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66 Contrats Publics – n° 104 – novembre 2010 Vie des contrats Passation D epuis quelques mois, l’arsenal contentieux des candi- dats évincés des procédures de publicité et de mise en concurrence s’est considérablement renforcé, notam- ment grâce à la création, par l’ordonnance du 7 mai 2009, du mécanisme du référé contractuel. Désormais, un candidat évincé peut, postérieurement à la signature du contrat solliciter en référé l’annulation du marché conclu, sa résiliation, la réduc- tion de sa durée ou encore une pénalité financière à l’encontre de l’acheteur public. Malheureusement, la mise en œuvre de cette nouvelle procé- dure – considérée, sans doute trop hâtivement, comme le pen- dant du référé précontractuel – s’est accompagnée, du fait d’une rédaction ambiguë du code de justice administrative (CJA) (1) , de nombreux débats quant à sa portée véritable et à la nature des moyens invocables. Et c’est sur ce point que l’ordonnance commentée, symptomatique des débats contentieux menés aujourd’hui devant les juges du référé contractuel, prend position. Mais, attardons-nous quelque peu sur les faits de l’espèce. À la suite d’une procédure adaptée lancée sur le fondement de l’article 148 du code des marchés publics applicable aux enti- tés adjudicatrices, les services de navigation aérienne Nord et Nord-Est ont conclu avec la société Precept Media, le 5 mai 2010, un accord cadre visant à la fourniture de prestations d’opérateur « Pilote Echo-Radar » sur simulateurs dans le cadre des formations continues des contrôleurs de circulation aérienne. Candidate évincée de la procédure de dévolution, la société Application concept a sollicité du juge du référé contrac- tuel du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l’ar- ticle L. 551-13 du CJA, l’annulation ou la résiliation de l’accord cadre conclu. Cette requête – comme de coutume – reposait sur des moyens pour le moins variés tenant, notamment, à la (1) � (� (H��b� L� �� œ�v�v� j��é�é�é��P �b� 2009)Moyens invocables en référé : entre rigueur et souplesse d’interprétation Depuis l’ordonnance du 7 mai 2009, les candidats évincés d’une procédure de marché public peuvent, même après la signature du contrat, solliciter en référé contractuel l’annulation, la résiliation, la réduction de sa durée ou une pénalité financière. La portée véritable et la nature des moyens invocables semblent être interprétées restrictivement par le juge limitant l’effectivité du référé. En revanche, en procédure adaptée la signature du contrat antérieurement ou parallèlement à l’information des candidats évincés est acceptée par la jurisprudence. Auteur Hervé Letellier, Avocat associé, SELARL Symchowicz-Weissberg Référence TA Lille, ord. 22 juin 2010, Société Application concept, req. n° 1003569 Mots clés Marché public • MAPA • Référé contractuel • Publicité • Mise en concurrence • Juge des référés • Moyens invocables • Pouvoirs du juge • Signature du contrat • délai de stand still • Référé précontractuel • Efficacité • Candidat évincé • Information • Délai suffisant • Délai raisonnable

Moyens invocables en référé : entre rigueur et …€¦ · mécanisme du référé contractuel. Désormais, un candidat évincé peut, postérieurement à la signature du contrat

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Contrats Publics – n° 104 – novembre 2010

Vie des contrats Passation

Depuis quelques mois, l’arsenal contentieux des candi-dats évincés des procédures de publicité et de mise en concurrence s’est considérablement renforcé, notam-

