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Fait clinique Papillomatose multifocale des voies biliaires : une indication de transplantation hépatique Diffuse biliary papillomatosis: an indication for liver transplantation M.A. Ciardullo a , J. Pekolj a , J.E. Acuña Barrios a , A. Gadano a , E. Mullen a , D. Castaing b, *, E. de Santiñañes a a Servicio de cirurgia, hospital italiano, Buenos Aires, Argentine b Centre hépatobiliaire, hôpital Paul-Brousse, AP-HP et université Paris Sud, 94804 Villejuif, France Reçu le 27 juillet 2001 ; accepté le 26 novembre 2002 Résumé La papillomatose multifocale des voies biliaires est une maladie rare. En raison du taux élevé de récidive et de la possibilité de transformation maligne, la transplantation hépatique est une nouvelle alternative thérapeutique. Nous rapportons le cas d’un malade de 60 ans ayant une papillomatose diffuse des voies biliaires responsable de crises d’angiocholite, d’une choléstase importante et de signes d’hyperten- sion portale (varices oesophagiennes grade I à II, splénomégalie et hypersplénisme). Il avait eu un drainage biliaire externe entraînant une perte hydroélectrolytique importante qui a permis, par une opacification et des biopsies sous contrôle endoscopique, d’affirmer le diagnostic. Il a été traité par une transplantation hépatique orthotopique. Les suites opératoires ont été simples. Le malade est sorti de l’hôpital au 16 e jour. Au 9 e mois, il est asymptomatique avec une évolution tout à fait satisfaisante. L’utilisation des autres modalités thérapeutiques est discutée, ainsi que la revue de la littérature. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Biliary papillomatosis is a uncommon disease. Because of the high rate of recurrence and the possibility of malignant transformation, liver resection or transplantation was recommended. A case of diffuse bilobar biliary papillomatosis, in a 60 years old patient, responsible for cholangitis, cholestasis and for high portal pressure (esophageal varices grade I and II and hypersplenisme) is reported. The patient had had an external biliary drainage leading to an great loss of hydroelectrolytic component important. Opacification and biopsies under endoscopic control assert the right diagnosis. He was treated by a orthotopic liver transplantation. Post operative course was simple. In the 9th month, it was asymptomatic with a completely satisfactory evolution. The other therapeutic modalities was discussed, as well as the review of the literature. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction La papillomatose des voies biliaires est une maladie peu fréquente qui se caractérise par des lésions papillaires pluri ou multifocales de l’épithélium biliaire des voies biliaires intra et/ou extrahépatiques, selon la définition de la World Health Organization [1]. Ces lésions ont la capacité de produire une grande quantité de mucus et peuvent boucher complètement les canaux biliaires, entraînant dilatations et des crises d’angiocholite à répétition. Il s’agit en fait d’une maladie de l’épithélium biliaire. Aussi, tous les traitements (percutanés ou chirurgicaux) qui laissent en place de la voie biliaire exposent à un risque très élevé de récidive. Comme la * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Castaing). Annales de chirurgie 128 (2003) 188–190 www.elsevier.com/locate/annchi © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0003-3944(03)00038-5

Papillomatose multifocale des voies biliaires : une indication de transplantation hépatique

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Fait clinique

Papillomatose multifocale des voies biliaires :une indication de transplantation hépatique

Diffuse biliary papillomatosis:an indication for liver transplantation

M.A. Ciardulloa, J. Pekolj a, J.E. Acuña Barriosa, A. Gadanoa, E. Mullena,D. Castaingb,*, E. de Santiñañesa

a Servicio de cirurgia, hospital italiano, Buenos Aires, Argentineb Centre hépatobiliaire, hôpital Paul-Brousse, AP-HP et université Paris Sud, 94804 Villejuif, France

Reçu le 27 juillet 2001 ; accepté le 26 novembre 2002

Résumé

La papillomatose multifocale des voies biliaires est une maladie rare. En raison du taux élevé de récidive et de la possibilité detransformation maligne, la transplantation hépatique est une nouvelle alternative thérapeutique. Nous rapportons le cas d’un malade de 60 ansayant une papillomatose diffuse des voies biliaires responsable de crises d’angiocholite, d’une choléstase importante et de signes d’hyperten-sion portale (varices œsophagiennes grade I à II, splénomégalie et hypersplénisme). Il avait eu un drainage biliaire externe entraînant une pertehydroélectrolytique importante qui a permis, par une opacification et des biopsies sous contrôle endoscopique, d’affirmer le diagnostic. Il a ététraité par une transplantation hépatique orthotopique. Les suites opératoires ont été simples. Le malade est sorti de l’hôpital au 16e jour. Au9e mois, il est asymptomatique avec une évolution tout à fait satisfaisante. L’utilisation des autres modalités thérapeutiques est discutée, ainsique la revue de la littérature.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Biliary papillomatosis is a uncommon disease. Because of the high rate of recurrence and the possibility of malignant transformation, liverresection or transplantation was recommended. A case of diffuse bilobar biliary papillomatosis, in a 60 years old patient, responsible forcholangitis, cholestasis and for high portal pressure (esophageal varices grade I and II and hypersplenisme) is reported. The patient had had anexternal biliary drainage leading to an great loss of hydroelectrolytic component important. Opacification and biopsies under endoscopiccontrol assert the right diagnosis. He was treated by a orthotopic liver transplantation. Post operative course was simple. In the 9th month, itwas asymptomatic with a completely satisfactory evolution. The other therapeutic modalities was discussed, as well as the review of theliterature.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

