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Petite histoire de l’école dans les Ardennes · Petite histoire de l’école dans les Ardennes ... Le développement des échanges et des villes créait de nouveaux besoins car

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Petite histoire de l’école dans les Ardennes

Sacré Sacré Charlemagne ! Nous avons tous chanté dans notre enfance cette chanson en l’honneur du créateur de l’école. Grosse erreur, l’empereur à la barbe fleurie… qui n’avait pas de barbe… et maitrisait fort mal la lecture et bien moins encore l’écriture était un grand gaillard, athlétique, intelligent et roué, mais peu lettré. C’est pour avoir des administrateurs compétents et dociles dans son vaste empire (plus de 1,2 M de km² !) qu’il favorisa leur formation dans des écoles réputées comme celle de son palais. Autre légende colportée par les chroniqueurs (qui écrivirent bien après sa mort !), celle des bons élèves pauvres et des mauvais élèves riches. En fait, il avait tout intérêt comme le feront plus tard d’autres souverains, à recruter ses hauts cadres non dans les grandes familles seigneuriales réputées frondeuses et arrogantes mais plutôt du côté des cadets de famille nobles « modestes » que l’on destinait le plus souvent à la religion et dépendant totalement de l’empereur envers qui ils étaient redevables de leur promotion.

I L’école avant l’école…..

En fait, les premières écoles dataient des débuts de l’écriture en Egypte et en Mésopotamie où les souverains, les nobles comme les hauts fonctionnaires (architectes, administrateurs et scribes) recevaient une formation soit sous forme de préceptorat pour les plus riches soit sous forme d’école. En Grèce, les écoles étaient plus nombreuses mais seule une partie des citoyens pouvait y accéder car sur 200 000 Athéniens, il n’y avait que 20 % de « citoyens » ce qui réduisait le nombre réel de lettrés à 5/10 % parfois un peu plus , proportion qui ne changea guère à l’époque romaine ou il existait des écoles payantes ou financées par des mécènes et gérées par un « magister », les familles riches ayant recours à des précepteurs lettrés de haut niveau (quelquefois des esclaves… mais fort bien traités !).

Le déclin de l’Empire carolingien fut tel que les écoles ne réapparurent guère que trois siècles plus tard avec la croissance économique et démographique de l’Occident et l’expansion du pouvoir royal des capétiens qui avaient de plus en plus besoin de s’appuyer sur un embryon d’administration et notamment sur des juristes maitrisant le droit romain. Le développement des échanges et des villes créait de nouveaux besoins car les marchands et les artisans devaient maitriser l’écrit souvent beaucoup mieux que les seigneurs qui, à quelques exceptions prés, comme G. Phebus ou R. Cœur de Lion, restaient assez frustes à l’image de du Guesclin. Souvent gérées par les hommes d’église, les écoles débouchaient sur des Universités qui apparurent dans les grandes villes pour des études de théologie, de droit ou de médecine (bien légères !) et l’ardennais Robert de Sorbon fonda un établissement avec internat qui devint la Sorbonne, cœur du quartier dit « latin » (la langue d’enseignement des étudiants) mais, dans les campagnes profondes, à part quelques fils de nobles souvent devenus gens d’église ou, très rarement, de riches laboureurs, peu de gens maitrisaient la lecture et l’écriture.

Les écoles et surtout les précepteurs de qualité restaient l’apanage d’une élite qui en avait les moyens, bien que se développèrent quelques cours d’alphabétisation payants aux allures de garderie, mais de très médiocre qualité, avec des enseignants incompétents. A la fin du 16ème siècle, les choses commencèrent à changer grâce aux protestants qui firent de l’enseignement un fondement de leur religion, tous les croyants devant être capables de lire la bible et les pasteurs, jusque dans les coins reculés, animaient de petites classes. Au 17 ème siècle, les écoles étaient plus nombreuses dans les villes et parfois aussi dans les campagnes mais, comme le constata le rémois JB de la Salle, qui développa les « frères des écoles chrétiennes », la principale source de difficultés venait de la médiocrité des enseignants. Des filles fréquentaient aussi ces écoles alors que de son côté Mme de Maintenon développa, (pour les jeunes filles nobles de condition…modeste) une sorte d’école ménagère à Saint Cyr. Au 18 ème, il y avait de plus en plus d’écoles en ville comme en campagne et l’on constatait lors des mariages et des baptêmes consignés dans les registres paroissiaux qu’une grosse majorité d’hommes et de plus en plus de femmes étaient capables de signer.

