomique : la bulle financire ( exubrance irrationnelle ) affecte ngativement lconomie relle et le processus sinverse tt ou tard sous forme dune rcession conomique o sengage le rajustement douloureux et ncessaire quexige toujours la radaptation dune structure productive relle dnature par linflation. Les dtonateurs concrets annonant le passage de leuphorie caractristique de l ivresse montaire la gueule de bois rcessive sont multiples et peuvent varier selon les cycles. Actuellement, les dtonateurs les plus visibles ont t la hausse du prix des matires premires et, en particulier, du ptrole, la crise des hypothques dites subprime aux Etats-Unis et enfin la crise dimportantes institutions bancaires ayant constat que la valeur de leurs actifs (prts hypothcaires accords) tait infrieure celle de leurs passifs.

    Beaucoup rclament aujourdhui des rductions ultrieures des taux dintrt et de nouvelles injections de monnaie permettant ceux qui le dsirent de parachever leurs investissements sans pertes. Cette fuite en avant ne servirait, cependant, qu retarder les problmes tout en les aggravant bien davantage. La crise, en effet, sest produite parce que les profits des entreprises de biens dinvestissement (en particulier dans les secteurs de la construction et de la promotion immobilire) ont disparu par suite des erreurs entrepreneuriales encourages par le crdit bon march, et parce que les prix des biens de consommation ont commenc se comporter relativement moins mal que ceux des biens dinvestissement. Ce moment marque le dbut dun rajustement douloureux et invitable dans lequel sajoute aux problmes de chute de la production et daccroissement du chmage une hausse trs ngative des prix des biens de consommation.

    Lanalyse conomique la plus rigoureuse et linterprtation la plus froide et pondre des derniers vnements conomiques et financiers renforcent la conclusion suivante : il est impossible, comme ce fut le cas avec les tentatives rates de planification de la dfunte conomie sovitique, que les Banques Centrales (vritables organes de planification financire centrale) russissent trouver la politique montaire la mieux adapte chaque moment. Ou, autrement dit, le thorme de limpossibilit conomique du socialisme, dcouvert par les conomistes autrichiens Ludwig von Mises et Friedrich A. Hayek, daprs lequel il est impossible dorganiser conomiquement la socit sur la base dordres contraignants manant dun organe de planification -celui-ci ne pouvant jamais disposer de linformation ncessaire pour donner un contenu coordinateur ses ordres-, est pleinement applicable aux Banques Centrales en gnral ; et il est applicable, en particulier, la Rserve Fdrale et Alan Greenspan jadis et Ben Bernanke aujourdhui: rien nest plus dangereux que de tomber dans la prsomption fatale -selon lheureuse expression dHayek-, de se croire omniscient ou, du moins, assez savant et puissant pour pouvoir mettre au point tout moment la politique montaire la mieux adapte (fine tuning). Il est donc trs probable que la Rserve Fdrale et, dans une certaine mesure, la Banque Centrale Europenne, au lieu dadoucir les mouvements les plus aigus du cycle conomique, aient t les principaux auteurs responsables de sa gense et de son aggravation. Lalternative devant laquelle se trouvent Ben Bernanke et son conseil la Rserve Fdrale et les autres Banques Centrales ( commencer par leuropenne) nest, donc, nullement commode. Elles ont abandonn, des annes durant, leur responsabilit montaire et se trouvent maintenant dans une impasse : soit elles laissent samorcer le processus rcessif et, avec lui, le rajustement salutaire et douloureux ; soit elles pratiquent la fuite en avant et donnent plus dalcool livrogne dj en proie une violente gueule de bois , en sorte que les probabilits de succomber dans un futur proche une rcession inflationniste encore plus grave augmenteraient de manire exponentielle (ce fut prcisment lerreur commise aprs le crash boursier de 1987, qui nous a conduits linflation de la fin des annes quatre-vingt et sest termin par la grave rcession de 1990-1992). En outre, reprendre maintenant une politique de crdit bon march ne peut quentraver la liquidation ncessaire des investissements non rentables et la reconversion des entreprises et peut mme faire se prolonger

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    indfiniment la rcession. Cest ce qui est arriv lconomie japonaise ces dernires annes : aprs avoir essay toutes les interventions possibles, elle a cess de rpondre tout stimulant dexpansion de crdit ou de type keynsien. Cest dans ce contexte de schizophrnie financire quil faut interprter les derniers ttonnements des autorits montaires (responsables de deux objectifs intimement contradictoires : dune part, contrler linflation et, de lautre, injecter toute la liquidit ncessaire pour viter leffondrement du systme financier). Et ainsi, la Rserve Fdrale sauve un jour Bear Stearns, AIG, Fannie Mae et Freddie Mac ou Citigroup, pour laisser tomber le lendemain Lehman Brothers sous le prtexte plus que justifi de donner une leon et de ne pas alimenter le moral hazard ou risque moral . On approuve ensuite, vu le tour que prenaient les vnements, un plan de 700 milliards de dollars pour acheter les actifs dits, par euphmisme, toxiques ou illiquides (cest--dire, sans valeur) de la banque ; plan qui, sil est financ par des impts (et non pas en crant plus dinflation), supposera une lourde charge fiscale pour les conomies domestiques, au moment prcis o elles peuvent le moins se le permettre. Ntant pas sr que le plan puisse avoir quelque effet, on dcide, enfin, dinjecter directement de largent public dans les banques et mme de garantir la totalit de leurs dpts.

    La situation comparative des conomies de lUnion Europenne est un peu moins mauvaise que la nord-amricaine (si lon ne tient pas compte de leffet expansif de la politique dlibre de dprciation du dollar, et des rigidits europennes relativement plus accuses, notamment dans le march du travail, qui tendent rendre les rcessions plus durables et plus douloureuses sur notre Continent). La politique expansive de la Banque Centrale Europenne, non exempte de graves erreurs, a cependant t moins lgre que celle de la Rserve Fdrale. Le respect des critres de convergence a, en outre, suppos en son temps un assainissement notable et salutaire des principales conomies europennes. En particulier, les pays priphriques comme lIrlande et, surtout, lEspagne ont connu, ds le dbut de leur processus de convergence, une importante expansion de crdit. Le cas de lEspagne est paradigmatique. Son conomie a connu un boom conomique d, en partie, des causes relles (rformes structurelles de libralisation engages partir des mandats de Jos Mara Aznar en 1996) ; mais il sest aliment dun autre ct et de faon non ngligeable dune expansion artificielle de la monnaie et du crdit. Ceux-ci augmentrent un taux qui tripla presque lvolution de ces mmes grandeurs en France ou en Allemagne. Les agents conomiques espagnols interprtrent dans une large mesure la baisse des taux dintrt, rsultant du processus de convergence, dans les termes de relchement montaire traditionnels en Espagne : plus grande disponibilit dargent facile et demandes massives de crdits aux banques (surtout pour financer la spculation immobilire) ; crdits que celles-ci ont accords en les crant partir du nant sous le regard impavide de la Banque Centrale Europenne. Cette dernire, face la hausse des prix et fidle son mandat, a tent, tant quelle a pu le faire, de maintenir les taux dintrt malgr les difficults des membres de lUnion Montaire qui, comme lEspagne, dcouvrent maintenant quune grande part des investissements en immeubles fut une erreur et sont acculs une restructuration longue et douloureuse de leur conomie relle.

    La politique la plus adapte, en de telles circonstances, serait de libraliser lconomie tous les niveaux (en particulier le march du travail) pour permettre la raffectation rapide des facteurs productifs (en particulier le facteur travail) vers les secteurs rentables. La rduction de la dpense publique est galement indispensable, de mme que celle des impts, afin daccrotre le revenu disponible des agents conomiques fortement endetts qui ont besoin de rembourser leurs prts au plus tt. Les situations des agents conomiques en gnral et des entreprises en particulier ne sassainissent que par la rduction des cots (spcialement ceux du travail) et le remboursement des prts. Il faut, pour cela, un march du travail trs flexible et un secteur public beaucoup plus austre. Cest ainsi que le march pourra dcouvrir rapidement quelles sont les vritables valeurs relles des biens dinvestissement

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    produits par erreur et que stabliront les bases dun redressement conomique sain et durable dans un futur que nous souhaitons, pour le bien de tous, aussi proche que possible.

    * * * Il ne faut pas oublier que la dernire priode dexpansion artificielle sest

    caractrise, entre autres aspects, par une corruption progressive, tant en Amrique quen Europe, des principes traditionnels de la Comptabilit, telle quelle sappliquait depuis des sicles dans le monde. En particulier, lapprobation des Normes Internationales de Comptabilit (NIC) et leur transposition sous forme de loi dans les divers pays (en Espagne, avec le nouveau Plan Gnral de Comptabilit entr en vigueur 1 janvier 2008) a suppos labandon du principe traditionnel de prudence qui a t remplac par le principe de valeur de march ou raisonnable (fair value) pour lvaluation des actifs du bilan et, en particulier, ceux caractre financier. Cet abandon du principe traditionnel de prudence a subi la forte pression exerce tant par les socits de bourse de valeurs que par les banques dinvestissement -aujourdhui en voie de disparition- et, en gnral, par toutes les parties ayant intrt gonfler les valeurs de bilan afin de les rapprocher de valeurs boursires soi-disant plus objectives et qui, auparavant, ne cessaient daugmenter dans le cadre dun processus conomique deuphorie financire. Ce processus, en effet, sest caractris, durant la priode de la bulle spculative par la rtro-alimentation existant entre des valeurs boursires croissantes et leur reflet comptable immdiat, ce que lon voulait utiliser, son tour, pour justifier dultrieures croissances artificielles des prix des actifs financiers cots en bourse de valeurs.

