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Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

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Deuxième partie du quatrième numéro du magazine collaboratif sur les séries télévisées avec en couverture, l'actrice de Motive, Lauren Holly.

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Page 1: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)
Page 2: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

l’équipe et remerciementsRédacteurs : Corentin Pondaven, Maxime Devanne et Julien Lesbegueries.

Correcteurs : Aude Métayer, Jérôme Raffin, Lily Hoang et Mélanie Seree.

Traducteur : Mélanie Seree.

Merci à Prutha S. Patel et Lauren Holly pour l’interview et leur temps.

Après une première partie publiée au début du mois dernier, nous publions ce mois-ci la deuxième partie composée elle aussi de trois articles et d’une interview.

Nous espérons qu’elle vous plaira autant que la première et on se donne rendez-vous le mois prochain pour un numéro spécial « séries adaptées de comic books »

Bonne lecture à tous.

l’édito

Page 3: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

10 EntrEtiEn avEc LaurEn HoLLy DR. Betty RogeRs Dans la séRie motive

04 #SociaLtvséRies tv et Réseaux sociaux

19 décLaration univErSELLE Des DRoits Du séRiphile

14 SHErLockDu Détective à l’homme machine

sommaire

Page 4: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

La démocratisation des réseaux sociaux a transformé nos habitudes, notre façon de discuter, d’échanger et de se rencontrer, mais aussi notre manière de consommer les séries télévisées. Loin d’être seul, le téléspectateur peut désormais échanger avec d’autres fans, mais aussi influencer les scénaristes. Petit tour d’horizon de cette révolution télévisuelle.

paR corentin pondaven photo rick diamond

séRies tv et Réseaux sociaux#socialtv

d o s s i e r

Page 5: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

le téléspectateur au coeur du proGrammeLes médias sociaux permettent de donner

la parole à n’importe quel utilisateur

qui souhaite faire connaître son avis.

La télévision influence ces outils pour se

constituer un panel d’exception afin de

développer au mieux ses programmes.

Bien plus que de simples consomma-

teurs, les téléspectateurs deviennent

aujourd’hui des membres à part entière

de l’équipe scénaristique, puisqu’ils

peuvent, grâce à de simples tweets,

influencer l’avenir de leur série.

En effet, les réseaux sociaux permettent

aujourd’hui de constater en temps réel

le succès rencontré par une production.

Les chaînes peuvent donc décider au plus

vite de l’avenir du programme. Bien que

cela reste rare, certains scénaristes vont

jusqu’à se baser sur les attentes obser-

vées sur les plate-formes d’échanges, afin

d’offrir aux fans ce qu’ils souhaitent et

donc prolonger la durée de la série.

Ryan Murphy est coutumier de ce genre

d’action pour ses différentes créations.

Dès la fin de la saison 3 d’American Horror

Story, nombreux étaient les adeptes à

tweeter « #AHSCircus » afin de montrer

leur désir de voir le thème du cirque être

développé lors du quatrième chapitre de

cette série d’anthologie. Le résultat est

là : moins de deux mois après le début

du phénomène, Ryan Murphy annonce

sur son compte Twitter que la saison 4

sera consacrée à l’univers du cirque avec

l’appellation : American Horror Story :

FreakShow.

Outre American Horror Story, c’est

aussi dans la série Glee que Murphy a

répondu aux attentes des fans, en créant

le couple Brittany/Santana, ou encore

pour la dernière saison diffusée le mois

dernier sur la FOX, puisque le créateur

du show musical a déclaré en octobre

dernier : « Nous avons écouté ce que vou-

laient les fans. Ils vont avoir tout ce qu’ils

demandent depuis quatre ans ».

Dans l’Hexagone, c’est la série What

Ze Teuf, lancée en décembre 2013 sur

D8, qui a suivi ce mouvement en étant

la première « tweet-série » française. Le

concept est simple : le téléspectateur se

glisse dans la peau du scénariste. Grâce

à un tweet de 140 caractères contenant

le hashtag #WZT, il peut décider de la

direction du programme qui est alors

produit du jour pour le lendemain. Le

succès des quinze épisodes diffusés a

prouvé que l’intégration du téléspec-

tateur est aujourd’hui un facteur de

réussite à l’heure de la Social TV.

Mais toutes les séries n’utilisent

pas les réseaux sociaux comme source

d’information. Certaines s’adaptent à

notre époque, et utilisent ces médias

comme source d’inspiration.

L’une des premières à intégrer un

média social dans son scénario fût

« ceRtains scénaRistes vont jusqu’à SE baSEr Sur LES attEntES obSErvéES

suR les plate-foRmes D’échange »

5

Ryan murphy

Page 6: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

Grey’s Anatomy. Le 3 février 2011,

« Don’t Deceive Me (Please Don’t Go) »,

le treizième épisode de la saison 7 est

diffusé sur ABC. Une des intrigues de

l’épisode s’intéresse alors au personnage

du Dr Miranda Bailey qui décide d’uti-

liser ses internes pour tweeter durant

ses opérations, et ce afin de partager ses

connaissances avec de nombreux autres

chirurgiens à travers le monde.

Lancée en septembre 2014, Selfie a tenté

de livrer une critique de cette addiction

aux réseaux sociaux de manière

humoristique. Pendant treize épisodes,

la série met en scène Eliza Dooley, une

jeune fille superficielle et narcissique,

obsédée par son statut de célébrité sur

Instagram. La série n’a pas brillé par ses

audiences et a été annulée le 7 novembre

dernier, obligeant les fans à terminer la

série sur la plate-forme de visionnage

Hulu.

Enfin, la série de référence dans

l’utilisation des réseaux sociaux reste

la britannique Black Mirror. Celle-ci

se concentre sur les dégâts causés par

les nouvelles technologies dans un

futur qui nous apparaît très proche. À

travers les sept épisodes diffusés à ce

jour, la création de Charlie Brooker

met notamment en avant les dérives

créées par la collecte des données

personnelles via les réseaux sociaux,

mais aussi l’instantanéité et l’absence

de transparence. Loin de critiquer ces

nouveaux outils, Black Mirror s’interroge

surtout sur la mauvaise utilisation de

ceux-ci par l’espèce humaine. Une série

percutante qui donne à réfléchir sur nos

récentes habitudes dictées par Internet.

réseaux sociaux et stratéGies marketinG

Nous sommes bien loin de l’époque

où nous étions seuls devant la trilogie

du samedi sur M6, obligés d’attendre le

lundi pour en discuter avec nos amis.

