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UNIVERSITÉ PARIS VII DENIS DIDEROT MASTER 2 SOCIOLOGIE: MIGRATIONS ET RELATIONS INTERETHNIQUES ANNÉE SCOLAIRE 2006-2007 Mémoire de recherche présenté en vue de l’obtention du Master de migrations et relations interethniques Normes de beauté chez les jeunes filles __________ Comment les rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » façonnent les normes de beauté chez les jeunes filles françaises dans un lycée de Seine-Saint-Denis à l’heure actuelle SOUS LA DIRECTION DE JULES FALQUET ANNA MEZEY SEPTEMBRE 2007

Normes de beauté chez les jeunes filles

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UNIVERSITÉ PARIS VII DENIS DIDEROT

MASTER 2 SOCIOLOGIE: MIGRATIONS ET RELATIONS INTERETHNIQUES

ANNÉE SCOLAIRE 2006-2007

Mémoire de recherche présenté en vue de l’obtention du Master de

migrations et relations interethniques

Normes de beauté chez les jeunes filles

__________

Comment les rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » façonnent les normes de beauté chez les jeunes filles françaises dans

un lycée de Seine-Saint-Denis à l’heure actuelle

SOUS LA DIRECTION DE JULES FALQUET

ANNA MEZEY SEPTEMBRE 2007

RREEMMEERRCCIIEEMMEENNTTSS

Un travail de recherche n’est jamais une tâche individuelle et je n’aurais pas pu réaliser cette

étude sans l’assistance et la participation de plusieurs personnes. C’est pourquoi j’aimerais,

avant de commencer, remercier ceux et celles qui ont été là pour moi.

Je tiens dans un premier temps à remercier toutes les jeunes filles que j’ai rencontré qui m’ont

fait confiance en partageant leurs expériences et leur vision de la beauté. Ca a été un grand

plaisir de vous connaitre et vous êtes toutes des filles exceptionnelles ! J’exprime également

ma gratitude au lycée qui m’a accueillie. Merci à tout le personnel qui a accepté la présence

d’une figure étrangère dans les couloirs et à l’aide dans la recherche d’une salle disponible…

Je voudrais notamment remercier tout-e-s les surveillant-e-s qui m’ont soutenue tout au long

de ma présence au lycée.

Puis, il y a une personne en particulier à qui j’aimerais donner ma reconnaissance : Merci

Laura de toujours m’avoir encouragé et de toujours avoir été prête à m’aider dans ma

réflexion comme dans mes difficultés linguistiques (et dans la vie) … Je t’embrasse très

fort et je sais que nous continuerons à nous battre ensemble !

Ensuite je tiens à remercier tout-e-s mes ami-e-s avec qui je discute de la vie en générale et

qui me soutiennent dans le quotidien. La liste peut être longue mais j’aimerais en particulier

exprimer ma gratitude à Pia, Fanny, Ditte, Martina. Vous êtes mes petits soleils suédo-

français ! Que ferais-je sans nos discussions sur la vie dure d’une suédoise à Paris ☺. Je tiens

également à remercier Monsieur Petit d’être là avec moi en contribuant à faire les rues

parisiennes plus belles avec son beau chien que j’aime. Je voudrais aussi dire un grand merci

à ma famille, surtout ma maman, mon papa, et ma petite sœur. Merci d’être tels que vous

êtes !

Enfin, je voudrais exprimer toute ma gratitude à ma directrice Jules Falquet qui m’a beaucoup

inspiré dans mes démarches de recherche. Je tiens à vous remercier d’avoir acceptée d’être ma

directrice de recherche, d’avoir acceptée mes retards, d’avoir acceptée mes angoisses etc… et

un grand merci pour votre encouragement et tous vos conseils qui m’ont permis d’avancer

dans mon travail !

2

RRÉÉSSUUMMÉÉ L’apparence physique occupe une grande place dans la société aujourd’hui. Elle joue un rôle

dans nos comportements comme dans nos interactions. Or les normes de beauté sont racisées

et sexuées, souvent elles semblent être réduites aux femmes blanches. Les jeunes filles n’y

échappent pas et cette étude traite des normes de beauté propre à cette population à l’heure

actuelle. Dans l’intention de montrer comment les rapports sociaux de sexe, de classe et de

« race » façonnent celles-ci, nous avons conduit une recherche exploratoire dans un lycée

situé en Seine-Saint-Denis. A partir des entretiens avec quinze jeunes filles, ce travail vise à

faire ressortir leur réalité et par extension obtenir une image sincère de ce que c’est que d’être

une jeune fille en France aujourd’hui, en nous référant à l’analyse des normes de beauté.

Avec une démarche féministe qui se base dans le champ des études sur les « migrations et

relations interethniques », nous démontrerons que la notion de beauté s’imbrique dans les

rapports de domination. En attirant le regard sur les normes de beauté chez les adolescentes,

cette recherche veut montrer que les jeunes filles sont confrontées à un climat sexiste et

raciste.

FRANCE - SOCIOLOGIE - FÉMINISME - RELATIONS INTERETHNIQUES - JEUNES FILLES - NORMES

DE BEAUTÉ - RAPPORTS DE DOMINATION - RAPPORTS SOCIAUX - SEXISME - RACISME

3

« La beauté est un système monétaire /.../ Comme toutes les économies elle est dirigée par la

politique et dans l’époque occidentale moderne, ce système est la dernière et la meilleure

doctrine qui maintient la domination masculine intacte. Etant donné que la beauté attribue

aux femmes une valeur dans une hiérarchie verticale, en conformité avec une norme physique

que nous implique la culture, elle est une expression de rapports de pouvoir où les femmes

doivent concourir sur un terrain que les hommes ont pris en leur possession pour eux-

mêmes. »

THE BEAUTY MYTH, NAOMI WOLF (1996:10)

4

TTAABBLLEE DDEESS MMAATTIIÈÈRREESS

IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN................................................................................................................................................................ 88

PPRREEMMIIÈÈRREE PPAARRTTIIEE :: PPRREESSEENNTTAATTIIOONN DDEE LL''OOBBJJEETT DDEE RREECCHHEERRCCHHEE EETT MMEETTHHOODDOOLLOOGGIIEE .................................................................................................................................................................... 1111 CCHHAAPPIITTRREE 11 .................................................................................................................................................................................. 1122

LLAA CCOONNSSTTRRUUCCTTIIOONN DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ CCOOMMMMEE OOBBJJEETT DDEE RREECCHHEERRCCHHEE..................... 12 1.1 La présence de la beauté dans la société .................................................................... 12 1.2 Les enjeux de la beauté .............................................................................................. 13 1.3 La beauté est-elle universelle ? .................................................................................. 15 1.4 Où sont les jeunes filles ? ........................................................................................... 19

CCHHAAPPIITTRREE 22 .................................................................................................................................................................................. 2211 PPRROOBBLLÉÉMMAATTIIQQUUEE............................................................................................... 21

CCHHAAPPIITTRREE 33 .................................................................................................................................................................................. 2222 HHYYPPOOTTHHÈÈSSEESS..................................................................................................... 22

3.1 La notion de beauté dans la société occidentale se traduit par une injonction paradoxale. ....................................................................................................................... 23 3.2 Les jeunes filles les plus dominées en termes de classe et de « race » sont insérées dans l’image de la beauté comme « exotiques » et « sexualisées » ................................. 25 3.3 Les jeunes filles subissent le stigmate de « la putain » .............................................. 27

CCHHAAPPIITTRREE 44 .................................................................................................................................................................................. 2299 DDÉÉMMAARRCCHHEE TTHHÉÉOORRIIQQUUEE .................................................................................... 29

4.1 Un cadre féministe ..................................................................................................... 29 4.2 La nécessité de l’articulation des rapports sociaux de sexe, de classe et de « race ». 31

4.2.1 Eclaircissement quant à la « race » ..................................................................... 32 4. 3 Les rapports sociaux de domination.......................................................................... 33 4. 4 Précautions d’usage quant aux jeunes filles .............................................................. 36

4.4.1 Les jeunes filles comme un groupe construit ...................................................... 36

CCHHAAPPIITTRREE 55 .................................................................................................................................................................................. 3377 MMÉÉTTHHOODDOOLLOOGGIIEE................................................................................................ 37

5.1 Contexte de l’étude..................................................................................................... 38 5.1.1 Les jeunes filles au cœur des rapports sociaux de sexe, classe et « race ».......... 38 5.1.2 Le lycée servant comme terrain d’étude ............................................................. 40

5

5. 2 La mise en place de l’étude ....................................................................................... 41 5.2.1 La première visite au lycée.................................................................................. 41 5.2.2 Apprendre de m’approcher les jeunes filles ........................................................ 42

5.2.2.1 Les premiers rencontres ............................................................................... 42 5.2.2.2 La difficulté de bien présenter son objet de recherche ................................ 43

5.2.3 Le profil des jeunes filles .................................................................................... 44 5.2.3.1 « Filles maghrébines » et « filles noires » ................................................... 44 5.2.3.2 Une majorité de « Sanitaire et Sociale »...................................................... 45 5.2.3.3 Bilan signalétique des jeunes filles interviewées ......................................... 45

5.3 Méthodologie de travail ............................................................................................. 46 5.3.1 L’entretien comme outil et son guide.................................................................. 46

5.3.1.1 L’idée des photos.......................................................................................... 47 5.3.2 Le déroulement des entretiens............................................................................. 49

5.3.2.1 Savoir animer la discussion ......................................................................... 49 5.3.2.2 La « chasse » après des salles et des jeunes filles ....................................... 50

5.3.3 Les rapports entre les jeunes filles et moi ........................................................... 50 5.3.3.1 L’équilibre entre une relation professionnelle............................................. 51 et une relation privée................................................................................................ 51

5.3.4 Les rapports de domination ................................................................................. 51

DDEEUUXXIIÈÈMMEE PPAARRTTIIEE :: PPRRÉÉSSEENNTTAATTIIOONN DDEESS RRÉÉSSUULLTTAATTSS.................................................. 5533

PPAARRTTIIEE II :: LLAA BBEEAAUUTTÉÉ :: UUNN SSYYSSTTEEMMEE DDEE NNOORRMMEESS CCHHEEZZ LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS .................................................................................................................................................................................................. 5555

CCHHAAPPIITTRREE 11 .................................................................................................................................................................................. 5566 LLAA CCOOMMPPLLEEXXIITTÉÉ DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ CCHHEEZZ LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS .................................. 56

1.1 Être fille, c’est être belle ............................................................................................ 56 1.2 Les caractéristiques de la beauté ................................................................................ 58 1.3 L’harmonie des qualités pour être belle ..................................................................... 59

CCHHAAPPIITTRREE 22 .................................................................................................................................................................................. 6611 ÊÊTTRREE MMAAQQUUIILLLLÉÉEE :: ÊÊTTRREE FFÉÉMMIINNIINNEE ................................................................... 61

2.1 Avoir « bonne mine »................................................................................................. 61 2.2 Le maquillage, un critère pour sortir ? ....................................................................... 62

CCHHAAPPIITTRREE 33 .................................................................................................................................................................................. 6644 LL’’IIMMPPOORRTTAANNCCEE DDEESS CCHHEEVVEEUUXX........................................................................... 64

3.1 Une « coupe garçon »................................................................................................. 64 3.2 Il faut souffrir pour être belle... .................................................................................. 66 3.3 Les cheveux brune, blonde, noire ou rose ? ............................................................... 68

6

PPAARRTTIIEE IIII :: LLEESS RRAAPPPPOORRTTSS DDEE DDOOMMIINNAATTIIOONN ÀÀ PPAARRTTIIRR DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ 7700

CCHHAAPPIITTRREE 44 .................................................................................................................................................................................. 7711 LLEESS CCOOUULLEEUURRSS DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ........................................................................... 71

4.1 La valorisation des cheveux lisses ............................................................................. 71 4.2 Aux yeux bleus et à la peau claire.............................................................................. 73 4.3 La réduction de la beauté à la couleur de la peau....................................................... 74 4.4 Le rôle des crèmes éclaircissantes.............................................................................. 76

CCHHAAPPIITTRREE 55 .................................................................................................................................................................................. 7777 LL’’EENNJJEEUU EENNTTRREE LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS ................................................................... 77

5.1 Un lycée « fashion »................................................................................................... 77 5.2 Être « sexy »............................................................................................................... 79 5.3 Entre « putain » et « féminine » ................................................................................. 79 5.4 Le maquillage comme un masque naturel.................................................................. 81

CCHHAAPPIITTRREE 66 .................................................................................................................................................................................. 8822 LL’’AAPPPPRROOPPRRIIAATTIIOONN DDUU CCOORRPPSS FFÉÉMMIINNIINN............................................................... 82

6.1 Plaire aux autres ......................................................................................................... 83 6.2 « T’as des belles fesses ! » ......................................................................................... 84 6.3 Être son sexe............................................................................................................... 85 6.4 Se montrer indépendante............................................................................................ 87

CCOONNCCLLUUSSIIOONN.............................................................................................................................................................................. 8899

AANNNNEEXXEESS ........................................................................................................................................................................................ 9944

BBIIBBLLIIOOGGRRAAPPHHIIEE.................................................................................................................................................................. 111166

7

INTRODUCTION Il y a un an je me suis baladée dans les couloirs du métro et je suis passée devant une grande

affiche faisant la publicité pour une pièce de théâtre ayant pour titre, Bambi elle est noire mais

elle est belle1 avec la photo d’une femme. En effet, ce fut avec ces mots que la belle-mère

française de l’actrice Maïmouna Gueye la complimenta lorsqu’elle arriva en France pour

vivre avec son ami français. Je me suis demandée : pourquoi y avait-il écrit noire mais belle ?

Pourquoi fallait-il souligner son apparence physique ? Le fait que la femme soit présentée

comme belle et que ce soit donc son apparence qui détermine qui elle est, évoque la

perception des femmes comme des objets mis à disposition. Effectivement, souvent, les

femmes sont décrites par rapport à leurs caractéristiques physiques. Par ailleurs, le fait qu’il

soit dit « elle est noire » exprime une nécessité d’indiquer la couleur de sa peau parce qu’elle

n’est pas blanche. Parallèlement le « mais » dans le titre suggère implicitement que l’on ne

peut pas être belle si on est noire... Peut-on parler de racisme lorsqu’on évoque la beauté ?

Ceci furent mes premières réflexions sur la beauté et je me suis lancée dans un thème de

recherche peu développé dans la sociologie française. Pourtant l’apparence physique occupe

une grande place dans notre société, ayant un impact dans les rapports sociaux et le

comportement humain. Nos corps, nos visages, nos vêtements et nos allures jouent un rôle

profond dans la vie, à notre avantage comme à notre désavantage. Femme ou homme, noir-e

ou blanc-he, riche ou pauvre, gros-se ou mince, grand-e ou petit-e, etc... L’apparence

physique peut jouer un rôle essentiel quant à nos destins. Or, en Occident les fondements des

conceptions de la beauté semblent être limités aux femmes blanches. Si nous considérons la

beauté comme un système de normes, les femmes non-blanches ont-elles une possibilité de

contester ces normes ?

Ce printemps (2007) l’agence Elite2 a cherché des « jeunes filles typées et métissées »3 en

allant dans les « quartiers » en banlieue parisienne pour trouver de « nouveaux visages »4 pour

les marques. Mais, au final, la majorité des filles choisies sont bel et bien des blondes à la

peau blanche et la beauté continue à être incarnée par les femmes blanches. Les femmes non- 1 Voir annexe 1 pour la photo 2 Agence international de mannequins. 3 Toutes les citations dans notre étude seront en italiques entre des guillemets. Quand nous mettons des guillemets seuls, nous souhaiterons de mettre en évidence la construction du mot. Si le mot est en italiques sans guillemets, nous souhaiterons l’accentuer. 4 Voir annexe 2 pour l’article apparu dans le Figaro concernant ce sujet.

8

blanches, peuvent-elles proposer des contre-modèles ? Le journaliste qui rapporte ce fait

estime que « dans les quartiers, si tous les garçons veulent être Zidane, les filles, elles, rêvent

d'être la prochaine Naomi Campbell ». Plus de 150 jeunes filles de 14 à 20 ans se sont

rendues au centre commercial pour être « choisies ». Pourquoi les jeunes filles aspirent-elles à

être sélectionnées pour leur physique ? Et pourquoi faut-il faire une sélection basée sur des

critères de couleur de peau ?

Un des moteurs derrière cette étude a donc été ma curiosité autour d’un ensemble de constats

concernant la beauté et les jeunes filles. Ensuite, dans le domaine des études sur les

« migrations et relations interethniques », l’aspect de la beauté n’est guère abordé. Si le

phénomène du racisme est souvent analysé dans le contexte du marché de l’emploi ou du

logement, par exemple, la beauté, elle, est délaissée. Il est alors intéressant de s’interroger sur

les rapports sociaux de sexe, de classe, et de « race » pour les normes de beauté. L’idée

d’étudier la beauté à partir des rapports de domination qui constitue un élément fondamental

dans le champ de migration et relations interethniques, m’a alors séduite. L’intérêt de notre

étude réside dans l’analyse des normes de beauté chez les jeunes filles dans un lycée situé en

Seine-Saint-Denis. La problématique illustrera notre volonté de découvrir dans quelle mesure

celles-ci sont influencées par les rapports sociaux de sexe, de classe et de « race ». Dans les

chapitres suivants nous verrons la nécessité de conduire une recherche visant les jeunes filles

dans la société française qui, selon nous, sont au cœur de ces rapports sociaux. Le système

sexiste, classiste et raciste se manifeste différemment dans la vie quotidienne, plus ou moins

discriminant selon l’apparence physique, et les jeunes filles sont souvent négligées dans la

recherche avec une approche comme la nôtre. C’est aussi pourquoi nous avons choisi de

placer les jeunes filles au centre de la recherche. Par conséquent, l’envie d’approfondir la

recherche et les connaissances scientifiques, trouve une légitimité et une raison d’être, bien

plus solides que de simples attentes personnelles. Car parallèlement aux motivations

scientifiques, il existe des attentes personnelles et idéologiques dans ma recherche auprès de

ces jeunes filles. Tout d’abord, en tant que femme je fais partie d’une d’un groupe opprimé, et

en tant que féministe j’en suis consciente et tente par là de me battre contre la position

d’infériorité. De plus, mon âge et mes expériences m’ont permis de créer une distance entre

mes années d’adolescence et aujourd’hui dans mon rapport à l’apparence physique, et j’ai été

séduite par l’idée de retourner en arrière avec les acquis que la vie et mes études, m’ont

apporté.

9

Nous développerons particulièrement le point de vue féministe5 au long de l’étude, c’est

pourquoi certains mots sont écrits avec e-es à la fin, pour marquer que l’on parle des hommes

et des femmes. Dans la mesure où cette étude n’est que le reflet d’une situation particulière

sur un terrain réduit à un moment donné, ce travail s’organisera en deux parties. Dans une

première partie, regroupant cinq chapitres, nous contextualiserons le cadre de cette étude.

Nous verrons d’abord la construction de la beauté comme un objet de recherche. Ceci nous

amène ensuite au deuxième chapitre où la problématique est développée. Après avoir tenté

d’établir la problématique, nous énoncerons, dans le chapitre suivant, les hypothèses qui ont

guidé la recherche. Le chapitre numéro quatre consistera en une présentation du cadre

théorique dans lequel s’insère ce travail. Enfin, dans le cinquième chapitre, nous exposerons

l’approche méthodologique pour décrire la réalisation de cette étude. Dans une deuxième

partie, composée de six chapitres, nous essaierons de cerner les phénomènes sociologiques

liés à la beauté et nous entrerons dans le vif du sujet en abordant les rapports de domination à

partir des données collectées sur le terrain. Le travail se terminera sur une conclusion dans

laquelle nous tenterons de répondre à notre problématique, puis cela sera suivi d’une analyse

réflexive sur l’intégralité du travail. Il sera aussi un lieu pour indiquer les pistes qu’il serait

intéressant de poursuivre.

5 Se rapporter particulièrement au chapitre 4.

10

PPRREEMMIIÈÈRREE PPAARRTTIIEE :: PPRREESSEENNTTAATTIIOONN DDEE LL''OOBBJJEETT DDEE RREECCHHEERRCCHHEE

EETT MMEETTHHOODDOOLLOOGGIIEE

11

CHAPITRE 1 LLAA CCOONNSSTTRRUUCCTTIIOONN DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ

CCOOMMMMEE OOBBJJEETT DDEE RREECCHHEERRCCHHEE

Ce premier chapitre est destiné à la construction sociologique de l’objet étudié. Nous allons

considérer la beauté sous des angles différents, en nous appuyant sur des travaux liés au sujet

qui nous intéresse. Le chapitre se compose de quatre parties, chacune présentera une certaine

approche de la beauté, dans l’intention d’éclaircir la logique de la problématique.

1.1 La présence de la beauté dans la société Il y a plus de trente ans, Jean Baudrillard6 écrivait que « la beauté est devenue pour la femme

un impératif absolu, religieux. » A-t-il raison ? Les femmes sont-elles préoccupées par leur

image et par la volonté de se « faire belle » ? La beauté est-elle vraiment une obligation

dogmatique ? Faut-il être belle pour avoir du succès et donc devenir heureuse ? Toujours

selon J. Baudrillard :

« La beauté est une forme de capital, parce qu’elle a valeur d’échange

fonctionnelle. L’impératif de beauté est un impératif de faire valoir du

corps. »

Si nous regardons autour de nous, nous pouvons facilement constater que la fascination de

l’apparence physique, et plus particulièrement de la beauté, est prépondérante au sein de la

sphère publique et de l’espace médiatique, visant surtout les femmes. Comme le dit

l’écrivaine Louise H. Forsyth7 (2003) :

« Les pratiques quotidiennes de la culture médiatique construisent et

renouvellent implacablement de nos jours dans les pays occidentaux une

image idéale de la féminité. »

6 Baudrillard (1970) La société de consommation, ses mythes, ses structures, Ed. Denoël, cité in Sméralda (2004 :34). 7 Féministe travaillant sur la poésie, le théâtre et la théorie féministe.

12

Effectivement, la beauté est sexuée et ce sont les femmes qui sont concernées. On attache

beaucoup d’importance au fait « d’être vue » ainsi que « d’être quelqu’un ». Juliette

Sméralda8 affirme que la vue est fondamentale dans la perception, et « une importance

extrême est accordée à l’apparence » (2004:173). Suite au développement des moyens de

diffusions médiatiques, un nombre infini de variantes illustrant l’image de la féminité et des

femmes, a forgé un environnement visuel, psychique et socioculturel des femmes. Dans son

livre Histoire de la beauté, (2004:184) George Vigarello explique qu’à partir du XXème

siècle la société de consommation s’est développée et la beauté est devenue un objet ;

« [C’est] la beauté comme projet d’ensemble, comme univers physique

« total », qui devient objet de commerce et de soins ».

Nous sommes entourées par des messages soulignant que la beauté est le reflet de notre

identité, et que le fait d’être belle est synonyme de réussite. Mais comment en sommes nous

arrivées là ? Et pourquoi la beauté est-elle aussi importante ? Dans les parties suivantes, j’ai

l’intention d’expliquer que la beauté est capitale pour les femmes. L’origine de cette

explication vient du patriarcat, qui se traduit en un système social sexiste et raciste

(et classiste).

1.2 Les enjeux de la beauté Au début des années 1990, Susan Faludi, journaliste nord-américaine, publia Backlash. The

Undeclared War Against American Women, (1992 [1991]) référence devenue désormais

classique pour les féministes. Le point de départ de l’ouvrage de S. Faludi est la critique du

double message entendu par les femmes nord-américaines dans les années 1980 : d’un côté,

l’égalité entre hommes et femmes n’a jamais été aussi proche, et il n’y a donc plus besoin

d’une lutte féministe, mais de l’autre côté les femmes se sentent mal dans leur peau, sont trop

stressées, sont malheureuses, n’arrivent pas à trouver un compagnon etc. Ceci étant causé par

le mouvement féministe, qui a réussi à rendre les femmes « trop libres ». S. Faludi montre que

bien au contraire, les femmes ne se sentent pas épanoui, justement parce que l’inégalité

subsiste, et parce qu’elles continuent à être opprimées par un système sexiste. Elles sont loin

d’être libres et indépendantes, les règles sont toujours déterminées par les hommes, et les

femmes contribuent elles-mêmes à les maintenir. Le patriarcat réduit l’être des femmes à la 8 J. Sméralda, d’origine martiquinaise, est docteure en sociologie et sa recherche porte sur la sociologie de la domination et l’interculturalité.

13

seule maternité et à ce qui l’entoure. Les femmes sont victimes d’un climat sexiste, qui passe

par le contrôle du corps et de la beauté. Comment se manifeste ce contrôle ? Est-il vécu de la

même manière par toutes les femmes ?

Selon Naomi Wolf (1996 [1991]), notre culture nous manipule : l’auteure nord-américaine

énonce que les médias et les publicités utilisent les femmes, leurs visages et leurs corps pour

exercer un contrôle et donc un pouvoir sur elles. Elle analyse également la façon dont

l’expansion de l’industrie esthétique et l’hystérie des régimes amaigrissants résultent souvent

en opérations dangereuses et en risque d’anorexie chez les femmes. L’émergence d’une

idéologie oppressante de beauté et de minceur est le résultat d’une tentative pour contrôler les

femmes et profiter de l’obsession, culturellement induite, de l’apparence physique de la part

des médias, des publicitaires et des industries cosmétiques. En effet,

« Nous nous trouvons dans une réaction excessive contre le féminisme qui

profite des images de la beauté féminine comme une arme politique contre

l’avancement des femmes : le mythe de la beauté. /.../ Depuis la révolution

industrielle les femmes occidentales issues de la classe moyenne 9 , sont

maîtrisées par des idéaux et des stéréotypes » 10 (8, 13).

Les femmes se trouvent donc piégées par ce mythe et par là, sont situées sous le regard des

autres : hommes et femmes. Si le passé dictait des rôles aux femmes en tant que femmes au

foyer, restreintes à la sphère familiale, aujourd’hui elles sont largement dictées par ce mythe.

En revanche, nous trouvons encore et toujours les femmes et leurs corps au service des

hommes, de l’économie, des entreprises et des institutions patriarcales. Autrement dit, la

beauté pour les femmes est souvent une manière d’être valorisées en général et de se

conformer à la société. Or la société dans laquelle nous vivons se structure fondamentalement

sur le mariage et/ou le couple hétérosexuel, et la beauté devient un indice sur le marché

matrimonial. Comment la beauté s’exprime-t-elle chez les jeunes filles ? Nicole-Claude

Mathieu souligne que les jeunes qui entrent dans la vie sexuelle sont probablement les plus

dépendants des normes sociales hétérosexuelles :

9 Or nous nous ne limitons pas ici à la classe moyenne. 10 L’ensemble des citations de Naomi Wolf est librement traduit par moi.

