Numero special: Les classes moyennes || Sur l'expressionnisme

Sur l'expressionnismeAuthor(s): Geneviève NevejanSource: Vingtième Siècle. Revue d'histoire, No. 37, Numero special: Les classes moyennes (Jan.- Mar., 1993), pp. 150-152Published by: Sciences Po University PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/3771363 .

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IMAGES ET SONS IMAGES ET SONS

met donc ici en presence deux chercheurs dont les problematiques sont complemen- taires meme si leur intervention ne se situe pas au meme stade de la construction in- tellectuelle. Cet aspect des relations entre historiens et musees d'histoire est particu- lierement fructueux et necessaire dans le cas d'institutions qui ne presentent qu'une tres faible partie de leurs possessions dans leurs salles d'exposition permanentes ou tem-

poraires. Ainsi en va-t-il de la plupart des grands etablissements europeens qui conservent des elements sur les cultures politiques et les cultures materielles, Werk- bund Archiv (Berlin), Musee de la poste, Musee d'histoire contemporaine, Musee so- cial, Musee des revolutions (Moscou), Im-

perial War Museum (Londres). Les musees d'histoire ne sont donc pas

uniquement des lieux de divulgation d'un

passe que l'on veut faire revivre, pour le

public, le temps d'une visite. La structuration

qu'ils connaissent en ce moment devrait

permettre de renforcer les deux roles qui sont les leurs dans leurs relations avec les historiens: pallier les lacunes des archives de France pour tout le domaine visuel qui a echappe a cette administration et stimuler la recherche et la vulgarisation historique tant par la mise en place d'institutions de controle et d'orientation que par une politique innovante de conservation et d'exposition.

Fabrice d'Almeida

met donc ici en presence deux chercheurs dont les problematiques sont complemen- taires meme si leur intervention ne se situe pas au meme stade de la construction in- tellectuelle. Cet aspect des relations entre historiens et musees d'histoire est particu- lierement fructueux et necessaire dans le cas d'institutions qui ne presentent qu'une tres faible partie de leurs possessions dans leurs salles d'exposition permanentes ou tem-

poraires. Ainsi en va-t-il de la plupart des grands etablissements europeens qui conservent des elements sur les cultures politiques et les cultures materielles, Werk- bund Archiv (Berlin), Musee de la poste, Musee d'histoire contemporaine, Musee so- cial, Musee des revolutions (Moscou), Im-

perial War Museum (Londres). Les musees d'histoire ne sont donc pas

uniquement des lieux de divulgation d'un

passe que l'on veut faire revivre, pour le

public, le temps d'une visite. La structuration

qu'ils connaissent en ce moment devrait

permettre de renforcer les deux roles qui sont les leurs dans leurs relations avec les historiens: pallier les lacunes des archives de France pour tout le domaine visuel qui a echappe a cette administration et stimuler la recherche et la vulgarisation historique tant par la mise en place d'institutions de controle et d'orientation que par une politique innovante de conservation et d'exposition.

Fabrice d'Almeida

SUR L'EXPRESSIONNISME

Plus qu'un mouvement, l'expressionnisme designe une tendance dont l'activite s'exerca de maniere caracteristique, dans tous les domaines de la creation. Cette specificite procedait d'une ambition qui hanta le 20e siicle et qui visait a la realisation de

SUR L'EXPRESSIONNISME

Plus qu'un mouvement, l'expressionnisme designe une tendance dont l'activite s'exerca de maniere caracteristique, dans tous les domaines de la creation. Cette specificite procedait d'une ambition qui hanta le 20e siicle et qui visait a la realisation de

l'ceuvre d'art total. Si d'autres courants esthetiques, comme le futurisme ou plus tard le surrealisme, se livrent a de semblables recherches, jamais tendance ne s'est exprimee avec autant d'ampleur dans les penchants de toute une generation. < L'expressionnisme, ecrit le poete allemand Yvan Goll, est un etat d'esprit qui, dans le domaine intellectuel, a touche, tout comme une epi- demie, pas seulement la poesie, mais aussi la prose, pas seulement la peinture mais architecture et theatre, musique et science, universit& et reformes scolaires ?.

L'expressionnisme ne saurait etre, en effet, considere comme un phenomene uniquement esthetique, sans implication politique ou sociale. I1 demeure inseparable de l'histoire de l'Allemagne et, plus precisement, de la crise sociale et spirituelle travers6e par un pays qui, de 1880 a 1900, passe bruta- lement d'un etat agraire a un etat industriel. Cette tension et ce desequilibre, toujours propices a l'emergence de tendances ex-

pressionnistes, se refletent, des 1905, dans les ceuvres nees du mouvement Die Briicke. L'homme, la nature, la mise en cause d'une civilisation essentiellement urbaine se si- tuaient au coeur de la thematique d'Ernst Kirchner, de Karl Schmidt-Rottluff ou d'Erich Heckel qui d6nonceront la dicho- tomie entre le moi et le monde. Le principe conducteur etait la fidelite de l'art a la verite interne de la nature et de l'homme. Leurs creations se voulaient l'expression d'une vie

plus spirituelle et spontanee. Ce mouvement rousseauiste, dans une certaine mesure, ex- plique ce regard tris critique porte sur la ville a l'egard de laquelle ils reagissent parfois tres vivement : Kirchner ne retient de Berlin, ou il s'installe en 1910, que le spectacle de la turpitude et du tumulte. Temoins Cinq femmes dans la rue (Musee Ludwig, Cologne) et, en 1914, Rue avec cocotte rouge (Staatsga- lerie, Stuttgart).

