3
10 formation dossier Actualités pharmaceutiques n° 483 Mars 2009 L es comportements de consommation de subs- tances psychoactives n’ont pas seulement des aspects conjoncturels à l’époque, à la culture, aux modes de vie ; souvent, ils ont aussi des aspects universels et constants. Certains consommateurs souffrent et développent une dépendance, qui a de multiples conséquences psycho- logiques, somatiques et sociales. Longtemps, les substances psychoactives ont été consi- dérées comme étant à elles seules l’origine du phéno- mène. C’est ce que l’on appelait “l’approche produit”. Cette conception reposait sur la théorie de l’intoxication par un produit qui amenait à la dépendance. Il était ainsi possible d’affirmer que la rupture avec les consomma- tions antérieures, la “cure de sevrage” et le maintien de l’abstinence suffisaient pour réinscrire les personnes dans une démarche de santé. Nous avons fragmenté, dans ce dossier, ce qui a trait à l’alcool, au tabac et aux drogues illicites. Des dispositifs sanitaires, législatifs, réglementaires et distincts ont été mis en place dans un objectif de lutte contre l’alcoolisme, la toxicomanie et le tabagisme. Les concepts fédérateurs d’addiction et d’addictologie sont apparus nécessaires afin de dépasser la fragmenta- tion – alcoolisme, tabagisme, toxicomanie – et la réduc- tion de l’approche exclusive aux produits. Il est donc nécessaire de bien comprendre qu’une addiction doit être analysée entre un produit, un individu (et ses facteurs de vulnérabilité) et un environnement (social et familial). Cette analyse est bien plus opératoire pour la compréhension et la prise en charge des poly- consommations (figure 1). Les critères de Goodman Les conduites addictives sont définies par les critères de Goodman (1990). Critères principaux Quatre critères principaux existent : – impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement ; – sensation croissante de tension précédant immédia- tement l’épisode ; – plaisir ou soulagement pendant sa durée ; – sensation de perte de contrôle pendant la durée du comportement. Critères secondaires La présence d’au moins cinq des neuf critères suivants (secondaires) définit également la conduite addictive : – préoccupation fréquente au sujet du comportement ou à sa préparation ; – intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l’origine ; Notions de base en addictologie Actuellement, en addictologie, même si les approches centrées sur les produits, sur la diversité de leurs effets et sur leurs caractères psycho-pharmacologiques spécifiques demeurent légitimes, l’approche basée sur les comportements de consommation semble plus globale et opératoire. Elle permet en effet de s’intéresser également à l’abus et pas seulement à la dépendance. À ce stade, le pharmacien d’officine peut avoir une approche préventive en facilitant la précocité du diagnostic et la prise en charge. Figure 1. Les trois facteurs constitutifs de l’addiction. L’approche addictologique associe la prise en compte des points communs des différentes addictions, notamment les comportements de consommation, mais aussi les spécificités liées aux différents produits. À savoir

Notions de base en addictologie

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Notions de base en addictologie

10formation

dossier

Actualités pharmaceutiques n° 483 Mars 2009

Les comportements de consommation de subs-tances psychoactives n’ont pas seulement des aspects conjoncturels à l’époque, à la culture,

aux modes de vie ; souvent, ils ont aussi des aspects universels et constants.Certains consommateurs souffrent et développent une dépendance, qui a de multiples conséquences psycho-logiques, somatiques et sociales.Longtemps, les substances psychoactives ont été consi-dérées comme étant à elles seules l’origine du phéno-mène. C’est ce que l’on appelait “l’approche produit”. Cette conception reposait sur la théorie de l’intoxication par un produit qui amenait à la dépendance. Il était ainsi possible d’affirmer que la rupture avec les consomma-tions antérieures, la “cure de sevrage” et le maintien de l’abstinence suffisaient pour réinscrire les personnes dans une démarche de santé.Nous avons fragmenté, dans ce dossier, ce qui a trait à l’alcool, au tabac et aux drogues illicites. Des dispositifs sanitaires, législatifs, réglementaires et distincts ont été mis en place dans un objectif de lutte contre l’alcoolisme, la toxicomanie et le tabagisme. Les concepts fédérateurs d’addiction et d’addictologie sont apparus nécessaires afin de dépasser la fragmenta-tion – alcoolisme, tabagisme, toxicomanie – et la réduc-tion de l’approche exclusive aux produits.Il est donc nécessaire de bien comprendre qu’une addiction doit être analysée entre un produit, un individu (et ses facteurs de vulnérabilité) et un environnement (social et familial). Cette analyse est bien plus opératoire pour la compréhension et la prise en charge des poly-consommations (figure 1).

Les critères de GoodmanLes conduites addictives sont définies par les critères de Goodman (1990).

Critères principauxQuatre critères principaux existent :– impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement ;– sensation croissante de tension précédant immédia-tement l’épisode ;– plaisir ou soulagement pendant sa durée ;– sensation de perte de contrôle pendant la durée du comportement.

Critères secondairesLa présence d’au moins cinq des neuf critères suivants (secondaires) définit également la conduite addictive :– préoccupation fréquente au sujet du comportement ou à sa préparation ;– intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l’origine ;

Notions de base en addictologie

Actuellement, en addictologie, même si les approches centrées sur les produits,

sur la diversité de leurs effets et sur leurs caractères psycho-pharmacologiques

spécifiques demeurent légitimes, l’approche basée sur les comportements

de consommation semble plus globale et opératoire. Elle permet en effet de

s’intéresser également à l’abus et pas seulement à la dépendance. À ce stade,

le pharmacien d’officine peut avoir une approche préventive en facilitant

la précocité du diagnostic et la prise en charge.

