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gie du travail à légard de lusager. Ceci mis à part, les résultats stimulants auxquels aboutis- sent chacun de ces ouvrages justifie pleinement langle dapproche choisi. À qui sintéresse au travail bureaucratique en action, à laction publique en acte, à la relation de service, lon ne saurait que conseiller de lire des livres qui font déjà ou feront bientôt référence. Références Borzeix, A., 2000. La relation de service. Regards croisés. Cahier du genre 28, 1948. Lipsky, M., 1980. Street Level Bureaucracy: Dilemnas of the Individual in Public Services. Russel Sage Foundation, New York. Merton, R.K., 1936. The Unanticipated Consequences of Purposive Social Action. American Sociological Review 1, 894904. Ygal Fijalkow Centre détude et de recherche technique, organisation, pouvoir (CertopCNRS) Maison de la Recherche, 5, allées Antonio Machado, 31058 Toulouse cedex, France Adresse e-mail : [email protected] (Y. Fijalkow). 0038-0296/$ - see front matter © Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.soctra.2005.10.009 Patrick Pharo, Morale et sociologie, Gallimard, coll. « Folio/Essais », Paris, 2004 (417 p.) Louvrage de Patrick Pharo prend place au sein dune excellente série dessais destinés à présenter au public cultivé des sommes classiques, sans exclure pour autant lexpression de thèses originales. Le contrat est rempli : louvrage comporte six parties, dont trois (II, III, IV) constituent une présentation pédagogique, maîtrisée et solidement informée, des grandes conceptions de la sociologie morale actuellement en débat. Les trois autres parties (I, V, VI), encadrant les précédentes, donnent à louvrage une orientation incontestablement spécifique. Les trois chapitres de synthèse Théories socio-culturelles de la morale (II), Approches actionnistes (III), Le naturalisme et ses limites (IV) exposent successivement trois manières denvisager le fait moral dun point de vue sociologique. Le chapitre médian en constitue le pivot. P. Pharo y soutient avec vigueur une conception de la sociologie dinspiration wébé- rienne, une sociologie compréhensive de laction, par opposition à une simple sociologie des faits sociaux, se contentant dappréhender les phénomènes moraux de lextérieur. Le premier chapitre de cet ensemble expose cette autre sociologie, dinspiration durkheimienne, jusque dans ses prolongements et renouvellements chez Pierre Bourdieu et John Searle. Le dernier, consacré à un exposé critique de la tradition naturaliste, de Darwin à la psychologie évolution- niste en passant par la sociobiologie, constitue lapport informatif le plus significatif de cette synthèse. P. Pharo pose un beau et délicat problème, dès le premier chapitre (I : Le domaine de la sociologie morale) : une sociologie de la morale doit-elle être subordonnée à une conception normative de ce quest la morale ? Il répond audacieusement que oui : « la sociologie de léthique et de la morale doit inévitablement être une sociologie directement morale » (p. 28 ; voir aussi pp. 47 et 359). Pour faire autre chose que de la simple sociologie des mœurs, il faut être sûr que lon a à faire à des faits ou à des actes intrinsèquement moraux. Or un fait ne peut être moral que si on peut découvrir une intention (elle-même morale) à sa source. Ce constat justifie à soi seul la prééminence donnée à la sociologie actionniste. Mais, daprès P. Pharo, on ne peut pas même sen tenir à une analyse de ce que les acteurs ou les groupes considéreraient Comptes rendus 540

Patrick Pharo, ,Morale et sociologie (2004) Gallimard, coll. « Folio/Essais »,Paris (417 p.)

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gie du travail à l’égard de l’usager. Ceci mis à part, les résultats stimulants auxquels aboutis-sent chacun de ces ouvrages justifie pleinement l’angle d’approche choisi. À qui s’intéresse autravail bureaucratique en action, à l’action publique en acte, à la relation de service, l’on nesaurait que conseiller de lire des livres qui font déjà ou feront bientôt référence.

Références

Borzeix, A., 2000. La relation de service. Regards croisés. Cahier du genre 28, 19–48.Lipsky, M., 1980. Street Level Bureaucracy: Dilemnas of the Individual in Public Services. Russel Sage Foundation,

New York.Merton, R.K., 1936. The Unanticipated Consequences of Purposive Social Action. American Sociological Review 1,

894–904.

Ygal FijalkowCentre d’étude et de recherche technique, organisation, pouvoir (Certop–CNRS)

Maison de la Recherche, 5, allées Antonio Machado, 31058 Toulouse cedex, FranceAdresse e-mail : [email protected] (Y. Fijalkow).

0038-0296/$ - see front matter © Publié par Elsevier SAS.doi:10.1016/j.soctra.2005.10.009

Patrick Pharo, Morale et sociologie, Gallimard, coll. « Folio/Essais », Paris, 2004 (417 p.)