Leur attirance pour les arts primitifs ne se comprend que par ce refus d'un univers urbain percu comme inhumain. Tr&s tot, Kirchner et Schmidt-Rottluff se passionnent

l'ceuvre d'art total. Si d'autres courants esthetiques, comme le futurisme ou plus tard le surrealisme, se livrent a de semblables recherches, jamais tendance ne s'est exprimee avec autant d'ampleur dans les penchants de toute une generation. < L'expressionnisme, ecrit le poete allemand Yvan Goll, est un etat d'esprit qui, dans le domaine intellectuel, a touche, tout comme une epi- demie, pas seulement la poesie, mais aussi la prose, pas seulement la peinture mais architecture et theatre, musique et science, universit& et reformes scolaires ?.

L'expressionnisme ne saurait etre, en effet, considere comme un phenomene uniquement esthetique, sans implication politique ou sociale. I1 demeure inseparable de l'histoire de l'Allemagne et, plus precisement, de la crise sociale et spirituelle travers6e par un pays qui, de 1880 a 1900, passe bruta- lement d'un etat agraire a un etat industriel. Cette tension et ce desequilibre, toujours propices a l'emergence de tendances ex-

pressionnistes, se refletent, des 1905, dans les ceuvres nees du mouvement Die Briicke. L'homme, la nature, la mise en cause d'une civilisation essentiellement urbaine se si- tuaient au coeur de la thematique d'Ernst Kirchner, de Karl Schmidt-Rottluff ou d'Erich Heckel qui d6nonceront la dicho- tomie entre le moi et le monde. Le principe conducteur etait la fidelite de l'art a la verite interne de la nature et de l'homme. Leurs creations se voulaient l'expression d'une vie

plus spirituelle et spontanee. Ce mouvement rousseauiste, dans une certaine mesure, ex- plique ce regard tris critique porte sur la ville a l'egard de laquelle ils reagissent parfois tres vivement : Kirchner ne retient de Berlin, ou il s'installe en 1910, que le spectacle de la turpitude et du tumulte. Temoins Cinq femmes dans la rue (Musee Ludwig, Cologne) et, en 1914, Rue avec cocotte rouge (Staatsga- lerie, Stuttgart).

Leur attirance pour les arts primitifs ne se comprend que par ce refus d'un univers urbain percu comme inhumain. Tr&s tot, Kirchner et Schmidt-Rottluff se passionnent

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IMAGES ET SONS

pour les collections du Musee anthropolo- gique et ethnologique de Dresde, ainsi que pour celles du Musee de Berlin. Masques africains, sculptures oceaniennes, objets ri- tuels ou quotidiens des antipodes leur sug- gerent geometrisations, formes anguleuses, enfin tout un repertoire formel propre a servir leur volonte expressive.

Le Blaue Reiter reprendra a son compte ces references. L'un des objectifs, clairement

exprime dans L'Almanach du Blaue Reiter, visait a l'assimilation de toutes les formes d'art: masques bresiliens, sculptures de l'ile de Paques ou du Cameroun seront ainsi mis en rapport avec des textes d'August Macke ou du compositeur Arnold Schonberg. Cha- cun abordait ces cultures de maniere diffe- rente. Si Franz Marc appreciait << ce sens de l'instinct sain de la couleur ) (lettre adressee a Macke en 1911), Emil Nolde accentuait

plus volontiers la brutalite des facies direc- tement inspires des masques primitifs.

De semblables preoccupations s'expriment en litterature ou les sujets sont souvent ceux- la memes qui avaient enthousiasm6 les

peintres expressionnistes. Ainsi en est-il du theme de la ville et de ses vaines agitations. Le poete Georg Trakl, dans des ceuvres d'une melancolie souvent morbide, parlera de <<la demence de la vaste ville >. On trouverait dans les arts de nombreux equi- valents plastiques de cette vision de la cite

depeinte par ses contemporains en des contours qui ne furent pas moins sombres et d6sesperes. Cette sensibilite commune s'ex-

plique en partie par le nombre de vocation double. Hugo Ball, a titre d'exemple, ecrivit des poemes autant que des ceuvres destinees a la scene. Ludwig Meidner, auteur de Cri de septembre. Hymnes, prieres, sacrilege, se dedia aussi a la peinture. Alfred Kubin, illustrateur et romancier ou Oskar Kokoschka, peintre et dramaturge, illustrerent cette meme volonte de faire appel a des moyens d'expression differents.

