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Organisation des représentations, symbolisme et écriture dans la peinture égyptienne Author(s): Patrick Schmoll Source: La Linguistique, Vol. 17, Fasc. 1 (1981), pp. 77-89 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248888 . Accessed: 10/06/2014 21:37 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.22 on Tue, 10 Jun 2014 21:37:11 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Organisation des représentations, symbolisme et écriture dans la peinture égyptienne

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Organisation des représentations, symbolisme et écriture dans la peinture égyptienneAuthor(s): Patrick SchmollSource: La Linguistique, Vol. 17, Fasc. 1 (1981), pp. 77-89Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248888 .

Accessed: 10/06/2014 21:37

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ORGANISATION DES REPRESENTATIONS, SYMBOLISME ET tCRITURE

DANS LA PEINTURE 1GYPTIENNE' Patrick SCHMOLL

La peinture Cgyptienne, tout le monde connait. Lorsqu'on l'voque, on a immediatement A l'esprit ces longues processions de personnages au sourire enigmatique, au maintien un peu fig6, r6petant indefiniment la m6me silhouette dcartelee, comme s'ils avaient tet aplatis contre la surface du mur sur lequel on les a peints.

Tout le monde connait, ou, plus precisement, tout le monde sait reconnaitre. Et c'est pricisement ce caractbre trbs reconnais- sable, trbs type, qui donne '

la peinture egyptienne une place si particulibre dans l'histoire des arts. Depuis que l'archeologie nous a revild son existence, la peinture Cgyptienne est considerie comme un module du genre, celui auquel il convient de faire r fdrence lorsqu'on parle de pratiques artistiques analogues.

C'est que, comme le laissent deviner les qualitis un peu etranges de ses dessins, la peinture egyptienne rec6le quelque chose de mystirieux. En effet, contrairement g l'image que nous nous faisons traditionnellement des disciplines artistiques, nous savons aujourd'hui, grace aux recherches archdologiques, que la

i. Les elements de cet article sont extraits d'un mimoire redig6 dans le cadre de l'Universit6 Louis-Pasteur de Strasbourg, U.E.R. des Sciences du Comportement et de l'Environnement, Une thiorie de la peinture igyptienne comme systkme (1976). Nous ne citons pas de bibliographie, aucune recherche n'ayant 6t6 publi6e A ce jour concernant sp6cifiquement la peinture 6gyptienne. En effet, aussi &trange que cela puisse &tre, les seuls ouvrages existant actuellement sur ce sujet sont des recueils de planches photo- graphiques sans commentaire v6ritablement analytique. Nous conseillons cependant au lecteur int6ress6 de se reporter soit A l'enseignement dispens6 par M. Jean Parlebas Sl' Institut d'Egyptologie de 1'Universit' des Sciences humaines de Strasbourg, soit A

des travaux tels que ceux de M. Frangois Daumas, responsable de l'Nquipe de recherche associde au C.N.R.S., Etude de la religion igyptienne d l'ipoque ptolimatque etromaine (ERA 587). La Linguistique, vol. 17, fasc. 1/i98i

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78 Patrick Schmoll

peinture igyptienne ne poursuivait pas un but esthetique. Elle ne recherchait pas le Beau : lorsqu'un tableau etait termind, la salle dont il decorait les murs etait emmuree A tout jamais et plus personne n'avait l'occasion de l'admirer. La peinture egyp- tienne 6tait une peinture de temples et de tombeaux; aucun amateur d'art n'y aurait eu accbs. Aucune fen6tre, aucun eclairage suffisant ne permettaient du reste d'en apprecier la decoration.

C'est que la peinture egyptienne, bien qu'elle soit souvent belle de surcroit, avait d'abord aI l'epoque une fonction magique. La beaute, dont on ne peut nier qu'elle soit malgre cela presente dans ces tableaux, n'intervenait que secondairement dans la creation de l'ceuvre, comme un element parmi d'autres qui permettait ce fonctionnement magique. Et c'est sa fonction magique qui donne cette peinture, de nos jours encore, ce caractbre si enigmatique. Pour le peintre qui peignait un modble, il ne s'agissait pas tant de reproduire visuellement ce dernier avec plus ou moins d'exactitude : les portraits egyptiens ne sont

pas < ressemblants >>. II s'agissait en fait de fabriquer une image qui integrat magiquement les qualit6s specifiques de la chose

