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Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2 238 S YNTHÈSES Petite histoire de l’hospitalisation publique Danh LU Juriste en droit de la santé, Lyon Résumé À l’heure de la nouvelle gouvernance, un petit regard rétrospectif n’est pas inutile. L’hôpital est le fruit de son histoire, et nombre de problématiques à résoudre trouvent leur racine dans les siècles passés. Il a toujours fallu composer avec l’ancien, et innover dans un esprit de continuité. L’acte de soin apparaît d’abord comme une relation individualisée, entre le patient et le médecin à travers la notion de « colloque singulier », encore aujourd’hui légitimement reconnue comme le signe de l’accès à la confiance médicale. Le serment d’Hippocrate (460-380 av. JC), est l’expression la plus fameuse de cet aspect individuel de la relation médicale. L’aspect collectif n’a toutefois jamais été absent, mais il était considéré comme secondaire, vécu comme la réponse à la nécessité : la maladie conduit au rejet par la société et la société doit accueillir ceux que la maladie rejette. Le médecin soigne, l’hôpi- tal accueille les exclus : ce trait est demeuré constant jusqu’au milieu du XX e siècle. Depuis la seconde Guerre Mondiale l’évolution a été considérable. Les chiffres et les résultats l’attestent. L’hôpital a pris la première place dans la distribution des soins, et il doit faire face à de nombreuses attentes, qui sont souvent contradictoires entre elles : répondre de manière rationnelle à la demande de soins, assurer la plus grande qualité des soins et le développement de la recherche, se trouver au premier rang dans le mouvement général de maîtrise des dépenses de santé, être exemplaire en matière d’accueil et de respect des malades, tenir tout son rôle en matière d’emploi et d’aménagement du territoire. Et encore, l’hôpital doit tendre vers ces objectifs sur la base de structures juri- diques et matérielles issues, non d’un plan global et rationnel, mais d’une his- toire marquée par des initiatives dispersées et des réformes par à-coups. Ainsi, on ne peut apprécier les structures actuelles et leurs nécessaires évolutions sans comprendre l’histoire.

Petite histoire de l’hospitalisation publique

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Petite histoire de l’hospitalisation publique

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Juriste en droit de la santé, Lyon

Résumé

À l’heure de la nouvelle gouvernance, un petit regard rétrospectif n’est pasinutile. L’hôpital est le fruit de son histoire, et nombre de problématiquesà résoudre trouvent leur racine dans les siècles passés. Il a toujours fallucomposer avec l’ancien, et innover dans un esprit de continuité.

L’acte de soin apparaît d’abord comme une relation individualisée, entrele patient et le médecin à travers la notion de « colloque singulier », encoreaujourd’hui légitimement reconnue comme le signe de l’accès à la confiancemédicale. Le serment d’Hippocrate (460-380 av. JC), est l’expression la plusfameuse de cet aspect individuel de la relation médicale. L’aspect collectif n’atoutefois jamais été absent, mais il était considéré comme secondaire, vécucomme la réponse à la nécessité : la maladie conduit au rejet par la société etla société doit accueillir ceux que la maladie rejette. Le médecin soigne, l’hôpi-tal accueille les exclus : ce trait est demeuré constant jusqu’au milieu du

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siècle.

Depuis la seconde Guerre Mondiale l’évolution a été considérable. Leschiffres et les résultats l’attestent. L’hôpital a pris la première place dans ladistribution des soins, et il doit faire face à de nombreuses attentes, qui sontsouvent contradictoires entre elles : répondre de manière rationnelle à la demandede soins, assurer la plus grande qualité des soins et le développement de larecherche, se trouver au premier rang dans le mouvement général de maîtrisedes dépenses de santé, être exemplaire en matière d’accueil et de respect desmalades, tenir tout son rôle en matière d’emploi et d’aménagement du territoire.Et encore, l’hôpital doit tendre vers ces objectifs sur la base de structures juri-diques et matérielles issues, non d’un plan global et rationnel, mais d’une his-toire marquée par des initiatives dispersées et des réformes par à-coups. Ainsi,on ne peut apprécier les structures actuelles et leurs nécessaires évolutions sanscomprendre l’histoire.