ment grâce à la création, par l’ordonnance du 7 mai 2009, du mécanisme du référé contractuel. Désormais, un candidat évincé peut, postérieurement à la signature du contrat solliciter en référé l’annulation du marché conclu, sa résiliation, la réduc-tion de sa durée ou encore une pénalité financière à l’encontre de l’acheteur public.Malheureusement, la mise en œuvre de cette nouvelle procé-dure – considérée, sans doute trop hâtivement, comme le pen-dant du référé précontractuel – s’est accompagnée, du fait d’une rédaction ambiguë du code de justice administrative (CJA)(1), de nombreux débats quant à sa portée véritable et à la nature des moyens invocables. Et c’est sur ce point que l’ordonnance commentée, symptomatique des débats contentieux menés aujourd’hui devant les juges du référé contractuel, prend position.Mais, attardons-nous quelque peu sur les faits de l’espèce. À la suite d’une procédure adaptée lancée sur le fondement de l’article 148 du code des marchés publics applicable aux enti-tés adjudicatrices, les services de navigation aérienne Nord et Nord-Est ont conclu avec la société Precept Media, le 5 mai 2010, un accord cadre visant à la fourniture de prestations d’opérateur « Pilote Echo-Radar » sur simulateurs dans le cadre des formations continues des contrôleurs de circulation aérienne. Candidate évincée de la procédure de dévolution, la société Application concept a sollicité du juge du référé contrac-tuel du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l’ar-ticle L. 551-13 du CJA, l’annulation ou la résiliation de l’accord cadre conclu. Cette requête – comme de coutume – reposait sur des moyens pour le moins variés tenant, notamment, à la

(1) ������� �� ��������� ���� ��� ��� �� ������� ��� �� �������� (��� ������� ������� �� ��������� ���� ��� ��� �� ������� ��� �� �������� (��� ������� H�����b��� L� ���� �� œ�v�� ��� ���v���� �� j��� ��� �é�é�é� ������������ ���P� ������b�� 2009)�

Moyens invocables en référé : entre rigueur et souplesse d’interprétation■ Depuis l’ordonnance du 7 mai 2009, les candidats évincés d’une procédure de marché

public peuvent, même après la signature du contrat, solliciter en référé contractuel l’annulation, la résiliation, la réduction de sa durée ou une pénalité financière.

■ La portée véritable et la nature des moyens invocables semblent être interprétées restrictivement par le juge limitant l’effectivité du référé. En revanche, en procédure adaptée la signature du contrat antérieurement ou parallèlement à l’information des candidats évincés est acceptée par la jurisprudence.

AuteurHervé Letellier, Avocat associé, SELARL Symchowicz-Weissberg

RéférenceTA Lille, ord. 22 juin 2010, Société Application concept, req. n° 1003569

Mots clésMarché public • MAPA • Référé contractuel • Publicité • Mise en concurrence • Juge des référés • Moyens invocables • Pouvoirs du juge • Signature du contrat • délai de stand still • Référé précontractuel • Efficacité • Candidat évincé • Information • Délai suffisant • Délai raisonnable

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méconnaissance du délai de remise des plis, au recours irré-gulier à une procédure adaptée, à l’absence d’analyse des prix TTC, au non-respect des articles 6 du code relatif aux spé-cifications techniques et 172 relatifs aux modalités de publica-tion des avis d’attribution ou encore à l’absence de respect d’un délai suffisant entre la date de l’information du rejet de l’offre et la signature du contrat (les deux événements étant intervenus simultanément).Pour rejeter l’ensemble de ces arguments, l’ordonnance com-mentée(2) procède à un raisonnement en deux temps. Elle relève, d’abord, que le juge du référé contractuel ne peut être saisi que de moyens limitativement énumérés, constat conduisant le magistrat à conclure au caractère inopérant des arguments invoqués, exception faite de celui relatif au non-respect du délai de ����� �����, ou interdiction de signer (I). Et, statuant sur ce dernier argument, la décision conclut ensuite à la régularité du procédé consistant, dans le cadre d’une procédure adaptée, à signer le contrat le jour de l’information des candidats de leur éviction (II). L’occasion nous est ainsi donnée de revenir sur ces deux problématiques.

I. Référé contractuel, moyens invocables et pouvoirs du juge

Si le débat lié à la nature des moyens invocables en référé contractuel paraît, dans la lignée de la décision commentée, s’orienter très clairement en faveur d’une interprétation stricte du champ d’application du référé contractuel (B). La lecture du CJA pouvait, de prime abord, laissait planer quelques doutes sur la solution à retenir (A).