represent6e. Peindre etait done un acte divinatoire. Un personnage peint

n'etait pas seulement le portrait d'un personnage existant en realite, c'etait proprement un < double a de ce dernier, un autre lui-meme avec lequel il se trouvait, par la vertu de certaines formules magiques, lie organiquement. Si l'image venait a. tre detruite, l'existence du module vivant qu'elle representait 6tait elle-meme menacee. C'est pourquoi, loin de pouvoir etre exposde au grand public, une telle peinture devait au contraire etre

protegee, d6robde aux regards, emmuree. L'image peinte, comme d'ailleurs la statue d'un personnage, avait done pour seule fonction de servir de receptacle a l'ame d'un dieu durant son sejour terrestre ou ' celle d'un d6funt apres sa mise au tombeau. Elle fonctionnait dans tous ces cas comme une sorte de < corps de

remplacement >> que l'esprit de la divinite ou du mort 6tait cense venir animer aprbs avoir quitte son enveloppe charnelle primitive.

Toutes ces indications nous permettent aujourd'hui d'ap- prehender la peinture egyptienne selon une demarche tout a fait

diff6rente de celle des premiers amateurs d'art et archdologues qui eurent l'occasion d'en discuter. Tres exactement, elles nous

permettent de comprendre la peinture 6gyptienne non comme une

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Symbolisme et ecriture 79

discipline artistique au sens actuel du terme, mais comme une

technique magique, une mithode de divination dont les trucs, les recettes, les formules tissent le reseau d'un veritable syst6me de representations en etroit rapport avec l'ensemble des croyances et des pratiques de la societe gyptienne de l'Fpoque.

La pensee magique se represente en effet l'inexpliqud, l'an- goissant, sous la forme d'une << nergie a, ce que les Egyptiens designaient comme une << puissance >, qui est censee habiter les choses et les &tres vivants. Pour eviter les debordements de cette

inergie, pour eviter que son tumulte immaitrise ne se l6ve contre le monde coherent, il faut la canaliser, enserrer cette << puissance >> dans un reseau de lois, de rbgles, de rites qui la contraignent, qui imposent au dieu, par exemple, d'etre bienfaisant ou qui assurent par avance le devenir du difunt apres sa mort. C'est

pourquoi le peintre est tenu de suivre un certain nombre de conventions de dessin, conventions dont la bonne execution est censee assurer le fonctionnement correct de l'image et dont le

non-respect entrainerait au contraire la suspension de toute son efficacite magique. Ce tissu de conventions, cette codification confbrent ainsi ' la peinture egyptienne une dimension systima- tique dont il convient d'etudier le detail.

L'archeologie egyptienne a mis au jour une grande quantite de plaquettes de bois et de fragments de pierre et de poterie sur lesquels etaient graves des dessins representant les moddles fondamentaux de la peinture : personnages assis, debout, condui- sant un char, animaux, etc. Les contours de tous ces dessins sont

enserris dans des quadrillages qui en determinent les proportions exactes : par exemple, pour un personnage debout, 19 unites des

pieds au sommet de la tete, soit 6 de la plante des pieds aux

genoux, 4 des genoux aux hanches, 6 pour le buste et 3 pour la

tate, etc. (cf. notre croquis reproduisant le canon des proportions du corps humain).

Ces esquisses peuvent tre consid&r6es comme de veritables << cahiers de modules >>, dont l'ensemble devait constituer un cata-

logue plus ou moins formalist de figures fondamentales, figures dont la reproduction permettait par la suite l'agencement de tableaux plus complexes. En effet, pour composer ces derniers, I'artiste n'avait qu'a tracer un quadrillage sur le mur, de sorte

qu'il ne lui restait plus qu'a suivre ses moddles en prenant tous les points de repbre necessaires. Le travail du peintre etait done

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d'abord un travail de copiste, apparent6 celui du scribe dont il avait d'ailleurs le statut social.

