Note pacte de responsabilité, un pacte irresponsable

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    Introduction

    En France, o les cotisations sociales sont la source du financement de laprotection sociale, le dbat sur la lourdeur de s charges sociales pesant sur

    les entreprises est rcurrent. Les arguments les plus frquemment avancssont d'une part que le cot du travail trop lev, notamment au voisinage duSmic, dissuaderait les employeurs d'embaucher une main- d'uvre nonqualifie devenue trop chre, et d'autre part que ce cot du travailconstituerait un dsavantage comptitif qui mettrait les entreprises franaisesen difficult dans la concurrence mondiale. Dans une situation o ladvaluation montaire est devenue impossible dans les pays de la zone euro,la baisse du cot du travail est ainsi envisage comme une modalit de

    dvaluation interne, mme de stimuler la comptitivit et l'emploi sans agirdirectement sur les salaires et mme selon certains sans nuire au pouvoirdachat des salaris.

    Sur le long terme, en France comme dans d'autres pays d'Europe, lesentreprises ont de fait obtenu dimportantes rductions des charges tantsociales (cotisations) que fiscales (impts sur les socits). La France mnedepuis plus de vingt ans des politiques de baisse des cotisations socialesemployeurs : leur poids dans la valeur ajoute des socits a baiss de 18,2%

    en 1992 16% en 2006, puis 16,7% en 2012. Aprs les 22 milliardsdexonrations de cotisations employeurs, les 6 milliards du Crdit impt-recherche, les 6 milliards de baisse de la taxe professionnelle, les entreprisesont obtenu, suite au rapport Gallois (2012), la mise en place du Crdit d'imptpour la comptitivit et l'emploi (CICE), qui devrait leur rapporter 20 milliardsd'euros par an, en anne pleine. Le Medef persiste rclamer une baisse de116 milliards de lensemble des impts que les entreprises supporteraient.

    Le Pacte de responsabilit annonc le 14 janvier 2014 par Franois Hollandese prsente comme le dernier avatar de ces politiques : il prvoit lasuppression totale et sans contrepartie prcise des cotisations familialesemployeurs (35 milliards d'euros). Le dispositif ayant vocation fusionneravec le CICE, le besoin de financement li au Pacte de responsabilit estgnralement estim environ 10 milliards d'euros. Cela ne suffit pas auMedef, qui, pour envisager la cration dun million demplois, rclame 50milliards supplmentaires, la remise en cause du droit du travail, une plus

    grande facilit pour licencier ou restructurer, la hausse des seuils imposantdes obligations de consultation du personnel, la suppression des normes et

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    rglementations des marchs, etc. voire mme une sorte de droit de vetosur les dcisions susceptibles de stresser les entrepreneurs .

    Ces exigences du Medef suivent une intense prparation du terrain parlartillerie lourde des idologues libraux. Seules les entreprises crent de larichesse et de lemploi, le secteur public vit aux dpens du secteur priv(comme si un pays pouvait fonctionner sans coles, hpitaux, routes et autrescrches), ltat ne doit pas se mler de production, il faut laisser libres leschefs dentreprises, (comme si la crise ntait pas cause par la libertexcessive laisse au secteur financier), il faut avant tout rduire les dpensespubliques pour permettre au secteur priv de se dvelopper (comme si lacrise ntait pas prolonge par le manque de consommation etdinvestissement induit par les exigences de rentabilit des capita listes). Le

    gouvernement a choisi de ne pas combattre cette offensive mais dy cder.Bien que les effets vertueux attendus de ces politiques de baisse des charges , tant en termes de cration d'emploi que de comptitivit,napparaissent gure, nombre d'conomistes libraux prconisent d'aller plusavant dans ces mesures. Celles-ci rconcilient d'ailleurs les politiques de(presque) tous bords avec les revendications du Medef. Comment cela a-t-ilt possible ? Trois ides reues nous paraissent centrales dans cetteconvergence de vues : (1) Les prestations familiales tant universelles, elles

    n'ont pas tre finances par la cotisation sociale (qui finance les droitssociaux des travailleurs et de leur famille) mais par l'impt. Cette charge n'a pas peser sur les entreprises. (2) Le cot du travail est trop lev, ce quilimite la comptitivit et/ou les capacits d'embauche des entreprises. Labaisse du cot du travail est donc un instrument pertinent de crationd'emplois. (3) Ce nest que par la baisse des dpenses publiques et larecherche de comptitivit que lEurope peut sortir de la crise. Cette notes'emploie les dmonter.

    1. Les employeurs contribuent-ils trop au financement dela politique familiale ?

    La suppression des cotisations sociales de la branche famille soulve uncertain nombre de questions du point de vue de la politique familiale elle-mme. Avec 35 milliards d, les cotisations reprsentent en effet 66% desrecettes de la branche famille, la contribution sociale gnralise (CSG, quisest partiellement substitue des cotisations en 1991) en reprsente 18% et

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    les autres impts et taxes affects (ITAF), destins surtout compenser lesexonrations gnrales de cotisations sur les bas salaires, 16 %.

    1.1. La mise en cohrence du financement de la branche

    famille : un prtexte opportunLa suppression des cotisations est souvent prsente comme dcoulant de lancessaire mise en cohrence du financement de prestations universelles,dont lligibilit nest pas lie au statut demploi et dont le montant nest pas liaux cotisations verses. Les prestations familiales devraient tre financespar des recettes fiscales et non par des cotisations. Michel Sapin, lactuelministre du travail, le rsume ainsi : le fait que vous ayez des enfants nestpas en lien avec votre travail, donc il ny a pas de raison que ce soit financ

    par les entreprises. Tout le monde bnficie de la politique familiale () leseul critre est davoir des enfants. Il ny a pas de raison quelle soit financeprincipalement par le travail (27 aot 2013). Largument, dont la logique et lepoids sont certains, relve cependant aujourdhui du prtexte. La branchefamille a toujours t finance majoritairement par des cotisations socialesemployeurs (la quasi-totalit des recettes jusquau dbut des annes 1970)sans que ce soit peru comme une calamit pour la politique familiale, bien aucontraire.