    Dans cette course folle labandon des principes traditionnels de la comptabilit et leur substitution par dautres plus adapts aux temps nouveaux , on assiste habituellement lvaluation dentreprises en fonction dhypothses peu orthodoxes et de critres purement subjectifs qui remplacent, dans les nouvelles normes, le seul critre vritablement objectif (celui de la transaction historique). Leffondrement actuel des marchs financiers et la perte gnralise de confiance dans les banques et dans leur comptabilit de la part des agents conomiques ont montr la gravit de lerreur commise ; elle consista cder aux NIC et labandon des principes comptables traditionnels fonds sur la prudence, et tomber ainsi dans les vices de la comptabilit crative valeurs raisonnables de march (fair value).

    Cest dans ce contexte quil faut comprendre les mesures rcentes prises tant aux Etats-Unis quen Union Europenne pour adoucir (cest--dire revenir en partie sur) lapplication de la valeur raisonnable dans la comptabilit des entits financires. Mesure bien oriente mais incomplte et prise pour des raisons errones. Les entits financires, en effet, nont ragi que sous la contrainte, cest--dire, lorsque leffondrement de la valeur des actifs toxiques ou illiquides a menac leur solvabilit. Mais elles taient enchantes des nouvelles NIC durant les annes prcdentes d exubrance irrationnelle o les valeurs boursires et financires croissantes et absurdes leur ont permis dexhiber dans leurs bilans des profits et patrimoines propres trs importants qui les ont, leur tour, encourags assumer des risques sans presque aucun contrle. Il est donc vident que les NIC agissent de faon pro cyclique en augmentant la volatilit et en obstruant tort la gestion dentreprise : elles engendrent, durant les priodes de prosprit, un faux effet richesse qui incite assumer des risques disproportionns ; quand, soudain, les erreurs commises se manifestent, la perte de valeur des actifs dcapitalise immdiatement les entreprises qui sont alors obliges de vendre des actifs et dessayer de recapitaliser au plus mauvais moment, cest--dire quand les actifs ont moins de valeur et que les marchs financiers se tarissent. Des principes comptables qui, comme les NIC, se sont rvls aussi perturbateurs doivent tre abandonns ds que possible et il faut revenir sur toutes les rformes comptables nouvellement promulgues et, en particulier, lespagnole entre en vigueur le 1 janvier 2008. Et cela, non seulement cause de limpasse quelles supposent en priode de crise financire et de rcession conomique, mais aussi et

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    surtout parce quil est vital de ne pas abandonner, en priode de prosprit, le principe dvaluation prudente qui a prvalu dans tous les systmes comptables depuis Luca Pacioli, au dbut du XV sicle, jusqu ce que la fausse idole des NIC se soit impose.

    Lerreur la plus grave de la rforme comptable rcemment adopte dans le monde consiste, en somme, faire table rase de sicles dexprience comptable et de gestion dentreprise : elle a substitu le principe de prudence, en tant que principe suprieur parmi tous les principes traditionnels de la comptabilit, par le principe dit de la valeur raisonnable , qui nest autre que lintroduction de la valeur volatile de march pour toute une srie dactifs, en particulier de nature financire. Ce changement copernicien est terriblement nocif et menace les bases mmes de lconomie de march pour les raisons suivantes. Dabord, la violation du principe traditionnel de prudence et lobligation de comptabiliser des valeurs de march font que, selon les circonstances du cycle conomique, les valeurs de bilan se gonflent avec des plus-values qui ne se sont pas ralises et qui, souvent, ne se raliseront pas. L effet richesse artificiel que cela peut engendrer, en particulier durant les tapes dessor de chaque cycle conomique, induit la distribution de profits fictifs ou simplement conjoncturels, la prise de risques disproportionns et, en somme, la commission derreurs entrepreneuriales systmatiques et la consommation du capital de la nation, au dtriment de sa saine structure productive et de sa capacit de croissance long terme. Deuximement, il faut insister sur le fait que le but de la comptabilit nest pas de reflter les prtendues valeurs relles (en tout cas subjectives et qui sont dtermines et varient quotidiennement dans les marchs correspondants) sous prtexte dobtenir une transparence comptable mal comprise, mais de permettre la gestion prudente de chaque entreprise et dviter la consommation de capital,1 en appliquant des critres stricts de conservatisme comptable (fonds sur le principe de prudence et sur la comptabilisation au cot historique ou la valeur de march, selon celui qui est le plus bas) garantissant tout moment que le profit rpartir provient dun solde positif sr dont la distribution ne mettra nullement en pril la viabilit et la capitalisation future de lentreprise. Troisimement, il faut rappeler quil ny a pas dans le march de prix dquilibre pouvant tre dtermins objectivement par un tiers. Les valeurs de march sont, au contraire, le rsultat dapprciations subjectives et sont soumises de fortes oscillations, en sorte que leur application en matire de comptabilit limine en grande partie la clart, la scurit et linformation quoffraient autrefois les bilans. Ceux-ci sont devenus, dans une large mesure, incomprhensibles et inutilisables pour les agents conomiques. En outre, la volatilit propre aux valeurs de march, surtout au cours du cycle conomique, fait perdre la comptabilit fonde sur les nouveaux principes une bonne partie de sa virtualit comme guide daction pour les gestionnaires de lentreprise. Elle les induit systmatiquement commettre de graves erreurs de gestion qui ont failli engendrer la crise financire la plus grave qui ait frapp le monde depuis 1929.

    * * * Le chapitre 9 de ce livre (p. 462-502) dessine un projet de transition vers le seul

    ordre financier mondial qui, pleinement compatible avec le systme de la libert dentreprise, soit capable dliminer les crises financires et les rcessions conomiques qui affectent cycliquement les conomies du monde. Cette rforme financire internationale propose dans notre livre est devenue dune actualit brlante ces temps-ci (novembre 2008) o les gouvernements dconcerts dEurope et dAmrique ont organis une Confrence mondiale pour rformer le systme montaire international afin dviter la rptition future de crises financires et bancaires aussi

    1 Voir en particulier F. A. Hayek, The Maintenance of Capital (Economica, II, aot 1934), rdit dans Profits, Interest and Investment and other Essays on the Theory of Industrial Fluctuations, Augustus M. Kelley, New Jersey 1979 (1 dition de George Routledge & Sons, Londres 1939), et spcialement la section 9 Capital accounting and monetary Policy, p. 130-132.

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    graves que celle qui secoue actuellement le monde occidental. Pour les raisons exposes en dtail dans les neuf chapitres de ce livre, toute la rforme future est voue un chec aussi lamentable que les rformes antrieures, si elle ne cherche pas la solution de la racine mme des problmes actuels en se fondant sur les principes suivants : 1 le rtablissement dun coefficient de caisse de 100 pour cent pour tous les dpts bancaires vue et quivalents ; 2 llimination des banques centrales comme prteurs en dernier recours (inutiles si lon applique le principe prcdent et nocives si elles continuent dagir comme organes de planification financire centrale) ; et 3 la privatisation de lactuelle monnaie monopoliste et tatique de type fiduciaire et sa substitution par un talon-or classique. Cette rforme, radicale et dfinitive, supposerait, pour ainsi dire, lachvement de la chute du mur de Berlin et du socialisme rel survenue en 1989 : on appliquerait les mmes principes fonds sur la libralisation et la proprit prive au seul domaine -le domaine financier et bancaire- rest jusquici ancr dans la planification (des banques dites, pour cette raison, centrales ), linterventionnisme extrme (fixation des taux dintrt, enchevtrement des rglementations administratives) et le monopole tatique (lois de cours forc qui obligent accepter la monnaie fiduciaire actuelle mise par ltat), avec les consquences ngatives que tout le monde connat.

    Il faut galement souligner que le processus de transition prsent dans le dernier chapitre pourrait aussi permettre demble le sauvetage (bailing out) du systme bancaire actuel en vitant son effondrement rapide et, avec lui, la contraction montaire subite et invitable qui se produirait si, dans un contexte de perte gnralise de confiance des dposants, un volume significatif de dpts bancaires venait disparatre. Cet objectif court terme, que les gouvernements occidentaux sefforcent dsesprment datteindre aujourdhui avec les plans les plus divers (achats massifs dactifs bancaires toxiques , garantie de tous les dpts, ou simplement nationalisation partielle ou totale du systme bancaire priv), pourrait tre atteint de faon beaucoup plus effective, rapide et inoffensive pour lconomie de march si lon excutait immdiatement la premire tape de la rforme propose dans ce livre (p. 491) : la consolidation de la totalit des dpts actuels ( vue et quivalents) des banques par la remise de leur quivalent en espces celles-ci, afin quelles maintiennent un coefficient de caisse de 100 pour cent pour ces dpts. Comme lexplique le graphique IX-2 de ce chapitre, qui dcrit ce que serait le bilan agrg du systme bancaire partir de la consolidation, celle-ci ne serait nullement inflationniste (car la monnaie nouvellement cre serait en quelque sorte strilise pour rpondre, comme collatral, tout retrait subit de dpts) et librerait, de surcrot, tous les actifs de la banque ( toxiques ou pas) qui apparaissent actuellement comme collatraux des dpts vue (et quivalents) dans les bilans des banques prives. Le chapitre 9 propose, dans lhypothse o la transition vers le nouveau systme seffectue dans des circonstances normales non affliges dune crise financire comme celle daujourdhui, que les actifs librs fassent partie de fonds dinvestissement crs ad hoc et grs par la banque pour changer ses participations contre les titres vifs de la dette publique et des autres obligations implicites drives du systme public de scurit sociale (p. 494). Cependant, en ces moments de grave crise financire et conomique, il est possible non seulement dannuler dans ces fonds les actifs toxiques , mais galement de consacrer une partie du reste permettre aux pargnants (pas les dposants puisque leurs dpts seraient dj consolids 100 pour cent) de pouvoir rcuprer une grande partie de la valeur perdue dans leurs investissements (dans le cadre, en particulier, des prts faits aux banques commerciales, banques dinvestissement et socits de portefeuille). Ces mesures rtabliraient immdiatement la confiance, et il y aurait un excdent significatif pour faire face lobjectif initial visant changer, en une fois et sans cot, une grande partie de la dette publique mise par les gouvernements. Il faut, en tout cas, formuler un avertissement important : la solution propose nest valable naturellement, et comme nous ne nous lassons pas de le rpter, que dans le contexte dune dcision

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    irrvocable de rtablissement dun systme de banque libre soumise un coefficient de caisse de 100 pour cent pour les dpts vue. Car toute rforme, dentre celles que nous avons cites, ralise sans la pleine conviction et la dcision pralables de modifier le systme financier et bancaire international de la faon indique serait simplement dsastreuse : un systme de banque prive qui continuerait de pratiquer la rserve fractionnaire (orchestre par les banques centrales correspondantes) engendrerait, de faon multiplicatrice et partir des espces cres pour garantir les dpts, une expansion inflationniste comme on nen a jamais vu dans lhistoire et qui porterait le coup de grce tout notre systme conomique.

