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INCOMPRÉHENSIONS INTERCULTURELLES ET AJUSTEMENTS DE PRATIQUE CHEZ LES TRAVAILLEURS SOCIAUX Author(s): Ghislaine Roy Source: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 8, No. 2, Multiculturalism and Social Work / Le multiculturalisme et le service social (Summer/été 1991), pp. 278-291 Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669451 . Accessed: 16/06/2014 00:15 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association for Social Work Education (CASWE) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.159 on Mon, 16 Jun 2014 00:15:39 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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INCOMPRÉHENSIONS INTERCULTURELLES ET AJUSTEMENTS DE PRATIQUE CHEZ LESTRAVAILLEURS SOCIAUXAuthor(s): Ghislaine RoySource: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 8, No. 2,Multiculturalism and Social Work / Le multiculturalisme et le service social (Summer/été1991), pp. 278-291Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669451 .

Accessed: 16/06/2014 00:15

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INCOMPRÉHENSIONS INTERCUL-

TURELLES ET AJUSTEMENTS DE PRATIQUE CHEZ LES

TRAVAILLEURS SOCIAUX

Ghislaine Roy

En NOVEMBRE 1990, je déposais mon mémoire de maîtrise en service social, lequel essayait de décrire les caractéristiques de la pra- tique interculturelle des travailleurs sociaux oeuvrant dans une organisation bureaucratique1. Afin de cerner cette pratique intercul- turelle, j'avais utilisé deux méthodes de cueillette de données, soit la méthode des «incidents critiques» développée d'abord par Flana- gan2 et adaptée au champ des relations interculturelles par Cohen- Emerique3, et la méthode de l'entrevue semi-dirigée de Gauthier4, qui incluait des éléments d'investigation particuliers.

Ce qui fut davantage fascinant dans l'entreprise de cueillette et d'analyse du matériel recueilli fut la richesse du discours des inter- venants, son foisonnement, sa fidélité à suivre la réalité complexe des clientèles actuelles.

Les travailleurs sociaux, en général, écrivent peu, ne théorisent pas beaucoup sur leur intervention et les approches développées. Ils sont immergés dans le quotidien des choses, dans l'univers des relations concrètes avec des humains que l'organisation bureaucra- tique nomme «clients».

Abstract This article explores the rich and complex area of culture by way of a series of critical incidents taken from actual situations that have confronted social workers in their daily practice. In fact, intercultural practice implies much more than knowledge about a given cultural community. As well, it requires actual profes- sional expertise comprising at once daring, intuition, flexibility, and rationality. The 13 short incidents related here, all sources of cultural misunderstandings and shocks, shed some light on practice adapted to multi-ethnic clienteles.

Ghislaine Roy est travailleuse sociale au Service Migrants-Immigrants du Centre des ser- vices sociaux de Montréal métropolitain. Elle a contribué depuis quelques années à l'élaboration de l'approche interculturelle , au repérage d'un modèle systématique et à l'analyse des pratiques interculturelles telles que développées chez les professionnels des ser- vices sociaux.

Canadian Social Work Review, Volume 8, Number 2 (Summer 1991) / Revue canadienne de service social, volume 8, numéro 2 (été 1991) Printed in Canada / Imprimé au Canada

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Cet article veut rendre compte d'un aspect de la pratique des intervenants sociaux, soit celui de faire face aux incompréhensions interculturelles et la réponse qu'ont trouvé les intervenants sociaux, soit l'ajustement de leur propre pratique. Qui dit ajustement, ne dit pas inutilité de réflexion et de systématisation mais, au contraire, intégration de l'action et de la réflexion.

Incidents critiques Depuis quelque temps, le terme « incidents critiques » est à la mode. Pour J.-C. Flanagan, qui est un des pionniers de cette méthode de cueillette de données, «The critical incident technique consists of a set of procedures for collecting direct observations of human behavior [ . . . ] »n. Reléguée aux oubliettes pendant longtemps, la méthode des incidents critiques resurgit de nos jours. Cohen- Emerique6 l'a adaptée au champ du service social et des relations interculturelles. Pour cette psychosociologue, les incidents critiques sont des «épisodes-problèmes» relatés par les intervenants sociaux et qui sont des sources de chocs culturels et d'incompréhensions réciproques. Pour elle, la méthode des incidents critiques permet d'identifier les différences culturelles les plus évidentes et fait émerger, quand il y a systématisation et retour critique sur ces incidents, des représentations qui peuvent être des filtres et des écrans majeurs à tout processus d'intervention.

