NOUVELLES FORMES DE SPONGIAIRES DANS L'ALBIEN DE LA SAINTE-BAUME (PROVENCE, FRANCE)

par

P.J.L. MASSE*, G. TERMIER** & H. TERMIER ~"

R~UMI~ ABSTRACT

Une faune de spongiaires a dt6 d&ouverte par l'un d'entre nous (P.J.L. Masse) dans l'Albien de Basse-Provence (SE France) du massif de la Sainte-Baume. Le niveau le plus fiche est situ6 au milieu d'une formation de calcaires argileux gris ~t spicules. La microfaune et la microflore identifi6es dans des br&hes donne un ~ge albien supdrieur it vraconien it la s6rie &udide. Les Spongiaires, Hexactinellides et Lithistides, ont des affinit6s avec ceux de l'Aptien de Catalogne et de la Craie cdno- manienne. Des fragments de spongine ont 6t6 observds en place darts le squelette spiculaire, tin genre nouveau (Tetraspongia It. & G. TF.I~flER, Lithistida) et une esp&e nouvelle (Moretiella quadrifolium H. & G. qXr~11ER, tlexactinellida) sont d&rits.

Some Sponges have been discovered in the Albian of Basse- Provence (France). Biostratigraphic dam (green and red algae, benthic foraminifera) from an allochtonous block indicate an Upper Albian age. Albian sponges, Hexactinellides and Lithis- tides from the Sainte-Baume massif, have similarities with those of the Aptian of Catalogne and the Cenomanian Chalk. Some spongin fragments are identified within the sponge skeleton. A new genus (Tetraspongia H. & G. TEr',MIER, Lithistida) and a new species (Moretiella quadrifolium H. & G. TERblIER) are described.

MOTS-GLI~S : SPONGIAIRES, ALBIEN, STRATIGRAPHIE, PALI~ONTOLOGIE, PALI~OGI~OGRAPHIE. KEY-WORDS : SPONGIAE, ALBIAN, STRATIGRAPHY, PALEONTOLOGY, PALEOGEOGRAPHY.

INTRODUCTION (P.J.L. Masse)

HISTOPdQUE ET POSITION GI~OGRAPHIQUE (fig. 1). Longtemps l,Aptien et l'Albien ont 6t6 m&onnus en Basse-

Provence. Les travaux de J.P. Masse et al. (1980), q~'onchetti (1981), Philip et al. (1987), Machhour (1988) et Masse P.J.L. (1988), ont cependant pr&is6 l'&olution sddimentaire, paldo- g6ographique et paldotectonique de la r6gion au cours de cette p6riode.

Dans le Nord de la Basse-Provence (fig. 1) le massif de la Sainte-Baume offre it l'affleurement et sur plusieurs kilom&res de long une s&'ie apto-albienne assez compl&e. La sdrie &udi6e ici affleure darts le ravin de Saint-Pons, it l'extr~mit6 ouest du massif (fig. 1, 2).

L'Aptien y a dt6 reconnu assez t6t (Coquand 1862). Des prd- cisions lithologiques ont 6t~ apport&s par Haug (1925). Aboussonan (1963) envisage pour la premiere lois l'existence d'Albien au sommet de la s~rie, mais sans apporter de preuves biostratigraphiques. J.P. Masse et aL (1980) ddfinissent plus pr&isdment la succession des diffdrents termes et reconnais- sent deux niveaux ~t Orbitolines, dont un albien, it O. (M) texa- na DOUGLASS.

Nous avons ddcouvert un niveau fiche en Spongiaires au sommet de la sdrie attribu6e it l'Mbien (Masse et M. I980). En outre, la microfaune des br&hes ~. mat6riel carbonat~ allo- chtone intercal6es au sommet de la sdrie a permis de pr&iser son ~.ge.

* Centre de S6dimentologie et Pal6ontologie, et URA CNRS 1208, Universit6 Aix-Marseille I, Place V. Hugo, 13331 Marseille Cedex 3. ** 90, rue G. Vatonne, 91190 Gif sur Yvette, France

Geobios, n o 22, fasc. 6 p. 825-839, 6 fig., 4 pl. Lyon, d&embre I989

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STRATUM TYPICUM Albien sup6rieur.

HOLOTYPE Exemplaire n o 1, pl. 1, fig. 1-6.

D'apr~s Lagneau-H6renger, Moretiella pourrait ~tre un in- term6diaire entre Hexactinosa et Lychniscosa, des lychnisques assez rares ayant 6t6 observ6s dans ses zones les plus pro- fondes. II existe une incontestable ressemblance entre Moretiel- la et Strephinia, en particulier dans le rdseau dictyonal superfi- ciel ; la principale diff6rence ~tant la surface exteme verru- queuse de Moretiella, les nodositds reprdsentant l'aboutisse- mant des piliers creux.

