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MORPHOLOGIE FONCTIONNELLE ET ENVIRONNEMENT CHEZ LES P]~RISSODACTYLES par VI~RA EISENMANN * & CLAUDE GUI~RIN ** RJ~SUM~ A partir des P6rissodactyles actuels, nous avons recherch6 des corr61ations entre facteurs de l'environ- nement et traits anatomiques. Les porportions des segments de membres et les types locomoteurs d6finis par Gregory et Osborn ont fait l'objet d'un d~velop- pement particulier : representation graphique par des logarithmes des types graviportal, m~diportal et cou- reur, position de divers Rhinoc~rotid~s, de Tapirus et d'Equus par rapport ~ ces trois types. Les Equus sont de bons indicateurs de milieux : deux sous-esp~ces de E. stenonis permettent de distin- guer les pal6oenvironnements de Saint-Vallier (plutSt forestier, humide, ~ sol assez meuble) et de la Puebla de Valverdd (ouvert, sec et ~ sol dur). Parmi les C~ratomorphes les formes aquaphiles (Tapirs, Ac~rath~res, Dicerorhinus schleiermachen) pr~sentent des particularit6s anatomiques communes et concordantes. D'autres Rhinoceros posent des pro- blames int6ressants en associant des caract~res anato- miques marqueurs d'environnements diff~rents, comme la brachyodontie et la constitution coureuse des Dicerorhinus etruscus et D. mercki, ou l'hypso- dontie et la constitution graviportale des Ceratothe- rium simum et Coelodonta antiquitatis. Ces derniers pr6sentent une remarquable convergence adaptative. ABSTRACT Tentative correlation between environmental fac- tors and anatomical features in recent Perissodactyla. Limb bones proportions (as studied by Gregory and Osborn) are specially stressed : graviportal, medipor- tal and cursorial types are graphically represented using decimal logarithms of lengths ; Rhinoceroses, Tapirs and Equus are compared to these three main types. Horses are valuable environmental markers : two subspecies of Equus stenonis point to different envi- ronments at Saint-Vallier (not too open, humid, with a soft ground) and la Puebla de Valverde (open, dry, with a hard ground). Among the Ceratomorphs, aquaphile forms (Tapirs, Aceratheres, and Dicerorhinus schleierma- chert) share concordant anatomical features. Other Rhinoceroses exhibit paradoxal associations : curso- rial type and brachyodonty in Dicerorhinus etruscus and mercki;graviportal type and hypsodonty in Ceratotherium simum and Coelodonta antiquitatis. The latter two show a remarkable adaptative paralle- lism. MOTS-CLI~S : PI~RISSODACTYLES ACTUELS ET FOSSILES, SQUELETTE, MORPHOLOGIE FONCTIONNELLE, I~COLOGIE. KEY-WORDS : RECENT AND FOSSIl. PERISSODACTYLA, I~IMB BONES, FUNCTIONAL MORPHOLOGY, ENVIRONMENT. * << Institut de Pal6oanatomie et de Pal6obiog~ographie >> du Mus6um national d'Histoire naturelle, associ6 au CNRS (LA 12). 8, rue de Buf- fon, 75005 Paris, France. ** ~<Centre de Pal~ontologie stratigraphique et Pal~o~cologie >> de l'Universit~ Claude-Bernard-Lyon I, associ~ au CNRS (LA 11). 27-43, bd du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne Cedex, France. Geo%-ios,~Cl-~m. sp6cial n ~ 8 .... p. 69-741 5 f i g . ................................ LyonS 19-84

Morphologie fonctionnelle et environnement chez les périssodactyles

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Page 1: Morphologie fonctionnelle et environnement chez les périssodactyles

MORPHOLOGIE FONCTIONNELLE ET ENVIRONNEMENT

CHEZ LES P]~RISSODACTYLES

par

VI~RA EISENMANN * & CLAUDE GUI~RIN **

RJ~SUM~

A partir des P6rissodactyles actuels, nous avons recherch6 des corr61ations entre facteurs de l'environ- nement et traits anatomiques. Les porportions des segments de membres et les types locomoteurs d6finis par Gregory et Osborn ont fait l'objet d'un d~velop- pement particulier : representation graphique par des logarithmes des types graviportal, m~diportal et cou- reur, position de divers Rhinoc~rotid~s, de Tapirus et d'Equus par rapport ~ ces trois types.