Évidemment, cette méthode adaptée par Cohen-Emerique com- porte des limites, dont la plus importante pourrait être l'absence de reconnaissance de l'existence d'un rapport de force dominant- dominé dans toute rencontre interculturelle, ainsi que le font bien ressortir les travaux de Christensen7, de Jacob8 ou de Devore et Schlesinger9.

Il serait enrichissant, éventuellement, de tenter d'intégrer les données structurelles, les «vraies réalités» vécues par les immi- grants, comme dit A. Jacob10, à la grille d'interprétation des conflits culturels de Cohen-Emerique.

Mais il s'agit ici d'une forme d'essai sur une pratique donnée et non pas d'un article scientifique sur le travail social et la clientèle multiethnique. Il faut le considérer comme tel, avec les limites pro- voquées par la proximité de la pratique, en même temps que le res- sort que cela peut susciter.

Ainsi, à l'aide d'incidents critiques racontés par des intervenants sociaux, le lecteur est invité à plonger dans le « social proche » dont parle J. Lavoué11, composé ici de relations d'intersubjectivités entre professionnels et clients appartenant à des univers culturels dif- férents. En même temps, le lecteur peut prendre connaissance d'une façon particulière d'aborder les clientèles multiethniques qui, en filigrane, commence à être repérable.

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Selon la typologie faite par Cohen-Emerique12, il y aurait quatre segments culturels principaux qui provoqueraient des chocs cul- turels et des incompréhensions interculturelles : la perception différentielle de l'espace et du temps, les différences dans la struc- ture du groupe familial, les différences dans les codes d'échanges interpersonnels et les interactions aidant-aidé dans un contexte pro- fessionnel bureaucratique13. Malgré ses limites, cette typologie a l'avantage de nommer des malaises ressentis par les intervenants dans leur pratique avec des clients appartenant à des origines eth- niques et culturelles différentes. En plus de ce processus d'identifi- cation et d'émergence des sources profondes d'incompréhension, il y a une amorce d'analyse de ces incidents critiques, suivie d'une synthèse descriptive des ajustements de la pratique psychosociale auprès d'une clientèle pluriethnique.

Perception différentielle de l'espace et du temps Incident 1 : Il s'agit d'une visite effectuée par une travailleuse sociale qui doit évaluer un cas signalé d'abus sexuel et de violence chez deux enfants d'origine antillaise. Au cours de cette visite, la travail- leuse sociale constate que six personnes vivent dans un trois-et-demi, soit la grand-mère, ses trois fils qui sont de jeunes adultes, ses deux petits-enfants et une nièce adolescente. La travail- leuse sociale est fort étonnée de cette situation.

Évidemment, le contenu de l'évaluation peut être influencé par le choc ressenti par l'intervenante en observant les lieux où vivent tous ces gens. Il est possible que ce facteur prenne une connotation négative en raison des valeurs occidentales d'occupation de l'espace. Cependant, selon d'autres valeurs, plusieurs personnes peuvent vivre ensemble dans un même espace sans que cela ne cause de pro- blème. Comme il peut arriver que la même situation soit associée à une sorte de présomption de dégradation morale génératrice de torts immenses pour les gens concernés.

La perception différentielle de la notion de l'espace peut devenir aussi conflictuelle à l'occasion de placements : un enfant serait bien accepté chez une tante, mais sa maison ne correspond pas aux normes des ressources institutionnelles des Centres de services sociaux, lesquelles favorisent une chambre par enfant. Heureuse- ment, compte tenu des réalités des clientèles immigrantes (manque d'argent pour se payer de grands logements, nombreux enfants immigrants à placer), les organismes bureaucratiques assouplissent leurs exigences.

Incident 2 : Après une première rencontre avec une famille d'ori- gine africaine, la travailleuse sociale écrit le prochain rendez-vous sur un bout de papier et le remet à la femme. La famille ne se présente pas, mais vient sans rendez-vous à un autre moment. La travailleuse sociale trouve que ces gens la « niaisent ».

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Les rendez-vous manqués ou le fait de se présenter à des heures variées frustre généralement les intervenants sociaux. Ils associent ces incidents à de l'irrespect quand ce n'est pas à de la résistance au plan d'intervention. En fait, dans une société très bureaucratisée, la notion de temps est centrale et synonyme d'efficacité. Il existe cependant une autre représentation du temps qui est celle de son lent écoulement, sans repère quantitatif, si ce n'est de l'ordre du cosmique, ou du religieux14.

Quand ces deux représentations s'affrontent, comme c'est souvent le cas dans la pratique sociale des intervenants, cela fait naître un conflit qui ne favorise pas une rencontre interculturelle. Ce conflit perdurant, l'incompréhension s'installe. Seule une modification du système de valeurs permet de s'ouvrir à une autre dimension et offre une interprétation différente du même événement.