Désormais, l’échange se fait avant,

pendant et après la diffusion des séries

télévisées. Ce phénomène, les équipes

marketing des différents programmes

l’ont bien compris, et n’hésitent pas à

s’appuyer sur ces différentes plate-

formes sociales procurant une meilleure

visibilité de l’engouement autour du

programme.

L’univers du show télévisé dépasse désor-

mais les frontières imposées par notre

écran de télévision. Bandes-annonces,

sneak-peeks, photos exclusives. Le

contenu proposé suscite l’intérêt et

s’intègre parfaitement dans le monde

réel, notamment grâce à la création de

faux-profils pour les protagonistes de

différentes séries. C’est notamment le cas

de la série Glee, diffusée sur la FOX, qui

avait créé une trentaine de profils pour

ses personnages lors de son lancement

en 2009.

Dernière action en date, Stalker, lancée

à la rentrée 2014 aux États-Unis, a

effectué sa promotion en Belgique via

le réseau professionnel LinkedIn. Un

faux-profil, contenant des informations

sur le programme et sa diffusion, a visité

D o s s i e R # s o c i a lt v

Grey’s Anatomy

rand

y h

olm

es /

abc

Page 7: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

plus de 12 000 comptes LinkedIn. Le site

permettant de voir les personnes ayant

consulté vos informations, ce sont plus

de 7 500 personnes qui ont alors visité

la page du fameux Stalker, offrant ainsi

une belle publicité au programme avant

son lancement.

Mais cette tendance à introduire

des personnages dans notre quotidien

semble avoir fait son temps. C’est main-

tenant avec les interprètes eux-mêmes

que les téléspectateurs interagissent.

Le phénomène de « live-tweet » avec les

acteurs s’est installé dans les habitudes,

devenant une véritable stratégie de la

part des chaînes. Les acteurs étant des

influenceurs directs, ils sont les plus

à même de fédérer autour de la série

diffusée. Il est désormais coutume de voir

les acteurs organiser une soirée entre eux

où ils se retrouvent pour tweeter avec les

fans et partager des photos de l’équipe

de tournage via Instagram. C’est le cas,

par exemple, des équipes de Scandal,

Nashville, Bones ou de Chicago Fire.

Cette notion de « live-tweet » correspond

à ce que l’on appelle aujourd’hui

« Together Alone », soit être seul face à

son écran de télévision, mais connecté à

des milliers de personnes via les réseaux

sociaux. De véritables communautés se

sont créées. En parlant d’une série, le

téléspectateur affirme son appartenance

à cette communauté dont les codes sont

très précis : inutile de se prétendre

Gladiator si l’on ne sait pas ce qu’est

Olitz ! Afin de favoriser les échanges,

les chaînes n’hésitent plus désormais à

faire apparaître un hashtag directement

sur l’écran de télévision lors de moments

clés du show, et ce, afin de faciliter la

conversation sur les médias sociaux.

Steven Schirra, Huan Sun et Frank

Bentley, trois étudiants à l’université

MIT, ont d’ailleurs réalisé une recherche

sur ce phénomène de live-tweeting en

janvier 2013, lors de la diffusion de la

troisième saison de la série Downton

Abbey aux États-Unis. Attention, le pro-

chain paragraphe contient des spoilers

sur la saison 3 de Downton Abbey.

Le graphique ci-dessous montre claire-

ment que les moments les plus chargés en

émotion sont favorables à la publication

de tweets. Les personnes interrogées

lors de cette étude ont d’ailleurs déclaré

que la tristesse et le deuil étaient les

deux émotions transmises par la série

qui les poussaient le plus à tweeter.

« La mort de Sybil était sans doute le

moment où l’envie de tweeter était la

plus forte, car ce décès est si soudain et

inattendu, que le besoin d’interaction

avec les autres personnes est important

afin de connaître leur ressenti. »

L’humour est également source de tweets

d’après les sujets de cette étude. Selon

eux, les dramas sont aujourd’hui très

nombreux, et une touche d’humour

permet ainsi de sortir de cette ambiance

sombre à laquelle la série a habitué ses

téléspectateurs. Il est d’ailleurs également

monnaie courante pour ces utilisateurs

de retweeter des comptes parodiques,

afin de dédramatiser certains passages

de la série.

D’un point de vue commercial, ces

pratiques sont devenues une vraie mine

d’or. Les chaînes peuvent désormais

compter sur Twitter comme indicateur

d’audiences. Les séries suscitant le plus

de conversations en ligne sont ainsi

souvent assurées d’être reconduites.

L’Institut Nielsen a d’ailleurs dévoilé les

dix programmes les plus tweetés durant

la saison 2013/2014 aux États-Unis.

Un résultat qui montre les séries les

7

« cette notion De ‘live-tweet’ coRResponD à ce que l’on appelle aujouRD’hui ‘togetheR alone’,

soit êtrE SEuL facE à Son écran dE téLéviSion, mais connEcté à dES miLLiErS dE pErSonnES »

Page 8: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

plus populaires. Cette méthode se

démocratise également en France,

puisque Médiamétrie vient d’intégrer

l’outil de mesure pour la Social TV

depuis le 28 janvier dernier.

Enfin, grâce aux outils statistiques

mis en place, les équipes sont désormais

capables de connaître au mieux les

téléspectateurs et leurs habitudes.

Twitter est d’ailleurs le meilleur

exemple ! Véritable miroir culturel, la

plate-forme de microblogging en dit

beaucoup plus sur vous que vous ne

pensez communiquer en 140 carac-

tères. Loin d’être passif, en commen-

tant la série, l’utilisateur émet un avis,

partage son opinion, ses goûts. Donc

par extension, se dévoile. Ces informa-

tions implicites permettent aux chaînes

d’offrir une meilleure visibilité aux

annonceurs afin de cibler au mieux

les téléspectateurs lors de messages

publicitaires.

#tGit : analyse d’un succèsTGIT, littéralement « Dieu merci, c’est

jeudi », présente déjà cette ShondaNight,

comme une soirée à ne pas manquer.

L’agence LUISSER, chargée de la cam-

pagne de communication autour du

#TGIT, n’a qu’un seul but : inviter les

téléspectateurs à regarder leurs séries

en direct afin de se sentir inclus dans

cet évènement.