14

« la femme doit se faire désirable, l’homme décide si elle est désirable ;

autrement dit, la femme doit induire le désir de l’homme, se produire pour

l’homme, elle ne doit pas produire son propre désir » (1994:59).

Les jeunes filles ont-elles conscience de cet enjeu conditionné par la société patriarcale ? A

qui les jeunes filles cherchent-elles à plaire en adoptant les normes de la beauté

« dominante » ? Les rapports sociaux de classe et de « race » influencent-ils cet enjeu et donc

les normes de beauté ?

1.3 La beauté est-elle universelle ? La beauté est-elle accessible pour toutes les femmes ? Comment savoir qui est belle et qui ne

l’est pas ? Il est rare de rencontrer une définition précise de la beauté. Ses caractéristiques

spécifiques sont difficiles à préciser11. La définition trouvée dans un dictionnaire classique

apparaît, même elle, comme floue, faisant appel à la subjectivité et au ressenti12 et on avance

souvent que ce sont « l’harmonie, l’équilibre, la symétrie des proportions et des formes » qui

composent le sentiment du beau chez ceux et celles qui observent un visage ou un corps

(Amadieu 2002:14). Cependant, de nombreuses études démontrent, par exemple, l’importance

de la couleur de la peau, ou bien de la structure et de la couleur du cheveu comme indicateurs

de beauté. Plus on est claire de peau et plus on a la chevelure lisse et brillante (et blonde), plus

on est belle. Cela remonte à l’époque de l’esclavage où la peau claire était associé à un statut

supérieur, alors que le cheveu crépu était associé à la malpropreté (Hunter 2002; Kroes 2006;

Sméralda 2004; Sy Bizet 2000).

L’ouvrage de J. Sméralda, Peau noire, cheveu crépu, l’histoire d’une aliénation, (2004)

s’articule autour des rapports de domination selon une perspective d’ethnicité et de « race » en

analysant les pratiques de beauté chez les femmes noires, notamment sur leurs relations à

leurs cheveux et au blanchissement de la peau. J. Sméralda conclut que l’esthétique

occidentale « impose sa tyrannie à des sociétés exogènes » et la peau blanche et les cheveux

lisses représentent le luxe et le bien-être (2004:290). La sociologue nous offre un beau résumé

11 Juliette Sméralda (2004 : 33) présente les synonymes du terme beauté donnés par le Dictionnaire des synonymes Le Robert : agrément, art, charme, délicatesse, distinction, éclat, élégance, esthétique, féerie, finesse, force, fraîcheur, grâce, grandeur, harmonie, joliesse, majesté, noblesse, perfection, pureté, richesse, séduction, splendeur... 12 La beauté : qualité de ce qui est beau ; ensemble harmonieux de formes et de proportions, qui éveille un sentiment de plaisir et d’admiration par l’intermédiaire des sensations visuelles ou auditives (Larousse 2000).

15

de l’histoire de l’aliénation par le cheveu crépu et la peau noire, mais la perspective de

« sexe » n’occupe pas beaucoup de place dans l’étude. En analysant les rapports de

domination, peut-on réellement s’exempter d’inclure la notion de « sexe » ? Margaret L.

Hunter13 (2002) soutient que la beauté, définie par la peau claire, sert de capital social aux

Etats-Unis pour les femmes de couleur dans leur poursuite d’étude, pour leur avenir

professionnel et matrimonial. De cette manière la « valeur » des femmes noires est déterminée

en accord avec une norme de beauté racisée. L’apparence physique est donc un pouvoir pour

les femmes dans les démarches matrimoniales (Rockquemore 2002). Qui définit donc la

beauté ?

Les canons de la beauté ont varié selon les époques. Cette logique est le sujet qui préoccupe

l’historien George Vigarello 14 (2004) dans son ouvrage Histoire de la beauté. L’auteur

considère la beauté comme un miroir des sociétés. Mais un miroir de quelle société ? La

société occidentale ? Si la beauté est le miroir de la société, peut-elle jouer le rôle de

révélateur des rapports sociaux de domination ? L’étude historique trace les normes et les

pratiques de la beauté et du corps de la Renaissance à nos jours. Pourtant, l’historien ne prend

pas en compte la diversité de la société. Tout d’abord, l’auteur parle quasiment exclusivement

de la beauté comme un phénomène féminin, et même s’il remonte jusqu’à nos jours, il est

intéressant de noter que son analyse reste malheureusement concentrée sur les femmes

blanches.

Plusieurs travaux révèlent une différence entre les femmes noires et les femmes blanches par

rapport à leurs critères de beauté (Lorde 1984; Lovejoy 2001; Molloy 1998; Riley 2002)(cf.

Lakoff & Scherr 1984)15. Ceux-ci sont réalisés aux Etats-Unis. Nous les évoquerons ici car

nous considérons qu’ils peuvent aussi être applicables à la société française. Comme nous

avons eu des difficultés à trouver des études liés au contexte français, nous estimons utile de

nous appuyer sur, et de présenter, ces travaux. Par exemple la culture nord-américaine est

largement exportée en Europe, notamment dans le domaine de la musique et du cinéma et

représente souvent un cadre de réferences. Si les travaux états-uniens parlent surtout d’une

différence entre les femmes noires et les femmes blanches, nous parlerons davantage des

13 Sociologue nord-américaine 14 Historien français, directeur d’étude à l’EHESS 15 La différence entre les femmes noires et les femmes blanches concerne ici les femmes vivant dans le même pays.

16

femmes racisées et non-racisées16. Nous soulignerons aussi la différence entre l’histoire de

l’immigration aux Etats-Unis et en France. Sirena J. Riley17 (2002) nous fait part d’une

approche « américaine » de la beauté. L’auteure analyse un sondage national réalisé en 1993

sur l’image du corps chez les femmes nord-américaines. Par rapport à l’image de la femme

idéale, l’étude montre que les femmes blanches font référence à l’apparence physique (le

poids, la taille et les cheveux) tandis que la femme idéale pour les femmes noires est

intelligente, indépendante et avec une bonne confiance en elle. Ainsi, elles négligent

davantage l’aspect physique. Mais qui alors impose ces normes différentes ? Pour S. Riley, la

réponse dépend du racisme, du sexisme et encore du classisme qui, selon elle, expliquent les

différences de critères entre femmes noires et femmes blanches. La sociologue nord-

américaine Meg Lovejoy (2001) s’interroge plus particulièrement sur les différences entre les

femmes noires et les femmes blanches quant aux images du corps et en particulier du désordre

alimentaire, en analysant ces différences à partir des rapports sociaux de sexe, de classe et de

« race ». L’étude montre que les femmes noires acceptent davantage de prendre du poids,

avec le risque de l’obésité, tandis que les femmes blanches aiment moins leur corps et cela se

manifeste par l’autre extrême, l’anorexie ou la boulimie. S’agit-il d’une rencontre entre les

normes des groupes dominants et celles des groupes minoritaires ?

Malgré la circulation des individus et les flux migratoires aujourd’hui, l’eurocentrisme (plus

généralement, la primauté aux valeurs occidentales) est toujours omniprésent dans la façon

dont s’élaborent les normes de beauté (Hill in Kroes 2006). J. Sméralda (2004:164) reconnaît

que ;

« Lorsque le corps d’un individu entre en interaction avec d’autres corps, du

même groupe d’appartenance que lui ou de groupes étrangers (hors-

groupes), une expérience particulière est vécue par celui-ci qui combine des

images et des affects ».

Toni Morisson (1999 [1970]) l’illustre bien dans son ouvrage The Bluest Eye,18 où elle

raconte comment la beauté noire est rejetée, y compris par la population noire. La jeune fille

noire dans l’histoire croit que le fait d’avoir des yeux bleus changera le regard des autres sur

16 Voir chapitre 4 pour une définition. 17 Sirena J. Riley est une jeune femme américaine et noire, diplômée en Women studies 18 Il ne s’agit pas ici d’une oeuvre sociologique, mais d’un roman

17

elle. Patricia Hill Collins, sociologue féministe noire, citée par M. Lovejoy, note que

l’objectivation des femmes noires en tant qu’ « autrui » dans la société états-unienne opère

aussi au sujet de la beauté. Elle explique que les femmes blanches aux yeux bleus, aux

cheveux blonds et avec un corps mince ne peuvent pas être considérées comme belles sans

l’Autre, c’est-à-dire les femmes noires avec des traits africains classiques, la peau noire, le

nez large, de grosses lèvres et les cheveux frisés (Lovejoy 2001). Or, selon Hill Collins les

femmes noires doivent créer leur modèle de beauté afin de ne pas se conformer aux notions de

féminité et de beauté définies par le patriarcat (ibid.). Les jeunes filles racisées peuvent-elles

proposer de nouveaux modèles face aux normes imposées ? Essaient-elles de s’éloigner du

cadre dominant pour composer une beauté propre à elles ?

J.Sméralda (2004:27) énonce dans son livre Peau noire, cheveu crépu. L’histoire d’une

aliénation, que :

« Les représentations qui ont cours dans le domaine de l’esthétique des

peuples et des canons de beauté dominants sont /.../ largement influencées

par les élucubrations qui tenaient lieu de savoir scientifique sur la personne

du Noir /.../ Les clichés résistants, enracinés dans le terreau de ce pseudo-

savoir interviennent activement dans les jugements de valeur que continuent

de véhiculer les supports médiatiques de la société de consommation, qui

vendent de la beauté, du plaisir (à voir / à regarder / à être vu et regardé...),

à partir d’une exploitation forcenée du corps, instrumentalisé, objet à polir

sans fin, pour soutenir le jeu des rapports de force entre les races, les sexes,

les ethnies... ».

En fait, les femmes noires sont souvent « sur-sexualisées » dans leur représentation. Dans

l’histoire coloniale nous trouvons le destin révoltant de Saartje Baartman, plus connue comme

« La Vénus hottentote ». Cette jeune Sud-Africaine qui fut ramenée en Europe pour exhiber

son corps et ses parties intimes en public (Serbin 2006). Comme le dit Sylvia Serbin, dans

Reine d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, (2006) « la sensualité « animale » des

femmes noires fait encore recette de nos jours dans la littérature et la publicité » (260). Il

existe une différence dans les représentations sociales des femmes entre femmes noires et

18

femmes blanches. Par exemple, des artistes comme Joséphine Baker19 et Grace Jones en tant

que femmes noires, ont joué sur un certain exotisme et/ou érotisme dans leur apparence pour

connaître le succès dans la société française.20 Sur quoi repose donc la beauté ? A l’instar de

la mondialisation, Ochy Curiel (2002:91-92), féministe afro-dominicaine signale :

« La proximité ou la distance par rapport au modèle esthétique dominant –

qui combine des éléments phénotypiques et certaines expressions visuelles de

la culture – pèsent toujours très lourd sur la place que chacun-e occupe et la

manière dont elle ou il est défini-e dans la société. La représentation

symbolique de ces éléments continue à produire préjugés, stéréotypes et

discriminations. Une grande partie des femmes noires et d’autres groupes

culturels sont particulièrement touchés par ce phénomène : l’idéologie

patriarcale et raciste voudrait que nous reproduisions une esthétique

occidentale blanche, la seule reconnue comme valable. La couleur de la

peau et l’aspect des cheveux en sont deux exemples ».

Quelles sont les normes de beauté auxquelles se réfèrent les femmes ? D’où viennent-elles ? J.

Sméralda (2004:176) cite Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schwetzer qui de leur côté

expliquent que les médias jouent un grand rôle dans la manière dont ils contribuent à

« cristalliser un type de beauté occidentale quasi totalitaire ». Cela m’amène ensuite à me

poser la question : qui produit ces normes ? Et comment s’imposent ces normes aux jeunes

filles ? Suivent-elles celles de leur groupe de référence ou celles de leur groupe

d’appartenance ? Y a-t-il une pression chez les jeunes filles pour suivre ces différentes

normes ?

1.4 Où sont les jeunes filles ? En tout état de cause, les études par rapport à la beauté et ses dimensions incluent rarement les

jeunes filles. Pourtant, la recherche autour de la jeunesse et notamment des jeunes filles a pris

une ampleur importante depuis une trentaine d’années. Ces travaux se caractérisent cependant

plutôt par une approche historique en décrivant « de façon privilégiée les rites de sociabilité

19 Joséphine Baker fut l’une des premières femmes noires à être considérée comme belle en Europe. On remarque cependant que ses cheveux étaient défrisés et qu’elle s’éclaircissait la peau (Sméralda, 2004). 20 Joséphine Baker exhibait son corps à moitié nu sur scène. Grace Jones a été « découverte » par le photographe Jean-Paul Goude qui mettait en valeur son « exotisme », en la faisant poser dans des cages d’animaux par exemple. Pour cette photo , voir annexe 3.

19

juvénile et les structures d'encadrement de la jeunesse » (Knibiehler 1996). Ensuite, cette

recherche tente d’étudier les jeunes filles dans une perspective macroscopique, en partant de

l’éducation et de l’institution scolaire (Houbre 1996; Knibiehler 1996). En plus, comme

indiqué par C. Moulin (2005:9), la sociologie de la jeunesse « décrit et analyse souvent une

adolescence en « crise » qui inquiète ». Son ouvrage, tiré de sa thèse, s’articule autour de la

fabrication des identités sexuées à partir de l’adolescence, et place les jeunes filles au cœur de

l’analyse. L’analyse de la construction des identités sexuées sera fondée dans un premier

temps sur la presse pour adolescentes et ensuite sur une approche qualitative auprès

d’adolescentes afin de comprendre les modes de production et de fonctionnement des

catégories sociales de sexe. Cependant, même si les rapports sociaux de sexe sont centraux

dans l’étude, l’auteure n’insiste pas sur les rapports de domination de classes et de « race ».

Avant d’annoncer la problématique définitive, récapitulons ce qui nous semble central sur la

notion de beauté. Les femmes sont contraintes d’être belles afin d’avoir plus d’avantages dans

la vie, notamment dans l’objectif d’une « réussite sociale » dans divers domaines.

Qu’entendons-nous alors par la réussite et/ou l’acceptation ? Cela se traduit d’un côté par une

validation par la société du capital physique, culturel, professionnel etc., et d’un autre côté par

la réussite représentée par le mariage et/ou le couple, dans l’objectif de « se sentir bien »

(dans son corps, sa tête, son quotidien...). Nous considérons ici la beauté comme valeur

économique mais aussi comme un atout psychologique dans la mesure où elle constitue un

moyen de réussite. Finalement, ce dernier aspect nous semble le plus pertinent dans notre

étude. La beauté est capitale et ce sont les femmes qui sont concernées, mais elles ne semblent

pas égales si l’on envisage leurs différences en termes de « race ». Où sont les jeunes filles

dans les enjeux de beauté ? Ont-elles conscience de l’enjeu patriarcal ? Existe-il des

différences entre les adolescentes relativement à leur origine ? Comment, alors, répondent les

jeunes filles à ce que nous venons d’évoquer dans les pages précédentes ? Dans le chapitre

suivant nous verrons comment construire la problématique et la question de recherche.

20

CCHHAAPPIITTRREE 22 PPRROOBBLLÉÉMMAATTIIQQUUEE

J’ai ici retracé le cadre de mon étude dont le but est l’analyse des normes de beauté chez les

jeunes filles. Je souhaiterais mettre en lumière un système sexiste, raciste et classiste, dans

lequel je tenterai de situer l’objet de la recherche. Ce système prend des formes différentes

dans la vie quotidienne, plus ou moins discriminantes selon l’apparence physique, puisque les

normes de la beauté et de l’esthétique tendent à la fois à être sexuées et à être ethnicisées ou

« racisées ». A partir de rapports de domination, qui sont centraux dans le domaine des études

sur les « migrations et relations interethniques », il me semble intéressant de chercher

comment les rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » façonnent les normes de beauté

chez les adolescentes à l’heure actuelle.21 En m’interrogeant sur la beauté chez les jeunes

filles j’espère pouvoir traduire la réalité de leur expérience et de cette manière réussir à

obtenir une image fidèle de ce que c’est qu’être une jeune fille aujourd’hui en France. Les

jeunes filles peuvent-elles composer de nouvelles normes ? Comment ? Allons-nous trouver

des rapports de domination ou une sorte de hiérarchie dans les normes de beauté ? Allons-

nous réussir à mettre au jour la manière dont la société française repose sur un système sexiste

et raciste, voire classiste au travers des normes de beauté ? J’essayerai en effet de mettre au

jour les normes de beauté propres à ces adolescentes des quartiers populaires, très nombreuses

à être descendant-e-s de migrant-e-s nord-africain-e-s et subsaharien-ne-s. Pour ce faire, je

partirai du postulat qu’elles sont au cœur de rapports sociaux de domination de sexe, de classe

et de « race », même si je donnerai moins de poids aux rapports de classe. Si toutes les

questions que nous venons d’évoquer auparavant ne trouvent pas de réponses, elles ont guidé

le développement de la réflexion abordé jusqu’ici.

Tous ces éléments nous placent donc face à une question que nous définirons ainsi :

Dans quelle mesure les rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » façonnent-ils les

normes de beauté chez les jeunes filles françaises dans un lycée de Seine-Saint-Denis à

l’heure actuelle ?

21 Pour des précisions quant aux notions employées, se reporter au chapitre 4.

21

L’étude que je souhaiterai concrétiser prend la forme d’une recherche de type exploratoire. A

ce stade de connaissance, et dans un contexte français, j’ai pu constater que peu de travaux

sont directement liés au problème qui m’intéresse. Nous avons vu que la recherche nord-

américaine inclut davantage la beauté et ses différentes approches dans le domaine

sociologique en se concentrant généralement sur la comparaison entre les femmes noires et les

femmes blanches. Par contre je n’ai pas pour l’instant recensé d’ouvrages scientifiques qui

approfondissent la notion de la beauté chez les jeunes filles et encore moins dans un cadre

français. C’est pour cela qu’il est souhaitable de procéder à un travail de défrichage du

concept de beauté chez les adolescentes afin de lui donner une signification, et ainsi d’attirer

l’attention sur l’impact qu’elle a sur leurs vies.

La beauté tend à être sexuée et elle est plus contraignante pour les femmes. S. Faludi ainsi que

N. Wolf parlent d’une « pression d’être belle ». La beauté contribue à renforcer le sexisme en

réduisant les femmes à l’état d’objets, susceptible d’être jugés en fonction de leur apparence

physique. Pour les raisons évoquées précédemment il me semble donc pertinent de limiter

notre étude à une population féminine, plus précisément les jeunes filles. De plus, elles sont

un groupe à la marge de la société en tant que jeune et en tant que fille, et je souhaiterais leur

donner la parole. Les caractéristiques de la population de l’étude seront également plus

développées dans le chapitre sur la méthodologie. Pour l’instant, nous restons dans le cadre de

la problématique afin d’envisager les hypothèses qui encadreront le développement de notre

étude.

CCHHAAPPIITTRREE 33 HHYYPPOOTTHHÈÈSSEESS

Dans le chapitre précédent nous avons tenté d’exposer le contexte de la beauté. Nous avons

pu voir plusieurs interprétations ou fonctions qui lui sont attribuées, ainsi que leur complexité.

Partant de la question formulée précédemment, nous pouvons émettre quelques hypothèses

quant à la beauté qui guideront et constitueront le cadre de la présente recherche.

- Le premier groupe d’hypothèses prendra une forme théorique : j’analyserai la beauté

comme un système de normes avec ses différents aspects.

22

- Le deuxième ensemble d’hypothèses a pour but de recontextualiser le concept de

« beauté » dans la société française, afin de mettre en lumière les mécanismes de

domination.

- Le troisième groupe, enfin, a trait à la démarche empirique et situera la population

étudiée (les jeunes filles) au cœur de l’analyse afin de comprendre leur position dans

l’enjeu de la beauté.

Enfin, les hypothèses ont pour but d’illustrer notre problématique et même si chaque

hypothèse essaiera de démontrer quelque chose en particulier, nous garderons en tête une idée

générale : les normes de beauté sont un révélateur de la vie des jeunes filles. Les recherches

sociologiques françaises dans ce domaine étant peu nombreuses, je tenterai d’apporter ma

pierre à l’édifice en privilégiant une analyse théorique suivant une approche féministe dans le

champ des études sur les « migrations et relations interethniques » quand je m’intéresserai aux

normes de beauté chez les jeunes filles. En faisant cela, j’espère donner la voix à ces

adolescentes qui sont souvent mises à l’écart dans la société dominante. Car, comme nous le

rappelle Duits et van Zoonen (2006), dans la tradition de l’analyse féministe, la recherche

devra viser à donner une parole aux filles.

3.1 La notion de beauté dans la société occidentale se traduit par une injonction paradoxale.

Colette Guillaumin (1992:117-118) précise que « le corps est l’indicateur premier du sexe »

et autour de celui-ci « une construction matérielle et symbolique est élaborée, destinée à

exprimer d’abord, à mettre en valeur ensuite, à séparer enfin, les sexes ». En effet, le corps

devient « corps sexué ». C. Guillaumin mentionne deux modes d’intervention principaux

quant à la fabrication du corps sexué que nous souhaitons souligner ici. D’une part la

sociologue évoque les « interventions mécaniques (matérielles physiques) » sur le corps. Il

s’agit en particulier des modifications corporelles par chirurgie, visant en général les femmes,

C. Guillaumin affirme que ces transformations du corps sont « le révélateur spectaculaire /.../

d’une manipulation et d’un contrôle social du corps » (120). D’autre part C. Guillaumin nous

rappelle que « la mode, la présentation de soi-même et la morphologie » font partie de la

construction du corps sexué. L’« intervention » de la mode touche les deux sexes mais dicte

des présentations différentielles du corps selon que l’on est une femme ou un homme. C.

23

Guillaumin soutient que ces actes de modifications corporelles sont « destinés à actualiser et

mettre en scène le sexe » et que la « sexuation sociale du corps » est ainsi construite (121-

122).

Les femmes sont, comme Naomi Wolf le démontre, contraintes d’être belles pour avoir plus

de possibilités dans la vie. Dans son ouvrage The Beauty Myth (1996 [1991]) elle nous

rappelle :

« Le plus important [aujourd’hui] est que l’identité des femmes se construit

toujours par rapport à la beauté. C’est le moyen privilégié pour obtenir

l’approbation des autres » (12).

En outre, Véronique Nahoum-Grappe (in Moulin 2005) conçoit la beauté comme un

intermédiaire pour exister socialement, et parle d’« enjeu du paraître féminin ». Cet enjeu

existe-il chez les jeunes filles ? Les femmes sont davantage obligées de justifier leur place

dans la société par leur capacité à plaire, à séduire, à être sexy, désirable voir aimable.

Autrement dit, les femmes doivent être belles pour incarner le sexe féminin. La fixation

autour de la beauté est imposée et renforcée par la vie quotidienne et les médias ainsi que par

la société de consommation, qui nous communiquent en permanence de nombreux conseils

pour « devenir » belle, pour savoir comment nous devons entretenir nos corps, etc... Les

images construites et produites (j’insiste sur le fait que ces images sont des constructions, et

donc non naturelles) par les médias sont devenues des normes prédominantes auxquelles il

faut s’adapter. Les filles dans la société actuelle subissent donc une pression pour apparaître

comme belles.

Ensuite, il est important d’apparaître comme « naturelle » et « féminine », car pour être belle,

ces deux critères sont essentiels. Comment est-on naturelle ? Comment est-on féminine ? Cela

implique en soi un paradoxe : si nous devons être naturelles, nous serons acceptées telles

quelles sans rien faire de plus, mais pour être féminine nous devons prendre soin de nous et de

notre apparence. Cela se traduit par la démarche de « bien se maquiller », « bien se coiffer »,

« bien s’habiller », « bien manger » (ou pas manger du tout d’ailleurs...) etc... Caroline

Moulin22 (2005) affirme également que la presse féminine ciblant les adolescentes s’inscrit

22 Sociologue française.

24

complètement dans la socialisation secondaire des jeunes filles. L’impact médiatique est fort

et N. Wolf catégorise les images que les médias diffusent de « beauty pornography », les

femmes sont toujours professionnellement maquillées et coiffées sans défauts. Ces images

modèlent finalement l’image de « la femme ordinaire ». Ainsi, c’est par les images que se

transmettent les idéaux et les normes qui façonnent les rôles et les comportements ; que

s’imposent des qualités féminines et masculines ; que s’établissent les différences entre ce qui

est « normal » et « anormal », entre « nous » et « eux ». Pour être « une belle femme »

aujourd’hui il faut suivre certaines normes imposées par la société dominante. Cependant, le

fait d’être « naturelle » n’est pas en cohérence avec les pratiques de la beauté étant donné que

par exemple le maquillage est intégré comme un état naturel et un critère féminin. Être une

« belle femme » devient synonyme d’une mascarade féminine, de l’adoption d’un

comportement et d’un physique. Enfin, correspondre aux normes devient aussi une question

d’argent et par conséquence une question de classe, puisque finalement, on « s’achète » son

apparence naturelle.

C’est pour toutes ces raisons que nous avançons l’hypothèse que la notion de beauté dans la

société occidentale se traduit par une injonction paradoxale, appelant les femmes à montrer

une apparence à la fois « naturelle » et « féminine » si elles veulent être considérées comme

« belles ».

3.2 Les jeunes filles les plus dominées en termes de classe et de « race » sont insérées dans l’image de la beauté comme « exotiques » et « sexualisées »

Nous avons vu qu’il y a une forte tendance à une « occidentalisation » des critères esthétiques,

laissant moins de place à la diversité, même si les habitudes vestimentaires, cosmétiques et

capillaires diffèrent généralement selon les groupes sociaux (Amadieu 2002). O. Curiel

(2002) de son côté précise que l’esthétique occidentale blanche est la seule reconnue comme

acceptable en faisant référence à la couleur de la peau et à l’aspect des cheveux. En outre, J.

Sméralda (2004) affirme que le projet de blanchissement est intériorisé chez les femmes

noires. Par blanchissement nous entendons par exemple mariage mixte afin de « blanchir » les

enfants, décoloration de la peau avec des crèmes, ou encore, l’habillement occidental. En

effet, J. Sméralda signale que les femmes noires dans les magazines ou dans le divertissement

ont très souvent la peau claire et des cheveux défrisés afin de ressembler aux femmes

25

blanches et ainsi se conformer aux normes occidentales. Au contraire des beautés dites

« blanches », on a pu voir l’arrivée de figures noires telles que Naomi Campbell, Tyra Banks,

Beyoncé, Alek, Lauryn Hill, Erykah Badu etc…Ces femmes sont entre autres (re)connues par

le fait d’être noires, et tandis que les dernières ont une chevelure crépue « naturelle », les trois

premières ont des cheveux longs défrisés. Comment les jeunes filles se placent-elles par

rapport à cette situation ? Sortent-elles de ce cadre afin de créer leurs propres normes de

beauté ou tentent-elles d’atteindre ces modèles ? Est-ce que toutes les jeunes filles peuvent

proposer et composer des nouveaux modèles face aux normes imposées ?