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    Les considrations prcdentes sont de la plus haute importance et montrent que le prsent Trait est devenu dune grande actualit du fait de la situation critique o se trouve le systme financier international (quoique jeusse, bien videmment, prfr crire le prologue de cette quatrime dition dans des circonstances conomiques tout fait diffrentes). Cela dit, sil est tragique den tre arriv la situation actuelle, il est presque encore plus tragique de constater le dfaut gnral de comprhension des causes des phnomnes qui nous ruinent et, surtout, la confusion et le dsordre rgnant parmi les experts, analystes et la plupart des thoriciens de lconomie. Cest dans ce domaine que jose au moins esprer que les ditions successives de ce livre pourront, en paraissant dans le monde entier2, contribuer la formation thorique de leurs lecteurs, au rarmement intellectuel des nouvelles gnrations et, ventuellement, au remodelage institutionnel si ncessaire de tout le systme montaire et financier des conomies de march actuelles. Sil en est ainsi, non seulement je serai satisfait de leffort ralis mais considrerai comme un grand honneur le fait davoir contribu, si peu que ce soit, un progrs dans la bonne direction.

    Madrid, le 13 novembre 2008 Fte de San Diego de Alcal JESUS HUERTA DE SOTO

    2 A part les quatre ditions en espagnol, depuis la parution de ldition prcdente, la premire dition anglaise de presque 4.000 exemplaires, publie aux Etats-Unis en 2006, a t puise ; la seconde dition de 3.000 exemplaires est dj publie en 2009. Il a, en outre, t publi une traduction russe intitule Dengi, bankovskiy kredit i ekonomicheskie tsikly (Ed. Sotsium, Moscou 2008), due Tatjana Danilova et Grigory Sapov, dition tire initialement 3.000 exemplaires et que jai eu la satisfaction de prsenter le 30 octobre 2008 la Haute Ecole dEconomie de lUniversit dEtat de Moscou. La traduction polonaise due Grzegorz Luczkiewicz est galement termine et les traductions allemande, tchque, italienne, roumaine, hollandaise, chinoise, japonaise et arabe, dj bien avances, verront le jour, si Dieu le veut, dans quelque temps. Je desire remercier ici la traductrice de cette dition franaise, le Professeur Rosine Ltinier.

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    PREFACE A LA TROISIEME EDITION ESPAGNOLE Bien que nous ayons tent de conserver au maximum, dans cette troisime dition

    de Monnaie, crdit bancaire et cycles conomiques,le contenu, la structure et la pagination des deux ditions prcdentes, cela na pas toujours t possible, car nous avons profit de cette nouvelle occasion pour introduire quelques raisonnements et prcisions supplmentaires, aussi bien dans le texte principal que dans quelques notes de bas de page. Nous avons, de mme, mis jour la bibliographie, en y faisant figurer les nouvelles ditions et traductions en espagnol parues au cours des quatre annes coules depuis ldition prcdente ; nous avons galement inclus quelques livres et articles nouveaux, peu nombreux, mais qui concernent spcialement le contenu des sujets traits dans ce livre.3 Enfin, mon ditrice de la version anglaise de Monnaie, crdit bancaire et cycles conomiques,4 Judith Thommesen, a vrifi patiemment et en dtail, dans leurs sources originales, des centaines de citations en anglais et autres langues ; elle a relev un nombre assez important de petits errata, maintenant corrigs, et a contribu de la sorte perfectionner cette troisime dition. Je lui manifeste ici ma profonde gratitude, ainsi quau Dr. Gabriel Calzada, charg de cours lUniversit Rey Juan Carlos, qui a collabor la rvision et la correction de quelques rfrences bibliographiques.

    La conjoncture conomique a t marque, depuis la dernire dition, par la grande inflation fiduciaire et laccroissement des dficits publics ncessaires pour financer la guerre en Irak et faire face laugmentation des dpenses quengendre l tat du bien-tre -afflig de problmes graves et insolubles- dans la plupart des pays occidentaux. La Rserve Fdrale Nord-amricaine a continu manipuler loffre montaire et le taux dintrt qui ont atteint le minimum historique de 1 pour cent, ce qui a empch que la restructuration ncessaire des erreurs dinvestissement commises avant la rcession de lanne 2001 puisse se raliser convenablement. Tout cela a entran, de la part des nouveaux projets dinvestissement entrepris en particulier dans le bassin asiatique et, concrtement, en Chine, la cration dune nouvelle bulle spculative dans les marchs immobiliers, et une augmentation spectaculaire du prix des produits nergtiques et des matires premires, dont la demande, au niveau mondial, est pratiquement illimite. Il semble, donc, que nous nous trouvions la priode typique dinflexion du cycle prcdant toute rcession conomique, ce que confirme encore le trs rcent revirement de la politique montaire de la Rserve Fdrale, qui a augment en quelques mois les taux dintrt jusqu 4 pour cent.

    3 Il faut, parmi ceux-ci, citer spcialement le livre de Roger W. Garrison, Time and Money : The Macroeconomics of Capital Structure, publi Londres et New York par Routledge en 2001, cest--dire trois ans aprs la premire dition espagnole de Monnaie, crdit bancaire et cycles conomiques. Le travail de Garrison, que lon peut considrer comme un manuel compltant le prsent ouvrage, est particulirement remarquable pour le dveloppement quil fait de lanalyse autrichienne du capital et des cycles conomiques dans le contexte des diffrents paradigmes de la macroconomie moderne ; il utilise un point de vue et un langage tout fait conformes ceux utiliss par la mainstream de notre discipline, et contribuera certainement faire connatre aux conomistes en gnral, la ncessit de tenir compte du point de vue autrichien et de ses avantages comparatifs. Mme si lanalyse de Garrison pche, notre avis, par un excs de mcanicisme dans ses explications et nest pas suffisamment justifie du point de vue juridico-institutionnel, nous avons cependant considr opportun dencourager sa traduction espagnole par un groupe de professeurs et de disciples de notre Chaire lUniversit Rey Juan Carlos, dirig par le Dr. Miguel Angel Alonso Neira ; elle a t publie en Espagne sous le titre Tiempo y dinero : la macroeconomia en la estructura del capital, par Unin Editorial (Madrid 2005). 4 Ldition anglaise, Money, Bank Credit, and Economic Cycles, a t magnifiquement publie sous les auspices du Ludwig von Mises Institute, de lUniversit de Auburn, Alabama, en 2006, grce au soutien de son prsident, Lewellyn H. Rockwell.

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    Nous esprons que cette nouvelle dition servira ce que nos lecteurs comprennent mieux les phnomnes conomiques du monde qui les environne, et que les spcialistes et les responsables de la politique conomique actuelle soient convaincus de la ncessit dabandonner le plus tt possible lingnierie sociale dans le domaine montaire et financier. Nous considrerons, dans ce cas, que lun de nos objectifs principaux a t largement accompli.

    Formentor, 28 aot 2005

    JESUS HUERTA DE SOTO

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    PREFACE A LA DEUXIME EDITION ESPAGNOLE La premire dition de ce livre stant rapidement puise, jai le plaisir de

    prsenter aux lecteurs de langue espagnole la deuxime dition de Monnaie, crdit bancaire et cycles conomiques. Afin dviter des confusions et pour faciliter la tche des spcialistes et des chercheurs, cette nouvelle dition conserve le contenu, la structure et la pagination de la premire, quoiquelle ait t rvise intgralement et les errata dcouvertes, corriges.

    Lvolution des vnements conomiques mondiaux de la priode 1999-2000, caractrise par leffondrement des cours de la bourse et lapparition dune rcession affectant simultanment les Etats-Unis, lEurope et le Japon aprs dix ans de grande expansion du crdit et de bulle financire, illustre lanalyse prsente dans ce livre et la rend encore plus claire et plus nette quelle ne ltait lors de sa premire publication la fin de 1998. Mme si les gouvernements et les banques centrales ont ragi lattaque terroriste contre le World Trate Center de New York en manipulant et en rduisant les taux dintrt des niveaux historiquement bas (1,75 pour cent aux Etats-Unis, 0,15 pour cent au Japon et 3 pour cent en Europe), lexpansion fiduciaire massive injecte dans le systme non seulement rendra plus longue et plus difficile la reconversion ncessaire de la structure productive relle mais court aussi le risque dengendrer une dangereuse rcession inflationniste. Notre plus grand dsir, dans ces circonstances conomiques proccupantes, qui se rptent de faon rcurrente depuis lapparition du systme bancaire actuel, est que lanalyse contenue dans ce livre aide le lecteur comprendre et interprter les phnomnes qui lentourent, et quelle puisse avoir une influence positive aussi bien dans lopinion publique que chez mes collgues universitaires et chez les responsables de la politique conomique des gouvernements et des banques centrales.