L’été 2014 a donc été une période clé

pour ABC afin de promouvoir cette soi-

rée. La première étape a été d’élever

Shonda Rhimes au rang de déesse de la

télévision. Grâce à une série de vidéos

rappelant les meilleurs moments de

Grey’s Anatomy et Scandal, la chaîne

a ainsi créé une sensation de manque

dans l’esprit des téléspectateurs en

rappelant l’attachement aux produc-

tions de Shonda. En profitant de cette

addiction, How To Get Away with Murder

a été présentée comme la prochaine

« obsession télévisuelle ». Le message est

simple : vous avez aimé Grey’s Anatomy

et Scandal ? Vous allez aimer How To

Get Away with Murder. Bien que Shonda

Rhimes soit seulement la productrice de

cette nouveauté, la chaîne n’hésite pas à

utiliser le succès des séries portées par

Ellen Pompeo et Kerry Washington afin

de s’assurer une communauté de fidèles

pour son nouveau drama.

Les semaines passent, et le jour J

approche. Le samedi 20 septembre 2014,

les acteurs des trois séries estampillées

ShondaLand sont réunis au Palihouse

à West Hollywood. Le hashtag #TGIT

est partout : des murs aux ballons, en

passant par les coussins. Durant cette

soirée, les acteurs se prêtent au jeu

des selfies et des photocalls qui sont

immédiatement partagés sur Twitter,

Instagram, Facebook...

D o s s i e R # s o c i a lt v

l e s 1 0 D e s s é R i e sl e s p lu s t w e e t é e s a u x u s a

2chaîne : amcaudience unique : 5 168 000tweets : 576 000

t h e w a l k i n g D e a D

1chaîne : amcaudience unique : 6 026 000 tweets : 521 000

B R e a k i n g B a D

3chaîne : aBc familyaudience unique : 4 778 000 tweets : 675 000

p R e t t y l i t t l e l i a R s

4chaîne : aBcaudience unique : 3 620 000 tweets : 196 000

t h e B a c h e lo R

5chaîne : hBoaudience unique : 3 507 000 tweets : 153 000

g a m e o f t h R o n e s

6 teen wolf 7 ameRican hoRRoR stoRy: coven 8 scanDal 9 the voice 10 Dancing with the staRs

8

Page 9: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

9

Inutile de chercher plus loin, cette

année, le jeudi soir se passera devant

ABC et sur votre smartphone.

Afin de terminer en beauté l’introduction

de la série portée par Viola Davis, les

acteurs vont tous se mélanger lors des

photos, peu importe leur série d’origine.

En bref, les trois

séries sont indisso-

ciables ! Il n’est pas

question d’en laisser

une de côté, elles se

regardent ensemble.

Le 25 septembre,

tous les acteurs sont accrochés à leurs

smartphones, ventant les mérites de

leurs séries, mais aussi ceux des deux

autres ! La conversation se crée avec

les fans, et #TGIT est dans les Trending

Topics dès le matin (Dix sujets les plus

discutés sur Twitter). Cette opération est

une réussite et les chiffres le prouvent

dès le lendemain : près de dix millions

de téléspectateurs pour le début de la

onzième saison de Grey’s Anatomy,

près de douze millions pour le lance-

ment de la quatrième saison de Scandal.

How To Get Away with Murder dépasse

alors toutes les attentes avec quatorze

millions de téléspectateurs pour son

pilot !

Le #TGIT est un succès, et celui-ci ne

se dément pas pendant la pause hiver-

nale, puisque l’agence LUISSIER met

en place le #TGITWithdrawal (Sevrage)

où les fans sont invités à partager leurs

scènes préférées lors

des soirées #TGIT.

Puis, le #TGITisBack

est lancé lors du

retour des trois séries,

le 29 janvier dernier.

Entre temps, les

fans découvrent chaque semaine des

contenus exclusifs sur Facebook, Twitter,

Instagram ou même Snapchat ! La série

Scandal y propose chaque semaine un

aperçu de l’épisode à venir, avec des

indices placés sous forme d’Emojis. Des

concours sont également lancés afin

de gagner des kits de survie au #TGIT :

popcorn, musique, livre, verres à vin...

(Le vin étant la boisson préférée des

pensionnaires de ShondaLand).

En bref, la stratégie #TGIT a été

grandement travaillée, et le résultat est

là. Le jeudi soir est devenue une soirée

incontournable pour ABC.

Les médias sociaux ont donc

révolutionné l’univers sériel, tant pour

les équipes créatives, que pour les chaînes

de diffusion ou le consommateur. Les

séries se consomment désormais bien

plus qu’au travers de l’écran de télévi-

sion, elles se partagent et font naître un

véritable lien social. Il n’y a donc plus

aucun doute, l’avènement de la Social

TV est bien en marche.

l’a u t e u R

J’ai grandi devant La trilogie du samedi

et cette passion pour le genre sériel

n’a fait que croître depuis toutes ces

années. Je teste tous les pilotes pour

être sûr de ne rien rater, et je choisis de

façon à regarder uniquement ce qu’il

me plaît. Aujourd’hui âgé de 21 ans, en

dernière année de master e-marketing,

je m’intéresse aux facteurs de succès

de ces différentes séries d’un point de

vue économique comme sociologique,

tout en me goinfrant de M&Ms devant

les-dites séries. Sinon je suis aussi sur

Twitter où je raconte ma vie entre deux

ou trois épisodes.

« la stRatégie #tgit a été gRanDement

tRavaillé, et le réSuLtat ESt Là »

Page 10: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

aBc motive’s DR. Betty RogeRslauren holly

e n t r e t i e n

paR prutha s. patel photo max abadian

Page 11: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

11

Lauren Holly, qui incarne le docteur Betty Rogers dans la

série Motive, nous parle de son travail avec Mark Harmon, de

sa ligne de vêtements en partenariat avec Le Château, dans

quelle comédie elle aimerait jouer et à quoi il faut s’attendre

dans la troisième saison de Motive, actuellement diffusée sur

la chaîne canadienne CTV.

Qu’avez-vous préféré lors de votre passage dans NCIS ?

C’était une très bonne expérience. Encore plus, sachant que

c’était mon premier rôle, suite à ma grossesse.

Vous avez travaillé avec Mark Harmon sur Chicago Hope

et NCIS. Si vous deviez retravailler avec lui, quel genre de

séries vous plairait ?

Une comédie, ce serait marrant. Du genre Les Trois Stooges.

Une série dans laquelle je pourrais lui taper sur la tête ou

pincer son nez.

Vous avez déjà tourné dans des comédies. Si vous deviez

avoir un rôle dans une des comédies du moment, laquelle

choisiriez-vous ? Et pourquoi ?

En ce moment, j’adore Brooklyn Nine-Nine. Ça me rappelle

The Mary Tyler Moore Show, avec ce groupe équilibré de

personnages uniques, avec de vraies situations comiques.

Vous jouez actuellement dans Motive sur ABC, qu’est-ce qui

vous enchante le plus, au niveau du rôle, de la distribution

et de la série en elle-même ?

