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Penelope Neri - La captive du Sahara

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Penelope Neri - La captive du Sahara

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  • La captive du Sahara

    Penelope Neri

    Elle vit Hawaii avec son mari et

    ses trois enfants et se consacre sa passion :

    rcriture de romans sentimentaux.

    Allonge sur un divan drap de soie, des braceletsdargent aux bras et des anneaux munis de grelotsaux chevilles, la belle Anglaise abandonne soncorps nu la brise nocturne. Sa lourde chevelureaubum, claire par les lampes de cuivre posesdans les alcves, retombe en vagues sur le sol demosaque. Une large silhouette masculine sepenche sur elle, lenveloppant dun parfum de boisde santal. D lui prend tendrement le visage dansses mains et recouvre sa bouche de la sienne,

  • faisant danser la pointe de sa langue sur seslvres... Elle sombre dans un ocan de plaisir,parcourue de frissons dlicieux...

    De la grisaille londonienne aux nuits toiles dudsert, des dunes du Sahara aux palais du PrinceSharif, la belle Alexa poursuit son destin.Courageuse, rebelle, amoureuse et finalementconquise...

    Indit, texte intgral

    Illustration de Pino Daeni (Schlck)

    penelope

    neri

    La captive du sahara

    Traduit de l'amricain par Perrine Dulac

    ditions Jai lu

  • De loin, il lappela,

    Dau-del-du dsert et de la mer. Commeensorcele, elle rpondit A lappel du destin.

    Je viens toi, mon seigneur du dsert Mais es-tu ce que tu parais tre ?

    Es-tu chair et sang, cur et me ?

    Ou nes-tu quun rve?

    Alexandrie, Egypte, 1840

    Oh, regarde ! Tu as cass ma poupe, salemchant! Elle est tout abme, et cest ta faute. Jete dteste, Cha-Cha !

    Le visage de la petite fille tait inond de larmes.Ramassant sa poupe, elle se mit la bercer encontemplant, la lvre tremblante, laffreuse flurequi zbrait son visage de porcelaine. Mme Fatimane pourrait la rparer. Pauvre Lucie ! Ctait sapoupe prfre. Sa grand-mre Harding, quelle

  • navait jamais vue, la lui avait envoyedAngleterre, un mois auparavant, pour ses quatreans. Elle tait arrive dans une caisse tapisse depaille. Et voil que cette pauvre Lucie avait lajoue casse.

    Les poings sur les hanches, le garon, de huit ansson an, la toisait avec mpris :

    Pouah ! Tu nes quun bb, et une fille enplus! Quest-ce que tu crois? Il ny a pas de guerresans victimes, idiote! Ta Lucie est une hrone,blesse par le rebelle Murid Ben Azad endfendant la vie du grand mir Charif ! Elle serarcompense pour son courage. Je lui donneraipeut-tre cinquante non cent ! chameauxblancs et une vingtaine des plus beaux chevauxarabes de tout le dsert ! Allez, donne-moi cettepoupe !

    Non ! Tu lui fais mal, Cha-Cha ! sexclamaAlexandrie. Lucie ne taime plus. Et elle veut pasde tes horribles chameaux. Elle veut un nouveau...

  • un nouveau visage, pour redevenir jolie !

    La poupe tout contre son visage baign de larmes,elle tait secoue de gros sanglots. Voyant lechagrin de sa petite amie, le garon se sentitcoupable. Ctait un accident, mais il taitresponsable du triste tat de la poupe. En jouantle rle de son oncle, le tratre Murid Ben Azad, ilavait donn son agresseur de porcelaine ungrand coup de son poignard orn de pierresprcieuses le poignard ntait en fait quunvulgaire bton de chamelier...

    Quand mon pre sera de nouveau mir dal-Azadel, il tenverra un millier de jouets, promit-il.Qui seront tous beaucoup plus beaux que tonaffreuse Lucie.

    Je ne veux pas mille poupes, rtorqua lapetite fille en s'essuyant les yeux. Je veux que lafigure de Lucie redevienne jolie.

    Le garon paraissait fch. Il tait le fils de Malik

  • Ben Azad et, en tant quhritier de la province deson pre dans les montagnes dAlgrie, il avaitlhabitude de nen faire qu sa tte. Il avait debeaux yeux sombres, des cils pais, des cheveuxnoirs et boucls. Sa peau claire de Berbre, dorepar le soleil, laissait deviner une ombre bleutesur le menton. Il deviendrait bientt un beau jeunehomme, mais il tait encore aux frontires delenfance. Il frappa avec impatience le sol de sonbton.

    Par Allah, je me demande pourquoi jemoccupe de toi, sinon pour apprendre langlais !En tout cas, ce nest pas pour le plaisir de tacompagnie, espce de petite pleurnicharde!

    Et toi, tu nes quune grosse br... brute, Cha-Cha !

    Brute? Attention ce que tu dis! Ne me parlepas de la sorte, ma petite ! fit-il sur un tonarrogant.

  • Si les femmes de sa tribu avaient beaucoup plus delibert que celles des peuples du dsert, il taitpourtant impensable de rpondre un homme oude linsulter.

    Javais pens temmener faire un tour surAswad, reprit-il, mais puisque cest comme a jene le ferai pas. Tu peux rester ici avec les autresfemmes et attendre que ta mre accouche. Je prieAllah que cette fois elle donne un fils Harding-Pasha !

    Men fiche ! Jai aucune envie de monter surton idiot de cheval ! Il est affreux et mchant

    comme toi ! Va-t'en, vilain. Je te dteste.

    En fait, elle raffolait des chevaux et aimait par-dessus tout monter le fougueux talon la robenoire et lustre.

    Choqu par ses paroles sur son Aswad bien-aim,Charif rpliqua :

  • Trs bien, reste la maison! Mon bel Aswadna pas envie de trimbaler un bb de ton espce une allure descargot. Alors que seuls, Aswad etmoi, nous volerons comme le vent du dsert !

    Tournant les talons, il traversa grandesenjambes la cour ombrage de cocotiers et sedirigea vers lcurie de la grande maison blanchecrase par Tardent soleil gyptien.

    La petite Alexa, comme on lappelait, trotta sasuite. Elle avait envie de lui demander pardon, carelle aurait voulu se promener avec lui. Aswadlaimait. Il lui lchait le nez et fouillait ses pochesavec ses naseaux soyeux, en qute des sucresquelle avait coutume de lui donner ! Mais elletait toujours furieuse et blesse par les injures deCha-Cha et, en voyant la joue de sa poupe fle,ses yeux semplirent nouveau de larmes. Dans unaccs de fureur, elle ramassa une petite noix decoco et la lana sur Cha-Cha, le heurtant entre lesomoplates au moment o il allait pntrer danslcurie.

  • Ae ! scria-t-il, pivotant vers elle. a faitmal !

    Tant mieux! Tu nes plus mon ami! fit-elle enlui tirant la langue. Espce de... de ramas-seur-de-bouse-de-chameau !

    Ctait une insulte quil lui avait apprise.

    Va! Retourne auprs de ta nounou, Cheveuxabricot! rtorqua-t-il, sachant quelle dtestait tretaquine sur la couleur de ses cheveux dun bruncuivr quil trouvait pourtant ravissant.

    Sur ce dernier trait, il tourna les talons. Alexasoupira. Elle devrait passer toute la journe etpeut-tre celle du lendemain seule, jusqu ceque la mauvaise humeur de Cha-Cha se ft apaiserMaman tait dans sa chambre, stores baisss. Ellesemblait trs malade, et Fatima avait dit de ne pasla dranger. a devait tre cause de son ventrequi ne cessait de grossir depuis des semaines.Avait-elle mang trop de dattes et de figues ?

  • Selon Fatima, a faisait mal au ventre. Mais samre ne les aimait pas. Peut-tre maman tait-elletrs malade? Peut-tre son ventre allait-il clater;alors elle irait au ciel et deviendrait un ange,comme la mre de Cha-Cha, lorsquil tait n.

    Soudain, Alexa fut envahie par la peur. Toutes lesservantes doncle Malik taient avec sa mre. Lemdecin anglais avait t appel ds le matin, etFatima, sa nounou, qui riait tout le temps, ne luiavait pas souri une seule fois ce matin. Ellesemblait inquite et avait pri Allah, son Dieu,pour la femme de Harding-Pasha. Oui, quelquechose nallait pas...

    Pourtant, papa avait annonc au petit djeunerquelle aurait trs bientt un petit frre ou unepetite sur, avec qui jouer. Ctait tout de mmeune bonne nouvelle. Elle soupira nouveau. Elleesprait que le bb ne tarderait pas arriver,pour pouvoir jouer avec lui puisque maman taitmalade et Cha-Cha fch avec elle. Viendrait-il duport dans une grande bote enveloppe de papier

  • demballage avec des timbres reprsentant la reinedAngleterre? Serait-il envelopp de paillecomme Lucie ? Au fait, do venaient les bbs?Elle nen avait vu aucun dans le souk, pourtant ony trouvait de tout.

    En tout cas, jespre que ce sera une fille et nonun horrible garon comme ce Cha-Cha, tu nes pasdaccord, Lucie ?

    Vous avez t un vritable ami pour moi,Harding-Pasha. Je noublierai pas tout ce que vousavez fait pour nous, depuis deux ans, dit lmird'une voix mue.

    Ce fut un plaisir, Malik. Votre famille etvous-mme tes des invits charmants. Vous nousmanquerez, mon vieux.

    Afin de cacher son motion, Jonathan Har-ding,assis en tailleur sur une pile de coussins, seretourna pour verser un caf noir et pais dansleurs tasses minuscules. Anglais jusquau bout des

  • ongles, contrairement aux habitants de ce pays, ilnaimait pas manifester ses sentiments.

    Il tait pourtant affect par le dpart de son ami.Cependant, lorsque le consul lui avait demanddaccueillir chez lui lmir et sa famille, Jonathanavait t constern, estimant que le sjourprolong du chef Imochagh destitu risquait degner ses fouilles dans la valle des pharaons.

    La Couronne, avait expliqu le consul de Grande-Bretagne en Egypte, ne pouvait se permettre deprendre parti dans les conflits locaux ni de donnerasile Malik Ben Azad en tout cas pasofficiellement. Ils avaient le sentiment que MalikBen Azad, homme pacifique, cultiv et intelligent,tait plus mme de gouverner la provincemontagnarde dal-Azadel au nord-est de lAfrique,et contrler les tribus guerrires de cette rgion.Ctait un bien meilleur choix que son jeune frre,Murid, tte brle nostalgique du banditismetouareg du sicle prcdent. Lmir ne tarderaitpas reprendre le pouvoir et expulser son frre

  • rebelle ; lautoriser passer cette priode dexilforc chez un ami personnel officiellementneutre un archologue anglais en sjour enEgypte serait interprt comme un geste debonne volont.

    Jonathan en avait parl avec sa femme, Eliza-beth,qui stait montre daccord. Ainsi, accueilli contrecoeur, Malik partait regrett car, depuis lejour o Murid avait chass son frre et massacrnombre de ses partisans, deux ans auparavant, lesdeux hommes staient lis damiti, devenantpresque aussi insparables que leurs enfants,Charif, le fils unique de Malik, et Alexandrie, lafille de Jonathan Har-ding, ne dans la ville dumme nom. Mais voici quaujourdhui leurschemins scartaient. Sans doute ne se reverraient-ils jamais.

    Vous et votre gracieuse femme memanquerez, mon ami. Mais la nouvelle mestarrive ce matin. Par la grce dAllah, cest fini!Mon frre Murid est mort. Mes hommes ont repris

  • notre forteresse dal-Azadel, et les partisans deMurid mont jur fidlit. Le moment est venu. Jeretourne al-Azadel pour offrir mon peuple unenouvelle vie, prospre et paisible. Finis lespillages de caravanes.

    Je suis sr que vous russirez, dit Jonathan.Et je vous souhaite beaucoup de chance, mon ami.