Différences dans la structure du groupe familial, les rôles et les statuts de ses membres C'est ici que se situent la majorité des incidents critiques racontés par les intervenants, là où il y a le plus de difficultés de communica- tion. Cette zone de tensions, liée à des façons différentes de se représenter la famille, se subdivise selon Cohen-Emerique10 en qua- tre points : la famille comme telle, la notion de personne, le statut et le rôle de la jeune fille et de la femme ainsi que les modes d'éduca- tion des enfants.

Incident 3 : Un enfant d'origine antillaise cause de gros problèmes dans sa classe. Cela devient insupportable. On l'envoie chez la tra- vailleuse sociale qui décide d'aller rencontrer la famille. Et c'est le choc : un père de 70 ans, une vingtaine d'enfants à l'extérieur du pays et au Québec, de femmes différentes. Sept de ces enfants sont à Montréal avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une soumis- sion aux préceptes bibliques et surtout le pouvoir «tout-puissant» de l'homme par qui tout doit passer.

Ici, les chocs culturels se multiplient au fur et à mesure de la ren- contre interculturelle. D'après Cohen-Emerique, le choc culturel est une «réaction de dépaysement, plus encore de frustration et de rejet, de révolte et d'anxiété, en un mot, une expérience émotion- nelle et intellectuelle [ . . . ]»16. Le premier choc culturel que subit l'intervenante dans cet incident critique consiste en la «toute-puis- sance» du père, en sa présence à tous les niveaux. Celle-ci doit toujours passer par lui pour quoi que ce soit : matériel scolaire, per- mission pour obtenir des ressources, pour discuter avec la mère. Cette situation entre en conflit de plein fouet avec les valeurs modernes d'égalité parentale, et surtout, du rôle de la femme.

Mais, «pour le bien des enfants», l'intervenante se plie aux con- traintes culturelles, c'est-à-dire qu'elle demande toutes les permis- sions au père, tient compte de sa «toute-puissance». Cela ne ren-

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voie-t-il pas à l'époque où les femmes «pour le bien des enfants» pliaient devant des maris despotes ? N'y aurait-il pas lieu de se demander si «faire de l'interculturel » peut consister pour les femmes intervenantes, à troquer leurs comportements « modernes »

pour des façons de faire plus « traditionnelles » ? Ou tout simple- ment, «faire de l'interculturel» nécessiterait une habileté particu- lière afin de surpasser les nombreux dilemmes. Ainsi, respecter les rites familiaux, apprendre l'utilisation des versets de la Bible afin de pouvoir riposter à ceux-là même qui sont servis par certains clients pour justifier leurs gestes, observer ce qui se passe tout en essayant de «faire accepter ses propres messages», ne sont que quelques moyens d'intervention parmi d'autres imaginés par des travailleurs sociaux en relation interculturelle.

Incident 4: Une jeune femme, venant du Moyen-Orient, ayant vécu huit grossesses dont la dernière était très difficile, se voit inviter par son mari, étudiant universitaire ne voulant pas manquer ses études, à aller sur le marché du travail. La travailleuse sociale est révoltée du peu de considération qu'il a à l'égard de sa femme.

Incident 5: Une jeune femme, d'origine antillaise venue consulter une travailleuse sociale pour les problèmes de son enfant, raconte, après plusieurs entrevues, la violence familiale dont elle est victime. Malgré les ressources d'hébergement offertes, malgré les échanges entre l'intervenante et la cliente sur des notions de respect de soi et de dignité, la cliente continue d'habiter avec son mari. La violence se maintient. La travailleuse sociale ne comprend pas pourquoi la jeune femme tolère cette situation.

Ce ne sont là que deux exemples où sont repérés des chocs cul- turels par rapport au rôle de la femme. Dans la plupart des histoires de cas où les intervenants parlent des femmes clientes, elles sont décrites comme étant soumises, dépendantes et dominées par leur entourage. D'où vient cette série de caractéristiques sinon d'une grille de décodage typiquement occidentale et moderne dans laquelle la notion de femme «libérée» coïncide avec autonomie, liberté, acceptation individuelle. Ce sont ces « images-guides » exces- sivement puissantes parce qu'elles sont liées à l'affectivité et à la sexualité, et dont il est difficile de se rendre compte, qui orientent les intervenants dans leurs évaluations sociales.

