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gestion | ressources humaines 30 OptionBio | Lundi 25 mai 2009 | n° 418-419 U ne étude de l’Observatoire national des asthmes professionnels (Onap) montre que les professionnels de santé sont en 2 e position dans les maladies professionnelles respiratoires, après les boulangers et avant les peintres, coiffeurs, agents de nettoyage, peintres au pistolet... 246 cas ont été recensés de 1996 à 1998, pour lesquels la pathologie la plus répandue est l’asthme, suivi de la rhinite. État des lieux Au sein des professionnels de santé, les plus exposés sont pour plus de moitié des infirmier(e)s et aide-soignant(e)s, puis, à part relativement égale, les agents de services hospitaliers et les profes- sions dentaires, et enfin, dans une moindre part, les médecins. Les personnels des laboratoires sont plus particulièrement touchés par l’allergie professionnelle au latex. Les risques sont rattachés à un plus grand nombre de gestes techniques, un usage plus intensif des gants pour se préserver de l’accident d’exposi- tion au sang (AES), des savons antiseptiques, des désinfectants de type ammoniums quaternaires (plus fréquemment utilisés depuis les années 95) et des aldéhydes dans le cadre de la lutte contre les infections nosocomiales ; tout cela sur un fond d’augmentation de la fréquence d’atopie dans la population générale. Inversement, il est noté une baisse des allergies aux médicaments liée à la très forte réduction de prescription des antibiotiques et aux améliorations apportées au conditionnement et aux manipula- tions de préparation. Un pronostic par étapes La première des étapes consiste à préciser l’his- toire clinique. Il s’agit de mettre en évidence les relations entre travail et signes cliniques, en se basant sur des critères les plus objectifs possibles, recueillis par interrogatoire : – quels sont les signes cliniques ? – ces signes augmentent-ils durant la période de travail ? – diminuent-ils en période de vacances ? Dans certaines maladies professionnelles, une période de trois semaines peut être nécessaire pour constater cette réduction des signes cli- niques. Débit respiratoire de pointe et test à la métacholine viennent compléter le diagnostic d’asthme. Le diagnostic étiologique fait appel, dans la mesure où ils sont disponibles, aux prick tests et à la recherche d’IgE spécifiques. Ceux-ci objectivent une sensibilisation, mais ne prouvent pas le lien entre sensibilisation et signes cliniques observés. Les tests de provocation spécifiques, gérés par une équipe spécialisée, restent l’étalon d’or du diagnostic d’allergie professionnelle respiratoire. L’asthme peut apparaître avec ou sans temps de latence. Dans le premier cas, il s’agit géné- ralement d’allergènes protéiques (comme pour l’asthme du boulanger) et les crises sont ryth- mées par les périodes de travail. Ce temps de latence correspond à la période de sensibilisation à l’allergène. L’asthme au latex en est un exemple typique. Le diagnostic différentiel avec un asthme qui serait aggravé par le travail est basé sur le fait que les signes ne sont pas rythmés par le travail : l’asthme déjà présent est accentué par le caractère irritant des substances manipulées. Ce tableau d’asthme aggravé ne fait pas partie de la définition des asthmes professionnels. Dans le cas d’asthme sans latence, il s’agit souvent d’ex- position massive à des substances qui présentent un caractère irritant, ou bien d’inhalations répé- tées de faibles concentrations. Il s’agit alors d’un asthme professionnel non allergique. Allergènes en cause Le latex La première substance responsable est le latex, présent dans les gants, les drains, les sondes, les canules... Parmi les 16 recombinants, rHebv6 est l’allergène le plus fréquent en milieu de soins. Le taux d’allergénicité est réglementé pour les gants notamment, mais l’allergène est souvent véhiculé par les aérosols de poudre de maïs qui contien- nent toujours des particules de latex. Le risque est d’autant plus grand que la personne présente un terrain atopique ou a subi des opérations mul- tiples dans l’enfance. Les préconisations, dont l’efficacité n’est malheureusement que partielle, sont d’utiliser des gants sans latex ou des gants en latex non poudrés. Les désinfectants Les désinfectants sont tous des produits irritants de la peau et des muqueuses, dont le mécanisme physiopathologique pourrait être en partie IgE- dépendant (notamment s’ils sont utilisés sous Pathologies professionnelles respiratoires chez les personnels de santé Les nombreux allergènes en milieu hospitalier et leur exposition multiple rendent difficile et longue une enquête sur ce sujet. Pourtant, les conséquences sont potentiellement lourdes dans la mesure où, si l’éviction de l’allergène responsable n’est pas possible, seul le reclassement de la personne à un autre poste est envisageable. Gants : maïs et latex La poudre des gants est faite d’amidon de maïs dont l’objectif est de lubrifier et faci- liter leur utilisation. Malheureusement, à côté de ses propres propriétés irritantes, la poudre absorbe les particules de latex et augmente ainsi le contact peau-latex. La poudre peut contenir jusqu’à 600 microgrammes d’allergènes de latex par gramme de gant. L’aérosol généré par la manipulation des gants poudrés peut contenir de 5 à 600 ng/m 3 , contre moins de 0,1 pour les gants non poudrés.

