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2S50 Douleurs, 2006, 7, hors-série 2 Approche sociologique de la douleur liée au cancer O20 LE SYNDROME DOULOUREUX POST -MASTECTOMIE : ASPECTS CLINIQUES, PSYCHOLOGIQUES ET SOCIOLOGIQUES F. Dixmerias (1) , E. Langlois (2) 1. Anesthésiste-Réanimateur, UTDC, Institut Bergonié, Bordeaux. 2. Sociologue, LAPSAC, Université de Bordeaux II, Bordeaux. La chirurgie mammaire est le traitement de référence du cancer du sein en association avec la chimiothérapie et/ou la radiothérapie. Deux syndromes douloureux chroniques séquellaires de cette chirurgie ont été reconnus par l’IASP : le syndrome du sein fantôme et le syndrome douloureux post-mastectomie (SDPM). Le SDPM est décrit comme « une douleur chronique débutant immédiatement ou précoce- ment après une mastectomie ou une tumorectomie affec- tant le thorax antérieur, l’aisselle et/ou le bras dans sa moitié supérieure ». Les critères diagnostiques sont cependant variables selon les auteurs. Pour certains, le SDPM associe une symptomatologie de douleur neuropathique localisée du côté opéré au niveau de la paroi thoracique et/ou de la région axillaire et/ou du membre supérieur, persistante depuis 3 mois. D’après Watson, ces critères associent en plus une ou des anomalies à l’examen neurologique. L’incidence du SDPM est sous-estimée par les praticiens, pourtant il concernerait jusqu’à 56 % des patientes. Les cau- ses de survenue du SDPM sont nombreuses. Parmi celles-ci, l’hypothèse physiopathologique la plus commune est l’atteinte du 2 e nerf intercostobrachial lors du curage axillaire. Des facteurs de risque sont retrouvés :augmentation de l’index de masse corporelle, taille tumorale, mauvaise technique chirurgicale, nombre de ganglions axillaires envahis, traite- ment par chimiothérapie et/ou radiothérapie postopératoire. Pourtant, ces facteurs n’arrivent pas à expliquer à eux seuls les différences individuelles observées dans le développe- ment du SDPM. Des SDPM sont décrits sans aucune lésion nerveuse chirurgicale ou facteurs de risque. Une approche plus globale est donc indispensable comme dans le cadre de toutes douleurs chroniques. Aujourd’hui encore, le cancer est étroitement lié à l’antici- pation d’une issue fatale et de douleurs sévères. Certaines études ont montré que près d’un tiers des patients cancé- reux développent des troubles psychologiques chroniques, anxiété et une dépression consécutives à la chirurgie du sein sont fréquentes. La personnalité anxieuse est associée significativement à un niveau élevé d’anxiété préopératoire, facteur de risque de développement d’un syndrome dou- loureux post-mastectomie. Pour certains auteurs, les patients cancéreux se caractéri- saient par une incapacité à exprimer des émotions négati- ves (alexithymie).La répression des émotions serait associée au développement d’un cancer du sein et l’alexithymie favoriserait l’apparition de troubles somatiques. La relation entre douleur chronique et alexithymie a été démontrée dans plusieurs études. La dépression, fréquemment associée à l’alexithymie influence également l’expérience doulou- reuse. La prédisposition aux affects négatifs (névrosisme) est un autre trait de personnalité pouvant expliquer de manière conjointe les troubles émotionnels et les douleurs chroniques. Chez des patientes atteintes d’un cancer du sein, le névrosisme est associé à des niveaux élevés de dépression et d’anxiété plusieurs années après un traite- ment par mastectomie. Dans le cadre des stratégies de coping, la stratégie de dramatisation semble un des princi- paux déterminants de la douleur chronique, du handicap et de la détresse qui y sont associés et la sollicitude de l’entou- rage a une influence néfaste, notamment sur le comporte- ment douloureux Quel sens et quelle place pour la douleur dans l’expérience de la maladie ? Plusieurs études sociologiques ont montré que l’expérience de la douleur s’inscrit dans des cadres culturels suffisamment déterminants pour introduire de nettes différences dans l’expression même de la douleur et dans le sens que les malades accordent à celle-ci. Que ce soit dans l’ajustement au cancer ou à la douleur chronique, plusieurs déterminants sociologiques ont été mis en évidence dans le cadre d’études épidémiologiques : ce sont l’âge, le niveau socioculturel, l’origine ethnico-religieuse et le statut marital. Pour mieux comprendre l’événement douleur après chirur- gie pour cancer du sein tant dans son apparition, que dans son développement et son expression et pour rechercher des facteurs prédisposant au SDPM, nous avons mis en place une étude clinique associant une évaluation algolo- gique du SDPM, sociologique et psychologique. RÉFÉRENCES 1. Carpenter JS, and coll. Postmastectomy/Postlumpectomy. Pain in breast can- cer survivors. J Clin Epidemiol 1998;51:1285-1292. 2. Jung BF, and coll. Neuropathic pain following breast cancer surgery: propo- sed classification and research update. Pain 2003;104:1-13. 3. Lannin DR, and coll. Influence of socioeconomic and cultural factors on racial differences in late-stage presentation of breast cancer. JAMA 1998; 279:1801-180. 4. Mac Donald L, and coll. Long-term follow-up of breast cancer survivors with post-mastectomy pain syndrome. Br J Cancer 2005;92:225-230. 5. McBeth J, and coll. Does chronic pain predict future psychological distress? Pain 2002;96(3):239-45. 6. Sellick SM, and coll. Depression and cancer: an appraisal of the literature for prevalence, detection, and practice guideline development for psychological interventions. Psychooncology 1999;8(4):315-33. 7. Smith WCS, and coll. A retrospective cohort study of post mastectomy pain syndrome. Pain 1999;83:91-95. 8. Watson CN, and coll. The post mastectomy pain syndrome and the effect of topical capsaicin. Pain 1989;38:177.