Les intervenants sociaux, issus de la société d'ici, ont une concep- tion «novatrice» du rôle de la femme. Cela peut entrer en conflit avec une image dite «traditionnelle» de ce même rôle. C'est un domaine dans lequel il est très difficile pour les intervenants, surtout les intervenantes, de relativiser et de faire des concessions, parce qu'elles partagent souvent elles-mêmes cette vision de la «femme libérée». Pourtant, certaines intervenantes réussissent une forme de relativisation. En ce qui concerne, par exemple, le refus de la femme d'origine antillaise d'envisager la séparation malgré la vio- lence qu'elle a vécue, l'intervenante laisse la cliente expliquer

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elle-même la raison de son incapacité à partir. De cette façon, l'intervenante apprend à regarder avec les «yeux de l'autre», en appliquant ainsi intuitivement un des principes de base des modèles d'intervention interculturelle de Green17 et de Devore et Schles- inger18 : la reconnaissance des ressources du client.

De plus, l'intervenante se rend compte de l'importance d'une notion essentielle en travail interculturel, soit celle de l'apparte- nance à la communauté d'origine. Pour la femme d'origine antillaise dont il est question dans cet incident critique, un processus de séparation avec le conjoint peut devenir un risque de rejet de la communauté d'origine. Et cela, elle ne peut le supporter.

L'incident 4 fait réagir l'intervenante qui trouve que la femme est «exploitée». Au Québec, avoir huit enfants, surtout dans le contexte présent de dénatalité, mérite beaucoup de considération pour la mère. De plus, avec le mouvement de libération des femmes et leur marche vers l'égalité, il y a, du moins dans le discours officiel, une reconnaissance du travail ménager comme équivalent au travail à l'extérieur de la maison. Depuis plusieurs années, on prend con- science de la double tâche des femmes ou du poids considérable du seul travail ménager. Alors, l'intervenante, ayant intériorisé ces valeurs de libération, valeurs associées au respect de la femme et à son statut égalitaire, ne peut s'empêcher d'être très choquée du sort qui semble réservé à sa cliente. Toute l'intervention pourra être teintée par cette réaction d'indignation devant une injustice faite à une autre femme.

Incident 6: C'est une jeune fille de 15 ans, née ici mais de parents d'origine asiatique, très pratiquants et très normatifs. L'adolescente veut « vivre sa jeunesse » avec ce que cela implique de sorties et de liberté. Le père impose des interdictions, lesquelles ne sont pas respectées. Affrontement physique : le père frappe. La fille le dit à la travailleuse sociale de l'école qui le signale à la Protection de la jeunesse.

Incident 7 : C'est une jeune femme d'origine antillaise vivant seule avec ses deux jeunes enfants. La petite fille de huit ans se plaint à l'école que sa mère la frappe. Signalement. Évaluation. Signalement retenu. Placement de l'enfant. La mère est révoltée.

Incident 8: Un homme originaire d'Amérique centrale, dont la femme est retournée au pays avec son plus jeune fils, est ici avec ses deux adolescentes. Il est sans travail, menacé d'expulsion, ne parle pas la langue, boit et est violent avec ses deux filles. Celles-ci vont directement à la police pour se plaindre et demander un placement. Ce qui est fait éventuellement. Le père « disparaît de la circulation » et semble avoir abandonné ses filles.

Voilà un autre domaine extrêmement délicat: celui de l'éducation des enfants et des châtiments corporels. Il n'y a pas si longtemps, c'était une méthode fort populaire utilisée dans à peu près toutes les couches de la société19. Puis au rythme de la modernisation, il y a eu

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une intégration des grands principes de la psychologie enfantine: développement des possibilités intellectuelles de l'enfant, impor- tance de son épanouissement affectif, incitation aux explications, au dialogue. Cette façon de faire semble dominante dans les pays industrialisés occidentaux. Mais, dans la majorité des pays du monde, ne prévaut-il pas encore le principe du «Qui aime bien châtie bien » ?

Peut-être, nous plaçons-nous en « sauveurs d'enfants » avec notre système légal de Protection de la jeunesse . . . Peut-être sommes- nous ignorants des conséquences immenses des ruptures avec le milieu d'origine, ruptures occasionnées par l'organisation des réponses institutionnelles et par la réaction aussi des familles de sociétés dites traditionnelles.