    Un premier argument consiste voquer une anomalie hrite de lhistoire,qui naurait plus lieu dtre depuis la suppression en 1978 de toute rfrence lactivit professionnelle dans le titre Famille du code de la Scurit sociale.Sauf quil sagissait dentriner un tat de fait depuis 1945 : la rforme de1978 na dailleurs pas t suivie dune hausse quelconque du nombre debnficiaires. Certes, la loi du 11 mars 1932 crant les sursalaires familiauxprvoyait des prestations dont lattribution et le montant dpendaient descotisations du travailleur. Une journe d'absence valait une journed'allocations en moins. La cotisation sociale du salari revtait donc uncaractre personnel directement articul avec la prestation, mme si la loi de1932 attnuait dj ce caractre contributif en tendant les prestations auxpersonnes en incapacit temporaire ou permanente totale. Mais, ds 1938,les prestations, tendues aux indpendants agricoles, perdent leur caractrede sursalaire, leur montant tant dissoci du niveau des cotisations ou dusalaire du travailleur, pour ne dpendre que du nombre denfant s charge.Entre 1939 et 1942, les allocations sont en outre tendues progressivementaux personnes en incapacit pour accident du travail, aux chmeurs, toutesles familles rurales franaises, tous les travailleurs indpendants, aux

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    pensionns, en cas de maladie ou de maternit, aux invalides et aux veuves,puis, en 1946, ceux qui sont dans l'incapacit d'exercer un travail. Sil devaity avoir incohrence, elle existerait depuis la cration de la Scurit sociale.

    Largument peine encore plus convaincre lorsquon examine les recettescompensant les allgements de cotisations, la baisse de la CSG affecte labranche famille depuis 2011 et la baisse du taux de cotisations partir de2014. Parmi les divers ITAF utiliss pour financer la branche famille depuis2006, on trouve la TVA collecte auprs des commerants de gros enproduction pharmaceutique, la taxe spciale sur les contrats de sant, diversdroits sur les tabacs et sur les alcools, la taxe sur le financement de laprvoyance, la taxe exceptionnelle sur la rserve de capitalisation (dite exittax ), la taxe sur les vhicules terrestres moteur. On y trouve surtout la taxe

    sur les salaires (un tiers du total en 2010), une taxe qui porte sur le travail, sesubstituant donc des cotisations sociales employeurs au motif affich queles prestations familiales ne devraient pas tre finances par desprlvements portant sur le travail Avec la loi de financement de la scuritsociale (LFSS) pour 2014, un jeu complexe de raffectation dITAF, derecettes de CSG et de part de TVA attribue la Scurit sociale devraitaboutir un bouleversement des ITAF affects la branche famille, quipercevrait des recettes supplmentaires venant des taxes sur les salaires, sur

    les vhicules des socits, sur les jeux et paris, sur les stock options, sur lescarried interests, sur les appels surtaxs...

    La question du mode de financement le plus adquat pour la politiquefamiliale reste pose. Mais, dans le contexte actuel, les arguments relatifs la cohrence , la logique et la ncessaire clarification entre recettes etprestations familiales relvent du prtexte pour justifier a posteriori uneorientation dcide pour dautres raisons (voir 2 et 3).

    1.2. La lgitimit dun financement sur l es revenus dutravail et dun financement par les entreprises Avec les cotisations sociales verses la branche famille, les employeurscontribuent-ils de faon excessive la politique familiale ?Pour rpondre cette question, nous ferons lhypothse ardue que cescotisations sociales sont effectivement payes par les entreprises, ce qui narien dvident. En effet, sagit-il de prlvements obligatoires sur lesentreprises, et pas plutt dune forme de salaire socialis financ par descontributions prleves sur les revenus du travail et payes par lestravailleurs? Rappelons que, du point de vue de lanalyse conomique, toutes

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    les cotisations sociales sont prleves sur les revenus du travail et ladistinction entre cotisations patronales et cotisations salariales na pas defondement conomique mme si elle revt un sens politique et a desimplications juridiques et conomiques pour les agents. Il a t montrmaintes fois quen comparaison internationale, il ny avait pas de lien entreniveau des cotisations sociales (ou niveau des seules cotisations socialesemployeurs) et cot du travail. Les pays ayant de fortes cotisations(employeurs) versent de plus faibles salaires nets de cotisations (etinversement) ; les salaris y touchent un salaire direct plus faible maisreoivent des prestations famille et chmage plus gnreuses ; ils nont cotiser ni pour leur retraite ni pour leur assurance maladie.

    La question de la lgitimit dun financement sur le travail et/ou par les

    entreprises renvoie la question qui doit payer pour la reproductionsociale 1, pour fabriquer et lever les enfants, une ncessit pour toutesocit. Le financement dune partie des cots imputables aux enfants pardes dpenses socialises se justifie par le caractre de bien public desenfants (Folbre, 1994), les bnfices conomiques et sociaux pour la socitou la dimension d investissement social des mesures en leur faveur 2. Maisun co-financement par les entreprises, soit directement, soit travers unemutualisation et des contributions collectives, peut aussi se justifier en raison

    des bnfices que ces dernires retirent de la production denfants : travers leurs travailleurs quil a bien fallu lever et former pendant unevingtaine dannes pour les prparer lusage quelles en font ; traversgalement les services (modes de garde, cole, etc .) qui permettent cestravailleurs dtre leur tour en mesure de produire et dlever des enfantstout en continuant tre disponibles pour travailler. Cette vidence de lareproduction sociale est oublie dans le dbat public, si ce nest parfois sur lemode minimaliste de la conciliation travail-famille qui permettrait de

    justifier une part rsiduelle de financement par des cotisations.Les dpenses montaires totales consacres aux enfants par les mnages etles pouvoirs publics (accueil, ducation, sant, autres dpenses sociales)slvent environ 280 milliards deuros. Si lon y ajoute une valorisation dessoins et tches domestiques dont bnficient les enfants, cest --dire le temps

    1 Le terme est entendu ici au sens anglo-saxon de reproduction de la force de travail, pourdsigner le renouvellement quotidien et intergnrationnel de la ressource humaine capable

    physiquement et mentalement de participer la production (Humphries, Rubery 1984).2 Ce financement par la collectivit sest justifi, dun point de vue historique, par le fait quelEtat moderne a impos aux parents lobligation alimentaire (code civil), linterdiction de fairetravailler les enfants, puis la scolarit obligatoire jusqu un ge de plus en plus lev, privantpar l mme les familles de revenus et augmentant le cot des enfants pour les parents.