A côté des critères esthétiques dits occidentaux relatifs aux cheveux et à la couleur de la peau,

les femmes « non-blanches » sont sur-sexualisées et perçues comme « exotiques ». Patricia

Hill Collins (2005) remarque que les femmes ayant des origines africaines sont associées avec

une sexualité « sauvage » et « animale », et que cela contribue à la création d’une différence

raciale. Le corps de Saartje Baarthman fut un stéréotype sexuel de la femme noire, ainsi que

la danse « rump-shaking banana dance » de Joséphine Baker. Cette création du fantasme

sexuel des femmes « exotiques » persiste encore aujourd’hui avec les artistes nord-

américaines comme par exemple Destiny’s Child23 et Jennifer Lopez24 (27-29). O. Curiel

(2002:92) précise que dans la société de consommation, « le corps exotique des femmes noires

se prête à l’exploitation sexuelle ». Selon P. Hill Collins ce n’est pas par hasard si ce sont des

femmes d’ascendance africaine (véritable ou imputée), car la différence raciale est souvent

associée au genre. Ceci remonte à l’époque du colonialisme, quand les femmes incarnaient la

« race » et les femmes de « races » différentes représentaient la manière dont s’exprimait la

sexualité. Le viol institutionnalisé est devenu un moyen afin de garantir la soumission absolue

dans la relation maître/esclave. Le corps des femmes noires a été redéfini comme une espèce

sauvage sexuelle, prête à servir (55-56). Aujourd’hui, cette image demeure par ce que P. Hill

Collins défini comme un « nouveau racisme ». La caricature du corps des femmes noires est

diffusée par la culture populaire telle que la musique R’N’B et hip hop. Cela contribuant à

maintenir une représentation « sexualisée » des femmes noires.

La colonisation européenne a produit une explosion des représentations de l’« Autre ». Il

s’agit d’un processus, et comme l’écrit Edward W. Saïd dans son ouvrage Orientalisme,

(2004:66), la proximité géographique et l’expansion coloniale ont donné à l’Occident une

23 Groupe de r’n’b des Etats-Unis, composé de trois femmes noires. 24 Chanteuse/actrice « latina » d’origine portoricaine.

26

image de l’Orient comme l’ « autre » et ainsi, ont contribué à la définition de l’Occident qui

en constituait l’opposé. « L’orientalisme est la manière occidentale de dominer, de

restructurer l’Orient et de lui imposer son autorité »25 et par là l’Occident construit l’Orient

comme différent : c’est le lieu où se trouve l’« autre ». L’origine de cette construction se

trouve aussi dans la définition de « l’État-nation », dans lequel les empires européens

cherchaient à composer leur identité nationale mais aussi celle de leurs colonies. Ici, le

traitement des femmes occupe une grande place. Enfin, les idées de la femme blanche

« pure » indispensable pour défendre l’identité nationale en Europe exigeait en contrepoint

une conception des « autres » femmes, conçues comme leurs opposées, et désignées par des

attributs tels que « exotique », « hypersexuelle », « animale », ou encore « sauvage ».

Les jeunes filles racisées sont-elles davantage exposées dans la société française ? Peuvent-

elles se conformer à ces normes ? Nous avons vu que la société française repose sur un

système sexiste et raciste voire classiste, qui a une influence sur les normes de beauté. A partir

de cette idée nous faisons l’hypothèse que les filles « issues de l’immigration », c’est-à-dire

les plus dominées en terme de classe et de « race », sont insérées dans l’image de la beauté

comme « exotiques » et « sexualisées ». En outre, ces filles ont plus de difficultés que les

filles issues des groupes dits dominants à se conformer à des normes qui se basent sur

l’image de « la femme blanche ».

3.3 Les jeunes filles subissent le stigmate de « la putain » La beauté contribue à renforcer le sexisme en réduisant les femmes à être un objet et à être

jugées en fonction de leur apparence physique. Autrement dit, les femmes sont réduites à leur

sexe, ce que Colette Guillaumin nomme le « sexage » (1992). Être femme devient une

définition sociale comme nous l’avons vu dans l’hypothèse précédente, et l’existence des

femmes passe par leur physique et leur capacité à plaire. C. Guillaumin (1992:17) nous

rappelle que « l’appropriation des femmes » dans sa forme concrète se traduit par « la

réduction des femmes à l’état d’objet matériel ». Comment se manifeste cette appropriation

chez les jeunes filles ? Dans l’hypothèse précédente nous avancions l’idée qu’en tant que

femme, il faut « se mettre en valeur » et montrer sa « féminité ». En effet, la complexité réside

dans le fait d’équilibrer deux tendances : se mettre en valeur juste comme il faut, et en même

temps de ne pas en faire « trop ». Autrement dit, il faut être « belle » et « sexy » sans être 25 La traduction française vient de Nader, 2006

27

« superficielle » et « vulgaire » car dans ce dernier cas on risque « le stigmate de putain »

(Pheterson 2001). Or, Jean Baudrillard (in Sméralda 2004) maintient que :

« [L’] érotisation [de la beauté] augmente sa fonction sociale d’échange.

Sur la femme et sur son corps s’orchestrent les grands mythes de la Beauté,

de la Sexualité et du Narcissisme tout à la fois ».

La femme et son corps deviennent un outil pour l’enjeu érotique et par là la femme accentue

sa « fonction sociale d’échange ». Qu’entendons-nous par ce propos ? Et pour qui faut-il

augmenter sa « fonction sociale d’échange » ? N C Mathieu (1994) insiste sur le fait que la

femme doit se faire désirable et que c’est l’homme qui décide si elle l’est. Comme nous

l’avons vu précédemment, « se mettre en valeur » se traduit notamment par le fait de travailler

son apparence physique par le maquillage, la coiffure, les vêtements mais aussi de

« surveiller » son comportement26. Où se situent les limites chez les jeunes filles ? Si une

femme porte une mini-jupe par exemple, ou si elle est « trop » maquillée, ou se montre trop

indépendante et autonome, elle dépasse les normes dans lesquelles doivent s’inscrire les

femmes. NC Mathieu (1994:60) de son côté cite une étude anglaise qui évoque « la nécessité

pour les filles de veiller à leur réputation [autrement dit] « l’auto surveillance » » afin de ne

pas être appelée « salope » ou « pute ». L’adéquation aux normes passe par le regard

masculin. Si les femmes s’opposent à ce cadre patriarcal, ou en dépassent les limites, elles

sont remises en question et/ou elles sont accusées d’être des « putains ». L’anthropologue

suédoise Fanny Ambjörnsson (2003) affirme que même si les mots « putain » ou « salope »

sont rarement utilisés, la possibilité de le faire ou la possibilité de risquer être appelée

« putain » ou « salope » est omniprésente chez les adolescent-e-s. Or, l’appartenance de classe

chez les jeunes filles influence l’emploi du mot « putain », tellement intégré dans le

vocabulaire des adolescentes, qu’il se vide se son sens premier et n’est pas plus choquant

qu’un autre mot. En conséquence, ce mot ne fonctionne pas comme un stigmate pour elles.

En effet, Gail Pheterson (2001:17, 95) signale que si les prostituées

« incarnent par définition le stigmate de putain et sont donc coupables, les

autres femmes sont soupçonnées (« Où étais- tu ? » ) et accusées (« Espèce

26 Constats tirés de mes entretiens.

28

de pute ! ») /.../ Le stigmate de putain /.../ contrôle implicitement toutes les

femmes [et c’est] une étiquette qui peut s’appliquer à n’importe quelle

femme ».

Effectivement, le stigmate de putain concerne exclusivement les femmes même si elles

peuvent se sentir jugées et contrôlées différemment par rapport à leur sexualité, leur « race »

ou ethnicité, leur position de classe, leur comportement, etc. En tout état de cause, G.

Pheterson (2001:129) y voit un marquage des femmes comme classe de sexe et explique que :

« la menace du stigmate de putain agit comme un fouet qui maintient

l’humanité femelle dans un état de pure subordination. Tant que durera la

brûlure de ce fouet, la libération des femmes sera en échec ».

Dans ce contexte on peut se demander : où se placent les jeunes filles ? Comment vivent-elles

ce contrôle ? Ont-elles conscience de ce stigmate ? Considérant la société patriarcale dans

laquelle nous vivons, nous faisons l’hypothèse que toutes les jeunes filles risquent d’être

stigmatisées comme des « putains » par le seul fait qu’elles sont des filles. Ce stigmate est

vécu différemment selon l’appartenance de classe et de « race ».

CCHHAAPPIITTRREE 44 DDÉÉMMAARRCCHHEE TTHHÉÉOORRIIQQUUEE

Dans cette partie je tenterai de présenter le cadre ou les points de départ théoriques pour cette

étude. Il est fondamental de bien préciser les idées que l’on va suivre tout au long de ce

travail. Pour cela nous avons l’intention d’introduire et de justifier l’emploi de certains

termes.

4.1 Un cadre féministe Cette étude est féministe parce qu’elle fait de son entrée principale les rapports sociaux de

sexe et ses effets chez les jeunes filles. L’étude aura pour but d’illustrer et d’analyser les

normes de la beauté chez les adolescentes d’après l’idée qu’elles sont au cœur de la

domination entre les sexes. Un regard féministe sur la société attire l’attention sur le fait que

les femmes, de manière générale, ont moins de pouvoir que les hommes et que l’on veut

changer cet ordre. En conséquence, nous entendons par féminisme une perspective théorique

29

qui reconnait l’existence d’inégalités structurelles entre les sexes, maintenues par la société

patriarcale. Ce dernier, se traduit en un système qui

« utilise soit ouvertement soit de façon subtile tous les mécanismes

institutionnels et idéologiques à sa portée /.../ pour reproduire cette

domination des hommes sur les femmes »

(Michel 2001:5-6)

Nous entendons ici la différence entre les sexes comme une construction socioculturelle.

Ainsi, pour nous, le féminisme souligne la nécessité de ne pas laisser le sexe déterminer qui

nous sommes ou ce que nous ferons dans la société. Autrement dit, le postulat général de

départ dans la théorie féministe est que les représentations sociales du masculin et du féminin

sont, en fait, des constructions socioculturelles, plutôt que des points de départs biologiques. Il

existe cependant des opinions différents sur la limite jusqu’à laquelle il faut pousser cette idée

(Ambjörnsson 2003; Gemzöe 2005). D’une manière simplifiée et générale on peut résumer

ces idées comme suivant : si certain-e-s théoricien-ne-s pensent que les hommes et les

femmes agissent comme ils/elles font parce que justement ce sont des hommes ou des

femmes, d’autres pensent que l’on devient comme on est par nos actions (ibid.). On peut

donner un exemple relatif aux normes de beauté : une fille est supposée avoir des cheveux

longs afin de rentrer dans la catégorie « fille », et ensuite seulement elle peut être belle. Elle

est une fille étant donné qu’elle a des cheveux longs tandis que les cheveux courts font

« garçon » (cf. chapitre trois dans l’analyse).

La différence entre les sexes est toujours indiquée, et par là elle fonde une division

élémentaire dans notre société. La recherche qui pose comme centrale les rapports sociaux de

sexe, en France, à ma connaissance, s’est très peu intéressée aux normes et pratiques de la

beauté. On ne trouve pas davantage d’ouvrages où les adolescentes sont au cœur de la

recherche. En fait, les chercheur-e-s français-e-s se sont surtout concentré-e-s sur l’histoire

des femmes, les luttes féministes liées aux mouvements ouvriers, pour après passer à la

théorisation de notions comme le genre, la distinction « public/privé », les violences etc...

(Perrot 2004). Par contre, aux Etats-Unis, la recherche inspirée par le féminisme est plus

avancée en ce qui concerne notre sujet d’étude (cf. par exemple bell hooks 1992 ; Hill Collins

2004 ; Hunter 2002). Avec notre recherche nous espérons donc apporter une contribution à ce

domaine, dans un contexte français.

30

4.2 La nécessité de l’articulation des rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » Si les injustices entre les sexes sont centrales dans le système d’oppression, nous soulignerons

cependant l’importance de ne pas limiter l’analyse féministe aux différences entre les femmes

et les hommes et leurs conséquences. Même si les femmes sont discriminées par le fait d’être

femmes, elles sont différentes, ayant des expériences différentes, en particulier liées à la

couleur de la peau et au statut social qui façonnent leur vie. Selon bell hooks27 (2005); « la

classe, la race ou les préférences sexuelles /.../ créent une diversité d’expériences déterminant

le poids du sexisme dans les vies individuelles des femmes ». C’est pourquoi nous

envisagerons de réfléchir sur l’imbrication des rapports sociaux, notamment de sexe, de

« race » et de classe, qui en effet, pour reprendre les mots de Jules Falquet (2006:69), « sont

particulièrement stimulants pour penser ensemble le racisme et le sexisme (sans négliger la

classe), ce qui est l’une des urgences des luttes actuelles en France ». Il est donc capital de

tenter en permanence d’imbriquer ces catégories différentes et de les mettre en lien, puisque

comme le dit Audre Lorde (1984:70) :

« L’oppression des femmes ne connaît aucune frontière ethnique ou raciale,

c’est vrai, mais cela ne signifie absolument pas qu’elle est identique au sein

de ces différences. /.../ Parler d’une différence tout en éludant les autres

revient à déformer nos points communs comme nos différences. »

La manière d’inclure les catégories et de les comprendre, donne toujours lieu à débat et à

discussion. Mais ici, comme le dit Christian Poiret (2005:195-196) dans son article sur

l’intersectionnalité28,

27 Cité par Poiret 2005 28 Dans la théorie féministe, le concept de l’intersectionnalité est devenu un moyen pour croiser et traverser les expériences différentes. L’intersectionnalité est un outil assez récent dans le discours académique pour analyser comment les hiérarchies socioculturelles et les rapports de pouvoir interagissent et créent une inclusion et une exclusion quant aux catégories construites. Ce concept travaille sur les points d’intersection de différents rapports de pouvoir dans la société qui se basent sur le sexe, l’ethnicité, la sexualité, la classe, la « race », la nationalité, l’âge, la religion... La théorie de l’intersectionnalité est née dans les années 1990 après une interaction entre la théorie féministe, la théorie post-coloniale et le Black Feminism par l’initiative de Kimberlé W. Crenshaw (Poiret 2005).

31

« nous nous intéresserons à la combinaison des rapports interethniques, des

rapports de sexe et des rapports de classe, non parce qu’ils constitueraient

les seules formes de catégorisation et de hiérarchisation sociales, mais parce

que, au moins potentiellement, il n’est guère de domaine de la vie sociale

qu’ils ne traversent. »

On considère donc que les positions de sexe, de « race » et de classe façonnent le statut social,

le style et la qualité de vie (Poiret 2005). Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas de

donner davantage de place à une catégorie qu’à une autre. L’idée est, comme nous l’avons vu,

que l’on ne peut pas isoler ces catégories l’une de l’autre sans perdre quelque chose de

central, puisque les rapports de pouvoir se construisent d’une manière réciproque.

4.2.1 Eclaircissement quant à la « race » Même si tout le processus idéologique, politique et scientifique définit comme « naturel »

certaines caractéristiques considérées comme propres à un groupe social dominé ou à un

rapport de pouvoir entre un groupe dominant et un groupe dominé, celles-ci ne sont en réalité

que les conséquences des rapports sociaux de domination (Guillaumin 1992). Hélas, comme

le signalent Falquet et al (2006:11), « la plupart des gens restent persuadé-e-s du caractère

biologique, naturel et finalement « réel », des catégories femmes, hommes, Noir-e-s ou Blanc-

he-s ». C. Guillaumin démontre comment le discours de la Nature enferme les dominé-e-s

dans des catégories qui légitiment la domination qu’ils/elles subissent. Le « sexe » comme la

« race » sont notamment le produit d’un long processus de « spécification » et de

« naturalisation » sociales propre aux relations de domination et d’appropriation. Ainsi, nous

employons des guillemets pour « race » afin d’insister sur le caractère de pure construction

sociale derrière ce mot. Le discours de la Nature montre

« qu’ils [les dominé-e-s] sont mus par des lois mécaniques, naturelles, ou

éventuellement mystico-naturelles, mais en aucun cas par des lois sociales,

historiques, dialectiques, intellectuelles et encore moins politiques /…/, la

nature /.../ a pris la place des Dieux, [et] fixe les règles sociales /.../ »

(48-49)

32

Si le terme « race » fut, dans un premier temps, lié à la biologie et aux traits physiques chez

les humain-e-s, il est aujourd’hui, dans les sciences sociales, considéré comme une

construction sociale. C. Guillaumin (2002 [1972]:84) souligne cependant le fait que la

« race » a toujours un double sens qui « englobe indistinctement la catégorisation somatique

et la catégorisation sociale »). Nous accentuerons donc la « race » comme une construction

sociale, mais qui a toujours des marqueurs somatiques, même s’ils peuvent être inconscients.

En effet, la catégorie « race » est « une marque indélébile » pour reprendre les mots de

Véronique De Rudder et al. (2000:33). Nous emploierons le terme de racisée d’après le

concept de racisation, donné par V. De Rudder et al. (ibid.) afin de se distancier du discours

idéologique qui se réfère à la conception biologique de la « race ». Comme l’explique si bien

J. Falquet et al (2006:8) :

« Une personne racisée est l’objet d’un processus de catégorisation et de

différenciation en fonction de caractéristiques somato-psychologique

héréditaires socialement instituées comme naturelles. Les groupes racisés

sont pris dans un rapport social asymétrique, placés en position subordonné

par rapport aux racisant-e-s et ainsi radicalement infériorisé-e-s. »

De la même manière, nous utiliserons les catégories « maghrébine » et « noire » lorsque nous

voudrons être plus précis quant à une personne racisée. Nous soulignerons qu’il ne s’agit pas

de dessiner une frontière entre « nous » et « eux », « mais d’exprimer tout un ensemble

d’appartenances symboliques et affectives, sociales et culturelles » pour reprendre les mots de

Caroline Moulin et Philippe Lacombe (1999). Notre but sera donc une analyse de la beauté

qui mette en lumière la construction des catégories les unes par rapport aux autres, et nous

essayerons de montrer comment les rapports sociaux de sexe et de « race » reposent sur les

mêmes structures. Nous verrons maintenant, en nous appuyant sur des travaux de Colette

Guillaumin en particulier, comment se créent ces différences, autrement dit, le processus

derrière les rapports sociaux de domination.

4. 3 Les rapports sociaux de domination La société d’aujourd’hui, comme toute société, repose sur un classement ou un ordre social

inégal. Cela se traduit en un système qui structure la société et chaque individu : ceux et celles

qui en sont victimes, doivent faire avec cet ordre social car il est complètement intériorisé.

33

Nous pouvons surtout distinguer quatre formes de classement social ; l’âge, le sexe, la

religion ou l’appartenance ethnique et/ou raciale, et finalement le statut social (Guillaumin

2002 [1972]). Comme nous l’avons évoqué auparavant, nous nous cantonnerons plus

particulièrement au sexe, à la « race » et à la classe. Nous utilisons en permanence ces

catégories dans la vie quotidienne sans y réfléchir. Or, nous soulignerons le croisement de ces

catégories et leur construction sociale. Nous avons vu dans le chapitre précédent l’importance

de ne pas nous enfermer dans une catégorie femme ou homme, noir-e ou blanc-he, riche ou

pauvre... puisque nous nous trouvons toujours dans une combinaison entre ces différents

classements sociaux. En effet, nous devons éviter de voir ces groupes sociaux comme des

entités homogènes qui tentent de produire un type spécifique représentant la collectivité,

déniant les expériences et les positionnements différents à l’intérieur du groupe. D’où la

nécessité, dans une démarche de recherche, de voir et de penser ces catégories comme des

constructions afin de ne pas être pris au piège des fausses évidences et de ne pas porter un

regard biaisé sur son objet de recherche.

Les rapports de domination produisent des minoritaires et des majoritaires, le statut

minoritaire revenant à celui/celle qui est catégorisé-e et le statut majoritaire, à celui/celle qui

catégorise. C. Guillaumin (2002 [1972]:294) nous rappelle que :

« Le groupe adulte, blanc, de sexe mâle, catholique, de classe bourgeoise,

sain d’esprit et de mœurs, est donc cette catégorie qui ne se définit pas

comme telle et fait silence sur soi-même. Elle impose aux autres cependant

à travers la langue sa définition comme norme, dans une sorte d’innocence

première, croyant que les choses sont ce qu’elles sont ».

Une différence se développe par l’échelle de hiérarchisations dans la société, et C. Guillaumin

affirme que tous les minoritaires ont en commun « leur forme de rapport à la majorité,

l’oppression » (119). Ces groupes se définissent ensuite par leur « état de dépendance au

groupe majoritaire », où ils sont posés comme « particuliers face à un général » (120). En

effet, les majoritaires sont la référence à partir desquels les minoritaires sont identifiés et

classés comme « différents ». Comme l’expliquent Candace West et Sarah Fenstermaker,

citées par C. Poiret (2005:212) ;

34

« Au total, la réalisation (accomplishment) [des catégories de l’altérité]

consiste en la création de différences entre les membres des différentes

[catégories] /.../, différences qui sont ensuite utilisées pour maintenir les

« distinctions essentielles » entre les identités catégorielles et les

arrangements institutionnels qui les soutiennent ».

Cette différence se fonde particulièrement sur des inégalités sociales, des inégalités

raciales/ethniques et/ou des inégalités de sexes. C. Guillaumin souligne que ces différences se

jouent entre deux pôles de perception : « la généralité et la particularité », où la généralité

incarne la norme tandis que la particularité se détache par « son unique » (164). Or, il est

important de souligner que l’existence de ces deux pôles s’inscrit dans les rapports du

pouvoir. Chez A. Lorde (1984) c’est le refus d’admettre les différences entre les êtres

humains qui pose problème. Elle insiste sur le fait que nous sommes éduqué-e-s à partir de la

différence, et notamment que la différence fait peur et inspire le dégout. Elle présente trois

comportements face à la différence : l’ignorance, la reproduction si elle résulte des dominant-

e-s, ou la destruction si elle appartient aux dominé-e-s.

La catégorisation est donc le premier acte par lequel se déroule le processus de généralisation

d’une représentation des être humains, qui passe par la minimisation de certains groupes à

partir de critères spécifiques. La catégorisation est ainsi un produit du sens commun. En effet,

on fait toujours des catégories à partir de nos propres connaissances que l’on systémise en un

schème de référence. Cela dit, le sens commun est différent pour chaque individu étant donné

que nous avons des expériences différentes. La catégorisation sociale est devenue un outil

d’identification des gens : on attend un certain comportement en fonction de la catégorie que

l’on attribue à la personne. En conséquence, la catégorisation signifie une différenciation qui

est toujours perçue comme réelle, même si elle peut être imaginaire. Le « donné concret » à

partir du statut physique – c’est-à-dire la « race », le sexe et la couleur de peau – constitue le

signe et « sert d’écran de projection à cet « autre » imaginaire que s’engendre à soi-même la

culture occidentale » (280-281). La catégorisation ne s’appuie cependant pas sur un système

déterminé mais plutôt sur un processus d’interprétation des comportements et des apparences.

Autrement dit, la catégorisation renvoie à notre sens commun, résultant des rapports de

pouvoir liés au contexte historique et social.

35

4.4 Précautions d’usage quant aux jeunes filles Comme le signalent De Rudder et al. (2000:28), en sciences sociales, nous étudions « des

relations entre des phénomènes, eux-mêmes incorporés dans des rapports sociaux. Or,

l’analyse de ces rapports passe par leur définition et la définition de ce et ceux qui y sont

impliqués ». Ainsi, nous souhaiterons ici développer notre analyse des jeunes filles comme

catégorie, tout en sachant que le travail de classement des groupes est nécessairement relatif,

étant « subordonné à celui des rapports que l’on cherche à identifier et à comprendre »

(ibid.).

4.4.1 Les jeunes filles comme un groupe construit

Si nous avons, notamment avec les travaux de C. Guillaumin, voulu montrer le système de

catégorisation, nous voudrions maintenant considérer la construction des « jeunes filles »,

notre population d’étude,29 comme groupe. La catégorie « femme » constitue une catégorie

fondamentale et une division élémentaire du système social. Cette idée s’intègre dans l’esprit

et dans le sens commun, et le discours qui fait des femmes des êtres inférieurs demeure. Les

jeune filles se trouvent à la fois dans la catégorie « femme » et dans la catégorie « jeune ». Les

femmes sont classées comme différentes dès la naissance, ou comme « le deuxième sexe »

pour reprendre le vocabulaire de Simone de Beauvoir (2004 [1949]). Cela est rendu possible

par la structure de la langue (française) qui fait du masculin et du féminin deux catégories

fondamentales. « Homme » ne désigne pas seulement la catégorie sexuelle mâle mais vise

l’ensemble de l’humanité, tandis que « femme » désigne uniquement la catégorie sexuelle

femelle et n’inclut jamais la totalité humaine. De plus, dans notre cas s’ajoute le classement

d’« âge ». C. Guillaumin (2002 [1972]) souligne que les enfants, les adolescent-e-s et

vieillard-e-s sont décrits en tant que tels tandis que les adultes sont désignés par un âge

spécifique mais jamais définis comme « adultes », et constituent donc un groupe à part (223-

224). Soulignons que le fait d’être jeune est encore un élément d’injustice, car les jeunes

vivent dans un monde d’adultes, dirigé par ces derniers.

Dans la catégorie « fille » il est important de souscrire aux normes dites « féminines » afin de

correspondre à ce mode de classement. Le fait d’être « fille » est donc en relation avec le fait

d’être « garçon » mais nous nous cantonnerons à étudier la catégorie « fille », ainsi que ce qui

diffère entre les membres de cette dernière. En effet, la catégorisation de sexe existe dans tous 29 Pour la description de la population d’étude se reporter au chapitre cinq.

36

les sociétés, même si elle peut se manifester plus ou moins fortement et C. Guillaumin (2002

[1972]:225-226) précise que les catégories sexuelles et raciales sont « toujours désignées ».

En dehors de la structure de la langue, la sociologue souligne « une forme tautologique

constante » dans la catégorisation des femmes, c’est-à-dire qu’on répète volontiers qu’une

femme est une femme, et elle est toujours désignée par le terme « femme », alors qu’il est rare

qu’un homme soit annoncé par le terme « homme ». Autrement dit, les femmes sont réduites à

être leur sexe, ce que C. Guillaumin nomme le « sexage » dans son livre Sexe, Race et

Pratique du pouvoir (1992). Ainsi, être femme est une définition sociale (15). De plus, on

attend un certain comportement à partir de la catégorie que l’on attribue à la personne : le fait

d’être une femme induit certaines « évidences ». On peut également penser que cela est vrai

pour la catégorisation des « jeunes ».