    Jaccepte vos voeux, Harding-Pasha.

    Une servante entra ce moment dans la longuepice blanche au sol de mosaque recouvert detapis magnifiques et de coussins de soie, la modeorientale.

    Oui? Quy a-t-il, Hama? demanda Malik.

    Seigneur, le docteur souhaite sentretenirimmdiatement avec Harding-Pasha !

    Jarrive tout de suite, rpliqua Jonathan en selevant. Vous voulez bien mexcuser, Malik ? Mafemme, vous savez...

  • Mais bien sr ! Allez, mon ami, et quAllahvous assiste tous les deux en cette heure difficile etvous accorde un beau fils ! dit-il en portant la main son front, puis son cur. La paix soit avecvous. Nous nous dirons adieu un autre moment.

    Une heure plus tard, Jonathan dcouvrait Alexaassise dans un coin de la cour, sa prcieusepoupe cale entre ses petits genoux. Ellesefforait de rparer la vilaine flure avec delargile grise. Levant les yeux son approche, ellelui adressa un sourire radieux qui fit paratre sesyeux plus verts encore, au milieu de ses boucleschtaines et de ses joues barbouilles de terre.

    Bonjour, ma chrie, fit-il, se forant souriremalgr son angoisse pour sa femme et le fragilebb quelle avait mis au monde. Comment va lafille prfre de papa, cet aprs-midi? demanda-t-il en lui dposant un baiser sur le front.

    Je vais trs bien, merci, papa. Mais ma chreLucie est souffrante. Je la soigne, comme le Dr

  • Tom soigne maman.

    Hum! Pauvre vieille Lucie, acquiesa-t-il,prenant Alexa dans ses bras et sasseyant sur lamargelle dune des fontaines. Bravo! Joli travail,ma chrie.

    Cest Fatima qui a eu lide. Cha-Cha dit queLucie est une hrone, parce quil lui a fait mal enjouant la guerre. Mais il a dit a pour meconsoler, ajouta-t-elle avec une sagesse tonnantepour son ge. Il tait triste davoir fait mal Lucie.

    Je pense que vous avez raison, mademoiselleAlexandrie! Cha-Cha est ton ami, et je suis srquil tait dsol davoir... euh!... bless Luciedans la bataille. Mais Alexa, oublions pourlinstant les malheurs de Lucie. Jai une nouvelle tannoncer deux en fait. Tu ne devines pas? Lapremire, cest que tu as un petit frre! Nest-cepas merveilleux?

    Un frre? fit-elle en plissant le nez de

  • dception. Mince, je ne lai pas vu arriver. Est-cequil est venu du port dans une bote pleine depaille, comme ma chre Lucie ?

    Jonathan rprima un sourire.

    Non, non, pas cette fois. La cigogne vient delapporter. Il est avec ta maman, et tu vas pouvoirles voir tous les deux, si tu promets de ne pas fairede bruit. Daccord?

    Je vous promets, papa. Et lautre surprise ?

    Eh bien, ta maman et moi avons dcid quenous tions rests assez longtemps en Egypte !Nous allons tous rentrer en Angleterre, Alexa. Tues contente, nest-ce pas ? Tu pourras enfinconnatre ta grand-mre Harding, et ta grand-mreTurner, et oncle David. Oncle

    David et tante Julie ont un petit garon quisappelle Dan et qui est juste un peu plus vieuxque toi. Dan est ton cousin, et je pense que tu

  • tamuseras beaucoup avec lui. Tu verras, Alexa,ce sera merveilleux !

    Cha-Cha peut venir aussi ?

    Non, malheureusement. Vois-tu, Cha-Cha etson pre vont bientt quitter l'Egypte pourretourner chez eux.

    Alexa fut saisie dune oppression soudaine.

    Vous voulez dire... souffla-t-elle, la lvretremblante, que nous devons partir et laisser Cha-Cha et oncle Malik et Fatima et Rida et... et tout lemonde ?

    Je crains que oui. Mais Cha-Cha et son prenous auraient de toute faon bientt quitts, machrie. Ils comptent retourner al-Aza-del, commenous en Angleterre. Allons, ma chrie, o est tonbeau sourire ! Tu te feras plein de nouveaux amis,je le sais.

    Mais je veux pas aller en Angleterre! scria

  • Alexa, les yeux pleins de larmes. Je veux pasabandonner Cha-Cha et tout le monde! Pourquoi ilfaut que nous partions, papa, pourquoi, pourquoi?

    Parce que ton nouveau frre est tout petit,Alexa et pas trs fort. Allons, chrie, essuie teslarmes, et essaie dtre une grande fille. Il ne fautpas inquiter ta pauvre maman en lui montrant quetu es malheureuse. Tu vois, mon petit chou, lesoleil ici est beaucoup trop chaud pour unminuscule bb, et le docteur nous conseille departir. Ton petit frre est trs faible. Le temps icipourrait le rendre plus malade encore. Il faut quilaille en Angleterre, o il fait frais et o il y a debons docteurs qui laideront prendre des forces.

    Elle sauta par terre, le visage soudain illumin.

    Je sais, papa! On va envoyer ce bb grand-mre Harding! Fatima le mettra dans une boteavec de la paille et collera des timbres dessus.Comme a nous pourrons tous rester ici !

  • Je suis dsol, chrie, mais on ne peut pasfaire a. Un bb a besoin de sa maman et de sonpapa, et de sa grande sur. Il est beaucoup troppetit pour faire ce grand voyage tout seul. Tu saisde qui il a le plus besoin? Plus que quiconque ?

    Non, fit-elle en secouant ses boucles auburn.

    De toi! Il a besoin de sa grande sur,Alexandrie Victoria Elizabeth Harding ! Tu doisaider ta maman soccuper de lui, Alexa, parceque tu es plus vieille et trs intelligente, et que tuen sais tellement plus que lui. Me promets-tu detoujours aider ta maman soccuper de ton petitfrre ?

    Cest une promesse comme quand Cha-Chadit que je dois jurer par la barbe du Prophte ?

    Oui, peu prs !

    Alors je jure par la barbe du Prophte que jemoccuperai toujours de lui, toujours et toujours et

  • toujours mais seulement quand Lucie naura pasbesoin de moi. Jaime ma chre Lucie. Elle resteramon bb prfr, vous savez, papa.

    Parfait ! dit Jonathan Harding, se levant etprenant sa petite main dans la sienne. Maintenant,allons voir maman et M. Keene Harding.

    Keene ? Mais je veux voir le bb que lacigogne a apport maman! sexclama Alexa avecune moue due.

    Justement, chrie. Cest le nom de tonnouveau petit frre, Keene Michael David, commetes deux grands-pres.

    Oh ! Il a un nom presque aussi long que lemien!

    La main dans la main, Alexa et son pre quittrentla cour ensoleille sans remarquer les yeux noirset brlants brillants de larmes qui lesregardaient sloigner travers une fentre

  • treillage.

    Tu reviendras, ma petite amie! murmura Cha-Cha dans un souffle. Moi, Charif al-Azim, jen faisle serment!

    Contrit, Charif tait retourn dans la cour aveclintention doffrir sa camarade une promenadesur Aswad, promise avant leur dispute, et il avaitsurpris la conversation entre Alexa et son pre,Jonathan-Pasha.

    Si cest la volont dAllah que nous soyonsspars, quil en soit ainsi. Mais un jour, quand tuseras grande, tu reviendras, ma petite amie. Notredestin est crit dans les toiles !

    Harding House, Riverside, Londres 1860

    Viens, petite! O Zerdali, joyau entre les joyaux,plus belle que toutes les femmes des sables,viens !

  • Comme elle l'attirait, cette voix envotante, cettevoix autoritaire, dont le timbre avait la lois ladouceur et la rugosit de la soie sauvage ! Elleavait envie dy rpondre, mais nosait pas.

    Mon seigneur, je ne peux pas! Je nose pas...Je vous en prie, ne me le demandez pas !

    Alexa marmonnait dans un sommeil agit. Ctaitle mme rve dlicieux qui revenait rgulirementlhabiter depuis sa plus tendre enfance. Ses lvresremuaient. Ses longs cils frmissaient contre sesjoues.

    Le sable du dsert ocan tincelant et gris

    ondoyait linfini autour de loasis de sachambre dans le clair de lune argent. Sur la crtedune dune se dressait un coursier arabe. Le nobletalon paraissait sculpt dans la nuit, tandis queson cavalier se dtachait firement sur un cielindigo paillet dtoiles flamboyantes.

  • Mon Seigneur! murmura-t-elle, le cur battant.

    Le cavalier tait immobile et silencieux comme ledsert qui lentourait. Seul le litham bleu fonc quilui enveloppait la tte et lui masquait le bas duvisage sagitait doucement sous le vent de la nuit.La brise glace faisait ondoyer les pans de sadjellaba, rvlant le reflet dune lame: le takoba,le long poignard recourb des Touaregs, quilportait fich dans sa ceinture. Ses cheveux taientcachs sous les sombres draperies de sa coiffure,mais Alexa connaissait bien leur noirceur ; latexture soyeuse de ces boucles noires sous sesdoigts; lardeur de ses yeux dbne embrass dedsir, tandis quil se dirigeait lentement vers elle travers les sables mouvants...

    Quelque part dans la maison, une porte claqua.

    Alexa sveilla en sursaut. Faute de palmiersdansant telles des plumes contre le ciel toil, elledcouvrit le plafond blanc de sa chambre clairpar le clair de lune.

  • On aurait dit un coup de fusil dans la maisonsilencieuse. Elle navait pas russi dbarrasserKeene de sa mauvaise habitude de claquer lesportes.

    Elle prit une profonde respiration et essaya decontrler les battements de son cur affol. Acette heure tardive, Keene tait donc enfin deretour, et elle allait pouvoir le confronter auxterrible accusations de Charles Marchant...

    Elle sextirpa du lit comme une somnambule et pritsa robe de chambre, dont elle noua en hte laceinture. Ecartant ses longues boucles acajou, elletraversa ensuite la maison plonge danslobscurit avec laisance de quelquun quiconnat parfaitement les lieux.

    Seule une lampe gaz tait reste allume dans lebureau, au cas o son frre rentrerait. Sarrtantdans lembrasure de la porte, Alexa le vit qui sebalanait lgrement sur ses talons. Dune main iltenait un flacon de whisky et de lautre un verre

  • quil sappliquait remplir. Ses cheveux blondstaient tout bouriffs ; son col et sa cravate,dfaits. Il avala goulment une ou deux gorgespuis, remarquant Alexa, se tourna en titubant pourlui faire face.

    Alors, ma chre sur ! On a du mal dormir?fit-il avec un ricanement.

    Toccupe pas. O tais-tu, Keene? demandaAlexa en risquant un pas dans la pice. Voil troisjours que tu nes pas rentr ! Javais peur que tu...

    Quoi ? Que je me sois fait mal ? Ne me faispas rire ! La seule chose qui tinquite, c'est quejaie des ennuis, et que je ternisse le beau vieuxnom des Harding. Nai-je pas raison, Alex?

    Sous la lumire ambre de la lampe, Keene vit leslvres de sa sur blmir et le rouge lui monter auxjoues. Bien fait pour cette rabcheuse! Il prenait unplaisir malicieux lui faire perdre son calmehabituel. Pour qui se prenait-elle? Pour sa

  • conscience lui? Que le diable lemporte !

    Tu as sans doute raison, si lon peut dire,admit enfin Alexa.

    Au lger tremblement de sa voix, il devina lamatrise dont elle avait fait preuve pour ne pascrier comme une marchande de poissons. Elleavait du caractre, Alexa, quelle parvenait contrler dans ces occasions avec plus ou moinsde succs.

    Javais peur que tu aies des ennuis, ajouta-t-elle. Aprs tout, je suis encore ta tutrice jusqulanne prochaine, et ce ne serait pas la premirefois que tu nous dshonores.

    Elle se tut pour lui laisser le temps denregistrerses propos, mais Keene restait impassible.