A) Un dispositif législatif ambigu à l’origine d’un débat doctrinal

Rappelons d’emblée les termes du débat. Selon l’article 2 quin-quies de la directive 2007/66/CE, transposée par l’ordonnance du 7 mai 2009, seules trois hypothèses doivent automatique-ment conduire le contrat à être « déclaré comme dépourvu d’ef-fets »(3). Et ce sont ces trois mêmes hypothèses que l’on retrouve à l’article L. 551-18 du CJA, celui-ci rappelant que le juge ne « prononce la nullité du contrat » que dans les cas limitativement énumérés suivants : absence de toute publicité ou de publicité communautaire si celle-ci était nécessaire, méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acqui-sition dynamique et signature du contrat en violation du délai de stand still, à condition que cette méconnaissance ait privé le demandeur de son droit d’exercer un référé précontractuel et que le requérant ait perdu une chance d’obtenir le contrat. L’ar-ticle L. 551.14 du code de justice administrative précise, quant à lui, si l’on met de côté le cas du Préfet, que « les personnes habi-litées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat

(2) �� L����� ���� 22 j��� 2010� ����é�é ����������� �������� �� 100���9� �� L����� ���� 22 j��� 2010� ����é�é ����������� �������� �� 100���9�(�) �j������ ���� ����� �� 1� �j������ ���� ����� �� 1�� ������é����� ��� ����hé� ������� �� v�������� �� �é��� �� ���������� ���� ������é�é� �� �������� ����� �é����v�� �’������ �’��� �’������������ �� v��������� ��� �������v�� 2004/1�/�E �� 2004/17/�E ������������� ��� �h����� �� ��������������� �’�b����� �� �������� L� 19� ������é���� é���ç�� ����� à ���� ��� ���� ��� ��� ��� ������ v��������� ��������� ��� E���� ���b��� ���v��� ������é��� ��� �� �������� �� �’�b����� �’������ ��� ����������� ����-�� ���v��� ����� ��év��� ��� ��������� �� ��b����������

et qui sont susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ».

Inévitablement, la formulation – évoquant, à propos des moda-lités de présentation du recours, les « manquements aux obli-gations de publicité et de mise en concurrence » sans aucune restriction, pour restreindre ensuite de manière rigide les pou-voirs offerts au juge en limitant les possibilités de nullité – ne pouvait que susciter des divergences d’interprétations. Très rapidement, deux conceptions se sont affrontées.D’un côté, pour les partisans d’une interprétation extensive(4), les dispositions de l’article L. 551-18 ne visaient pas à restreindre les arguments invocables devant le juge du référé contractuel – ceux-ci étant finalement identiques à ceux du référé précon-tractuel – mais uniquement à limiter les prérogatives offertes au magistrat. Tous les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence pourraient ainsi être avancés, mais le juge du référé contractuel ne serait tenu de prononcer la nullité que dans les cas limitativement énumérés par l’article L.551-18 (retrouvant son pouvoir d’appréciation dans les autres hypo-thèses). À l’appui de cette théorie, plusieurs arguments pou-vaient être avancés(5), au premier rang desquels la formulation même des articles L. 551-14 – évoquant, sans aucune limite, l’ensemble des moyens de publicité et de mise en concurrence – et L. 551-18, ne listant les trois hypothèses que pour définir l’étendue des pouvoirs du juge et plus précisément les hypo-thèses dans lesquelles il serait dans l’obligation de prononcer la « nullité » du contrat.De l’autre, certains auteurs estimaient qu’il fallait retenir une interprétation restrictive des dispositions du CJA en les inter-prétant à la lumière de la directive recours. L’article L. 551-18 n’évoquerait donc pas les pouvoirs offerts au juge mais la nature des moyens invocables en référé contractuel. Ce faisant, en dépit de la référence qui est faite, pour la définition de la qualité à agir, aux obligations de publicité et de mise en concurrence, le référé contractuel ne serait ouvert que dans les trois cas d’il-légalité qui y sont mentionnés(6). Cette position était d’ailleurs partagée par la Direction des affaires juridiques de Bercy(7) ou par le rapport au président de la République(8). En bref, l’action en référé contractuel aurait uniquement pour objet de faire cesser les griefs les plus graves en les sanctionnant dès le début de l’exécution par une mesure appropriée et non de sanctionner tous les vices de publicité et de mise en concurrence.

C’est ce débat qui se trouvait soumis au juge lillois, celui-ci optant manifestement pour la seconde interprétation.