CCHHAAPPIITTRREE 55 MMÉÉTTHHOODDOOLLOOGGIIEE

Je voudrais tout d’abord souligner que je m’appuie sur une expérience personnelle sur ma

subjectivité lors de cette recherche, car comme l’explique la sociologue Anne Marie Marchetti

(2001:12) :

« Il n’est pas de recherche scientifique qui ne soit une recherche pour soi et

sur soi, évidence que le chercheur élude trop souvent, de peur de jeter le

discrédit sur sa neutralité, surtout dans le domaine des sciences humaines.

Du coup, il passe sous silence ses curiosités profondes et ses a priori secrets.

Pour être tus, ceux-ci n’en existent pas moins et risquent d’ailleurs, s’il n’en

a pas conscience, d’affecter sérieusement l’objectivité de ses conclusions »

L’identité d’une personne, de même que le lieu où elle se trouve et sa position sociale,

détermine sa perspective et, par conséquent, sa découverte de la « vérité ». En conséquence,

nous garderons en tête au long de la recherche ma position de femme blanche issue de la

classe moyenne.

Dans les quatre chapitres suivant nous présenterons l’approche méthodologique afin

d’expliquer comment se situe l’enquête et comment la recherche que nous avons effectué s’est

développée. Nous verrons mes démarches méthodologiques en détail et mes réflexions

37

relatives aux difficultés que j’ai rencontré pendant mon travail sur le terrain. Pour la

cohérence de notre travail, nous utiliserons désormais la catégorie « jeune fille », tout en

rappelant ce que nous avons évoqué dans le chapitre théorique. C’est pourquoi nous

commencerons avec quelques précautions.

5.1 Contexte de l’étude Nous regarderons premièrement de plus près le groupe des jeunes filles afin de motiver

pourquoi nous considérons que les jeunes filles sont au cœur des rapports sociaux de sexe, de

classe et de « race ». Ensuite nous présenterons le lycée pour donner une idée du terrain sur

lequel j’ai effectué mes recherches.

5.1.1 Les jeunes filles au cœur des rapports sociaux de sexe, classe et « race »

Les jeunes filles sont dans le passage de l’adolescence à l’âge adulte : une période importante

dans la construction de l’identité, et elles représentent l’avenir. La société d’aujourd’hui va se

reposer sur les jeunes de demain. Effectivement, en sociologie l’adolescence est conçue

comme un processus en terme de « composition identitaire, expérimentation et

autonomisation » (Moulin 2005:8-9). C’est une phase clé où les jeunes filles intériorisent leur

féminité et les normes. Dans notre cas, les lycéennes sont au bout de ces différentes phases

car elles se trouvent dans le passage au monde adulte. Le choix de cette tranche d’âge est

conscient, aussi pour des raisons personnelles. Mes années au lycée me rappellent une période

où l’on a commencé à découvrir le monde adulte et j’ai été tenté par l’idée de retourner à ce

stade de ma vie, maintenant dans le rôle d’une jeune chercheuse en sociologie.

En fait, depuis les années 1990 nous entrevoyons une augmentation de l’attention portée dans

le discours public aux jeunes filles, qui vivent une période charnière de passage de

l’adolescence vers l’âge adulte. Dans les médias les jeunes filles sont évoquées lorsqu’on

aborde les problèmes qu’elles ont tels que le manque de confiance en elles, l’anorexie, la

boulimie, ou encore l’obsession de leur apparence physique (Ambjörnsson 2003).30 Cette

attention médiatique a certainement, à mon avis, renforcé la recherche de beauté chez les 30 Fanny Ambjörnsso est socio-anthropologue suédoise et est attachée à l’université de Stockholm, Suède. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2004 sur comment les jeunes filles dans un lycée « créent » le genre en fonction de la classe, de la sexualité et de l’ethnicité.

38

jeunes filles. Pourtant, ce phénomène n’est pas aussi récent, l’ouvrage intitulé Backlash de S.

Faludi ainsi que l’œuvre The Beauty Myth par N. Wolf sont réalisées début des années 1990

aux Etats-Unis. Comme nous l’avons vu dans la construction de notre problématique, ces

travaux relèvent une forte pression médiatique quant aux normes et comportements dits

féminins, en vigueur encore aujourd’hui. Être une fille implique donc certains critères, il ne

suffit pas d’avoir un sexe féminin, même si le corps est l’indicateur premier du sexe. Etant

donné qu’être jeune implique une recherche sur soi, une recherche de son identité, les jeunes

filles suivent souvent les normes qui leurs sont proposées, afin d’être acceptées par leur

entourage. Nous soulignons cependant que nous ne limitons pas cette recherche de soi à

l’adolescente, mais, « la jeunesse se définit aujourd’hui comme une période moratoire durant

laquelle s’ajustent, par approximations successives, ambitions sociales et positions

professionnelles » (Galland 1999:51). Par contre, nous serons vigilantes afin de ne pas

modéliser les adolescentes faisant partie d’une subculture, indépendant de la société. Même si

on peut comprendre les jeunes filles en terme d’âge, nous rappelons qu’il faut les considérer

en interaction proche avec la société qui les entoure (Ambjörnsson 2003).

Caroline Moulin (2005) affirme que les jeunes filles, surtout, sont ciblées par la presse

féminine, se retrouvent entourées par des images qui traitent du corps, de l’apparence, du style

vestimentaire etc... Les magazines parlent souvent des femmes comme un objet : comment

elles doivent se faire belle, maigrir, manger équilibré, trouver un homme, garder l’homme

etc... Cependant, même si on ne lit pas ce type de magazine, il est difficile d’échapper à ces

images à cause de la télévision ou encore de la publicité. C. Moulin (2005:59) signale

également que son analyse de la presse spécialisée de jeunes filles, « met en évidence que les

adolescentes n’échappent toujours pas à ce devoir du paraître, qui s’inscrit totalement dans

leur socialisation secondaire ».

Depuis la fin des années quatre-vingt, les immigrantes, de culture musulmane notamment,

sont apparues sur la scène publique française et l’attention a porté sur le foulard ou encore sur

la polygamie (Gaspard 1996) et si la sociologie d’immigration a commencé d’inclure les

femmes à partir de la fin des années 1970, voir début des années 1980 (Quiminal 2004), les

recherches sont rarement attachées aux phénomènes sociaux concernant les jeunes filles

(Moulin & Lacombe 1999). Ainsi, selon Nacira Guenif-Souilamas (2003:23):

39

« Les « filles d’immigrés » n’ont jamais vraiment été au cœur des débats ou

de l’observation des sociologues, sauf à les considérer dans des

problématiques communes aux garçons (délinquance, rupture familiale,

toxicomanie, prostitution, exclusion (Taboada-Leonetti, Malewska-Peyre et

al., 1990)) ou dans une perspective universaliste (place de la fille dans la

réussite et la mobilité familiale, capacité d’émancipation), attesté par la

floraison des témoignages écrits à la première personne. Rares sont les

approches qui tentent de saisir le point de vue féminin des filles sur la norme

(culture) familiale et la culture (norme) dominante (Lacoste-Dujardin,

1992 ; Sayad in Bourdieu, 1993). »

Même si mon expérience d’adolescence a contribué à mon choix de population on peut aussi

distinguer des raisons sociologiques. Ainsi, étant donné la ligne féministe de ce travail, on

devra viser à faire ressortir la voix des filles.

5.1.2 Le lycée servant comme terrain d’étude J’ai considéré l’école comme un moyen d’établir des contacts compte tenu de la concentration

importante de jeunes filles qui correspondraient au profil que nous cherchions pour réaliser

cette étude. Le point de départ était donc un lycée situé en banlieue nord de Paris dans le

département de la Seine-Saint-Denis, qui s’inscrit dans le cadre de Zone Education Prioritaire

avec des élèves qui, pour la grande majorité d’entre eux et elles, sont « issues de

l’immigration », appartiennent à la classe populaire, vivant dans des quartiers d’habitat social.

Le lycée est identifié comme un lycée polyvalent : professionnel, général, mais à dominante

technologique. Il offre des formations dans les domaines des sciences médico-sociales,

électrotechnique, énergie, et sciences de l’Ingénieur et accueille chaque année environ 1300

élèves. Globalement, les formations médico-sociales rassemblent plutôt des filles, les

formations technologiques attirent davantage de garçons tandis que les formations générales

sont plus mixtes, mais avec une majorité des filles. Même si je suis entrée en contact avec les

adolescentes dans un lycée, je n’ai pas cherché à étudier le lycée comme une institution.

Autrement dit, le lycée m’a servi comme un moyen de rencontrer des jeunes filles et aussi les

observer dans leurs interactions.

40

5. 2 La mise en place de l’étude Nous verrons maintenant les premiers pas que j’ai fait sur le terrain et la manière dont je suis

arrivée au lycée. Puis, j’exposerai mes rencontres avec les jeunes filles et les difficultés

auxquelles j’ai fait face dans ces situations.

5.2.1 La première visite au lycée Grâce à une amie qui travaille comme surveillante, j’ai pu entrer en contact avec un lycée

apparemment prêt à m’accueillir. Dans un premier temps c’est donc mon amie qui m’a

introduite au sein de l’établissement. J’y suis allé début mars 2007, dans l’intention d’avoir

une première impression et, peut-être, de commencer à parler avec des filles pour leur

présenter mon sujet d’étude. En effet, mon amie avait déjà parlé de moi avec quelques filles

qu’elle connaissait et elle m’a présenté lorsque je suis arrivée. Récemment, le lycée a été le

lieu d’une étude concernant la violence à l’école, qui a été perçue comme « chiante » (leur

mot) par les lycéen-n-e-s. C’est pourquoi mon amie a voulu présenter mon sujet comme un

travail « sympa » et « drôle » en disant que je me suis intéressée à la mode, les vêtements et la

beauté chez les jeunes filles. Effectivement, c’est un sujet assez « banal » pour la discussion.

Certes, cela n’était pas complètement faux, mais les adolescentes m’ont d’abord prise pour

une étudiante de stylisme qui voulait observer leur style et elles m’ont posé des questions

concernant la mode. Dans un premier temps j’ai senti une vague de déception lorsque j’ai

expliqué que je faisais des études de sociologie et non pas de stylisme. En tout cas, j’ai pu

discuter un peu avec des filles et j’ai senti que je ne devrai pas avoir trop des soucis pour faire

des entretiens, car le sujet de la beauté les intéressait beaucoup. Je me suis donc trouvée

entourée par une dizaine de filles qui semblait vouloir participer à mon étude. Or, je n’avais

pas encore l’accord officiel du lycée, et je ne voulais pas prendre de rendez-vous avant que

ma présence soit acceptée. Cela s’est fait assez rapidement lorsque j’ai eu rendez-vous avec la

proviseure adjointe qui a validé mon guide d’entretien et a à la fois donné quelque signe de

précautions quant à ma présence au lycée. On était au mois de mars et j’étais donc maintenant

prête à rencontrer des filles et à commencer mes entretiens. Bien sûr, ceci n’était pas aussi

évident que je le croyais...

41

5.2.2 Apprendre de m’approcher les jeunes filles Même si j’ai eu la permission officielle au mois de mars, j’ai mis encore quelques semaines

avant de retourner au lycée. Les premières fois, j’y suis allé uniquement quand mon amie

travaillait et nos emplois de temps ne correspondaient pas toujours. Pourquoi voulais-je

seulement y aller lorsque mon amie y était ? Même si j’ai été très bien accueillie par les

surveillant-e-s et le personnel, j’ai trouvé rassurant d’être sur le terrain lorsqu’elle y était,

comme un lien entre moi et les élèves car, finalement, elle était la seule personne que je

connaissais. Je me suis trouvée dans un milieu que je connaissais très peu, et en tant

qu’étrangère je ne connaissais pas forcement le fonctionnement de l’établissement scolaire

français.

5.2.2.1 Les premiers rencontres Dans un premier temps j’ai repris contact avec les filles à qui mon amie m’avait présenté et au

début c’est ainsi, avec l’aide des surveillant-e-s, que j’ai noué des contacts. Au début, il me

semblait naturel d’être présentée par les surveillant-e-s étant donné qu’elles et ils connaissent

une majorité des élèves. Une fois mieux habituée au lycée et à l’organisation des emplois du

temps des jeunes filles, j’ai commencé à prendre contact avec elles sans l’aide des surveillant-

e-s. En revanche, je me suis, pour la plupart du temps, présentée comme l’amie de la

surveillante afin d’expliquer de quoi il s’agissait. Il me semblait naturel de me présenter de

cette manière, comme ça j’expliquais ainsi comment j’étais arrivée au lycée et c’était, selon

moi, une bonne introduction. L’heure de la récréation (le moment où tous les élèves se

trouvent dans l’espace commun) est la meilleure possibilité de rencontrer les jeunes filles,

mais vu qu’elles se trouvaient souvent en groupe et en pleine discussion, j’étais un peu mal à

l’aise de venir les « interrompre ». De plus, j’ai eu des hésitations concernant les filles à

approcher, mais nous y reviendrons. Je suis arrivée sur le terrain avec peu d’expérience et je

ne savais pas ce qui m’attendait. Les premières fois que je suis allée au lycée je passais du

temps à être assise dans la grande entrée du lycée et j’ai essayé d’observer les différents

groupes de filles. De cette manière j’ai aussi laissé les filles (et les garçons) s’habituer à ma

présence. Effectivement, une fois j’avais entendu des élèves essayer de m’identifier, et j’étais

d’abord « une inspectrice ou quelque chose » pour ensuite passer à « la meuf qui fait de la

socio ». Je me suis rendue compte de l’importance de passer du temps sur le terrain,

et m’habituer à un nouveau monde afin de me mieux intégrer et être à l’aise. A la fin des mes

entretiens, je suis devenue une tête connu pour beaucoup des élèves.

42

Comme je l’avais évoqué auparavant, au début je n’osais pas me trop me mêler aux filles mais

petit à petit j’ai commencé à leur parler. Or, je me suis vite rendue compte que ma tactique de

m’approcher les filles pendant la récréation n’était pas efficace. Certes, elles se trouvaient en

groupe, une occasion pour moi de parler avec plusieurs en même temps. Mais, très souvent

cela ne débouchait sur aucun rendez-vous parce qu’elles commencaient à parler entre elles

une fois j’avais présenté mon sujet et moi, je n’arrivais plus à dire ce que je voulais. Puis la

sonnerie qui signalait la fin de la récréation sonnait, et elles partaient à toute vitesse. Cela

s’est produit à plusieurs reprises avant que je « comprenne » que ce n’était pas la bonne

méthode. J’ai donc commencé à procéder d’une autre manière : lorsqu’un professeur était

absent ou pendant une heure creuse dans leur emploi du temps, les élèves s’installaient dans le

« hall » en petit groupe et cela m’a donné l’occasion de les approcher tranquillement. De cette

manière, en les approchant plutôt lorsqu’elles étaient moins nombreuses, j’ai réussi à

« trouver » mes filles. Certes, souvent j’ai eu des refus et même s’il y avait quelqu’un qui

voulait bien participer, c’était souvent « oui oui on verra ça la semaine prochaine ». D’une

manière générale, j’ai du insister pour prendre le rendez-vous tout de suite.

5.2.2.2 La difficulté de bien présenter son objet de recherche Lorsque l’on effectue une recherche, il est essentiel que les participant-e-s connaissent l’objet

pour qu’elles et ils aient conscience de l’importance et de la nature précise de la contribution

demandée. Lorsque les jeunes filles m’ont demandé pourquoi je me suis intéressée à elles et

pourquoi la beauté, je me souviens que j’ai eu peur de donner une « mauvaise réponse » et

qu’elles me comprennent mal. Même si je savais très bien pourquoi j’étais là, au début j’avais

du mal à transmettre mes idées et j’ai hésité de peur de donner une impression « bizarre ». Le

fait qu’elles se sont interrogées sur mon intérêt pour elles peut montrer leur méfiance vis-à-vis

de moi. En effet, après chaque entretien j’ai demandé ce qu’elles pensaient de notre

conversation et pour la plupart j’ai eu un retour très positif. Elles semblaient contentes d’avoir

été le « sujet » de mes questions et de mon attention envers elles. Malheureusement j’ai eu

l’impression qu’il était rare qu’on les écoute. Après tout, mon angoisse de ne pas donner une

bonne impression, indiquent aussi une incertitude de ma part quant à mon sujet : d’un coup

j’avais l’impression de ne pas savoir ce que je voulais faire comme étude et tout ce que j’avais

développé jusqu’à ici me semblait soudainement inintéressant. Cependant, au fur et à mesure

cela s’est mis en place d’une manière naturelle et j’ai repris confiance en moi.

43

5.2.3 Le profil des jeunes filles Dans un premier temps, je me suis lancée sur le terrain sans rechercher un profil particulier

chez les jeunes filles. Mon intérêt était d’abord les « jeunes filles » sans plus de précison

quant à leur parcours ou à leur origines. C’est pourquoi, comme nous l’avons évoqué, les

rencontres se sont fait par hasard au début. Mais, lorsque l’on se rend sur un terrain, il est

finalement, inévitable de ne pas prendre en compte les différences et distinguer des groupes.

Ma présence sur le terrain m’a donc forcé à devenir plus précise dans mon analyse.

5.2.3.1 « Filles maghrébines » et « filles noires »

Les premières filles que j’avais rencontrées étaient des filles maghrébines. Après quelques

temps sur le terrain j’ai eu l’impression que ces filles faisaient partie du même groupe et

qu’elles connaissaient beaucoup de monde à l’école. On pourrait dire qu’elles étaient

« fashion » et selon elles-mêmes, elles connaissaient la plupart des élèves. Si cela constitue un

biais, nous tenterons de le prendre en compte dans l’analyse. Il m’a semblé qu’elles faisaient

parti des filles « populaires ». Cela m’a également fait réfléchir à la construction des groupes

au lycée et dans un premier temps j’ai pu distinguer deux attitudes des filles quant au style.

J’ai cru voir d’un côté des filles « fashion » et de l’autre côté des filles « discrètes ». Il m’a

semblé que le premier groupe des filles était plutôt des maghrébines tandis que les filles

noires faisaient parti du deuxième. Cependant, après un petit moment j’ai pu constater que les

styles de vêtements étaient mixtes, sans différence relative aux origines des filles. Or les

groupes se sont formés plutôt par rapport à l’origine, quelque chose qui parfois m’a été

confirmé pendant les entretiens.

Malheureusement, ma présence au lycée n’a pas été assez longue afin de distinguer d’une

manière cohérente les groupes des filles. En conséquence, j’ai décidé de ne pas me confronter

aux styles différents mais plutôt de fonder mes choix de filles sur leurs origines. C’est

pourquoi notre population finale se constitue de sept filles maghrébines, sept filles noires31 et

une fille blanche. En effet, j’ai été gêné par le fait de m’approcher les filles en fonction de leur

couleur de peau, car cela sous-entendais que je faisais une différence raciale. En même temps,

étant donné la problématique de l’étude, je n’ai pas pu éviter ce type de choix, cette

« sélection ». J’ai donc réduit les jeunes filles à leur couleur de peau et en plus, en faisant une

31 Comme nous le verrons, avec trois entre elles, je n’ai pas pu finir les entretiens mais nous avons quand même décidé de les inclure dans notre population.

44

généralisation comme « maghrébine », « noire » et « blanche ». Si la catégorie

« maghrébine » regroupe les filles d’origines marocaines, tunisiennes et algériennes, la

catégorie « noire » est encore plus vaste, ne faisant pas la différence entre filles d’origines

« antillaises » et « africaines ». La catégorie « blanche » m’a confronté à la même difficulté.

Or je n’ai pas pu faire cette différence à cause de ma courte durée au lycée. Il aura été

indispensable de passer quelque semaines voire quelques mois pour « m’adapter » et

connaître des groupes des filles avant commencer les entretiens. Idem pour les filles

« blanches », ce sont elles qui ne sont pas « maghrébines » ou « noires » ? Ainsi, j’ai essayé

de rencontrer davantage des filles blanches, mais elles étaient une minorité au lycée et j’avais

donc moins de possibilités de rentrer en contact avec elles.

5.2.3.2 Une majorité de « Sanitaire et Sociale » Au niveau de la formation des filles, une majorité, plus précisément douze filles, suit la filière

« Sanitaire et Sociale », un BEP qui ouvre sur les métiers du milieu médical/soignant. Parmi

elles, nombreuses pensaient être aide-soignante ou infirmière plus tard. Les trois autres filles

interviewées étaient en « Seconde général », avec langue comme spécialité, ouvrant sur une

poursuite d’études. La filière médico-sociale est la principale formation du lycée parmi les

filles. Ainsi, je ne considère pas comme un problème que la majorité des filles interviewée

soit issue de cette filière.

5.2.3.3 Bilan signalétique des jeunes filles interviewées

Ensuite, lorsque l’on conduit une recherche, il est important de respecter l’individu et son

intégrité. Les prénoms de jeunes filles ont été changé afin de garantir leur anonymat. Pour la

même raison, l’information trop détaillée sur le lycée n’est pas révélé dans le travail. Pour un

bilan de la population étudiée, voir le tableau ci-dessous :

Prénom Age Origine Formation Profession du père

Profession de la mère Fratrie

Dounia 17 Marocaine SAN* Son beau-père "travaille"

Femme au foyer 1 sœur cadette, 1 frère cadet

Kesso 16 Guinéenne Seconde** En retraite Femme au foyer 1 sœur ainée, 1 sœur cadette

Farah 17 Malienne Seconde Ne vit pas avec elle Puéricultrice 2 frères ainés, 1 frère cadet

Assia 17 Franco-Algérienne Seconde

Ne vit pas avec elle Inspectrice 1 sœur cadette

Haniya *** 17 Malienne SAN Pas de réponse

Pas de réponse Pas de réponse

Bentadia 16 Malienne SAN En voyage Aide maternelle

1 sœur ainée, 1 sœur cadette, 1 frère cadet

45

Yasmine 17 Marocaine SAN Gardien Femme au foyer

1 sœur ainée, 1 sœur cadette, 1 frère ainé, 1 frère cadet

Camille 17 Française SAN Chef d'équipe d'ouvrier Gardienne 2 sœurs ainées, 1 frère ainé

Nadia 17 Marocaine SAN En retraite Femme au foyer

2 sœurs cadettes, 1 frère ainé, 2 frères cadets

Amelle 19 Marocaine SAN Ouvrier qualifiéAide maternelle

1 sœur ainée, 2 frères ainés, 2 frères cadets

Zarin 17 Algérienne SAN Employé dans un magasin

Femme au foyer

1 sœur ainée, 1 sœur cadette, 1 frère cadet

Meliou 18 Malienne-Guinéenne SAN Elle ne sait pas

Mère au foyer

1 sœur cadette, 2 frères cadets

Samira 17 Tunisienne SAN "travaille" Femme au foyer

2 sœurs ainées, 3 frères ainés

Florence*** 17 Pas de réponse SAN

Pas de réponse

Pas de réponse

Pas de réponse

Natacha*** 17 Pas de réponse SAN

Pas de réponse

Pas de réponse

Pas de réponse

*SAN = Sanitaire et Social (BEP) ** Préparation pour le Bac *** Nous n'avons pas pu finir l'entretien correctement, par là plusieurs « pas de réponse », mais j’ai décidé de les inclure dans l’échantillon

5.3 Méthodologie de travail Du type d’étude et de ses objectifs dépend le choix de l’outil méthodologique et, partant de

cette idée, il m’a semblé évident que l’approche qualitative était la méthode la plus adaptée à

mon travail. Effectivement, l’approche qualitative vise à faire ressortir la voix et l’expérience

de quelqu’un afin de connaître son histoire. Annika Lantz32 (1993) maintient que l’objet de la

recherche détermine la méthode, qui ensuite limite les aspects que l’on souhaite d’étudier.

L’expérience personnelle de chaque jeune fille est importante et leurs pratiques, leurs visions

constituent le cœur de ce travail. Elles seront essentielles pour mes interprétations finales.

Ainsi, j’ai donné la priorité aux entretiens individuels mais je n’ai pas négligé l’observation

pendant ma présence sur le terrain. Nous regarderons dans les parties suivantes les étapes

différentes liées aux entretiens et les difficultés j’ai rencontré.

5.3.1 L’entretien comme outil et son guide Dans l’optique de ma problématique et de la vision féministe que nous suivons, j’ai souhaité

conduire des entretiens individuels avec les jeunes filles, et les laisser parler de la beauté en

les guidant avec mes questions. Les entretiens offrent au chercheur ou à la chercheuse la

32 Sociologue suédoise

46

possibilité d’enrichir ses connaissances par l’écoute des trajectoires de vie, des expériences

personnelles, des valeurs, des attitudes etc... En effet, l’avantage des entretiens est le contact

direct avec l’individu. Lors de mes échanges, il a fallu jongler entre l’entretien ouvert et

l’entretien semi-ouvert. Tout cela aidé d’un guide préparé à l’avance.33 Cette technique m’a

permis de me concentrer sur les thèmes à aborder en laissant les filles s’exprimer librement, à

partir de leurs propres expériences. Le guide a servi de base, mais qu’il n’a pas été suivi

rigoureusement si cela n’était pas nécessaire.

Les questions ont, bien sûr, été posées en rapport avec la question initiale de ma recherche et

mes hypothèses. Lorsque j’ai construit le guide d’entretien, il a fallu, dans un premier temps

réfléchir à l’ordre des questions. Je savais toujours le prénom de la fille, et en général quelle

formation elle suivait (des informations que j’ai notées lorsque nous avons pris notre rendez-

vous). Nous avons commencé par regarder les photos ensemble et la discussion a débuté sur

la notion de beauté, au sens large. La deuxième partie regroupe des questions sur l’apparence

physique des jeunes filles puis a suivi des questions sur leurs habitudes et leurs pratiques dans

la recherche de la beauté. Ensuite, nous avons abordées des questions un peu plus

personnelles sur leurs vies. Enfin, les dernières questions ont un caractère précis, directement

liée à ma problématique. Cet ordre des questions m’a semblé logique pour les raisons

suivantes : j’ai voulu commencer avec des questions sur la beauté en générale puisque c’était

mon sujet principal. Puis, je ne voulais pas que les toutes premières questions soient trop

personnelles étant donné que l’on ne se connaissait pas. Au final, toutes ces questions ont eu

pour but d’atteindre la réalité des jeunes filles et le climat dans lequel elles vivent. Nous

verrons dans la partie suivant comment se sont passées mes rencontres avec les filles et mes

difficultés.

