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R.F.C. 429 Février 2010 21 Comptabilité : sation et à l’évaluation des instruments financiers. Quant à l’IASCF, elle a initié, également en 2008, une révision (en deux étapes) de sa constitution. LES EFFETS DE LA FAIR VALUE SUR LES COMPTES Généralisées il y a maintenant cinq ans, les normes IFRS ont été introduites dans un contexte de croissance régulière et de stabilité économique. La tourmente financière a mis en exergue des carac- téristiques préjudiciables qui avaient été jusqu’alors sous-estimées, déclenchant ainsi une salve de reproches en provenance de la sphère financière. En particulier, les principes de valorisation des instruments financiers ont cristallisé l’essentiel des reproches. L’avènement des IFRS a profondément modifié les principes de valorisation des instruments financiers : d’un modèle fondé sur la valeur historique, nous sommes passés à une comptabilisation en fair value. Cette approche, également retenue par les normes américaines du FASB, privilégie notamment un recours aux don- nées du marché lors de la valorisation des instruments financiers. En période de baisse des marchés, l’application de ce principe de fair value impose la dépréciation immédiate dans le compte de résultat de pertes latentes. Aussi importante que puisse être la référence à la valeur de marché, il ne faut pas omettre que, intrinsèquement, les marchés portent en eux des imperfections dont les effets sont démultipliés en temps de crise et rendent caduc le modèle de la valeur de marché. En effet, comment valoriser à leur valeur de marché des actifs lorsque ces marchés sont illiquides, qu’il existe des déficits de transactions et que les marchés n’assurent plus leur fonction d’échange dans des conditions régulières ? Dans une conjoncture telle que celle que nous traversons, les mauvaises performances de la juste valeur révèlent son inadap- tation. Elle donne une vision à court terme des actifs dont l’échéance est lointaine ou peu liquides. Or, ce sont précisément ces titres qui constituent la majorité des actifs détenus par les établissements financiers. Au delà de cette dégradation des résultats, les effets de la crise sont également amplifiés par le caractère procyclique des normes. Le caractère procyclique des normes IFRS (et améri- caines) constitue, en effet, la critique la plus lourde formulée à leur encontre : leur application contribue à alimenter la spirale de la récession en limitant la capacité des banques à octroyer des crédits (1) . NORMES COMPTABLES ET CRISE FINANCIÈRE L es normes comptables, plus particulièrement le principe de la fair value (juste valeur), ont été récemment accusées d'avoir joué un rôle important dans la crise économique et financière que connaissent l'Europe et le monde, en raison notamment de leur effet procyclique. C'est dans ce contexte que Pascal Morand, Directeur général d'ESCP Europe, et Didier Marteau, professeur à ESCP Europe, ont été chargés par la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Christine Lagarde, de réfléchir à la question de la réforme de ces normes. Le rapport, établi après l’audition de plus de 30 personnalités, présenté le 13 octobre 2009 (118 pages), comprend deux par- ties, la première intitulée « Mettre le modèle économique de l’en- treprise au cœur du système de normalisation comptable : pour un ajustement du périmètre d’application de la fair value », la seconde intitulée « La gouvernance des instances de normalisation comptable en question ». Il s’accompagne de propositions pour une réforme du système de régulation comptable auxquelles sont jointes quatre annexes relatives respectivement aux termes du débat sur la fair value, aux limites de la valorisation en mark to market (valeur de marché), aux spreads de crédit (écart ou prime de risque) et probabilités risque-neutre de défaut et à une analyse historique du rendement de l'indice US actions. L’IASB travaille, de son côté, depuis 2008, à un ensemble de propositions visant notamment à l’amélioration de l’approche par la fair value et à la révision de la norme relative à la comptabili- Résumé de l’article Dans un rapport présenté à Christine Lagarde, ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Pascal Morand, Directeur général d'ESCP Europe, et Didier Marteau, pro- fesseur à ESCP Europe, ont conduit une réflexion sur les fondements des normes comptables IFRS et notamment sur les évolutions actuellement débattues au sein de l'IASB rela- tives à la valorisation des instruments financiers. Le rapport examine également les questions de gouvernance de la nor- malisation comptable. Ce rapport est à comparer avec les révisions en cours actuellement initiées par l’IASB et l’IASCF. 1. Ainsi les banques, par exemple, ont un comportement procyclique en rai- son de l'interaction entre IFRS et Bâle II (les moins-values sur les actifs réduisent les fonds propres, ce qui oblige les banques à réduire leur détention d'actifs ris- qués ou à distribuer moins de crédits lorsque les prix des actifs baissent). Les contraintes de liquidité ont aussi un effet procyclique : dans les périodes de ten- sion financière, les banques ont plus de peine à se procurer des liquidités et réduisent donc leurs crédits. Robert OBERT Diplômé d’expertise comptable Docteur en sciences de gestion

Normes Comptables Et Crise Financière

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  • R.F.C. 429 Fvrier 2010

    21

    Comptabilit

    :

    sation et lvaluation des instruments financiers. Quant lIASCF, elle a initi, galement en 2008, une rvision (en deuxtapes) de sa constitution.