    Finissons-en ! lana-t-il, irrit. Vas-y de tonpetit sermon et laisse-moi en paix! Je nai pastoute la nuit pour t ecouter !

  • Trs bien. Charles Marchant est venu hier !Les accusations quil porte sur toi, Keene, sontterribles. En fait, il a dit... il a dit quil avait portplainte et obtenu un mandat darrt contre toi !

    Dieu ! Et de quoi suis-je accus ?

    Davoir attaqu sa femme! Ne te voyant pasrentrer, je craignais que la police ne tait djarrt...

    Encore cette vilaine affaire de bonne, songeaKeene en grimaant. Evidemment, cause de sessinistres exploits passs, Alexa prenait pour argentcomptant les accusations de Marchant et avait djcondamn son frre. Pauvre imbcile de Marchantavec ses calomnies !

    Il en avait la nause. Cette rvlation raviva sonmal de crne, et il sentait natre une de cesmigraines qui le faisaient souffrir depuis lenfance.Elles devenaient de plus en plus frquentes, etmme l'alcool ny faisait rien. Pas plus que les

  • calmants, qu'il avait pourtant tous essays.

    Seigneur, il en avait assez, plus quassez ! Centait pas parce que Alex tenait les cordons de labourse des Harding quelle devait ternellementdiriger sa vie.

    Et tu las cru de bout en bout, nest-ce pas,Alexa ? Devrai-je continuer toute ma vie payerpour une erreur? Devrai-je supporter indfinimenttes doutes et tes accusations, croiras-tu toujoursles autres plutt que moi, cause dune seuleerreur? Nas-tu jamais tent de pardonner etdoublier, ma chre sur ?

    Pardonner, peut-tre, mais oublier...? Siseulement je pouvais ! Jai essay, mais je ne peuxpas oublier, Keene! Quand son propre frre faitquelque chose de si... si mprisable que ce que tuas fait, il y a deux ans, cette pauvre fille, on nepeut pas loublier comme une petite erreur!Venons-en la femme de Marchant et ne faispas linnocent. Il dit tavoir pris la main dans le

  • sac avec sa femme. Que tu las violente et... et...que tu las...

    Viole? lana-t-il avec une agressivit decollgien. Quoi ? a tcorche la langue ? Si cevieux bouc de Marchant est incapable de satisfairesa jeune femme, cest son problme. Quoi quiltait dit, il ny a pas eu viol ! Alors oublie sesmisrables petites menaces et retourne au lit. Cene sont que les jrmiades dun vieil impuissantqui se voit cocufier par un homme plus jeune, riende plus. Et, Alexa, quand je souhaiterai que tu temles de mes affaires, je te le ferai savoir.

    Revenant au flacon de whisky, il s'en versa unegrande rasade. Ce faisant, il tourna le visage versla lumire de la lampe. Il avait la joue entaillepar deux griffures o perlaient de minusculesgouttes de sang sch, et un cercle rouge sur sagorge au-dessus de la mdaille de saint Christophequelle lui avait achete pour ses seize ans et quilportait toujours accroche une chane en argent.Comme si on la lui avait entortille avec force

  • autour du cou. Elle se sentit prise de malaise.

    Quest-ce que tu as ? souffla-t-elle. SiMarchant ment, que... que test-il arriv?

    Keene effleura les griffures du bout des doigts.

    a? fit-il en riant. Ah oui, javais presqueoubli! Eh bien, voyons... Comment exprimer lachose sans heurter tes dlicates oreilles, ma chresur? Disons que je me suis frott un chatcapricieux? Une petite chatte volage qui sappelleCynthia Marchant! Elle a commenc par ronronnerdans mes bras, puis a dcid de me lacrer lorsqueson mari est entr en scne en hurlant comme unlphant! O mon Dieu! sexclama-t-il devantlexpression choque dAlexa. Mes prouessesoffusquent ta sensibilit, ma chre? Pardonne-moi!Mais en toute honntet, cest exactement ce quisest pass. Ce cher Charles ma surpris avec saravissante petite femme dans son propre lit, et cevieil impuissant tait...

  • a suffit! scria-t-elle en se bouchant lesoreilles. Je veux savoir ce qui test arriv auvisage ! La vrit.

    Je te lai dit. Si tu naimes pas mesexplications, occupe-toi de tes oignons, Alex ! Jaiun abominable mal de crne et je vais au lit. Si tuveux rester toute la nuit tempter, cest tonaffaire. Bonsoir, chre sur !

    Empoignant le flacon, il se dirigea vers la porte.

    Je te prviens, Keene, dit Alexa, quelque peueffraye par la lueur mauvaise qui avait traversles yeux bleus de son frre. Cette fois, tu nepourras pas te tirer de ce mauvais pas. Marchanttait tout fait srieux. La police est tes trousses!Quand ils tauront trouv, tu seras arrt,emprisonn et jug. Je tai sorti daffaire ladernire fois, mais cette fois je ne peux rien. Je nepeux pas acheter Scotland Yard! Marchant est unhomme riche et influent, et il veut ta peau, Keene.Il te verrait bien pendu haut et court !

  • Mais tu sembles srieuse? fit-il aprs un longsilence.

    Je le suis.

    Et Marchant est all la police ?

    En tout cas il le prtend. Il ma assur avoirobtenu un mandat darrt contre toi, pas plus tardquhier matin.

    Bon Dieu, quel imbcile! Il ne peut pasvraiment croire que jaie viol sa femme, quandmme !

    a a pourtant lair dtre le cas.

    Mais... cest un affreux mensonge! Cyn-thia etmoi, eh bien, nous avions une liaison depuisquelque temps, je ladmets. Elle ma invit hiersoir dner chez eux. Aprs le repas, tous lesautres invits se sont mis jouer au billard ou bavarder, et elle sennuyait mourir. Elle esttellement plus jeune que son mari et que les

  • femmes de ses amis. Alors Cyn ma propos demonter et, de fil en aiguille, nous nous sommesretrouvs dans son lit. Pour tre bref, son mari estarriv peu aprs et nous a surpris en flagrant dlit.

    Je suis dsole, mais a ne prend pas, Keene,pas cette fois! Daprs Marchant, sa femme avaitdes contusions et ses vtements taient dchirs !

    Oh, quelle ait un ou deux bleus, a nemtonne pas une seconde. La belle Cyn Marchantest une tigresse une superbe mangeusedhommes! Et ne me regarde pas comme a, Alex!Le monde ne ressemble en rien tes romans leau de rose. Bien que tu sois plus vieille que moide quatre ans, tu es dune parfaite innocence, Alex! Enfin, je vais essayer de texpliquer.

    Il y a dans ce monde des femmes qui, crois-le ounon, adorent tre brutalises par leurs amants. Onles appelle des masochistes, et Cyn-thia en faitpartie. Ce nest quun jeu impudique, une espcede jeu de domptage. Mais jamais je naurais

  • imagin que cette petite trane me trahirait de lasorte !

    Voyant le doute dans les yeux de sa sur, ilshumecta nerveusement les lvres. Lemartlement persistait dans sa tte.

    Allons Alexa, reprit-il, je tai expliqu ce quisest pass. Tu me crois, nest-ce pas ? Pourlamour du Ciel, il le faut! Tu es ma sur!

    Keene, je... je le voudrais, vraiment, maisje...

    Sa voix se brisa et elle dtourna les yeux.

    Mais tu ne peux pas, cest a?

    Marchant a t trs convaincant, Keene, trs !Il tait effrayant. Et puis, cette autre fois avecPolly ces gratignures que tu avais sur la joue !Keene, que dois-je croire ? Tes dngations, oumes yeux et mes oreilles ?

  • Cette autre fois, cette autre fois... cest tout ceque tu sais dire ! Je ntais encore quun gamin, etcette fille, une petite putain qui ne pensait malgr ce que disait son rustre de pre qu tesoutirer le plus dargent possible ! Elle aprobablement connu plus dhommes que je nai usde chaussettes ! Mais cette fois, cest diffrent.Alexa, si ce que tu dis est vrai, je suis recherch!Je pourrais passer des annes en prison pourquelque chose que je nai pas fait ! Je le jure sur latombe de notre mre, je suis innocent ! Dis-moi aumoins que tu me crois. Que tu ne me crois pascapable davoir viol une femme.

    Alexa posa les yeux sur la marque violette qui luiencerclait le cou, puis sur les gratignures le longde sa joue. Elle croisa fugitivement son regard.Elle aurait voulu le rassurer mais elle nyparvenait pas.

    Keene mit un rire rauque :

    Ton silence en dit long. Quelle confiance, ma

  • chre sur! Cest bon, jai compris.

    Il se dirigea vers la porte.

    Keene, attends! Si a sest pass comme tu ledis, il faut que nous parlions, que nous dcidionsde lattitude adopter. Tu ne peux pas partircomme a !

    Leur mre avait demand Alexa, avant demourir, de soccuper de cet incorrigible Keene.De plus, si dsagrable quil ft avec elle, ctaitson petit frre et elle laimait en dpit de tout.Tutrice, elle devait tout faire pour arranger leschoses, au risque de salir leur nom.

    Tu ne peux pas tenfuir! murmura-t-elle. ane ferait quaggraver les choses.

    Au pied de lescalier, dans lentre lambrisse, ilse retourna vers elle, les doigts sur la poigne dela porte.

    Vraiment? fit-il dun ton moqueur. Si la

  • police pointe son nez, accorde-moi une dernirefaveur : dis que je suis parti pour de bon et que tune sais pas o je suis. Et ce ne sera pas unmensonge !

    La colre qui montait en elle clata enfin :

    Eh bien, va-t'en, et que le diable temporte,Keene! Va-ten, si tu es trop lche pour affronteren homme les consquences de tes actes! Ce serapeut-tre mieux ainsi. Je suis fatigue de trouverdes excuses ta conduite et de devoir sans cessete tirer daffaire ! Va-ten et ne reviens pas !

    Il claqua la porte et disparut dans la nuit, lalaissant avec ses larmes.

    Lorsquelle sveilla, le lendemain, aprs unsommeil agit, elle dcouvrit que son lit taitintact. Comme il len avait menace, Keene taitparti.

    Plus de dix-huit mois passeraient sans nouvelles

  • de lui. Il lui faudrait attendre prs de deux anspour apprendre de quelle terrible erreur dejugement elle s'tait rendue coupable, cette nuit-l.Tout ce que lui avait racont Keene tait vrai...

    2

    Alger, 1862

    Alger, la grouillante capitale de lAlgrie,dominant la baie du mme nom, allait srement luiplaire, songea Alexa en descendant avecprcaution la passerelle instable de LAventure,le crasseux petit bateau franais qui lavaitconduite travers le dtroit de Gibraltar jusqu lapremire tape de sa qute.

    Dan, son cousin juriste, avait appris ce qutaitdevenu Keene, grce aux lments les moinsreluisants de sa clientle: les propritaires dunemaison de jeu qui il devait plusieurs milliers delivres. Keene Harding avait fui la police sansavoir pay ses dettes. Ses cranciers avaient

  • dcouvert sa trace Paris. Ils y avaient appris queKeene stait engag dans la Lgion trangre pourchapper la loi

    et ses cranciers !

    A cette nouvelle, Alexa invita Sally, la vieillecuisinire, prendre sa retraite, donna cong lafemme de chambre et ferma Harding Hall, laissantles cls et la direction de ses affaires entre lesmains comptentes de Dan. Elle vendit unbijoutier de la Cit le double rang de perles que samre lui avait lgu. Le produit de la ventefinancerait son voyage, car elle tait dcide retrouver Keene et rparer le tort quelle luiavait fait.

    Sa recherche commena par Paris quelle atteignitpar ferry-boat et train; force de charme, delarmes enjleuses et de pots-de-vin, elle ydcouvrit enfin ce quelle voulait.