Pathologies professionnelles respiratoires chez les personnels de santé

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30 OptionBio | Lundi 25 mai 2009 | n° 418-419

Une étude de l’Observatoire national des asthmes professionnels (Onap) montre que les professionnels de santé sont en

2e position dans les maladies professionnelles respiratoires, après les boulangers et avant les peintres, coiffeurs, agents de nettoyage, peintres au pistolet... 246 cas ont été recensés de 1996 à 1998, pour lesquels la pathologie la plus répandue est l’asthme, suivi de la rhinite.

État des lieuxAu sein des professionnels de santé, les plus exposés sont pour plus de moitié des infirmier(e)s et aide-soignant(e)s, puis, à part relativement égale, les agents de services hospitaliers et les profes-sions dentaires, et enfin, dans une moindre part, les médecins. Les personnels des laboratoires sont plus particulièrement touchés par l’allergie professionnelle au latex.Les risques sont rattachés à un plus grand nombre de gestes techniques, un usage plus intensif des gants pour se préserver de l’accident d’exposi-tion au sang (AES), des savons antiseptiques, des désinfectants de type ammoniums quaternaires (plus fréquemment utilisés depuis les années 95) et des aldéhydes dans le cadre de la lutte contre les infections nosocomiales ; tout cela sur un fond d’augmentation de la fréquence d’atopie dans la population générale.Inversement, il est noté une baisse des allergies aux médicaments liée à la très forte réduction de prescription des antibiotiques et aux améliorations apportées au conditionnement et aux manipula-tions de préparation.

Un pronostic par étapesLa première des étapes consiste à préciser l’his-toire clinique. Il s’agit de mettre en évidence les relations entre travail et signes cliniques, en se

basant sur des critères les plus objectifs possibles, recueillis par interrogatoire :– quels sont les signes cliniques ?– ces signes augmentent-ils durant la période de travail ?– diminuent-ils en période de vacances ?Dans certaines maladies professionnelles, une période de trois semaines peut être nécessaire pour constater cette réduction des signes cli-niques. Débit respiratoire de pointe et test à la métacholine viennent compléter le diagnostic d’asthme.Le diagnostic étiologique fait appel, dans la mesure où ils sont disponibles, aux prick tests et à la recherche d’IgE spécifiques. Ceux-ci objectivent une sensibilisation, mais ne prouvent pas le lien entre sensibilisation et signes cliniques observés. Les tests de provocation spécifiques, gérés par une équipe spécialisée, restent l’étalon d’or du diagnostic d’allergie professionnelle respiratoire.L’asthme peut apparaître avec ou sans temps de latence. Dans le premier cas, il s’agit géné-ralement d’allergènes protéiques (comme pour l’asthme du boulanger) et les crises sont ryth-mées par les périodes de travail. Ce temps de latence correspond à la période de sensibilisation à l’allergène. L’asthme au latex en est un exemple typique. Le diagnostic différentiel avec un asthme qui serait aggravé par le travail est basé sur le fait que les signes ne sont pas rythmés par le travail : l’asthme déjà présent est accentué par le caractère irritant des substances manipulées. Ce tableau d’asthme aggravé ne fait pas partie de la définition des asthmes professionnels. Dans le cas d’asthme sans latence, il s’agit souvent d’ex-position massive à des substances qui présentent un caractère irritant, ou bien d’inhalations répé-tées de faibles concentrations. Il s’agit alors d’un asthme professionnel non allergique.