La papillomatose des voies biliaires est une maladie peufréquente qui se caractérise par des lésions papillaires pluriou multifocales de l’épithélium biliaire des voies biliaires

intra et/ou extrahépatiques, selon la définition de laWorldHealth Organization [1]. Ces lésions ont la capacité deproduire une grande quantité de mucus et peuvent bouchercomplètement les canaux biliaires, entraînant dilatations etdes crises d’angiocholite à répétition. Il s’agit en fait d’unemaladie de l’épithélium biliaire. Aussi, tous les traitements(percutanés ou chirurgicaux) qui laissent en place de la voiebiliaire exposent à un risque très élevé de récidive. Comme la

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (D. Castaing).

Annales de chirurgie 128 (2003) 188–190

www.elsevier.com/locate/annchi

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 10.1016/S0003-3944(03)00038-5

localisation initiale, cette récidive peut évoluer vers la trans-formation maligne par passage de la dysplasie sévère aucarcinome in situ puis infiltrant [2].

Le risque de récidive de la papillomatose va de 50 à77 %avec un pourcentage de transformation maligne de 11 à26,7 % et Helling et al. [3] ont rapportéune mortalité liée à lamaladie de 50 % avec des résultats encore plus mauvais encas de papillomatose biliaire diffuse. Aussi, la transplanta-tion hépatique, parce qu’elle enlève la totalité des voiesbiliaires intrahépatiques et la presque totalitédes voies biliai-res extrahépatiques peut être une alternative thérapeutiqueintéressante.

Dans ce travail, nous rapportons le cas d’une papilloma-tose multifocale des voies biliaires traitée par une transplan-tation hépatique orthotopique.

2. Observation

Un homme de 60 ans qui avait eu en 1997 une cholécys-tectomie et une cholédochotomie avec mise en place d’undrain de Kehr pour une angiocholite aiguë en 1997. À lacholangiographie, il existait des multiples lacunes dans tou-tes les voies biliaires intra et extrahépatiques. Une biopsieconfirmait la nature papillaire de ces lésions. Le drain deKehr était retiréau 2e mois postopératoire. Depuis, il présen-tait de multiples épisodes d’angiocholite traitées à plusieursreprises par des drainages percutanés.

Il a été pris en charge dans notre centre en mars 2000. Ilétait alors ictérique, amaigri (30 kg en 3 ans). Le drainagebiliaire externe ramenait 2 à3 l j-1 d’un matériel mucoïde, quiobligeait un rééquilibrage hydroélectrolytique parentéralconstant. Les taux sanguins de bilirubine totale et directeétaient respectivement à13 mg dl-1 et 6,5 mg dl-1 ; les taux dephosphatases alcalines à 650 UI l-1 ; les taux de transamina-ses à 150 et 75 UI l-1 pour respectivement les ALAT et lesALAT ; le TP était à 55 %.

Une hypertension portale s’était installée puisqu’ il existaitdes varices œsophagiennes grade I à II et une splénomégalieavec hypersplénisme.

Au plan morphologique, la cholangio-IRM montrait deslésions multifocales diffuses des voies biliaires intra et extra-hépatiques (Fig. 1).Une cholédocoscopie percutanée et desbiopsies étagées sur les voies biliaires intra et extrahépati-ques confirmaient le diagnostic de papillomatose des voiesbiliaires sans transformation maligne.

En raison de l’étendue des lésions et du retentissementgénéral de la malade, une indication de transplantation hépa-tique orthotopique était posée. Celle-ci était réalisée le26 juillet 2000 à partir d’un foie cadavérique. À l’ interven-tion, le foie malade était cholestatique avec une importantedilatation de la voie biliaire principale extrahépatique (5 cmde diamètre). Une cholédocoscopie peropératoire assurait del’absence de tumeur dans la portion rétropancréatique ducholédoque, jusqu’à l’ampoule de Vater. La voie biliairedistale pouvait donc être conservée et le rétablissement de lacontinuitédigestive était réalisépar la montée d’une anse en

Y sur la voie biliaire principale du greffon. Les suites opéra-toires étaient simples : sortie au 16e jour. Fonction hépatiquenormale avec un recul de 9 mois.