(4) ��- �� L������ L� ����é���������� ����h�vé� �� ����������� �� �� �������� ��- �� L������ L� ����é���������� ����h�vé� �� ����������� �� �� �������� ��b����� – ����������� �� �’���������� �� 2009-�1� �� 7 j������ 2009� �������� ����hé� ��b�� ��7 j������ 2009 ; �h� P�z� ������������� �� �� ���v���� �������v� « ������� » : �� �é�é�é ��é����������� �� �é�é�é ������������ D� �/2009� ����� �� 92�(�) P��� ��� ����h��� ��� ���������� ��� ������� H�����b��� ��é���é� P��� ��� ����h��� ��� ���������� ��� ������� H�����b��� ��é���é�(�) ��� L� ���h��� �������� D�P �� 200-2 �v��� 2009 ; D�v�� ��������� L� �é����� ��� L� ���h��� �������� D�P �� 200-2 �v��� 2009 ; D�v�� ��������� L� �é����� �� ����������� �� �� ��������� ��� �������� �� �������� ��b������ ��v� L��� ��������v��é� �������������� j������ 2009� �� 4��(7) L� �������� ��������� ��� �������� �� �� �’��������� �� �7 - ��������� L� �������� ��������� ��� �������� �� �� �’��������� �� �7 - ��������� ��������� 2009�(�) ������� �� ��é������ �� �� �é��b����� ������� à �’���������� �� 2009-�1� ������� �� ��é������ �� �� �é��b����� ������� à �’���������� �� 2009-�1� �� 7 ��� 2009 ������v� ��� ����é����� �� ������� �������b��� ��� �������� �� �� �������� ��b����� (���� �� � ��� 2009� �� 779�)�

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B) Un débat tranché en faveur d’une interprétation restrictive des moyens invocables

La décision rendue ne prête, sur ce point, à aucune ambigüité, celle-ci définissant clairement les moyens invocables par le requérant à l’aune des pouvoirs offerts au juge du référé contractuel par les articles L. 551-18 à L. 551-20 du CJA. Le considérant de principe de l’ordonnance, d’ailleurs repris quelques semaines plus tard par la même juridiction(9), est à cet égard particulièrement explicite en relevant « que les articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative énoncent précisément les hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel doit ou peut faire usage des pouvoirs qui lui sont dévolus ; qu’ils doivent donc être regardés comme énumérant limitativement les manquements pouvant être utilement invo-qués devant ce juge ». Et, hormis quelques ordonnances pour le moins minoritaires semblant faire une analyse, sans distinction des moyens invoqués(10), cette formulation, et cette interpréta-tion restrictive des arguments invocables en référé, sont una-nimement partagées ou reprises par les autres juges du référé contractuel(11).

Il en résulte, de manière pragmatique, que ne sont invocables en référé contractuel que les seul moyens relatifs à l’absence de publicité ou de publicité communautaire si celle-ci était nécessaire, à la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique et à la signature du contrat en violation du délai de ����� ����� (avec, sur ce dernier point, démonstration au surplus de la perte d’un droit à exercer un référé précontractuel et d’une chance d’ob-tenir le contrat).Tout autre argumentaire sera donc, en théorie, regardé comme inopérant et rejeté. Tel est le cas, pour reprendre certains exemples jurisprudentiels, des moyens afférents à la mécon-naissance du délai de remise des plis, au recours irrégulier à une procédure adaptée, aux conditions d’analyse des offres (hypothèses de l’affaire commentée), à l’irrégularité de l’évic-tion d’un candidat(12), à l’existence d’une erreur manifeste d’ap-préciation(13) ou encore à l’illégalité des critères d’attribution(14).

La faiblesse essentielle du référé contractuel se trouve ici iden-tifiée. Si ce courant jurisprudentiel venait à être confirmé par le Conseil d’Etat, le référé contractuel serait privé de véritable effectivité. Il est ainsi à craindre que cette action ne constitue pas une alternative réelle, crédible et pertinente au référé précon-tractuel postérieurement à la signature du contrat (puisque les moyens invocables seront bien moindres) et qu’elle connaisse, à terme, un sort similaire à celui du référé suspension : une voie contentieuse certes potentiellement ouverte aux candidats