O20 - Le syndrome douloureux post-mastectomie :aspects cliniques, psychologiques et sociologiques

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2S50 Douleurs, 2006, 7, hors-série 2

Approche sociologique de la douleurliée au cancer

O20 LE SYNDROME DOULOUREUX POST-MASTECTOMIE :ASPECTS CLINIQUES, PSYCHOLOGIQUES ET SOCIOLOGIQUES

F. Dixmerias(1), E. Langlois(2)

1. Anesthésiste-Réanimateur, UTDC, Institut Bergonié, Bordeaux.2. Sociologue, LAPSAC, Université de Bordeaux II, Bordeaux.

La chirurgie mammaire est le traitement de référence ducancer du sein en association avec la chimiothérapie et/oula radiothérapie. Deux syndromes douloureux chroniquesséquellaires de cette chirurgie ont été reconnus par l’IASP :le syndrome du sein fantôme et le syndrome douloureuxpost-mastectomie (SDPM). Le SDPM est décrit comme « unedouleur chronique débutant immédiatement ou précoce-ment après une mastectomie ou une tumorectomie affec-tant le thorax antérieur, l’aisselle et/ou le bras dans sa moitiésupérieure ». Les critères diagnostiques sont cependantvariables selon les auteurs. Pour certains, le SDPM associeune symptomatologie de douleur neuropathique localiséedu côté opéré au niveau de la paroi thoracique et/ou de larégion axillaire et/ou du membre supérieur, persistantedepuis 3 mois. D’après Watson, ces critères associent enplus une ou des anomalies à l’examen neurologique.L’incidence du SDPM est sous-estimée par les praticiens,pourtant il concernerait jusqu’à 56 % des patientes. Les cau-ses de survenue du SDPM sont nombreuses. Parmi celles-ci,l’hypothèse physiopathologique la plus commune estl’atteinte du 2e nerf intercostobrachial lors du curage axillaire.Des facteurs de risque sont retrouvés :augmentation de l’indexde masse corporelle, taille tumorale, mauvaise techniquechirurgicale, nombre de ganglions axillaires envahis, traite-ment par chimiothérapie et/ou radiothérapie postopératoire.Pourtant, ces facteurs n’arrivent pas à expliquer à eux seulsles différences individuelles observées dans le développe-ment du SDPM. Des SDPM sont décrits sans aucune lésionnerveuse chirurgicale ou facteurs de risque. Une approcheplus globale est donc indispensable comme dans le cadrede toutes douleurs chroniques.Aujourd’hui encore, le cancer est étroitement lié à l’antici-pation d’une issue fatale et de douleurs sévères. Certainesétudes ont montré que près d’un tiers des patients cancé-reux développent des troubles psychologiques chroniques,anxiété et une dépression consécutives à la chirurgie dusein sont fréquentes. La personnalité anxieuse est associéesignificativement à un niveau élevé d’anxiété préopératoire,facteur de risque de développement d’un syndrome dou-loureux post-mastectomie.Pour certains auteurs, les patients cancéreux se caractéri-saient par une incapacité à exprimer des émotions négati-ves (alexithymie).La répression des émotions serait associéeau développement d’un cancer du sein et l’alexithymiefavoriserait l’apparition de troubles somatiques. La relationentre douleur chronique et alexithymie a été démontrée