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I – De l’Ancien Régime à la Seconde Guerre mondiale, désordres et retards hospitaliers

A – L’Ancien Régime

Les préoccupations sanitaires ont été peu présentes lors de la création despremiers hôpitaux dont la référence était la charité, avec toutes ses limites. Ainsi,du

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siècle à la Révolution de 1789, c’est le règne de la charité et de l’encadre-ment ecclésiastique. L’hôpital est l’expression privilégiée de la charité chrétienne.Mais, à compter du

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siècle, la monarchie cherche à asseoir son autorité surces institutions disparates.

1 – La charité pour principe

a – Les principes fondateurs

Au Moyen Âge, l’hôpital est le cadre privilégié de la charité chrétienne :aider plus démuni que soi est un devoir chrétien. Mais accueillir les exclus estaussi une exigence sociale et la puissance publique, quelle que soit sa structurene saurait être indifférente à cette charité bien organisée.

Pendant près de dix siècles, les hôpitaux ont vécu, qu’il s’agisse de leurcréation et de leur entretien, des bienfaits de donateurs, personnalités se recon-naissant investies d’une vocation sociale et offrant, soit de leur vivant, soit àl’occasion de leur décès, tout ou partie de leur biens, ceci sous le regard bien-veillant de l’Église qui cherchait à encadrer ces initiatives individuelles.

Cette louable charité n’était pas exempte d’arrière-pensées. Remplir sondevoir de chrétien, c’est d’abord s’assurer un au-delà. Comme l’a exprimé VictorHugo,

« l’aumône est sœur de la prière ».

En outre, le régime de la donation emporte respect des volontés dudonateur, et confère au patrimoine une certaine pérennité, liée à d’apprécia-bles avantages gestionnaires. D’une manière générale, cette ardeur concou-rait au renforcement du pouvoir ecclésiastique, les hôpitaux ainsi constituésayant vocation à prendre en charge aussi bien le corps que l’âme : «

Nulmalade n’est reçu s’il ne s’est pas confessé à l’entrée

». Les hôpitaux ainsicréés étaient intégrés au patrimoine ecclésiastique, et soumis à la tutelledirecte du pouvoir de l’Église, au même titre que les édifices religieux ou lesécoles.

Les contreparties étaient lourdes. Elles s’appelaient : émiettement,diversité, et inefficacité sanitaire, trois données qui marqueront durablementl’évolution.

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b – Le devoir d’hospitalité

Né de la charité, l’hôpital accueillait toutes les misères du monde, aussibien au sein des multiples hospices, parfois créés au niveau d’un village, que desgrands établissements – les Hôtels-Dieu – implantés dans les grandes villes, dontla vocation sanitaire était plus établie, pour l’accueil des malades, des enfantset des femmes enceintes.

En règle générale, la préoccupation sanitaire restait secondaire : la majoritédes personnes accueillies étaient des enfants abandonnés et des orphelins, alorsqu’un quart seulement étaient admis pour traiter une maladie. Exception mar-quante, les maladreries, au

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siècle, se sont illustrées par leur efficacité dansla lutte contre la lèpre, succès reposant, il est vrai, sur un strict enfermementdes malades.

Ainsi, ce système n’avait pas vocation à évoluer. Tout en répondant auxpréoccupations spirituelles, il offrait le double avantage d’assurer une garantiepatrimoniale et de garantir la protection des nantis par l’enfermement des plusmalheureux.

2 – Les limites

Les graves insuffisances du système ont conduit à des tentatives de repriseen main.

a – Les insuffisances

Les manques s’exprimaient d’abord en matière de soins : les hôpitauxétaient de véritables foyers de contagion, phénomène d’autant plus déplorableque les personnes accueillies en raison d’une maladie étaient minoritaires. Lesstructures ne permettaient aucune hygiène et la présence médicale était embryon-naire. L’hôpital avait l’immense mérite d’accueillir toute la misère, mais le méde-cin y était supplanté par l’aumônier.

La gestion était tout aussi critiquable :

Le premier trait était l’émiettement des établissements, phénomène lié à unrespect intangible des volontés des fondateurs et à la diversité des autoritésconcernées d’un hôpital à l’autre.

Le deuxième était une situation financière désastreuse. La donation d’unbien en vue de l’accueil des indigents n’offre aucune garantie pour en assurer lebon entretien, et l’appauvrissement généralisé est vite devenu la règle. La Guerrede Cent ans, avec ses destructions et la raréfaction des richesses, a considéra-blement accru ces insuffisances.