J’adore comment Motive a réinventé le genre, en révélant

l’assassin dès le départ. Aucun personnage n’est hors du

commun, donc on peut s’identifier à eux. Jouer le Dr Betty

est un réel plaisir, entre l’intelligence et l’impertinence.

Cela a dû être compliqué de retenir tous les termes

médicaux.

Oui, il y a beaucoup de termes compliqués. Mais les noms des

commandants et bateaux dans NCIS m’ont bien entrainée.

Qu’est-ce que les fans doivent attendre de la saison 3 ?

À mon sens, c’est notre meilleure saison. Les téléspectateurs

vont en apprendre plus sur chacun des personnages.

Que pensez-vous de l’évolution de votre personnage ? Vous

pouvez nous parler de ce qui va lui arriver ?

Il va se passer plein de choses pour le Dr B en saison 3. Un

évènement, au travail, va se répercuter sur sa vie privée.

Plusieurs personnes de l’équipe seront impliquées.

ABC Motive’s Dr Betty Rogers, LAUREN HOLLY, talks working

with Mark Harmon, her fashion line with Le Château, what

comedy series she would love to be on and a bit of what fans

should expect in Motive’s third season currently airing on CTV.

What is one of your favorite things about working on a

show like NCIS?

It was a great gig, especially since it was my first series after

becoming a Mom.

You have worked with Mark Harmon on both Chicago Hope

and NCIS. If you had the choice to work with him again,

what kind of TV show would it be?

A comedy would be fun. Like The Three Stooges. Something

where I could bop him on the head or tweak his nose.

You already have a background in the comedy realm as

well. If you could be on any comedy current on air, which

would it be? Why that one?

I’m currently loving Brooklyn Nine-Nine. It reminds me of The

Mary Tyler Moore Show’s group of unique and well-rounded

characters. A true ‘situation’ comedy.

You are currently on ABC’s Motive, what are some of your

favorite things about this role, the cast and the show

overall?

I love how Motive turned it’s genre inside out- revealing the

killer from the start. Our cast is different, none of us are

‘shiny’ people- we are relatable. Playing Dr. Betty is a pleasure-

I really enjoy the combo of smart and sassy.

Has it been difficult at all to get the medical terminology

down?

I have certainly had a mouthful! The Ship and commander

names I had to learn for NCIS MTAC scenes probably got me

ready.

What can you tell us about season three?

This is our best season yet, in my opinion. The audience is

going to learn a lot more about each of us.

What do you think about the evolution of your character?

Any news or hopes for what’s coming up for her as well?

A lot goes on for Dr. B in season 3. Something happens at work

that reverberates in her personal life. More than one of the

team is involved...

Page 12: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

Vous avez récemment collaboré avec Le Château pour

développer une collection personnelle, comment était

cette expérience ?

C’était génial. J’adore ces vêtements et je suis très fière de

cette collection.

La mode vous a toujours intéressée ?

Être une personnalité publique implique

de rester à la mode. Les deux sont

souvent liés. Au fil du temps, j’ai appris

ce qu’une femme, mère, bien occupée

et en déplacement a besoin dans ses

placards. Lauren’s Closet est fait pour

ces femmes.

Y a-t-il un autre projet, au niveau de

la mode, qui vous intéresserait ?

Je suis suffisamment occupée pour

l’instant ! Nous allons bientôt sortir la

collection printemps. Vous la retrouve-

rez sur LeChateau.com.

Pouvez-vous nous en dire plus sur

After the Ball, le film dans lequel vous

jouez ?

C’est un conte de fées dans le milieu de

la mode. J’incarne la vilaine belle-mère qui est la reine. Chris

Noth joue le rôle de mon mari et Portia Doubleday a le rôle

principal. C’est drôle et frivole, un vrai plaisir.

Une dernière chose à dire à nos lecteurs ?

Merci de regarder !

You recently collaborated with Le Chateau for a personal

collection, what was that like?

I did. It has been thrilling. I love the clothes and I am so proud

of the collection.

Is fashion something that you’ve

always been interested in?

Being in the entertainment Industry

demands that you keep up with

fashion. The two frequently go hand

in hand. I think I’ve learned what

a woman/mother/busy/on-the-go

person could use in her closet. That’s

what Lauren’s Closet is all about.

What is another fashion related

project you would like to be

involved in?

Oh, I think this is enough to keep me

busy for now! We are in the process

of releasing the Spring line. Check

it out on LeChateau.com.

Can you tell me a bit more about

your recent movie After the Ball?

A Fairy Tale set in the world of

fashion. I am the evil step-mother/ Queen. Chris Noth is my

husband and Portia Doubleday is our lead. Fun and frothy,

it was a delight.

Any other things you’d like to tell the readers?

Thanks for watching!

12

t h e i n t e R v i e w e R

Prutha S. Patel is an avid fan of many things and has grown up

being told by her mother that she simply watches too many films

and TV shows. Instead of listening to her mother, she decided

to delve even further by moving to the west coast from the east

coast to study at Southwestern Law School in Los Angeles. Pru-

tha aspires to become an entertainment attorney and hopes to

learn as much as she can about the vast realm of entertainment

from the amazing people she happens to meet along the way.

Fortunately for her, her parents not only don’t mind her being

a fan of so many things now, but they are also fully supportive

of her aspirations.

l’ i n t e R v i e w e u s e

Prutha S. Patel est une fervente adepte de beaucoup de choses

et a grandi en entendant sa mère lui répéter sans arrêt qu’elle

regardait tout simplement trop de films et de séries télévisées.

Mais au lieu d’écouter sa mère, elle a décidé de plonger encore

plus dans cet univers en déménageant sur le côte ouest des États-

Unis pour étudier le droit à Los Angeles. Prutha aspire à deve-

nir une avocate spécialisée dans le divertissement, et espère

apprendre autant qu’elle le peut de ce vaste de domaine des

personnes incroyables qu’elle rencontre et rencontrera tout au

long de ses études. Heureusement pour elle, cela ne dérange

plus ses parents qu’elle soit autant passionnée par ce milieu là,

et ils la soutiennent quelque soit ces décisions.