dans plusieurs études.La dépression, fréquemment associéeà l’alexithymie influence également l’expérience doulou-reuse. La prédisposition aux affects négatifs (névrosisme)est un autre trait de personnalité pouvant expliquer demanière conjointe les troubles émotionnels et les douleurschroniques. Chez des patientes atteintes d’un cancer dusein, le névrosisme est associé à des niveaux élevés dedépression et d’anxiété plusieurs années après un traite-ment par mastectomie. Dans le cadre des stratégies decoping, la stratégie de dramatisation semble un des princi-paux déterminants de la douleur chronique, du handicap etde la détresse qui y sont associés et la sollicitude de l’entou-rage a une influence néfaste, notamment sur le comporte-ment douloureuxQuel sens et quelle place pour la douleur dans l’expériencede la maladie ? Plusieurs études sociologiques ont montréque l’expérience de la douleur s’inscrit dans des cadresculturels suffisamment déterminants pour introduire de nettesdifférences dans l’expression même de la douleur et dans lesens que les malades accordent à celle-ci. Que ce soit dansl’ajustement au cancer ou à la douleur chronique, plusieursdéterminants sociologiques ont été mis en évidence dans lecadre d’études épidémiologiques : ce sont l’âge, le niveausocioculturel, l’origine ethnico-religieuse et le statut marital.Pour mieux comprendre l’événement douleur après chirur-gie pour cancer du sein tant dans son apparition, que dansson développement et son expression et pour rechercherdes facteurs prédisposant au SDPM, nous avons mis enplace une étude clinique associant une évaluation algolo-gique du SDPM, sociologique et psychologique.

RÉFÉRENCES

1. Carpenter JS, and coll. Postmastectomy/Postlumpectomy. Pain in breast can-cer survivors. J Clin Epidemiol 1998;51:1285-1292.

2. Jung BF, and coll. Neuropathic pain following breast cancer surgery: propo-sed classification and research update. Pain 2003;104:1-13.

3. Lannin DR, and coll. Influence of socioeconomic and cultural factors onracial differences in late-stage presentation of breast cancer. JAMA 1998;279:1801-180.

4. Mac Donald L, and coll. Long-term follow-up of breast cancer survivors withpost-mastectomy pain syndrome. Br J Cancer 2005;92:225-230.

5. McBeth J, and coll. Does chronic pain predict future psychological distress?Pain 2002;96(3):239-45.

6. Sellick SM, and coll. Depression and cancer: an appraisal of the literature forprevalence, detection, and practice guideline development for psychologicalinterventions. Psychooncology 1999;8(4):315-33.

7. Smith WCS, and coll. A retrospective cohort study of post mastectomy painsyndrome. Pain 1999;83:91-95.

8. Watson CN, and coll. The post mastectomy pain syndrome and the effect oftopical capsaicin. Pain 1989;38:177.