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Le troisième a été l’existence d’abus financiers qui, lorsqu’ils apparaissaientau grand jour, étaient ressentis comme d’autant plus insupportables que les éta-blissements souffraient de manques de moyens.

b – Les tentatives de reprise en main

Les nécessités les plus évidentes qu’étaient la remise en état du patrimoineet le fonctionnement quotidien, apparaissaient d’abord au niveau local. Fortlogiquement, c’est la catégorie sociale émergente, la bourgeoisie commerçante,qui est intervenue, non sans chercher à obtenir en contrepartie une part activedans la surveillance de la gestion des hôpitaux.

Mais la période a surtout été marquée, à compter du

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siècle, par lesinitiatives de la monarchie pour tenter d’établir sa présence dans le secteur sani-taire. Sur le plan financier, il s’agissait de suppléer la faillite de l’initiative locale,en versant des aides et en autorisant la perception d’une taxe communale. Mais,c’est surtout sur le plan institutionnel que la royauté est parvenue à s’imposer.La volonté constante a été de regrouper et surveiller les pauvres. L’enfermementcarcéral ne pouvait suffire et les hôpitaux fournissaient une excellente alterna-tive. L’une des conséquences directes et décisives a été l’instauration progressived’une distinction entre les établissements qui s’orientaient vers l’accueil desmalades, et ceux qui avaient pour mission le regroupement des indigents, regrou-pement autoritaire assorti d’une obligation au travail. Cette politique a pristoute son ampleur sous le règne de Louis XIV, avec Colbert.

Ces efforts, restés disparates et insuffisants, n’ont pas remis en cause lesfaiblesses constitutives du système : respect des intentions des donateurs, tutelleecclésiastique, désertification médicale, disparités géographiques. À la fin del’Ancien Régime, le discrédit était si considérable que les philosophes des Lumiè-res avaient proposé la suppression des hôpitaux.

À l’analyse, le constat était celui d’une double insuffisance et d’un doubleblocage :

– l’autorité ecclésiastique ne parvenait pas à assurer la pérennité de l’ins-titution qui était son oeuvre,

– la monarchie n’avait pas su imposer la nécessaire transformation desstructures, et la vocation sanitaire des hôpitaux restait secondaire.

B – De la Révolution à la Seconde Guerre mondiale

Rassembler en une seule phase tant d’années marquées par tant de boule-versements n’est pas habituel. Au-delà de la nécessité d’effectuer une synthèse,ce regroupement, s’agissant de la question hospitalière, demeure parfaitementfondé. L’aspect révolutionnaire s’exprime au niveau des principes : l’assistanceest reconnue devoir d’État. Les efforts entrepris ébranlent les fondements de

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l’ordre ancien, mais restent durablement trop contradictoires et insuffisants. Larévolution industrielle fait émerger de nouveaux types de solidarité sociale, maisn’atteint que très partiellement le domaine sanitaire. L’hôpital n’accède ni à lamodernisation, ni à l’efficacité.

La période connaît une réelle unité, structurée autour de deux constantes :

– de justes vues sur les évolutions nécessaires, et ce, dès 1789, avec l’adop-tion d’un plan novateur et éclairé,

– des difficultés décisives de mise en œuvre, par absence de moyens.

Au terme de cette période de 150 ans, illustrée par tant de bouleversementséconomiques et sociaux issus de la Révolution industrielle, le secteur hospitalierest resté très en retard. Le poids du passé et celui de la nécessaire gestion quo-tidienne des difficultés humaines, ont beaucoup pesé. Mais l’adaptation sanitairede l’hôpital n’a pas été définie comme une priorité. Le tableau général fait appa-raître une gestion contradictoire et désordonnée d’un héritage de piètre qualité.

1 – La période révolutionnaire

a – 1789, le temps des idées

Les données générales de la Révolution, à savoir une clairvoyance dans lesprincipes, une mise en œuvre difficile, mais malgré tout des acquis définitifs, seretrouvent à propos de la question hospitalière.