La surface externe (corticale) est percde d'ostia (proso- pores). On observe des cavitds subdermiques. La zone interne compte plusieurs couches parall~les, assez r6guli~res, traver- sdes par des canaux (apopores). Les piliers (pl. 1, fig. 6), com- posds d'un rdseau r6gulier de fins hexactines, sont creusds d'un vide i~ section quadrifolide (pl. 1, fig. 2-5), rempli de silice pen- dant la fossilisation. Entre les piliers (pl. 1, fig. 1-3-4), l'espace est occup6 par des "inflorescences" mousseuses d'hexactines formant une v6ritable dentelle.

On peut comparer les figures 1-3-4 de la planche 1, repr6- sentant des lames minces de l'exemplaire de la Sainte-Baume, i~ celles de surfaces d6gag6es de formes typiques de Catalogue (Lagneau-Hdrenger, pl. 9, fig, 5, et pl. 10, fig. 2). Mais la section quadrifoli6e (pl. 1, fig. 2-5) des piliers n'a pas 6t6 observde sur les individus de l'Aptien catalan. II s'agit doric d'un caract~re particulier, justifiant une esp~ce diff6rente.

Classe DI~MOSPONGEA Sollas, 1875 Ordre LITHISTIDA Schmidt, 1870

Sous-Ordre EUTAXICLADINA Rauff, 1893 genre Tetraspongia nov. gen.

(pl. 2-3-4)

ESPECE-TYPE Tetraspongia balmensis nov. sp. Un exemplaire (n o 6, holo-

type). Esp~ce de taille moyenne, en massue, la section axiale dtant ovale et la surface extdrieure lisse.

DIAGNOSE Forme de figue - Spicules isolds t6traxones (dichotria~nes)

comme dermalia - Sphdroclones et charpente interne de dicra- noclones comme prtucipalia (fig. 5).

LOCus TYPICUS Massif de la Sainte-Baume (Bouches-du-Rh6ne, France).

STRATUM TYPICUM Albien.

DERIVATIO NOMINEM DU grec t6tra=quatre, spongia=spongiaire.

\ , , 7-=_-!

Fig. 5 - Schema montrant la disposition des spicules de diverses catego- ries chez Tetraspongta. 1, eharpente de spongine. 2, couehe dermi- que de dichotriaenes. 3, couche de sph6rodones. 4, charpente interne de dicranoclones. Sketch showing the disposition of the diverse spicules in Tetra- $pongta. I, framework of spongin. 2, dermal layer of diehotriaenes. 3, layer of spherodones. 4, internal framework of dicranoclones.

Dermal ia - Les spicules corticaux sont des dichotria~nes li- bres (pl. 2, fig. 2), i~ longs actines bifurquds (pl. 2, fig. 5-6-7), auxquels s'associent de petits sph~roclones (pl. 2, fig. 3-4), mi- mant des sterrasters.

Pr incipal ia (charpente siliceuse) - Succession rythmique de :

J) couches siliceuses (recristallisdes en calc6doine fibreuse) limpides (pl. 3, fig. 1), composdes de gros sph~roclones, et bor- d6es par de petits cristaux de quartz disposds en pavage (pl. 3, fig. 5).

2) couches sombres incluant un r6seau de desmes tdtra- clones ~t texture fibro-sph6rolithique (pl. 2, fig. 1, pl. 3, fig. 2). Ces spicules passent localement A une charpente de dicrano- clones (pl. 2, fig. 5, pl. 3, fig. 3-4), porteurs d'alignement de granules ; ils sont attach6s les uns aux autres par les extrdmitds renfl6es de leurs actines, lls portent aussi des alignements de petites 6pines. Ce rdseau offre des pores subcirculaires.

Charpente de spongine - Les modalit6s de la fossilisation ont favoris6 la prdservation de mati~re organique (vraisembla- blement de collag~ne) emballant certaines parties de la char- pente de desmes (pl. 2, fig. 1).

En outre, il nous a dt6 permis d'observer un fragment du r6- seau de spongine sous une forme pratiquement identique ~t celle qu'elle rev~t dans les dponges r6centes. Ce fragment est compos6 de larges rubans d'une extreme minceur 0ncolores et transparents au microscope), dont les axes m6dians 6paissis sont d'une teinte brnne d6gradde ~t partir du centre qui est plus sombre (pl. 4, fig. 1-2-3).