5.3.1.1 L’idée des photos Nous avons déjà évoqué certaines difficultés rencontrées concernant l’apprehension de

l’enquête par les filles. Ainsi, pour qu’elles se sentent à l’aise avec moi, j’ai proposé que l’on

se voit la première fois en groupe pour regarder des photos de mode. Pour Stéphane Beaud et

Florence Weber (2003), il faut dans un premier temps gagner la confiance des interviewées

pour conduire l’entretien. C’est pour cela que j’ai voulu que l’on commence à parler de la

beauté de manière anodine pour introduire mon sujet « en douceur ». Une première rencontre

33 Le guide d’entretien se trouve en annexe 4

47

pour se « découvrir ». A partir de ces photos, que l’on trouve en annexe 5, j’ai voulu avoir une

première idée de la manière dont les filles se positionnent identitairement, notamment sur

leurs origines. La tâche a donc été de regarder les photos pour après choisir les trois « plus

belles » femmes et les trois « moins belles », selon elles.

J’ai choisi les photos à partir des magazines différents tel que « Marie Claire », « Elle »,

« Avantages », « Gazelle », « Miss Ebène », « Amina », qui sont des magazines

« typiquement féminins » dans le sens qu’ils s’intéressent surtout à la mode, la beauté, les

tendances, la cuisine etc... « Marie Claire » se dit être « tout ce qui intéresse une femme ».

« Elle » est considérée comme un magazine universel montrant les dernières tendances de la

mode. « Avantages » est « le reflet d’une génération de jeunes femmes actives » « Gazelle »

se dit être « le magazine de la femme musulmane ». Quant à « Miss Ebène » il se déclare

representer « la femme moderne » en ciblant particulièrement un public de femmes noires. Le

profil d’« Amina » est « le magazine de la femme africaine ». Lorsque j’ai sélectionné les

photos j’ai essayé d’avoir une diversité de femmes au niveau de la couleur de la peau et de la

coiffure. Toutes les femmes, à l’exception de la femme sur la photo numéro 3 et de celle sur

la photo numéro 11 (chanteuse), sont des modèles posant pour montrer des vêtements ou une

coiffure et/ou un maquillage. J’ai fais ce choix afin d’avoir une cohérence parmi les photos

au niveau de la pose, de la lumière et du « styling » (coiffure, maquillage, vêtements). La

femme de la photo numéro 3 n’est pas un modèle, elle est interviewée par le magazine.

Malgré cela j’ai décidé d’utiliser cette photo puisqu’il a été difficile, voire impossible, de

trouver une femme noire ayant ses cheveux naturels dans les magazines. Quand j’ai choisi la

photo numéro 11, je ne savais pas qu’elle était une chanteuse célèbre et en conséquence, cette

femme était moins neutre car elle était déjà un visage connu pour la majorité des jeunes filles.

Lors des premiers rendez-vous, la discussion sur les photos a été longue et très détaillée et je

me suis rendue compte que cela prenait trop de temps. Nous nous sommes vues pendant

presqu’une heure, et j’ai compris que je ne pouvais pas continuer de cette manière puisque je

n’avais pas ce temps. Il était déjà difficile de réussir à réunir plusieurs filles disponibles en

même temps. En conséquence, j’ai commencé chaque entretien avec les photos sans insister

pour avoir des commentaires à chaque photo, mais en leur demandant plutôt leurs

commentaires une fois qu’elles avaient choisi les trois plus belles et les trois moins belles. Ce

diagramme se trouve également en annexe 6. Mais, au final, ces photos ne constituent pas un

« vrai » outil méthodologique puisque je n’ai pas eu le temps de faire l’analyse

48

« correctement ». Cependant, dans l’analyse principale, je me suis parfois servie de ces photos

pour illustrer ce qu’ont dit les filles. Après ce premier rendez-vous, j’ai dû fixer un nouveau

rendez-vous pour l’entretien individuel, mais souvent tout s’est fait en même temps.

5.3.2 Le déroulement des entretiens Pendant le mois de mai, je me suis rendue au lycée pratiquement tous les jours pour

finalement rencontrer quinze jeunes filles dont onze individuellement. J’ai rencontré les

quatre autres filles deux par deux, pour des raisons pratiques du aux temps que nous avions.

Toutes les entretiens ont été effectués au lycée dans des salles différentes. En général,

l’entretien a duré environ cinquante minutes, mais certain ont duré jusqu’à une heure et demi.

J’ai été obligé de réduire le temps de nos entretiens parce que les filles avaient rarement plus

d’une heure à me consacrer, soit parce qu’elles reprenaient leurs cours soit parce qu’elles

devaient rentrer chez elles. Cela m’a parfois mis mal à l’aise et je n’ai pas pu me concentrer

entièrement puisque je regardais regulièrement l’heure. Les entretiens ont été enregistré avec

une magnétophone pour être ensuite retranscris. J’ai essayé de les retranscrire mot à mot afin

de garder la manière dont s’expriment les jeunes filles. Or les retranscriptions ont été difficiles

puisque ce n’est pas toujours évident de traduire la langue parlé à l’écrit. En plus, étant donné

que le français n’est pas ma langue maternelle, j’ai parfois eu des problèmes pour distinguer

ce qu’ont dit les jeunes filles. Généralement, l’emploi du magnétophone n’a pas posé de

problèmes, toutes les filles l’ont accepté, même si au début, elles étaient souvent un peu

génées par le fait d’être enregistrées.

5.3.2.1 Savoir animer la discussion

Au début, j’ai été satisfaite de mon guide d’entretien sur laquelle j’ai pu m’appuyer. Pendant

les premiers entretiens j’ai plutôt suivi mon guide, ce qui m’a permis d’adhérer à un fil rouge.

Cela a eu des avantages comme des désavantages. L’avantage se trouve dans le fait que je me

suis basée sur mes questions et si je ne savais pas quoi dire, j’ai regardé dans mes papiers pour

continuer avec la prochaine question. Par contre, ceci fut aussi un désavantage puisque d’un

coup la discussion était moins « libre » et parfois même un peu tendu. J’avais tendance à

rester trop fixé sur mes questions. Au fur et à mesure, je me suis moins appuyé sur le guide et

la discussion a souvent été plus vivante. Si la discussion dérivait sur un autre sujet, j’ai

toujours essayé de les réorienter vers mes questions. Or, je n’ai pas toujours réussi à le faire et

il m’est arrivé de ne pas poser certaines questions. Je ne trouve pas que cela constitue un

49

véritable problème parce que les questions « oubliées » n’étaient, au final, peut-être pas aussi

importantes pour mes interprétations finales.

Avec les questions qui parlaient de la « race » ou des origines, je n’ai pas été toujours à l’aise

en les posant. J’ai eu peur qu’elles les interprètent mal, qu’elles se demandent pourquoi je

voulais avoir de telles informations. Je n’ai pas toujours réussi à être assez adroite mais au fur

et à mesure j’ai appris que pour les filles c’était normale de parler en terme de « noir-e »

« maghrébin-e », « arabe », « rebeu », « africain-e », « français-e » (être français-e est égal à

être blanc-he)...

5.3.2.2 La « chasse » après des salles et des jeunes filles Il m’a semblé pratique de faire les entretiens au lycée. C’est moi qui me suis déplacée et les

filles restaient dans un milieu qu’elles connaissaient. Pourtant, il n’a pas toujours été évident

de trouver des salles libres, et j’ai souvent perdu beaucoup de temps en cherchant des salles.

Si j’ai du courir après les salles, j’ai aussi souvent été obligée de courir après les jeunes filles.

Nous avions toujours rendez-vous devant le bureau des surveillant-e-s mais souvent il fallait

que j’aille chercher les filles dans les couloirs ou dehors pour leur rappeler que l’on avait

rendez-vous. J’avais du mal à faire comprendre aux filles que leur participation était un

engagement de leur part. S. Beaud et F. Weber (2003) parlent d’un « pacte d’entretien », et je

n’ai pas toujours bien réussi à leur expliquer leur implication pour mon étude. A de

nombreuses reprises, des filles ne sont pas venues aux rendez-vous, soit elles ont oublié, soit

elles étaient obligées de quitter le lycée pour diverses raisons. Cependant, quand cela s’est

produit, elles se sont, dans la plupart des cas, excusées après et on a pu prendre un autre

rendez-vous. En tout état de cause, cette « chasse » après les salles et les filles m’a parfois

découragée, mais certes, cela fait partie de la recherche.

5.3.3 Les rapports entre les jeunes filles et moi L’interaction entre moi et les filles est essentielle pour la collecte de données. Les facteurs tels

que âge, « race », sexe, classe, style de vêtements, langue... influencent l’interaction. Si une

majorité des filles a été un peu timide, il faut rappeler la distance entre nous, surtout en termes

d’âge. Avec une majorité des filles il y avait une différence d’âge de dix ans. Même si je

connais le période dans lequel elles se trouvent, j’ai été une étrangère à leur monde, et c’est

quelque chose qui m’a intimidé aussi. Si la différence d’âge a surement joué dans l’interaction

50

entre moi et les jeunes filles il ne faut pas négliger d’autres facteurs comme ma position

dominante socialement, au regard de mon statut d’étudiante, de femme blanche etc....

5.3.3.1 L’équilibre entre une relation professionnelle

et une relation privée Au début les jeunes filles m’ont vouvoyé même si j’avais dit que je préférais qu’elles me

tutoient. Certaines d’entre elles m’ont même appelé « Madame » et j’ai réalisé qu’elles se

sentaient loin de moi. Au fur et à mesure quelques filles ont commencé à me tutoyer et la

distance s’est réduite peu à peu. Un jour Amelle m’a même fait la bise et je me souviens que

j’ai été un peu gênée, j’ai pensé à toutes les autres filles à qui je ne faisais pas la bise et ce

qu’elles devaient penser si je faisais la bise à Amelle et pas à elles. De même, une fois Nadia

est venue me parler quand j’étais dans le couloir et elle me posait plein des questions sur moi

et j’ai répondu volontairement. Après j’ai eu peur d’en avoir trop racontée, peur que cela ne

donne pas une image « professionnelle » de moi. Il fallait que je reste concentrée sur mon rôle

de chercheuse. Mais, c’est justement lorsque nous arrivions à avoir une relation un peu plus

personnelle que la confiance s’est gagné et que les filles ont été plus à l’aise avec moi. En

effet, je me suis rendue compte de l’importance de parler de moi aussi, car cela montre que je

voulais aussi qu’elles me connaissent. De même, une fois avec Haniya et Bentadia j’ai réussi

à réduire la distance un peu entre elles et moi en nous regroupant comme « nous les

femmes ». Le fait que je sois une femme a également contribué au développement de mes

entretiens. Nous garderons cependant en tête ce que souligne Beaud et Weber (2003) : le

raisonnement scientifique doit précéder la sensibilité et la subjectivité.

5.3.4 Les rapports de domination Avec quelques filles maghrébines je me suis sentie plus proche mais j’ai également eu

l’impression d’avoir plus de difficulté à rencontrer des filles noires. Je l’ai analysé ainsi : Tout

d’abord, j’ai croisé Yasmine, Amelle, Zarin et Nadia à plusieurs reprises, nous avons donc eu

l’occasion de parler un peu en dehors de nos entretiens. De l’autre côté, même si une majorité

des filles avaient des copines de toutes origines, on peut penser que les filles maghrébines se

sentaient peut-être moins éloignées de moi en terme de « race ». Cela peut également être vrai

de ma part. En effet, nous verrons dans l’analyse que les filles maghrébines sont perçues en

tant que filles blanches. A part Nadia, ces filles étaient ouvertement intéressée par la mode et

la beauté et se sentaient plutôt à l’aise quant au sujet de mon étude. De la part des filles noires,

51

il m’a semblé plus difficile de trouver des filles qui voulaient participer à mon étude, elles ont

été plus nombreuses à dire non que les filles maghrébines. Nous soulignons cependant que

certaines des filles maghrébines ont joué le « rôle d’intermédiaires » en expliquant à leurs

amies de quoi il s’agissait (Beaud & Weber 2003). On peut être tenté de penser que le rapport

de domination en termes de « race » a joué dans mes difficultés pour trouver des filles noires.

En plus, une fille m’a expliqué qu’il vaut mieux interroger d’autres filles, des « bombes »

comme elle avait dit. Malheureusement je ne sais pas si elle visait des filles noires ou des

filles maghrébines. Quant aux entretiens je n’ai pas eu cette impression. Certes, si j’avais été

maghrébine ou noire, les rencontres et les entretiens se seraient peut-être passés autrement.

J’aurais pu animer une autre discussion autour des pratiques de coiffure ou concernant nos

origines.

Dans la prochaine partie seront développés les résultats de ma recherche.

52

DDEEUUXXIIÈÈMMEE PPAARRTTIIEE :: PPRRÉÉSSEENNTTAATTIIOONN DDEESS RRÉÉSSUULLTTAATTSS

53

Nous allons maintenant analyser l’ensemble des résultats obtenus sur notre terrain de

recherche. L’analyse est divisée en deux sous-parties qui ensuite s’articulent autour d’un

thème central. Dans un premier temps nous traiterons en trois chapitres de la beauté en tant

que système de normes. Le premier chapitre nous servira à définir la notion de beauté. Dans

les deux chapitres suivant, nous étudierons les pratiques (maquillage et cheveux) et les

facteurs entrant en jeu dans la beauté chez les jeunes filles. Cette partie est censée théoriser la

beauté à partir de la vision des adolescentes que nous avons rencontré. Dans un deuxième

temps, nous développerons en trois chapitres les enjeux de la beauté ce qui nous permettrait

de situer la notion de beauté dans une nouvelle perspective afin de pouvoir mettre à jour les

mécanismes de domination. Le quatrième chapitre traite des différentes couleurs comme

critère de beauté. Dans le cinquième chapitre nous nous intéresserons au rapport des jeunes

filles aux normes de beauté. Enfin, dans le dernier chapitre nous aborderons la question de la

possession du corps des jeunes filles dans leur vie quotidienne. Globalement, cette deuxième

partie a pour but de recontextualiser la notion de beauté, pour finalement, faire ressortir les

rapports de domination.

54

PPAARRTTIIEE II LLAA BBEEAAUUTTÉÉ :: UUNN SSYYSSTTEEMMEE DDEE NNOORRMMEESS

CCHHEEZZ LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS

55

CCHHAAPPIITTRREE 11 LLAA CCOOMMPPLLEEXXIITTÉÉ DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ CCHHEEZZ LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS

Jeune, belle et saine, telle est exclusivement l’image idéale de la femme que proposent les

médias et la publicité. Le fait d’être belle est important pour les jeunes filles bien qu’elles

n’aient pas toutes les mêmes critères de beauté, qui, de premier abord semblent nombreux.

Cependant, parmi les photos exposées aux interviewées, nous pouvons remarquer que ce sont

la plupart du temps, les mêmes femmes qui sont classées comme étant les plus belles. En tout

état de cause, pour définir les critères de beauté, la plupart des filles font référence à

l’apparence physique, à ce que l’on voit de l’extérieur. Nous commencerons donc d’abord par

donner une définition de la beauté et des critères de beauté en analysant le discours de ces

jeunes filles.

1.1 Être fille, c’est être belle Samira m’affirme que « les femmes s’en occupent plus de leur charme » puisqu’elles se

maquillent et font plus attention à leur habillement que les hommes. Dounia est du même avis

parce que, comme elle le dit : « [les] femmes elles aiment /.../ être bien, se présenter bien /.../

je trouve normal /.../ qu’une femme prenne soin d’elle ». Elle ne veut pas par exemple que son

copain s’occupe trop de lui, mais il doit rester « propre ». Yasmine, m’explique qu’ « il y a un

tout état de choses » qui jouent sur la beauté :

« Des fois elle [la beauté] vient comme ça des fois elle vient pas comme ça il

faut la chercher aussi /.../ il y a plein des choses, sur l’alimentation par

exemple il faut manger équilibré pour avoir certains formes, faire du sport,

après c’est le maquillage après c’est la tenue, il y a plein des choses qui

jouent sur la beauté. Donc il n’y a pas que le maquillage ou la tenue. Il faut

être sexy, il faut être belle, il faut être grande, il faut avoir des formes, il faut

être fine, il y a la tenue, le maquillage, la coupe, il y a plein de chose, la

beauté, enfin, c’est plein de choses »

Nous apprenons avec la réponse de Yasmine que la beauté est complexe et que les critères

sont nombreux. Lorsque je lui demande si elle se trouve belle elle baisse sa voix et dit qu’elle

se sous-estime toujours et elle ne répond pas vraiment. Pour Yasmine, pour être belle, il

56

faudra travailler son corps d’une manière ou d’une autre et être prête à faire des efforts pour «

chercher » la beauté. La beauté repose ici dans le principe que l’on fabrique son apparence à

partir de la nourriture, du sport, du maquillage, des vêtements et des cheveux. En conformité

avec C. Guillaumin sur l’ « intervention » du corps, les filles trouvent qu’il est important de

prendre soin de soi et de s’occuper de leur apparence. Il n’est pas seulement important, mais

même « normal » comme le dit Doumia. Elle ne se trouve pas belle mais plutôt « normale ».

Zarin, est encore plus spécifique, ce sont les femmes qui doivent s’occuper d’elles :

« j’aime pas trop si [un homme] prend soin de lui, ça fait un peu féminin

pour moi, [qu’]il prend soin un peu voilà, au niveau de cheveux, pas plus

[mais] il [ne] faut pas s’épiler les poils [si on est un homme] ! »

Par contre, selon elle, la beauté n’est pas accessible à toutes car il faut avoir du charme pour

être belle. Zarin rit lorsque je lui demande si elle se trouve belle en disant « je sais pas ».

Ensuite, il faut être féminine pour être belle et quand je lui demande d’expliquer comment on

est féminine elle me répond :

« Euh, coquette quoi, faut prendre soin d’elle /.../ s’arranger correctement

par rapport aux affaires, au niveau de la beauté /.../ il faut savoir sortir la

beauté »

Or, s’il faut « savoir sortir sa beauté » comme le dit Zarin, il faut aussi savoir rester discrète

quand on est du sexe féminin. « La femme elle est discrète /.../ elle est belle dans son coin »

m’explique Farah. « Une fille qui crie tout le monde voit, elle est extravagante /.../ il n’y a pas

du suspens » elle continue.

Pour ces filles le fait de s’occuper de soi est une norme féminine. Comme le fait remarquer

l’anthropologue Fanny Ambjörnsson (2003) dans son étude sur les jeunes filles, la norme

n’existe jamais en force de soi, mais toujours en relation à un pôle d’opposition réfléchi.

Donc, si on prend soin de soi, on adopte la norme féminine qui se crée en opposition au

masculin, genre qui est censé ne pas prendre soin de lui. Ainsi, les filles mettent en scène leur

sexe, ce que nous comprenons comme une condition capitale chez elles pour être féminine. Il

faut montrer que l’on est une fille et cela passe par le fait de se faire belle, c’est par ce biais là

que se construit la féminité. Le corps devient « sexué » (Guillaumin 1992).

57

1.2 Les caractéristiques de la beauté Selon Camille la beauté dépend de la personne et on ne peut pas donner une réponse

générale :

« Ca dépend de la personne. Il y a des personnes qui sont belles naturelles et

il y a des personnes qui ont besoin de maquillage. On peut avoir des cheveux

courts, des cheveux longs, des petites bouches, des petits yeux, des yeux

marron. »

Camille ne pense pas qu’il n’y a pas une personne qui est plus belle qu’une autre mais elle dit

clairement qu’elle ne se trouve pas belle. Haniya et Bentadia m’expliquent que pour elles, la

beauté se trouve dans le visage et dans les expressions sans pouvoir donner plus de précisions.

Lorsque je demande aux filles si elles se trouvent belles, Haniya s’écrie « c’est la question qui

tue ! ». Je lui demande pourquoi et les deux filles m’expliquent qu’elles ne sont pas moches,

mais elles ne se trouvent pas forcement super belles non plus. La réponse d’Assia se situe

dans l’abstrait, d’après elle il n’y a pas de critères pour être belle. Elle dit « ça depend » si elle

se trouve belle sans préciser davantage. En effet, tout le monde peut être belle et cela revient

chez la plupart des filles. Nous verrons cependant au long de l’analyse que c’est plutôt une

question d’interprétation des normes et de volonté de s’en approcher. Comme Dounia,

Florence et Natacha se trouvent « normales » lorsque je les demande si elles pensent qu’elles

sont belles. Selon Florence il faut avoir du volume dans ses cheveux pour être belle, sa copine

Natacha est d’accord : les cheveux sont importants afin d’avoir un beau visage. Les deux

filles ont des tresses. Sans les cheveux, ou sans le volume, on n’est pas belle car la norme est

basée sur les cheveux longs. Nous verrons l’importance des cheveux plus tard. Pour Amelle le

visage joue un rôle essentiel :

« Je dirais la peau, les cheveux, le visage et il y a le corps quand même un

petit peu, le corps moins en fait, le plus important c’est /.../ le visage parce

que c’est là on voit tout en fait /.../ La peau c’est très très important /.../ la

couleur après c’est pas important c’est plus les peaux lisses, bien entretenues

pas de boutons, ça fait propre en fait /.../ »

58

La réponse d’Amelle est plus précise mais montre aussi la difficulté de définir clairement les

caractéristiques de la beauté. Elle ne se dit pas être belle mais « charmante » et le fait de se

trouver belle dépend de son moral. Elle nous raconte que le visage est essentiel et qu’il faut

savoir bien entretenir sa peau. La norme est une peau lisse et propre sans distinguer la couleur

de la peau. Pour obtenir une peau lisse il est, parmi nombreuses des filles, fréquent de mettre

de fond teint qui fait plus « clean » comme le dit Haniya. Nous tenterons d’expliquer les

pratiques de maquillage davantage dans le deuxième chapitre, où nous verrons que le

maquillage fait partie des normes de la beauté.

Farah par exemple pense que la simplicité et le fait de rester naturelle sont nécessaires pour

être belle. Ainsi, la beauté repose sur le fait d’être soi-même : « il faut pas vouloir ressembler

à quelqu’un » comme elle le dit. Elle ne se trouve pas belle et dévoile qu’elle aimerait « tout

changer sauf ses yeux ». Les réponses de Kesso et Nadia rejoignent ce que dit Farah, en ce

qu’elles disent que la beauté repose sur le fait d’être naturelle. Quant à Kesso, elle est la seule

de toutes des filles qui clairement réponde « oui » lorsque je lui demande si elle se trouve

belle. Comme Amelle, Nadia ne se trouve pas belle mais « charmante ». En dehors du lycée,

elle porte le voile et m’explique qu’elle se sent « plus en sécurité avec » et donc plus belle

quand elle n’est pas à l’école.

1.3 L’harmonie des qualités pour être belle Meliou, est la seule fille à penser que la beauté se trouve à l’intérieur de la personne :

« C’est sur la qualité, ce qu’il y a au fond de soi-même et pas ce qu’il y a

l’extérieur, c’est ce qu’il y au fond, c’est-à-dire la générosité, l’attention /.../

la beauté c’est ça en fait. C’est ce qu’il y a au fond de soi c’est pas ce qu’il y

a l’extérieur.»

Elle me répond avec « je sais pas » lorsque je lui demande si elle se trouve belle mais trouve

que sa mère est belle, voire la plus belle femme au monde. Pour Samira la beauté repose sur le

charme :

« la beauté c’est le petit charme, c’est un petit charme qui va sortir. On voit

une personne, il y aura un petit charme qui va bien, quand on voit une

59

personne belle mignonne /.../ il y a un petit charme qui va bien /.../ c’est pas

quelque chose sur son visage qui va bien à elle, c’est son charme mais je sais

pas exactement, si je vois une personne je peux dire c’est quoi son charme »

Elle ne se trouve pas belle mais plutôt « mignonne » et évoque l’actrice indienne Aishwarya

Rai comme la plus belle femme. Nadia et Amelle sont du même avis en disant que cette

femme a « tout ». Yasmine, qui pense que la beauté, « c’est plein de chose », ajoute aussi

l’idée de l’attirance afin de définir la beauté. Mais, au final, elle fait la distinction entre le fait

de plaire et la beauté :

« On peut être belle mais pas attirante. /.../ Pour moi c’est deux choses

différentes... /.../ Etre belle /.../ c’est quelqu’un qui a ce qu’il faut, fin qui a

pas de défauts /.../ quelqu’un qui est attirante c’est quelqu’un /.../ [avec] par

exemple des yeux qui pétilles, des choses qui attirent sur la personne, elle

peut être charmante »

Quelqu’un qui n’a « pas de défauts » signifie pour Yasmine une personne belle. On peut

cependant cacher ses défauts, comme nous le verrons dans la partie traitant du maquillage.

Comme Samira, Yasmine parle aussi du fait d’avoir du charme et être « charmante », mais le

plus important c’est de « se mettre en valeur ». Par se mettre en valeur, nous avons vu qu’il

s’agit en particulier de prendre soin de soi, afin de montrer que l’on est une fille.

Nous entrevoyons ici un discours assez vague sur la beauté. Pour les jeunes filles il semble

difficile de se trouver belles, et dans les cinquièmes et sixièmes chapitres nous tenterons de

discerner les raisons pour lesquelles dire qu’on se trouve belle est quelque chose de difficile.

La majorité d’entre elles trouve sa mère belle, à part de Camille et Bentadia, mais toutes les

filles pensent que les femmes dans la famille sont belles.

Dans le chapitre suivant nous distinguerons les fondements spécifiques de la beauté et

comment ceux-ci s’expriment chez les jeunes filles.

60

CCHHAAPPIITTRREE 22 ÊÊTTRREE MMAAQQUUIILLLLÉÉEE :: ÊÊTTRREE FFÉÉMMIINNIINNEE

Les produits cosmétiques font partis de la « féminité ». Prenons n’importe quel magazine pour

les femmes et nous apprendrons que le maquillage nous rend « plus belle » et que nous en

avons besoin. La plupart des jeunes filles utilise régulièrement du maquillage : le mascara

(pour les cils), le crayon (pour les yeux) et le fond teint (crème pour la peau). Ces produits

sont quasiment intégrés dans l’apparence des filles, et font partie de leurs habitudes. Dounia

raconte qu’il y a des filles qui se maquillent plus que d’autres, mais, qu’au final, toutes les

femmes se maquillent. Il est capital de mettre du maquillage mais, il ne faut surtout pas se

maquiller à l’excès car « les hommes n’aiment pas des filles qui se maquillent beaucoup »

comme le dit Samira. Le maquillage est cependant très souvent perçu comme un critère de

beauté chez les jeunes filles. Par exemple, lors de mes premières visites au lycée je me suis

approchée de deux filles pour demander si elles accepteraient de faire un entretien. L’une

d’elle a déclaré que comme elle ne se maquillait pas, elle pensait qu’elle ne serait pas

intéressante pour mon étude. Or, ici nous trouvons une contradiction chez les filles : il est

essentiel de rester naturelle pour être belle mais le maquillage est considéré comme un moyen

pour faire ressortir sa beauté. En tout état de cause, j’ai pu observer qu’une majorité de filles

au lycée se maquille, et nous pouvons distinguer plusieurs aspects relatifs au maquillage et à

son rôle.