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    ncessaire consacr par les parents, le cot total peut tre estim 470milliards deuros (estimations propres). La contribution de 35 Md decotisations sociales famille ne reprsente pas les deux tiers, mais 7 % du totaldes cots engendrs par les enfants (12 % sans valorisation du travailparental et domestique). Mme en y ajoutant d'autres contributions desemployeurs (la part des cotisations sociales patronales pour lassurancemaladie-maternit au prorata des dpenses pour les enfants dans le total desdpenses de soins, les dpenses dducation en particulier travers la taxedapprentissage, des prestations et servi ces fournis directement aux familles),la contribution totale des entreprises ne dpasse pas 55 Md, soit une faiblepart du cot des enfants (12%).

    travers les cotisations sociales famille et autres contributions, les

    entreprises ne participent que faiblement aux dpenses ncessaires pourproduire, duquer et former leurs futurs salaris, et pour permettre leurssalaris d'tre disponibles malgr leurs obligations parentales. Il est doncabusif de conclure une contribution excessive des entreprises. Lemouvement gnral de baisse des cotisations patronales entam depuis unetrentaine dannes traduit le choix politique de rduire le champ de laresponsabilit des entreprises, de la limiter au seul salaire net lexclusion dela couverture sociale, en particulier la maladie et la famille, ce qui, de fait, tend

    dresponsabiliser les entreprises au regard de ces questions centrales pourla socit.

    1.3. Limportance de ressources prennes, dynamiques

    et affectes un budget autonome

    Le remplacement des cotisations sociales employeurs par des prlvementssur les mnages (CSG, TVA, ITAF, impt sur le revenu) aurait des effets anti-

    redistributifs. Mme si les cotisations employeurs sont en dfinitive toujourspayes par les salaris, la mesure se traduirait concrtement par un transfertde charges immdiat des entreprises vers les mnages, a fortiori dans lasituation actuelle trs dfavorable du march du travail, et par une baisse depouvoir dachat pour ces derniers. Leffet sera particulirement ngatif sur lesingalits si la baisse des cotisations est finance, mme partiellement, parune baisse des dpenses de prestations familiales, dont leffet redistributif, ycompris pour celles verses sans condition de ressources, est trs prononc

    (Cazeneuve et al. 2013)

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    Au-del des dbats su r les consquences redistributives dun tel changement,se pose la question des consquences terme pour la politique familiale, unaspect rarement soulev dans le dbat public. Sont en effet plutt privilgiesdes prsentations statiques et technocratiq ues tendant montrer que leffetest neutre tant que, ds la premire anne, la baisse des cotisations estcompense par une hausse plus ou moins quivalente de taxes affectes.Lhypothse est que lopration est forcment sans incidence pour la branchefamille ds lors quest prvue une autre recette en compensation, que lesdpenses vont voluer, ou quon va les faire voluer, indpendamment delvolution des ressources affectes, sans que le dynamisme propre de cesressources, leur lgitimit ou acceptabilit sociale ou encore leur autonomierelative ne puissent jouer un quelconque rle.

    une telle vision statique peut tre oppose une approche socio-politiquedonnant un rle majeur au mode de financement sur la faon dont lessystmes de prestations voluent. cet gard, lhistoire de la branche familledepuis les annes 1950 est riche denseignements. Elle permet de montrercombien le financement par des ressources affectes la branche, assisesintgralement (cotisations sociales) ou presque (CSG) sur les salaires etvoluant de manire dynamique, a pu dgager des excdents (structurelsdans un contexte o les prestations voluaient avec les prix) et donner des

    marges de manuvre, y compris en priode de crise ou de forte concurrencedes besoins (v ieillesse, sant), cest --dire quand les prestations familialesauraient d tre la cible idale de coupes (Math, 2013). De nouvellesprestations ont ainsi pu tre cres pour rpondre de nouveaux besoins, parexemple dans les annes 1970 pour les parents isols ou pour les enfantshandicaps, et ensuite, partir des annes 1990 surtout pour favoriser laconciliation travail-famille et amliorer les modes de garde. En alimentant unbudget distinct de celui de ltat, les cotisations ont galement procur une

    autonomie, videmment relative, du systme, en rendant a priori plus difficilepour ltat lutilisation des excdents. Malgr cela, la branche famille a tvictime de dtournements contestables. Elle doit par exemple financermaintenant les cotisations retraite des parents au foyer (AVPF) et lessupplments familiaux verss aux retraits ayant lev trois enfants. Ainsi, en2013, ce sont 9,2 milliards qui sont passs de la famille la retraite. Si lapolitique familiale avait au contraire t finance par des recettes fiscales nonprennes, pouvant tre remises en cause chaque anne comme le seraientdes contributions budgtaires, la branche famille aurait connu une volutionbeaucoup plus dfavorable. Lexcdent dune anne aurait immdiatement t

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    orient vers dautres besoins. Lactuelle politique familiale, frquemmentclbre pour ses rsultats (fcondit, travail des femmes, etc .) aurait connudes dveloppements bien plus dfavorables si elle avait d tre finance pardes contributions publiques. Cest ce qui risque de se passer avec la baisseou suppression des cotisations sociales.

    petite chelle, cest dj ce qui se passe depuis que la part de la CSGaffecte la branche a t diminue en 2011 (de 1.1 0.8 % sur les revenusdu travail) et remplace par des ITAF. Ces prlvements peu dynamiquesconnaissent une rosion de leur assiette, voire ont une disparitionprogramme, et surtout sont modifis dune anne sur lautre. La Cour descomptes en conclut que, contrairement aux autres branches du rgimegnral, une part substantielle des ressources de la branche famille nont pas

    un caractre prenne (septembre 2013). La baisse de la CSG affecte labranche depuis 2011 et la baisse des cotisations sociales partir de 2014saccompagnent en consquence dune fragilisation des ressources de labranche famille. Bnficiant de moins dexcdents structurels, devant de plusen plus faire appel des taxes peu dynamiques accordes par ltat etperdant par l mme lautonomie relative dont bnficiait son budget, cettebranche est la cible toute trouve pour de futures mesures dconomies.

    Comme les prestations familiales sont au mieux indexes sur les prix et non

    sur les revenus ou les salaires, elles ont perdu prs de 7 points de pouvoirdachat depuis 1983 et ont fortement dcroch en proportion des revenus,conduisant une pauprisation relative des familles. Ainsi, en 2011, dernireanne connue, le taux de pauvret des moins de 18 ans tait de 19,5% contre14,3% pour lensemble de la population ; le niveau de vie des moins de 20ans tait infrieur de 9% celui de lensemble de la population. Il faut doncfaire plus defforts pour les enfants, en particulier pour ceux des famillespauvres. Ceci suppose de restituer aux familles, tant par le dveloppementdes services collectifs (crches, activits parascolaires) que par uneindexation satisfaisante des prestations et par un rattrapage significatif, lesexcdents structurels de la branche famille.