COMPARAISONS L'appareil spiculaire de Tetraspongia a quelques ressem-

blances avec celui de Mastosia ZITTEL, 1878, lithistide ~. surface lisse, sans oscules ni canaux, dont la surface est compos6e de sph~roclones, d'oxes, de tria~nes et de spicules globuleux res- semblant ~. des sterrasters. L'espbce-type, M. wetzleri ZITTEL, 1878, provient du Jurassique d'Allemagne. Hinde (1883, p. 57, pl. 1 O, fig. 4) a rapport6 ~. ce genre l'esp~ce M. neocomiensis (Lower Greensand du Surrey), d6finie par des dicrano- clones/sph~roclones.

Mastosia pourrait ~.tre un Anomocladine ; cependant dicra- noclones et sph~roclones sont associ6s dans Astylospongidae pachytrachehts SCHRAMMEN, 1910. Nelumbia tuberosa HINDE (1883, p. 72, pl. 16, fig. 1), de la craie grise (C6nomanien infd- rieur) de Douvres poss~.de aussi des dichotria~:nes corticatlx et des dicranoclones. Aucun de ces Lithistides fossiles n'a dt6 si- gnal6 comme ayant conserve de Ia spongine.

Du collagi~ne est connu au sein du squelette min6ral de tous les Spongiaires hypercalcifi6s : parmi les T6tractinomorphes ac- tuels citons Acanthochaetetes (Vacelet & Garrone 1987). De la mati~re organique, certainemeut proche de collag6nes, se ren- contre darts le squelette fossile des Verticillides et des Sphaerac- tinides. EUe abonde aussi darts les Milleporides, Sclerosponges/t spicules mon~ones (H. & G. Termier 1987).

Le fragment de spongine trouv6 parmi les spicules siliceux de Tetraspongia ressemble beaucoup ~t la structure d6crite par Greissinger (1971) chez les Nepheliospongidae ou Renieridae, Haliclona par exemple. Les petites taches reprdsenteraient les sections de fibrilles. Les fibres forment un quadrilat~re associ6

des sph~roclones sous-jacents clans Tetraspongia (pl. 4, fig. 2). Les angles du quadrilat~re sont occup6s par des palmures dans le Tetractinomorphe comme darts le Ceractinomorphe. Garrone (1978, p. 114) a trouv6 une spongine semblable chez Axtnella, mais rien n'est dit sur la forme de la charpente, tan- dis que les spicules sore monaxones et amphioxes sans traces de t6traxones. ~l serait interessant de rechercher, parmi les Te- tractinomorphes certains actuels des traces de spongi he.

Les D6mosponges lithistides sont aussi reprdsentdes, chez les Tetracladines, par l'esp~:ce Phyllodermia incrassata LA- GNEAU-HI~RENGER (exem plaires n ° 3, 5 et 7) les Megamorines, l'esp~ce Pachypoterion robustum (exemplaire n o 2).

AFFINITES DE LA SPONGIOFAUNE AU Crdmc6 infdrieur, Aptien compris, les influences t6thy-

siennes s'6tendent largement vers le Nord de l'Europe : il s'agit non seulement de spongiaires hypercalcifi6s 0esquels ont 6t6 moins 6tudids) abondants dans les facies urgoniens de Basse- Provence et bien d6veloppds darts l'Aptien jusqu'en Haute-Sa- voie (Delamette & Termier 1986) mais aussi de Silicisponges ddcrits darts l'Aptien et l'Albien de Catalogne, de la rdgion de Bilbao (Lagneau-Hdrenger 1962) et du Pays basque.

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Fig. 6 - Dessin des rapports entre la charpente de spongine ~ maiUes qua- dt'angulaires et |es sph6roelones sous-jaeents.

A l'oppos~, les Spongiaires de l'Albien d'Europe occidentale jalonnent une province s'dtendant de l'Angleterre au sud-est de la France (r~gion vocontienne et Alpes-Maritimes). La spongio- faune de la Sainte-Baume a des affinit~s avec celle de i'Albien inf6rieur de l'Is~re (Rencurel) et des Alpes-Maritimes (Andon), avec l'Mbien moyen des Alpes-Maritimes (Escragnolles, La Croux, Caille) et le Vraconien du Gard (Entr~ves-en-Bauge, Sala- zac), de la Dr6me (Clansayes), et des Mpes Maritimes (6ourdon et Saint-Vallier). Ils offrent de grandes similitudes avec c e ~ d'Mlemagne du Nord et du sud de la Pologne (Schrammen 1910).

Cette province rec~le alors essentiellement des silicisponges (Hexactinellides et Lithistides) associds ~. des sddiments souvent plus ou moins glauconieux. Elle s'oppose ~ la province tdthy- sienne qni renferme davantage de Spongiaires hypercaldfids.