(9) �� L����� 1� ���� 2010� ���� ������ �E��P� �� 1004�9�� �� L����� 1� ���� 2010� ���� ������ �E��P� �� 1004�9��(10) ��� �� �����b����� 21 j������ 2010� ���� E�������� ���� �� 100�14� ; �� ��� �� �����b����� 21 j������ 2010� ���� E�������� ���� �� 100�14� ; �� ������ ����� �é������ �’��� ����� �é����v�� �� ���������� �������� « ���� ��’�� ���� b����� �’év����� �� fi� �� ��� ����v��� » �����é� �� �é������ ����� v���� ���b��-�-�� ������ �� �éb�� �� �����(11) �� �������� 2� ���� 2010� ���� ���v��� ��b���� �� �’E��� �� 10004�� – �� M����� 29 �v��� 2010� ���� V�v�� v���� ���� �� 10020�/2 – �� ��������� 2� j��� 2010� ����é�é � ELE������ ��10019�0 – �� P����� 12 ���� 2010� P��v���� ������ ���v���� ��101��9�/��

(12) �� M��������� � j������ 2010� ��P E������ �� 10041� �� M��������� � j������ 2010� ��P E������ �� 10041� – �� ����� 19 j������ 2010� ����������� V��-�-V��� �� 11001290�(1�) �� M����������� 9 ���� 2010� ���� ����� �� 100�120� �� M����������� 9 ���� 2010� ���� ����� �� 100�120�(14) �� ��������� 2� j��� 2010� ����é�é � E�������� ��10019�0� �� ��������� 2� j��� 2010� ����é�é � E�������� ��10019�0�

évincés mais aboutissant finalement très rarement, et seule-ment dans des hypothèses bien spécifiques, à la sanction de l’acheteur public.

II. Référé contractuel, procédure adaptée et délai de signature du contrat

Une fois affirmé le caractère restrictif des moyens invocables, restait pour le juge à se prononcer sur la régularité de la pra-tique consistant, dans le cadre d’une procédure adaptée, à signer le contrat antérieurement ou parallèlement à l’information des candidats évincés (A). La résolution de cette problématique était d’autant plus importante que l’identification d’une irrégularité sur ce point aurait pu élargir �� fi�� le champ des moyens invo-cables (B).

A) La signature du contrat parallèlement à l’information des candidats

Là encore, la décision commentée avait à se prononcer sur une problématique contentieuse récurrente liée à la possibilité offerte (ou non) à l’acheteur public, en procédure adaptée(15), de ne pas respecter de délai entre l’information des candidats de leur éviction(16) et la signature du contrat issu de la mise en concurrence. En l’espèce, la requérante contestait en effet le procédé utilisé par l’entité adjudicatrice au motif qu’aucun délai n’avait été respecté entre ces deux échéances, les établisse-ments ayant signé le contrat le jour même de l’information des candidats évincés.Et, s’il est vrai que la requérante pouvait se prévaloir de cer-taines décisions du juge du référé contractuel actant, même en l’absence de contrainte textuelle, de l’existence d’une obliga-tion pour l’acheteur de respecter un délai suffisant entre l’in-formation des candidats et la signature du contrat(17), le juge délégué du tribunal administratif de Lille a toutefois rejeté le moyen invoqué. Ce dernier, faisant une interprétation littérale des textes, a en effet relevé qu’aucune « disposition du code des marchés publics n’impos[ait] à une entité adjudicatrice de procéder, dans le cadre d’une procédure adaptée, à une infor-mation préalable des candidats non retenus avant de signer un marché ou un accord-cadre », le tout pour conclure que « par suite, les services de la navigation aérienne Nord et Nord-Est ont pu légalement signer l’accord-cadre litigieux le 5 mai 2010 et adresser le même jour à la Société Applications Concept le courrier l’informant du rejet de son offre ».