Page 13: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

More TVtu souhaites participerau prochain numéro ?

envoie ton idée d’article à

[email protected]

Page 14: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

Du Détective à l’homme machinesherlock

a n a Ly s e

Page 15: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

du canon littéraire de Conan doyle à l’adaptation la (presque) plus contemporaine d’aujourd’hui de steven Moffat, du Londres victorien à celui des années numériques, sherlock Holmes a voyagé et s’est transformé. on l’a adapté, fait évoluer pour coller au plus près de notre époque et c’est la métamorphose d’un personnage qui s’effectue sans en bouleverser les fondamentaux. Cette époque numérique, c’est forcer le personnage - et donc les scénaristes - à tout repenser, à réinventer un monde, un mode d’enquête dans un espace qui donne une large place au numérique et au cyberespace

paR maxime devanne photo sherlock, BBc

C’est bien ce qui est en jeu dans

Sherlock : un détective en proie avec

le réseau. Ce réseau, c’est celui de

l’information, de la communication et

de ce que cela implique sur nos vies et

notre cerveau aujourd’hui, à l’heure de

l’informatique. L’intelligence de Moffat

et son équipe aura donc été de faire

des aventures de Sherlock Holmes, une

fiction transmédiatique où le « héros »

remet en question les règles de narration

à la fois littéraire et télévisuelle.

« Sherlock Holmes, the immortal

character of fiction created by Sir Arthur

Conan Doyle, is ageless, invincible and

unchanging. In solving significant pro-

blems of the present day he remains - as

ever - the supreme master of deductive

reasoning ».

Une mutation narrative s’opère dans

le processus d’adaptation entrepris

par l’équipe créatrice de Sherlock : il

faut repenser l’univers policier et ses

codes. Ne pas reproduire un schéma

prévisible, balisé depuis des années

par le roman policier - dont Conan

Doyle a participé à l’édifice et à sa

prolifération - et continué par l’image.

Quand vint l’idée de ressusciter, pour

une énième fois, le personnage de

Sherlock Holmes et les caractéristiques

ainsi que l’environnement particulier

qui l’accompagne, Moffat a dû se dire

qu’une simple adaptation en costumes

d’époque et mystères résolus par la force

de l’indice et de l’intellect n’était pas

envisageable. Il faut désosser le détective

et l’oeuvre pour en revenir à la moelle

et lui trouver une résonance autrement

plus contemporaine.

D’abord, une structure similaire. La

forme première de l’oeuvre de Conan

Doyle, c’est la nouvelle. Il développe ainsi

un feuilleton que le lecteur peut prendre

en cours ou suivre dès le début. C’est,

à un média près, l’ancêtre de la série

télévisée qui est désormais le format

le plus complet et logique où Steven

Moffat peut transposer son récit avec

un univers et des codes qu’il s’agirait de

(dé) ménager. La narration ne s’en trouve

pas modifiée dans son ADN, même si cela

actualise certains de ses éléments comme

le cliffangher incontournable et le plus

célèbre : la mort de Sherlock Holmes

et de son ennemi juré, Moriarty. Il ne

s’agirait plus de garder la grandiloquence

des chutes du Reichenbach (endroit où,

au terme d’un combat à mains nues, les

deux hommes tombent dans le vide),

mais de lui donner une contemporanéité

et une saveur nouvelle. Les scénaristes

jouent d’ailleurs souvent de ce travail

de transposition et de narration par un

jeu humoristique de références : dans

le pilote intitulé « A Study In Pink », une

conversation prend place entre Sherlock

et Lestrade suite à la découverte d’une

femme morte dans un tailleur rose :

Sherlock - « You’ve made a mistake »

Lestrade - « What mistake ? »

Sherlock - « Pink ! »

Il faut y voir ici un clin d’oeil au lecteur,

une subtile référence de Gatiss et Moffat

à l’oeuvre canonique : la première

nouvelle mettant en scène le détective

s’intitule A Study In Scarlet. Ainsi, les

showrunners nous font comprendre

que le travail d’adaptation ne sera pas

fidèle à la virgule près, mais que l’oeuvre

originale n’est en aucun cas perdue de

vue et que la référence plutôt que la plate

transposition sera leur amie.

15

Page 16: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

Le plus grand écart sera de développer

un personnage en totale adéquation avec

son contexte temporel, sociologique et

surtout technologique. Disparaissent les

livres théoriques, techniques policières

d’époque, pipe, chapeau et missives

délivrées, apparaissent les smartphones,

ordinateurs, GPS et autres outils de l’ère

numérique. Si c’est présent pour signifier

un contexte différent, il ne faut pas en

voir là la limite. Ce nouvel état des choses

force le personnage et la narration à faire

preuve d’une inventivité pour ne pas

rendre les méthodes - et donc aventures

- du détective obsolètes. Moffat et Gatiss

font ainsi le pari de dynamiter une

narration établie et de lui donner une

nouvelle dimension, celle de la virtualité.

Tout comme les méthodes policières

évoluent, le détective doit utiliser des

moyens de plus en plus performants.

Et, au 21ème siècle, quel autre moyen

qu’Internet ? Présent constamment

à l’écran comme dans le récit en lui-

même, Internet révolutionne la collecte

d’indices, leur mise en relation et

l’exposition finale. Le réseau mondial

devient constitutif à la fois d’un monde en

constant changement, mais aussi d’une

narration qui se tisse autour de cela.

Sherlock plus que quiconque absorbe

cette idée : dans le premier épisode, face

au corps mort en face de lui, il utilise son

smartphone pour enlever un doute qu’il

a sur la provenance de la victime grâce

aux prévisions météo. La technologie

devient un ressort et un enjeu narratif

à part entière. Ces entités numériques -

dont la recherche Internet et le texto en

sont les plus représentatifs - sont l’objet

d’incrustations à l’écran, leur donnant

ainsi une valeur à la fois informative

pour le téléspectateur dans l’instant, mais

surtout narrative puisque - même si cela

échappe à la plupart des personnages

- ils permettent de faire avancer la

réflexion de Sherlock, et donc, le récit.

Ce surgissement à l’écran, c’est surtout

l’oeil qui se confond : notre perception

de la fiction qui rejoint la perception

de l’élément fictionnel. Quand un texto

apparaît à l’écran, la simultanéité de sa

lecture par le personnage qui le reçoit

se joint à la nôtre, de même lorsqu’un

message est rédigée par un personnage

ou que celui-ci manipule différentes

applications. L’image se dédouble entre

fiction et perception et devient le résultat

simultané de ce qui se passe dans la

fiction.

Mais cette histoire de perception - même

si elle repousse ou plutôt réinterroge

les limites entre fiction et réalité - est

primordiale pour notre appréhension

d’un nouveau Sherlock.

Réécrire Sherlock Holmes, si c’est

pour lui faire changer de sexualité

ou d’appartement n’a d’intérêt que

pour se démarquer simplement d’une

adaptation. Or, ce retour du détective

en 2010 va plus loin que cela. Il reprend,

par exemple, la méthode déductive qui

fait sa réputation de fin limier pour la

transformer profondément et, ainsi,

métamorphoser le personnage.