    Diverses recensions1 ont t publies depuis la publication de la premire dition de ce livre ; je suis trs reconnaissant de leurs commentaires favorables faits par de prestigieux auteurs. Leur dnominateur commun a t dinsister pour quil soit traduit en anglais, ce qui vient de se faire. Nous esprons, que, si Dieu le veut, la premire dition anglaise paratra prochainement aux Etats-Unis, ce qui lui permettra daccder aux milieux universitaires et politiques les plus importants.

    Enfin, le prsent manuel a t utilis avec succs comme livre de cours durant le semestre consacr la thorie montaire, bancaire et des cycles conomiques dans les matires dEconomie Politique et dIntroduction lEconomie, dabord la Facult de Droit de lUniversit Complutense et ensuite la Facult des Sciences Juridiques et Sociales de lUniversit Rey Juan Carlos, lune et lautre Madrid. Nous pensons quon peut facilement extrapoler cette exprience denseignement, fonde sur une optique institutionnelle et nettement multidisciplinaire de la thorie conomique, et en tirer grand profit dans nimporte quels autres cours concernant la thorie bancaire (politique conomique, macroconomie, thorie montaire et du systme financier, etc.) ; cela a t possible grce lintrt et lenthousiasme quont manifest plusieurs centaines de mes tudiants en apprenant et en commentant les enseignements contenus dans ce livre. Je dsire manifester ma reconnaissance eux tous, principaux destinataires de cet ouvrage auquel ils consacrent effort et temps, et je leur souhaite de continuer cultiver leur esprit critique et leur curiosit intellectuelle tout en atteignant

    1 Je dsire remercier expressment de leurs commentaires Leland Yeager (The Review of Austrian Economics, 14 :4, 2001, p. 255), et Jrg Guido Hlsmann (The Quartely Journal of Austrian Economics, t 2000, vol. 3, n 2, pp. 85-88), et Ludwig van den Hauwe (New Perspectives on Political Economy, vol. 2, n2, 2006, pp. 135-141).

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    des tapes de plus en plus leves et enrichissantes dans leur formation humaniste et universitaire2. Madrid, 6 dcembre 2001

    JESUS HUERTA DE SOTO

    2 Lauteur remercie davance de lenvoi de tout commentaire la deuxime dition de son livre ladresse Internet : [email protected].

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    INTRODUCTION Lanalyse conomique des institutions juridiques a acquis une grande importance

    ces dernires annes et constitue lun des domaines les plus fconds et prometteurs de la Science Economique. Bien que loptique traditionnelle du paradigme noclassique ait exerc une forte influence sur une grande partie du travail ralis jusqu prsent, notamment avec lutilisation de la conception purement maximisatrice dans des contextes dquilibre, les analyses conomiques ralises sur les institutions juridiques montrent, peut-tre mieux que dans tout autre domaine de lconomie, les difficults issues de lutilisation de lanalyse traditionnelle. Car les institutions juridiques sont si proches de la vie relle que lutilisation des hypothses traditionnelles de lanalyse conomique prsente de grandes difficults. Nous avons essay ailleurs de montrer les dangers que suppose, notre avis, lutilisation de loptique noclassique dans lanalyse des institutions juridiques5. Nous estimons absolument ncessaire de continuer leffort ralis dans le domaine de lanalyse conomique du droit, mais en tchant dutiliser une mthodologie moins restrictive que celle qui a t utilise jusquici de faon gnrale, et plus adapte lobjet spcifique de recherche qui lui est propre. Cest pourquoi nous considrons que lapplication de la conception subjectiviste, prconise par lEcole Autrichienne dans le cadre du concept essentiel de laction humaine crative ou fonction entrepreneuriale, dans un contexte danalyse dynamique des processus gnraux dinteraction sociale, est la plus intressante et fconde face au futur dveloppement de lanalyse conomique des institutions juridiques.

    Dautre part, les tudes des institutions juridiques ralises jusqu prsent ont eu, pour la plupart, des implications microconomiques, notamment parce quon a utilis telle quelle la mthode analytique traditionnelle de la microconomie noclassique dans le domaine de lanalyse conomique du droit. Cest ce qui sest produit, par exemple, pour lanalyse conomique des contrats et de la responsabilit civile, du droit de la faillite, lanalyse conomique de la famille, et mme celle du droit pnal et de la justice. Il existe trs peu de travaux danalyse conomique du droit dont les implications principales correspondent au domaine de la macroconomie ; la sparation traditionnelle et nocive des aspects micro et macro de la Science Economique se retrouvant en cette matire. Et, cependant, il ne devrait pas en tre ainsi. Dune part, non seulement il faut reconnatre que la Science Economique forme un tout unitaire, dans lequel les aspects macroconomiques doivent tre pleinement intgrs dans leurs fondements microconomiques, mais aussi, et comme nous essaierons de le montrer dans ce livre, il existe des institutions juridiques dont lanalyse conomique entrane une srie dimplications et de conclusions trs importantes concernant essentiellement le domaine de la macroconomie. Ou, autrement dit, mme si lanalyse fondamentale est de type microconomique, ses conclusions et ses effets essentiels sont de nature macroconomique. Ainsi la sparation profonde et artificielle entre les domaines de la micro et de la macroconomie disparat et lon peut raliser, dans le cadre de lanalyse conomique du droit, un traitement thorique unifi des problmes juridiques.

    Cest l lobjectif essentiel de lanalyse conomique concernant le contrat de dpt irrgulier de monnaie que nous nous proposons de raliser, sous ses divers aspects, dans ce livre. Notre analyse prtend aussi clairer un des domaines les plus complexes de la Science Economique : celui de la thorie de la monnaie, du crdit bancaire et des cycles conomiques. Car on peut considrer quune fois le problme du socialisme

    5 Voir Jess Huerta de Soto, La Methodenstreit, o el enfoque austriaco frente al enfoque neoclsico en la Ciencia Econmica, Actas del 5 Congreso de Economa de Castilla y Len (Avila, 28-30 novembre 1996), Servicio de Estudios de la Consejera de Economa y Hacienda, Junta de Castilla y Len, Valladolid 1997, pp.47-83.

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    rsolu6, au moins du point de vue thorique, et limpossibilit de son fonctionnement manifeste empiriquement, le principal dfi thorique pour les conomistes de ce dbut du sicle est prcisment celui du domaine montaire, du crdit et des institutions financires. Et cela parce qutant donn le caractre trs abstrait des relations sociales dans lesquelles la monnaie se trouve implique, celles-ci son trs difficiles comprendre, et le traitement thorique correspondant trs complexe. Dautre part, on a vu se dvelopper, dans le domaine financier et montaire des pays occidentaux, et dans un but coercitif, une srie dinstitutions, essentiellement autour de la banque centrale, la lgislation bancaire, le monopole dmission de monnaie et les lois de cours forc, qui font que le coeur du secteur financier de chaque pays se trouve entirement rgl et, donc, beaucoup plus proche du systme socialiste de planification centrale que de celui dune vritable conomie de march. Par consquent, nous essaierons de le montrer dans ce livre, les arguments concernant limpossibilit du calcul conomique socialiste, dvelopps lorigine par lEcole Autrichienne dEconomie, qui dmontra limpossibilit dorganiser la socit de faon coordonne au moyen dordres coercitifs, sont pleinement applicables en matire financire. Si notre thse est correcte, limpossibilit du socialisme se vrifierait en ce qui concerne le secteur financier et lincoordination, fruit de toute intervention tatique, se manifesterait de faon virulente, cyclique et rcurrente dans les diverses phases dexpansion et de rcession qui affectent traditionnellement les conomies mixtes du monde dvelopp.

    Par ailleurs, tout thoricien qui tente aujourdhui dlucider les causes des cycles conomiques, leur dveloppement, les remdes applicables et les possibilits de prvention est certain dtre au coeur de lactualit. En effet, au moment mme o scrivent ces lignes (novembre 1997), il se produit une grave crise financire et bancaire dans les marchs asiatiques qui menace de stendre lAmrique latine et au reste du monde occidental. Et cela aprs les annes dapparente prosprit conomique survenue la suite des graves crises financires et les rcessions conomiques qui ont frapp le monde au dbut des annes quatre-vingt-dix et, surtout, la fin des annes soixante-dix du sicle dernier. En outre, on nest pas encore arriv comprendre lchelon populaire, politique et cest aussi lavis de nombreux thoriciens de lconomie quelles sont les vritables causes de ces phnomnes, dont lapparition successive et rcurrente sert continuellement de prtexte aux politiques, aux philosophes et aux thoriciens interventionnistes pour condamner lconomie de march et justifier laugmentation de lintervention coercitive de lEtat sur lconomie et la socit.

    Cest pourquoi, du point de vue de la doctrine librale, lanalyse scientifique de la cause des cycles conomiques et, en particulier, la recherche du modle idal de systme financier pour une socit vraiment libre prsente un grand intrt thorique. Car les thoriciens libraux ne se sont pas encore mis daccord dans ce domaine ; il existe de grandes diffrences dopinion sur la question de savoir sil faut maintenir la banque centrale ou sil vaudrait mieux la remplacer par un systme de banque libre et, dans ce dernier cas, quel type de rgles les agents conomiques intervenant dans un systme financier entirement libre devraient tre soumis. La banque centrale apparat historiquement comme le rsultat dune srie dinterventions coercitives manant du gouvernement, mme sil est vrai que diffrents agents du secteur financier (en particulier les banques prives) sont intervenus de faon dcisive dans le mme sens ; ils ont souvent considr ncessaire de rclamer lappui de lEtat pour garantir la stabilit de leurs affaires durant les priodes de crise conomique. Cela signifie-t-il que la banque centrale est un rsultat volutif invitable de lconomie de march libre ? Ou, plutt, que la faon particulire des banquiers privs de mener leurs affaires, corrompue, un certain moment, du point de vue juridique, a permis le dveloppement dune activit financire incapable de se maintenir sans la garantie dun prteur de

    6 Jess Huerta de Soto, Socialismo, clculo econmico y funcin empresarial, Unin Editorial, 3 dition, Madrid 2005.

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    dernier recours? Ces questions-l prsentent, avec dautres, un intrt thorique de premier ordre et doivent faire lobjet dune analyse des plus minutieuses. En somme, il sagit, entre autres choses, de dvelopper un programme de recherche qui permette de dcouvrir quel doit tre le systme financier et bancaire dune socit libre.