    2. La baisse des cotisations sociales est-elle un bon

    instrument de cration d'emplois ?

    Les arguments en faveur de la baisse des cotisations sociales comme moyende lever les freins l'embauche, de crer ou sauvegarder des emplois sont

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    essentiellement thoriques. Ce sont plus prcisment ceux de la thorieconomique noclassique dominante, qui reposent sur un syllogismetrompeur. D'autres thories, notamment keynsienne ou institutionnaliste,dveloppent un raisonnement diffrent. De fait, il n'y a gure d'argumentsempiriques pour considrer la baisse du cot du travail comme un instrumentpertinent de politique de l'emploi. Les valuations de vingt ans d'exonrationsde cotisations sociales employeurs sur les bas et moyens salaires tendent dmontrer que leurs effets sur l'emploi sont de porte limite au regard del'ampleur des montants engags.

    2.1. Cot du travail, emploi et comptitivit, un

    syllogisme trompeur

    Les arguments de l'conomie dominante en faveur de la baisse du cot dutravail (et des cotisations sociales employeurs) se prsentent comme unsyllogisme. Les cotisations sociales employeurs augmentent le cot du travail/ Le cot du travail nuit la comptitivit-cot des entreprises et l'emploi / Ilfaut baisser les cotisations sociales employeurs pour amliorer la comptitivitet crer des emplois. Mais ce raisonnement, qui obit bien aux canons del'conomie dominante, ne rsiste gure l'examen. Le syllogisme esttrompeur car ses prmisses sont fausses.

    Tout d'abord, le lien entre cot du travail et taux de cotisations socialesemployeurs est lche : ce dernier n'est pas un dterminant significatif ducot horaire du travail, ni en Europe (HCFPS, 2013), ni dans les 30 pays del'OCDE, sauf peut-tre pour les bas salaires, et dans des proportionslimites (Chassard, Dayan 2008). Par ailleurs, le lien entre cot du travail etcomptitivit apparat tnu (Sauviat, Serfati 2013) et les performancescommerciales en Europe ne dpendent pas des cots unitaires du travail dans

    l'industrie. D'une part, la comptitivit-cotnest pas dtermine par le seulcot du travail, le cot du capital pesant de plus en plus lourd, en particulierson surcot dcoulant de la drive des normes de rendement financierimposes aux entreprises (Cordonnier et al. 2013). D'autre part, lacomptitivit dpend d'autres facteurs, dits hors cot. Le rebond desexportations allemandes aprs la crise est d'ailleurs essentiellement li cesfacteurs hors cot (voir infra) et doit peu aux rformes structurelles dumarch du travail qui ont dvelopp des emplois bas salaires dans les

    services plutt que dans les industries exportatrices (Duval 2013). Enfin, lesliens entre cot du travail et emploi sont complexes. Pour reprendre l'exemple

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    allemand, c'est l'ampleur du chmage lors de la rcession de 2001 qui adonn du crdit l'affirmation selon laquelle l'Allemagne serait l'hommemalade de l'Europe et a fait passer la pilule amre des rformesstructurelles (lois Hartz) drgulant le march du travail, flexibilisant l'emploiet dgradant la protection sociale des travailleurs. l'inverse, la bonne tenuede l'emploi allemand pendant la rcession de 2009 ne s'explique pas par leseffets de ces rformes ou de la modration salariale, mais doit bien davantage la flexibilit interne : l'usage massif du chmage partiel et la baisse ngociedu temps de travail dans les entreprises, qui ont vit bon nombre delicenciements (Lehndorff 2012).

    Les thories conomiques, pour peu qu'on prenne en compte leur diversit,donnent d'ailleurs une image plus nuance que le syllogisme habituellement

    mobilis par les tenants de la thorie conomique dominante. Dans laperspective noclassique librale, les salaires et le cot du travail sontprsents comme les meilleures (voire les seules) variables d'ajustement surle march du travail. La baisse des salaires (la modration salariale ) oucelle du cot du travail apparaissent alors comme les meilleurs instruments delutte contre le chmage, lgitimant une politique dite de l'offre. Dans uneperspective keynsienne au contraire, la hausse des salaires est mme destimuler la consommation des mnages, donc la demande adresse aux

    entreprises, et d'avoir ainsi des effets positifs sur les niveaux de la productionet de l'emploi. Ce n'est pas tout. Pour la nouvelle conomie keynsienne ,la hausse des salaires est susceptible d'amliorer la productivit du travail enmotivant les salaris (thorie dite du salaire d'efficience ). Pour lesconomistes institutionnalistes, les employeurs peuvent trouver un intrt former et qualifier leurs salaris ainsi qu' leur permettre de faire carrire etd'obtenir des hausses de salaires (dans des marchs internes ou professionnels ), afin de conserver dans l'entreprise une main- duvre

    ayant une productivit leve.Ces diffrentes approches du rle des salaires et du cot du travail relativisentla porte d'une politique d'ajustement sur le march du travail misant sur laseule baisse de son cot. La baisse des cotisations sociales peut certesapparatre comme une politique de compromis, notamment entre libraux etkeynsiens, car elle diminue en principe le cot du travail (variabled'ajustement pour les libraux) sans toucher aux salaires nets (quisoutiennent la demande pour les keynsiens). Mais c'est condition de nepas considrer les cotisations sociales comme du salaire socialis (Friot2012), c'est--dire comme du salaire que ne peroivent pas directement les

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    salaris, mais dont ils bnficient par l'intermdiaire de leurs droits sociaux(allocations chmage, pensions de retraite, assurance maladie, allocationsfamiliales,etc .) financs par ces cotisations.

    En thorie, donc, il n'y a pas de raison de considrer que le lien entre baissedu cot du travail et emploi soit univoque, ou que la baisse du cot du travailsoit le meilleur instrument pour s'attaquer au chmage ou pour crer desemplois. Qu'en est-il dans les faits ?

    2.2. Vingt ans de baisse de cotisations sociales

    employeurs au crible des valuations

    On dispose d'une exprience d'un peu plus de vingt ans d'exonrations descotisations sociales employeurs sur les bas et moyens salaires et de toute unegamme d'valuations qui mettent en vidence les limites des politiques debaisse du cot du travail pour crer des emplois.