    Un officier recruteur linforma contrecur que

  • Keene stait effectivement engag, lanneprcdente, dans la Lgion trangre qui lavaitenvoy en Algrie, au quartier gnral de Sidi-bel-Abbs, do il avait probablement t affect unposte avanc du dsert.

    Enfin une piste ! Une fois son frre retrouv, elletenterait de se faire pardonner, mais ce ne seraitpas facile. Contrairement elle, Keene taitrancunier; il tait en outre jaloux de sa positiondane et de ses liens privilgis avec leur pre.Mais elle ne pouvait continuer vivre sans obtenirson pardon.

    A peine dbarque, elle se trouva entoure de gensen djellabas blanches proposant la mamselle,sur des notes stridentes, leurs services de porteursou de guides, des fruits ou autres denresexotiques.

    Jetant son dvolu sur un moustachu souriant quisemblait moins insistant que ses compatriotes, ellefit porter ses bagages dans sa gharry dlabre,

  • attele d'une mule squelettique. Ouvrant sonparasol de dentelle, elle se cala dans le sige decuir brun pour jouir du spectacle des nouveauxquartiers dAlger, et se fit conduire vers ce queMohammed, son conducteur, dcrivait comme unhtel typiquement anglais, le Grand Empress,situ quelques centaines de mtres des btimentsdu gouvernement gnral franais.

    Le trajet travers les rues poussireuses et noyesde soleil permit Alexa de dcouvrir les vuesdont elle avait lu la description dans un guide quelui avait prt un passager de LAventure.

    Depuis 1830, le pays tait une colonie franaise.

    Coince entre la Tunisie et le Maroc, lAlgrie,selon le guide, tait marque par les influencesarabe, berbre et musulmane. Alexa ne fut pasdue. La blancheur aveuglante de larchitectureislamique avec ses mosques et ses minarets, sesporches et ses cours carreles, ses constructionsblanches toit plat la comblrent.

  • Fascinants taient aussi les vtements exotiques dela grouillante population des marchs, souks etcafs de la ville. Quel contraste entre lesmarchands de tapis dAlger et les tristes vendeursdes marchs londoniens! Il y avait des Turcs laspect froce avec fez rouges et babouchesjaunes, coudoyant colporteurs de poterie et defruits exotiques, astrologues barbus et diseurs debonne aventure, prteurs et

    31

    lgionnaires. Il y avait galement des Anglaisguinds en vtements coloniaux blancs, tenue derigueur des gentlemen.

    Dans ce kalidoscope de visages elle aperut lesBerbres peau claire et traits de rapace,nomades farouches du Sahara, les bdouins qui,lhiver, menaient leurs troupeaux de moutons et dechvres dune oasis lautre, ne regagnant leurspalais blancs que durant les brlants mois dt.

  • En rponse aux questions dAlexa, Mohammed luiapprit que les bureaux de la Lgion trangre setrouvaient sur la colline surplombant la baie, dansle quartier le plus moderne de la ville avec sesimmeubles de style colonial do les Franaisdirigeaient le pays.

    Le voyageur friand de spectacles exotiques nedevait pas manquer de gagner les hauteurs dAlgerpar le ddale de rues troites, lui rvlaMohammed avec un grand sourire, dcouvrant desdents clatantes. Il devait visiter le labyrinthe dela Casbah, dont chaque rue avait un nom quivoquait Les mille et une nuits : rue desFabricants-de-tentes, rue des Marchands-de-tapisou rue des Artisans-du-cuivre.

    Ce fut l, dans les souks grouillants de lamystrieuse Casbah, quAlexa se retrouva, deuxjours aprs son arrive.

    Se rappelant combien lalliance du charme fmininet des pots-de-vin stait rvle efficace dans les

  • bureaux parisiens de la Lgion trangre, elleavait dcid demployer les mmes moyens auconsulat de Grande-Bretagne. Elle esprait yapprendre o se trouvait son frre et, dans lemeilleur des cas, obtenir une escorte pour lerejoindre. Les hommes taient faciles duper.Grce un judicieux mlange de sourires, delarmes et despces sonnantes et trbuchantes, unefemme pouvait le plus souvent obtenir ce qu'ellevoulait. Pourquoi les fonctionnaires dAlgerseraient-ils diffrents ?

    Mais ses efforts restrent vains. Les fonctionnairesdu consulat et de la Lgion trangre taientincorruptibles! Elle perdait son temps, luirpliqua-t-on sur un ton sec. En sengageant dansla Lgion, son frre navait-il pas coup tout lienavec lAngleterre et sa vie passe ? On luiconseillait de rentrer immdiatement chez elle,dclinant toute responsabilit pour sa scurit sielle sobstinait. Alger, lavait-on prvenue, taitabsolument dconseille une jeune Europenneseule et bien leve.

  • Mais comme elle quittait, pour la dernire fois, laLgion, furieuse et dcourage par la rceptionglace quon lui avait rserve, un jeune militairelui fit signe de le suivre dans un caf voisin.

    Mademoiselle, je crois pouvoir vous aider retrouver votre frre, lui dit-il en linvitant prendre place une petite table ronde.

    Je vois, rpondit Alexa tandis quil sasseyaiten face delle. Et combien me cotera cerenseignement ?

    Vous coter ? Mais, mademoiselle, cela nevous cotera rien du tout! Je souhaite seulementaider une charmante jeune femme, fit-il avec unsourire dsarmant. Voyez-vous, je me souvienstrs bien de votre frre, mademoiselle Harding,parce que son nom, Keene, nest pas commun, etque les papiers de M. Harding sont parmi lespremiers que jai traits mon arrive, il y a prsde deux ans. Je me rappelle aussi parfaitement dela belle mdaille de saint Christophe quil portait

  • au cou parce que, voyez-vous mademoiselle, jaila mme, sauf que la mienne est en or! Ce jeunehomme nest-il pas le Keene Harding que vouscherchez, mademoiselle ?

    Absolument! Cest moi qui lui ai donn cettemdaille! Oh monsieur, o est-il? O la Lgion a-t-elle envoy mon frre ?

    Pendant que vous parliez avec moncommandant, jai pris la libert de chercher sonnom dans les registres. De Sidi-bel-Abbs,mademoiselle, votre frre a t envoy dans unlointain avant-poste du dsert, Fort Valeureux, dit-il avec un froncement de sourcils. Fort Valeureuxse situe dans une rgion trs dangereuse. Je neveux pas vous dcevoir, mademoiselle Harding,mais la Lgion ne vous aidera pas vous y rendre.Pour les hommes qui y sont envoys, cest dj unvoyage reintant. Pour une jeune femme, cestsimplement impossible ! Mme pour un familier dudsert, cest un voyage difficile !

  • Aprs avoir remerci le jeune militaire, Alexaregagna son htel avec lintention de ne surtout passuivre son conseil. Un familier du dsert, avaitdit le jeune homme. Hum! Mais o trouver unetelle personne? La rponse tait vidente : dans lamystrieuse Casbah, le quartier arabe! Le consulatbritannique et la Lgion trangre pouvaient bienaller au diable !

    Deux jours plus tard, alors que lappel plaintif dumuezzin en haut du minaret dune mosque voisineinvitait les fidles la prire, Alexa quitta l'ombrefrache du Grand Empress. Traversant une courensoleille o chantaient des fontaines etroucoulaient des colombes, elle se dirigea vers legharry quelle avait command au portier delhtel. Ne trouvant personne pour laider, elleretroussa ses jupes et grimpa sur le sige.

    Assise sous le dais frang de la voiture, elleattendit, pensive, que la prire de midi fttermine. Les rues bordes de palmiers staientmiraculeusement vides, lexception de quelques

  • Europens. Tous les musulmans, dont sonconducteur, avaient rejoint les btiments voisinspour faire leurs dvotions. Cinq fois par jour, laube, midi, seize heures, au coucher du soleilet la tombe de la nuit, ils retiraient leurssandales, droulaient leurs tapis de prire etsagenouillaient en direction de La Mecque.Depuis son arrive Alger, Alexa staitfamiliarise avec cette coutume. Bien quechrtienne, elle ne pouvait sempcher dadmirerleur dvotion et la manire dont ils vivaient leurreligion.

    Elle stonnait elle-mme de se retrouver enAlgrie, malgr les vives protestations de soncousin Dan. Ses penses la ramenrentinvitablement ce dimanche aprs-midi,quelques semaines plus tt, o Charles Marchantavait de nouveau fait irruption dans sa vie.

    Aprs le dpart de Keene, Alexa avait pass desmois affreusement pnibles. Elle avait eu affronter les regards mprisants dans les magasins,

  • et stait vu plus dune fois claquer la porte au nez.Les invitations goter, dner et mme aux ftesde charit staient petit petit espaces pourcesser compltement. Elle avait d ignorer lescommrages qui la dsignaient comme l'uniquesur de cet infme jeune homme, vous savez celuiqui... Puis, juste au moment o elle pensait avoirfait oublier le scandale par une conduiteirrprochable, o elle stait rsolue ne jamaisrevoir Keene, Marchant stait prsent, chevel, Harding Hall, et son univers avait de nouveaubascul.

    Honteux et incohrent, Marchant avait confesss'tre affreusement tromp au sujet de Keene. Illavait faussement accus davoir viol sa femme.Il revenait pour tenter de rparer le tort quil luiavait fait.

    Rentr plus tt que prvu dune chasse en Ecosse,Marchant avait surpris sa ravissante femme au litavec son dernier amant, un jeune employ de sabanque ! Dans la scne passionne quil avait

  • interrompue, Cynthia ntait manifestement pas unevictime passive. Devant sa fureur et sa menace dela jeter dehors nue et sans le sou, Cynthia enlarmes avait avou toutes ses liaisons, entre autresavec le jeune Keene Harding.

    Alexa avait t presque aussi bouleverse parcette rvlation que le pauvre Charles. Dcouvrantcombien elle stait montre injuste envers Keene,elle fut prise de remords. Sa pauvre mre, quinavait cess de dcliner depuis la mort deJonathan Harding en Egypte, avait suppli Alexade le protger. Elle avait trahi ses parents, etKeene! Elle aurait d le soutenir, croire en lui,malgr ses torts passs.

    Excusez-moi! Est-ce que nous partons,mamselle ?

    Refoulant ses larmes, elle constata que sonconducteur ntait autre que celui qui lavaitconduite son htel, son arrive Alger. Songrand sourire rayonnant tait comme celui dun

  • vieil ami.

    Tiens, mais cest Mohammed ! Comment ava?

    Trs bien, merci mademoiselle! Puis-jesavoir o tu souhaites aller aujourd'hui,mademoiselle ?

    Dans la Casbah. Ds que tu es prt, on y va !

    Mohammed ouvrit la bouche pour protester

    mais, se ravisant, il haussa les paules et grimpasur son sige, au plus grand amusement dAlexa.

    Quittant la partie moderne de la ville, leconducteur sengagea dans le quartier arabe. Lesruelles taient moins bondes car beaucoup degens faisaient la sieste aux heures les plus chaudesde la journe. Lenchevtrement des rues troitesde la Casbah grouillait malgr tout de marchandset dbordait de couleurs et dodeurs exotiques.Alexa se rjouissait de ce dpaysement. A vingt-

  • quatre ans, son existence solitaire et oisive enAngleterre tait devenue terriblement morne.

    Descendant de la voiture, elle ouvrit son parasol etdemanda son conducteur de lattendre.

    Mohammed, je serai de retour dans... disonsune heure. Mais si mes affaires me retiennent pluslongtemps, je te paierai en consquence, dit-elleavec un sourire charmeur.

    Qu'est-ce que tu dis l? Tu comptes allerseule dans la Casbah, mademoiselle? soufflaMohammed, les yeux carquills. Ah mais non, cenest pas possible! Cest trs imprudent. Cestplein de voleurs et dassassins de sales typesqui pourraient te vouloir du mal, mademoiselle !Mohammed ferait mieux de taccompagner, non?

    Alexa accepta cette offre avec gratitude, etMohammed donna une pice un jeune mendiantpour quil surveillt son vhicule.

