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Olivier Bourdeaut EN ATTENDANT BOJANGLES - 30e …festivalpremierroman.com/SDL_2015/wp-content/uploads/2017/05/... · Alors j’avais choisi le caca d’oie, c’était Mademoiselle

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Daniele Daidone

Olivier Bourdeaut

EN ATTENDANT BOJANGLES

Accueilli par la maison d’édition bordelaise “Finitude”, En attendant Bojangles s’envole sur le marché du livre à la grande surprise de son auteur, Olivier Bourdeaut. Écrivain improvisé, en échec scolaire pendant son enfance, il a pu se forger hors d’un parcours scolaire classique, en grandissant sans télévision et en dévorant de nombreux livres. Dans son âge adulte il a fait les métiers les plus disparates: agent immobilier, ouvreur derobinet, récolteur de fleur de sel de Guérande... Du véritable ecleptycisme!

Portant sur l’histoire d’un couple fou d’amour et de leur enfant qui témoigne de leur folie mais aussi de leur tendresse, dans un cadre familial enrichi par la présence d’un grand oiseau (Mlle Superfétatoire) et d’un ami nommé “L’Ordure”, ce livre présente unenarration fluide, des passages très amusants et des pages pleines de joie de vivre, jusqu’à ce que la folie de la mère (une véritable folie et non la folie d’amour) la conduità sa mort. Présentée par l’enfant ou son père selon les chapitres, cette histoire est tellement saisissante que nous rions pendant les fous rires des personnages ou que nous sentons le sentiment d’impuissance pendant leurs périodes les plus sombres.

Deux voix se superposent le long du récit, exprimant deux sentiments différents car il n’y a pas que de la joie dans ce livre ; cette famille est entichée par des problèmes moins évidents que leurs bons plans mais non moins importants, au contraire… Leurs problèmes concernent en réalité tout le monde. Par les mots de l’enfant on perçoit la difficulté à jouer le rôle du fils, notamment faire face à l’échec scolaire et à la scolarisation à la maison, aux vacances imprévues et à la maladie de sa mère.

La plupart de l’histoire est racontée à travers le point de vue du héros qui accepte leschoses telles qu’elles sont, tout comme le Candide des premiers chapitres, jeune et naïf:

«Je ne comprenais pas souvent mon père. Je le compris un peu au fil des ans, mais pas totalement. Et c’était bien ainsi.»

Ou encore :

«Il est arrivé qu’on danse trop pour manger, alors, tard dans la nuit, Maman se mettait à pleurer pour me montrer combien elle était désolée, et elle me picorait en me serrant fort dans ses bras avec son visage tout mouillé et son odeur de cocktail. Elle était comme ça ma mère et c’était bien ainsi».

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Daniele Daidone

C’est par le biais de la naïveté de cet enfant qu’Olivier Bourdeaut observe la société française en réalisant une critique voilée et très fine à la manière de Voltaire, comme on peut remarquer dans les extraits suivants:

1. Un jour, ma mère avait souhaité emmener Mademoiselle Superfétatoire en ville faire des courses ; pour cela elle lui avait confectionné une belle laisse en perle, mais Mademoiselle avait eu peur des gens et les gens avaient eu peur de Mademoiselle qui criait comme jamais. Une vieille dame à teckel lui avait meme dit que c’était inhumain et dangereux de promener un oiseau en laisse sur le troittoir.— Des poils, des plumes, quelle différence! Mademoiselle n’a jamais mordu qui que soit, et je la trouve bien plus élégante que votre pâté de poil! Venez Mademoiselle rentrons chez nous, ces individus sont vraiment trop communs et grossiers!

2. Après l’écriture, on a û apprendre à lire l’heure sur une horloge à aiguilles, alors là, ça a été vraiment un grand malheur, parce que l’heure je la lisais déjà sur la montre de mon père avec des chiffres qui s’allumaient la nuit ; mais sur l’horloge à aiguilles qui ne s’allumait ni le jour, ni la nuit, c’était impossible pour moi.[…] — Si tu ne sais pas lire l’heure, tu vas carrément rater tout le train! Avait-elle dit pour faire rire les autres enfants sur mon dos.[…] Alors ma mère, qui avait aussi des problèmes d’horloge, s’était énervée et lui avait retorqué:— Mon fils sait déjà lire l’heure sur la montre de son père, c’est bien suffisant! A-t-on déjà vu des agriculteurs apprendre à labourer avec un cheval de trait après l’invention du tracteur, ça se saurait!

Dans le premier passage, l’auteur critique les gens qui pensent que promener un chien en laisse n’est pas inhumain et qui discriminent les differentes espèces vivantes. On se demande alors pourquoi un chien mérite d’être lié alors qu’un oiseaux non. Dans le deuxième passage, l’auteur critique le système scolaire qui ne considère pas chaque enfant comme un singulier ayant ses propres qualités et défauts. En plus, il montre la brutalité de certains maîtres d’école qui s’acharnent contre les élèves et qui se réjouissent de leur échec scolaire.