Cette méthode déductive est basée

sur un savoir solide et complet dans

un champ de connaissances vaste et

impressionnant. Puisant constamment

dans ce savoir apporté par les livres

et une curiosité profonde pour divers

domaines, il actionne ce socle par la

déduction, arme imparable - ou presque -

pour enquêter et démasquer le coupable.

De la recherche d’indices à sa compréhen-

sion, puis sa confrontation avec la réalité

des choses, cette méthode observatrice

lui permet une rapidité de réflexion

impressionnante. La série télévisée se

charge d’optimiser cette rapidité à une

époque où l’information circule aussi

vite que la vitesse de la lumière.

« Is it Iraq or Afghanistan ? »

(Sherlock à Watson lors de leur pre-

mière rencontre).

Si la question surprend a posteriori

par sa précision et son caractère

incongru, il en est autre chose à l’écran

: des indices sur le comportement et les

manières de Watson nous apparaissent,

faisant ainsi défiler devant nos yeux, le

cheminement de pensée que Sherlock

entreprend. L’association d’idées s’ef-

fectue, permettant à Sherlock et à nous

dans un même mouvement, de déduire

qu’une canne et un boitement léger pour

un homme de l’âge de John Watson n’est

pas habituel et qu’il a dû souffrir d’un

a n a ly s e s h e R lo c k

16

Benedict cumberbatch

sher

lock

/ bb

c

Page 17: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

traumatisme dans un contexte actuel

où le plus probable devient la guerre.

Là où le roman ne nous fait pas accé-

der à ce processus de réflexion, la série

choisit de nous le montrer tel quel. Là

où le mystère est gardé, la série télévisée

propose une exposition en « temps réel

» des méthodes de Sherlock. En quelque

sorte, Sherlock nous propose d’entrer

dans la tête de Sherlock et non plus de

le considérer comme un personnage

somme toute banal. L’incrustation

suggère une entrée dans le cerveau du

détective qui se présente comme un

écran d’ordinateur à l’affichage calibrée

et ordonnée. L’indice à l’écran accom-

pagne systématiquement un zoom de

caméra qui nous signifie le regard de

Sherlock, nous place dans son oeil,

dans son cerveau. Steven Moffat pousse

ainsi la réactualisation de la méthode

d’enquête du détective à son paroxysme,

à l’image d’une logique informatique

: chaque indice et chaque pensée se

trouvent liés à une idée soutenue par

une incrustation conjointe des technolo-

gies numériques et des pensées à l’écran.

Il y a alors une mise en exergue de la

rigueur professionnelle du personnage et

donc d’une rationalisation extrême, vidée

de sentiment - prolongeant la supposée

sociopathie et asexualité du personnage.

Sherlock - et par extension le lecteur -

entre ainsi de plein pied dans le monde

informatique, le temps de la connectivité

et de la connexion, niant ainsi une partie

de l’humanité que le détective pouvait

conserver dans l’oeuvre littéraire.

Il ne s’agit pourtant pas de réécrire

entièrement le personnage, mais de le

faire évoluer en analogie avec le monde

qui l’entoure. Même si avancer qu’il

devient un ordinateur peut paraître

un peu forcé, une comparaison claire

entre l’homme et la machine apparaît.

L’homme, que ce soit avec un smartphone,

un ordinateur ou même dans un taxi pour

trouver un chemin, semble constamment

connecté. Son cerveau se construit en

réseau (de connaissances, prolongés par

l’incroyable abondance d’informations

sur le net) et lui ouvre les portes d’un

espace de savoir presque infini, lui

conférant les mêmes « pouvoirs » qu’un

robot. Les incrustations nous suggèrent

alors parfaitement cette création d’une

mémoire interactive, numérique où

Sherlock tisse une toile d’araignée où

l’enquête se mue en « mind map », où

ses pensées se joignent à l’utilisation des

outils technologiques à sa disposition. On

a un Sherlock upgradé.

Lorsqu’il a pensé son personnage,

Sir Arthur Conan Doyle a imaginé un

détective pourvu d’une grande intelli-

gence, certes, mais surtout un homme

au comportement psychologique

déviant, arrogant, asexué, aux limites

de la sociopathie. Il est convaincu de

sa supériorité intellectuelle et n’hésite

pas à le faire savoir à des hommes

qu’il considère comme des êtres

intellectuellement inférieurs. D’une

certaine façon, il méprise l’humain

dans son ensemble, à quelques excep-

tions près - Moriarty, Irene Adler et John

Watson, bien qu’il garde une réserve sur

l’intelligence de ce dernier. Concernant

la femme, alors que le canon littéraire

laisse planer le doute sur sa sexualité

- homosexuel, asexuel ou tout simple-

ment misogyne, Sherlock y répond de

manière plus frontale : il n’a aucun attrait

pour la relation intime sauf si elle sert

ses propres objectifs. Face à la non-rela-

tion et le rejet qu’il entretient avec Molly

Hooper, la médecin légiste, force est de

constater que les sentiments envers ses

comparses sont plus que limités. De ce

fait, la série construit un personnage qui

a évacué tout affect, provoquant une

lente déshumanisation du personnage.

Condescendance, arrogance, tout est mis

en oeuvre pour faire de l’enquêteur, un

homme froid, n’ayant aucune compassion

pour les victimes de ses enquêtes. Seul

le jeu de Cluedo qui se déroule épisode

après épisode le stimule, la réalisation de

l’énigme étant son climax. Pragmatisme,

rigueur informationnel (et désormais

informatique) ont remplacé toute carac-

téristique humaine avec la mise en

avant de ses capacités cognitives comme

analogie du monde numérique. Elles

ont évolué avec l’époque, exacerbant la

connexion de l’homme à l’ordinateur

pour le métamorphoser en autre chose

de moins humain, plus machine. L’affect

qui fera aimer les personnages et la série

ne sera plus porté par le personnage

principal, mais par son acolyte, Watson.

Dans un article consacré à l’adaptation

en série télévisée, Jean-Pierre Naugrette

pose la question : « Comment être

Sherlock dans une société informatisée

? », Moffat lui « retire » sa dimension

humaine - bien que celle-ci pointe par

moments dans sa relation avec Watson -

le faisant accéder, que ce soit par l’image

et ses incrustations, mais aussi par son

comportement, à un statut d’entité supé-

rieure qui peut maîtriser n’importe

quelle information, seulement obnubilé

par la dimension performative de son

cerveau et les moyens technologiques et

virtuels à sa disposition pour cela.