Cette mise au carreau des figures est un procid6 qui tend ht emprisonner le peintre dans des gestes rcpetitifs, conditionnis

par la ndcessitd qui lui est impos&e de suivre un trace precis. On

peut supposer qu'h force d'experience le peintre finissait par acquerir un coup de main si solide qu'il n'avait meme plus besoin de tracer prealablement de quadrillage sur le mur : la mise au carreau etait inscrite dans ses gestes, en accord trbs &troit, de ce fait, avec les imperatifs de tout rituel magique, qui reclament

que le geste divinatoire lui-meme (et non seulement son resultat) soit 6galement soumis ta des rtgles qui conditionnent son efficacite. Dans un tel esprit, en effet, une erreur dans le trace ou dans les

proportions des figures ne dtbouchent pas seulement sur une faute de goit : c'est une erreur technique dans le processus divi- natoire, un manquement au rite qui peut coiter sa resurrection

magique au personnage peint qui en est la victime. Notons que, d'un point de vue technique comme d'un point

de vue magique, la statue rend 'videmment bien mieux compte que le portrait peint de ce qu'elle veut representer. L'ame du dieu ou du defunt peut effectuer l1 sa reincarnation dans un

organisme en trois dimensions, decoup' dans un support genCrale- ment plus durable (pierre dure). Mais la peinture, outre le fait

qu'elle est moins chore (ce qui comptait deja a l'epoque), permet en revanche la narration : le peintre peut materialiser une suite d'actions, comme dans une bande dessinee. En d'autres termes, si la statuaire permet davantage l'6vocation de la presence, de l'8tre d'un personnage, la peinture permet par contre d'evoquer un mouvement, l'action de ce personnage. Cette complkmentarite faisait que peinture et sculpture etaient souvent assocides dans un m^me lieu : magiquement, les scenes peintes 'taient censees

emprisonner le personnage sculpte a proximite dans la necessite de r'aliser les actions qu'elles representaient.

En contrepartie, l'execution d'un tableau obit t des conven- tions beaucoup plus strictes que le travail d'une statue. La plus generale et la plus representative de ces conventions est celle

que les archeologues et historiens de l'art ont convenu d'appeler < convention des vues principales >. C'est cette convention qui garantit magiquement que les objets materialises sur la surface d'un mur ressusciteront bien dans tout leur volume.

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Le principe de cette convention consiste repr6senter les

personnages, les animaux et les objets non pas tels qu'ils appa- raissent au regard, mais exposes dans leur integralite, chacun des elements de la figure etant deroule sur sa plus grande surface pour presenter au spectateur virtuel son profil le plus significatif. Ainsi, chacun de ces el1ments joue dans la figure le rBle d'un veritable organe ayant sa fonction propre, dessind non pas tel qu'il est vu et senti, mais tel qu'il a et' rfli~chi et calculi par le peintre.

Le corps humain, par exemple, dont nous venons de voir qu'il etait emprisonne dans des proportions determinees, est de surcroit represente non pas figurativement, chaque organe se fondant dans la forme generale du corps, mais rationnellement, dans ce que chacun de ces organes a de plus caracteristique. Ainsi, le visage est dessine de profil parce que c'est 1l sa silhouette la plus immi- diatement reconnaissable, mais l'oeil est present6 de face parce que c'est ainsi qu'il est cense le mieux voir. L'oreille est bien digagee pour permettre au personnage d'entendre correctement alors que la realite voudrait que la perruque lui cache compl6te- ment les oreilles, comme c'6tait le cas A l'epoque, etc. (cf. nouveau notre croquis).

Les dessins sont donc developpis en surface. Il n'y a pas de perspective : ce qui est cense figurer au second plan ou en pro- fondeur est conventionnellement represente au-dessus ou dticale vers l'avant. C'est ainsi que les jambes d'un personnage sont toujours dessindes de profil, la jambe qui figure a l'arribre-plan etant en fait simplement decalfe vers l'avant. Un decalage pers- pectif obligerait en effet le peintre a representer dans des dimen- sions plus petites les objets les plus eloignis, ce qui du point de vue de leur matirialisation magique pourrait paraitre grotesque.

Les couleurs elles-memes ont une valeur symbolique plus qu'esthetique. Un personnage peut etre peint en noir alors que de son vivant la couleur de sa peau etait blanche. Cela signifie simplement qu'on a voulu lui confdrer, par une sorte d'operation alchimique, les qualitis intrinstques de la couleur noire qui est en Egypte la couleur du limon fertile, donc la couleur de la fertilite et de la sante. Personnages et animaux sont donc souvent gratifies de teintes de peau bariolkes : noir, rouge, vert, tachete, etc., sans aucun rapport avec leur realite pidermique, mais bien entendu en parfait accord avec la signification que le peintre a voulu donner a ces colorations.