    Le premier dispositif d'exonration sur les bas salaires a t cr en juillet1993. Il prvoyait alors une exonration des cotisations familiales employeurs,totale pour les salaires allant jusqu' 1,1 Smic et de moiti entre 1,1 et 1,2Smic. Il a t peu peu largi vers des salaires de plus en plus levs avantd'tre remplac en 2003 par le dispositif dit d'allgements Fillon , qui a

    tendu les exonrations conditionnelles des lois Aubry toutes lesentreprises, qu'elles soient ou non passes 35 heures. Dans ce dernierdispositif, les salaires verss infrieurs 1,6 fois le Smic ouvrent droit desexonrations de cotisations employeurs famille, mais aussi maladie,maternit, invalidit, vieillesse et dcs. Les entreprises de plus de 20 salarisbnficient d'une exonration correspondant 26 % du salaire brut ; cecoefficient s'lve 28,1 % pour les entreprises de moins de 20 salaris.

    Que disent les valuations de ces dispositifs ? Tout d'abord, elles sont

    extrmement divergentes en fonction des mthodes et des hypothsesqu'elles retiennent. Elles ont donc donn lieu des rsultats sujets controverse s'agissant des emplois qui auraient t crs ou sauvegards. Ainsi, les valuations du dispositif de 1993 oscillent entre une estimationhaute de 460 000 emplois crs ou sauvegards en 5 ans, dont 220 000emplois peu qualifis et 240 000 emplois qualifis (Crpon et Desplatz 2001),et une estimation basse de 150 000 emplois crs ou sauvegards en faisantl'hypothse d'un effet de substitution plus important entre le travail qualifi etle travail non qualifi (Gafsi et al. 2004). Les valuations des effets du

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    dispositif Fillon de 2003 donnent des rsultats aussi contrasts 3. Alorsque les premires valuations estimaient le volume d'emplois crs ousauvegards en 5 ans compris entre 400 000 et 800 000, d'autres suggrentdes effets plus modestes si l'on tient compte des effets induits par ledispositif, notamment par le dispositif de financement des baisses de recettesde la protection sociale, ainsi que par les gains ventuels de comptitivit.Une valuation de l'OFCE (Heyer et Plane, 2012) estime ainsi environ500 000 le nombre des emplois crs ou sauvegards en 5 ans en l'absencede financement des baisses de recettes, mais seulement 253 000 327 000en tenant compte des effets de ce financement (diffrents selon le mode definancement). L'effet du dispositif sur l'emploi est encore minor si lespartenaires commerciaux adoptent une mesure similaire : il pourraitdescendre dans une fourchette de 69 000 175 000 emplois crs ousauvegards.

    Si les valuations des dispositifs de baisse de cotisations sociales employeurssont divergentes, elles s'accordent bien sur l'existence d'un effet positif surl'emploi. Mais leur mthode pose question. La plupart sont des valuationssans base empirique sur llasticit de lemploi son cot (estime dautantplus forte que le salaire est bas), qui ne distinguent pas llasticitmicroconomique de llasticit macroconomique (si une entreprise peut

    grce la baisse de ses cots gagner des parts de march, leffet risque des'effacer lchelle macroconomique), et ne prcisent pas davantage lesmcanismes en jeu s'agissant de la substitution capital-travail, de lasubstitution travailleurs non qualifis-travailleurs qualifis, ou de l'effet decomptitivit ou de concurrence (Sterdyniak 2012). Par ailleurs, pour valuerl'efficacit d'un instrument, il est d'usage de s'interroger sur ses possibleseffets non souhaits et sur son cot. C'est l aussi que le bt blesse. Toutdabord, les valuations voquent des effets ngatifs sur la mobilit salariale

    des salaris concerns, ou encore un effet potentiel de trappe bassalaires , savoir le tassement des salaires au voisinage du Smic. Cet effetdcoulerait de lincitation faite aux employeurs proposer des niveaux desalaire suffisamment bas pour tre ligibles aux exonrations. Mais surtout, sil'on rapporte les effets des dispositifs sur l'emploi leur cot, le compte n'y estpas. Les valuations du dispositif de 1993 soulignaient dj un cot trs levau regard du nombre d'emplois crs ou sauvegards. Le diagnostic n'est pasmeilleur pour le dispositif Fillon de 2003. Les allgements de cotisations

    3 Notons que les valuations en question tendent additionner lensemble des allgements decotisations, y compris ceux remplacs par la rforme value.

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    sur les bas et moyens salaires reprsentaient en effet en 2010 de l'ordre de22 milliards d'euros (Garoche, Roguet 2013), soit 1,1 point de PIB et plus dela moiti des dpenses dites gnrales pour l'emploi. En rapportant cesdpenses au volume d'emplois crs ou sauvegards 4, on peut estimer lecot annuel pour les finances publiques de chacun de ces emplois prs de75 000 euros 5, un cot exorbitant pour des emplois souvent bas salaire, dequalit incertaine, et mis la disposition des entreprises prives (Math 2013).

    Le cot des exonrations de cotisations sociales employeurs sur les bas etmoyens salaires par emploi cr est bien suprieur celui des emplois aids,dispositifs contra-cycliques, pour lesquels les aides sont la contrepartie duciblage sur des catgories de travailleurs rputes en difficult et peuproductives. En 2010, priode de crise, ces emplois ont cot prs de 5

    milliards d'euros (0,7 milliards dans le secteur marchand et 4,2 milliards dansle secteur non marchand) pour environ 520 000 contrats conclus (dont400 000 dans le secteur non marchand) avec des variations selon la priodede l'anne considre (Bahu, 2011). Le cot par contrat conclu est de lordrede 10 000 euros pour les crations directes demploi dans le secteur nonmarchand et de 7 000 euros pour les aides lemploi dans le secteurmarchand. Le cot des exonrations de cotisations sociales employeurs surles bas et moyens salaires par emploi cr ne tient pas non plus la

    comparaison avec celui des exonrations de cotisations sociales accordesaux entreprises en contrepartie de la mise en place des 35 heures. Plusieursvaluations concluent un nombre de l'ordre de 350 000 emplois crs ousauvegards (Jugnot 2013), pour un cot des 35 heures qui culmine 15,4milliards deuros respectivement en 2002 (dispositifs Robien, Aubry I, Aubry IIet rductions dgressives pour compenser leffet des 35 heures sur les bassalaires, voir Roguet et Schreiber 2009), soit 44 000 euros par emploi.