Les principes, largement inspirés de la réflexion des Lumières, résultaientde travaux du Comité de mendicité de l’Assemblée constituante et du célèbrerapport de son président La Rochefoucauld-Liancourt. Ce rapport préconisaitl’édification d’un système de santé moderne, reposant sur quelques principes,dont l’inspiration est encore aujourd’hui d’actualité :

– nationalisation des biens hospitaliers,– vote annuel par l’Assemblée nationale des fonds alloués, et utilisation

contrôlée au niveau départemental,– encouragement aux soins à domicile,– création d’un véritable service public hospitalier, avec comme structure

locale, des maisons communales de malades, et au niveau départemental desstructures spécialisées en fonction des pathologies à traiter, avec un hôpital

« pour les maladies graves et extraordinaires exigeant un traitement particulier ».

Préoccupée par d’autres priorités, l’Assemblée n’a adopté aucun texte inté-ressant spécifiquement l’hôpital. Les bouleversements de la phase révolution-naire ont pourtant été ressentis, mais comme conséquences des deux réformesfondamentales qu’ont été la création des municipalités et la Constitution civiledu clergé. Pour les établissements hospitaliers, les restructurations ont été trèsliées aux données locales, et sont intervenues dans un grand désordre. Au final,

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le bilan a été déplorable : les structures existantes se sont effondrées, dans uncontexte économique général marqué par l’accroissement de la pauvreté et lararéfaction des ressources, que celles-ci proviennent de dons ou de taxes. LaConvention n’a fait qu’aggraver cette déstructuration.

b – La Convention et la nationalisation des biens hospitaliers

L’Assemblée législative n’ayant pas légiféré sur la question hospitalière,c’est à la Convention qu’est revenue cette mission avec, ici comme ailleurs, uneparticulière rigueur dans les principes.

L’évènement pivot a été la nationalisation des biens hospitaliers (Décretdu 23 messidor an II) :

« Les créances passives des hôpitaux et maisons desecours sont déclarées dettes nationales. L’actif des établissements fait partie despropriétés nationales. Il sera administré ou vendu conformément aux lois exis-tantes pour les domaines nationaux ».

L’idée fondatrice était de donner à la nation les moyens de faire face audevoir d’assistance qui était désormais reconnu « comme une charge natio-nale ». Hélas, il n’y aura pas de véritable avancée liée à cette appropriation col-lective, du fait de la priorité absolue qu’a été le financement de l’effort de guerre.S’agissant des structures gestionnaires, la Convention a confié à des délégués dela nation la mise en œuvre de la laïcisation, reléguant au second plan les insti-tutions communales qui avaient vu le jour quelques années auparavant.

Le résultat global a été désastreux : les hôpitaux ont connu une phase demisère sans précédent, mais ce constat ne faisait pas de la réforme une priorité.Dans la conscience commune, l’hôpital était synonyme d’enfermement des misé-rables et de dégradation sanitaire. L’objectif en était la disparition, et un effortfinancier, qui aurait été élevé, ne paraissait pas justifié. Reste de cette périodeun grand acquis : l’obligation d’accueil imposée à tous les établissements, quelleque soit la localité d’origine des personnes.

c – Les avancées du Directoire

Le Directoire a réalisé une très remarquable synthèse à travers l’impor-tante loi du 7 octobre 1796, qui est la première grande législation sanitaire.La laïcité est confirmée, alors qu’est abandonné le principe de l’assistancenationale, ressenti comme une théorie dépassée et une donnée économiqueirréaliste. La solution, pragmatique, est d’améliorer les structures locales, dansleur diversité.

Cette législation, qui a institué les bases sur lesquelles s’est construit lesystème actuel, s’organise autour de trois volets :

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– Le système caritatif est abandonné. Les hôpitaux sont des établissementspublics locaux, gérés en fonction des besoins, et non pas dans le seul respectdes vœux des fondateurs.

– La surveillance des établissements hospitaliers est assurée par les admi-nistrations communales. C’est le couronnement du principe de la responsabilitécommunale, et l’apparition de la structure « conseil d’administration/prési-dent », qui, métamorphosée, perdure aujourd’hui.

« Les administrations muni-cipales auront la surveillance immédiate des hospices civils établis dans leurarrondissement. Elles nommeront une commission composée de cinq citoyensrésidant dans le canton, qui éliront parmi eux un président et choisiront unsecrétaire. »

– Les hôpitaux retrouvent la pleine propriété des biens non encore venduset peuvent à nouveau disposer de leurs ressources propres. En outre, la loi ins-titue une fiscalité locale destinée au fonctionnement des hôpitaux.