L’analyse histologique retrouvait une prolifération épithé-liale pseudopapillaire de voies biliaires (extra et intrahépati-ques), constituée par des cellules monotones à cytoplasmePAS positif avec conservation de la membrane basale. Il n’yavait pas de zones de malignité. Le parenchyme hépatiqueétait le siège d’une cirrhose micro et macronodulaire.

3. Discussion

La papillomatose est une maladie rare dont les caractéris-tiques cliniques et le pronostic sont mal connus : Helling etal. [3] en 1996 ont publié une revue sur les traitementschirurgicaux des néoplasies papillaires de la voie biliaire quine rapportait que 29 cas publiés. Il existe une légère prédo-minance des malades adultes de sexe masculin. Clinique-ment, ils présentent des épisodes d’angiocholangite et d’ ic-tère dont l’origine est l’obstruction biliaire liée àl’hypersécrétion muqueuse. Cette capacité de production demucus permet de faire la différence entre papillomatose etpapillomes simples. Le mucus est clair, généralement abon-dant, contenant une quantitémodérée d’hématies, sans cellu-les ni pigments biliaires [4,5]. En cas de tumeurs squameu-ses, il peut être riche en cellules, ce qui permettrait de réaliserun cytodiagnostic [6]. L’ ictère douloureux est le symptôme leplus fréquent ; il est rarement nu [7]. Les examens biochimi-ques peuvent montrer une choléstase, généralement sansinsuffisance hépatocellulaire. L’amylasémie et l’amylasuriesont dans la normale. Dans notre observation, existaient destroubles hydroélectrolytiques liés à la perte abondante demucus par le drainage biliaire externe.

Le diagnostic évoqué àl’échographie (dilatation des voiesbiliaires intra et/ou extrahépatique et présence de matérielendoluminal ; hépatomégalie modérée) est affiné par lacholangio-IRM. Son intérêt est de visualiser aussi le canal deWirsung qui peut être lui aussi le siège de tumeurs papillaireset elle devrait permettre de diminuer les indications descholangiographies trans-pariétohépatiques ou cholangiopan-créatographie rétrograde endoscopique. Toutefois, la cholan-

Fig. 1. Aspect de la papillomatose diffuse lors de la bili-RMN et sa corres-pondance sur la pièce après l’hépatectomie totale au cours de la transplan-tation hépatique.

189M.A. Ciardullo et al. / Annales de chirurgie 128 (2003) 188–190

giopancréatographie rétrograde endoscopique est encorel’examen de référence en montrant clairement la distributiondes lésions biliaires, l’ issue de matériel mucoïde trans-papillaire, tout en offrant la possibilité de traiter l’obstacle,responsable de la choléstase [6,8–10].

En raison de l’évolution récidivante et ascendante desobstacles biliaires et du potentiel de malignitéde ces lésionspapillaires, le traitement radical ne peut être que chirurgical.Pour les malades ne pouvant supporter un geste chirurgical, ilest possible de traiter de manière efficace mais palliative lemucus ou les débris endoluminaux par un drainage endosco-pique ou percutané et/ou la mise en place de prothèses [9].Pour les malades opérables, curetage et drainage biliaire sontassociés àun très haut taux de récidive, il faut donc enlever latotalité de la voie biliaire malade. Ainsi, lorsque les lésionssont localisées dans une zone du foie, une hépatectomieanatomique doit être réalisée. Lorsque les lésions sont diffu-ses, la transplantation hépatique orthotopique [7] est la solu-tion la plus adaptée. Dans cette situation, l’ impossibilitéd’affirmer en préopératoire l’absence de cancer dans leslésions papillaires diffuses, doit faire rechercher systémati-quement les mêmes critères que pour les cancers primitifs dufoie, c’est-à-dire l’absence de métastases àdistance, d’enva-hissement lymphatique locorégional ou vasculaire associé.Le foie explanté doit être étudié en anatomopathologie pourchercher une malignité passée inaperçue en préopératoire,dans le but d’un suivi précis oncologique, car il ne semble pasutile d’associer une chimiothérapie ou de la radiothérapie.

Quel que soit le mode d’exérèse indiqué, une duodé-nopancréatectomie céphalique avec anastomose hépaticojé-junale haute est indiquée lorsque la papillomatose s’étend àla voie biliaire distale ou au canal de Wirsung proximal.

En conclusion, la papillomatose biliaire est une maladierare qui se caractérise par des lésions papillaires multiples de

l’épithélium biliaire intra et/ou extrahépatique qui par leurlente progression, le taux élevéde récidive et le risque signi-ficatif de transformation maligne, est une cause importanted’obstruction néoplasique de la voie biliaire. Elle doit êtretraitée par des résections radicales pouvant aller jusqu’à latransplantation dans les cas diffus comme le malade rapportédans cette observation.

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190 M.A. Ciardullo et al. / Annales de chirurgie 128 (2003) 188–190