Dinicola, psychiatre, a soulevé le problème que pose l'intervention psychosociale, entre autres la thérapie familiale au sein des popula- tions du Tiers Monde. Pour ce chercheur, l'expression des pro- blèmes et les solutions envisagées par ces familles « vont à l'encontre des hypothèses fondamentales des théories occidentales [ . . . ] »20. Les théories occidentales d'aide psychosociale, du moins celles qui sont appliquées dans les organisations bureaucratiques et générale- ment fondées sur l'individu, n'encouragent pas particulièrement la participation de la famille dans le processus d'intervention. Consé- quemment, les familles se sentant déjà forcées de collaborer à un «plan d'intervention» qui n'est pas le leur, préfèrent «abandonner» leur enfant au système dominant, ne serait-ce que pour la durée de la mesure alternative recommandée (placement en famille ou en centre d'accueil).

Codes d'échanges interpersonnels Incident 9: C'est un intervenant qui a comme code d'éthique de ne rien accepter d'une famille cliente : ni nourriture, ni boisson, ni cadeau. La famille d'origine iranienne tente par tous les moyens de déjouer cette manière d'agir. Elle fait remettre un cadeau personnel à l'intervenant par le biais des enfants. L'intervenant ne peut refuser aux enfants de la famille, mais il est profondément choqué et a l'impression de s'être fait prendre au piège.

Incident 10: C'est une intervenante qui va faire une visite à domi- cile et qui se trouve quasiment forcée de manger avec la famille. L'intervenante a conscience que, pour la famille, elle est de la « visite » ou une amie. Mais elle ne veut pas être considérée comme telle.

Incident 11: Un père voulant aider son fils à se sortir des pro- cédures judiciaires et des rencontres avec l'intervenante demande combien peut « coûter un juge » et offre à l'intervenante un cadeau substantiel.

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Les intervenants réagissent différemment aux différentes manifes- tations d'hospitalité, aux remerciements pour services rendus ou aux requêtes spéciales. Chacun connaît très bien ce genre de situa- tion. C'est plus difficile pour ceux qui se situent, en premier lieu, dans un statut professionnel. En effet, les intervenants sont souvent sollicités soit à prendre un repas à la maison ou au moins une colla- tion, soit à faire « partie de la famille » ne serait-ce que le temps d'une visite (« entrevue » en langage professionnel). Ils rappellent à leurs clients «qu'ils ne sont pas là pour ça», «qu'ils ont un mandat de la Protection de la jeunesse», par exemple.

D'autres se sentent très à l'aise avec ce genre de liens informels que créent les clients et qui sont souvent essentiels pour construire une relation de confiance. Ces professionnels apportent occasion- nellement des petits cadeaux aux enfants, prennent un café, goûtent à un mets, jouent quelquefois le rôle du parent absent ou celui d'un membre de la parenté. Bref, ces intervenants «jouent sérieusement leur métier » et reçoivent des confidences (des problèmes en jargon technocratique). Pour ces intervenants, la confiance doit passer par le côté personnel, lequel s'accommode de dons et d'échanges.

Pour ce qui est des cadeaux reçus, les intervenants les voient comme étant directement reliés au type de relation qu'ils ont avec la famille. Si le cadeau dépasse le type de relation établi, il peut mettre dans l'embarras; s'il a comme objectif de «passer par-dessus la loi», il est considéré comme malhonnête. Mais encore, faut-il rappeler que dans de nombreux pays, la justice s'achète.

Donc, les règles de conduite à adopter concernant les cadeaux ou les invitations se font intuitivement, tout en sachant qu'ils peuvent avoir une très grande puissance symbolique et, surtout, tout en se rendant compte qu'ils sont souvent des sources de valorisation pour le client. Pour celui-ci, bien souvent, la relation d'aide ne peut se faire qu'à l'intérieur d'une relation d'amitié. Pour l'intervenant, il y a souvent un dilemme: celui de son rôle de créateur de lien pri- maire qui est en même temps mandaté pour exécuter une fonction de contrôle social.

Tensions aidant-aidé dans un contexte

professionnel de services sociaux Incident 12: Une femme d'origine africaine vient rencontrer l'inter- venante, mais est toujours accompagnée de voisins ou de parenté. L'intervenante demande aux gens de sortir, voulant respecter la confidentialité dans ses contacts professionnels.

Incident 13: Il s'agit d'une famille nombreuse d'origine africaine qui vient au bureau rencontrer une intervenante et qui sait que cela va lui permettre d'avoir accès à différentes ressources concrètes (lait, couches, meubles). La travailleuse sociale voudrait bien «travailler» les problèmes qu'elle perçoit chez la famille: problèmes reliés à

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l'adaptation, au deuil à faire du pays. Mais, tout ce que la famille veut, ce sont ces ressources matérielles. L'intervenante se sent comme une « vache à lait ».