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La réponse à l’enquête épiscopale de 1774 nous donne de précieux renseignements sur ces écoles ainsi à Prez : « Il instruit les garçons et les filles dans une maison… il peut compter jusque 20 enfants de novembre à mars, après, les parents les retirent pour leur confier la garde des bestiaux… ».

A Château- P. : « il y a un maître, un sous maitre et des maitresses (d’une congrégation rémoise), il reçoit ses appointements de la ville pour les pauvres (60 livres) et les autres paient 8 sols (0,4 l) par famille avec 100 élèves l’hiver et 50 l’été ». En règle générale les maitres étaient payés moins que le salaire courant (1livre / jour) et encore, comme à Rubigny, c’était le fruit de l’ « écolage » mais plus encore de ses fonctions de bedeau (servir et chanter la messe, sonner les cloches, balayer l’église, nettoyer le cimetière et cultiver un bout de jardin) ! Dépendant du curé, le maître était souvent lié à une paroisse proche (par ex : un orphelin ou un enfant trouvé élevé par des religieux), les plus capables pouvant espérer devenir le « marguilier » qui gérait les biens de l’église (quelquefois considérables dans les paroisses riches !).

II Le temps des écoles normales et de Guizot

La Révolution Française, très influencée par les philosophes des lumières, avait favorisé le développement de généreux projets d’éducation pour tous notamment celui de Condorcet, hélas vite oubliés en raison des incertitudes du temps si bien que les problèmes cruciaux restaient la médiocrité des enseignants et l’absentéisme des enfants que les parents préféraient voir dans les champs ou à la fabrique. L’empire souhaitait, pour y remédier, la création de classes normales dans les lycées et collèges. C’est en 1811 qu’apparut, à Strasbourg, la première Ecole Normale et il s’en fallut d’un cheveu que, sous l’impulsion de Delvincourt, la seconde ne naquisse à Charleville en 1814 mais après la Berezina et Waterloo, le projet fut abandonné dans les Ardennes alors qu’elles se généralisaient ailleurs. Les choses stagnèrent et l’ouverture d’une école mutuelle sur le modèle « Lancastre », à Sedan, ne donna des résultats positifs que dans les rapports officiels… alors que le Conseil Général, très conservateur se complaisait dans l’immobilisme.

En 1828, un ministre demanda aux préfets de prendre les choses en mains et le nouveau préfet des Ardennes, un homme mûr Renaud de Lascours (lié aux Rousseau, une des grandes familles du textile sedanais) qui avait derrière lui une longue carrière militaire et politique allait s’y investir avec le zèle et la passion de l’homme des lumières qu’il était. Bousculant le Conseil Général, il ne put cependant obtenir l’ouverture d’une Ecole Normale au château de Villers Semeuse comme il le souhaitait mais, en 1831, un budget au rabais de 6000Fr (au lieu de 11450 nécessaires) et une dépendance du séminaire de 29,6m sur 7,6 m, à usage de « réserve de bois et de farinier » comme futur temple de la pédagogie ! 16 boursiers et 4 demi-boursiers furent recrutés sur concours, après avis du maire et du curé, mais la pingrerie de l’Assemblée Départementale atteignit des sommets : couchettes de fer garnies de cordes avec paillasses de seigle, salaires des professeurs tellement bas qu’il fallut les doubler en 1835 !