    Le travail de recherche prsent dans ce livre prtend tre multidisciplinaire. Nous devrons nous baser non seulement sur ltude de la science juridique et lhistoire du droit, mais aussi sur la thorie conomique, et en particulier la thorie de la monnaie, du capital et des cycles conomiques. Notre analyse nous permettra aussi dinterprter diffremment une partie de lhistoire des faits conomiques lis au monde financier, et de mieux comprendre lvolution de certains courants de lhistoire de la pense conomique, tout comme le dveloppement de diffrentes techniques de la comptabilit et de la pratique de lactivit bancaire. Il faut combiner de nombreuses branches et disciplines de la connaissance pour comprendre correctement le phnomne financier, et nous les tudierons selon la triple perspective, historico-volutive, thorique et morale, que je considre ncessaire pour comprendre tout phnomne social7.

    Ce livre est divis en neuf chapitres. Le premier traite de la nature juridique du contrat de dpt irrgulier de monnaie, et tudie spcialement ses principales caractristiques diffrentielles par rapport au contrat de prt ou mutuum. Ce chapitre explique aussi quelle est la diffrente logique juridique immanente ces deux institutions, leur incompatibilit essentielle, et comment leur distincte rglementation appartient des principes universels et traditionnels du droit dcouverts et labors lpoque du droit romain classique.

    Le deuxime chapitre est une tude de lhistoire des faits conomiques. Il analyse la faon dont le principe traditionnel du droit rglant le contrat de dpt irrgulier sest corrompu au cours des temps, fondamentalement cause de la tentation laquelle ont t soumis les premiers banquiers dutiliser les fonds de leurs dposants pour leur propre compte. Lintervention du pouvoir politique, toujours avide de nouvelles ressources financires, tient aussi un rle trs important dans ce processus : il sadresse aux banquiers qui gardent les dpts dautrui pour en profiter, et leur accorde toutes sortes de privilges, en particulier celui dutiliser pour leur propre compte les fonds de leurs dposants ( condition, bien sr, quune part substantielle de telle utilisation consiste prter les dpts au pouvoir politique). On montre ainsi, dans ce chapitre et trois moments diffrents (lpoque classique grecque et romaine, celle de la renaissance de la banque dans les villes italiennes du Moyen Age puis de la renaissance de la banque lEpoque Moderne), le processus de corruption des principes traditionnels du droit rgissant le contrat bancaire de dpt irrgulier de monnaie et les effets conomiques qui sen sont suivis.

    Le troisime chapitre tudie, du point de vue juridique, les diffrentes tentatives de la doctrine de crer un nouveau type de contrat ; on prtendrait y insrer le contrat de dpt bancaire de monnaie, afin de justifier le prt, fait par la banque des tiers, des quantits dposes vue. Notre but est de montrer que ces tentatives tombent dans une contradiction logique insoluble, et sont donc voues lchec. Nous expliquerons aussi comment la pratique privilgie de la banque, dont on analyse lvolution au chapitre prcdent, permet de comprendre les profondes contradictions et la pauvret thorique du dveloppement doctrinal de la nature juridique du contrat de dpt irrgulier de monnaie depuis le Moyen Age jusque pratiquement lheure actuelle. Nous tudierons donc en dtail les diffrentes tentatives de cration dune figure juridique sui generis capable de rgler de faon logique et sans contradictions le dpt bancaire de monnaie tel quil se pratique aujourdhui. Nous concluons que de tels essais nont pas pu russir, car la pratique bancaire actuelle se fonde, prcisment, sur linaccomplissement de principes immanents et traditionnels du droit de proprit, qui ne peuvent tre viols

    7 Jai expos la thorie des trois niveaux dapproche de la problmatique sociale dans Jess Huerta de Soto, Historia, ciencia econmica y tica social, Estudios de economa poltica, Unin Editorial, Madrid 1994, chap. VII, pp. 105-109.

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    impunment sans entraner dimportantes consquences ngatives dans les processus dinteraction sociale.

    Lessentiel de lanalyse conomique du contrat de dpt bancaire est trait dans les chapitres quatre, cinq, six et sept ; ils tudient la faon dont cette institution juridique sest dveloppe au cours de lhistoire, cest--dire en utilisant, au mpris des principes traditionnels du droit, un coefficient de rserve fractionnaire. Nous expliquerons dans ces chapitres pourquoi cette grande intuition de Hayek, daprs laquelle, chaque fois quon viole un principe traditionnel du droit, dimportantes consquences prjudicielles la coopration sociale finissent par se produire, est correcte dans le domaine bancaire ; nous analyserons ainsi, du point de vue thorique, quels sont les effets quexerce la pratique bancaire actuelle de violation des principes traditionnels du droit dans le contrat de dpt de monnaie sur la cration de monnaie, la coordination intra et intertemporelle du march, la fonction entrepreneuriale et les cycles conomiques. Nous concluons que les tapes successives de prosprit, crise et rcession conomique, qui affectent le march de faon rcurrente, trouvent prcisment leur origine dans la violation du principe traditionnel du droit sur lequel le contrat de dpt bancaire de monnaie devrait se fonder, et, donc, dans le privilge dont bnficient les banquiers et quils ont obtenu des gouvernements pour des raisons dintrt mutuel. Nous tudierons en dtail, dans cette partie, la thorie du cycle conomique, et procderons une analyse critique des explications quont donnes les coles montariste et keynsienne de ce type de phnomnes.

    Le chapitre huit est consacr ltude de la banque centrale en tant que prteur en dernier ressort. Il sagit dune institution dont lapparition est dtermine par la force des vnements. Les consquences ngatives de la violation des principes qui doivent rgir le contrat de dpt irrgulier sont si importantes et invitables que les banquiers privs se sont vite rendu compte quils devaient avoir recours au gouvernement, afin quil mette en place une institution qui agisse en leur faveur comme prteur en dernier recours et les soutienne dans les priodes de crise, qui, lexprience le montre, finissent toujours par se produire. Nous tcherons donc de montrer que lapparition de la banque centrale nest pas un rsultat spontan des institutions du march, mais quelle est, au contraire, impose de force par le gouvernement et rpond aux demandes de puissants groupes dintrt. On analyse galement, dans ce chapitre, le systme financier actuel fond sur la banque centrale et on lui applique lanalyse conomique concernant limpossibilit thorique du socialisme. En effet, le systme financier actuel se fonde sur le monopole, en faveur dun organisme gouvernemental, des principales dcisions concernant le type et la quantit de monnaie et de crdit que lon va crer et injecter dans le systme conomique. Il sagit, par consquent, dun systme de planification centrale du march financier, et donc hautement contrl, et en grande mesure socialiste ; il sera inexorablement affect par le thorme de limpossibilit du calcul conomique socialiste, daprs lequel il est impossible de coordonner un domaine quelconque de la socit, et en particulier le domaine financier, au moyen dordres coercitifs, car il est impossible que lorgane recteur (dans ce cas la banque centrale) parvienne obtenir linformation ncessaire pour ce faire. Le chapitre se termine par une analyse de la rcente polmique banque centrale-banque libre, et montre que la plupart des thoriciens actuels de la banque libre nont pas compris que leur thse perd beaucoup de sa virtualit et de son poids thorique si on nexige pas en mme temps le retour aux principes traditionnels du droit, cest--dire lexercice de la banque avec un coefficient de caisse de 100 pour cent. Car la libert est insparable de son exercice responsable dans le cadre dune stricte observation des principes juridiques traditionnels.

    Le neuvime et dernier chapitre propose un modle idal et cohrent de systme financier qui respecte les principes traditionnels du droit et se fonde, par consquent, sur lexercice de lactivit bancaire avec un coefficient de caisse de 100 pour cent. On analyse galement les arguments qui sopposent, divers points de vue, notre proposition ; on en fait la critique tout en expliquant comment pourrait seffectuer, avec

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    un minimum de tensions, la transition du systme actuel au systme idal propos. Le travail se termine par des considrations complmentaires concernant les avantages du systme financier propos et lapplication des principes tudis dans ce livre certains problmes pressants dintrt pratique, comme la cration dun nouveau systme montaire europen, ou dun systme financier moderne dans les anciennes conomies socialistes ; elles sont accompagnes dun rsum des conclusions principales de louvrage.

    Une version rsume de la thse essentielle de ce livre a t expose pour la premire fois dans une communication faite devant la Mont Plerin Society, Rio de Janeiro en septembre 1993, et a obtenu le soutien de James M. Buchanan, ce dont je lui suis trs reconnaissant. Une version crite de cette communication a t publie en partie en espagnol dans l Introduction Critique de la premire dition espagnole du livre de Vera C. Smith sur Les fondements de la banque centrale et de la libert bancaire8 ; elle a t publie ensuite en franais sous forme darticle et sintitule Banque centrale ou banque libre : le dbat thorique sur les rserves fractionnaires 9.