Les Equus sont de bons indicateurs de milieux : deux sous-esp~ces de E. stenonis permettent de distin- guer les pal6oenvironnements de Saint-Vallier (plutSt forestier, humide, ~ sol assez meuble) et de la Puebla de Valverdd (ouvert, sec et ~ sol dur).

Parmi les C~ratomorphes les formes aquaphiles (Tapirs, Ac~rath~res, Dicerorhinus schleiermachen) pr~sentent des particularit6s anatomiques communes et concordantes. D'autres Rhinoceros posent des pro- blames int6ressants en associant des caract~res anato- miques marqueurs d'environnements diff~rents, comme la brachyodontie et la constitution coureuse des Dicerorhinus etruscus et D. mercki, ou l'hypso- dontie et la constitution graviportale des Ceratothe- rium simum et Coelodonta antiquitatis. Ces derniers pr6sentent une remarquable convergence adaptative.

A B S T R A C T

Tentative correlation between environmental fac- tors and anatomical features in recent Perissodactyla. Limb bones proportions (as studied by Gregory and Osborn) are specially stressed : graviportal, medipor- tal and cursorial types are graphically represented using decimal logarithms of lengths ; Rhinoceroses, Tapirs and Equus are compared to these three main types.

Horses are valuable environmental markers : two subspecies of Equus stenonis point to different envi- ronments at Saint-Vallier (not too open, humid, with a soft ground) and la Puebla de Valverde (open, dry, with a hard ground).

Among the Ceratomorphs, aquaphile forms (Tapirs, Aceratheres, and Dicerorhinus schleierma- chert) share concordant anatomical features. Other Rhinoceroses exhibit paradoxal associations : curso- rial type and brachyodonty in Dicerorhinus etruscus and mercki;graviportal type and hypsodonty in Ceratotherium simum and Coelodonta antiquitatis. The latter two show a remarkable adaptative paralle- lism.

MOTS-CLI~S : PI~RISSODACTYLES ACTUELS ET FOSSILES, SQUELETTE, M O R P H O L O G I E FONCTIONNELLE, I~COLOGIE.

KEY-WORDS : RECENT AND FOSSIl. PERISSODACTYLA, I~IMB BONES, F U N C T I O N A L M O R P H O L O G Y , ENVIRONMENT.

* << Institut de Pal6oanatomie et de Pal6obiog~ographie >> du Mus6um national d 'Histoire naturelle, associ6 au CNRS (LA 12). 8, rue de Buf- fon, 75005 Paris, France. ** ~< Centre de Pal~ontologie stratigraphique et Pal~o~cologie >> de l 'Universit~ Claude-Bernard-Lyon I, associ~ au CNRS (LA 11). 27-43, bd du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne Cedex, France.

Geo%-ios,~Cl-~m. sp6cial n ~ 8 .... p. 69-741 5 f i g . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LyonS 19-84

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P R O P O R T I O N S DES S E G M E N T S DE M E M B R E S

I N T R O D U C T I O N

Cet ar t ic le se p ropose d ' e x a m i n e r br i~vement dans quel le mesure les restes fossiles de P~r issodactyles peuven t ~tre utilis~s c o m m e indica teurs de pal~omi- lieux. Not re demarche est essent ie l lement ana log i - que : si cer tains caract6res squele t t iques ou odon to lo - giques para i ssen t li~s ~ cer ta ines cond i t ions de vie, nous suppose rons que les mSmes caract~res t6moi- gnent d ' u n env i ronnemen t semblab le dans le pass6. Nos suppos i t ions seront conf ron tges aux ind ica t ions , 6galement ana logiques , q u ' a p p o r t e n t les faunes et les f lores associ~es aux fossiles etudi~s. P o u r pal l ier les inconvgnients d ' u n e a p p r o c h e p u r e m e n t ana tomique ,

nous t en te rons de d o n n e r une in t e rp re t a t ion fonc t ion- nelle aux caract~res ana tomiques observ6s.