Agissant comme par écho et répercussion

à son personnage principal, Steven

Moffat étend sa déshumanisation à

l’ensemble. C’est d’autant plus flagrant

par le traitement de la mort dans la

série : la caméra ne s’attarde jamais

17

« conan Doyle a imaginé un homme aucompoRtement psychologique déviant, aSExué, aux LimitES dE La SociopatHiE »

Page 18: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

sur la victime, sur son visage, seule-

ment sur les parties qui vont aider

Sherlock dans sa recherche d’indices. Un

parti-pris filmique qui finit d’asseoir une

suppression d’identification à l’humain,

à l’objet de l’enquête et qui nous plonge

directement dans son processus, ce qui

intéresse Sherlock. La victime n’est que

le déclencheur, l’outil de travail du jeu

auquel Sherlock va se prêter. À l’inverse

de nombreuses séries policières jouant

sur le rapport à la famille et le rôle de

l’humain dans le crime (CSI, Criminal

Minds, Law and Order), Sherlock n’accorde

à son téléspectateur et à ses person-

nages aucune place pour la compassion

et le rapport humain. On assiste à une

déshumanisation de la victime, du lien

qui peut se créer avec pour mettre

en exergue la déshumanisation de

l’enquêteur. Il ne ressent plus, il pense,

sans qu’aucun sentiment n’entre dans

l’équation. « You’re a dead man walking

» lui assène le chauffeur de taxi, tueur,

lors du premier épisode.

Un bouleversement, un basculement

de l’éthique et de la morale s’opère alors

chez les personnages : la vengeance n’est

pas en ligne de mire, l’arrestation non

plus. On évacue la justice du processus

de l’enquête, c’est cette dernière qui est

le but. Sherlock n’est pas intéressé par

la capture du chauffeur de taxi dans « A

Study In Pink » mais par les raisons qui le

poussent à agir ainsi, comme en témoigne

le face-à-face final. « You’re not the only

one who does enjoy a good murder » lui

dit le meurtrier. Mais ce qu’il souligne en

réalité, c’est que le détective a dépassé

le simple statut de justicier, la dualité

détective/meurtrier pour entrer dans

celle du joueur sans pathos. Alors que

la morale aurait voulu que le tueur

soit emprisonné et que l’éthique aurait

poussé les protagonistes à le laisser vivre

pour qu’il soit traduit en justice, il est tué

d’une balle dans la tête par Watson. Et

là où l’homme aurait pu éprouver des

regrets, il a cet échange avec Sherlock

Holmes :

S. : « You just killed a man »

W. : « It’s true but he wasn’t a very nice

man »

Là encore, par extension, aucune

compassion, aucune culpabilité. À la

manière de et pour un homme qu’il

connaît à peine, Watson semble entamer

un processus de déshumanisation, une

évacuation du pathos par un détachement

d’une réalité où, en tant que docteur pour

l’un et « représentant » de la justice pour

l’autre, devait se côtoyer des valeurs

humaines. Il n’en est rien et seul la pos-

sibilité du jeu subsiste.

18

l’a u t e u R

Sérivore en désintox et sériephile

perpétuellement débutant, j’ai écrit un

mémoire sur l’adaptation télévisuelle

du mythe de Sherlock Holmes et ses

effets de déplacements dans le monde

numérique d’aujourd’hui. Je voue un

culte polythéiste à Six Feet Under,

The Good Wife, Friends, Parks and

Recreation et Buffy.

sher

lock

/ bb

c

Page 19: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

Quand on est sériephile, pur et dur, on fait parfois peur et on doit souvent se justifier. il est donc temps de déclarer les droits universels du sériephile, histoire de sanctifier des comportements qu’on n’a pas à justifier. Ces éléments s’apparentent à des névroses, mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre (oui, citons la Bible pour plus de solennité).

paR Julien lesbeGueries photo itv / kudos

Des DRoits Du séRiephiledéclaration universelle

d o s s i e r

Page 20: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

le droit de considérer des personnaGes comme ses amis

Regarder une série, c’est laisser les personnages entrer

dans nos vies. On commence à connaître leurs mimiques

par coeur et à anticiper leurs faits et gestes. Du coup,

une grande majorité d’entre eux deviennent comme des

amis, des visages que l’on voit régulièrement, même plus

souvent que les amis de la vie de tous les jours. C’est le

même phénomène qu’à la radio, les premières voix que l’on

entend au réveil sont celles des animateurs et non celles de

nos amis ou de notre famille. Mieux encore, ces personnages

interviennent à un moment stratégique de la journée, les

instants où l’on souhaite rester seul et passif. Ils sont là

pour nous réconforter après une dure journée de travail

ou nous accompagner lors d’une matinée de paresse avec

un plaid, un jogging et un pot de Nutella. Ce sont des amis

fidèles, toujours là pour nous. Nous partageons les mêmes

sentiments qu’eux : on rit et on pleure ensemble. Certains

créateurs prennent alors un malin plaisir à nous faire souf-

frir avec des disparitions plus que soudaines. Une pensée

pour Game of Thrones, Steven Moffat ou Downton Abbey.

Mais il ne faut pas oublier qu’ils restent des personnages

fictifs, on n’est pas complètement fous non plus.

20

1 le droit de pouvoir reGarder plus de cinq épisodes par Jour

Et par extension, le droit de regarder des saisons, voire

la totalité d’une série. Pour aller plus loin, on peut même

arrêter de compter le nombre de séries que l’on suit grâce

à BetaSeries. Quand on tombe amoureux d’un programme,

qu’est-ce qui nous empêche d’enchaîner les épisodes si

l’intrigue ou les personnages nous captivent ? C’est justement

là l’intérêt, pouvoir faire du binge-watching ! Mais ce droit

peut également consister à suivre une vingtaine de séries

silmutanément et d’avoir chaque jour entre deux et huit

nouveaux épisodes. Cela nous pousse à passer plusieurs

heures, par jour et par semaine, à regarder des séries. Mais

comme le dit si bien le dicton : quand on aime, on ne compte

pas.

D’après un article de Konbini, le binge-watching serait un

syndrome de la dépression. C’est vrai, regarder trop de

séries peut être interprété comme un moyen d’échapper

à la réalité, mais il ne faut pas pour autant se perdre dans

les méandres de la fiction jusqu’à en oublier de vivre. Il est

très facile de vivre sa vie par procuration devant son poste

de télévision, cependant n’oublions pas qu’il faut nourrir

les moineaux et les pigeons.