L'architecture n'est pas restee en marge de ce vaste mouvement de renovation qui toucha principalement les pays germaniques,

pour ne rien dire des repercussions inevi- tables dans l'ensemble de l'Europe. Dans les nombreux textes et projets d'architectes pu- blies dans les revues Der Sturm et Die Aktion

revues representatives de l'expressionnisme litteraire -, se retrouvent les compo- santes fondamentales de ce courant esthetique: synthese des arts, possible en architecture et vues sociales. Les problemes d'urbanisme, d'environnement et de cadre de vie ne pouvaient echapper, par leur nature, a la vocation meme de l'architecture. L'industrialisation rapide avait stimule cette remise en cause du phenomene urbain, a

laquelle aspiraient peintres et ecrivains. Erich Mendelsohn, Hans Poelzig et Bruno Taut tenteront d'allier ces reflexions sociales a une spontaneite creatrice, difficilement conci- liable avec les necessites imprescriptibles de l'art de batir. Si l'on excepte quelques rea- lisations aussi spectaculaires que la salle du centenaire (1913) de Max Berg a Breslau, la Maison du Chili (1922) de Fritz H6ger ou l'impressionnante Tour Einstein (1921) d'Erich Mendelsohn a Postdam; les intui- tions et les qualites inventives ne donnerent lieu qu'a des projets utopiques, prouvant ainsi que l'emotion esthetique est, en architecture, imperativement soumise a une dis-

cipline reductrice, mais incontournable. Si en raison de son contenu m6taphorique

et symbolique, l'expressionnisme fut d'abord une tendance litteraire et picturale, son rayonnement s'6tend rapidement a l'ensemble de la creation. La peinture et le theatre seront les moteurs initiaux du cinema

expressionniste allemand. Certains realisa- teurs emanaient du theatre expressionniste dont Max Reinhardt etait le plus brillant

representant. C'est sous sa direction que Paul Wegener et Friedrich Murnau avaient oeuvre, avant de se vouer au septieme art. Mais le cinema allemand fut aussi, dans un

premier temps, tributaire de la peinture. Temoin Le cabinet du docteur Caligari (1919) avec lequel l'expressionnisme fait son ap- parition au cinema. A plusieurs egards, le film de Robert Wiene suscitait des paralleles

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avec la peinture, plus precisement avec l'art de Kirchner. Le cineaste tout comme le

peintre cherchaient a accuser le desequilibre de l'homme par l'abondance des lignes bri- sees et le caractere chaotique du decor. Dans cette premiere phase, les productions cine-

matographiques relevaient d'un expressionnisme moins filmique que pictural. Mais, dans Golem (1920) de Paul Wegener, les architectures expressives, les effets d'ombres et de lumiere qui appartiennent plus specifiquement au vocabulaire cinematogra- phique, l'emportaient sur les valeurs picturales du caligarisme. Fritz Lang saura depasser cet expressionnisme de l'environnement, en developpant une thematique hau- tement symbolique du destin tragique et de la culpabilite des heros; thematique qui donnera au cinema une resonance veritable- ment expressionniste.

Alors que l'expressionnisme pictural sus- cite de moins en moins d'adeptes, son influence s'exerce, en revanche, davantage sur la musique, le theatre et le cinema. Cet art

pictural annonSait toute une dramaturgie. Quant a la creation musicale, bien que les compositeurs adherent peu aisement aux mouvements dont la vocation concerne plus specifiquement les arts plastiques et la litterature, on ne peut totalement nier la vio-

lence expressive de Wozzeck (1917-1920) d'Alban Berg, ou les tendances expressionnistes evidentes du Pierrot lunaire (1912) d'Arnold Sch6nberg qui fut lui-mnme tres lie aux membres du Blaue Reiter. Le rayonnement de l'expressionnisme est tel que c'est contre lui que se manifesteront les nouveaux courants esthetiques, en l'occurrence le constructuvisme et le dadaisme. Bertolt Brecht ou la Nouvelle Objectivite ne sau- raient effectivement se comprendre sans l'existence de l'expressionnisme. Et il serait faux de penser que ses plus ardents detrac- teurs n'en furent pas, en realite, les heritiers. En rendant possible un art de rupture avec le passe, il ouvrait la voie a l'abstraction

picturale, apparemment sans lien avec lui. Enfin, c'est sans doute a son ambitieuse vocation que l'on doit son influence ulte- rieure sur l'experimentation verbale, le spectacle theatral synthetique et la musique dissonante. Autant de raisons pour situer cette veritable revolution culturelle a la ge- nese du modernismel.

Genevieve Nevejan

1. Voir Dresde, Munich, Berlin. Figures du moderne (1905- 1914). L'Expressionnisme en Allemagne, catalogue de l'exposition du Musee d'art moderne de la ville de Paris, novembre 1992 - mars 1993, Paris, MARC, 1992, 464 p., 380 F.

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