    LES EFFETS DE LA FAIR VALUESUR LES COMPTES

    Gnralises il y a maintenant cinq ans, les normes IFRS ont tintroduites dans un contexte de croissance rgulire et de stabilitconomique. La tourmente financire a mis en exergue des carac-tristiques prjudiciables qui avaient t jusqualors sous-estimes,dclenchant ainsi une salve de reproches en provenance de lasphre financire. En particulier, les principes de valorisation desinstruments financiers ont cristallis lessentiel des reproches.

    Lavnement des IFRS a profondment modifi les principes devalorisation des instruments financiers : dun modle fond surla valeur historique, nous sommes passs une comptabilisationen fair value. Cette approche, galement retenue par les normesamricaines du FASB, privilgie notamment un recours aux don-nes du march lors de la valorisation des instrumentsfinanciers. En priode de baisse des marchs, lapplication de ceprincipe de fair value impose la dprciation immdiate dans lecompte de rsultat de pertes latentes.

    Aussi importante que puisse tre la rfrence la valeur demarch, il ne faut pas omettre que, intrinsquement, lesmarchs portent en eux des imperfections dont les effets sontdmultiplis en temps de crise et rendent caduc le modle de lavaleur de march. En effet, comment valoriser leur valeur demarch des actifs lorsque ces marchs sont illiquides, quil existedes dficits de transactions et que les marchs nassurent plusleur fonction dchange dans des conditions rgulires ?

    Dans une conjoncture telle que celle que nous traversons, lesmauvaises performances de la juste valeur rvlent son inadap-tation. Elle donne une vision court terme des actifs dontlchance est lointaine ou peu liquides. Or, ce sont prcismentces titres qui constituent la majorit des actifs dtenus par lestablissements financiers.

    Au del de cette dgradation des rsultats, les effets de la crisesont galement amplifis par le caractre procyclique desnormes. Le caractre procyclique des normes IFRS (et amri-caines) constitue, en effet, la critique la plus lourde formule leur encontre : leur application contribue alimenter la spiralede la rcession en limitant la capacit des banques octroyerdes crdits (1).

    NORMES COMPTABLESET CRISE FINANCIRE

    L es normes comptables, plus particulirement leprincipe de la fair value (juste valeur), ont trcemment accuses d'avoir jou un rle importantdans la crise conomique et financire que connaissentl'Europe et le monde, en raison notamment de leur effetprocyclique. C'est dans ce contexte que Pascal Morand,Directeur gnral d'ESCP Europe, et Didier Marteau,professeur ESCP Europe, ont t chargs par laministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi,Christine Lagarde, de rflchir la question de la rforme de ces normes.

    Le rapport, tabli aprs laudition de plus de 30 personnalits,prsent le 13 octobre 2009 (118 pages), comprend deux par-ties, la premire intitule Mettre le modle conomique de len-treprise au cur du systme de normalisation comptable : pour unajustement du primtre dapplication de la fair value , la secondeintitule La gouvernance des instances de normalisation comptableen question . Il saccompagne de propositions pour unerforme du systme de rgulation comptable auxquelles sontjointes quatre annexes relatives respectivement aux termes dudbat sur la fair value, aux limites de la valorisation en mark tomarket (valeur de march), aux spreads de crdit (cart ou primede risque) et probabilits risque-neutre de dfaut et uneanalyse historique du rendement de l'indice US actions.

    LIASB travaille, de son ct, depuis 2008, un ensemble depropositions visant notamment lamlioration de lapproche parla fair value et la rvision de la norme relative la comptabili-

    Rsum de larticle

    Dans un rapport prsent Christine Lagarde, ministre delEconomie, de lIndustrie et de lEmploi, Pascal Morand,Directeur gnral d'ESCP Europe, et Didier Marteau, pro-fesseur ESCP Europe, ont conduit une rflexion sur lesfondements des normes comptables IFRS et notamment surles volutions actuellement dbattues au sein de l'IASB rela-tives la valorisation des instruments financiers. Le rapportexamine galement les questions de gouvernance de la nor-malisation comptable. Ce rapport est comparer avec lesrvisions en cours actuellement inities par lIASB et lIASCF.

    1. Ainsi les banques, par exemple, ont un comportement procyclique en rai-son de l'interaction entre IFRS et Ble II (les moins-values sur les actifs rduisentles fonds propres, ce qui oblige les banques rduire leur dtention d'actifs ris-qus ou distribuer moins de crdits lorsque les prix des actifs baissent). Lescontraintes de liquidit ont aussi un effet procyclique : dans les priodes de ten-sion financire, les banques ont plus de peine se procurer des liquidits etrduisent donc leurs crdits.

    Robert OBERTDiplm dexpertise comptableDocteur en sciences de gestion