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On voit done que les necessites du rite magique font passer la stricte observation de certaines conventions de dessin avant la recherche de la vraisemblance figurative. En fait, chaque element de la forme generale a representer (par exemple, chaque organe du corps s'il s'agit d'une representation humaine) a une certaine independance par rapport aux autres. II est un dessin en

lui-m^me, qui peut &tre detache de l'ensemble parce qu'il ne se fond jamais complktement dans la forme g6nerale, et qui pourtant peut etre reconnu isol1ment comme 6tant, par exemple, une t6te, un ceil, un bras, etc. C'est en recollant ces morceaux entre eux

que le peintre construit en fait ses figures : nous n'en prendrons pour preuve que ce fait que les personnages peints ont frequem- ment deux pieds << de la meme chaussure >>, le peintre s'etant

simplement contente de dessiner le meme pied, soit gauche, soit

droit, a l'extremite de chaque jambe. Avec ces morceaux de figures, le peintre dispose done d'une

collection d'elements simples de dessin, un catalogue de stereo- types reproduire, et il se soumet a un certain nombre de conven- tions, de rbgles qui lui permettent d'agencer ces elements entre eux pour composer un tableau. En termes techniques, empruntes a la theorie de l'information, on pourrait dire qu'il dispose d'un < repertoire >> d'dlements simples et obdit a un < code >> d'agence- ment de ces elements entre eux.

C'est pourquoi nous pouvons nous demander s'il n'est pas possible de parler de la peinture egyptienne comme d'une ecriture. A bien des egards, en effet, ce repertoire des elements de dessin se presente tant6t comme un lexique de symboles, dans lequel chaque dessin, se comportant comme un ideogramme, reprisente un concept, tant6t comme l'alphabet d'une ecriture phonematique, dans lequel ces dessins representent la prononciation de lettres ou de syllabes.

De fait, la plupart des elements simples de dessin utilises pour la peinture peuvent etre rapprochis des signes de l'Ccriture hidroglyphique egyptienne, et ce a deux titres au moins. En

premier lieu, la peinture conditionne l'Fcriture quant a l'execution meme des traces : l'hieroglyphe est lui aussi un petit dessin et il se trouve que le trace de ce dessin obeit par extension aux memes conventions que le trace des dessins de la peinture (expo- sition des plans principaux, etc.). Peintre et scribe puisent done en pratique dans le meme repertoire pour y trouver les elements

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graphiques de base de leurs activites respectives. Ce qui ne sur- prendra personne si l'on ajoute que l'un et l'autre n'6taient sou- vent qu'une seule et meme personne ou, du moins, etaient assures d'un statut social presque identique : le mot 6gyptien qui designe le peintre se traduit a peu prbs par l'expression < scribe des contours >>.

En second lieu, et ceci permet d'envisager la peinture egyp- tienne sous un jour nouveau, il se trouve que la peinture 'a son tour est conditionnee par l'acriture. Cet effet en retour de l'Ccriture sur la peinture est bien entendu favorise par les analogies que chacune entretient avec l'autre du point de vue formel (trace des dessins). Mais la nature de cet effet est diffirente : elle tient dans ce que la peinture finit vraiment par etre pensee par le

peintre comme une sorte d'ecriture, puisqu'elle utilise les memes elements, de sorte que tout dessin tend a devenir un signe et que l'ensemble d'un tableau peut se presenter en fait comme une organisation signifiante.

Le peintre joue donc des analogies de forme entre ecriture et peinture pour imprimer a ses dessins un < plus-de-sens >>, pour souligner par le signe de l'Pcriture ce qu'il a voulu dire par l'image. Ainsi, l'eil d'un personnage peint n'est pas seulement un dessin, c'est aussi l'hidroglyphe ! (oeil), designant tout ce qui concerne la vue. L'affirmation du fait que le personnage voit, regarde, est donc & la fois dessinde et ecrite. S'il pleure, les larmes seront simplement representies sous la forme de petits traits : \,\ sous l'ceil, parce qu'ainsi le dessin d'ensemble repro- duira en fait le glyphe (ceil pleurant), designant l'action de pleurer : ainsi, tout le monde comprendra, en le lisant bien plut6t qu'en le reconnaissant par le dessin, que ce personnage est en train de pleurer.