2.1 Avoir « bonne mine » Camille est la seule parmi les filles à ne jamais se maquiller. Elle ne voit pas l’intérêt de

mettre du maquillage, car pour elle c’est comme si on avait quelque chose à cacher. Elle

trouve que le maquillage peut rendre une personne plus belle mais finalement cela empêche

de voir la personne en vrai. Cependant, pour certaines filles le maquillage est une

« obligation ». Zarin met du mascara et du crayon tous les jours, elle se dit qu’il faut faire un

« minimum quand même ». Dounia se maquille « légèrement » tous les jours avec du mascara,

du crayon et un peu du blush pour avoir « bonne mine » et ne pas avoir l’air d’être

« fatiguée ». Assia partage cette idée, elle met du crayon, du mascara et du fard à paupières

pour avoir « bonne mine ». Mais : « quand j’ai la flemme ou quand je suis en retard je mets

juste un peu de crayon ». De plus, elle met de la crème autobronzante : « sinon j’ai

l’impression d’être malade » à cause de sa peau qu’elle trouve pâle. Amelle aussi se maquille

avec « de la poudre pour donner une bonne mine quand même ». Même si Assia est en retard

61

elle prend le temps de se maquiller, et quant à Zarin et Amelle, elles trouvent qu’il faut

« quand même » se maquiller. Nous voyons donc une importance à donner une bonne image

de soi par le fait de se maquiller.

Comme l’avait dit Camille, le maquillage devient un outil pour « cacher », dans ce cas, la

fatigue. Cela semble être l’une des raisons principales pour se maquiller. Quand je demande à

Zarin pourquoi elle se maquille elle me répond :

« Bah je sais pas parce que ça ressort les yeux, et moi le matin je suis

fatiguée donc /.../ voilà, il faut cacher tout ça un peu, la fatigue et tout /.../

C’est plus /.../ pour moi et les gens /.../ qu’on me voit tous les jours. »

Mais certes, à la base on veut être plus belle. Haniya explique que l’on devient plus « clean »

avec par exemple en mettant du fond teint, cela cache les défauts : « Le maquillage ça rend

plus belle, /.../ comment dire, on voit pas tes défauts. » La mère de Farah lui a conseillé de

mettre du fond teint pour la même raison : « pour enlever mes cernes ». Meliou en met

« pour une peau lisse et [pour] éviter [que l’on voit] les boutons ». En effet, le maquillage

peut être un moyen pour se sentir plus belle et à l’aise :

« Par exemple avant hier, j’étais fatiguée et j’étais toute pâle et je me suis

regardée : j’avais des boutons et j’ai dit il faut que je l’enlève sinon... en fait

je me sentais mal dans ma peau. Je me sentirai pas bien alors je me suis

lavée je me suis coiffée et j’ai mis de maquillage. C’était un dimanche et

après je me suis sentie bien. /.../ C’est psychologique »

Nadia

2.2 Le maquillage, un critère pour sortir ? Le maquillage est donc important pour avoir se sentir plus attirante et pour être bien dans sa

peau. Yasmine se maquille avec du mascara et du crayon « selon les envies » et pas forcément

tous les jours. Pourtant au lycée je ne l’ai jamais vu sans maquillage, on peut alors imaginer

que que les jours où elle ne se maquille pas sont les jours où elle ne sort pas. En fait, plusieurs

filles racontent qu’elles se maquillent rarement lorsqu’elles restent chez elles. Zarin dit que ce

n’est « pas la peine » de mettre du mascara si elle reste chez elle car finalement personne ne

62

va la voir. Doumia de son côté ne se maquille pas quand elle reste chez elle. A la maison elle

demeure « normale » comme elle le dit :

« Non, chez moi je reste normale, naturelle /.../ Quand je vais à l’école,

quand je sors, je me maquille. »

Pareil pour Farah, quand elle ne quitte pas la maison elle ne met pas de maquillage, pourtant

elle le fait dès qu’elle va au lycée. Meliou se maquille aussi avec du crayon et du mascara

tous les jours :

« Souvent quand je suis chez moi je mets. C’est /.../ plutôt s’il y a des gens je

mets [du maquillage] et quand je vais dehors je mets pas, mais quand je vais

au lycée je mets /.../ comme ça pour le plaisir. Parce que j’ai envie, parce

que ça me plait d’en mettre »

Bentadia raconte que sa cousine ne peut même pas aller au travail sans maquillage :

« Si elle n’a pas de maquillage chez elle elle ne sortira pas, même si elle

doit aller au travail /.../ elle a des taches et avec le maquillage on voit rien

de tout. Elle [n’]est pas moche franchement mais /.../ quand elle se maquille

les yeux avec du mascara et tout elle a un beau regard »

Je demande à Amelle s’il y a des fois elle ne se maquille pas :

« Ca peut m’arriver mais en général je mets toujours du crayon /.../ C’est

dans mes habitudes. [Ca fait partie] du quotidien. [Quand je reste chez moi]

ça dépend, je peux très bien rester chez moi et pas en mettre, et des fois j’en

mets en fait. Le crayon c’est tout le temps, [c’est] le plus basique »

Il est essentiel de donner l’impression d’avoir « bonne mine » aux autres et le maquillage est

devenu un élément capital dans ce procédé. Le maquillage semble d’être exigeant pour les

jeunes filles. Elles ont l’impression de se donner « bonne mine » si elles sont maquillées et un

peu de crayon autour des yeux leur donne un regard éveillé. Le fait de se maquiller fait

souvent parti de leurs habitudes du matin, même si elles sont en retard le maquillage demeure

63

une obligation pour certaines. Une majorité des jeunes filles explique qu’elles se maquillent

pour elles-mêmes afin de se sentir bien dans sa peau. Mais, au final, la plupart ne se

maquillent pas lorsqu’elles restent chez elles puisqu’elles ne vont rencontrer personne. Le

maquillage devient ici un symbole pour se faire belle, ce qui semble important lorsqu’elles

sont en présence de leurs ami-e-s. Naomi Wolf nous parle de « beauty pornography » dans les

médias, illustrés par les femmes toujours professionnellement maquillées sans défauts. On

peut penser que les filles se sentent concernées par cette image puisqu’il nous semble qu’elles

se donnent en permanence la tâche de donner une bonne image de soi. Nous pouvons alors

nous questionner sur le fait que les femmes doivent recenser un certain nombre de critères de

beauté afin d’être vue et d’occuper une place. Si les filles se maquillent pour se sentir bien et

pour « plaire » comme le dit Nadia, on note que la plupart d’entre elles se contente de se

maquiller uniquement si elles sortent. Le maquillage joue un rôle essentiel pour apparaître

féminine. Dans le chapitre suivant nous verrons que les cheveux également en font partie.

CCHHAAPPIITTRREE 33 LL’’IIMMPPOORRTTAANNCCEE DDEESS CCHHEEVVEEUUXX

Les cheveux sont également un critère de beauté. Yasmine dit même que « les cheveux c’est

le plus important chez une femme ». Selon les interviewées, avec des mèches, une nouvelle

coupe, une coloration ou un défrisage on peut changer entièrement son apparence entièrement

et toutes les filles du groupe avaient au moins une fois changé la nature de leurs cheveux,

dans l’intention d’être plus belle. Mais quels cheveux faut-il avoir ? La majorité d’entre elles

avaient les cheveux longs, et si elles ne les avaient pas, souvent, elles le désiraient.

3.1 Une « coupe garçon » L’importance d’avoir du volume dans les cheveux revient en permanence chez les

adolescentes. Nous avons vu que pour Florence et Natacha, c’était même un critère pour être

belle. Avoir une coupe « trop simple » ou les cheveux « trop plats » comme la photo numéro

4, n’était pas un critère de beauté. Pourtant, le volume ne doit pas être trop important : quant à

une femme que Dounia aime bien, (photo numéro 6) elle annonce : « Mais avec les cheveux

comme ça je ne sortirai pas ! ».

64

La couleur ou la coupe ne semble pas dans un premier temps être essentiel mais, en regardant

les photos elles avaient tout de même tendance à préférer les brunes avec des cheveux longs.

Une femme doit avoir des cheveux longs pour être féminine. Si on s’écarte de cette norme, on

n’est pas féminine. Pendant une discussion avec Yasmine et Zarin elles insistent sur le fait

que les cheveux courts fait « coupe garçon » et masculin. Haniya et Bentadia sont de même

avis en regardant une photo (numéro 3) d’une femme aux cheveux court :

Haniya : Elle a des cheveux courts, ça lui va pas

Bentadia : Si elle avait un autre coupe...

Haniya : Oui ça ferait mieux

Camille, qui aujourd’hui a des cheveux longs, m’explique qu’elle s’est fait couper ses

cheveux très courts une fois « comme un garçon » mais qu’elle préfère les cheveux longs

puisqu’elle les a toujours eus et maintenant elle les laisse pousser. Même si les cheveux longs

semblent être un critère pour être féminine et belle, Camille ajoute un autre élément comme

raison pour vouloir avoir des cheveux longs. Elle explique qu’elle a toujours eu avec sa mère,

une relation très froide, elles ne s’entendent plus et lorsqu’elle a eu les cheveux courts

« comme un garçon » c’est sa mère qui le lui avait coupé. Donc, la préférence des cheveux

longs chez Camille peut aussi être influencée par l’acte de sa mère.

Dounia regrette de ne pas pouvoir lâcher ses cheveux parce qu’ils sont trop court :

« J’aime pas les lâcher /.../ parce qu’en fait j’avais les cheveux long et je suis

partie au coiffeur et ils m’ont coupé les cheveux, et là /.../ je peux plus me

lâcher les cheveux, c’est trop court. »

Avec des cheveux longs il y a plus de possibilités de décorer ses cheveux avec un diadème ou

des barrettes par exemple mais surtout, on peut laisser ses cheveux détachés et les laisser

« voler ». Il semble que cela est important pour être féminin. A une certaine manière, cette

mode d’intervention contribue à leur construction du corps sexué puisque comme nous

l’avons vu, les femmes « doivent » avoir des cheveux long afin d’être féminin. La chevelure

devra aussi être lisse et donner l’impression qu’ils « volent » dans le vent. Ainsi, les filles

choisissent de continuer à traiter leurs cheveux avec des produits et des méthodes parfois

abimant, afin de se trouver belle.

65

3.2 Il faut souffrir pour être belle... Haniya précise qu’elle a les cheveux courts mais qu’elle aimerait avoir les cheveux longs, elle

ajoute alors une postiche qui peut s’enlever du jour au lendemain. Sa copine Bentadia fait la

même chose mais signale qu’elle ne mettra jamais « d’extensions »:

« Ouais, par exemple si j’avais les cheveux long, jamais je rajouterai des

trucs. Jamais je mettrais des rajouts. Toujours je laisserai mes cheveux

naturels, et comme j’ai les cheveux courts, malheureusement /.../ je mets un

truc qui accroche. »

Pourtant peu de temps après notre rendez-vous Bentadia avait ajouté des tresses à ses

cheveux. Quand les filles se défrisent leurs cheveux, ils deviennent plus faciles à coiffer, et

c’est plus pratique comme le dit Farah. Kesso aussi le confirme. Quant à Kesso elle explique

qu’il qu’il est rare qu’elle garde ses cheveux au naturel, elle met des « rajouts » et des

« mèches ». Pour que la coiffure soit « plus pratique et plus jolie », elle fait aussi des tresses.

Meliou de son côté exprime son incompréhension quant aux filles qui ont des « rajouts »

permanents. Elle trouve qu’il est important de garder ses cheveux au naturel :

« C’est pas la peine de te mettre de faux cheveux pour qu’ils soient plus long,

non les faux cheveux c’est n’importe quoi /.../ pourtant t’en as déjà /.../ il y a

des gens qui ont des cheveux naturels mais ils implantent encore pour que ça

fasse plus long, moi je trouve que c’est con. /.../ J’ai des copines, elles se

font des tresses avec des mèches avec des locks et tout, ça c’est jolie, mais /../

c’est pas la même chose que t’implanter de cheveux dans ta peau /.../ elles

peuvent les retirer. »

Les cheveux naturels étant le plus important, parfois nous pouvons tout de même noter que le

fait de faire des tresses avec de faux cheveux ou opter pour le défrisage n’est pas considéré

comme changer la nature de ses cheveux, cette modification semble complètement intégrée

par ces jeunes filles. Quand je demande à Meliou si elle a changé la nature de ses cheveux elle

dit « non pas de tout » mais elle ajoute qu’elle se fait des tresses :

Anna : Tu n’as pas changé la nature de tes cheveux ?

66

Meliou : Non pas de tout... souvent je fais des tresses...

Meliou dit que le « défrisage » lui permet de ne pas être jugée. Juliette Sméralda (2004)

annonce que le « projet de blanchissement » est intériorisé chez les femmes noire. Il est alors

possible d’imaginer un lien entre la chevelure et la couleur de la peau : les femmes noires

auraient-elles intériorisé qu’il ne faut pas laisser ses cheveux au naturel ? Nous

développerons davantage cette question dans le quatrième chapitre.

Bien que la plupart des filles changent la nature de leurs cheveux de temps en temps, elles

sont consciences que ce n’est pas très « bon » pour la chevelure. Yasmine aime bien changer

sa couleur afin de se donner une nouvelle apparence, mais indique qu’elle doit faire attention :

« Maintenant j’ai arrêté parce que j’avais des problèmes avec les cheveux

[la coloration] abimait les cheveux /.../ [mes cheveux sont] fragiles. »

Amelle signale les mêmes problèmes :

« Auparavant j’avais déjà fais des mèches c’est très joli mais le défaut /.../

c’est quand ça part, ça fait tomber les cheveux. Ca abîme énormément et

chaque fois quand on se peigne /.../ on se rend compte qu’il y a que les

cheveux colorés qui tombent ! Ils sont secs, ils sont comme de la paille ! »

La « coloration », les « mèches » ou les « défrisages » semblent abîmer leurs cheveux,

pourtant les filles continuent de la faire. Meliou garde ses cheveux au naturel en ce moment,

elle explique que c’est parce qu’elle s’est fait beaucoup de tresses. Elle ne le dit pas, mais

nous pouvons croire qu’elle laisse ses cheveux se reposer un peu étant donné que le défrisage

et les tresses semblent abîmer les cheveux. De plus, il semblerait que l’utilisation de produits

pour les cheveux comme le gel par exemple les abîmerait aussi : Haniya raconte :

« Si moi je prends pas soin de mes cheveux.. déjà ils sont cassés.. ils se

cassent et en plus avec le gel ça casse les cheveux /.../Parce que nous [les

noir-e-s] les cheveux ils se cassent beaucoup /.../ personnellement si j’en

prends pas soin, ils se cassent trop vite et deviennent crépu vite. »

67

Farah rencontre le même souci :

« J’avais mes cheveux naturels [en janvier] et à force de mettre du gel et de

les laver, ils commencent à se casser, donc après il fallait que je fasse des

tresses. »

3.3 Les cheveux brune, blonde, noire ou rose ? Il semble capital de s’occuper de ses cheveux et en prendre soin. Si le « brushing » ou le

« défrisage » sont essentiels pour avoir une chevelure lisse, une majorité des filles font aussi

des colorations afin de changer ou faire briller leurs cheveux. Les colorations semblent être

défini par les saisons : l’hiver il faut plutôt avoir des cheveux plus foncé tandis que pendant

l’été beaucoup des filles font des mèches afin « d’illuminer » leurs cheveux. Zarin explique :

« Je suis châtain clair et donc j’ai changé en brune parce que c’est plutôt à

la mode cette saison-là, l’hiver c’était plutôt brune /.../ noir ça fait hiver et

été c’est plutôt couleur /.../ je vais faire des mèches claires. »

Si cette mode semble être suivie par beaucoup des filles, Assia a changé sa couleur en rose :

« La dernière fois j’ai fais du rose, c’était drôle ! Ils [les gens] me prenaient

pour une folle !!!

Nous ne pouvons pas vraiment ici distinguer de préférences explicites pour les couleurs. Mais,

au final, nous pouvons constater une tendance chez les jeunes filles vers une chevelure brune

ou noire, et faire des mèches claires. Amelle souligne l’importance d’entretenir davantage ses

cheveux lorsque l’on a « fait une couleur »:

« Moi je dirais que tout type de cheveux c’est joli après il faut savoir

entretenir surtout si on fait une couleur, il faut savoir entretenir la couleur,

que ça soit brillant pour pas avoir les cheveux cassés /.../ »

Parallèlement elle trouve qu’il est important de laisser sa couleur naturelle, mais pas

seulement par rapport aux cheveux :

68

« Le naturel c’est plus joli... parce que c’est ça qu’on recherche le plus chez

une fille, le naturel /.../ parce qu’en fait on va dire si elle est trop artificielle,

une fois qu’on enlève tout ça, on voit que la fille... il reste plus rien /.../

laisser sa couleur naturelle [par rapport aux] cheveux, aux yeux pas mettre

de lentilles, fin c’est plus joli, naturel en fait. »

Néanmoins, elles expliquent que si elles se « font des couleurs » elles doivent être

extrêmement attentives à l’entretien de leurs cheveux mais doivent aussi veiller à ne pas faire

une couleur trop éloignée de leur couleur naturelle. Nous avons vu qu’Assia avec ses cheveux

rose était considérée comme une « folle ». Certes, cela peut aussi s’expliquer par le fait que la

couleur rose n’est pas perçue comme naturelle, mais, elle a trop montré sa différence quant

aux autres filles et a, de ce fait « dépassé » la nature de ses cheveux. Selon Amelle il ne faut

pas être « trop artificielle » puisque l’on risque de s’effacer quand on enlève tout. Dans ce

cas, on « manque de simplicité » (Pheterson 2001), et on peut voir qu’Assia se faisait trop

remarquer avec une couleur comme le rose.

Nous avons ici tenté d’illustrer certains critères de beauté chez les jeunes filles. Dans un

premier temps nous avons vu qu’il est difficile de donner une définition exhaustive de la

beauté. Elle semble plutôt d’être floue, mais elle concerne davantage les filles que les garçons.

Pour les jeunes filles il est important de se faire belle et d’avoir une apparence féminine pour

correspondre à la catégorie fille. A partir des habitudes comme celle du maquillage et celles

liées aux soins des cheveux on peut, en effet, voir qu’il est « vital » pour une majorité des

jeunes filles de s’occuper de leur apparence physique afin de rester dans la norme féminine,

qui ici devient l’opposé de la norme masculine. Avec un maquillage et une coiffure travaillée

les jeunes filles mettent en avant leur sexe et construisent leur corps avec des outils

typiquement « féminins ». Dans la prochaine partie nous développerons en trois chapitres les

enjeux de la beauté en tentant de mettre à jour les mécanismes que cela provoque chez les

jeunes filles. Nous tenterons par là de démontrer que la beauté repose sur un système sexiste

et raciste.

69

PPAARRTTIIEE IIII LLEESS RRAAPPPPOORRTTSS DDEE DDOOMMIINNAATTIIOONN ÀÀ PPAARRTTIIRR

DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ

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CCHHAAPPIITTRREE 44 LLEESS CCOOUULLEEUURRSS DDEE LLAA BBEEAAUUTTÉÉ

Nous avons vu dans les chapitres précédents que les cheveux et le maquillage jouent un rôle

important chez les jeunes filles. Dans ce premier chapitre nous nous interrogerons sur le fait

que les cheveux lisses et la peau claire semblent être considérés comme plus séduisants. Nous

tenterons ici de mettre à jour l’importance des particularités physiques racisées dans la

recherche de la beauté, à partir des témoignages des jeunes filles.

4.1 La valorisation des cheveux lisses Selon Yasmine la chevelure lisse est la plus recherchée : « on attend souvent que /.../ les filles

ont des cheveux lisses ». En effet, toutes les femmes qui sont évoquées comme étant les plus

belles ont des cheveux lisses34. Cela donne l’impression que les cheveux lisses sont la norme

et par les cheveux lisses nous entendons une chevelure non-frisée et brillante. Dounia de son

côté affirme que les cheveux doivent être lisses et qu’il faut « se faire un brushing ». Elle a

des cheveux bouclés mais en ce moment ils sont trop courts pour faire un brushing et par

conséquent elle les laisse attachés. Lors d’un de nos entretiens Samira a les cheveux lisses

alors que ses cheveux sont naturellement frisés, elle m’explique que ce jour-là, elle s’est « fait

un brushing ».

Si les « rajouts » comme celui d’Haniya et Bentadia sont fréquents pour avoir plus de

cheveux, c’est le « défrisage » qui est la plus pratiqué parmi les filles noires. Meliou me dit

qu’elle se fait « des défrisages » pour que ses cheveux aient du volume et soient lisses, ça lui

permet « d’être bien ». Une chevelure lisse et volumineuse correspond aux normes de beauté :

« [Il est important d’avoir les cheveux lisses] ça permet aussi d’être bien en

fait /.../ qu’eux [les non-noir-e-s] ils évitent te juger, de te juger sur ta

chevelure /.../ toi tu as des cheveux gras, secs, dès que tu mets un coup de

peigne tes cheveux se cassent... alors qu’eux, dès qu’ils mettent un coup de

peigne ou un coup de brosse leurs cheveux ça volent dans tous les sens alors

que pour nous c’est pas pareil.. il y a des gens qui jugent pour tes cheveux »

34 Angelina Jolie, Christina Milan, Rihanna, Eva Longoria, Beyoncé, Alyssa Milano, Janet Jackson, Jennifer Lopez, Jessica Alba....

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Lorsque je demande à Meliou qui sont ses idoles elle évoque uniquement des

actrices/chanteuses blanches (nord-américaines) avec une chevelure lisse35. Le jugement des

« autres » ne semble pas être la seule raison pour faire un « défrisage ». Quand je demande

pourquoi Farah se défrise ses cheveux elle me répond :

Farah : Je suis obligée de faire des défrisages...

Anna : Pourquoi tu es obligée ?

Farah : Parce que /.../ mes cheveux ils s’abiment. Mais de toute façon même

avec le défrisage ils s’abiment. C’est ça les cheveux des noir-e-s...

Anna : Pour toi c’est les cheveux des noir-e-s ?

Farah : Bah [parce que] c’est tout le monde.. tout le monde fait de défrisage

Anna : Pourquoi tu penses il y a tant des filles qui font de défrisage ?

Farah : Bah c’est pour que leur cheveux soient plus facile à coiffer... bah

j’ai besoin de faire de défrisage.. c’est ça je pense...

Anna : Donc c’est une question que c’est plus pratique ?

Farah : Ouais

Elle explique cependant qu’elle ne fait pas attention à ses cheveux quand elle va au Mali ou

en Côte d’Ivoire :

« Là je me laisse aller, je me coiffe pas, il n’y a personne qui est là pour

parler « oui elle s’est pas coiffée » « regarde comme elle est » »

Comme Meliou, Farah se sent jugée par rapport à ses cheveux et à son apparence. Quand elle

va « au bled » elle se sent plus à l’aise et ne sent pas obligée de s’occuper d’elle ou de se

mettre en valeur. Ainsi, quand Farah va « au bled » elle fait parti à la norme et elle échappe

aux regards. On peut croire que ce sentiment dépend de plusieurs choses. Souvent, lorsque

l’on part en vacances une raison peut aussi être de se détendre et essayer de mettre à côté sa

vie quotidienne. Pour cette raison on peut croire que Farah « se laisse aller ». Malgré cela,

nous estimons que dans la société française les cheveux lisses sont la norme, comme

l’affirmait Yasmine au début de ce chapitre. Lorsque j’ai demandé à Farah si elle voulait

35 Angelina Jolie, Catherine Zeta-Jones, Madonna

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changer quelque chose chez elle, elle m’a montré la photo d’une femme blanche aux cheveux

bouclés et a avoué qu’elle voulait avoir la même chevelure36.

4.2 Aux yeux bleus et à la peau claire... « Chacun a sa beauté, on est pas obligée d’être toute blonde aux yeux bleus » me dit Camille.

Le fait que l’on ne soit pas « obligée d’être toute blonde aux yeux bleus » confirme ici l’image

que la beauté est incarnée par les femmes blanches. La réflexion de Yasmine quant au lien

entre le racisme et la beauté peut s’inscrire dans la même idée : « si on est noire on est pas

belle ? ». Les femmes blanches sont la norme. Mais, au final, Camille, d’origine française, se

place hors de ces normes en insistant que l’on puisse être belle sans être blonde aux yeux

bleus. On peut cependant penser que la réponse de Camille est orientée par le fait qu’elle soit

blanche, ses références sont d’abord les blanc-he-s puisqu’elle ne dit pas que l’on peut être

brune, mais que l’on ne doit pas nécessairement avoir des cheveux blonds et des yeux bleus.

Par contre, Amelle, d’origine marocaine, me dit « il y a des blondes qui sont jolies aussi »,

pour elle c’est d’abord les brunes qui sont belles. De la même manière comme pour Camille,

on peut penser que le cadre de référence pour Amelle se situe d’abord dans le fait que les

maghrébines plutôt sont brunes. La norme se joue ici entre les couleurs des cheveux, blonde et

brune.

Farah, d’origine malienne, s’exprime encore autrement, elle a l’impression qu’aujourd’hui il

faut être blanche de peau pour « plaire » et donc être belle :

« Une fois j’étais au téléphone avec une copine et je passe devant un garçon

du lycée /.../ et il m’appelle et il me demande c’est qui au téléphone, j’ai dis

que c’est une copine, et il me demande ; elle est noire ou elle est blanche ? »

Farah lui a répondu que sa copine était noire, et le garçon, qui lui aussi était noir, ne

s’intéressait plus à la copine de Farah, et il est parti. Elle m’explique que si sa copine avait été

blanche le garçon aurait certainement commencé à lui poser des questions pour savoir plus de

sa copine. Pour Farah les « filles arabes » [filles d’origine maghrébine] sont perçues comme

des « filles blanches » [filles françaises] et elles représentent largement la beauté pour elle :

36 Photo numéro 1

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« Elles sont brunes, elles sont mates de la peau, elles sont sollicitées, elles

ont de beau cheveux /.../ elles font du brushing, elles sont mates de la peau,

elles s’habillent bien, elles sont bien formées... »

On fait la remarque que son entourage au lycée était davantage « mixte ». Lors des

récréations, souvent, Farah s’est trouvée dans un groupe où par exemple les filles

maghrébines étaient plus nombreuses que les filles noires. A plusieurs reprises je l’ai aussi vu

toute seule avec une de ces filles maghrébines. En conséquence, on peut croire que Farah a

des expériences qui confirment qu’au lycée, les filles maghrébines sont plus « populaires »,

l’anecdote que l’on vient d’évoquer auparavant en est une. D’ailleurs une des plus belles

femmes selon Farah, justement, est l’actrice blanche nord-américaine Angelina Jolie.