Brillant intellectuel protestant, austère et travailleur, le ministre Guizot fit alors basculer le système scolaire dans la modernité en obligeant chaque commune à avoir une école publique ou privée (elles passèrent de 10000 à 23000), en exigeant des enseignants une formation et un diplôme puis en créant les corps d’inspection. Dans ce contexte plus favorable, l’Ecole Normale, installée au départ dans une annexe du séminaire/collège se fit reconnaître et s’agrandit en devenant autonome alors qu’apparut, en 1841, l’école annexe qui devint la plus recherchée du département. En 1848, on comptait 38 normaliens.

La bise cléricale de la loi Falloux remit tout en cause : facilités de formation accordée aux établissements religieux (on pouvait en sortir breveté à 18 ans contre 21 à ceux qui passaient par l’Ecole Normale) , programmes minimalistes, professeurs « internés » ce qui les obligeait quasiment à être célibataires (pour favoriser les religieux), discipline claustrale. Malgré cela, l’Ecole Normale qui, en une quinzaine d’années, avait démontré son efficacité dans les communes ardennaises où exerçaient les normaliens, tint bon avec le soutien de la Commission de surveillance dont le président était le maire de Charleville et président du Conseil Général : Le Chanteur, un important industriel.

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La libéralisation du Second Empire fut marquée par l’arrivée au ministère, en 1863, de Victor Duruy, fils d’ouvrier, ancien normalien devenu Agrégé d’Histoire qui prépara le terrain de J Ferry (avec qui il collabora ultérieurement). Il réforma et élargit les programmes, revalorisa les traitements des instituteurs, introduit de nouvelles disciplines comme la musique dans les E.N. mais surtout développa l’enseignement primaire en obligeant toutes les communes de plus de 500 hab à avoir une école de filles, il favorisa la gratuité et les bourses par des aides publiques et créa les caisses des écoles.

III La laïque, la gratuite, l’obligatoire !

L’empire avait sombré corps et âme à Sedan ! La maladresse d’Henri V avait fait échouer la Restauration mais les royalistes n’avaient pas pour autant désarmé et livraient d’âpres combats aux républicains dont le chef de file était, dans les Ardennes, Emile Corneau cofondateur avec son frère Alfred des usines du même nom, franc maçon laïc qui lança le Petit Ardennais dirigé par son fils Georges. Pour les deux camps, l’école était un enjeu fondamental de société mais les républicains l’avaient emporté aux élections. Originaire des Vosges, Jules Ferry devint ministre de l’Instruction Publique en janvier 1879, poste qu’il occupera de façon discontinue jusqu’en 1885. Egalement franc maçon (comme la plupart de ses conseillers), il sera à l’origine d’une série de lois que l’on identifie surtout par les trois qualificatifs célèbres :

• Ecole laïque parce que débarrassée de toute imprégnation religieuse, que ce soit au niveau des symboles comme des programmes et contenus de l’enseignement (Songeons au « créationnisme » dans certains états US !).

• Ecole gratuite : tous les enfants sont à égalité devant l’école puisque les communes doivent prendre en charge les écoles, les enseignants étant fonctionnaires. Les enfants portaient des sarraus noirs boutonnés sur le dos (Une aide solidaire était nécessaire pour fermer !)

• Ecole obligatoire : C’était le point faible de l’école d’autrefois en raison de l’absentéisme lié aux travaux de l’usine en ville et plus encore des champs.

En réalité, nombre de ces réformes étaient déjà bien engagées, mais elles prirent une tournure exceptionnelle avec la construction des maisons d’écoles qui ont transformé le paysage de nos communes. La loi de 1886 lui adjoignit la règle des trois pièces « à feu » pour les logements des familles d’enseignants (un luxe inadmissible pour les élus conservateurs qui dénonçaient les « palais scolaires »!) et surtout avec la généralisation de l’école pour les filles, jusque là souvent oubliées ou circonscrites à quelques cours d’éducation ménagère.