    Enfin, les dispositifs dexonration de cotisations sociales sur les bas etmoyens salaires ont pris une telle ampleur depuis 1993 quils cannibalisentdautres dispositifs. Le dispositif Fillon a non seulement enterr celui des 35heures mais il est de nature diminuer pour les employeurs lattractivit des emplois aids du secteur marchand ou des dispositifs dapprentissage et deformation qualifiante6 cibls sur les catgories de travailleurs les plus endifficult. Il est dlicat dans ces conditions de considrer les allgements de

    4 En retenant le chiffre de 300 000 emplois crs.5 Notons quun travailleur au SMIC temps plein cote 20 500 euros lentreprise. 6 En baissant le cot du travail en gnral, on rend relativement moins attractifs les dispositifscibls demploi ou de formation. Le succs de l'apprentissage en Allemagne provient en partiedu fait que les ouvriers y ont de hauts salaires.

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    cotisations sociales sur les bas et moyens salaires comme des instrumentspertinents de cration ou de sauvegarde d'emplois voire comme desinstruments de la politique de l'emploi tout court, compte tenu de labsence delogique de contrepartie. Le mme constat peut dailleurs tre fait sagissant duCICE, dont lOFCE a estim leffet sur 5 ans 150 000 emplois crs (Plane2012) pour un cot annuel estim 20 milliards deuros partir de 2014. Est -ce alors plutt un instrument au service de la comptitivit des entreprises oude la restauration de leur taux de marge ?

    2.3. Baisse des cotisations : lintrouvable comptitivit

    Si la comptitivit est un argument de dfense des dispositifs de baisse descotisations sociales, il n'existe pas d'valuation de leur impact sur la

    comptitivit. L'existence d'un impact positif est certes vraisemblable, mais samesure est problmatique, et il est douteux qu'il soit durable et de grandeampleur. Les cotisations sociales employeurs ne sont en effet que l'une descomposantes du cot du t ravail, ce dernier nest son tour que lune descomposantes du cot de production, qui lui-mme n'est que l'un desingrdients de la comptitivit. Il y a donc loin de la baisse des cots lacomptitivit.

    On peut tout dabord interroger lampleur du choc de comptitivit. Si lonretient le chiffre de 10 milliards d'euros le plus souvent avanc, il reprsentepeu dans les 170 milliards de cotisations sociales employeurs, une goutted'eau dans les cots de production des entreprises (Math 2013). Par ailleurs,la comparaison de lvolution des comptitivits des diffrents pays soulvedes difficults mthodologiques. Il est dlicat de comparer le cot du travail,les cotisations sociales employeurs, les taux d'imposition sur les socits etles taux de marge d'un pays l'autre. Si l'on retient le cas de la France et del'Allemagne, deux pays dans lesquels la protection sociale obit une logiquebismarckienne (financement par la cotisation), les taux de cotisation sontdifficilement comparables du fait de leur structure trs diffrente : lescotisations sociales sur les bas salaires sont plus faibles en France qu'en Allemagne (du fait des exonrations) mais elles sont aussi plus progressives(Batard et al. 2011). Quant au taux d'imposition sur les socits, il est moindreen Allemagne car il a beaucoup baiss dans les annes 2000, mais la mise enplace du CICE en France attnue les carts (Askenazy 2012 a et b). Dans

    l'industrie manufacturire, la plus expose la concurrence internationale, lecot du travail est comparable dans les deux pays, mais son volution estdfavorable la France depuis la crise de 2008 (Askenazy 2012 a),

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    notamment en raison de la pression qui sest exerce sur les salaires en Allemagne. Les taux de marge des deux pays sont galement difficilementcomparables, car ils sont fausss par l'optimisation fiscale des multinationaleset par un choix diffrent des entrepreneurs allemands et franais quant leurrmunration en salaires ou dividendes. En France, le taux de marge quistait rtabli depuis 1986 a certes diminu depuis la crise de 2008 7, maiscette baisse sexplique par la chute de lactivit et la rtention de main-duvre, un phnomne conjoncturel habituel en priode de rcession ellena t cause ni par une hau sse de la fiscalit ni par des augmentationsexcessives des salaires (Chagny et al. 2012). La part des profits est revenue un niveau satisfaisant mais ce nest pas le cas de linvestissement 8. Faut-ilaugmenter la part des profits sans garantie sur linvestissement ?

    Au-del du problme de la mesure de la comptitivit-cot en comparaisoninternationale, il faut rappeler que celle-ci nest quune dimension de lacomptitivit. La comptitivit allemande en fournit une bonne illustration : sonrebond aprs la crise de 2008 ne s'explique pas tant par un faible cot dutravail (le cot du travail est relativement lev dans les industriesexportatrices) que par des facteurs hors cot du travail et mme hors cot deproduction. LAllemagne a bien de trs faibles cots de production dans lesservices et a su tirer parti de la runification en recourant la sous-traitance

    dans les pays de l'Est o la main- duvre est moins chre, ce qui a pucontribuer contenir le cot des consommations intermdiaires dans lesindustries exportatrices. Mais le pays a galement mis sur la qualit desproduits et des services ainsi que sur l'innovation. Et surtout, son industriesest trouve en adquation avec la demande mondiale, en particulier celledes pays dits mergents : voitures de luxe, machines et biens d'quipement(Duval 2013).

    Qu'attendre du Pacte de responsabilit et de la suppression des cotisationsfamiliales employeurs qu'il prvoit ? En fait, trois projets diffrents sontactuellement discuts. Selon le premier, les baisses de cotisations devraientde nouveau tre cibles sur les bas salaires. Il faudrait renforcer encore lesallgements Fillon (qui concernent les salaires en dessous de 1,6 SMIC) et leCICE (qui concerne les salaires en dessous de 2,5 fois le SMI C). Cest la

    7 La part de l'excdent brut d'exploitation (EBE) dans la valeur ajoute (VA) des socits taitde 29,6 % en 1973 avant de chuter 23,1 % en 1982, et de se redresser 30,2 % en 1987.

    Elle tait de 30,8 % en 2006, soit un niveau satisfaisant.8 La part des profits se mesure en additionnant autofinancement, dividendes nets verss etintrts nets verss. Alors quen 1973, linvestissement (FBCF) tait du mme ordre de grandeur que les profits, il est actuellement plus bas de 3 4 points de valeur ajoute (voirtableau en annexe).