L’ouvrage de Patrick Pharo prend place au sein d’une excellente série d’essais destinés àprésenter au public cultivé des sommes classiques, sans exclure pour autant l’expression dethèses originales. Le contrat est rempli : l’ouvrage comporte six parties, dont trois (II, III, IV)constituent une présentation pédagogique, maîtrisée et solidement informée, des grandesconceptions de la sociologie morale actuellement en débat. Les trois autres parties (I, V, VI),encadrant les précédentes, donnent à l’ouvrage une orientation incontestablement spécifique.

Les trois chapitres de synthèse — Théories socio-culturelles de la morale (II), Approchesactionnistes (III), Le naturalisme et ses limites (IV) — exposent successivement trois manièresd’envisager le fait moral d’un point de vue sociologique. Le chapitre médian en constitue lepivot. P. Pharo y soutient avec vigueur une conception de la sociologie d’inspiration wébé-rienne, une sociologie compréhensive de l’action, par opposition à une simple sociologie desfaits sociaux, se contentant d’appréhender les phénomènes moraux de l’extérieur. Le premierchapitre de cet ensemble expose cette autre sociologie, d’inspiration durkheimienne, jusquedans ses prolongements et renouvellements chez Pierre Bourdieu et John Searle. Le dernier,consacré à un exposé critique de la tradition naturaliste, de Darwin à la psychologie évolution-niste en passant par la sociobiologie, constitue l’apport informatif le plus significatif de cettesynthèse.

P. Pharo pose un beau et délicat problème, dès le premier chapitre (I : Le domaine de lasociologie morale) : une sociologie de la morale doit-elle être subordonnée à une conceptionnormative de ce qu’est la morale ? Il répond audacieusement que oui : « la sociologie del’éthique et de la morale doit inévitablement être une sociologie directement morale » (p. 28 ;voir aussi pp. 47 et 359). Pour faire autre chose que de la simple sociologie des mœurs, il fautêtre sûr que l’on a à faire à des faits ou à des actes intrinsèquement moraux. Or un fait ne peutêtre moral que si on peut découvrir une intention (elle-même morale) à sa source. Ce constatjustifie à soi seul la prééminence donnée à la sociologie actionniste. Mais, d’après P. Pharo, onne peut pas même s’en tenir à une analyse de ce que les acteurs ou les groupes considéreraient

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comme moral. Pour P. Pharo, le sociologue doit au contraire assumer une certaine conceptiondu bien et du mal, laquelle s’imposerait clairement à tout esprit usant correctement de sonesprit, au moins concernant les principes généraux. P. Pharo s’éloigne ici de Max Weber etrejoint le cognitivisme moral (et l’optimisme rationaliste) de Raymond Boudon. Pourtant, siassurément il est intellectuellement plus intéressant de savoir pourquoi (i. e. à la fois pourquelles raisons et à cause de quel contexte social prédisposant) des groupes sociaux sont ouont été favorables à la peine de mort lorsqu’on est sûr que la peine de mort est intrinsèquementun mal, on ne voit pas bien pourquoi il serait nécessaire d’attendre ce genre de certitude phi-losophique (penser à l’euthanasie, au clonage, etc.) pour se poser la question du pourquoisociologique.

L’originalité la plus grande de P. Pharo est toutefois de vouloir situer l’essentiel de sonargumentation au plan de ce qu’il appelle la sémantique conceptuelle et logique (V : Lesméthodes d’une sociologie morale). P. Pharo prétend montrer comment certains termes sontintrinsèquement moraux : les mots « courage » et « générosité » désigneraient par nature desvertus, et les mots « jalousie » et « colère » des défauts (voir pp. 245–246). Davantage, demême qu’on ne peut parler d’un « cercle carré », on ne peut dire en même temps de quelqu’unqu’il est « généreux et avide ». P. Pharo en dérive une « méthode d’interprétation » qui prendappui sur cette grammaire du vocabulaire moral : l’exemple précédent ne passait pas « le testde cohérence normative » (p. 265) ; mais on peut aussi se livrer au « test de correspondance »avec la réalité (id.) : impossible d’appeler « généreux » quelqu’un qui ne donne jamais. Dansle dernier chapitre (VI : Sémantique de la culture et de l’action), P. Pharo s’applique plus pré-cisément à dégager la « logique implicite » du vocabulaire des actes civils (p. 327), la notiond’acte civil, « plus étroite que la notion wébérienne d’acte social » (p. 323), permettant de cir-conscrire une « morale civile élémentaire » (pp. 312 sq.). Celle-ci consiste en une sorted’éthique de la communication plus substantielle que celle, purement procédurale, de JürgenHabermas et est donc susceptible de faciliter plus sûrement l’accord lors de controverses enmatière d’éthique appliquée.