Diff~rents caract~res ont 6t6 pris en cons idgra t ion mais cer ta ins fon t l ' o b j e t d ' u n d~ve loppement plus i m p o r t a n t ; ainsi l ' 6 tude des longueurs relat ives des segments de me mbre s occupe une g rande place parce que nous avons ressenti le besoin d ' e n pr~ciser quel- ques aspects m~me si nous ne lui a t t achons pas un int~r~t exclusif . En ou t re le fai t d ' a b o r d e r cet te ques- t ion d~s le d6but de ce t ravai l nous pe rme t de pr6sen- ter fac i lement un ~chant i l lon de P~r issodactyles en m o n t r a n t sa diversitY.

�9 LOGS V . . . . . DIFFERENTS

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PROPORTIONS SOUELETTIQUES DE DIVERS PERISSODACTYLES

- - 7 0 - -

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- - - D/cerorhmus ~;umotrent; Is

n=~8

MC MT

_ __ Top/rus l e r r e s l r l s

n= 48 r~ 2~

Fig. 1 - - Longueurs relatives des os des membres dans les types graviportal (l~l~phant), mediportal (Sanglier) et coureur (Gazelle). H = hum6rus, F = F~mur, R = Radius, T = tibia, MC = troisi6me m6tacarpien, MT = troisi6me m6tatarsien. Les longueurs sont exprim~es en Iogarith- mes d6cimaux. Relative lengths of limb bones in the graviportal (ele- phant), mediportal (wild boar) and cursorial (gazelle) types. H = humerus, F = femur, R = radius, T = tibia, MC = third metacarpal, MT = third metatarsal. Lengths are converted in decimal logarithms.

Fig. 2 - - Longueurs relatives des os des membres de divers P~ris- sodactyles. M~mes abrr que dans la fig. le t n = nombre de specimens.

Relative lengths of limb bones for several Perisso- dactyla. Same abbreviations as in fig. 1 and n = number of specimens.

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En se fondant sur les rapports des longueurs /t l'int6rieur du membre ant6rieur et du membre post6- rieur, W.K. Gregory et H.F. Osborn (1912, 1929) ont d~fini deux types locomoteurs opposes : grliviportal et coureur. Le mod61e m6diportal est un des interm6- diaires possibles. Tousles types d6rivent d 'une struc- ture primitive marcheuse. En reprenant les donn6es publi6es (H.F. Osborn, 1929, chapitre IX) et en y ajoutant les nStres nous avons ordonn~ en s6ries d~croissantes les longeurs de tous ces os longs et nous les avons port6es sur des graphiques apr~s les avoir converties en logarithmes d~cimaux. Cette 61abora- tion n'apporte aucun 616ment nouveau mais offre une repr6sentation plus lisible des faits. On s'aper~oit ainsi que chez tousles Mammif~res graviportaux, les longueurs diminuent dans l 'ordre suivant : F6mur (F), Hum6rus (H), Radius (R) ou Tibia (T), 3~me M~tacarpien (MC), 3~me M~tatarsien (MT). Dans le type m~diportal,, les segments distaux, surtout post~- rieurs, sont plus longs : T rattrape et d~passe H e n se rapprochant de F ; MC est l'os le plus court ; R tend /~ se rapprocher de H. Darts le type coureur Tes t l'os le plus long, H l e plus court ; grace/t un allongement

marqu6 des m6tapodes, tous les segments ont une lon- gueur voisine (fig. 1).

Comment se placent les divers P6rissodactyles par rapport /~ ces types locomoteurs principaux ? La figure 2 montre que Dicerorhinus et Elasrnotherium sont des graviportaux : MT courts, T et R plus courts que H (incertain chez Elasmotherium) ; Tapirus est interm~diaire entre les types gravi- et m~diportal : T plus long que H mais MT plus court que MC ; Equus est interm6diaire entre le type m~diportal et le type coureur : MT long mais T inf~rieur A F et MC inf~- rieur tl H. Derriere ces cat6gories apparaissent bien s0r des differences g~n~riques ou sp~cifiques ; ce sont elles que nous tenterons d'interpr6ter en termes ~colo- giques en posant comme hypoth~se qu'elles ont une signification fonctionnelle. Par exemple on congoit intuitivement que le type coureur est << ~t son avan- tage >> dans un milieu bien ouvert oO ni le relief ni la v~g6tation ne font obstacle/~ des d~placements rapi- des. Nous avons done cherch6 quelles differences accompagnent chez les P~rissodactyles actuels les modes de vie diff6rents et tent6 d'appliquer ces obsdr- vations aux fossiles.