Dans les Ardennes où l’Ecole Normale prit définitivement ses distances avec le séminaire, l’incendie du Collège amena le départ des lycéens et une extension considérable des locaux qui permit enfin à l’E.N.G. de trouver ses aises. Pour l’E.N.F., une âpre bataille clochemerlesque se préparait car les « institutrices » étaient jusque là formées, à Mézières, dans les locaux de l’Institution Sainte Chrétienne avec une orientation prioritairement « éducation ménagère et familiale» qui n’était plus celle du ministère. A Mézières, ville plus conservatrice, on voulait qu’elle reste sur place avec l’espoir de la voir maintenue dans le giron diocésain alors que les Républicains la voulaient à Charleville. Finalement, ces derniers l’emportèrent et le maitre d’œuvre de l’ENF fut Racine, l’un des plus prestigieux architectes du moment. Curieusement , l’obélisque consacré au baron Renaud de Lascours qui était situé sur la place de la basilique, fut alors jugé en trop mauvais état pour être conservé ! Vengeance ou simple hasard ?

IV Le temps du père Rambourg.

Jules Leroux, instituteur d’origine très modeste, devenu Professeur d’Ecole Normale, qui fut tué à 34 ans sur le front, en 1915, nous a laissé un livre témoignage passionnant sur son expérience d’adjoint à Bourimont (Gespunsart) dans l’école, route de Pussemange dont le directeur (M Rambourg), un colosse au grand cœur, le verbe haut et… la « gaufre » généreuse menait à la baguette les 72 galapiats de sa classe. « Surtout de la discipline.. Vous faîtes une

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leçon, exigez que les bras soient croisés, les pieds alignés … Des bras se décroisent : 20 lignes, un élève répond à une question avant d’avoir levé deux doigts : 20 lignes… Aucune excuse, aucune réclamation.

Si un élève n’est pas content, envoyez le moi : je lui ferai exécuter une petite danse sans musique, qui lui ôtera l’envie de recommencer ! » Ces méthodes pour le moins sévères et brutales (qui, malgré des sureffectifs effarants, donnaient cependant d’excellents résultats au certif) feraient bondir nos psys et pédagogues actuels. Il ne faut cependant pas généraliser car le père Rambourg était un enseignant d’avant les lois Ferry dont la « pédagogie » contrastait avec celle de son collègue, de 25 ans son cadet, formé dans une E.N. réformée avec de nouvelles matières et sous les auspices de pédagogues aussi éminents que l’érudit F. Buisson. Même si l’ENF ressemblait un peu à un couvent laïc (y compris dans ses tenues vestimentaires austères comme « la roupane ») et l’ENG marquée également par une discipline stricte, cela n’excluait nullement les innovations pédagogiques. Ainsi, certains mémoires des normaliens d’avant 1914 faisaient preuve d’une étonnante modernité dont beaucoup d’enseignants actuels feraient parfois bien de s’inspirer car des nouveautés prétendument géniales lancées à grand renfort de communication par les ministres successifs et leurs pédagogues en cour, y figuraient déjà, il y a plus d‘un siècle annonçant déjà des évolutions comme celles de C. Frenet.

A la quatrième a succédé la cinquième République et l’école a encore beaucoup changé. Les E. N. qui avaient révolutionné l’enseignement et formé tant d’instituteurs et d’institutrices de Dunkerque à Bouzarea (en Algérie) ont été supprimées à l’instigation de Jospin et d’Allègre au profit d’une « formation dite universitaire » qui s’est délitée en peau de chagrin. Nombre d’Ecoles Normales et de « palais d’école » comme disait l’opposition « réactionnaire » de la Belle Epoque ont été fermés, revendus ou démolis. De nos jours, il est rare de trouver des gens qui y voient d’immenses progrès mais faut il pour autant sombrer dans la nostalgie et le passéisme ?

C’est une raison de plus pour visiter ce petit coin hors du temps qu’est le musée de l’Echelle et y retrouver un peu de l’école de nos « hussards noirs ».

R. Stévenin, ancien professeur IUFM