Allergènes en causeLe latexLa première substance responsable est le latex, présent dans les gants, les drains, les sondes, les canules... Parmi les 16 recombinants, rHebv6 est l’allergène le plus fréquent en milieu de soins. Le taux d’allergénicité est réglementé pour les gants notamment, mais l’allergène est souvent véhiculé par les aérosols de poudre de maïs qui contien-nent toujours des particules de latex. Le risque est d’autant plus grand que la personne présente un terrain atopique ou a subi des opérations mul-tiples dans l’enfance. Les préconisations, dont l’efficacité n’est malheureusement que partielle, sont d’utiliser des gants sans latex ou des gants en latex non poudrés.

Les désinfectantsLes désinfectants sont tous des produits irritants de la peau et des muqueuses, dont le mécanisme physiopathologique pourrait être en partie IgE-dépendant (notamment s’ils sont utilisés sous

Pathologies professionnelles respiratoires chez les personnels de santé

Les nombreux allergènes en milieu hospitalier et leur exposition multiple rendent difficile et longue une enquête sur ce sujet. Pourtant, les conséquences sont potentiellement lourdes dans la mesure où, si l’éviction de l’allergène responsable n’est pas possible, seul le reclassement de la personne à un autre poste est envisageable.

Gants : maïs et latexLa poudre des gants est faite d’amidon de

maïs dont l’objectif est de lubrifier et faci-

liter leur utilisation. Malheureusement, à

côté de ses propres propriétés irritantes,

la poudre absorbe les particules de latex

et augmente ainsi le contact peau-latex.

La poudre peut contenir jusqu’à 600

microgrammes d’allergènes de latex par

gramme de gant. L’aérosol généré par

la manipulation des gants poudrés peut

contenir de 5 à 600 ng/m3, contre moins

de 0,1 pour les gants non poudrés.

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forme de spray). L’indication des désinfectants en établissement de soins est très liée aux déci-sions des comités d’action contre les infections nosocomiales. Ceci explique l’évolution épidémio-logique des asthmes et rhinites professionnels : par exemple, les pathologies liées au glutaraldé-hyde régressent dans la mesure où celui-ci est souvent remplacé par l’acide peracétique, actif sur les prions, pour la décontamination du maté-riel médical. De ce fait, il est probable que l’on assiste à une augmentation de tableaux cliniques liés à la manipulation de cet acide peracétique, aux propriétés irritantes et oxydantes, et vis-à-vis duquel les premiers cas, confirmés par test de provocation, ont été déclarés. Le formaldéhyde, également de moins en moins utilisé, possède à la fois des propriétés irritantes et allergéniques qu’il est difficile de différencier autrement que par des tests bronchiques ; le caractère corrosif interdisant les tests cutanés.Les ammoniums quaternaires, utilisés pour la désinfection des sols et des surfaces, sont les allergènes émergents actuellement. Il s’agit sur-

tout du chlorure de benzalkonium et du chlorure de didécyldiméthylammonium. Cette émergence est telle que ces produits tendent à supplanter le latex en tant que principal agent responsable de maladies respiratoires professionnelles. La chlo-ramine T et l’oxyde d’éthylène (agent de décon-tamination du petit matériel) sont impliqués à une moindre fréquence.

La prise en chargeLa prise en charge médicale à base de corticothé-rapie n’est pas différente du traitement habituel de l’asthme ou de la rhinite. Le seul traitement curatif étant l’éviction de l’agent causal, mais les diffi-cultés existent sur le plan professionnel. Sachant que le maintien de l’exposition réduit l’efficacité thérapeutique et aggrave le pronostic, médecine de soins et médecine du travail doivent collaborer afin d’évaluer les possibilités de maintien de la personne au poste en réduisant suffisamment le contact avec l’agent causal, ou de reclassement à un poste moins exposant, ou la perte d’emploi pour inaptitude médicale.

Asthme et rhinite professionnels sont inscrits au tableau des maladies professionnelles. Afin d’être reconnu comme tel, le patient doit remettre un certificat médical descriptif initial à la Sécurité sociale (délai de 2 ans) pour enta-mer les démarches. Le diagnostic de maladie professionnelle sera posé par des explorations fonctionnelles et rythmé par l’activité profes-sionnelle. Il n’est pas obligatoire de prouver la sensibilisation à une substance précise ; tou-tefois, la nature des travaux et des substan-ces exposantes est limitée. Le montant d’une éventuelle réparation est évalué par le médecin conseil, uniquement sur la base des séquelles fonctionnelles, et donc indépendamment des conséquences professionnelles. |

ROSE-MARIE LEBLANC,consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de C. Donnay, lors du 25e Colloque Corata, juin 2008.