On regrettera que P. Pharo tire si peu parti de la méta-éthique, dont l’un des objets spécifi-ques est pourtant l’analyse du lexique et de la grammaire du langage moral (références troprapides à Bernard Williams, p. 275). Le traitement d’exemples qu’il nous propose ne se distin-gue souvent guère, en effet, de l’analyse conceptuelle classique, à la différence de la gram-maire philosophique de Ludwig Wittgenstein ou de Vincent Descombes (Descombes, 2004).P. Pharo nous dit lui-même que « consentir » lato sensu à se prostituer ou à perdre la vie neserait pas une « impossibilité conceptuelle » mais que ce le serait, semble-t-il, stricto sensu,(pp. 289–291 ; voir aussi pp. 318–319, 327–329). Mais où est la nouveauté de cette analyseconceptuelle (cf., de même, l’analyse de « généreux », ci-dessus) ? Et que nous dirait une ana-lyse proprement « sémantique » ? Peut-être les espoirs mis dans l’analyse linguistique sont-ils,de toute façon, bien excessifs. Il conviendrait alors de considérer avec plus d’attention le faitqu’il y a actuellement débat sur les principes mêmes d’éthique normative (concernant, notam-ment, les limites du libéralisme).

Référence

Descombes, V., 2004. Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même. Gallimard, Paris.

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Alban BouvierUniversité d’Aix-Marseille I, faculté des lettres et sciences humaines,

département de sociologie, 29, avenue Robert Schuman,13090 Aix-en-Provence, France

Adresse e-mail : [email protected] (A. Bouvier).

0038-0296/$ - see front matter © Publié par Elsevier SAS.doi:10.1016/j.soctra.2005.10.010

Dominique Méda, Francis Vennat (Eds.), Le travail non qualifié, La Découverte, Paris,2005 (426 p.)

Issu largement des travaux effectués en réponse à un appel d’offres de la Dares, l’ouvrage offre,en quatre parties, une somme à laquelle il conviendra, sans doute pour une décennie au moins dese reporter : perspective historique ; évolutions récentes ; les paradoxes ; les politiques de l’emploinon qualifié. Il faut saluer la transformation de textes de littérature grise en un livre dans lequel onpasse, plusieurs fois et sans difficulté, de l’économie à la sociologie. Saluons aussi la mixité dessignatures au double sens du sex ratio et du degré de notoriété chez les spécialistes. L’effort édito-rial aurait cependant pu être mené plus avant, avec une chasse aux redites et une bibliographied’ensemble aux normes plutôt que ces listes partiellement répétitives, chapitre par chapitre.Étrange aussi le fait que le livre se présente sous la direction des deux responsables de la Daresqui ont commandité les recherches et qui, après une rapide préface de Jacques Freyssinet, ont com-mis une longue introduction laquelle peut se lire comme un résumé du livre avec quelques rappelsbienvenus de travaux antérieurs (Touraine 1955, Freyssenet 1975, Desrosières 1978).

On se doute que les questions de nomenclature et de classification, Insee avec les PCS, réper-toire des métiers et toutes celles que les conventions collectives ont produites depuis les grillesParodi, interviennent fréquemment. Ceux qui ne seraient pas encore convaincus que toute classi-fication sociale, même supposée épurée et savante, est un mixte qui fait place aux représentationscommunes et aux usages pratiques trouveront matière à réflexion. Il est, au demeurant, plus inté-ressant de voir ici que les classifications ont des effets sur les pratiques. C’est ce que montrentbien, dans les premiers chapitres, Michèle Tallard, et plus directement, Lucie Tanguy.

Le jeu principal se situe entre Qualifications individuelles, Emplois et Travail. Compétencevient enrichir ou brouiller le tableau. En France, les qualifications sont aisées à définir et à hié-rarchiser puisque l’Éducation nationale s’en charge, pour la plus grande part et que ce qui luiéchappe est en fait, construit de la même façon. Côté économie Jérôme Gautié et YannickL’Horty offrent un texte qui peut devenir classique sur l’émergence, vers 1970, de la qualifica-tion de la main-d’œuvre dans les modèles d’explication du chômage.

Les classifications d’emplois résultent de rapports de force et de compromis entre organisa-tions patronales et syndicats de salariés, modulo un poids important des représentations socia-les communément partagées. Les femmes peuvent manifestement être classées non qualifiéesalors que les hommes se voient offrir des postes mieux classés, je serais tenté d’ajouter en for-çant le trait, à contenu technique équivalent. Cependant, Laurence Coutrot, Annick Kieffer,Roxane Silberman mettent en garde contre les conclusions hâtivement globalisantes. L’emploinon qualifié ne frappe pas toujours ni dans tous les secteurs les femmes plus que les hommes.

Le troisième terme, Travail, auquel s’est attaqué, José Rose, est beaucoup plus difficile à défi-nir. Qu’est ce qu’un travail non qualifié ? Celui qui exige peu de bagages scolaires et dont l’ap-prentissage pratique se fait en quelques heures ou jours. Ajouter tâches répétitives est très discu-

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