  • Le labyrinthe de rues troites et tortueuses,bordes de murs blancs percs de fentresgrillages, tait plong dans une ombrerafrachissante. On avait le sentiment inconfortabledtre observ par des centaines dyeux, et direvrai, Alexa apprciait plus quelle ne voulait bienladmettre la compagnie de lAlgrien. Ellemarchait dun pas rapide, lair calme et dgag,dans sa robe de mousseline blanche, un chapeau depaille coquettement perch sur ses bouclescuivres et agrment de rubans verts, tandis queMohammed la suivait comme son ombre.

    Se frayant un passage au milieu des hommes endjellabas blanches et des femmes en djellabasnoires, sans pouvoir distinguer leurs visages sousleurs voiles, elle avait toujours le sentiment quedes yeux hostiles observaient le moindre de sesmouvements. La Casbah lui faisait penser unecit aux mille yeux...

    Ecartant ces penses stupides, elle sintressa auxnombreux trsors qui se dployaient sur son

  • passage.

    Des tapis tisss la main taient entasss contreles murs des rues. Ils taient ornements duneinfinie varit de motifs reprsentant des fleurs oudes feuilles de vigne, bleu et or, noir et rouge, oucrus. II n'y figurait ni animal ni tre humain, luiexpliqua Mohammed, lislam interdisant toutereprsentation de cratures vivantes. Ils taient enoutre doux au toucher.

    Plus loin, des artisans martelaient des plateauxovales ou des plats de cuivre dcors floraux. Unmarchand doiseaux et de perroquets enfermsdans des cages dosier exhortait ses animaux sortir de leur sommeil pour rgaler la demoiselle de chants mlodieux. Il y avait deschameaux et des nes lourdement chargs, sefrayant un chemin travers la foule, tandis queleurs matres leur couraient derrire en lesabreuvant dinsultes. Larme de brochettes deviande grilles, de galettes chaudes et de rizfumant, lodeur de beurre clarifi et dhuile

  • bouillante flottait autour des choppes, se mlantaux senteurs dpices et aux effluves de parfum.

    Ils passrent devant un large escalier conduisant quelque caf obscur. Mohammed tenta delentraner plus loin, mais Alexa sarrta, curieuse.

    Jetant un regard par louverture, elle aperut unedanseuse demi nue, vtue de voiles transparentsorns de minuscules miroirs, qui se contorsionnaitet virevoltait au milieu dun cercle d'hommesfascins. Le sourire aguichant et les yeux auxlourdes paupires souligns de khl, la danseuseondulait au rythme de fltes plaintives et dubattement lancinant de petits tambours. Pour fairecontrepoint la musique, elle faisait tinter seszals, minuscules grelots attachs ses doigts. Lairtait charg darme de caf turc et de fume decigare, et dune senteur subtile qu'Alexa nauraitpas su dfinir une odeur cre qui imprgnaitlatmosphre.

    Non non, mamselle, cest un endroit trs mal

  • fam ! Pas du tout pour une jeune Anglaise,vraiment pas ! Viens, viens ! insista Mohammed,se plaant devant elle pour lui cacher la vue.

    Alexa obtempra avec rsignation.

    Peut-tre, suggra son guide comme ilsscartaient pour laisser passer une femme voile,la tte surmonte dun plateau de bois rempli degalettes, si mademoiselle voulait bien dire Mohammed ce quelle cherche dans le souk, il luidirait o le trouver et elle pourrait aprs rentrer lhtel, daccord ?

    Oh, trs bien !

    Elle avait vu, au cours de lheure coule, lesregards dsapprobateurs, lubriques, hostiles ousimplement curieux que certains hommes de laCasbah lui adressaient. Avec son visage sansvoile, ses cheveux dcouverts et ses vtementseuropens leurs yeux impudiques , elle serjouissait de la prsence de Mohammed.

  • Je suis venue dans la Casbah dans lespoird'engager un guide, Mohammed. Quelquundhonnte qui connaisse bien le dsert et acceptede mescorter jusqu Fort Valeureux. Cest un fortfranais situ au fin fond du Sahara, au sud deSidi-bel-Abbs.

    A cette annonce. Mohammed la regarda, horrifi.

    Fort Valeureux! Je connais, oui oui, bien sr,tout le monde connat. Mais un pareil voyage...voyons, cest impossible! Tu fais une blague Mohammed, hein mademoiselle ?

    Au contraire, je suis trs srieuse! Mon frreest lgionnaire Fort Valeureux, et je dois le voir.Il y va de lhonneur de notre famille, tu comprends?

    Lhonneur de la famille toucha manifestement unecorde sensible car Mohammed approuvasolennellement :

  • Ah oui, je comprends, chre dame, jecomprends trs bien. Et jaimerais trouver unmoyen de taider, mais tu ne peux pas prendre cerisque! Le dsert est...

    Je sais, je sais! coupa Alexa, agace. Ledsert est dangereux pour une femme blanche nonaccompagne ! On ne cesse de me le rpterdepuis que je suis Alger, je le sais par cur !Mais je me fiche de ce que tout le monde dit. Jaipris ma dcision, et je trouverai bien quelque partun guide pour my mener !

    Guide? La demoiselle veut un guide? lanaalors une petite voix flte.

    Alexa se retourna pour dcouvrir un jeune Arabeen turban blanc et tunique de coton ceinture luidescendant aux genoux, porte sur une culottebouffante en coton blanc. Il avait les pieds sales etnus, mais ses yeux taient brillants au milieu deson visage dor, et il avait un sourire engageant...et vorace.

  • Mais oui! fit-elle en lui rendant son sourire.Tu connais quelquun qui serait prt ...

    Wellah! N'coutez pas ces btises! intervintMohammed. File, petit singe! Arrte de nouscasser les pieds et laisse la mamselle tranquille !Allez ! Allez !

    Kemal, mon honor pre, prpare un saintplerinage La Mecque, par la mer Rouge!rpliqua le garon en esquivant Mohammed quiessayait de lcarter.

    Dans son effort pour rencontrer le regard d'Alexa,la tte du gamin surgissait et disparaissait commeune marionnette derrire la large carcasse deMohammed.

    Cest un plerinage, poursuivit-il, que toutbon musulman doit faire au moins une fois dans savie, tu comprends? Il y a quelque temps, il atravaill pour les Anglais au consulat, et il parletrs bien anglais, miss. Et il connat le dsert

  • mieux que n'importe qui! Il serait peut-tred'accord pour accompagner la demoiselle, si leprix est bon, ajouta-t-il avec un sourire rus. Laroute que prend la caravane du plerinage est trslongue, mais cest la mme que celle du fort, surdes kilomtres et des kilomtres...

    Par Allah, es-tu sourd, oreilles dne? File,jai dit! gronda Mohammed, tentant denvoyer unetaloche au gamin qui esquivait ses coups enplongeant droite et gauche, avant de s'abriterderrire Alexa dans un nuage de poussire.

    Mohammed, laisse-le! ordonna Alexa quices bouffonneries donnaient le tournis. Je veuxentendre ce quil a dire !

    Tandis que Mohammed scartait avec unhaussement dpaules, le garon adressa un souriretriomphant Alexa et une grimace lAlgrien.

    Comme je le disais, miss, avant que cetimportun me coupe la parole, mon pre Kemal Ben

  • Hussein prpare un voyage pour La Mecque. Lacaravane part dans deux jours. Je crois que le fortdes Franzawis est deux ou trois jours de route.Mon pre acceptera peut-tre d'emmener la miss.

    Tu crois? Oh, jespre. Dis-moi, o est tonpre ? Peux-tu me conduire auprs de lui ?

    Bien sr, allons-y tout de suite, miss, naiepas peur! Tu nas qu me suivre.

    Se rappelant la prsence de son compagnon, ilajouta :

    Et tu peux venir avec nous mais seulementsi la demoiselle veut bien et si tu te tais.Compris, monsieur limportun?

    Ignorant le regard venimeux que lui lanaMohammed, le gamin senfona dans la foule.Alexa le suivit sans hsiter, s'efforant de ne pasle perdre de vue.

    Bien avant le coucher du soleil, avant que le

  • muezzin nappelt les fidles la prire, Alexa,triomphante et surexcite par laventure quilattendait, stait trouv un guide !

    Son rendez-vous avec la destine approchait, ellele sentait. Ainsi en avait dcid Kismet, le destin,qui dirigeait la vie de chacun. En scroulant cesoir-l sur son lit dhtel, elle fut parcourue par unfrisson dexcitation. Le lendemain, elle prendraitle train pour Sidi-bel-Abbs, o elle retrouveraitKemal, son guide, et son fils Nabal, et elle sejoindrait la caravane des plerins.

    Les sables du Sahara l'attendaient, avec lapromesse dun priple magique.

    3

    Seigneur! Si seulement le cousin Dan et Paulinepouvaient me voir ! songea Alexa en touffant ungloussement.

    A ce bruit de gorge, son guide, le trs digne

  • Kemal, lui lana un regard interrogateur. Lachaleur ne troublait-elle pas lesprit de cettefemme, comme de tant dEuropens ?

    Ayant chang, le matin mme, ses vtementsvictoriens contre ceux des Bdouines, elle avaitlimpression davoir jet ses vieilles inhibitionsen mme temps que son corset ! Dans le caftan desoie motifs rouge et noir que Kemal lui avaitachet, et quelle portait sous une robe flottante,elle se sentait merveilleusement libre ! Ellepouvait bouger avec souplesse et grce sans tregne par les baleines dun corset, lesinnombrables jupons et les bottines talonsboutonnes qui la serraient affreusement. Elleportait ses longs cheveux auburn dfaits sous sesvoiles, plutt que retenus en macarons ou en nattes,comme lexigeait la mode, ce qui lui tirait le cuirchevelu et lui causait parfois des maux de tte. Telun papillon sortant de sa chrysalide, elle se renditsoudain compte quelle tait galement libre depenser sa guise ! Plus de maison tenir, deservantes diriger, de casse-tte pour joindre les

  • deux bouts ! Aprs cette merveilleuse aventure,pourrait-elle supporter nouveau ltouffanteexistence victorienne? Elle ne serait probablementjamais plus la mme...

    La lune sest leve. Veux-tu que nouspartions, matresse ? demanda Kemal.

    Seuls taient visibles, au milieu de ses voilesjoliment bords de pices dargent comme lesautres femmes de la caravane, ses tranges yeuxverts en amande. Ils taient dbordants de joie, ilsdansaient et tincelaient comme le trsor dunsultan fait dmeraudes prcieuses, et Kemal sedemandait quelle tait la raison de sa joie. Ilhaussa les paules. Cela ne le regardait pas, lui, unsimple guide. En outre, ne disait-on pas que lesAnglais taient, certes, des hommes dhonneur,mais hlas tous fous jusquau dernier? Pourquoileurs femmes seraient-elles diffrentes ?

    Oui! Partons, Kemal! chantonna-t-elle,enjoue.

  • Avec un grognement, Kemal ordonna audromadaire dAlexa de se lever mais, comme ilrefusait de bouger, il lui assena un coup de btonsur la croupe.

    Rejeton de chvre bigleuse! lana-t-il enfrappant une seconde fois lanimal.

    Il s'carta vivement pour permettre au dromadairede se redresser, ce quil fit avec un sifflementboudeur et un retroussement ddaigneux de lalvre suprieure qui rvla dnormes dentsjaunes.

    O mon Dieu ! sexclama Alexa en secramponnant dsesprment.

    Assise quelque deux mtres du sol sur luniquebosse de sa monture, elle regardait vers le bas, lesouffle coup.

    En rponse ce bruit trange, le ruminant tourna lecou dans sa direction et lui lana un regard

  • mprisant de derrire ses cils retrousss.

    Tu as un problme, matresse? senquitanxieusement Kemal.

    Non, non, Kemal. Cest juste que... la selleest beaucoup plus haute que je ne croyais.