(1�) L� �������� �� �� ���� ��� �� ����é���� ��������é�� ��� ������ �������� ���������� �� ������� �’�� �é��� ������� �� ��������� v������ ����� ��z� �� ���z� j���� ����� ��� �’����������� ��� ��v��é� ��� « ������������ é����������� » �� ��� �������� (�� �� ���� ��� �� �����b����� 21 j������ 2010� ���� E�������� �� 100�14� j������ ��� �’��v�� ��� �é�é����� ���v��� j����fi�� ��� ���������� �� �é��� à ��z� j���� – �� L����� 1� ���� 2010� ���� ������ �E��P� �� 1004�9� ��������� ��� ��� �é���� fi�é� �� ���� ��� ������)�(1�) �������� ���� �� ��������� ���� �������� �’�����b�� ��� é�é����� �’����������� ���������� ��� �� ���� �é���vé à �’������ à �é���� �� ���� ��� �é���� ��év�� ��� ��� ������ ���������� ê��� ������é�é� ����� �’����� ��� �éb��é (�� �� ���� �� �������� 2� ���� 2010� ���� ���v��� ��b���� �� �’E��� �� 10004�� – �� ����� P�������� 2� j������ 2010� ���� ��v��� ������� �� 100�421)�(17) �� L���� 2� ���� 2010� ���� �h���� ���v���� ���� �� 100129� – �� P����� �0 j������ 2010� ���� ���h���� �� 1012��0 à ������ �������� �’�� �é��� �� h��� j���� ������é – �� �����b����� 2� j������ 2010� L�b�������� ��v����� �� 00�2�4 à ������ �’�� �é��� �� � j���� – �� N������ � ���� 2010� ���� ����� �M� � ���� �� 104�99 j������ �� �é��� �� 11 j���� ���fi���� – �� L���� � ������b�� 2010� ���� ���� ����h����� �� 1004741 ����������� �� �������� �� ������� �� �é�é������ �� ���v��� ��b����

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À notre sens, plusieurs arguments peuvent justifier une telle solution.Argument textuel d’abord, puisque effectivement le code des marchés publics, tout comme d’ailleurs l’ordonnance du 6 juin 2005 et ses textes d’application, n’imposent aucune contrainte à l’acheteur public s’agissant du délai de signature du contrat. Et si le Conseil d’État adopte une conception extensive du principe de transparence, il semble relativement délicat, sur le plan des principes, d’étendre par ce biais aux procédures non formali-sées ou librement définies, une règle que le pouvoir réglemen-taire n’a pas formellement imposée.Ensuite, s’ajoute à cela le fait qu’au niveau communautaire, la directive recours prévoit elle-même une dérogation au délai de suspension pour les procédures qui ne sont pas soumises à l’obligation de publier un avis de marché au JOUE(18), ce qui s’avère, en théorie, le cas pour les marchés conclus sur le fon-dement d’une procédure non formalisée.Enfin, il importe de relever, au niveau national, que l’ar-ticle L.551-15 alinéa 1er du CJA précise que le référé contrac-tuel ne peut être exercé « ni à l’égard des contrats dont la passation n’est pas soumise à une obligation de publicité pré-alable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l’égard des contrats soumis à publicité préa-lable auxquels ne s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a accompli la même formalité ». � ���������, le référé contractuel serait donc ouvert à l’encontre des contrats faisant l’objet d’une obligation de publicité mais auxquels ne s’appliquerait pas l’obligation de communiquer une décision d’attribution dès lors que l’acheteur public aurait pris le soin d’informer les candidats de la signature à intervenir tout en respectant un délai minimum de onze jours. Mais, ce faisant, serait alors confirmé le fait que, pour les mar-chés à procédure adaptée (ou librement définie) a priori visés(19), l’information du candidat évincé, en amont de la signature du contrat, ne serait pas en elle-même impérative mais constitue-rait tout au plus une modalité d’ouverture du référé contractuel, action qui, à défaut, aurait été définitivement fermée.Ce raisonnement se retrouve du reste dans plusieurs décisions des juges du référé contractuel concluant à l’absence d’obliga-tion pour l’acheteur public de signifier aux candidats, en leur laissant un délai raisonnable pour agir, leur éviction antérieu-rement à la conclusion du contrat, au regard notamment de l’article 9 du décret n° 2005-1742 portant application de l’or-donnance du 6 juin 2005 (logique transposable aux procédures des articles 28, 30 et 148 du code des marchés publics)(20). L’on relèvera d’ailleurs que dans ces décisions, les juges saisis, pour exclure tout respect d’un quelconque délai de signature, font, le