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    position soutenue par des conomistes franais spcialistes du sujet (voir Rductions de charges : priorit aux bas salaires , Le Monde du 4 fvrier2014). Mais les bas salaires bnficient dj largement dexonrations decotisations, pour un faible volume demplois crs au regard des moyensengags. Les emplois ainsi favoriss sont mal rmunrs et prcaires. Ceciblage sur les bas salaires aboutit renoncer toute ambition en terme demonte en gamme de lindustrie et mme des services , et sanctionner lesentreprises qui versent des salaires corrects ou qui cherchent former et faire voluer leurs salaris. Selon un deuxime projet, lobjectif doit tre derenforcer les marges des entreprises industrielles, en esprant qu'elles lesutiliseront pour des investissements productifs en France, ou pour de la R&D.Mais le feront-elles, dans une situation o la demande est atone ? Le risqueest que leffet dpressif des mesures de financement sur la demande desmnages ou sur la dpense publique ne soit plus fort que celui de la haussede linvestissement. Selon le troisime projet, lobjectif doit tre de regagnerde la comptitivit-prix. Mais leffet dpendrait troitement du gain sur nosconcurrents europens et disparatrait si tous se lanaient dans la bataille dela comptitivit-prix. Dans les trois cas, certains conomistes escomptent deseffets de substitution de travail au capital (les entreprises seraient incites utiliser du travail plutt que du capital), mais ces effets sont empiriquement

    faibles et certaines entreprises pourraient au contraire utiliser les fonds rendusdisponibles pour mcaniser leur production et rduire lemploi.

    Autant la question des contreparties ne posait pas (trop) problme au momentde la mise en place des 35 heures, parce que la baisse du cot du travail taitla contrepartie de la rduction du temps de travail. Autant dans le cas du (malnomm) Pacte de responsabilit, les entreprises se trouvent dlestes deleurs responsabilits dans le financement de la politique familiale (et de lareproduction sociale des travailleurs) sans avoir prendre d'engagements

    prcis en matire de cration ou de sauvegarde d'emplois, de formation deleurs salaris ou d'investissements productifs. Les chefs dentreprise pourronttoujours dire quils ont utilis les marges dgages baisser leurs prix(contraintes par la concurrence) ou se dsendetter (sous la pression deleurs banques). Ils nauront pas de comptes rendre sur leurs dividendes ousur les salaires de leurs cadres dirigeants. Que pourra bien observer le nouvelObservatoire des contreparties ? Lorientation sociale-dmocrate revendiquedu gouvernement justifierait pour le moins que les grandes et moyennesentreprises soient tenues de rendre compte leur CE de lusage de cesfonds.

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    3. D'autres stratgies sont possibles

    lchelle europenne, le Pacte de responsabilit participe de stratgiesdployes par les pays de la zone euro pour assurer leur comptitivit-cot

    par la dvaluation interne, dans une situation o les ajustements montairesne sont plus possibles et o les dficits budgtaires sont solidement corsets.Ces stratgies savrent irresponsables, en ce quelles engagent les paysdans une course la comptitivit qui fait pression sur les dpensespubliques et sur les salaires. Dautres stratgies sont possibles, ellessupposent de mener de vritables politiques industrielles en stimulant laproduction et lemploi tout en privilgiant leur qualit (transition cologique,qualification des travailleurs,etc .).

    3.1. Pacte de responsabilit et dflation en Europe

    Dans le contexte europen du Pacte de stabilit, le Pacte de responsabilitaccrot la pression la baisse de la dpense publique. La France sest djengage vis--vis de la Commission europenne rduire de 50 milliards sondficit public, donc ses dpenses publiques. Du CICE, 10 milliards ntaientpas financs. Le Pacte de Responsabilit y rajoute 10 milliards. Il faut donc autotal rduire les dpenses publiques de 70 milliards, ajustement qui porteravraisemblablement en quasi-totalit, sur des dpenses sociales ou desdpenses publiques profitant directement aux mnages (sant, ducation).

    Ce nest pas le niveau des cotisations sociales des entreprises franaises quiest responsable de la hausse du taux de chmage de la zone euro (7,5 % enfin 2008 ; 12% en 2013), ni mme de la France. Dailleurs, en 2007, leur poidsdans la valeur ajoute tait en nette baisse du fait dj des multiplesexonrations. La crise est venue de l avidit des marchs financiers et des

    actionnaires, des stratgies mercantilistes de certains pays dAsie et dEuropedu Nord (une croissance base sur laustrit salariale et sociale pour gagneren comptitivit), de la financiarisation des pays anglo-saxons (unecroissance base sur les bulles financires et immobilires, sur lendettementpriv). De ce point de vue, la France tait quelque peu en retard. Rduire de30 milliards les cotisations des entreprises, tout en sengageant diminuer de70 milliards les dpenses publiques, nous remet dans le droit chemineuropen. Dommage quil mne la catastrophe la gnralisation de cette

    stratgie ne peut que renforcer la concurrence salariale et sociale en Europe,que diminuer la demande (puisque les entreprises sont peu incites investir

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    en situation de stagnation de la consommation), dans une zone euro dechmage de masse, globalement excdentaire.

    Le Pacte de responsabilit participe la pression la baisse des salaires. LaFrance est dans une situation intermdiaire entre les pays du Nord qui ontralis de forts gains de comptitivit au dtriment du pouvoir dachat de leurpopulation et les pays du Sud, qui ont connu des hausses de salairesconformes la logique dun rattrapage conomique mais incompatibles avecles contraintes imposes par la zone euro. En 2000, la part des salaires dansla valeur ajoute tait de 66,8% en Allemagne, de 66,9 % en France, de 65,5% dans lensemble de la zone euro. En 2007, elle avait baiss 61,2 % en Allemagne (-5,6 points), 62,8 % dans la zone euro (-2,7 points), 65,7 % enFrance (-1,2 point). Faut-il que les salaris se concurrencent en acceptant la

    rduction de leur part ? En base 100 en 2000, le niveau du salaire rel en2011 est 97,9 en Allemagne, 111,2 en France (soit une hausse de 1% paran). Qui est dans lerreur ?