L’exemple de Farah montre que la couleur de peau joue dans les normes de beauté. Si Farah

trouve que les filles maghrébines représentent la beauté on peut penser que les garçons aussi

contribuent à cette idée. Farah, étant une fille noire et de ce fait racisée, se place dans

l’imbrication des rapports de sexe et de « race ». La question du garçon dans l’histoire que

raconte Farah indique une tendance à vouloir faire connaissance avec des filles blanches ou

maghrébines puisqu’elles sont celles qui sont belles avec leur peau blanche ou mate. Ici, le

fait d’être belle passe par la validation masculine mais surtout par la couleur de peau. Comme

le dit NC Mathieu (1994), c’est l’homme qui décide si la femme est désirable. Cela se fonde

dans les rapports du pouvoir où les hommes sont « majoritaires », et les femmes sont

« minoritaires » sans le pouvoir à dicter les règles, et dans ce cas, la beauté est déterminée par

le désir masculin (Guillaumin 2002 [1972]).

4.3 La réduction de la beauté à la couleur de la peau Natacha trouve en particulier sa mère belle parce qu’elle est de couleur « métisse ». En

regardant les photos ensemble Natacha dit clairement qu’elle n’aime pas la couleur de peau

chez l’une des femmes qui a une peau noire foncée (numéro 3). Sa copine Florence s’énerve :

« Bah arrête ! Tu es noire aussi ! Pourquoi tu aimes pas sa peau ? T’es raciste ? ». Natacha

se défend en disant qu’en fait c’est ses cheveux qu’elle n’aime pas puisqu’ils sont trop courts.

On peut penser que Natacha, elle-même noire, a complètement intériorisé la peau noire

comme divergente de la norme et ne la voit pas belle. Cependant, elle me dit qu’elle aime bien

sa couleur à elle qui, en effet, est plus claire que celle de la femme sur la photo. Les deux

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filles mentionnent deux chanteuses nord-américaines de « R’N’B » pour illustrer « la plus

belle femme ». Ces deux chanteuses sont « noires » mais plutôt très claire de peau 37. Par

rapport à la peau, Bentadia dit qu’elle a plusieurs cousines qui mettent des crèmes

éclaircissante pour être plus claire de la peau et donc plus belles. Il existe donc une idée que la

peau claire est plus belle, quelque chose on peut retracer à l’époque de l’esclavage et du

colonialisme. En effet, la peau claire était associé à un statut supérieur (Hunter 2002; Kroes

2006; Sméralda 2004; Sy Bizet 2000). Bentadia avoue qu’elle a trouvé une copine de sa

cousine plus belle après avoir éclairci sa peau :

« Je suis partie en vacances et quand je l’ai revu elle avait éclaircie, mais

franchement elle était super belle. Or elle a toujours été belle mais je [ne]

voyais pas trop, peut-être à cause de sa couleur, mais dès qu’elle a éclairci,

là je la vois encore belle »

Pour Frantz Fanon (1952), les noir-e-s sont figé-e-s dans leur apparaître. Avant tout la

personne noire est noire, la couleur de peau détermine l’apparence chez les noir-e-s

premièrement. Le regard de Natacha et Bentadia est concentré sur la couleur de peau et on

peut penser qu’elles se placent dans ce cadre dont parle F. Fanon. Natacha dit à un premier

regard de la photo qu’elle n’aime pas sa couleur de peau. Après, quand elle est questionnée

par sa copine Florence, elle explique que ce sont les cheveux qu’elle n’aime pas. Toutefois, la

couleur de la peau est évoquée d’abord. Pour Bentadia, la beauté ressort quand la fille

s’éclaircit la peau, et Bentadia explique qu’elle « ne voyait pas » la beauté de la fille quand

elle était noire. Le regard de Bentadia a donc été focalisé par la couleur de peau. Patricia Hill

Collins (2005) nous rappelle que les normes de la beauté, dits blancs, n’ont pas de sens sans

un opposée (cf. Said 2004), c’est-à-dire sans la présence visible des femmes racisées. On peut

aussi croire que Bentadia ne voyait pas la beauté chez la fille avant qu’elle éclaircisse puisque

elle est devenue l’opposée à elle-même. Ensuite, J. Sméralda, (2004) attire l’attention sur le

fait qu’une majorité des femmes noires célèbres sont claire de peau et ont une chevelure

défrisée et volumineuse, les femmes noires que Bentadia et Haniya citent comme les plus

belles ne sont pas une exception38. Bentadia pense aussi qu’une fille noire peut être rejetée par

des garçons à cause de sa couleur de peau.

37 Rihanna et Christina Milan 38 Beyoncé, Janet Jackson (chanteuses nord-américaines)

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4.4 Le rôle des crèmes éclaircissantes Ce que nous raconte Meliou peut confirmer le sentiment de se sentir en minorité et à part à

cause de la couleur de peau :

« Ils mettent ces crèmes-là parce qu’eux ils trouvent que leur couleur de

peau, ils trouvent qu’ils sont trop noir /.../ aussi parce que s’ils sont les seuls

noirs d’un bande de copain qui sont clairs, comparé à eux c’est sur qu’ils

veulent faire pareil comme les autres : essayer d’avoir la même couleur de

peau que les autres »

La suprématie économique des blancs a imposé une domination ethno-esthétique et pour J.

Sméralda (2004) le phénomène de décoloration est un éloignement à sa nature, qu’il faut

considérer comme « une absurdité engendrée par une déstructuration du rapport de ces

populations à leur propre corps » (40). En effet, pendant la colonisation la peau noire est

devenue un « marqueur différentiel de l’échelle des valeur sociales et esthétiques » (85).

Même si Meliou ne précise pas de qui elle parle, on peut croire qu’elle a déjà eu le sentiment

de se sentir « différente » en estimant que sa couleur de peau n’était pas aussi valorisée que la

peau blanche. Si les filles ont défini le « racisme » comme la « non-acceptation des autres »,

« quand on n’aime pas les gens de couleur » ou « juger par la couleur », Meliou fut presque la

seule fille qui signale que les normes de beauté sont racisées en faisant remarquer que les

mannequins blanches trouvent plus facilement du travail que les mannequins noires

puisqu’elles sont blanches, ce qui est « la bonne couleur » comme elle le dit. En effet, elle

m’avoue d’une manière très modeste qu’elle a déjà essayé les crèmes éclaircissantes :

« J’avais une crème je savais pas que c’était éclaircissant, je mettais sur le

corps mais mon corps [n’]est pas devenue claire. J’ai pas éclairci /.../ c’est

juste le nez qui a éclaircie mais sinon à part de ça il n’y a rien qui a

éclaircie »

Meliou souligne qu’elle ne savait pas que la crème qu’elle utilisait était éclaircissante mais on

peut aussi croire qu’elle n’a pas voulu admettre qu’elle savait que la crème éclaircissait

puisque l’usage est considéré comme « tabou » (Sméralda 2004). Hayina ne comprend pas

pourquoi on veut s’éclaircir la peau :

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Je [ne] vois pas utilité, je [ne] vois pas à quoi ça sert : s’éclaircir quand tu

as la peau noire franchement... Moi je suis noire et j’en suis fière, pourquoi

m’éclaircir ? /.../ C’est pas avec un teint plus clair que tu es plus belle, que

les gens vont venir te voir, tu peux être noire comme un charbon et être

belle. »

On voit que Haniya pense le contraire de ce que dit Farah dans le chapitre précédent. Quant à

elle, elle a l’impression que si elles ont la peau plus claire les garçons s’intéressent davantage

à elles. Il peut être intéressant de noter que j’ai presque toujours vu Haniya avec Bentadia et

j’ai eu l’impression que son entourage au lycée se compose surtout de filles noires. En effet,

Bentadia m’a confirmé que dans leur classe « c’est presque toutes les noires de leur côté et les

filles maghrébines de leur ». Or, Haniya indique d’abord la couleur de peau pour s’exprimer

sur la beauté et on peut penser qu’elle a le sentiment d’avoir besoin d’insister sur le fait que

les personnes noires peuvent être belles. De plus, comme nous l’avons vu, elle mentionne

deux femmes noires commes les plus belles, même si elles ont la peau claire. Lorsque j’ai

demandé aux filles si elles voiyait un lien entre la beauté et le racisme la majorité a répondu

que c’est deux choses complètement différentes à part Meliou et Yasmine. Une peau noire et

une chevelure non-défrisée semblent s’éloigner de la norme chez les jeunes filles qui sont

souvent perçue comme « différentes », voire « moins belle s». Dans le chapitre suivant, nous

tenterons de mettre à jour l’importance des « limites » du système de normes de beauté chez

une fille.

CCHHAAPPIITTRREE 55 LL’’EENNJJEEUU EENNTTRREE LLEESS JJEEUUNNEESS FFIILLLLEESS

Nous essayerons ici de regarder ce qui se passe entre les filles pour savoir trouver l’équilibre

relatif à l’apparence physique et les limites à ne pas franchir. Il est important de suivre

certains codes d’habillement et de maquillage afin d’être dans la norme.

5.1 Un lycée « fashion » Pour Samira les vêtements sont très importants. Elle pense qu’il faut s’habiller en couleur car

les couleurs font « ressortir le charme ». Amelle est du même avis, mais trouve qu’il ne faut

pas trop mélanger les couleurs sauf à la plage. Farah s’habille parfois comme un garçon,

77

quand elle a envie d’être à l’aise. Haniya dit que les filles « se prennent la tête » quand elles

s’habillent car il faut tout accorder, au niveau de couleur, des bijoux qui vont avec « les

hauts » etc... Yasmine trouve son bonheur dans la mode et les surveillant-e-s l’appellent

même « la star » puisqu’elle s’habille toujours à la mode et prend soin de son apparence.

Meliou préfère s’habiller d’une manière discrète. Assia dit qu’elle se fiche de son apparence

vestimentaire au lycée. Natacha et Florence trouvent qu’il faut être « fashion » afin d’être

belle. Zarin ne veut pas s’habiller comme les autres filles. Les idées quant aux vêtements sont

nombreuses mais, au final le style général chez les filles était un jeans serré ou une mini-jupe

avec un « petit haut » en couleur ou une « tunique » et des « chaussures ballerines » ou des

« basket Converse » ou chaussures à talons.

Déjà lors de mes premières visites au lycée, les lycéen-ne-s m’ont dit que j’étais arrivée au

« bon lycée » puisque c’était un lycée très « fashion » avec « beaucoup de filles qui

s’occupaient de leur apparence physique ».

« Ici tu dois tout le temps faire attention, comment tu t’habilles, comment

t’es, tu peux pas être totalement naturelle en fait, tu dois tout le temps faire

attention de ce qui se passe autour de toi. »

Farah

Ma première impression confirma le constat de Farah, toutes les filles semblent être très

attentives à leur apparence, pourtant les garçons avaient aussi l’air de suivre des codes

d’habillement et de style. Selon Assia une grande majorité des filles sont des « petits

moutons » en suivant la mode. Pour Nadia toutes les filles sont identitiques avec les mêmes

chaussures, les mêmes pantalons, les mêmes sacs. Les filles s’habillent surtout en vêtements

serrés tandis que les garçons ont un look plus « relaxe » habillés en vêtements plus larges. Il y

a aussi des filles habillées style « américain » ou « garçon » avec des vêtements « sportifs » et

plus larges, et qui « ne font pas féminine » comme m’explique Dounia. Or Farah s’habille de

cette manière quand elle n’a pas le courage et se sent trop fatiguée pour se « bien tenir » en

vêtements fille. Certes, entre les filles il y avait aussi des différences, mais les filles qui se

distinguaient davantage étaient celles en style « américain » ou « gothique » (vêtements noirs

et du maquillage noir autour les yeux). Le style « gothique » m’a semblé le moins apprécié

parmi les adolescentes habillées « normalement » puisque comme le style « américain » ce

n’est pas féminin. Kesso dit même se sentir « mal à l’aise à cause de leur façon d’être ». En

78

effet, les vêtements contribuent à un look féminin. Néanmoins, les vêtements m’ont semblé

moins importants dans les critères de la beauté. Certes, l’habillement joue dans les normes,

mais ce ne sont pas les vêtements qui donnent la beauté comme les cheveux ou le maquillage

avait tendance à le faire. En revanche, les vêtements sont décisifs dans le fait « d’être sexy ».

5.2 Être « sexy » En effet, l’habillement est l’élément le plus important dans ce jeu. Meliou me dit : « les

vêtements en général ça te rends sexy en fait ». Pour Yasmine, « un jeans bien serré qui

ressortent les formes [et] un haut moulant » c’est sexy. Elle aimerait bien qu’on la trouve

sexy, ça lui fait plaisir d’avoir une remarque aussi positive sur elle. Natacha se trouve sexy

quand elle est habillée comme le jour on l’on s’est rencontrées, une mini-jupe et un haut

montrant ses bras et son cou. Pourtant, comme le dit Samira, ce « petit jean bien serré » dont

parle aussi Yasmine, ne doit pas faire « vulgaire ». En effet, il ne faut pas aller « au-delà les

limites vestimentaires » explique Meliou. Il s’agit ici de garder l’équilibre entre deux

positions, de se mettre en valeur juste comme il faut, et en même temps de ne pas en faire

« trop ». Cela dit, selon les filles on peut donc être « sexy » aux manières différentes et être

« sexy » connote des interprétations variées. Être « sexy » peut être positif comme négatif.

Selon Farah le mot est devenu négatif :

« Maintenant aujourd’hui c’est plus positif. Une fille qui est sexy pour la

plupart des gens c’est une salope /.../ Si quelqu’un me dit que je suis sexy je

le prends super mal. Mais à la base, sexy c’est [positif]. Bah une femme [ou]

une fille qui s’habille bien, qui se maquille, qui sort, pour eux [les hommes]

c’est une salope or que c’est une fille sexy »

Farah

5. 3 Entre « putain » et « féminine » Par rapport aux vêtements, nous apprenons qu’il y a des codes à suivre afin de ne pas être

taxée de « putain ». Dans ce cas, les garçons comme les filles stigmatisent les filles qui par

exemple montrent « trop » leur poitrine ou sont « trop » maquillées.

« Une femme trop sexy c’est une femme qui mets des mini-jupes et qui mets

des décolletés et celles-là on va les faire passer pour /.../ une fille facile »

79

Camille

« Quand je vois de filles habillées comme ça extravagantes rien pour attirer

les garçons /.../ je trouve que c’est débile, ça n’a pas de sens, c’est immoral »

Meliou

Même si le mot « putain » n’est pas utilisé, ces deux témoignages rapportent la conscience du

terme et comment il faut s’adapter aux normes vestimentaires pour échapper au stigmate de

« putain ».

Enfin, Yasmine trouve qu’il faut être sexy pour être belle, mais, au final, on voit qu’il ne faut

pas être « trop » sexy non plus. Une fille ne doit pas dépasser les critères de ce qui est

« permis » pour être acceptée. Si une fille ou un groupe des filles se « montrent trop » ou ne

se mettent pas en valeur par rapport à leur comportement ou à leur habillement ou leur

apparence physique, elles sont discréditées, car elles dépassent le cadre de ce qu’il faut être

pour correspondre à la catégorie « fille » (ou à la catégorie « femme » d’ailleurs). Bentadia

confirme que les vêtements « donne une image de soi » et affirme qu’une fille habillée en

mini-jupe se faire appeler « allumeuse ». Haniya précise :

« On peut s’habiller genre mini-jupe parce que j’aime bien pour moi, mais

pour les autres ça va faire mal /.../ il y aura des gens « regarde celle-là »

mais c’est pas l’image qu’on veut donner /.../ le gens vont juger : si tu es en

mini-jupe t’es une salope »

Quand on est une fille, il est essentiel de donner une bonne image de soi, bien montrer que

l’on prend soin de soi, autrement dit, être « féminine ». Car, il est plus important pour les

filles de « se mettre en valeur » que pour les garçons. Kesso parlent des filles qui « aiment

bien se montrer » et qui par exemple parlent fort dans les couloirs au lycée. Dans ce cas on

« perd » sa féminité car une fille qui crie montre donc un « manque de retenue » pour

reprendre les mots de Gail Pheterson (2001). En effet, Kesso ne veut pas s’identifier aux filles

en « habits provoquant » comme la mini-jupe, petits hauts qu’elles portent « même quand il

fait froid » puisqu’elles « veulent se faire remarquer » elles continuent. De la même manière,

Assia dit quand on se maquille avec « fond teint, du blush et du rouge à lèvres » on est trop

maquillée et cela devient « vulgaire ». Samira est du même avis, pour elle la limite entre

80

« sexy » et « vulgaire » se trouve ainsi dans le maquillage : « beaucoup beaucoup de

maquillage » est vulgaire tandis que « peu de maquillage » peut être sexy. La difficulté pour

les filles réside donc dans le fait de se situer comme une fille féminine mais sans en faire

« trop ». Car comme le dit G. Pheterson (2001:122), les femmes qui en

« montrent trop, en disent trop, en savent trop et en font trop. Trop de quoi

que ce soit est impudique chez une femme. Rire trop, manger trop, et porter

trop de maquillage, ou de bijoux ou de parfum, tout cela est jugé obscène »

Dans le premier chapitre nous avons évoqué la difficulté pour les jeunes filles de se trouver

belles. On peut alors être tenté de penser que cela aussi repose dans la peur d’être « trop »

sûres d’elles, car les filles devraient rester discrètes.

5.4 Le maquillage comme un masque naturel Il faut savoir se maquiller correctement afin de ne pas dépasser les limites pour ce qui est

considéré comme belle. Farah semble être contente que je ne vois pas si elle est maquillée ou

pas quand je lui demande : « Je suis maquillée, on dirait pas ? ». Le fait qu’elle ajoute « on

dirait pas ? » à la fin peut indiquer qu’elle préfère qu’on ne voie pas qu’elle est maquillée. En

effet, cela revient en permanence. Même si on se maquille, il ne faut pas que ça se voit. Le

maquillage doit rendre le visage plus naturel. Haniya raconte que sa sœur a trop pris

l’habitude de se maquiller, par exemple en faisant ses sourcils au crayon, et elle trouve que

« c’est grave ». Meliou explique qu’il faut se contenter de mettre une couche de fond teint,

sinon ça se voit directement comme chez certaines filles. Elle trouve que ça donne

l’impression que « ça coule » et cela ne fait pas de tout joli. Pour Zarin il est capital de garder

une apparence naturelle :

« J’utilise pas trop de produits parce qu’il faut être naturelle mais il faut

faire un minimum quand même, [il ne] faut pas non plus se trop maquiller »

Zarin

Dounia ajoute qu’il faut adapter son maquillage à sa couleur de peau, à son teint. Kesso dit

que l’on peut cacher sa beauté ainsi que sa laideur. Amelle signale qu’elle connait des filles

qui se maquillent beaucoup au quotidien et finalement après les avoir vues sans maquillage

81

elle les ne trouve plus aussi belles. Pour encore illustrer le propos de Kesso nous citerons

Bentadia qui donne l’exemple d’une fille de sa classe « qui doit se maquiller pour rester

belle » :

« Elle se maquille toujours les yeux et des jours elle [ne] se maquille pas les

yeux, franchement c’est horrible /.../ [comme] il manquait quelque chose /.../

elle est obligée de le mettre parce que les gens vont la voir très moche, après

elle a pas le choix en fait »

Cette fille dont Bentadia parle se trouve piégé dans son maquillage, car si elle en ne met pas

les autres élèves vont la trouver laide. Le maquillage fait parti de la « construction »

(Guillaumin 1992) féminine de cette fille, et maintenant elle ne peut pas revenir en arrière

puisqu’elle perdra sa féminité. Camille, qui ne se maquille pas, partage des idées de Bentadia:

on ne doit pas se cacher du maquillage puisque les « gens » vont se faire une image qui n’est

pas la vraie. Effectivement, il ne faut pas être « superficielle » comme le dit une majorité des

filles. Si ce chapitre a été destiné à décrire l’enjeu entre les filles des critères de beauté, nous

tenterons dans le prochain et dernier chapitre, de montrer qu’au fond de cet enjeu se trouvent

les rapports sociaux de sexe.

CCHHAAPPIITTRREE 66 LL’’AAPPPPRROOPPRRIIAATTIIOONN DDUU CCOORRPPSS FFÉÉMMIINNIINN

Naomi Wolf (1996 [1991]), nous rappelle que « l’identité des femmes se construit par rapport

à la beauté » et que c’est par la beauté les femmes gagnent l’acceptation chez les autres. Les

jeunes filles ne sont pas une exception et si elles s’en soucient pour rester dans les normes, au

final, ce sont les hommes qui souvent ont le dernier mot. Les exemples ci-dessous nous

montreront que les jeunes filles sont confrontées à un schéma sociétal sexiste. Pourtant, en les

interrogeant, nous avons remarqué qu’aucune des filles ne connaissaient le mot « sexisme ».

La plupart d’entre elles ont compris le mot comme une manière d’être sexy.

82

6.1 Plaire aux autres En effet, il est très important de plaire aux autres pour la plupart d’entres elles

« Je pense que c’est important [de] plaire aux autres, ça fait plaisir, c’est

attirant par exemple quand j’ai quelque chose sur moi j’aimerais bien qu’on

fasse une remarque positive... « ah, ça fait jolie » « ça te va bien » tout ça ça

fait plaisir et ça donne envie de plaire aux gens, de se plaire à soi-même /.../

Le fait d’être belle des fois c’est pour soi-même des fois c’est pour les

autres »

Yasmine

Ainsi, Farah précise que c’est souvent aux garçons que l’on veut plaire :

« La plupart des filles veulent plaire aux garçons et j’avoue que j’en fais

partie aussi, quand il y a un garçon qui nous plait /.../ l’objectif c’est de lui

plaire.

Pour Farah les commentaires des garçons et des hommes deviennent la suite logique

puisqu’ils « savent » que les filles veulent leur plaire.

« Eux comme ils savent que nous on veut leur plaire, ils disent des trucs, des

choses sur ton physique sur ta beauté /.../ sur ton comportement »

Pour Farah, le fait d’avoir des commentaires relatifs à son apparence ou son comportement est

devenu normal. Dans ce contexte ça lui fait plaisir d’entendre qu’elle est « belle » ou

« mignonne » m’explique-t-elle. Tout se passe par le regard masculin et le besoin de « plaire »

est redondant. L’objectif chez la plupart des filles est de « plaire » et quand elles ont le

sentiment de plaire aux garçons ou aux hommes, elles se sentent généralement réconfortées.

Yasmine et Zarin sont contentes lorsqu’elles ont un commentaire d’un inconnu dans la rue

comme « vous êtes charmante » ou « ça fait joli » quant à leur tenue vestimentaire ou leur

physique, cela leur fait plaisir et les rassure. NC Mathieu précise que ce sont les hommes qui

décident si les femmes sont désirables ou pas et en effet, au final, il y a deux côtés de

83

« l’appropriation des femmes ». Car, si toutes les filles aiment bien « plaire », elles se sentent

ainsi exposées au regard masculin.

6.2 « T’as des belles fesses ! » Nombreuses ont été les filles qui ont eu l’expérience d’avoir des commentaires quant à leur

physique. Souvent cela leur fait plaisir mais derrière ces commentaires se cache l’image que

les filles sont « disponibles ». Kesso me raconte :

« Des fois je /.../ prends [les commentaires] comme un compliment mais des

fois ça arrive que c’est exagéré [ils disent] « t’as des belles fesses » mais

après ils rajoutent des trucs « j’aimerais bien faire si avec ça » »

L’histoire de Kesso montre très clairement comment les hommes se sentent libres de raconter

ce qu’ils veulent faire. De la même manière, Bentadia me dit qu’elle reçoit fréquemment des

commentaires et des « psst psst » quand elle passe devant des hommes. Si elle est habillée en

mini-jupe par exemple les commentaires s’aggravent :

« Quand ils te voient comme ça ils vont taper et si tu veux pas venir ils vont

dire genre « pourquoi tu as mis ça » « tu voulait pas » »

Haniya raconte comment une fois elle a été traitée de manière évidente comme une « putain »

par des hommes :

« Donc ils viennent et commencent à parler et tout, et les mecs quand ils

s’approchent ils regardent ton cul et tout, franchement, ils viennent « c’est

combien » comme si on était une salope »

Les histoires de Kesso, Bentadia et Haniya montrent que le fait qu’elles soient du sexe

féminin, rend leurs corps disponibles, comme un « objet dont on dispose » pour reprendre les

mots de C. Guillaumin (1992 : 42). Il s’agit d’un contrôle masculin et les filles sont réduites à

être des objets que les hommes s’invitent à dévorer avec les yeux. Selon C. Guillaumin

l’agression dite « sexuelle » de la part des hommes, n’est pas sexuelle, mais il s’agit plutôt de

montrer leur possession du corps féminin. Si ce que nous racontent ces filles relèvent d’un

schéma sexiste, elles sont aussi affrontées au propos racistes. Ces trois filles, ayant la peau

84

noire font parties d’une « minorité visible » et selon Patricia Hill Collins (2005) les femmes

d’origines africaines sont très souvent sur-sexualisées. Cela remonte à l’époque de l’esclavage

où le peuple noir était déshumanisé afin de conserver l’ordre colonial. Le processus de

l’objectification et de l’exploitation des femmes passe par leur sexualité et leur capacité

reproductive. Kesso atteste que souvent elle entend « tu as une jolie poitrine » ou « des trucs

comme ça ». Ainsi, Haniya trouve que les hommes la regardent pour son physique en faisant

des commentaires style « putain, ah d’accord ! » pour exprimer leur « joie » de la voir. Ainsi,

le fait de lui demander « c’est combien ? » peut indiquer que l’homme en question la voit

uniquement comme un corps sexuel qu’il faut approprier. Les commentaires que ces filles

reçoivent régulièrement font ouvertement référence aux parties de leur corps : « des belles

fesses », « une jolie poitrine », « ils regardent ton cul » ou à leur habillement : « pourquoi tu

as mis ça ». Ce sont des commentaires très directs relatif au physique des filles. Dans ce

même contexte, Meliou ne cite pas explicitement des hommes, néanmoins elle déclare : « je

ne suis pas un objet, ni un spectacle, ni un match de foot que tu dévores les yeux ». On peut

ici tenter à confirmer le propos de P Hill Collins : l’image de la femme noire est sur-

sexualisée.