    Ah, cest vrai! Mais naie crainte. Tut'habitueras vite cet animal indigne, la rassuraNabal, le fils de Kemal. Aprs quelqueskilomtres de dsert, tu monteras aussi facilementque les Bdouines. Allons, dpchons-nous, monpre. La caravane sbranle, et je nai aucuneenvie de dguster, du lever au coucher du soleil, lapoussire et la bouse.

    La caravane des plerins se droula dans lalumire amthyste du soir, comme un rubaneffiloch sur le sable dor du dsert. Ellecomportait une multitude de chameaux etdromadaires, plus d'un millier en tout, certainsmonts, dautres chargs dnormes fardeaux,

  • dautres enfin suivis de leur petit. De temps autre, les petits essayaient de plonger la tte versle pis gonfl de leurs mres et blatraientpiteusement en dcouvrant quils narrivaient rien. Chaque tette avait en effet t comprime parde la ficelle la faon bdouine, pour empcherles petits de tirer du lait volont. Car le lait dechamelle, avait expliqu Kemal Alexa, servaitde nourriture aux hommes comme aux chevaux,lorsquune oasis tait tarie ou que les gourdes enpeau de chvre taient vides. Les petits navaientdonc le droit de tter que deux fois par jour, lematin et le soir.

    Il y avait aussi des nes et quelques vigoureuxchevaux arabes caparaonns de couvertures desoie parsemes de glands rouge et or et de grelots.Quelques chvres et moutons blaient etfoltraient, sous la houlette de jeunes enfants. Lesdromadaires sifflaient, crachaient et avanaientdun pas calme. Les nes brayaient. Les agneauxappelaient leurs mres, les poulets enferms dansdes cages dosier caquetaient et sagitaient dans un

  • nuage de plumes neigeuses ; des grelots tintaient,les femmes et les fillettes jacassaient, plusieurscheiks fanfaronnaient et hurlaient des ordres,tandis quune nue de serviteurs pied fermaientla marche.

    Le dromadaire de Kemal adopta une allurebalance et saligna derrire les animaux qui leprcdaient. Celui dAlexa suivit docilement. Cemouvement inattendu faillit la dsaronner, car centait ni un balancement davant en arrire ni uneoscillation latrale, mais une combinaison desdeux. Elle sappliqua maintenir son assiette tantbien que mal.

    Comme len avait prvenue Kemal, les soiresdans le dsert taient froides compares lardente chaleur du jour. Lair ne cessait de serafrachir mesure que la nuit tombait en vaguesmauves sur le sable ondul. Une lune pleine etronde se leva pour flotter au-dessus des vastestendues. Jamais elle nen avait vu de si grosse etargente. Mme les toiles paraissaient plus

  • grandes et plus brillantes. Elles semblaient siproches quon avait limpression de pouvoir lescueillir comme des fleurs. Un vent lger se leva,agitant ses voiles. Aprs la touffeur et la puanteurde Sidi-bel-Abbs, cette brise nocturne taitmerveilleusement frache et douce, et Alexasoupira daise.

    Miss est plus confortable maintenant, hein ?demanda Kemal.

    Au-dessus de son nez aquilin et de sa barbegrisonnante, ses yeux de jais brillaient au clair delune d'un reflet liquide.

    Miss shabitue, dirons-nous, rpliqua Alexaavec une grimace.

    Elle se demandait si elle pourrait marcher lorsquele dromadaire sarrterait enfin, sil sarrtaitjamais, ce dont elle commenait douter ! Elleavait les fesses, le dos et les cuisses en capilotade.

  • Ah, tant mieux! Dis-moi, miss, Kemal nest-ilpas le meilleur guide, comme il lavait promisdans la Casbah?

    Un modle de guide !

    Kemal jubilait manifestement. Nabal adressa lajeune femme un regard entendu et insolent avant decingler sa monture qui fit quelques bonds en avant,distanant son pre et la demoiselle anglaise.

    Lorsque la bruyante caravane simmobilisa pourse reposer pendant la chaleur du jour, le cielsilluminait dj l'orient. Ils avaient voyag toutela nuit, couvrant selon Alexa une immensedistance.

    Une minuscule oasis, gure plus importante lilinexpriment dAlexa qu'un trou dans le sable,tait apparue. Mais en sapprochant, elle constataque loasis possdait une toute petite source,protge du sable par un minuscule mur de boue.Deux palmiers agitaient leurs ttes loqueteuses

  • dans la brise de laube. Des buissons pineux etquelques acacias se disputaient une maigreexistence au milieu de rochers blancs.

    Comme les autres chameliers, Kemal arrta samonture et lui ordonna de se coucher avec un Ikh-kh-kh ! guttural.

    A son vidente surprise, lanimal obit aussitt. Illana le mme ordre celui dAlexa et offrit sonbras la demoiselle pour lempcher de tomber.Elle lui en fut infiniment reconnaissante etsavana en titubant vers la tente que Nabal taitoccup lui monter de fort mauvaise grce untravail de femme indigne de lui.

    En un clin dil, des tentes basses surgirent toutautour de la minuscule source, des tentesbdouines avec toits en peaux de chvre noires etcloisons de sparation en tissus rays fixes pardes piquets de bois. Une multitude de tapis et decoussins furent dchargs des bts et parpillsdans les tentes.

  • Ensuite, les femmes allrent remplir leurs gourdesau mince filet deau de la source, faisant tinter lesdisques dargent qui ornaient leurs voiles.Dautres sactivaient autour de petits feux afin deprparer le repas, tapotant sur des boules de ptepour les aplatir, avant de les enfouir sous labraise. Les hommes affilrent leurs couteaux etturent une chvre ou un agneau rtir la broche,puis se runirent dans une tente pour boire un caf,en attendant que le repas ft prt.

    Nabal apportera son souper la demoiselleds que les hommes auront mang, sexcusaKemal, voyant quelle observait les agneaux etchevreaux qui cuisaient la broche. Avant a,nous devons discuter des dangers qui nousattendent peut-tre demain.

    Demain? rpta stupidement Alexa, ensallongeant avec un norme billement sur le petittapis frang que Nabal avait droul lentre desa tente.

  • Elle tait beaucoup trop fatigue pour songer aulendemain. Elle ne sentait plus son derrire ni sespieds et, mesure que la sensibilit revenait, ladouleur prenait le dessus. Elle navait quune ide:dormir. Mais Kemal avait, semblait-il, dautresides.

    50

    Demain, reprit-il patiemment, la caravanepoursuivra sur la longue route de La Mecque,tandis que nous continuerons seuls dans ladirection oppose, pour rejoindre la forteresse deslgionnaires, qui se dresse au cur des provincestouargues. QuAllah nous protge de leurbrigandage, mais il est plus que probable que cesvoleurs du diable nous repreront, miss, car lesTouaregs sont des dmons capables de svanouirdans lair volont! Cest pourquoi jai suggrde nous habiller le plus humblement possible, etde narborer aucun signe de richesse, daccord ?

    Je me souviens, reconnut Alexa, les yeux

  • carquills. Continue.

    Elle avait oubli ses membres gourds. Alvocation des brigands touaregs, son cur staitmis battre la chamade.

    Si, par malheur, ces dmons nous approchent,tu ne dois rien dire qui puisse rvler ton identit.Tu ne dois pas lever les yeux, de peur que nous nesoyons dcouverts !

    Il pronona ces derniers mots dun ton tellementsinistre quAlexa en eut la gorge noue de peur.

    Que... quarriverait-il alors? demanda-t-elledune voix tremblante.

    Les Touaregs sont des voleurs, miss, despirates sanguinaires qui pillent les caravanes. Leurnom signifie Ames perdues, car ils ngligent laloi dAllah et ne tiennent gure compte des critssacrs de son saint Prophte. Ils vivent de rapineet prennent des captifs, hommes et femmes, pour

  • les vendre comme esclaves sur les marchsclandestins. Quelquun comme toi, avec ton teint etta grande beaut, serait dun grand prix pour unchef touareg. Tu serais le plus beau joyau de sonharem !

    Oh ! je vois, fit-elle, la gorge serre. Alors sinous rencontrons ces Ames perdues, je feraimon possible pour rester silencieuse, et les yeuxbaisss, comme vos femmes.

    Il serait bon que la demoiselle observe lesfaons des femmes de mon peuple, et plus sageencore qu'elle se comporte comme elles.

    Jessaierai, c'est promis, Kemal. Je ne ferairien qui mette nos vies en danger.

    Son guide inclina la tte.

    La demoiselle est une femme de grandesagesse. D'une sagesse digne d'un homme. Ah !Voici mon fils avec de la nourriture pour toi.

  • QuAllah protge ton sommeil, miss Harding, fitlArabe en se touchant le front puis la poitrine ensigne de respect.

    Sans un mot de plus, il se dirigea vers un des feuxde camp pour dner avec les autres hommes, lalaissant seule avec Nabal.

    Japporte du dlicieux chevreau rti. Lademoiselle aime la viande de chvre, oui? Sinon,je peux trouver de la viande de chameau.

    Le chevreau fera laffaire, sempressa-t-ellede rpliquer. Et a, quest-ce que cest ?

    Que veux-tu que ce soit d'autre que ducouscous, miss ? Il y a aussi du fromage dechamelle, des dattes avec du samn ou beurre dechamelle, et de la galette. Je tapporte un bondner, hein ? dit-il, les yeux brillants de malice,sachant parfaitement que tous ces mets lui taientparfaitement inconnus.

  • On verrait qui serait le plus malin des deux.Malgr son accoutrement et ses coutumes tranges,ce jeune Arabe ntait pas trs diffrent ducoquin de neveu quelle avait laiss enAngleterre, le fils de Dan et de Pauline.

    Du fromage de chamelle! Et des dattes!Quelle merveille, Nabal. Mes mets prfrs!Miam! Dlicieux!

    Elle mcha un morceau de fromage cre comme sictait de lambroisie.

    Tes... tes mets prfrs, miss? rpta Nabal,manifestement du de constater que saplaisanterie tournait court.

    Avalant avec difficult, Alexa hocha la tte,triomphante devant lair dconfit de Nabal.

    Bon! Il faut que je rejoigne les autreshommes, dclara le garon, dpit. Pour unhomme, il nest pas convenable de manger en

  • compagnie des femmes.

    Il partit dun air dsinvolte, laissant Alexa enfinseule.

    A son tonnement, le couscous arros dune saucepice tait dlicieux; les dattes, collantes etgraveleuses, mais bonnes ; une fois le palaishabitu, le chevreau rti tait mangeable. Quant ce fromage caoutchouteux, elle narrivait toutsimplement pas lavaler. Bien que, dans cescontres, la nourriture ft prcieuse et quil ftcriminel de la gcher, elle dclara forfait et enfouitle morceau dans le sol. Puis elle rcura soncuelle, se frotta les doigts avec du sable comme elle avait vu les autres

    le faire > dposa le rcipient lentre de latente et se glissa lintrieur.

    Lorsquelle posa la tte sur ses coussins moel-leux, laube se levait en bandes jaunes et mauves lorient. Avec un grognement de plai- sir fort peu

  • distingu, Alexa plongea dans le sommeil et dansles bras de lamant de ses rves.

    En fin daprs-midi, arrivant au Sommet dunedune leve, le chef dune escouade delgionnaires, en reconnaissance dans les vil- lagesvoisins de loasis de Yasmine, trois jours deFort Valeureux, fit signe aux cavaliers qui lesuivaient de sarrter. Ils obirent comme un seulhomme.

    En contrebas, dans la lumire sanglante ducouchant qui dorait les eaux de loasis, se dres-saient quelques tentes bdouines. Des servi- teurssaffairaient alentour; il y avait plusieurschameaux baraqus et quelques chevaux quipaissaient la maigre vgtation.

    Caporal ODay!

    Sergent?

    Dis-moi ce que tu vois.

  • Le caporal, Timothy ODay, prit ses jumelles etles rgla.