EQUIDI~S

Parmi les esp~ces actuelles, Equus hemionus est l 'une de celles dont l 'habitat est le plus ouvert : d~serts et steppes arides de l'Asie et du Proche Orient. Au contraire, E. burchelli habite des r6gions relative- ment bois6es : savanes arbustives et for~ts claires d'Afrique. Chez E. burchelli, les proportions des membres different de celles d'E. hemionus, notam- ment par un allongement relatif des segments proxi- maux (V. Eisenmann, 1984, fig. 1). En outre les m~ta- podes d'E. burchelli sont plus robustes ce qui d6note probablement des conditions climatiques plus humi- des ; et les troisi~mes phalanges sont un peu plus lar- ges, refl~tant un sol un peu plus meuble (pour une dis- cussion plus d~taill~e de ces observations, voir V. Eisenmann, ce congr~s).

Dans le Villafranchien europ~en, l'esp6ce Equus stenonis est particuli6rement bien repr~sent~e dans deux gisements : Saint-Vallier en France (J. Viret, 1954) et la Puebla de Valverde en Espagne (E. Heintz, 1978). Les m6tapodes des deux formes se ressemblent (et ressemblent/~ ceux d'E. burchelh) mais ceux de la Puebla de Valverde sont plus graciles (V. Eisenmann, 1979, fig. 11-12). Les proportions des segments de membres d'E. stenonis de Saint-Vallier sont peu

diff6rentes de celles d'E. burchelli, tr~s diff~rentes de celle d'E. hemionus qui sert de r~f~rence dam le gra- phique (fig. 3): segments proximaux relativement longs, m6tapodes relativement courts, troisi~mes pha- langes tr~s larges. La m~me figure montre que l'Equus de la Puebla de Valverde diff~re de celui de Saint-Vallier par des premieres phalanges et des seg- ments proximaux plus courts et des m6tapodes plus longs ; les troisi~mes phalanges sont aussi plus ~troi- tes. D'apr~s ce qu 'on sait des Equus actuels, la forme de Saint-Vallier devait habiter un paysage bois6 (m&apodes courts), humide (os robustes), ~t terrain meuble (sabots larges). L'environnement de l'Equus de la Puebla de Valverde ~tait probablement plus ouvert (segments proximaux plus courts, m~tapodes plus longs), plus sec (os plus graciles) avec un sol plus dur (sabots plus ~troits). Dans quelles mesure ces sup- positions, exclusivement fond6es sur la morphologie squelettique des Equus, s'accordent-elles avec ce qu'on sait par ailleurs des deux gisements ?

D'apr~s B. Kurt6n (1968, p. 10), la faune de Saint- Vallier indiquerait des paysages vari6s (bois, prairies, cours d'eau) et la flore, un climat temper6. Un travail r6cent d'A. Leroi-Gourhan (1973) met en ~vidence

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une flore foresti~re diversifi6e avec notamment des c~dres et quelques 616ments m6diterran~ens (mais pas de pollens de plantes aquatiques). En ce qui concerne la Pueblo de Valverde, , la majeure partie des esp~- ces.., s 'accomodent fort bien d 'un milieu ouvert & cli- mat sec, voire aride >> ; une confirmation de ces con- ditions est apport~e par l 'absence totale de ~ restes v6g&aux tels que bois, feuilles, tiges et oogones de Charophytes >~ (F. Gautier & E. Heintz, 1974, p. 127- 128). L'ensemble de ces interpretations concernant Saint- Vallier et la Puebla s 'accordent donc avec les n0tres.

L'utilisation du genre Equus en Pal~o6cologie a 6t6 abord6e plus en d~tail ailleurs (V. Eisenmann, sous presse et 1984) ; & la suite de ces travaux, il semble que les os des membres de ce genre apportent des arguments fiables pour estimer les conditions o~ vivaient les esp~ces fossiles.