Les filles maghrébines sont, selon nous, moins confrontées à ce climat sexiste. A partir de ce

que j’ai entendu devant nos rencontres, j’ai eu l’impression qu’elles n’ont pas les mêmes

expériences. Certes, les commentaires que reçoivent les filles d’origines maghrébines

concernent aussi leur apparence physique, mais d’une manière moins explicite. En outre,

même si Dounia par exemple sent qu’elle est observée par des personnes de sexe opposé, elle

précise : « je m’entends bien avec les garçons, j’ai jamais eu de problèmes ». A la limite,

c’est des commentaires tels que « vous êtes charmante » ou « vous êtes jolie » comme

l’avaient témoignées entre autre, Yasmine, Zarin et Amelle. Ainsi, même si elles sont moins

exploitées que les filles noires, et donc moins dominées en terme de « race », nous soulignons

qu’elles sont contrôlées en terme de sexe.

6.3 Être son sexe Si une majorité des filles est contente d’avoir un compliment ou de savoir qu’elle est « sexy »,

cela dépend de qui vient le commentaire. Samira raconte que cela vient d’une copine elle le

prend plutôt comme un compliment mais si ça vient d’un garçon qu’elle ne connait pas elle se

sent mal à l’aise.

85

Samira : « Quand je suis partie dans une fête j’étais bien habillée, et il y a

une personne qui m’a dit « t’es sexy », j’ai dis merci mais voilà il y a une

autre manière de le dire, sexy ça fait trop »

Anna : « D’accord, tu t’es pas sentie bien? »

Samira : « J’ai été mal à l’aise »

Anna : « Et c’est par le fait qu’il t’a dit sexy ou c’est la manière dont il l’a

dit ? »

Samira : « Il a dit « t’es sexy toi » mais moi j’aime pas comment les garçons

parlent, ils [ne] respectent pas, tu peux dire « « tu es bien habillée ça fait

très jolie » mais sexy ça fait.. « t’es sexy » non »

Zarin me donne une expérience similaire en disant qu’elle a le sentiment d’être en

permanence un objet sous les regards des hommes :

« Je me dis tous les hommes pensent la même chose, ils regardent

directement le physique /.../ En général les hommes ils regardent plus les

formes et tout /.../ j’aime pas ça, ils [ne] regardent pas mon talent, ils

regardent que le physique »

On peut penser que Samira s’est sentie entièrement réduite à n’être qu’un corps en recevant ce

« compliment » et Zarin le dit clairement : les hommes regardent que le physique. On voit ici

comment « l’appropriation des femmes » dont parle C. Guillaumin (1992) se traduit chez un

sentiment de mal à l’aise chez les deux filles. Apparemment, il est fréquent pour les jeunes

filles de se sentir confrontées à la parole des hommes :

« Ils [les hommes] ont pris l’habitude. Depuis qu’ils voient des filles

habillées bizarrement, sexy, vulgaire, depuis ils ont pris l’habitude de dire,

« t’es sexy », « tu es vulgaire », « comment tu es habillée » /.../ il y a des

hommes qui ne font pas mais la plupart ! »

Samira

En effet, exercer un contrôle par la parole est un « droit » réservé aux hommes selon

Bentadia :

86

« Parce qu’une femme elle va dire ça à un homme, je vois pas une femme

dire ça à un homme, ça fait rien »

Ce qui dit Bentadia confirme ici que les femmes n’ont pas cette « autorité » sur les hommes.

Les mots d’une femme n’ont moins, voire pas d’influence dans le comportement ou les

sentiments d’un homme.

6.4 Se montrer indépendante Farah est même discréditée lorsqu’elle donne son avis. Elle essaie de prendre la parole mais

elle n’est pas prise au sérieux parce que d’habitude elle plaisante beaucoup:

« Moi les gens me prennent pas au sérieux, je rigole beaucoup /.../ et je me

sens frustrée quand je parle avec un garçon, quand je suis sérieuse

j’aimerais que lui aussi me prenne au sérieux /.../ mais ils sont méchants et

vulgaires. »

Avoir trop d’humour est dévalorisant pour une fille et rappelons nous ce qui avait dit Farah

dans le premier chapitre : la femme est réduite à sa place. Quand elle sort de sa place les

garçons sont méchants et vulgaires. En conséquence, les filles doivent rester discrètes afin

d’apparaître comme belles, car la beauté repose aussi sur la féminité. Cela signifie par

exemple de ne pas faire trop de bruit autour d’elles ou se montrer trop indépendantes. Gail

Pheterson (2001) insiste sur le fait que la simplicité chez les filles est vitale. Ainsi, Farah

prend trop de place et ne reste pas « belle dans son coin » et son comportement dépasse ici le

« cadre féminin ». De la même façon, Camille explique que la liberté d’une fille est plus

restreinte que celle d’un garçon :

« Dans ma vie, dans une famille déjà, quand on est une fille et quand on a un

grand frère ou même quand on vit avec son père, c’est pas tous les jours

facile parce qu’ils veulent pas que j’ai un copain, ils veulent pas qu’on sorte

parce que /.../ une fille peut être enceinte /.../ tandis qu’un garçon, on lui dit

bravo quand il a plusieurs copines et voilà et nous on a pas le droit parce

qu’on est des filles... »

87

De la même manière, lorsqu’une fille s’oppose à l’homme ou le néglige, elle subit encore une

fois le « stigmate de putain ». Assia me raconte un épisode lorsque quelqu’un dans la rue lui

avait demandé si elle n’avait pas un « 06 » (numéro de portable) :

« C’est le truc ils aiment bien dire, ils interpellent, ils demandent le numéro

et on répond pas et on se fait insulter ! /.../ « t’as pas un 06 » ils crient

comme ça, je donnerai pas ! /.../ et après il fait « salope ».

Elle se montre « trop » indépendante par rapport à l’homme en refusant de donner son numéro

et signale par ce refus qu’elle n’a pas besoin de lui. Ce que dit Bentadia joint l’histoire

d’Assia :

« Si un garçon veut sortir avec une fille et elle va dire non, il va la traiter, il

va avoir la rage, il va l’insulter »

Selon G. Pheterson (2001:126), les femmes faisant preuve d’autonomie, sont exposées à une

stigmatisation sexuelle : « la prostituée, la femme cadre ou de profession libérale et la

lesbienne représentent un modèle d’autonomie en ce qui concerne la sexualité, le travail et

l’identité » en montrant leur indépendance par rapport à l’homme pour ce qui concerne la

sexualité ou l’argent.

Dans cette deuxième et dernière partie nous avons essayé de montrer les rapports de

domination à partir de la beauté chez les jeunes filles. Premièrement nous avons vu qu’une

peau claire et une chevelure lisse semblent faire partie de la norme et sont perçues comme

plus belles qu’une peau foncée et des cheveux « non-traités ». En fait, la beauté semble

reposer dans la couleur de peau et souvent la peau blanche ou mate est considérée comme la

norme et la plus belle. Pour les jeunes filles il est essentiel de se mettre en valeur juste comme

il faut pour finalement ne pas être jugées par le regard féminin et le regard masculin. Il faut,

en effet, savoir se situer dans la norme afin de ne pas dépasser les critères de ce qui est estimé

comme beau. Ces critères qui sont, au final, guidés par les hommes. Nous arriverons

maintenant à la fin de notre lecture et dans la conclusion nous tenterons de répondre à notre

problématique et nos hypothèses pour finalement essayer développer quelques de pistes de

réflexion.

88

CCOONNCCLLUUSSIIOONN

89

Tout au long de cette recherche j’ai essayé de connaître les normes de beauté chez les jeunes

filles. Dans le champ de recherche des migrations et relations interethniques les rapports de

domination forment un élément central. C’est pourquoi le fil de conducteur de ma recherche a

été de voir comment les rapports sociaux de sexe de classe et de « race » façonnent les normes

de beauté. A partir de mon travail de terrain dans un lycée situé en Seine-Saint-Denis et des

rencontres avec les adolescentes là-bas, en réalisant des entretiens avec quinze filles, j’ai

voulu connaître leur vision de la beauté afin de tenter de faire ressortir les rapports de

domination dans leur vie quotidienne. J’essaierai maintenant, enfin, de répondre à ma

problématique et discuter mes hypothèses qui ont servi de base à ma recherche.

En partant du constat qu’il existait peu de travaux portant sur la beauté situés dans une

perspective féministe, j’ai pu très tôt pu établir une problématique de recherche. Or cela m’a

parfois posé problème puisque je me sentais enfermée. Mon point de départ était que les

normes de beauté sont occidentalisées, l’analyse a finalement été développée au travers de ce

constat. En allant sur mon terrain, j’avais l’impression de rester bloquée dans ma

problématique au lieu d’essayer de nuancer ce que je voyais, je ne parvenais pas à faire sortir

quoi que ce soit de mes entretiens. Je ne voyais pas comment répondre à mes questions de

départ mais au fur et à mesure, j’ai pu développer mes hypothèses à partir de ce que les

entretiens m’ont fourni. J’ai rencontré de nombreuses difficultés en effectuant ce travail de

terrain, souvent liées à ma position vis-à-vis des jeunes filles, j’étais également incertaine de

la pertinence ce mon travail de recherche ainsi que des résultats que j’allais obtenir. Si ma

problématique et mes hypothèses m’ont guidé au long de la recherche, la difficulté a

principalement reposé sur la nécessité de savoir se libérer des prénotions et attentes que le

sociologue a, face à son terrain. En effet, prendre de la distance, transformer ses impressions

et ses sentiments en objets de recherche est un défi permanent pour les sociologues.

Etudier comment la beauté s’exprime chez les jeunes filles a été mon objectif dans l’intention

d’obtenir une image sincère de leur réalité et de comment celle-ci se situe dans les rapports de

domination de sexe, de classe et de « race ». L’aspect de classe, n’a finalement pas été abordé

explicitement au long du travail mais en revanche, les aspects de sexe et de « race » occupent

davantage de place. Comme nous l’avons vu, les normes de beauté constituent une pièce dans

le jeu des rapports sociaux de sexe et de « race ». En m’intégrant au lycée j’ai pu voir que les

jeunes filles sont exposées à un au sexisme et au racisme malgré cela elles tentent de trouver

une place à partir de leur apparence physique.

90

Tout d’abord, le fait d’être belle semble reposer sur le fait d’avoir l’apparence d’une fille (ou

d’une femme). La division élémentaire du système social, celle entre les sexes, fonde une

différence assez forte entre les filles et les garçons quant à l’apparence physique. De plus, le

fait d’être « fille » est en relation avec le fait d’être « garçon » mais nous nous sommes

cantonnées à étudier les jeunes filles et donc à distinguer les différences et les similitudes

entre elles. Parmi toutes les jeunes filles que j’ai rencontré, la beauté a été perçue

différemment et nous avons essayé d’expliquer la beauté comme un système de normes. Ces

normes sont en particulier explicitées par les cheveux et le maquillage et, dans une moindre

mesure, les vêtements. Il s’agit aussi pour les jeunes filles de considérer leur comportement.

J’oserais dire que toutes les jeunes filles avec qui j’ai réalisé des entretiens se sentent

concernées par leur l’apparence physique et s’occupent de leurs cheveux et leur maquillage.

En effet, être belle est synonyme de s’occuper de soi, de bien arranger son look et de travailler

son apparence par le fait de se mettre en valeur avec des outils dits féminin. Il s’agit surtout

d’un maquillage pour se donner « bonne mine » et d’une coiffure qui faire ressortir un « look

féminin ». Le maquillage est un élément qui fait partie des habitudes chez les jeunes filles,

mais, qui a paradoxalement pour but d’avoir l’air « naturel ». Le maquillage fait partie de la

construction de l’apparence mais il est pourtant important de ne pas se trop maquiller car il ne

faut pas cacher sa personnalité. Le maquillage doit pour la plupart du temps être discret. Avec

des cheveux longs et plutôt lisses, on rentre dans la catégorie belle, faisant partie de la norme.

Quant aux vêtements il est important d’accorder les différentes tenues avec son maquillage et

parfois aussi avec des bijoux. Nous avons vu que les vêtements des filles sont plutôt des

habillements près du corps puisque les vêtements larges sont considérés comme non-féminins

En fait, les jeunes filles construisent leur corps et leur apparence physique afin de s’adapter

aux normes de beauté. Cette « construction » semble demander plus d’effort chez les filles

noires étant donné que leurs cheveux sont rarement lisses. La majorité des filles noires j’ai

rencontré défrisaient (ou tressaient) régulièrement leur cheveux parce que « c’est plus

pratique », mais aussi pour éviter d’être « différente » avec l’ambition de s’approcher de la

norme. Dans la plupart des entretiens, nous avons pu constater qu’un des critères de beauté est

la clarté de la peau.

Si toutes les filles doivent aspirer à être belles pour incarner le sexe féminin, nous avons vu

que pour les filles les plus dominées en termes de « race », leur apparence physique semble

davantage être liée à leur sexualité que pour les filles moins racisées. Cela se montre en

91

particulier à partir du regard et des commentaires venant des hommes que « subissent » les

jeunes filles au lycée comme dans la rue. Elles sont davantage exposées à la domination car

leur sexe ainsi que leur « race » constituent une minorité dans la société actuelle. On peut être

tenté de dire qu’il s’agit, de la part des hommes, d’assurer leur possession du corps féminin

afin de maintenir leur position dominante dans la société. J’avais aussi l’idée que les filles les

plus racisées étaient invitées à faire jouer leur « exotisme » dans les normes de beauté, mais

cela a, finalement, été moins évident. Afin de faire une analyse approfondie là-dessus il serait

peut-être utile d’étudier la vision de beauté à partir des filles plus âgées qui se trouvent dans

un milieu plus enclin aux mécanismes de domination, comme dans le monde du travail par

exemple. Car, au final, je fais l’hypothèse que la plupart des jeunes filles j’ai rencontré, se

place toujours à l’intérieur de leur cadre de référence.

Le regard appartient aux hommes et aux femmes (ou aux garçons et aux filles), et une

importance est accordée à l’apparence, il est essentiel d’être vue pour exister. Les jeunes

filles s’invitent à regarder leurs ami-e-s et à leur tour, ne peuvent s’isoler du regard des autres.

Toutes les filles sont habituées de recevoir des commentaires quant à leur apparence et j’ai

souvent eu l’impression qu’elles se sentaient par là réconfortées. Leur place à l’école ou

« dans la rue » apparait souvent avec leur capacité de plaire aux autres, garçons comme filles,

hommes comme femmes. Les jeunes filles sont souvent réduites à être de leur sexe. Le

paradoxe se trouve dans l’équilibre entre un commentaire « gentil » comme « vous êtes

charmante » ou « vous êtes jolie » avec un regard « normal », et un commentaire désagréable

comme « c’est combien ? » ou « j’aimerais faire ça » avec un « regard qui dévore ». Pour les

jeunes filles il y a une différence entre ces deux approches. La première est perçue comme un

compliment et fait plaisir tandis que la deuxième est vécue comme une insulte et peut blesser.

Comment devons nous procéder alors afin de rompre avec ce climat sexiste ?

Comme nous l’avons vue, il ne faut pas passer au-delà des limites de ce qui est accepté chez

une fille si on ne veut pas risquer de s’éloigner de la norme. Toutes les filles sont conscientes

du stigmate de « putain » même si les filles les plus racisées semblent y être davantage

confrontées. Si la chevelure et la couleur de peau semblent être un critère dans les normes de

beauté chez les jeunes filles, le maquillage ne semble pas produire de séparation entre les

filles en termes de « race ».

92

Il s’agit pour les jeunes filles de se positionner entre deux conditions pour être belle : de se

mettre en valeur juste comme il faut, et en même temps de ne pas en faire « trop ». Cette

dernière condition implique aussi de ne pas se trouver belle. Dans la catégorie « fille » il est

important de correspondre aux normes « féminines » afin de s’inscrire dans ce classement. En

effet, les jeunes filles semblent souvent s’appuyer sur des critères précis pour se construire les

qualités dites féminines comme la discrétion par exemple sont importantes. Il s’agit en

permanence pour les jeunes filles de se montrer tel que l’on est, sans artifice et sans effort de

présentation particulier. Il faut avoir « son propre style » et ne pas « copier les autres ».

La société dans laquelle les jeunes filles vivent repose sur des mécanismes sexistes et racistes

qui contribuent à dicter les normes de beauté. Les normes de beauté n’échappent pas à la

hiérarchisation et à la ségrégation en place dans la société occidentale. Nous pouvons nous

demander s’il un moyen de ne pas se confronter aux normes ? Ce travail ne m’a pas permis

développer ces questions. L’aspect de classe mériterait également d’être approfondi.

Tout au long de ce travail de recherche, j’ai proposé des interprétations à partir de mes

entretiens mais nous soulignerons que ma position en tant que femme blanche a pu influencer

mon point de vue. Comment puis-je interpréter la vision de beauté en m’appuyant sur les

normes exprimées par les jeunes filles racisées ? Lorsqu’il s’agit de beauté je me sens

concernée étant donné que je suis une femme. Je ne pense pas il aurait été possible pour moi

d’effectuer cette étude étant un homme, du moins mon point aurait été encore différent. Or,

cette recherche reste à poursuivre et pourrait ainsi être menée chez les garçons. Elle pourrait

également faire l’objet d’une perspective de recherche comparative avec une autre population

de jeunes filles afin d’élargir la vision de beauté dans le but d’accroître son intérêt

scientifique. Rappelons ce que disait Audre Lorde, ce ne pas nos différences qui nous

séparent, mais notre incapacité à nous reconnaitre, à accepter et célébrer ces différences.

93

AANNNNEEXXEESS

94

ANNEXE 1

BAMBI, ELLE EST NOIRE MAIS ELLE EST BELLE

Photo prise par Pascal Colrat39

La pièce de théâtre s’est jouée au Tarmac de la Villette entre le 21 mars et le 22 avril 2006

39 http://www.letarmac.fr/core.php?rub=spectacles&page=saison&season=2&cid=ASHOW43e744db0f46d

95

ANNEXE 2

L'agence Élite recrute des top models dans les banlieues Le Figaro le 24 mai 2007 de Jean-Marc PHILIBERT

Consulté le 25 mai 2007

http://www.lefigaro.fr/france/20070524.FIG000000013_l_agence_elite_recrute_des_top_models_dans_les_banlieues.html

L'agence en quête de jeunes filles « typées et métissées », est allée faire un casting à Thiais, près de Paris. Une première. C'est la France des quartiers qui était convoquée, hier, aux Galeries Lafayette du centre commercial Belle-Epine de Thiais (Val-de-Marne). Peaux mates ou noires, cheveux frisés ou ondulés constellés de mèches, pantalons taille basse et T-shirts moulants... De jolies filles ont répondu nombreuses à l'appel de l'agence internationale de mannequins Élite. Pour la première fois, la prestigieuse enseigne avait fait le déplacement en banlieue, à la recherche de « filles typées et métissées ». Plus de 150 jeunes filles de 14 à 20 ans se sont ainsi pressées sur la Plaza, entre les rayons cosmétiques et maillots de bain du grand magasin. Des filles issues de l'immigration africaine, antillaise et maghrébine bien sûr, mais aussi des blondes, des brunes et des rousses, toutes mues par le même espoir. Dans les quartiers, si tous les garçons veulent être Zidane, les filles, elles, rêvent d'être la prochaine Naomi Campbell. Léa, une ravissante métisse d'1,70 mètre, a ainsi fait le déplacement depuis la vallée de Chevreuse, avec sa maman Régine. Le casting, elle en a attendu parler le matin même à la radio. « C'est très bien cette idée de rechercher des filles typées. Cela casse un peu le stéréotype de la grande blonde que l'on voit dans tous les magazines », explique la jeune fille de 17 ans, moitié allemande-moitié martiniquaise. Au rez-de-chaussée du grand magasin transformé en scène, les jeunes filles sont appelées par groupe de 10. Un numéro collé sur la poitrine, elles s'approchent du jury composé de membres de l'agence et défilent, chacune à leur tour, sur le tapis noir censé figurer un podium. Certaines, main sur la hanche, semblent avoir répété leur passage tandis que la grande majorité s'avance gauchement, impressionnée par l'enjeu. Dans les rayons des Galeries, une joyeuse cohue s'est constituée au fur et à mesure des arrivées. Les garçons des quartiers, venus en nombre également, sont ravis de ce nouvel espace de drague à proximité de chez eux. Premières déceptions Le coup est en tout cas réussi pour Élite. « C'est notre métier d'offrir à nos clients la plus large palette potentielle de jeunes filles, explique Alain Attia, le président du concours Élite Model Look qui organise le casting. Jusqu'à présent, notre organisation ne nous permettait pas d'aller partout, mais c'est désormais possible grâce à notre partenaire. Il y a des jolies filles partout et nous ne voulions nous priver d'aucune chance de les trouver », explique le quadra tiré à quatre épingles. Surtout, l'agence entend répondre à une demande croissante de beautés métissées de la part de ses clients. Couturiers, designers ou magazines de mode sont de plus en plus friands de belles plantes typées, à mille lieues des filles diaphanes au look nordique qui, jusque-là, constituaient l'essentiel des couvertures de mode. D'où l'idée de ce

96

casting qui sera suivi, jusqu'en juillet, de plus d'une trentaine de dates en province, la plupart... en centre-ville. Pourtant, tandis que les premières candidates s'avancent vers le jury, les premières déceptions commencent à poindre. Sur les dix filles sagement alignées, les deux jeunes retenues sont... blondes. « J'en étais sûre, tranche Kelly, une superbe noire de 1,80 mètre qui attend son tour. Pourtant, quand j'ai entendu parler de ce casting à la radio, j'étais motivée et je me suis dit que, pour une fois, on allait donner sa chance à la banlieue et à la diversité. Mais là, j ai l impression que, finalement, les critères de sélection n ont pas changé. Il n'y a toujours qu'une seule Naomie Campbell dans le monde du mannequinat. » Le résultat des sélections en fin d'après-midi dément pourtant quelque peu la jeune étudiante en médecine de 20 ans. Sur les 17 filles présélectionnées, la moitié est d'origine africaine ou maghrébine. Mais, au final, seules cinq d'entre elles participeront à la finale du concours Élite en septembre prochain : une métisse, une jolie brune à la peau mate et trois blondes. Pas de doute, la diversité a encore un long chemin à parcourir. En banlieue. Comme ailleurs.

97

ANNEXE 3

Photo prise par Jean-Paul Goude40 40 http://www.cinemagebooks.com/shop_image/product/008221.jpg (consulté le 6 juin 2007)

98

ANNEXE 4 Guide d’entretien 1. Comment tu t’appelles ? 2. Quelle âge as-tu ? La beauté : 3. Est-ce qu’il y a une femme idéale selon toi ? C’est qui ? Pourquoi ? 4. Qui est la plus belle femme selon toi ? Pourquoi ? 5. Est-ce que tu as des idoles ? C’est qui ? Pourquoi ? 6. Peut tout le monde être belle ? 7. Qui n’est pas belle ? 8. Sur quoi repose la beauté selon toi ? 9. Qu’est-ce que ça veut dire « sexy » ? C’est négatif ou positif ? 10. Qu’est-ce que ça veut dire « exotique » ? C’est négatif ou positif ? 11. Est-ce que tu te trouves belle ? 12. Est-ce que tu trouves ta mère belle ? Pourquoi (pas) ? 13. Il y a t-il des belles femmes dans ta famille ? 14. Il y a t-il des endroits où tu te sens plus ou moins belle ? 15. Il y a t-il des endroits où tu te sens plus ou moins observée ? L’apparence personnelle : 16. Est-ce que les vêtements sont importants pour être belle ? Pourquoi ? Pourquoi pas ? 17. Est-ce que tu as un style particulier ? 18. Est-ce que tu portes des bijoux ? Quel type ? 19. Est-ce que tu te maquilles ? Pourquoi ? Pourqoui pas ? Quand ? Pour qui ? Combien de 20. l’argent mets-tu sur des produits cosmétiques ? 21. Qu’est-ce que tu utilises comme « produits de beauté » ? 22. Est-ce que tu veux changer quelque chose chez toi ? Si oui, quoi ? Tu feras quoi ? 23. Est-ce que tu as fait des regimes ? (Quand ? Pourquoi ? Resultat ?) 24. Est-ce que tu as déjà changé la nature de tes cheveux ? (couleur, permanente, défrisage) Est-ce que tu connais quelqu’un qui l’a fait ? (Quand ? Pourquoi ? Resultat ? Tu préfères comment ?) 25. Est-ce que tu as déjà changé la nature de ta peau ? Est-ce que tu connais quelqu’un qui l’a fait ? (Quand ? Pourquoi ? Resultat ? Tu préfères comment ?) L’identité : 26. Quelle formation suis-tu au lycée ? 27. Est-ce que tu as des projets pour le futur ? Si mariage : Est-ce qu’elles s’imaginent avec quelqun-e qui n’a pas la même « race », la même ethnicité ou la même classe ? 28. Est-ce que tu es née en France ? Si non, tu es arrivée quand ?

Quelles sont tes origines ?

99

29. Est-ce que tu as des ami-e-s d’une autre nationalité ? 30. Est-ce que tu as des ami-e-s qui sont dans un autre lycée ? 31. Est-ce que tu as des soeurs et/ou des frères ? 32. Que font tes parents ? 33. Avec qui tu t’identifies ? 34. Comment tu te décris ? 35. Quels magazines lis-tu ? Pourquoi ? Tu te sens représentée dedans ? 36. Que regardes-tu à la télé ? Pourquoi ? Tu te sens représentée dedans ? 37. Est-ce qu’il y a des aspects négatifs à être fille/femme ? 38. Est-ce qui’il y a des aspect positifs à être fille/femme ? 39. Quelle femme voudras- tu devenir ? 40. Comment tu définis « sexisme » ? Tu l’as déjà rencontré ? 41. Comment tu définis « racisme » ? Tu l’as déjà rencontré ? 42. Est-ce que tu as des expériences personnelles du sexisme et/ou du racisme ? 43. Qu’est-ce que tu penses que la beauté a à voir avec le sexisme et le racisme ?

100

ANNEXE 5

PHOTO NUMÉRO 1

101

PHOTO NUMÉRO 2

102

PHOTO NUMÉRO 3

103

PHOTO NUMÉRO 4

104

PHOTO NUMÉRO 5

105

PHOTO NUMÉRO 6

106

PHOTO NUMÉRO 7

107

PHOTO NUMÉRO 8

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PHOTO NUMÉRO 9

109

PHOTO NUMÉRO 10

110

PHOTO NUMÉRO 11

111

PHOTO NUMÉRO 12

112

PHOTO NUMÉRO 13

113

PHOTO NUMÉRO 14

114

ANNEXE 6

Les plus et les moins belles femmes

0123456789

1 3 5 7 9 11 13

Les photos des femmes

Le n

ombr

e de

s fil

les

Les plus belles femmes

Les moins bellesfemmes

115

BBIIBBLLIIOOGGRRAAPPHHIIEE

116

Amadieu J F. 2002. Le poids des apparences : amour, gloire et beauté Paris: Odile Jacob. 215

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