Malgré le style très simple, réfletant le langage d’un enfant, ce livre présente également des exemples de la grande habileté rhéthorique de l’auteur. Voici des extraitsoù l’ironie et les jeux de mots s’entrelacent:

3. Après l’histoire des garages, mon père n’avait plus besoin de se lever pour nous faire manger, alors il se mit à écrire des livres. […] Mais la réponse des éditeurs était toujours la même: «C’est bien écrit, drôle, mais ça n’a ni queue ni tête.» Pour le consoler de ce refus, ma mère disait :— A-t-on déjà vu un livre avec une queue et une tête, ça se saurait!

4. Comme prévu, après les travaux du salon, avec Papa on avait repeint tous les murs, et comme l’appartement venait d’être vendu, il m’avait dit que je pouvais choisir n’importe quelle couleur, qu’on s’en moquait parce qu’on n’allait plus vivre dedans. Alors j’avais choisi le caca d’oie, c’était Mademoiselle Superfétatoire qui m’avait aidéà faire mon choix.

5. Lors d’un dîner durant lequel un invité n’arrêtait pas de dire “je parie mon slip” à chaque fois qu’il affirmait quelque chose, nous avons vu Maman se lever, remonter sa jupe, baisser sa culotte, l’enlever et la jeter au visage du parieur, pile-poil sur le nez.[…] Après un court silence, un dame s’exclama:— Mais elle perd la tete!Ce a quoi ma mère lui répondit, après avoir vidé d’un trait son verre:— Non madame, je ne perd pas la tete, dans le pire des cas je perds ma culotte!

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Daniele Daidone

Dans le troisième passage l’auteur joue avec l’expression “n’avoir ni tête ni queue” qui signifie “n’avoir pas de sens”. La mère prend cette expression à la lettre en disant qu’unlivre ne peut pas avoir ni un tête ni une queue. Le quatrième passage montre de l’humour subtile, typique de l’auteur. L’humour est déclenché par l’association de Mlle Superfétatoire avec la couleur caca d’oie. Lors de la rénovation de l’appartement, la narrateur avoue d’avoir choisi cette couleur grace au conseil de Mademoiselle, qui est justement un oiseau, comme l’oie. Et on peut bien imaginer de quelle façon Mademoiselle lui a conseillé cette couleur. Dans le cinquième passage, comme dans le troisème, le narrateur joue sur les expressions “perdre la tête” et “parier son slip” que la mère interprète à la lettre en créant une situation amusante. Également, la riposte rapide et distinguée que la mère retorque à son interlocutrice crée un effet comique carelle est inattendue et tout à fait logique, malgré le dérèglement de ses actions.

Parfois les jeux de mots de l’auteur deviennent de véritables artifices linguistiques, utilisés non seulement pour faire rire mais aussi pour créer un coté quasi poétique, comme dans les extraits suivants:

6. Veuillez nous réserver la meilleure table, au nom de Georgette et Georges, s’il vous plait. Rassurez-moi, il ne vous reste plus de vos affreux gateaux en forme de coeur? Non! Dieu merci! disait-il en réservant la table d’un grand restaurant.Pour eux, la Sainte-Georgette n’était surtout pas la fête des amourettes.

7. Elle [sa mère] lui avait également appris à faire la révérence aux dames en les couvrant de compliments. […] Il fallait voir les yeux de la clientèle des grands magasins le suivre d’un regard bovin […] et l’observant s’incliner avec déférence poureffectuer sa révérence. Certaines mères le regardaient faire, puis tournaient la tete pour tomber nez à nez avec leur fils assis dans leur caddie, la bouche ouverte et couverte de miettes de biscuits et semblaient se demander ce qui avait pu se passer, si c’était leur enfant qui était raté ou le nôtre qui été taré.

8. Pas une fois il n’avait flanché, pas une larme n’avait coulé sur son visage fier et sage.

Dans le sixième passage l’auteur crée une rime avec les mots “Georgette”, “fête” et “amourettes”. Dans le septième passage il joue avec le mot “raté” et produit le mot “taré” en gardant les mêmes lettres mais en échangeant la position des consonnes. L’huitième passage montre deux phrases juxtaposées avec une structure similaire. Les deux commencent par une anaphore (Pas une) et terminent avec un participe passé en créant une rime. À la fin de la phrase entière l’auteur joue avec la répetition du mot “sage” dans le mot “visage”. En plus, la phrase entière contient des allittérations en f eten s, et des consonances en l et en n.

À travers son écriture, Olivier Bourdeaut a enfin donné une gifle à l’échec scolaire et publié un chef d’oeuvre par lequel il montre toute sa valeur. Il ne nous reste qu’à voir si la traduction italienne parue chez l’éditeur “Neri Pozza” est a l’hauteur d’Olivier Bourdeaut, et si la couverture évoque si bien la folie et la joie qui accompagnent non seulement cette famille mais aussi le lecteur.

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