Les Spongiaires de l'Albien supdrieur et du Vraconien indi- queraient des eaux plus froides (approfondissement ?, change- merits courantologiques ?) que celles du Crdtac6 inf~rieur et du Crdtac~ sup~rieur.

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Manuscrit d6pos6 le 22-02-1989 Manuscrit ddfinitif reilu le 05-12-1989

PLANCHES

PLANCHE 1

Morettella quadrtfoltum TERMIER

Fig. 1-3-4 - Sections dans la paroi montrant : en bas, la couche interne compos6e d'au moins 2 couches de complexes spiculaires, au centre, les piliers verticaux, plus ou moins ramifi6s. Entre les piliers, on remarque (fig. 3), la dentelle caract6ristique de fins hexactlnes, x 5. Sections in the wall showing : at the lower part, the internal layer, composed of at least 2 layers of spicular complexes ; at the middle part, the vertical pillars, more or less ramified. Noted between the pillars (fig. 3), a characteristic lace of fine hexactines. x5.

Fig. 2-5 - Sections transversales de piliers offrant un canal quadrifoli6, x 5. Transversal sections of pillars pointing out a quadrifoliated canal, x 5.

Fig. 6 - Surface externe d'un pilier, portant des alignements grannleux, et offrant des constrictions et des bosselures, x 8,5. External surface of a pillar, with granulose alignments and constrictions and embossments, x 8,5.

Geobios n ° 22, fasc. 6

Pl. 1 PJ.L. Masse, G. Termger & H. Termier

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PLANCHE 2

Tetraspongia balmensis T~nMmn

Fig. 1 - R~seau de t~traclones enrob6s de septa et de membranes de collag~ne ou de spongine, x 90. Network of tetraclones coated with septa and membranes of collagene or spongine, x 90.

Fig. 2 - Fragment du rdseau des dichotria~nes dermaux, x 10. Fragment of the network of dermal dichotriaenes, x 10.

Fig. 3-4 - Sph~roclones ressemblant ~t des sterrasters isol~s : fig. 3, (en coupe), x 40, fig. 4, x 90. Isolated spheroclones : fig. 3 (in section), x 40, fig, 4, x 90.

Fig. 5 - Dicranoclone isold, x 90. Isolated dicranoclone, x 90.

Fig. 6-7 - Dichotria~nes dermaux, x 90. Dermal dichotrlaenes, x 90.

Geobios n o 22, fasc. 6

Pl. 2 PJ.L. Masse, O. Termier & H, Termier

~i I~ ~ ~.

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PLANCHE 3

Tetraspongta balmensts TEIIMIER

Fig. 1 - Section montrant l'alternance de couches limpides blanches (sph~roclones surtout) et de couches sombres piquet6es de dicho- tria~nes, x 6. Section showing the alternance of white limpid (spheroclones essentially) and darb levels dotted with some dichotriaenes.

Fig. 2 - R6seau de t6traclones ~ extr6mit6s renfl6es et finement granuleuses, x 90. Network of tetraclones with bulbous and finely granulose extremities, x 90.

Fig. 3-4 - Fragment de r6seau de dicranoclones porteurs d'alignement granuleux, x 40. Fragment of the network of dicranoclones bearing granulose alignments, x 40.

Fig. 5 - D6tails montrant l'aspect des sph6roclones recristaUis6s en silice et de leur couche bordi~re en pavage, x 40. Details on the aspect of recristallised (silica) spheroclones and of their marginal cobbled layer, x 40.

Geobios n ~ 22, fasc. 6

PI. 3 P.J.L. Masse, G. Termier & H, Termier

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PLANCHE 4

D6tails de la charpente de spongine de Tetraspongia Details of the spongin framework of Tetraspongia

Fig. 1 - Dgtail d'une partie de la charpente de spongine. On distingue le ruban tr~s mince de spongine, large de 3 p~m (x 230). Detail of some part of the spongin framework. The very thin spongin tape, of 3 ~m large, can be distinguished (x 230).

Fig. 2 - Relation de la charpente de spongine avec les sphdroclones sous-jacents (x 90). Relation of the spongin framework with the underlying spheroclones (x 90).

Fig. 3 - Dgtail de la figure 1, montrant les sections punctiformes des fibrilles de spongine (x 340). Detail of the figure 1, pointing out the punctiform sections of the spongin fibrils.

Geobios n ° 22, fast. 6

Pi. 4 P.J.L. Masse, G. Termier & H. Termier

SPONGINE SQUELETTALE

de TETRASPONG~A

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