Les clientèles multiethniques viennent souvent faire des demandes aux services sociaux parce que cela leur donne accès à une variété de ressources et de services concrets (chèques de pen- sion de familles d'accueil, chèques pour logements semi-autonomes et lettres de référence pour l'obtention d'autres choses, par exem- ple). Spontanément, ces gens ne demandent pas une aide psychoso- ciale à ces organismes. En général, ils ne sont pas vraiment inté- ressés à parler d'eux, à expliquer ce qui se passe ou à entreprendre une démarche de croissance personnelle, du moins, tant qu'ils n'ont pas établi une relation de confiance.

Certains intervenants se sentent exploités de vivre cette espèce de rapport strictement utilitaire. Certains se voient uniquement comme des «passeurs de chèques». Au contraire, d'autres tiennent énormé- ment compte des demandes concrètes, ayant conscience des condi- tions économiques de survie dans lesquelles vivent ces gens ou des attentes qu'ils ont face au nouveau pays, de la dégringolade sociale subie par plusieurs ou tout simplement des besoins supplémentaires dus aux responsabilités envers le reste de la famille restée au pays. Donc, être conscient des réalités quotidiennes, donner beaucoup de soutien matériel, ne pas s'en tenir uniquement au problème, est une façon de créer le contact pour certains intervenants qui tiennent compte ainsi des facteurs structurels et psychologiques. C'est une façon également d'être à l'écoute du problème de l'autre. Car, comme le mentionnent Devore et Schlesinger : « In many instances, people in need of concrete services are also in need of supportive case-work or group work services»21.

Pour certaines clientèles originaires des pays du Tiers Monde, il semble inconcevable de faire une demande autre que matérielle. Les consultations personnelles liées à des problèmes particuliers se font dans l'intimité de leur réseau primaire. Alors, c'est donc un principe essentiel en approche interculturelle de tenir compte des demandes concrètes, de voir en celles-ci des besoins non formulés. De toute façon, le système socio-politico-psychologique est inter- relié. Et comme Lum le précise: «The problem of minority people often have a systemic and not a psychological base »22.

Quant aux tiers, aux amis que les clients ont tendance à amener à l'occasion de rencontres avec l'intervenant au bureau ou à domicile, ces tiers sont, d'après Cohen-Emerique23, des médiateurs qui facili- tent la communication, qui traduisent les sentiments de l'autre, qui expriment ce que l'autre est incapable d'exprimer, bref ce sont des gens excessivement précieux qui ne doivent pas être écartés de l'entrevue. Ces gens peuvent parfois débloquer des situations exces- sivement complexes, par leur présence et leur soutien. Cohen- Emerique appelle ces personnes le « moi auxiliaire » du client. Lum

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les situe parmi le « natural community support system » qui fait par- tie du réseau de la famille élargie et que nous avons intérêt à inclure dans nos interventions, malgré une entrave à la confidentialité.

Il existe aussi ce que les intervenants appellent des incompréhen- sions institutionnelles, c'est-à-dire tous ces conflits liés à la distribu- tion des services sociaux, au type de services mis en place. Ceci con- stitue en quelque sorte une sous-catégorie originale par rapport aux zones de tensions de Cohen-Emerique24. En effet, celle-ci identifie les problèmes principalement du point de vue des demandes faites par les clients immigrants. Il est également possible d'aborder les problèmes du point de vue des réponses organisationnelles offertes (les services, les ressources, la protection sociale).

De toute façon, peu importe l'angle sous lequel les problèmes sont analysés, il y a des changements organisationnels à opérer, par- ticulièrement en ce qui concerne la Loi de la protection de la jeunesse parce que « for many minority clients the major issue is that certain provisions and procedures of the YPA (Youth Protection Act) are not congruent with their attitudes and belief systems»20.

Pour cette auteure, il y a trop de place pour la subjectivité et l'interprétation abusive de ce qu'est la négligence ou le danger. Dans le même sens, E. Douyon constate :

Les parents qui se sont toujours perçus comme des législateurs naturels se trouvent disqualifiés face à ce qu'ils considèrent comme une intrusion indue des appareils de l'État dans un domaine de juridiction privée26.

Donc, la famille élargie joue un rôle essentiel dans le règlement de nombreux problèmes. Les parents demeurent convaincus que: «frapper les enfants, ce n'est pas leur faire mal». Reste à savoir quel degré de châtiment corporel est acceptable par les différentes par- ties concernées. Il est clair toutefois que les parents manquent de renseignements pertinents et que les professionnels oeuvrant auprès des clientèles multiethniques travaillent d'une façon différente.

Ce qui nous mène au dernier point de cet article : l'ajustement des pratiques psychosociales auprès des clientèles multiethniques.