(1�) ������� 2 ��� : « Dé��������� �� �é��� �� ����������� L�� É���� ���b��� ���v��� ��év��� ��� ��� �é���� v��é� à �’������� 2 b��� ��������h� 2� �� �� ��é����� �������v� �� �’���������� ��� ���� ��� ��� ���v���� : �) �� �� �������v� 2004/1�/�E �’������ ��� �� ��b�������� ��é���b�� �’�� �v�� �� ����hé �� ������� ��fi���� �� �’U���� �����é���� »�(19) E� �� ���� ��� ��������� ������������� �������� ����hé� ��b�� ����- E� �� ���� ��� ��������� ������������� �������� ����hé� ��b�� ����-����ç��� L����� – ����������� �� �’���������� �� 2009-�1� �� 7 ��� 2009�(20) �� ��������� 2� j��� 2010� ����é�é � ELE������ ���� ��10019�0 ; �� P����� 12 ���� 2010� P��v���� ������ ���v���� ��101��9�/� – �� M�������� � j������ 2010� ���� E������ �� 100401� ; – 2010� P��v���� ������ ���v���� ��101��9�/��

plus souvent, le lien entre l’absence de contrainte et l’ouverture de l’action en référé contractuel(21).

On le voit, bien qu’intervenant dans un domaine où la juris-prudence semble divergente, la décision rendue est donc loin d’être isolée et paraît reposer sur certains arguments juridiques sérieux.

B) L’extension des moyens invocables en cas de violation du délai de signature

Ce point étant réglé, reste à s’attarder sur les conséquences qu’auraient pu avoir la constatation d’une méconnaissance d’un hypothétique délai raisonnable à respecter, ce seul constat ne permettant pas de conclure automatiquement à la nullité du contrat par le juge du référé contractuel.Rappelons en effet que l’article L. 551-18 du CJA énonce que le juge doit prononcer la nullité du contrat lorsque « celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la déci-sion d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 » si, en outre « deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat ».La violation du délai de ����� ����� est ainsi insuffisante pour que la nullité s’impose(22). Encore faudra-t-il que cette situation ait pu empêcher l’exercice d’un référé précontractuel et que, par ailleurs, les obligations de publicité et de mise en concur-rence aient pu être méconnues d’une manière telle qu’aurait été affectée la situation du requérant.

Mais, ce faisant, sous couvert de l’analyse de ces deux condi-tions supplémentaires, le champ du débat contentieux pourrait s’en trouver élargi, le juge réintégrant, par ce biais, l’analyse de toutes les obligations de publicité et de mise en concurrence afin notamment d’identifier si, au-delà de la problématique de la signature anticipée, le candidat a pu effectivement perdre une chance d’obtenir le contrat.C’est en tout cas la pratique vers laquelle semblent s’orienter certains magistrats en relevant notamment qu’en « application des dispositions de l’article L. 551-18 du même code, il appar-tient au juge du référé contractuel saisi par une société qui comme en l’espèce a été privée de la faculté de former utilement un référé précontractuel du fait du pouvoir adjudicateur, de se prononcer sur les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence invoqués par l’auteur du recours pour

(21) L� ���b���� ������������� �� M�������� �� �� ���� ���������� ��������� ��� �� ��������� �� ������� �������������� à �’����������� ��� ��������� év���é� � ��������� ������ à �� ����é����� « �’������� �� ������� ��v��� à �’������� L� ��1-1� �� ���� �� j������ ������������v�� ������ �é����� ��� �b��������� (…) »�(22) P�é������ �é������� ��� �’������� L� ��1-20 �� ��� é����� ��� P�é������ �é������� ��� �’������� L� ��1-20 �� ��� é����� ��� ��� : « D��� �� ��� �ù �� ������� � é�é ����é �v��� �’���������� �� �é��� ����é ����� �’��v�� �� �� �é������ �’�����b����� ��� ��é������� é���������� ����� ��é����é ��� ����������� �� ��� ����� �� ������� �� ���������� ��év�� à �’������� L� ��1-4 �� à �’������� L� ��1-9� �� j��� ���� ��������� �� ������é �� �������� �� �é������� �� �é����� �� ���é� �� ������� ��� �é�����é fi�������� »� ����� ������������ ���� �� ��� ���fi���� �� ���������� ������� ���� �’�������� �v�� �’������� L� ��1-1� ���� �� ������� �’�������é������ ������� ������� ��� �� j������������� év���� ���� ��� ������ �����b����é ������� �� j����

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Contrats Publics – n° 104 – novembre 2010