Rappelons les principes qui regissent l'6criture glyphique. La

graphie normale d'un mot se compose de deux elements : un

ildment phonetique exprimant des sons par des signes et un e'Iment pictographique suggerant par l'image de quoi il s'agit.

Ainsi, dans le mot , /r/ << tomber >>, le dernier signe :

yQ, illustre le sens, ceux qui le prec6dent en expriment la

prononciation avec les valeurs a pour /v/et o (bouche) pour /r/. Le d'terminatif pictographique a une grande importance dans ce type d'dcriture. En effet, & l'instar des ecritures semitiques,

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l'Ccriture 6gyptienne n'exprime pas les voyelles, de sorte que les

signes phondtiques ne correspondent qu'A des consonnes et que la transcription de la langue trdbuche souvent sur des probltmes d'6criture, certains mots pouvant s'ecrire de la m~me manibre alors qu'ils ont des sens totalement diff6rents. Ainsi, le mot

Si , /au/, qui signifie << vieillard >>; comme le montre

l'd~lment graphique place en dernier, peut aussi signifier << louanges >. Dans ce cas, on ecrit la partie phonetique Q de la m^me manibre, mais on lui ajoute I comme determinatif. Le diterminatif n'est pas une representation trbs diffirencide : il appartient A un catalogue delimite de signes qui indiquent quel genre de concept se rapporte le mot.

Or, la peinture egyptienne joue constamment de cette arti- culation particulibre de l'Ccriture. En premier lieu, et d'une fagon assez g6nerale, on sait que la plupart des tableaux exposent a la fois les themes de la peinture elle-meme et un certain nombre de textes hieroglyphiques qui en precisent le sens (recits, pribres, simples interjections, etc.). Cette representation Cvoque constam- ment la structure de l'Ccriture, car chacune des figures du tableau

peut 6tre lue comme l'illustration pictographique du texte qui lui correspond, c'est-A-dire comme 1'equivalent d'un determinatif de l'anonc6 hidroglyphique place6 proximite. Cette fonction determinative remplie par la figure peinte va en fait jusqu'd conditionner le dessin de celle-ci. Dans de nombreux cas, les

personnages, par exemple, plut6t que d'etre dessinds dans l'atti- tude qui correspond a ce qu'ils sont reellement census faire, prennent conventionnellement une position qui reproduit pure- ment et simplement le dessin de l'hieroglyphe determinatif de ce

qu'ils ont a exprimer : (louanges), I (course), A (sup- plique), etc. On voit trs clairement que ce systdme de conventions impose au peintre de dessiner un personnage, non pas tel qu'il est en rdalit6, en train de courir, par exemple : k, mais tel que l'Fcriture le reprisente, c'est-a-dire, dans l'exemple de la course, les jambes droites et cartees, le talon du pied de la jambe arribre 6tant d6coll6 du sol, campant ainsi le personnage dans un maintien un peu fige, qui suggare assez peu, du moins pour nous, I'elan d'une course.

Ces e6lments d6terminatifs sont ainsi integres dans de nom- breux tableaux o0i leur double valeur d'image et de signe de

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l'ecriture permet au peintre de donner aux scenes reprdsent6es une double signification. Certains themes du culte solaire portent par exemple frdquemment sur la moisson du blk. Un tableau bien connu se rapportant B ce theme reprtsente des paysans aux cheveux blonds, vetus d'un pagne blanc, en train de vanner le bl que les moissonneurs leur apportent. A force d'etre battu,

le bld finit par former une cuvette autour d'eux : I.'

Le peintre ne s'est pas attache, malgrd les apparences, a repro- duire ici une scene champetre, mais k traduire les termes d'un rite. Le ble, du fait de sa couleur dorie, represente la lumiire du soleil tombee sur terre sous une de ses formes materielles. La cuvette formie par le tas de bld : Q est un determinatif de l'&criture qui designe tout ce qui est montagne. Laissant apparaitre le soleil : T , sa signification est : << akhet a,

c'est-4-dire << la Montagne de Lumiere a, celle d'oh nait le soleil a l'est. Le blanc des pagnes et l'or de leur chevelure (couleurs solaires) designent les paysans comme etant en fait les officiants d'un culte solaire. Leur attitude, si elle suggbre bien le vannage, reproduit surtout la figure du determinatif (louanges). De sorte que les grains de ble eux-memes, qui semblent a premiere vue tomber de leurs mains, se presentent en fait sous la forme de rayons emanant de l'astre naissant, conformement au mythe qui veut que les grains de blk soient en realite des grains de lumibre tombes du soleil. Ainsi le peintre a-t-il pu, par une association remarquable de figures A double sens, suggerer le deroulement d'un rite derriere l'apparence anodine d'une scene de la vie quotidienne.