Ajustement des pratiques Les intervenants pratiquant dans le domaine de l'interculturel subissent souvent des chocs culturels. Qu'il s'agisse des dilemmes du métier, des contraintes organisationnelles et légales, d'un code pro- fessionnel de déontologie inadapté, de tâches matérielles d'aide financière à associer avec de l'aide dite psychosociale, que cela soit au niveau plus fondamental des croyances ou visions du monde, les intervenants sociaux marchent sur la corde raide et jouent souvent sans filet. Quotidiennement, ils font face à des valeurs différentes nécessitant un ajustement de leurs pratiques d'intervention. A la fois intuitivement et professionnellement, certains intervenants sociaux

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engagés dans une organisation bureaucratique ont déjà amorcé le « virage multiculturel ».

Effectivement, à l'occasion du mémoire dont je parlais en intro- duction et qui portait sur les caractéristiques de la pratique intercul- turelle, des intervenants interviewés ont parlé de leur pratique et des ajustements faits.

Voici, sous forme de portrait-synthèse, la présentation de leur pratique interculturelle qui se traduit par une réponse adaptée et en perpétuel mouvement, faite quotidiennement par les intervenants sociaux eux-mêmes. Malgré l'intuition et la mouvance de ce por- trait, il est facile de repérer des notions identifiées comme majeures par certains chercheurs (notion du temps, d'écoute, d'intégration des données structurelles).

Portrait d'une pratique interculturelle I Définitions

« Pratique où l'on tente de décoder le langage de l'autre, où l'on essaie d'avoir une conscience vis-à-vis de ses propres valeurs. » « Pratique qui est une sorte de va et vient entre la culture de l'autre et la sienne propre. »

II Particularités de cette pratique 1. Temps

« Donner le temps au temps », comme disait Cohen-Emerique au cours d'une session de formation donnée aux travailleurs sociaux du CSS-MM (Centre de services sociaux - Montréal métropolitain), en 1990. Donc, prendre le temps de créer le contact avec la clientèle, pour écouter, pour comprendre.

2. Flexibilité et non-uniformisation Flexibilité et souplesse dans les objectifs d'intervention, dans les outils d'analyse.

3. Écoute Laisser « l'autre » dire qui il est, d'où il vient, quelles sont ses principales difficultés.

4. Intérêt et auto-réflexion Avoir un intérêt et une ouverture d'esprit comme humain et comme professionnel; faire de la place à l'autre; s'informer sur les cultures autres que la sienne.

5. Vigilance et humilité Sortir des grilles familières de décodage des problèmes; accepter d'apprendre de l'autre; être capable de travailler dans une certaine insécurité, dans l'inconnu.

6. Intégration des données structurelles Tenir compte des facteurs autres que culturels: le contexte de survie matérielle, l'origine rurale ou urbaine, l'apparte- nance de classes.

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Canadian Social Work Review, Volume 8 (Summer) 289

III Moyens d'intervention privilégiés 1. Visites à domicile

Pour se mettre en contact avec la communauté d'apparte- nance des clients, pour aller voir les gens sur leur terrain.

2. Engagement personnel de l'intervenant Sortir du professionnalisme rigide et neutre; créer des liens réels d'humain à humain, se dire mutuellement ses valeurs; mettre pendant quelque temps le « mandat » organisationnel de côté et le dépasser.

3. Reconnaissance de son intuition, de ses ondes L'intuition est particulièrement utile dans les situations où la distance culturelle entre l'intervenant et le client est très grande.

4. Reconnaissance de plusieurs « vérités » Relativisation des façons de faire habituelles, des façons de voir dominantes.

5. Travail global avec le réseau de soutien Intervention familiale; travail avec des «tiers», avec des amis, avec des leaders religieux.

6. L'intervenant comme intermédiaire, comme «traducteur» d'un code à l'autre Travail de médiation, de validation du rôle de chacun, de réinterprétation.

7. Initiative et création de ressources concrètes Utilisation des ressources du milieu; concertation et connais- sance des ressources.

Ainsi, loin d'être un obstacle à l'évolution de la pratique intercul- turelle, les épisodes-problèmes relatant des incompréhensions inter- culturelles fournissent la matière même permettant l'ajustement de cette pratique aux nouvelles réalités d'intervention en service social.