    Je dsire remercier ma collgue de la Facult de Droit de lUniversit Complutense de Madrid, le professeur Mercedes Lpez Amor, de laide quelle ma apporte dans ma recherche de sources et de bibliographie sur le traitement que le dpt irrgulier de monnaie reut en droit romain. Mon ancien professeur Pablo Martin Acea, de lUniversit dAlcal de Henares, ma lui aussi guid dans mon tude de lvolution de la banque au cours du Moyen Age. Luis Reig, Rafael Manzanares, Jos Antonio de Aguirre, Jos Luis Feito, Richard Adamiak de Chicago et les professeurs Murray N. Rothbard (dcd) et Hans-Hermann Hoppe, de lUniversit de Las Vegas au Nvada, Manuel Gurdiel de lUniversidad Complutense de Madrid, Pablo Vzquez de lUniversidad de Cantabria, Enrique Menndez Urea de lUniversidad Comillas, James Sadowsky de la Fordham University, Pedro Tenorio de la U.N.E.D., Rafael Termes de lI.E.S.E., Raimondo Cubbedu de lUniversit de Pise, Rafal Rubio de Urqua de lUniversidad Autonoma de Madrid, Jos Antonio Garca Durn de lUniversidad Central de Barcelone et lrudit Jos Antonio Linage Conde, de lUniversidad de San Pablo-C.E.U., mont beaucoup aid par leurs suggestions et en me procurant livres, articles et rfrences bibliographiques rares sur des sujets bancaires et montaires. Mes tudiants de doctorat la Facult de Droit de lUniversidad Complutense de Madrid, et en particulier Elena Sousmatzian, Xavier Sampedro, Luis Alfonso Lpez Garca, Rben Manso, Angel Luis Rodrguez, Csar Martnez Meseguer, Juan Ignacio Funes, Alberto Recarte et Esteban Gndara, ainsi que les professeurs Oscar Vara, Javier Aranzadi et Angel Rodrguez mont fait dinnombrables suggestions et ont fait le grand effort de corriger les erratas des diffrentes versions premires du manuscrit. Je veux manifester tous ma gratitude et les affranchis, naturellement, de toute responsabilit quant au contenu final de louvrage.

    Je dsire enfin remercier Sandra Moyano, Ann Lewis et Yolanda Moyano, qui ont pass la machine et corrig les diffrentes versions du manuscrit, pour leur

    8 Vera C. Smith, Fundamentos de la banca central y de la libertad bancaria, Unin Editorial/Ediciones Aosta, Madrid 1993, pp.27-42. 9 Jess Huerta de Soto, Banque centrale ou banque libre: le dbat thorique sur les rserves fractionnaires , dans le Journal des conomistes et des tudes humaines, Paris et Aix-en-Provence, vol. V, n2/3, juin-septembre 1994, pp.379-391. Ce travail a t publi en espagnol sous le titre La teora del banco central y de la banca libre , dans mes Estudios de Economa poltica, op. cit., chap. XI, pp.129-143. Deux nouvelles versions de cet article ont t publies plus tard, lune en anglais, sous le titre A Critical Analysis of Central Banks and Fractional Reserve Free Banking from the Austrian School Perspective , dans The Review of Austrian Economics, vol. 8, n 2, 1995, pp.117-130 ; et lautre en roumain, due Octavian Vasilescu, Bnci centrale i sistemul de free-banking cu rezerve fracionare : o analiz critic din perspectiva colii Austriece , Polis : Revista de tiine politice, vol. 4, n 1, Bucarest 1997, pp.145-157.

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    collaboration et leur patience ; et je remercie, surtout, et comme toujours, mon pouse, Sonsoles, qui ce livre est ddicac, pour son aide, sa comprhension et ses encouragements permanents tout au long de sa prparation.

    Formentor, 15 aot 1997 JESUS HUERTA DE SOTO

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    CHAPITRE I

    NATURE JURIDIQUE DU CONTRAT DE DEPOT IRREGULIER DE MONNAIE

    1. UNE PRECISION TERMINOLOGIQUE : LES CONTRATS DE PRT (MUTUUM ET COMMODAT) ET LES CONTRATS DE DEPOT

    Selon le Dictionnaire de la Real Academia Espaola, le prt est la chose ou largent

    qui est remise une autre personne pour quelle en use et la restitue ensuite.10 On considre traditionnellement quil existe deux types de prt : le prt usage, dans lequel seul se transfre lusage de la chose prte, et qui comporte lobligation de la rendre une fois quon en a us ; et le prt de consommation, dans lequel la proprit de la chose prte est transfre; celle-ci est remise pour tre consomme, de sorte que lobligation de restitution consiste remettre une chose de mme quantit et qualit que celle qui a t reue et consomme.11

    Le commodat

    On appelle commodat (du latin commodatum) le contrat rel et de bonne foi par

    lequel une personne le commodant remet une autre le commodataire une chose dtermine afin quil en use gratuitement pendant une certaine priode, au terme de laquelle il devra la rendre, cest--dire quil devra rendre cette mme chose.12 Le contrat est dit rel parce quil exige la remise de la chose ; un exemple de ce contrat : je prte ma voiture un ami pour quil fasse un voyage. Il est clair que, dans ce cas, le commodant reste propritaire de la chose prte, et que lobligation de celui qui la reoit est den user correctement et de la rendre (la voiture prte) lexpiration du dlai prtabli (fin du voyage). Les obligations de mon ami, le commodataire, sont de conserver la chose (la voiture) diligemment, den faire un usage appropri (respecter le code de la route et traiter la voiture comme sil en tait le propritaire) et la rendre lexpiration du commodat (fin du voyage).

    Le mutuum

    Mme si le commodat a une certaine importance pratique, le prt de choses

    fongibles13 et consommables, comme lhuile, le bl et, surtout, largent, a une plus grande importance conomique. On appelle mutuum (mot latin) le contrat par lequel une personne le prteur- remet une autre -lemprunteur- une certaine quantit de choses fongibles, charge pour celui-ci de restituer, au terme dun dlai dtermin, une

    10 Diccionario de la Real Academia Espaola, Espasa Calpe, Madrid 1992, p.1179, premire acception du mot prter. 11 Manuel Albaladejo, Derecho civil II, Derecho de obligaciones, vol. II, Los contratos en particular y las obligaciones no contractuales, Librera Bosch, Barcelona 1975, p. 304. 12 Juan Iglesias, Derecho romano: Instituciones de derecho privado, 6 dition revue et augmente, Ediciones Ariel, Barcelone 1972, pp.408-409. 13 Sont fongibles les choses qui peuvent tre remplaces par dautres de la mme catgorie. Cest--dire celles quon ne considre pas individuellement, mais en fonction de leur quantit, poids ou mesure. Les romains disaient qutaient fongibles les choses quae in genere suo functionem in solutione recipiunt, cest--dire les res quae pondere numero mensurave constant. Les choses consommables sont souvent fongibles.

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    quantit quivalente quant sa nature et sa qualit (en latin le tantundem). Un exemple typique de mutuum est donn par le contrat de prt dargent, bien fongible par excellence. En vertu de ce contrat, on remet aujourdhui une quantit dunits montaires une autre personne, et on transfre ainsi la proprit et la disponibilit de largent de celui qui concde le prt celui qui le reoit. Celui-ci a la facult de consommer largent prt ou den disposer comme du sien propre, et sengage restituer, au terme dun certain dlai, le mme nombre dunits montaires que celles quon lui a prtes. Dans le mutuum, prt de biens fongibles, il y a donc un change de biens prsents contre des biens futurs . Cest pourquoi, la diffrence de ce qui se passe dans le commodat, ltablissement du pacte dintrts est normale dans le mutuum ; car, en vertu de la catgorie de la prfrence temporelle (selon laquelle, en galit de circonstances, on prfre toujours les biens prsents au biens futurs), les hommes ne seront, en gnral, disposs renoncer aujourdhui une certaine quantit dunits dun bien fongible quen change dun nombre suprieur dunits de biens fongibles dans le futur ( lexpiration du dlai). Par consquent, la diffrence entre le nombre dunits remises originairement et celles reues de lemprunteur la fin du dlai est, prcisment, lintrt. En rsum, le prteur assume, dans le mutuum, lobligation de remettre la quantit dunits prtablie lemprunteur, moins que la remise ne fasse partie du contrat lui-mme. Lemprunteur qui reoit le prt assume lobligation de restituer lquivalent de la mme espce et qualit (tantundem), au moment o le mutuum prend fin. Il est galement tenu au paiement dintrts, pourvu que ceux-ci, comme cest lhabitude, aient t fixs. Lobligation essentielle dans le prt de biens fongibles ou mutuum est de restituer, une fois coul le dlai du prt, lquivalent de ce quon a reu et de la mme espce et qualit, mme si son prix a vari. Cela signifie que lemprunteur, ntant oblig qu la restitution du tantundem au terme dun certain dlai, bnficie temporairement de la condition de propritaire de la chose et donc de la pleine disposition de celle-ci. De plus, lexistence dun dlai dtermin est un lment essentiel du prt ou mutuum, car il tablit la priode de temps pendant laquelle la disponibilit et proprit de la chose sera de lemprunteur, ainsi que le moment partir duquel celui-ci sera oblig de restituer le tantundem. On ne peut pas concevoir lexistence du contrat de mutuum ou prt sans que soit tabli, de faon explicite ou implicite, un dlai dtermin.

    Le contrat de dpt

    Alors que les contrats de prt (dans leurs deux versions de commodat et mutuum)

    supposent la transmission de la disponibilit de la chose, qui passe du prteur lemprunteur pendant un certain temps, il existe un autre contrat, le contrat de dpt, dont la caractristique essentielle est que la disponibilit ne se transmet pas. En effet, le contrat de dpt (en latin depositum) est un contrat de bonne foi par lequel une personne le dposant remet une autre le dpositaire une chose meuble, pour quelle la garde, veille sur elle et la lui rende au moment quelconque o il la lui rclamera. Le dpt a donc toujours lieu dans lintrt du dposant ; il a pour but essentiel la garde ou surveillance de la chose et maintient, tant quil dure, la complte disponibilit de la chose en faveur du dposant, de sorte que celui-ci peut rclamer sa restitution nimporte quel moment. Lobligation du dposant est, mis part la remise de la chose, de rembourser les frais du dpt celui qui le reoit (si le remboursement a t prvu, car, sinon, le contrat sera gratuit). Lobligation du dpositaire est de garder la chose reue et de veiller sur elle avec la diligence propre dun bon pre de famille, et de la restituer au dposant au moment mme o il la lui rclamera. Il est clair qu la diffrence du prt, il ny a pas, dans le dpt, de dlai pendant lequel la disponibilit de la chose se trouve transfre ; celle-ci est, au contraire, constamment surveille et disponible pour le dposant, et le dpt prend fin ds quil rclame la restitution de la chose au dpositaire.