L’évolution est considérable, mais le renforcement du caractère commu-nal des structures a eu des effets pervers : les déséquilibres se sont pérennisés,et les personnes ne résidant pas sur la commune se sont vu interdire l’accès àl’hôpital. Le principe novateur institué sous la Convention n’est pas parvenuà s’imposer.

2 – La lente évolution du

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siècle

a – L’Empire et la politique d’unification

L’Empire a procédé sous forme d’aménagements, dans un souci d’unifica-tion et de centralisation. Ce double renforcement du pouvoir central, s’est exercépar l’intermédiaire des préfets et sous-préfets, appelés à assurer de manièrestricte la tutelle des établissements, et des maires, qui à l’époque étaient nomméset non pas élus, institués présidents des commissions de surveillance.

Le maire est apparu comme le « président-né », trait qui s’est perpétuéjusqu’à nos jours, même si la nature de la fonction a radicalement changé, dèslors que le maire est devenu élu. Cette question est devenue l’un des points-clésdu rapport entre structures locales et pouvoir central.

De manière efficace, l’Empire a poursuivi l’objectif d’unification durégime des hôpitaux, tout en préservant leur grande diversité, avec l’adoptionde règles organisationnelles, telles l’adoption d’un budget annuel soumis àautorisation préalable du préfet, l’élaboration de règles communes de comp-tabilité et le rapprochement des règles internes par la généralisation d’un règle-ment intérieur.

La tutelle publique s’est progressivement imposée, et la mise à l’écart desnotables amènera ceux-ci à créer des établissements privés d’accueil. C’est ainsi

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par réaction à un centralisme ressenti excessif qu’est apparue au début du

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siècle la dualité public/privé.

b – La Restauration et l’ébauche d’une législation sanitaire

La Restauration a voulu rétablir certaines pratiques de l’Ancien Régime, –mouvement amorcé par l’Empire – avec la réintégration du clergé, mais en lecantonnant dans sa fonction religieuse, et un encouragement du financementprivé.

C’est à cette période qu’est apparue l’ébauche d’une législation sanitairegénérale. Dans le domaine hospitalier, on notera en particulier la loi du 30 juin1838 relative à « l’internement d’office des malades mentaux », loi qui resteraen application jusqu’à la réforme du 27 juin 1990.

Les pouvoirs qui se sont succédés ont cherché à revenir sur les insuffisancesliées au rattachement communal. L’importante loi du 7 août 1851 est parvenueà trouver une forme d’équilibre, en allégeant la tutelle de l’État, et en imposantl’obligation d’accueillir toute personne, même étrangère à la commune :

« Lorsqu’un individu privé de ressources tombe malade dans une commune,aucune condition de domicile ne peut être exigée pour son admission à l’hôpitalexistant dans cette commune ».

Par ailleurs, les graves insuffisances de certainshôpitaux locaux ont justifié la création de structures d’accueil départementales.Sur le plan institutionnel, le schéma en place n’évoluera guère jusqu’à la SecondeGuerre Mondiale.

3 – La Troisième République

Cette période a été marquée par l’apparition des idées qui serviront defondement à l’hôpital moderne, et par des efforts renouvelés de rationalité finan-cière. Mais globalement, l’hôpital est resté en retard, phénomène particulière-ment remarquable alors que l’époque connaissait un essor économique certainet des avancées sociales significatives.

Les idées novatrices ont été le fruit de l’évolution économique et sociale.Le développement économique, l’industrialisation, le regroupement de la popu-lation dans les villes, s’inscrivaient en rupture avec la société rurale issue del’Ancien Régime. Il fallait inventer de nouveaux modes de solidarité, en corré-lation avec les nouveaux enjeux sociaux.

Quelques législations fondamentales portent le témoignage de ces tempsnouveaux :

– loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants employés dans l’industrie,– loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail,– loi du 15 février 1902 : législation d’ensemble confiant aux communes

le premier rôle dans la police sanitaire,

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– loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes,– loi du 17 juin 1913 sur la protection des femmes enceintes,– lois des 5 avril 1928 et 30 avril 1930 sur les assurances maladie, mater-

nité, invalidité, vieillesse et décès,– loi du 11 mars 1932 sur les allocations familiales.