    Je vois une petite caravane, sergent, dit-il aubout de quelques instants. Environ une ving- tainede chameaux et quatre chevaux. Quant aux civils, ily a deux hommes gs, qui nont pas lair arms,un petit harem de peut-tre trois femmes et leursserviteurs. Je dirais que cest un camp deBdouins pacifiques, sergent,

    Un cheik, sa famille et ses serviteurs, dtachs deleur caravane principale.

    Bravo, caporal, voil une hypothsejudicieuse! Mais je crois que tu te trompes. Ce quemoi, le chef de cette escouade, vois travers cesjumelles cest un campement de sales indi-gnes,prparant une attaque de notre fort, et dont leschameaux souillent les eaux de cette oasisstratgiquement vitale !

    Sergent? fit ODay, stupfait. Si vous voulez

  • bien me pardonner, mon opinion est que vousfaites erreur, sergent !

    Ah, mais je ne tai pas demand ton opinion,ODay. Je tai demand ce que tu voyais, et tu melas dit. Tes yeux tont manifestement jou un tour.Daccord ?

    Le caporal ODay se passa la langue sur leslvres.

    Euh non, sergent, je...

    Cest oui ou cest non ! hurla le sergent.

    Euh... oui, sergent!

    Trs bien, caporal. Nous sommes daccord.Lgionnaires ! dit-il, se tournant vers le reste delescouade. Le caporal ODay et moi sommesdaccord pour penser que ce campement renfermedes ennemis. Je veux savoir ce que ces salaudsfont l. Vous trois LeBraun, Gianetti et Saint-Pierre restez ici pour nous couvrir pendant que

  • nous avanons. Caporal Gianetti, prends lecommandement. Fais dresser les tentes. Si tu nousvois dans le ptrin, tu sais ce que tu as faire.

    Oui, sergent! sempressa de rpondre litalienavec un fort accent.

    Cest bien. Vous autres, suivez-moi.

    Le sergent talonna son cheval ; les trois autressuivirent sur leurs robustes mules.

    Ils ne me paraissent pas hostiles, Timothy !murmura Henri Toussaint son ami irlandais. Quemijote notre cher sergent le Fou ?

    A tout autre moment, ODay aurait souri du surnomque les hommes de la caserne avaient donn ausergent. Mais un sombre pressentiment lui enlevaittout sens de lhumour.

    Rien de bon, je parie! Dieu seul le sait,Henri, mais je naime pas a !

  • Le troisime larron, Flchette, clata dun riregoguenard.

    Tu as peur, mon ami? se moqua-t-il. Un petittir dentranement avant le souper ne serait paspour me dplaire, et quelle meilleure cible quunepoigne dArabes puants fomentant une attaque denotre fort bien-aim, hein ?

    Tu es aussi fou que le sergent, Flchette!gronda ODay.

    A quelques mtres de loasis, le sergent retint samonture. Les autres limitrent. Les Bdouinsavaient cess les prparatifs de leur repas pourobserver lapproche des soldats.

    Eh toi, ODay!

    Sergent?

    ODay poussa sa monture la hauteur du cheval.

    Comme ton arabe est bien meilleur que le

  • mien, je vais te laisser discuter. Dis-leur que nousvoulons parler avec leur cheik. Et demande-leur cequils fabriquent ici.

    ODay s'excuta. Un digne Bdouin portant unburnous savana. Il avait une belle barbe noirelgrement grisonnante, et des yeux intelligentsdans un visage allong.

    Il dit sappeler cheik Hussein Ben Fadil,sergent. Son frre, lui et leurs deux pousesaccompagnaient sa fille qui devait rencontrer sonfianc, lorsqu'ils ont t surpris par une tempte desable et ont perdu leur route. Il vous souhaite labienvenue et vous offre lhospitalit de son camp.Il nous dit de ne pas avoir peur, que nous seronstraits avec courtoisie.

    Vraiment ? ricana son suprieur. Eh bien,ODay, dis-lui quil est un fieff menteur et queses chameaux galeux polluent leau de loasis.Dis-lui que lui et son misrable camp sont hostilesaux lgionnaires, et quils annoncent probablement

  • une attaque touargue de notre fort. Dis-lui que jecrache sur sa prtendue hospitalit !

    Comment? Mais... je ne peux pas lui dire a,sergent! protesta ODay, horrifi. Lhonneur, cesttout pour ces Bdouins ! Il perdrait la face.

    Tu vas le lui dire sinon, ce sera le conseilde guerre, caporal.

    Rien ntait plus redoutable que le conseil deguerre, car la lgislation militaire franaise taitparticulirement dure. Peu dhommes en sortaientindemnes. En outre, n'avait-il pas quitt sonIrlande bien-aime pour chapper aux gelesanglaises? La sueur au front et la mort dans lme,il traduisit les mots du sergent.

    Le chef arabe en resta abasourdi. Son expressionse durcit, ses yeux lancrent des clairs. Il leva unbras et cria quelque chose. A linstant mme, unautre homme arriva en courant. Ils changrentavec animation quelques paroles, puis le cheik se

  • tourna vers le sergent et dit quelque chose dun tonfroid et mprisant.

    Quest-ce quil baragouine, ODay?

    Il dit... il dit que bien quAnglais... vous tesun homme sans honneur, sergent. Il dit quadresserla parole des gens comme vous lui corche lalangue. Il vous demande de quitter son camp avantde lobliger dfendre son honorable nom.

    Ah, vraiment ? On va voir ce quon va voir !Flchette! Montre ce sale Arabe comment noustraitons les gens de son espce.

    Volontiers, sergent!

    Avant quODay ait eu le temps de protester,Flchette avait extrait son revolver de service deson tui et tir en plein dans la poitrine du cheik.

    Le Bdouin fit un bond en arrire. Une tache rougeapparut sur sa djellaba blanche. Il trbucha etseffondra. Alors le second Bdouin tira de sa

  • ceinture un poignard recourb et se jeta avec unhurlement sur la monture de Flchette. Ladeuxime balle du lgionnaire lui entra dans leventre. LArabe se tordit et tomba avec un cri dedouleur.

    Blotties sous les palmiers, les trois femmes semirent dchirer leurs voiles et sarracher lescheveux. Les chameliers et les autres serviteurssenfuirent dans le dsert. Le btail affol par lescoups de feu courait dans tous les sens, renversantles tentes. Au milieu de tout ce chaos, le sergentsouriait, impassible.

    ODay, Toussaint, chassez-moi ces chevauxet ces chameaux! ordonna-t-il, les yeux bleustincelants d'une lueur diabolique. Et que a saute! Pendant ce temps, je vais interroger les autres...euh... prisonniers. Flchette, viens avec moi.

    Tandis que Flchette mettait pied terre,Toussaint jeta un coup doeil O'Day: le visagede son ami tait aussi blanc que le sien.

  • Mon Dieu! C'est un dmon! Je ne veux pasassister a ! souffla Toussaint en poussant samule vers les chameaux en fuite.

    Le cur battant et prt vomir, ODay vit les deuxhommes se diriger vers les femmes hurlantes.Malgr les ordres du sergent, il tait incapable desuivre Henri. Il tait comme hypnotis. Oh, sainteVierge Marie, quavait-il fait! Sa soumission, sonsilence le rendaient complice de tous ces crimes.Maudissant sa lchet, il se fora suivre la mulede Toussaint.

    Alors, Flchette, quavons-nous l ?

    Poings sur les hanches et jambes cartes, le

    sergent se tenait moins de cinq mtres des troisBdouines. Son visage bronz sous son kpi blanctait fendu par un large sourire.

    On dirait bien des femmes, reprit-il, maisavec tous ces voiles sur leurs cheveux, qui sait ?

  • Ce sont peut-tre des hommes dguiss! Oui,Flchette, de sales espions nattendant queloccasion de nous attaquer?

    Flchette se passa goulment la langue sur leslvres.

    C'est trs possible, sergent. On ne peut pasprendre de risques.

    Tout fait, caporal. Nous sommesparfaitement daccord. Toi, fillette, viens un peuici !

    Il fit signe la plus petite des femmes, la seuledont le visage tait voil signe que ctait unevierge, les Bdouines ne se voilant quen ville.

    La fille comprit manifestement son geste, car ellesagrippa au bras de son ane.

    Elle semble avoir peur, Flchette ce quiprouve quelle a quelque chose cacher. Amne-la-moi tout de suite.

  • Indiffrent aux cris et aux coups de poing desautres femmes, Flchette empoigna la fille par lataille et lobligea se mettre debout. Elle griffait,crachait et dcochait des coups de pied.

    Vrai! Cest un chat sauvage! sexclamaFlchette, lui saisissant les poignets et la tranantdevant son suprieur.

    Le sergent arracha le voile qui lui couvrait levisage.

    Qui aurait imagin a? Cest une perle noireque nous avons l, Flchette. Je me demande si soncorps est la hauteur de son charmant visage.

    Les yeux brillants de dsir, le sergent dchira sarobe. Vtue de son seul caftan jaune et blancrichement brod et dune culotte bouffanteresserre aux chevilles, la fille se tenait devant lui,immobile et tte baisse, comme rsigne. Elletremblait violemment et de grosses larmesroulaient sur ses joues.

  • Lanant soudain un juron, le sergent agrippa lecaftan de la fille par le col et tira de toutes sesforces, dchirant le mince tissu et lui dnudant lapoitrine jusqu la taille.

    Peste ! grogna-t-il en lattirant brutalement lui.

    Il enroula son paisse chevelure noire autour deses doigts, lui arrachant un gmissement, puis luicrasa les lvres de sa bouche avide. Appliquantsa main calleuse sur sa poitrine, il se mit lamalaxer rudement et elle cria de douleur.

    Prenez garde! La petite garce a un couteau!

    Le cri de Flchette ramena le sergent lui. En unclair il saisit le fin poignet de la jeune fille etserra jusqu ce quelle lcht le poignard. Puisavec un rire triomphant, il la gifla plusieursreprises avant de la jeter ses pieds et de secoucher sur elle.

  • Elle russit dgager ses bras et ses doigtsrencontrrent une mince chane dargent quellebrisa. Le sergent la matrisa sans peine, luiemprisonnant les deux poignets dans une main,tandis que de lautre il dboutonnait son pantalonet lui rabattait brutalement sa culotte jusquauxgenoux.

    Dfends-toi donc, petite vierge, dit-il dunevoix rauque en lui cartant les cuisses avec songenou. On verra si tu te dbats encore quand jetaurai fait ton affaire, sacrebleu !

    Ah, mon ami, ne soyez pas trop gourmand !Laissez-en un peu pour moi, le supplia Flchette.

    Entendant les hurlements qui suivirent, ODay sejeta genoux sur le sable et se boucha les oreilles.Il supplia Dieu, la Vierge Marie et tous les saintsde lui donner le courage de regagner loasis et deles faire taire.

    Le lendemain en fin daprs-midi, aprs avoir

  • dormi pendant les heures brlantes du jour, lapetite troupe dAlexa quitta la caravane principaleet sa scurit.

    Le dromadaire dAlexa, quelle avait surnommMary, suivait celui de Kemal en mchonnantpensivement une branche darbuste arrache audpart de loasis, tandis que Nabal fermait lamarche avec les trois btes de bt.

    Autour deux, linfini, ce ntaient que dunes etvalles de sable dor, parfois rompues par unekella ou tour dobservation, en ruine.

    Le Sahara possdait une beaut sauvage qui luitait propre. La beaut des espaces infinis et de lalumire cristalline. Pas de chemines crachant leurfume sale vers le ciel, pas de constructions noiresde suie comme Londres.

    Encore endolorie par le dbut du voyage. Alexatait reinte. Deux heures aprs que la lune futleve, Kemal, voyant son inconfort, ordonna une

  • halte. Nabal et lui s'activrent dresser les tentes,allumer le feu et prparer le souper; du caf noir,des galettes trempes dans du miel, de la chvrertie et du lait ferment, dont l'aigreur taitapprcie pour ses qualits rafrachissantes.