    Une telle stratgie est absurde. Certes, elle remplace la dvaluationaujourdhui impossible dans la zone euro. Mais son impact nest pas le mme,tant en termes de comptitivit que de pouvoir dachat des mnages. Elle negarantit pas de gains de comptitivit vis--vis des pays hors zone euro, ceux-ci dpendant surtout de lvolution du taux de change de leuro, et elle nuit

    nos partenaires europens qui risquent de ragir en dveloppant des mesuressimilaires notre encontre. Cette dynamique comporte le risque de fairechuter la consommation (et donc le PIB), ce qui se traduirait par une baissedes profits. Au lieu de sengager dans la course un improbable choc decomptitivit, stratgie conflictuelle qui loin dtre gagnante-gagnante nepeut quenfermer dans le cercle vicieux du moins disant social, il seraitprfrable de viser un choc de croissance combin une politiqueindustrielle ambitieuse, ce qui suppose une rfo rme de lorganisation de lapolitique conomique de la zone euro vers une stratgie cooprative.

    3.2. Quelle politique industrielle ?

    Recourir ainsi la dvaluation interne suppose que la France souffreessentiellement dun dficit de comptitivit-prix. Or, la dsindustrialisation adautres causes plus profondes. Les pertes de marchs des entreprisesindustrielles franaises sont, comme lont identifi de multiples rapports,

    souvent imputables aux mauvais choix industriels des dcideurs politiques etconomiques et la faon dont les entreprises sont diriges (Sauviat et

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    Serfati, 2013). On peut citer leffort insuffisant dinnovation et la faiblesse desdpenses de recherche et dveloppement (R&D), les effets dltres de la financiarisation (pression exerce par les marchs financiers) qui faitmonter les dividendes court terme au dtriment de stratgiesdinvestissement et de recherche. Mais aussi, les nouveaux investissementsdes entreprises orients dans les pays mergents, le niveau de gammeinsuffisant de lindustrie et la faible spcialisation dans les produits de hautetechnologie, le dualisme croissant du systme productif opposant quelquesgrands groupes mondialiss aux PME industrielles exportatrices(cannibalises par les premiers). On assiste leffacement depuis troisdcennies de la politique industrielle impulse par ltat, une politique de champions nationaux avec des spcialisations gographiques etsectorielles inadaptes aux volutions du march mondial. cela sajoutentdes politiques dficientes de formation (les tudes scientifiques et lorientationvers lindustrie sont peu valorises). Au total, les exportations franaisessavrent trs sensibles aux volutions du taux de change de leuro, et laFrance ne russit ni protger ses industries traditionnelles, ni sedvelopper suffisamment dans les secteurs innovants, tandis que le secteurfinancier prfre les joies de la spculation au financement de la production etde linnovation. Ces problmes ne peuvent tre r solus par la dvaluation

    interne. Avec le Pacte de responsabilit, le gouvernement renonce une politiqueindustrielle ambitieuse pour lui prfrer une stratgie librale : augmenter leprofit des entreprises en arrosant large, baisser leurs contraintes en esprantquelles voudront bien un jour relancer lemploi, la production etlinvestissement en France.

    Dvelopper et orienter la production doivent tre au centre du combat pourune alternative au libralisme, avec trois axes majeurs :

    - Changer lentreprise pour faire participer les salaris. Ceci suppose plus delien entre lentreprise et ses travailleurs, et pas moins. Ceci supposereconnatre que le fonctionnement et le dveloppement de lentreprisedpendent de leffort et de la cohsion de lensemble de ses salaris. Il fautreconstituer le travailleur collectif, ce qui impose de rduire les ingalits destatuts et de revenus dans lentreprise et de se donner comme objectif dedvelopper les qualifications de chaque travailleur.

    - Impulser un sursaut industriel. Il faut faire passer une vitesse suprieure lastratgie engage par les ples de comptitivit, les tats gnraux delindustrie, la Banque publique dinvestissement (BPI), dont les capacits

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    daction doivent tre largies par le recours lpargne des mnages et lescritres dintervention prciss.

    - Mettre la transition cologique au centre du dveloppement de chaqueentreprise : les innovations ne sont pas toutes bonnes prendre. Lobjectif nedoit plus tre de dvelopper tout prix le profit (et mme la production), maisde contribuer satisfaire les besoins moindre dommage cologique. Ces 30milliards que reprsentera finalement le Pacte de responsabilit auraient tmieux employs aider directement les secteurs industriels et la transitioncologique.

    Conclusion

    En dfinitive, l'ide que les cotisations sociales employeurs n'ont pas deraison d'tre n'a pas de bases conomiques solides. Les cotisations familialessont un instrument de politique familiale, et il n'y a pas de raison d'liminertoute contribution des employeurs la reproduction sociale des travailleurs,car cela fragilise le financement de la branche famille. De ce point de vue,l'Allemagne qui n'a pas de cotisations sociales employeurs pour la famille nepeut tre prise en exemple : sa politique familiale est insuffisante et expliquepour une part le faible taux de fcondit de ce pays. Ce que lon doit retenir delexemple allemand, cest tout dabord que la bonne tenue de lemploi pendantla crise nest pas lie la drgulation du march du travail ou la baisse deson cot, mais au contraire des rgulations qui ont permis de favoriser laflexibilit interne (rduction ngocie du temps de travail, chmage partiel).Cest ensuite que le rebond des exportat ions doit beaucoup des facteurs decomptitivit hors cot, savoir ladquation de son industrie une demandemondiale renouvele. La baisse du cot du travail, et a fortiori celle descotisations sociales employeurs famille, ne peuvent tenir lieu ni de politique del'emploi, ni de politique industrielle.

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    A1. Part dans le VA des SNF en France

    1972 1982 1992 2002 2006 2012

    Masse salariale 71,2 74,9 66,5 66,0 65,6 67,7

    Dont CSE 16,7 19,4 18,2 16,4 16,0 16,7

    Impts laproduction nets

    0,3 1,9 2,7 3,8 3,6 3,9

    EBE 28,6 23,1 30,8 30,2 30,8 28,4

    Intrts nets 5,2 8,0 6,6 1,2 1,9 2,1

    Dividendesnettes

    4,1 3,1 3,8 7,3 6,9 7,9

    IS 1,7 1,4 0,5 2,6 3,8 2,0

    Divers 3,8 3,5 2,5 2,5 2,2 2,4

    Autofinancement 13,8 7,1 17,4 16,8 16,0 14,0

    FBCF 23,5 19,9 18,3 18,2 20,3 19,6

    Besoin definancement

    9,7 12,8 0,9 1,4 4,3 5,6