Figure 1. Les trois facteurs constitutifs de l’addiction.

L’approche addictologique associe la prise en compte des points communs des différentes

addictions, notamment les comportements de consommation, mais aussi les spécificités

liées aux différents produits.

À savoir

Page 2: Notions de base en addictologie

11 formation

dossier

Actualités pharmaceutiques n° 483 Mars 2009

Addictologie à l'officine

– tentatives répétées pour réduire, contrôler ou aban-donner le comportement ;– temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre, ou à s’en remettre ;– survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, sociales ou familiales ;– abandon ou limitation importante d’activités sociales, occupationnelles ou de loisir du fait du comportement ;– perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu’il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d’ordre social, financier, psychologique ou physique ;– tolérance marquée : besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré, ou diminution de l’effet procuré par un comportement de même intensité, agitation ou irritabilité en cas d’impossibilité de s’adon-ner au comportement ;– nervosité ou irritabilité en cas d’impossibilité de s’en-gager dans le comportement.

Critère de tempsConcernant le critère de temps, certains éléments du syndrome doivent dater de plus d’un mois ou se sont répétés pendant une période plus longue.

En résuméLes conduites addictives sont donc définies par un com-portement et non par la consommation d’un produit. La notion d’addiction est donc plus large (il existe des conduites addictives sans dépendance) et plus restreinte que le sens commun (on est dépendant physiologique-ment sans être addicté). Ainsi, il existe des conduites addictives avec produit (tabac, alcool, substances illici-tes, conduites dopantes et médicaments). Par ailleurs, il peut être distingué des conduites addictives sans produit (sports de risque, jeu pathologique, achats compulsifs, jeux virtuels et internet). Ces dernières ne seront pas développées dans ce dossier.

La dépendance et l’abusDeux comportements addictifs sont possibles et dis-tincts. Ce sont la dépendance et l’abus.

La dépendanceDans la dépendance, le sujet éprouve le besoin, tou-jours psychique et parfois physique, de consommer une substance.

Les signes de dépendance psychologiqueLes signes de dépendance psychologique sont toujours retrouvés (au moins trois sont nécessaires).La substance est souvent prise en quantité plus impor-tante ou pendant une période plus prolongée que prévue.

Un désir persistant ou des efforts infructueux existent pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance.Beaucoup de temps est consacré à des activités nécessaires pour obtenir la substance (par exemple, consultation de nombreux médecins ou déplace-ment sur de longues distances), à utiliser le produit (par exemple, fumer sans discontinuer) ou à récupérer de ses effets.Des activités sociales, professionnelles, ou de loisir importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance.Enfin, l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance.

Des signes de dépendance physiqueDes signes de dépendance physique sont parfois retrou-vés (cela dépend de la substance). Il s’agit de la tolé-rance et du sevrage.

La tolérance est définie par l’un des symptômes suivants :– besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ;– effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de substance.

Le sevrage est caractérisé par l’une ou l’autre des mani-festations suivantes :– syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;– la même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.Concernant le critère de temps, certains critères se sont répétés pendant une période de douze mois au moins.

L’abusDans l’abus ou usage nocif, le sujet n’éprouve pas le besoin de consommer la substance. C’est la consom-mation qui entraîne des dommages sur le plan de sa santé psychique ou somatique, sur les plans relationnel, professionnel, affectif, familial, financier. Il se caractérise par :– une utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures au tra-vail, à l’école ou à la maison (absences répétées, mau-vaises performances au travail du fait de l’utilisation de la substance, absences, négligence des enfants ou des tâches ménagères) ;– une utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela peut être physiquement dangereux (conduite de voiture) ;

Page 3: Notions de base en addictologie

12formation

dossier

Notions de base en addictologie

Actualités pharmaceutiques n° 483 Mars 2009

– des problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (arrestations pour comportement anor-mal en rapport avec l’utilisation de la substance) ;– une utilisation de la substance malgré des problèmes inter-personnels ou sociaux, persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de la substance (par exemple disputes avec le conjoint à propos des consé-quences de l’intoxication, bagarres).Concernant le critère de temps : certains critères sont répétés pendant une période de douze mois au moins.

des substances À côté de ces deux types de comportement entrant dans le cadre des conduites addictives, il existe deux autres types de comportement à l’égard des substances :

, qui ne doit pas entrer dans les critères de l’abus et de la dépendance ;

Il n’y a aucun critère d’abus ou de dépendance. En revanche, le sujet se met en danger ou met en danger une tierce personne du fait de sa consom-mation. C’est bien entendu le cas de la consommation alcoolique avant conduite automobile.

Toxicomanie et comorbidités psychiatriquesLes comorbidités psychiatriques sont élevées.

Troubles de l’humeur : prévalence élevée de la dépression dans les conduites addictives.

Troubles de la personnalité : 35 à 50 % des sujets toxicomanes présentent un trouble de la personnalité de type antisocial.

Troubles anxieux : 11 à 30 % des toxicomanes repré-sentent des troubles anxieux.

Troubles psychotiques : 10 % des sujets présen-tant un délire chronique schizophrénique seraient toxicomanes.Les addictions les plus courantes pour le pharmacien d’officine : tabagisme, alcoolisme, intoxication aux opia-cés, cannabis, psychostimulants et psychodysleptiques, sont étudiées dans les articles suivants. �

François Pillon

Docteur en pharmacie, Dijon (21)

[email protected]

© D

R