2

Page 21: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

le droit de connaître tous les second rôles

Quand on passe beaucoup de temps

devant son écran, on reconnaît souvent

les acteurs secondaires qui apparaissent

dans plusieurs séries. Ils enchaînent les

apparitions et gâchent des épisodes,

car l’envie soudaine d’aller consulter

leur filmographie est trop prenante et

nous déconcentre pendant quelques

instants. Le petit jeu peut consister à

trouver où on les a déjà vus, sans se

servir d’Internet, ce qui peut rendre fou.

Mais soyons honnêtes, ces apparitions

peuvent avoir de bons côtés, s’il s’agit

d’un acteur qu’on apprécie. Comme

Brun Gorman présent dans Torchwood,

puis dans Game of Thrones, ensuite dans

The Dark Knight Rises, et enfin dans

Forever. Il existe des acteurs qui quittent

des séries, apparaissent dans d’autres

avant de retrouver une série faite pour

eux. Jennifer Morrison entre parfaite-

ment dans cette catégorie.

Tous ces visages familiers nous donnent

l’impression d’appartenir à une grande

famille qu’on retrouve avec plaisir

chaque soir.

3

droit de reGarder ses séries sans sous-titres

Oui, parce que les sous-titres coupent

l’image et déconcentrent. On se sent

presque obligés de les lire, et ils sont

souvent mal traduits, ce qui nous fait

parfois louper des actions cruciales.

On frime, comme si on était bilingues

( Norman si tu nous lis), mais croyez-

nous, six ou sept ans comme ça et

votre niveau en anglais va s’améliorer.

Entendre la langue de Shakespeare

tous les jours est le meilleur moyen de

l’apprendre (Ayez confiance).

Cependant, pour certaines séries,

les sous-titres sont nécessaires. L’ac-

cent écossais de David Tennant dans

Broadchurch ou celui de Mads Mikkelsen

dans Hannibal sont tellement prononcés

que sans aide, on est vite perdus. Entre

nous, il ne serait pas surprenant que les

anglophones aient eux-mêmes du mal

à comprendre.

5le droit de reGarderencore et encore ses séries préférées

Jusqu’à en connaître les dialogues

par coeur, au risque d’effrayer votre

entourage. Encore une fois, quand on

aime, on ne compte pas. Ainsi, qui n’a

pas vu l’intégrale de Friends des dizaines

de fois ? On ressort nos vieux épisodes

lorsqu’on a juste envie de voir quelque

chose de familier, une valeur sûre qui

ne nous décevra pas.

Cette activité a un avantage : comprendre

les blagues qui nous avaient échappées

au premier visionnage. C’est agréable

de voir à quel point la série peut encore

nous surprendre.

4le droit d’utiliser desexpressions de séries

Oui, les séries peuvent être source

d’inspiration. Entre les « That’s what

she said », les « Bazinga » et autres

« Suit up », il y a de quoi faire. Barney

Stinson est un exemple pour ce genre

de répliques cultes. Les t-shirts « Wait

for it » ou « It’s going to be legend, wait

for it, dary ! » se vendent très bien et

ce n’est pas prêt de s’arrêter.

Lorsqu’on est légèrement intoxiqué

par les séries, il se peut qu’on utilise

ces expressions délibérément ou sans

en prendre en conscience. Ces phrases

peuvent avoir un effet humoristique

notable, surtout si nos interlocuteurs

les connaissent. Toutefois, attention à

ne pas trop en user pour éviter d’être

catalogué comme le mec ou la fille

spécialiste en blagues séries.

6

21

davi

d m

. rus

sell

/ cb

s

Page 22: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

le droit de plus stresser pour un final que pour sa vie

Il arrive que l’on soit plus préoc-

cupé par l’avenir d’une série ou d’un

personnage, lorsqu’on nous place

devant un cliffhanger, que par les

problèmes de sa propre vie. Au hasard,

les partiels. Difficile de ne pas penser

au surprenant midseason finale de

la saison 3 d’Arrow, diffusé en pleine

période de révisions, à tel point qu’on

en vient à passer plus de temps sur

Wikipédia que la tête dans les livres.

7 le droit aux plaisirscoupables

Être sériephile ne signifie pas regarder

uniquement des chefs d’oeuvres. On

peut aussi éteindre son cerveau de

temps en temps et visionner des séries

qu’on estime mauvaises. On remarque

les failles béantes dans le scénario,

les dialogues vides et le mauvais

jeu des acteurs, mais on ne peut pas

s’empêcher d’apprécier ces séries pour

des raisons qui nous échappent. Elles

deviennent alors un plaisir coupable,

et en viennent parfois à faire partie de

nos préférées.

Que ce soit une teen série, un copshow

ou une série fantastique, on peut être

séduit par des muscles saillants, des

formes généreuses, un univers, une

ambiance déjanté ou encore par un

humour particulier. En général, on

ne fait pas trop de publicité pour

ces guilty pleasures, mais il faut les

assumer. On a tous nos faiblesses.

9

le devoir de ne passpoiler ses amis

Qui dit droits dit devoirs. Maîtriser ses

pulsions et s’abstenir de spoiler ses

amis, au risque de ne plus en avoir,

est un bon départ. Rien de pire que

gâcher la chose que l’on attend le plus

depuis le début de la saison. Certains

ont essayé, ils ont eu des problèmes.

8

le devoir de fairedécouvrir ses séries préférée

Quand on a une passion, il faut la par-

tager, la faire découvrir et expliquer

pourquoi elle est si belle à nos yeux. Là

encore, il faut veiller à ne pas parler

que de ça à moins d’être entouré

de sériephiles. N’en faites pas trop,

comme dire que The Big Bang Theory,

c’est pour les noobs ou qu’une certaine

série austro-hongroise des années 1980

sur la culture du maïs dans l’ouest de

l’Ukraine est beaucoup mieux tant

sur le plan comique que sur le monde

oriental décadent qu’elle dépeint.

L’équilibre est difficile à trouver,

restez simples avant de passer pour

un snob. Cela dit, certains programmes

sont tellement bons qu’on souhaite les

faire connaître pour pouvoir en parler

avec notre entourage et se sentir moins

seul. Si toutefois on n’y parvient pas,

d’autres choix s’offrent à nous. Créer

un blog, ouvrir un compte Twitter ou

même faire de la radio associative.

10

l’a u t e u R

Julien Lesbegueries : multidisciplinaire,

sérivore invétéré, bloggeur motivé sur

Geeks and Shows, twittos irrégulier,

apprenti sorcier juriste tout en rêvant

de devenir journaliste, animateur/

crieur public à la radio. Bref, honoré

d’écrire pour vous dans ce magazine.

En espérant que ça vous plaise !

22

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Page 23: Numéro 4 - Partie 2 (Mars, Avril 2015)

en mai

numéro SpéciaLséries adaptées de comics