    Nous navons malheureusement pas tonfromage de chamelle prfr, sexcusa Nabal avecun sourire malicieux.

    Ne tinquites pas pour une humble femme.

    Contrairement aux enfants, dont les besoinsdoivent tre immdiatement satisfaits, de peurquils ne pleurent et ne tapent du pied, les grandespersonnes savent se passer de ce genre de gterie.

    Nabal sempourpra de colre et marmonnaquelque chose en arabe, qui navait gure besoinde traduction et qui lui valut, de la part de sonpre, un regard courrouc.

    Mon trs indigne fils oublie le grand honneur

  • que nous fait la demoiselle en confiant noshumbles personnes le soin de la conduire au fortdes Franzawis. Il oublie aussi que, selon noscoutumes arabes, nous sommes tenus de nouscomporter avec respect et bienveillance enversune invite. Une bonne correction pourrait peut-tre le lui rappeler, hein, mon fils? Mille pardons,miss.

    Je les accepte, dit Alexa avec un sourireamical ladresse de Nabal.

    Dconcert par cette marque de bonne volont, legaron lui rendit, en signe de trve, un souriretimide.

    Ils venaient de terminer leur repas. Kemaldessinait avec un bton sur le sable, lintentiondAlexa, le trajet quil leur restait parcourir,lorsque Nabal se dressa dun bond, loreille auxaguets.

    Chut! Ecoutez, mon pre! Quelqu'un arrive !

  • Kamal couta quelques instants, puis secoua latte.

    Il n'y a personne, mon fils. Sinon, j'auraisentendu aussi. Tu es comme une femme, ou un petitenfant qui entend le ghrl l'appeler dans la nuit eta peur des ombres !

    Non, mon pre, cest un bruit dhommes

    dhommes nombreux, et de chevaux et dechameaux !

    A peine avait-il prononc ces mots quAlexa vitleur petit camp entour de silhouettes inquitantes:plusieurs hommes en djellabas, monts sur deschevaux et des chameaux, les observaient ensilence.

    Son cur se mit battre. Etaient-ils vrais, outaient-ce des fantmes ? Comment des tres dechair et de sang auraient-ils pu sapprocher sans lemoindre bruit ?

  • QuAllah nous protge, ce sont les HommesBleus, murmura Kemal. Les Touaregs !

    Avec un large sourire de bienvenue, il se levapour accueillir leurs visiteurs importuns.

    49al-Azadel1721263136

  • 4 Bienvenue, messeigneurs ! s'cria Kemal ensinclinant profondment vers les cavaliers. Puis-je vous offrir lhospitalit de mon humble camp?Je suis Kemal Ben Hussein, homme pauvre envrit, propritaire de quelques malheureuxchameaux, mais ne possdant aucun cheval.Toutefois, tout ce qui est moi est vous. Ilvous... suffit de demander.

    Estime-toi heureux parmi les heureuxdAllah, vieillard, que nous demandions lhospi-talit au lieu de lexiger! dclara un grand gaillarddont les propos en dialecte arabe dclenchrentl'hilarit de toute la troupe. Je suis le cheik KadarBen Selim et je voudrais que tu accueilles monmatre. Peut-tre as-tu entendu parler dal-Azim, leDfenseur? Mon seigneur et moi souhaiterionsprofiter, cette nuit, de la chaleur de ton feu. Nousavons eu une longue chevauche.

    Eh bien, soyez les bienvenus, dclara Kemal.

  • Mangez et reposez-vous aussi longtemps qu'il vousplaira.

    Nous acceptons ton invitation. Et ne crainsrien, vieillard tremblant, nous navons paslintention de te voler tes chameaux, ni de nousterniser prs de ton feu. Mme pas de boire toutton caf ! Nous avons affaire ailleurs. Par la grcedAllah, nous allons retrouver la caravane de mafiance, petite perle bdouine dont la beautclipse lclat de la lune et dont la dot augmenteraconsidrablement mes troupeaux de chameaux! Ilsemble hlas que la caravane de son honor prese soit perdue, car elle ntait pas notre point derendez-vous. Peut-tre lavez-vous aperue aucours de votre voyage ?

    Hlas, depuis deux jours que nous avonsquitt la caravane de La Mecque, nous navonsrencontr personne.

    Ils ont d pousser louest, la recherchedune autre oasis, o ils nous attendent. Ah, voici

  • al-Azim !

    Sautant lestement de son talon arabe, un hommesortit de lombre et pntra dans la lumire du feu.Plus grand et plus maigre que Kadar, il sedplaait avec la grce dun lion du dsert. Lesautres scartrent respectueusement pour lelaisser passer. Arriv ct du guide terroris, ilsarrta et, la grande surprise de celui-ci, leremercia de son hospitalit.

    Kemal fit un geste furtif Nabal qui se mit courirdans tous les sens comme un scorpion. Il poussetaun petit tapis, ltala devant le feu pour le cheftouareg, et lui apporta des coussins, puis il jeta unepoigne de marc de caf dans la cafetire decuivre pleine deau bouillante.

    Nabal recula avec force courbettes, tandis que lechef sasseyait en tailleur. Il regardait ltrangeravec inquitude, ne sachant si ses humbles effortstrouvaient grce aux yeux dal-Azim, car il portaitun turban bleu fonc dont lextrmit tire sur le

  • visage, la manire touareg, ne laissait apparatreque ses yeux daigle.

    Lorsque lhomme sassit sur le tapis multicolore,cartant avec dsinvolture les plis de sa robeindigo, Nabal remarqua la qualit du tissu, admirales magnifiques broderies dor et dargent bordantle caftan blanc, et la finesse de la soie de sonsirwal blanc large pantalon rentr dans desbottes en daim souple. Il eut aussi le tempsdapercevoir un poignard recourb, dont lemanche dor incrust de pierres prcieuses taitngligemment fich dans la ceinture rougeenserrant sa taille fine.

    Le poignard navait pas non plus chapp Alexa,toujours pelotonne prs du feu. Elle regarda,hypnotise, le chef brigand le retirer de sa ceintureet le poser soigneusement ct de lui sur le tapis.Imaginant lacier froid de la lame sur sa gorge,elle se mit trembler.

    H, garon ! Fils unique dune mre

  • paresseuse, apporte de quoi manger nosseigneurs, al-Azim et Kadar ! lana Kemal endcochant un Nabal ptrifi un grand coup depied dans le derrire.

    Le coup fit son effet, car Nabal bondit vers lachvre rtie et le pain azyme, et se mit remplirfbrilement un plat pour leurs invits.

    Et toi, petite idiote! Quest-ce que tu regardescomme a? Tu nas donc jamais vu de grands etnobles seigneurs ? File dans ta tente ! grondaKemal en arabe ladresse dAlexa.

    Sachant quelle ne le comprenait pas, il la prit parlpaule, lobligeant se lever, et la poussabrutalement vers sa tente.

    Ainsi malmene, Alexa perdit lquilibre et stala quelques centimtres du feu de bouse dechameau.

    Frapp dhorreur, Kemal roula les yeux vers le

  • ciel, priant silencieusement Allah.

    Aprs tre reste quelques secondes sur le ventre,le souffle coup, Alexa retrouva ses esprits.Kemal ne lui avait-il pas recommand, au cas oils rencontreraient des Touaregs, de passer le plusinaperu possible ? Le cur battant, elle se mit quatre pattes. Ce faisant, elle commit unedeuxime erreur.

    Voulant sassurer que le chef touareg navait pasremarqu sa maladresse, elle leva les yeux et, sagrande frayeur, son regard rencontra celui du chefbrigand. Dans la lumire dansante du feu de camp,ses yeux dbne tincelaient comme des clats dejais mouchets dor.

    Un frisson la parcourut. Son cur tambourinait.Sous ce regard la fois si sensuel, si primitif, siinattendu et si trangement familier, son corpsdevint brlant; elle se sentit sur le point dedfaillir. Elle oublia cet instant toutes lespromesses faites Kemal, incapable de dtacher

  • son regard de ces yeux dbne, les mmes queceux qui hantaient ses rves.

    En essayant de se lever, elle vacilla et se seraitvanouie si la voix profonde du chef ne lavaitbrutalement ramene la ralit :

    Par la barbe du Prophte, qui es-tu? demandaal-Azim dun ton rude. Qui est ton pre, fille, et dequelle province es-tu ?

    Ne pouvant comprendre sa langue, elle jeta unregard suppliant Kemal qui se tordait les mainsdangoisse, de lautre ct du feu.

    Cette vaurienne desclave est une affligedAllah, monseigneur. Pardonnez-lui samaladresse et ses mauvaises manires, mais ellene peut pas rpondre. Elle est muette de naissance

    ce que ma jur le misrable marchand qui mela vendue.

    Ah bon ? fit Charif, visiblement du.

  • Dans tes appartements, ma fille ! Quest-cequi te prend dvisager ainsi nos nobles invits,hein? A moins dtre une vulgaire danseuse de larue des Courtisanes, une jeune fille ne cherche pas attirer lattention dtrangers! File, effronte !

    Un instant, petite, murmura al-Azim dunevoix profonde et douce comme une caresse.

    Dun doigt, il lui souleva le menton, et plongea denouveau dans ses yeux verts terrifis, silonguement et avec une telle intensit quAlexa sesentit ptrifie.

    Par Allah, elle a les yeux verts de Zerdali !sexclama le chef touareg.

    Ses yeux? Cest que... euh... monseigneur, sesyeux sont des joyaux, cest vrai ! Son matre madit quelle tait la... euh... la fille dune Cir-cassienne, enleve dans son pays et viole par sesravisseurs.

  • Ah, je vois, vieillard, fit-il avec regret. Ehbien, va-ten, fille ! Va-ten et vite, avant que jenoublie que tu as un matre et ne te vole pourremplacer la belle houri qui hante mes rves!

    Alexa ne comprit pas ses paroles, mais leur tontait aussi clair que son geste: elle lavait ennuyet il souhaitait la voir disparatre. Sans se faireprier, elle courut sa tente, se glissa sous lerideau et rabattit la portire de tissu derrire elle.Cette fragile barrire tait sans doute une faussescurit, mais ctait mieux que rien.

    Comme un animal accul, elle se blottit, haletante,sur son tas de coussins, attendant linstant affreuxo la portire serait brutalement arrache. Elleverrait alors le chef touareg apparatre, le regardclair de dsir dans le clair de lune ; il la jetteraitsur le sable chaud et assouvirait ses ignoblesapptits...

    Elle se souvint alors quil avait les yeux delamant de ses songes, et que les bras qui lavaient

  • emprisonne dans ses rves navaient jamaismanifest la moindre cruaut, quils lavaiententoure avec tendresse et amour.

    Cet homme pouvait-il tre lamant de ses rvesdont la voix irrsistible lui avait ordonn detraverser un continent pour le rejoindre? Non!Bien sr que non! Ces choses narrivent pas.Limagination fminine est inpuisable, mais lesrves ne se matrialisent pas de la sorte, sinondans les contes de fes.

    Elle tait pourtant une femme mre, rationnelle,informe. Le viol, la torture, la captivit,lesclavage taient les dures ralits de cette terresauvage. Ses rves romantiques ntaient que lereflet de ses dsirs les plus profonds, de sessouvenirs denfance en Egypte, de son envie deretrouver son pays natal. Elle devait reprendre sesesprits et songer se dfendre, au cas oloccasion sen prsenterait.

    Celle-ci ne se prsenta pas. Et malgr ses efforts

  • pour rester veille, Alexa finit par sendormir, unbton serr contre sa poitrine pour parer touteventualit.

    Le lendemain matin, lorsque Nabal la rveilla, lesoleil tait dj haut dans le ciel. Les HommesBleus avaient disparu.

    Kemal, que veut dire zerdali? demandaAlexa.

    Zerdali, miss ? rpta Kemal avec un petitrire. Cest un nom affectueux dont un hommeappelle sa femme quand ils sont seuls ou lenom quun homme