Mais il y a mieux. L'analogie entre peinture et ecriture ne serait pas complete si les dessins de la peinture ne representaient que des concepts traduits en symboles, et non des phonemes de la langue comme c'est le cas dans toute ecriture au sens strict. Or, il arrive que les figures des tableaux ne soient pas simplement l'quivalent de la partie d6terminative d'un groupe conceptuel de mots, mais correspondent effectivement ' l'acriture d'un mot entier, signes determinatifs et phonetiques compris.

Une figuration du theme de la naissance du soleil est citre comme exemple par plusieurs egyptologues La schne represente

2. Dont, pricis6ment, M. PARLEBAS en s6minaire et M. DAUMAS dans un article paru recemment, Du phoneme au symbole dans l'criture hi6roglyphique ptol6maique, in Le courrier du C.N.R.S., 29, juillet 1978, pp. 1520o.

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la diesse du ciel s'appuyant sur le sol avec les mains et les pieds. Sous elle, le dieu de la terre est represent6 allong6 et c'est de leur union que nait le soleil, qui darde ses rayons. La pr6sence d'un enfant renforce cette id6e de naissance, en ref6rence h de nom- breux hymnes qui comparent le soleil levant a un nouveau-ne :

Or, ce tableau est en m6me temps une ecriture un peu forcee,

mythologique, du verbe , /pst/<< briller, donner de la

lumibre o, dont une figuration plus imag6e est : _ , avec

les valeurs = (ciel) pour /p/, f, (enfant) pour is/ et (terre) pour /t/, le soleil - jouant le rble de deter-

minatif. L'ensemble du tableau n'est done rien d'autre que l'6criture d'un mot.

Le peintre transforme ainsi par l'Ccriture, par l'adjonction d'un sens, ce que sa peinture exprimait dej*A par l'image. 11 y a

lI quelque chose de comparable 'a ce qui se passe egalement dans l'Ccriture de la poesie chinoise. Mais rien de comparable a ce qui circule dans notre systhme occidental d'ecriture, si ce n'est au titre du jeu dans des figurations telles que celle-ci : CHAM'~GNON~, Oh l'on peut reconnaitre que ce qui rend le jeu amusant, c'est cette rencontre, plus ou moins r'ussie selon les cas, de l'ecriture d'un signifiant et de l'image que nous avons de ce qu'il signifie.

La plupart des tableaux de la peinture egyptienne peuvent done se lire ainsi, a la fois comme un dessin, une image, et comme l'criture, soit d'un simple mot comme dans cet exemple, soit d'un enonce entier. Dans ce dernier cas, le tableau n'est plus alors la simple figuration d'une sc6ne A contempler d'un point de vue esthetique, mais un veritable texte, qu'il s'agit de lire, de traduire, d'interpreter.

L'agencement des tableaux egyptiens est, par exemple, souvent trts nettement lineaire, toutes les figures etant aligntes les unes

aprbs les autres comme les mots d'une phrase. Frequemment, les travaux de ce type sont des compositions & trois le6ments : par exemple, i) un personnage, le proprietaire de la tombe en invo- cation devant 2) un second personnage, un dieu funeraire, et entre eux deux, 3) une table d'offrande sur laquelle sont amasses

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Symbolisme et ecriture 87

les presents que le premier fait au second : 9t . Un tel tableau pourrait a la limite etre lu comme une phrase dans laquelle l'e1kment central, ici la table d'offrande, jouerait le r61e de prtdicat, le propriktaire de la tombe, en rffirence a la presence de sa statue dans la meme salle, le r6le de sujet, et le dieu, a qui est destinee l'offrande, celui d'expansion datif. La hikrarchie entre les elements est marquee par leur position respective. On pourrait donc lire ce tableau comme suit : I) << le propriktaire (de cette tombe) >>, sujet, 2) << fait cette offrande >, predicat, 3) << au dieu des mortsa>, expansion, et en proposer une visualisation syntaxique du type utilise en grammaire fonctionnelle :

Pr--(dat.) Ces tableaux eux-memes ne sont pas disposes n'importe

comment sur le mur qui leur sert de support. La decoration des temples et des tombeaux ob6it a des rbgles pr6cises d'alignement de ces propositions en forme d'images les unes A la suite des autres dans un ordre logique de lecture. Tous les tableaux d'un meme mur se succ6dent donc comme des phrases dans un texte.