Vie des contrats Passation

apprécier si les conditions dans lesquelles ces manquements se sont produits ont affecté les chances de celui-ci d’obtenir le contrat »(23).La violation du délai de signature, sous réserve de l’application – nécessairement minoritaire – de l’article L. 551-20 du CJA(24)

– dont on identifie d’ailleurs mal l’articulation avec l’ar-ticle L. 551-18 surtout au regard de la conception restrictive retenue par la jurisprudence(25) – ne devrait donc pas, à sup-poser même qu’elle soit identifiée, se traduire par une nullité automatique mais par la réintroduction, dans le cadre du référé contractuel, de tous les moyens relatifs aux obligations de publi-cité et de mise en concurrence.

ConclusionOn le voit, la décision commentée apporte donc sa pierre à l’édifice quant à la résolution des problématiques résultant des ambiguïtés du texte s’agissant à la fois de la nature des moyens invocables et des pouvoirs du juge du référé contractuel. Mais, il va sans dire qu’afin d’éviter ces débats et ces incertitudes, qui seront éventuellement tranchés par le Conseil d’état, le pouvoir réglementaire aurait été plus inspiré d’adopter des dispositions claires et précises sur les contraintes s’imposant aux acheteurs publics et sur les modalités d’introduction du référé contractuel. ■

(2�) �� ����� P�������� 2� j������ 2010� ���� ��v��� ������� �� 100�421� D��� �� �ê�� ��� ��� ������� : �� P����� �0 j������ 2010� ���� ���h���� �� 1012��0 – �� �����b����� 2� j������ 2010� L�b�������� ��v����� �� 100�2�4 – �� L���� 2� ���� 2010� ���� �h���� ���v���� �� 100129��(24) P��� �� ���� ������� �’����������� �� ������� 11 j��� 2010� �EL��L P��� �� ���� ������� �’����������� �� ������� 11 j��� 2010� �EL��L M����� P����������� �� 10010��� (2�) �� ��� ������������ ��� �������� L� ��1-1� à L� ��1-20 �éfi ������� �� ����� �� ��� ������������ ��� �������� L� ��1-1� à L� ��1-20 �éfi������� �� ����� ��v������ ��� ������ ��v���b��� ��� ��� ���v���� �� j���� �� ��� �’������� L���1-1� ���� ê��� �������é�é ����� ��v���� ���������� �� v��� �� �é�é�é ����������� �� ��� �� ��� ������� �� �é��� �� ���������� ����� ������ ������� � ������-�� à év������ ���� ��� �ê�� ��������� (���-������� �� �é��� �� ���������)� ������ �’�b�������� �’������� �� �� ����v� �’��� ����� �� �h���� é���� �������é�� ������ �� �����b����é �’�������� �� �� ��������� �’������ ���������� ���� ����� ��������� ?

ExtraitTA Lille, ord. 22 juin 2010, Société Application concept, req. n° 1003569« Sur les conclusions à fin d’annulation du contrat litigieux :Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-18 du code de justice administrative : « Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite./ La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique./ Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. » ; qu’aux termes de l’article L. 551-19 du même code : « Toutefois, dans les cas prévus à l’article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d’intérêt général./ (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 551-20 du même code : « Dans le cas où le contrat a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière. » ;Considérant que les articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative énoncent précisément les hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel doit ou peut faire usage des pouvoirs qui lui sont dévolus ; qu’ils doivent donc être regardés comme énumérant limitativement les manquements pouvant être utilement invoqués devant ce juge ;Considérant en premier lieu que les moyens tirés de ce que l’offre retenue a été déposée après le délai de remise des plis fixé par le règlement de consultation, de ce que l’entité adjudicatrice n’a pas tenu compte de la dernière proposition adressée par la Société Applications Concept, de ce que l’accord-cadre ne pouvait être conclu selon une procédure adaptée, de ce que les prix auraient dû être comparés toutes taxes comprises et de ce que les articles 6, relatif aux spécifications techniques, et 172, relatif à la publication d’un avis d’attribution, du code des marchés publics n’auraient pas été respectés ne font pas partie des manquements limitativement énumérés par les articles L. 551-18 à L. 551-20 du code de justice administrative ; qu’il résulte donc de ce qu’il précède qu’ils doivent être écartés comme inopérants. »