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H R T Me MT IA

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Fig. 3 - - Diagrammes des rapports (diagrammes de Simpson) d~s longueurs des os des membres et de la largeur de la troi- s l ime phalange ant6rieure de deux Equus stenonis. M~mes abr6viations que pr6c6demment. En outre IA et 1P = longueurs de la premiere phalange ant6rieure et post~rieure; 3A = largeur de la troisi~me phalange ant6rieure.

Ratio-diagrams of limb bone lengths and fore third phalanges widths for two Equus stenonis. Same abbreviations as in fig. 1 and : IA, 1P = lengths of the fore and hind first phalanges ; 3A = width of the fore third phalanx.

C]~RATOMORPHES

Ceratotherium simum, le rhinoc6ros (( blanc >~ d'Afrique, est d'apr~s tous les t6moignages un ton- deur de gramin6es (observations et esp~ces v6g6t~es cities in Kingdon, 1979, et Gu6rin, 1980). Anatomi- quement, son museau large, son port de t~te bas et son hypsodontie refl~tent bien cette sp~cialisation. Dans la mesure ot~ ies principaux peuplements & gra- min~es appartiennent & des syst~mes ouverts on pour- rait s 'attendre d 'une part & ne rencontrer C. simum que dans ce type d'environnement, d 'autre part & ce qu'il ait des membres de type coureur. Or il n 'en est rien : sa constitution est typiquement graviportale (F tr~s long, T presque ~gal & R, m6tapodes courts) et il peut etre observ6 dons des secteurs relativement bois6s (bushveld). Comment interpr6ter ces observations ? La pr6sence de C. simum en milieu forestier n'est- elle qu'occasionnelle, et alors pourquoi ne pr~sente-t-il pas une adaptation & la course ? S'il vit effectivement dans un tel milieu, y trouve-t-il des gramin6es en quantit6 suffisante ou doit-il completer son r6gime avec d'autres v6g~taux ? Ces questions sont d 'autant plus int~ressantes que C. simum ne constitue pas un

cas isol~. Par une convergence ~tonnante une esp6ce du Pl6istoc~ne eurasiatique appartenant & une sous- famille diff~rente est elle aussi hypsodonte, avec port de tSte has et membres graviportaux : il s'agit du rhi- noc6ros (~ laineux >>, Coelodonta antiquitatis. La figure 4 pr6sente les proportions de segments de mem- bres de ces deux esp~ces par rapport & Diceros bicor- nis pris comme r6f~rence. Celui-ci, brachyodonte et port de tSte haut, se nourrit de feuilles, de rameaux et d'@ines, et habite la brousse. On remarque la grande ressemblance entre Ceratotherium et Coelodonta. En outre les proportions des trois rhinoceros sont gravi- portales et ne different que par la plus grande bri~vet6 du membre post6rieur de Diceros bicornis. Or ce der- nier n 'a rien de commun avec les deux autres sinon sa masse ~lev6e. Peut-on d~s lors estimer que c'est la masse qui conditionne la structure graviportale ? Cette masse les mettant & l'abri des pr6dateurs, les grands rhinoc6ros n'auraient pas d'avantage particu- lier & 8tre adapt~s & la course. L'association entre type coureur et espace ouvert vaudrait seulement pour des animaux plus petits.

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Coelodonta ant~quitatis n 27 a 81

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Diceros bicornis n 31 ~ 3 3

H F R T MC MT

Fig. 4 - - Diagramme des rapports des longueurs d'os des membres de divers Rhinoceros. M~mes abreviation.~ que pour les figures I et 2. Ratio-diagrams of Rhinoceroses limb bones lengths. Same abbreviations as in fig. 1 and 2.