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    2. LE CONTRAT DE DEPOT DE CHOSES FONGIBLES OU CONTRAT DE DEPOT IRREGULIER

    Il est souvent intressant, dans la vie courante, de dposer non pas des corps

    certains (comme pourraient ltre un tableau, un bijou ou un coffre scell rempli de monnaies), mais des biens fongibles (comme peuvent ltre des hectolitres dhuile, des mtres cubes de gaz, des quintaux de bl ou des millions deuros). Le dpt de biens fongibles reste, sans aucun doute, un dpt, dans la mesure o il conserve, comme lment essentiel, la pleine disponibilit de la chose dpose en faveur du dposant de mme que lobligation de garde et de surveillance avec la plus grande diligence de la part du dpositaire. La seule diffrence qui le distingue du dpt rgulier ou de corps certains est que, dans le cas de dpt de choses fongibles, celles-ci sont indissolublement mlanges dautres de mme genre et qualit (ainsi, par exemple, dans le magasin de grains ou de bl, dans le dpt dhuile, ou dans la caisse du banquier). Ce mlange indistinct entre diffrentes units dposes, de mme genre et qualit, permet de considrer quil se produit, dans le dpt de biens fongibles, un transfert de proprit de la chose dpose. Car, lorsque le dposant va retirer ce quil a dpos, il doit se contenter, naturellement, de recevoir lquivalent exact, en quantit et qualit de ce quil a dpos originairement, mais il ne recevra, en aucun cas, les units spcifiques quil a remises, car leur caractre fongible ne permet pas de les individualiser, une fois mles indistinctement au reste du stock du dpositaire. Cest pourquoi, on a appel le dpt de biens fongibles, qui conserve les caractristiques essentielles du contrat de dpt, mais dont varie un des lments caractristiques (dans le contrat de dpt rgulier ou de corps certain, la proprit ne se transmet pas ; le dposant la conserve, tandis que dans le dpt de biens fongibles, on peut considrer que la proprit est transfre au dpositaire) dpt irrgulier .14 Cependant, il faut insister sur le fait que lessence du dpt demeure inaltre et que le dpt irrgulier participe pleinement de la nature essentielle de tout dpt, qui consiste en lobligation de garde ou surveillance. En effet, il existe toujours, dans le dpt irrgulier, une disponibilit immdiate en faveur du dposant qui peut, tout moment, aller lentrept de bl, au dpt dhuile ou la caisse de la banque et retirer lquivalent des units quil a remises originairement. Ce sera lquivalent exact tant en quantit quen qualit du bien remis ou, comme disaient les romains, le tantundem eiusdem generis, qualitatis et bonitatis.

    Fonction conomique et sociale des dpts irrguliers

    Les dpts de biens fongibles, comme largent, appels aussi dpts irrguliers,

    llment essentiel de la garde remplissent une importante fonction sociale, que ne peuvent pas remplir les dpts rguliers entendus comme dpts de corps certains. Ainsi, il serait trs coteux et peu sens de dposer lhuile dans des rcipients spars et numrots (cest--dire sous forme de dpts ferms non translatifs de la proprit),

    14 Mon tudiant, Csar Martnez Meseguer, ma convaincu quune autre solution valable du problme qui nous occupe est de considrer quil ny a pas de transfert vritable de la proprit dans le dpt irrgulier, mais que celle-ci se rapporte abstraitement au tantundem ou quantit de la chose dpose, et, comme telle, reste toujours attache au dposant et ne se transfre pas. Cest cette solution, par exemple, qui est recueillie dans le cas de commixtion prvu par larticle 381 de notre Code Civil, qui admet que ...chaque propritaire acquerra un droit proportionnel la part qui lui correspond . Bien quon ait considr traditionnellement autre chose dans le dpt irrgulier (le transfert effectif de la proprit sur des units physiques), il semble plus correct dadmettre que la proprit puisse tre dfinie dans les termes plus abstraits de larticle 381 du Code Civil, auquel cas on peut considrer quil ne se produit pas de transfert de proprit lorsquon effectue un dpt irrgulier. Ce point de vue semble tre celui de Luis Dez-Picazo et Antonio Gulln, Sistema de derecho civil, vol.II, Editorial Tecnos, Madrid 1989 (sixime dition), pp.469-470.

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    ou de mettre les billets dans une enveloppe ferme qui indiquerait leur numrotation individuelle. Bien que nous soyons, dans ces cas extrmes, en prsence dun dpt rgulier non translatif de proprit, on perdrait le bnfice de lnorme efficacit et de la rduction de cots que suppose le traitement conjoint et indistinct des diffrents dpts, sans que cela implique aucun cot ni aucune perte de disponibilit pour le dposant, qui est aussi content sil reoit, quand il le demande,15 un tantundem quivalent en quantit et qualit, mais dont le contenu spcifique nest pas identique ce qui a t remis lorigine. Il existe, en outre, dautres avantages en faveur du dpt irrgulier. Dans le dpt rgulier ou de corps certains, le dpositaire ne rpond pas de la perte de la chose remise dans lhypothse dun cas fortuit ou de force majeure, alors que, dans le dpt irrgulier, le dpositaire rpond mme du cas fortuit, de sorte que le dpt irrgulier ajoute, dune certaine manire, aux avantages traditionnels de disponibilit immdiate et de surveillance du dpt, le caractre dune assurance, dans lhypothse de perte par cas fortuit.16

    Elment essentiel du dpt irrgulier de monnaie

    Lobligation de garde et surveillance, lment essentiel de tout dpt, se concrtise,

    dans le dpt irrgulier, par une obligation de maintenir sans cesse une disponibilit complte du tantundem en faveur du dposant. Autrement dit, de mme que dans le dpt rgulier le corps certain dpos doit tre gard constamment, avec diligence et in individuo, dans le dpt de biens fongibles, cest le tantundem ou quivalent en quantit et qualit de ce qui a t dpos qui doit tre gard constamment, surveill et maintenu disposition du dposant. Cela signifie que la surveillance dans les dpts irrguliers consiste dans lobligation de tenir disposition du dposant une quantit et qualit gale celle qui a t remise. Ce tenir constamment disposition du dposant une quantit et qualit de choses gale celle qui a t reue , mme si elles sont renouveles ou remplaces, quivaut pour les choses fongibles ce que reprsente pour les non fongibles lexistence de la chose in individuo. Autrement dit, le propritaire de lentrept de bl ou du dpt dhuile pourra disposer de lhuile ou du bl mmes quon lui a remis, soit pour son propre usage, soit pour le restituer un autre dposant, pourvu quil en maintienne la disposition du dposant originaire une quantit et qualit gale celle qui a t dpose. La mme rgle sapplique dans le cas du dpt de monnaie. Si je te donne en dpt un billet de 500 euros, on peut considrer que je te transfre la proprit de ce mme billet, que tu pourras utiliser pour tes propres dpenses ou pour en faire quelque autre usage, pourvu que tu conserves une quantit quivalente, de 500 euros, (sous la forme dun autre billet ou de cinq billets de cent euros) afin de pouvoir me payer immdiatement et sans pouvoir allguer aucune excuse, au moment prcis o je te rclamerai le remboursement.17

    15 Dans le cas concret du dpt irrgulier de monnaie, il faut ajouter ces avantages celui qui rsulte du service ventuel de caisse quoffrent, de faon gnrale, les banquiers dpositaires. 16 Comme lindique justement Pasquale Coppa-Zuccari, a differenza del deposito regolare, lirregolare gli garantisce la restituzione del tantundem nella stessa specie e qualit, sempre ed in ogni caso... Il deponente irregolare garantito contro il caso fortuito, contro il quale il depositario regolare non lo garantisce; trovasi anzi in una condizione economicamente ben pi fortunata che se fosse assicurato. Voir Pasquale Coppa-Zuccari, Il deposito irregolare, Biblioteca dellArchivio Giuridico Filippo Serafini, vol. VI, Modne 1901, pp.109-110. 17 Coppa-Zuccari a peut-tre exprim mieux que quiconque ce principe essentiel du dpt irrgulier, lorsquil a dit que le dpositaire risponde della diligenza di un buon padre di famiglia indipendentemente da quella che esplica nel giro ordinario della sua vita economica e giuridica. Il depositariio invece, nella custodia delle cose ricevute in deposito, deve spiegare la diligenza, quam suis rebus adhibere solet. E questa diligenza diretta alla conservazione delle cose propie, il depositario esplica: in rapporto alle cose infungibili, con limpedire che esse si perdano o si deteriorino ; il rapporto alle fungibili, col curare di averne sempre a disposizione la medesima quantit e qualit. Questo tenere a disposizione una eguale quantit qualit di cosa determinate,

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    En somme, conformment la logique immanente linstitution du dpt irrgulier, llment essentiel de la garde se matrialise dans lexigence de tenir constamment la disposition du dposant un tantundem gal au dpt originaire. Et cela, dans le cas concret de la monnaie, bien fongible par excellence, signifie que lobligation de garde exige de maintenir tout moment, la disposition du dposant, un coefficient de caisse de 100 pour cent.