La configuration actuelle de la pratique interculturelle telle que présentée dans ce portrait-synthèse semble emprunter à Devore et Schlesinger la notion des rôles d'« advocate, broker, enabler, media- tor, regulator » joués par les intervenants sociaux; à Lum, la notion de reconnaissance du réseau primaire; à Christensen, l'accent sur la réciprocité entre l'intervenant et le client au niveau des perceptions du monde; à Jacob, l'intégration des données structurelles; à Green, l'utilisation des ressources du client et sa recommandation de mettre quelquefois au second plan les priorités de l'agence de services sociaux au profit des intérêts des clientèles.

Les intervenants sociaux travaillant auprès de clientèles multieth- niques adaptent leur méthode d'intervention et, sans peut-être s'en rendre compte, contribuent à créer une approche particulière. Et c'est ici, dans ce lieu précis de création d'une approche précise ayant

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son rationnel propre, ses particularités, que la rencontre entre prati- ciens et chercheurs est riche de promesses.

Conclusion La clientèle des services sociaux, évoluant au même rythme que la société, est de plus en plus diversifiée culturellement et ethnique- ment.

Les intervenants sociaux font souvent face à des situations nouvelles, provocatrices de chocs culturels et d'incompréhensions multiples.

Loin de figer la pratique psychosociale auprès des clientèles mul- tiethniques, ces chocs culturels agissent comme des révélateurs de nouvelles pratiques.

Ces nouvelles pratiques sont de plus en plus repérables, voire « modélisables ». A force de parler « d'interculturel au quotidien », de défis de rinterculturel, les intervenants sociaux, à travers leurs propres groupes de discussion, équipes de travail, colloques et ate- liers de formation, tissent au jour le jour la trame de fond de ce qu'ils appellent d'ores et déjà l'approche interculturelle.

RÉFÉRENCES 1 Le mémoire s'intitule « Pratiques interculturelles sous l'angle de la Moder-

nité ». Dans le cadre de ce mémoire, quatorze intervenants sociaux travaillant dans deux Centres de services sociaux ont été interviewés sur leur pratique interculturelle.

2 J.-C. Flanagan, «The Critical Incident Technique», Psychological Bulletin 51, n°4 (juillet 1954).

3 M. Cohen-Emerique, « Chocs culturels et relations interculturelles dans la pra- tique des intervenants sociaux», Cahier de sociologie économique et culturelle (décembre 1984).

4 B. Gauthier, éd., Recherche sociale (Québec : PUQ, 1984). 5 Flanagan, «The Critical Incident Technique ». 6 Cohen-Emerique, « Chocs culturels et relations interculturelles ». 7 C. Christensen, « Cross-Cultural Social Work: Fallacies, Fears and Failings»,

Intervention (novembre 1988). 8 A. Jacob, « Les composantes d'une problématique complexe : intervention

sociale, groupes ethniques et classes sociales», RUFUTS (1984). 9 W. Devore et E. Schlesinger, Ethnie Sensitive Social Work Practice (2e éd.;

Columbus: Merrill, 1987). 10 Jacob, « Les composantes d'une problématique complexe ». 1 1 J. Lavoué, « Du "sens" des pratiques d'intervention et de changement chez les

travailleurs sociaux », Les Cahiers de la recherche sur le travail social n° 1 1 (1986). 12 Cohen-Emerique, « Chocs culturels et relations interculturelles ». 13 Ce sujet a fait l'objet d'une communication «Chocs culturels et pratiques nou-

velles» au congrès des «Services à la famille Canada», novembre 1990, par M. Cantin, M. Chiasson-Lavoie, et G. Roy, et publiée dans Echo professionnel 4, n° 2 (mai-juin 1991).

14 Cohen-Emerique, « Chocs culturels et relations interculturelles ». 15 Ibid. 16 Ibid., p. 185.

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17 J. Green, Cultural Awareness in the Human Services (Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-Hall, 1982).

18 Devore et Schlesinger, Ethnic Sensitive Social Work Practice. 19 N. Falconer et K. Swift, Preparing for Practice (Toronto: Children's Aid Society

of Metropolitan Toronto, 1983). 20 V. Dinicola, dans Systèmes humains 1, n° 3 (1985), p. 40. 21 Devore et Schlesinger, Ethnic Sensitive Social Work Practice , p. 207. 22 D. Lum, Social Work Practice and People of Colour (Brooks-Cole, 1986), p. 182. 23 M. Cohen-Emerique, «Le modèle individualiste de sujet: écran à la compré-

hension des personnes issues de sociétés non-occidentales » Cahiers de sociologie économique et culturelle (juin 1990).

24 Cohen-Emerique, « Chocs culturels et relations interculturelles ». 25 C. Christensen, dans Intervention n° 84 (1989), p. 39. 26 F. Douyon, dans Interculture n° 17 (été 1988), p. 25.

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