Quelques esp~ces fossiles toutefois ne confirment pas cette interpr&ation : le tr~s grand Dicerorhinus mercki du P16istoc~ne europ6en pr6sente des propor- tions plus r coureuses >> que le petit Dicerorhinus sumatrensis actuel (fig. 2). Si, comme nous le pen- sons, la masse intervient dans le type de constitution, elle n'est donc pas le seul facteur d6terminant. Nous n'avons pas'de r~ponse pour l'instant aux probl~mes soulev~s par l'existence d'est~ces hypsodontes non coureuses (Ceratotherium, Coelodonta) et d'esp~ces brachyodontes plus coureuses (Dicerorhinus etruscus, D. merckt). I1 est probable qu'une connaissance plus pr6cise de l'6cologie des esl~ces actuelles permettra de r~pondre au moins en partie ~ ces questions.

I1 existe parmi les C6ratomorphes un type morpho- logique particulier caract%ris6 par une courte trompe, des jugales tr6s brachyodontes et une main t~tra- dactyle. Ce type est repr6sent6 h l'heure actuelle par les tapirid6s qui vivent en forSt dense ~ proximit6 de l'eau. Par leurs segments de membres les tapirs se rap- prochent du type m6diportal (fig. 2). La comparaison avec Ceratotherium simum montre en outre une bri6- vet6 relative des membres ant6rieurs (fig. 5). Deux ac~rath%res du Miocene SUl~rieur d'Europe pr~sen- tent les mSmes caract~res anatomiques en meme temps qu'une taille plus grande et une constitution graviportale (fig. 5). Les faunes et les flores qui leur sont associ~es t6moignent d'un environnement sem- blable A celui des tapirs. Peut-on en conclure qu'un membre ant6rieur relativement court constitue un avantage pour un mammif6re aquaphile ?

Fig. 5 - - Diagrammes des rapports des longueurs d'os des mem- bres de quelques mammif~res aquaphiles. M~mes abr~- viations que pour les figures 1 et 2.

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H F R T ~MC MT

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TOptcus /ndlcus n= IZ 0 ,'14

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n=,~86 21

Ratio-diagrams of limb bones lengths in some aquaphile mammals. Same abbreviations as in fig. 1 and 2.

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Un autre rhinoc6ros du Miocene sup~rieur d 'Eu rope , Dicerorhinus schleiermacheri, se rencontre f r6quemment dans un milieu de for~t humide ; il est b rachyodon te et sa t~te est port6e haut . Ses segments de membres compares h ceux de Ceratotherium s i m u m (fig. 5) mont ren t un tibia long et un radius

court ; l ' ensemble des propor t ions rappelle l 'h ippo- po tame (fig. 5) dont le radius et les m6tapodes sont toutefois beaucoup plus courts. Peu t -on supposer que l'616vation du rappor t T / R fait partie de la r6duct ion du membre ant~rieur signal~e pr~c~demment chez d 'au t res an imaux aquaphiles ?

C O N C L U S I O N

Les P6rissodactyles peuvent souvent ~tre utilis6s c o m m e marqueurs de leur envi ronnement �9

soit par un ra isonnement purement analogique, c o m m e celui qui s ' appuie sur la ressemblance entre Coeiodonta antiquitatis et Ceratotherium s i m u m ;

- soit en faisant intervenir des structures anatomiques pr~cises mais dont la signification fonctionnelle n 'est pas claire. C 'es t le cas des Acera ther ium dont les seg- ments de membres ressemblent ~ ceux qu 'aura ien t de gros tapirs ;

- soit enfin par un ra isonnement causal lorsque le trait ana tomique refl~te de fa~on 6vidente une fonct ion pr6cise, comme la largeur des sabots des Equid6s ou l 'hypsodont ie et le por t de tgte des C6ra tomorphes .

Les nombreuses questions que nous avons ~t~ ame- n6s ~ poser et qui restent pour l ' instant sans r6ponse rel6vent des deux premiers cas : les donn6es 6cologi- ques sur certaines esl~ces actuelles ne sont pas assez pr~cises et nous ne comprenons pas toujours la fonc- t ion des morphologies que nous utilisons.

R e m e r c i e m e n t s

Ce travail a ~t~ entrepris dans le cadre de la RCP 641 du CNRS <~ Indicateurs pal6obiologiques de milieux >>. Il a b6n6fici~ de l'aide amicale et des suggestions de C. De Giuli,

M. Faure et L. Radinsky. Les graphiques ont ~t6 executes par Madame F. Pilard et Monsieur A. Duivon.

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