    Consquences de la non excution de lobligation essentielle dans le dpt irrgulier

    La non excution de lobligation de garde dans le dpt engendre, et cest logique,

    lobligation dindemniser le dposant ; et si la non excution est dolosive et consiste dans lutilisation des fins personnelles de la chose dpose, elle suppose la commission dun dlit dappropriation indue. Ainsi, dans le dpt rgulier, si celui qui reoit, par exemple, un tableau en dpt sen sert ou le vend pour son propre compte, il commet un dlit dappropriation indue. On considre que le dpositaire qui, dans le dpt irrgulier de biens fongibles, utilise dans un but lucratif et pour son propre compte les quantits dposes, sans maintenir constamment la disposition du dposant le tantundem quivalent, commet le mme dlit. Cela se produirait si lentrepositaire dhuile ne conservait pas une quantit gale celle qui a t dpose, ou si celui qui a reu largent en dpt lutilisait pour lui (en le dpensant son profit ou en le prtant), mais sans maintenir, tout moment, un coefficient de caisse de 100 pour cent.18 Ainsi, le pnaliste Antonio Ferrer Sama a expliqu que si le dpt a consist en une quantit dargent et en lobligation de restituer lquivalent (dpt irrgulier) et le dpositaire investit cette quantit pour son propre compte, et donc en dispose, il faudra distinguer, sur le plan de sa responsabilit pnale, deux hypothses : soit, il est suffisamment solvable pour pouvoir restituer tout moment la quantit reue en dpt, soit il ne dispose pas de numraire propre lui permettant de faire face son obligation de restitution au moment o le dposant la lui rclame. Dans le premier cas, il ny a pas dlit dappropriation indue... Par contre, lorsquil dispose de la quantit reue sans avoir assez de numraire pour rpondre la demande du dposant, le dlit dappropriation indue est consomm partir du moment mme o il a dispos pour

    si rinnovellino pur di continuo e si sostituiscano, equivale per le fungibili a ci che per le infungibili lesistenza della cosa in individuo.Pascuale Coppa-Zuccari, Il deposito irregolare, op. cit., p. 95. Cette mme thse est cite par Joaqun Garrigues dans ses Contratos bancarios, Madrid 1975, p. 365, et dfendue galement par Juan Roca dans son article sur le dpt de monnaie (Comentarios al Cdigo Civil y Compilaciones Forales, dirigs par Manuel Albaladejo, tome XXII, vol.1, Editorial Revista del del Derecho Privado EDERSA, Madrid 1982, pp. 246-255), et dans lequel il aboutit la conclusion que lobligation de garde consiste prcisment, dans le dpt irrgulier, en ce que le dpositaire doit tenir, tout moment, la disposition du dposant la quantit dpose, et doit donc garder le nombre dunits de lespce ncessaires pour restituer la quantit, quand elle lui sera rclame p.251). Cest--dire que dans le cas du dpt irrgulier de monnaie, lobligation de garde se concrtise par lexigence de maintenir constamment un coefficient de caisse de 100 pour cent. 18 Dautres dlits connexes sont commis lorsque le dpositaire falsifie le nombre de certificats ou de talons de dpt. Ce serait le cas de lentrepositaire dhuile qui mettrait de faux talons de dpt pour quils soient ngocis par des tiers et, en gnral, celui de tout dpositaire de bien fongible (y compris la monnaie) qui mettrait des certificats ou des talons pour une somme suprieure la quantit effectivement dpose. Il est vident que nous serions, dans ce cas, en face des dlits de falsification de document (pour lmission du faux certificat) et descroquerie (si on prtendait, avec ce certificat, tromper des tiers pour en tirer un profit quelconque). Nous constaterons plus loin que le processus historique dvolution de la banque est fond sur la commission de ces types de dlits en ce qui concerne le commerce de lmission des billets de banque.

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    son propre compte de la quantit dpose et a cess de disposer dun tantundem quivalent ce quon lui avait remis.19 Reconnaissance par la jurisprudence des principes essentiels du droit qui rgissent le contrat de dpt irrgulier de monnaie (coefficient de caisse de 100 pour cent)

    La jurisprudence europenne a maintenu mme au sicle dernier le principe de

    lexigence dun coefficient de caisse de 100 pour cent, en tant que concrtisation de llment essentiel quest la garde dans le dpt irrgulier dargent. Ainsi, un jugement du Tribunal de Paris du 12 juin 1927 condamna un banquier pour appropriation indue, parce quil avait utilis, suivant la pratique bancaire habituelle, les fonds de son client reus en dpt. Un autre jugement du mme Tribunal, du 4 janvier 1934, se pronona dans le mme sens.20 De la mme manire, lors de la faillite de la Banque de Barcelone, le Tribunal de Premire Instance du nord de cette capitale, reconnut, face la rclamation des titulaires de compte courant demandant tre considrs comme titulaires dun dpt, que ceux-ci taient des dposants, et admit de ce fait leur caractre de cranciers prfrentiels. La sentence se fonde sur le fait que le droit des banques utiliser largent en espces des comptes courants est forcment limit par lobligation de tenir constamment les fonds de ces comptes la disposition de leurs titulaires, de sorte que cette limitation lgale de la disponibilit empchait dadmettre

    19 Antonio Ferrer Sama, El delito de apropiacin indebida, Publicaciones del Seminario de Derecho Penal de la Universidad de Murcia, Editorial Sucesores de Nogus, Murcia 1945, pp. 26-27. Comme nous lavons indiqu dans le texte et comme lexplique aussi Eugenio Cuello Caln (Derecho penal, Editorial Bosch, Barcelona 1972, tome II, parte especial, vol. 2, 13 dition, pp.952-953), le dlit est consomm au moment o se produit lappropriation ou la distraction de la chose et o il nat, rellement, avec lintention de se lapproprier intention qui doit tre apprcie par des actes externes (comme lalination, la consommation ou le prt) et non pas quand il est dcouvert, en gnral longtemps aprs, par le dposant qui, en allant reprendre son dpt, voit avec surprise que le dpositaire ne peut pas lui rendre immdiatement le tantundem correspondant. Miguel Bajo Fernndez, Mercedes Prez Manzano et Carlos Surez Gonzlez, pour leur part (Manual de derecho penal, parte especial, Delitos patrimoniales y econmicos, Editorial Centro de Estudios Ramn Areces, Madrid, 1993), concluent, eux aussi, que le dlit est consomm au moment mme o se produit lacte de disposition, sans besoin dautres rsultats, et quil subsiste mme quand lobjet est rcupr ou que lauteur ne sest pas enrichi en se lappropriant, et mme encore si on peut faire face la remise du tantundem au moment mme o elle est rclame (p. 421). Ces mmes auteurs disent quil existe une lacune, en matire de punition politico-criminelle, inacceptable dans le droit espagnol, alors quil existe dans dautres droits des dispositions spcifiques sur les dlits socitaires et sur labus de confiance, auxquelles il serait possible de rattacher les comportements illicites des banques en question de dpt irrgulier de compte courant (p. 429). Dans le cas concret du droit pnal espagnol, larticle qui rglemente lappropriation indue et que commente Antonio Ferrer Sama est larticle 252 du nouveau Code Pnal de 1996 (art. 528 de lancien), et qui dit : Seront punis des peines signales par larticle 249 ou, ventuellement, 250 ceux qui sapproprieraient ou distrairaient, au prjudice dautrui, des fonds, des effets, des valeurs ou toute autre chose meuble, ou tout autre actif patrimonial quils auraient reus comme dpositaires, commis ou administrateurs, ou un autre titre do dcoulerait lobligation de les remettre ou de les rendre, ou nieraient les avoir reus, quand la quantit de ce quils se sont appropri dpasse la somme de quatre cents euros. On imposera la moiti suprieure de la dite peine dans le cas du dpt ncessaire ou misrable. Enfin, le travail le plus complet sur les aspects pnaux de lappropriation indue de fonds et qui traite in extenso de la position des professeurs Ferrer Sama, Bajo Fernndez et dautres, est celui de Norberto J. de la Mata Barranco, Tutela penal de la propiedad y delitos de apropiacin : el dinero como objeto material de los delitos de hurto y apropiacin indebida, Promociones y Publicaciones Universitarias (PPU, S. A.), Barcelona 1994, en particulier les pp. 407-408 et 512. 20 Ces prcisions jurisprudentielles sont recueillies par Jean Escarra dans ses Principes de droit commercial, p.256, et Joaqun Garrigues y fait allusion aussi dans ses Contratos bancarios, op. cit., pp. 367-368.

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    que les fonds dposs dans un compte courant puissent tre considrs par la Banque comme lui appartenant exclusivement.21 Bien que le Tribunal Suprme espagnol nait pas eu loccasion de se prononcer sur le cas concret de la Banque de Barcelone, une sentence du haut Tribunal espagnol du 21 juin 1928 aboutit une conclusion similaire daprs laquelle selon les coutumes et usages commerciaux reconnus et admis par la jurisprudence, le contrat de dpt de monnaie consiste dans le dpt de quantits, et que celui qui les reoit, mme sil ne contracte pas lobligation de conserver les mmes espces ou valeurs pour le dposant, doit nanmoins tenir sa disposition la somme reue, afin de la lui restituer, dans sa totalit ou partiellement, au moment o il la lui rclamera ; il nen acquiert pas la libre disposition, puisque tenu de la rendre au moment o elle est rclame, il doit conserver constamment des espces suffisantes pour satisfaire la rclamation .22

    3. DIFFERENCES ESSENTIELLES ENTRE LES CONTRATS DE DEPOT IRREGULIER ET DE PRET DARGENT

    Il est trs important dinsister, dans ce paragraphe, sur les diffrences essentielles

    existant entre les contrats de dpt irrgulier et de prt dargent. Car, comme nous le verrons plus tard, nombre de confusions et derreurs juridiques et conomiques concernant le sujet qui nous occupe sont dues lincomprhension de ces diffrences. Diffrence de contenu du droit de proprit transmis dans chacun des contrats