L'5criture egyptienne ne montre pas de liaison ou de hierar* chisation entre propositions. Lorsqu'il s'agit de transcrire une

idle telle que celle-ci : << Aprbs sa victoire, le Pharaon fit un sacrifice pour remercier les dieux >>, le scribe ecrit gencralement : I) << Le Pharaon a remport6 la victoire >>, 2) << II a remercik les dieux >>, 3) << II a fait un sacrifice >. II est donc vraisemblable que les liaisons n'existaient pas non plus dans la langue. On devait proc'der par parataxe et non par hypotaxe. Il semble que l'on n'ait la preuve d'une syntaxe des propositions A aucun des niveaux envisages, que ce soit au niveau pictural, au niveau des textes ecrits ou au niveau des usages parlks de la langue. Peut-on penser t la bande dessin'e ? Dans le contexte 'gyptien, la succession des

tableaux peints comme unit6s distinctes les uns aprbs les autres correspond donc tout A fait t l'esprit de l' criture : l'agencement du recit pictural, en se contentant de juxtaposer les tableaux au lieu de les articuler, reproduit en fait une caracteristique qui est aussi propre A ce que l'6criture nous revble de la langue.

Ce rapprochement entre l'organisation lineaire des frises de la peinture et l'organisation lindaire de l'Pcriture ne signifie pas, bien entendu, que nous puissions simplement assimiler l'une a

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88 Patrick Schmoll

Reconstitution du canon Cgyptien de la repr6sentation du corps humain, mettant en ividence la mise en carreau de la figure et le respect de la convention des vues principales.

On notera que le personnage a deux pieds gauches et deux mains droites, ce qui ne perturbe pas l'harmonie d'ensemble de la figure.

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Symbolisme et e'criture 89

l'autre. II serait difficile d'affirmer que le peintre a voulu propre- ment a<< crire >> son oeuvre comme on 6crit un texte. Mais ce qui est certain, c'est que dans la composition de cette oeuvre il n'a pu qu'&tre conditionn' par l'organisation de l'dcriture, c'est-A-dire : i) par la dimension signifiante de celle-ci, comme le montrent les exemples qui precedent, 2) par la dimension lineaire de son

developpement, et 3) par son articulation en unites. Ces rapprochements entre peinture et dcriture permettent done

de montrer :

I) Que la peinture egyptienne s'organise en un syst6me de

representations : il est possible d'analyser un tableau 6gyptien de faqon systematique parce que sa composition a necessit6 l'utilisation, d'une part, d'un catalogue fini d'1Clments simples de dessin et, d'autre part, d'un nombre fini de rbgles d'agencement de ces eIlments entre eux en figures plus complexes.

2) Que cette organisation des representations de la peinture est conditionnee par l'organisation de l'dcriture, a laquelle elle

prete ses caracteristiques formelles (trace du dessin hierogly- phique), mais dont elle tire ses qualites signifiantes, le repertoire des ClCments de dessin jouant ici veritablement le r6le soit d'un

lexique de symboles (representant des concepts, comme les deter- minatifs glyphiques), soit d'un alphabet de signes phonetiques (representant des sons, comme les lettres de l'alphabet hierogly- phique proprement dit).

Rappelons que ce qui est en jeu dans la peinture egyptienne, c'est la maitrise des << puissances >>, c'est-A-dire la maltrise de l'inconnu et de l'inconnaissable dans ce qu'ils constituent d'energie menagante. La peinture magique, comme toute activite magique, est une tentative de l'homme pour imposer au disordre, au chaos de la nature l'ordre de son savoir. Montrer qu'une telle activite fait usage de symboles, qu'elle presente des analogies de structure avec l'ecriture de la langue, c'est en fait montrer que toute action

qui tend a plier le reel a un ordre humain passe necessairement

par le canal d'une symbolisation, que l'ordre humain, c'est en fait l'ordre du langage.

Fevrier 1979. Section de psychologie

de 1' Universiti Louis-Pasteur, Strasbourg.

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