Progressivement, se met en place le principe de l’assistance médicale gra-tuite pour les plus démunis :

– malades et indigents : loi du 15 juillet 1893,– enfants : loi du 24 juillet 1889 et des 27 et 30 juin 1904,– vieillards et infirmes : loi du 14 juillet 1905.

En 1898 a été institué le système de la facturation du prix de journée, quidistinguait les fonctions d’accueil et de soins, et qui restera la base du régimefinancier jusqu’en 1983 avec l’adoption de la règle du budget global.

Mais rien n’a été entrepris pour traiter les deux principaux freins struc-turels au développement hospitalier qui étaient la municipalisation des struc-tures et l’absence d’encadrement médical. À la veille de la Seconde Guerremondiale, la puissance publique n’avait en matière sociale qu’un rôle second,et le système hospitalier n’était pas parvenu à s’extraire du moule issu del’Ancien Régime.

II – La transition des années 1940

La Deuxième Guerre Mondiale, pivot de l’évolution, a marqué la nais-sance de l’hôpital moderne, c’est-à-dire de l’hôpital centre de soins. La vocationexclusive d’assistance aux pauvres a pris fin et l’hôpital s’est ouvert à la foisau progrès, aux médecins et au grand public. Ces trois volets sont étroitementliés.

La loi du 21 décembre 1941, que l’on doit au gouvernement de Vichy, aouvert la possibilité à des personnes de payer pour être admises à l’hôpital, etainsi attendre en retour une certaine qualité de prise en charge. Cette ouverturede l’hôpital a conduit à la grande réforme de 1958, qui a consacré la présencemédicale à l’hôpital et les liens avec l’université à travers les centres hospitaliersuniversitaires (CHU). Ce sont les ordonnances des 11 et 30 décembre 1958 quiont créé les CHU et instauré le temps plein médical à l’hôpital.

Désormais, la protection sociale, avec ses enjeux économiques, est au cœurde la compréhension du système de santé. De plus en plus, s’affirme la dimensionpublique du système de santé, ce qui a justifié de nombreuses réformes législa-tives cherchant à permettre cet encadrement public sans remettre en cause lesdroits des personnes et la liberté qui doit aller de pair avec la prise en chargede la maladie.

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A – La protection sociale

La protection sociale est l’expression la plus forte du concept de solidarité.Fondée sur un corpus de principes, elle s’apprécie à travers des réalités chiffrées,qui montrent ses mérites et ses faiblesses.

1 – Des principes

La santé n’est pas qu’une affaire individuelle, et elle ne serait rien sans lasécurité sociale.

a – La santé, un bien collectif

L’évolution est marquée par une rupture sur le plan des idées. La santén’est pas une donnée exclusivement individuelle et ne se résume pas aux soinsaux personnes malades : c’est un bien collectif, qui appelle une prise en chargeet des réponses globales. Autour de la problématique centrale qui est le systèmede protection de la santé, se greffent les données individuelles.

Conciliation difficile, et qui doit en permanence être réévaluée, mais quine pourrait supporter l’inversion de la problématique : en matière de santé,l’individuel ne peut se construire qu’à partir du collectif. La société doit assurerà tous ses membres un cadre général préservant la santé et permettant l’accèsaux soins en cas de nécessité. C’est l’apparition d’un droit à la santé, qui chercheà concilier relation individualisée et organisation collective. Dans les faits, lapriorité est restée au droit aux soins plutôt qu’au droit à la santé. En 1994, leHaut comité pour la santé publique faisait un constat qui reste d’actualité :

« Ilest regrettable que notre système de soins, pourtant techniquement performant,ne permette pas réellement à la population de bénéficier des progrès réalisésdans la connaissance des déterminants de santé et des facteurs épidémiologiquesà l’origine des maladies, car, entièrement tourné vers les thérapeutiques curati-ves, il ne prend pas assez en compte les facteurs sociaux, économiques et cultu-rels à l’origine d’une altération de la santé, et il néglige les actions de prévention,de dépistage, de rééducation et de réadaptation »

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b – La théorie de l’État-Providence

La solidarité n’est pas un concept nouveau. La Convention montagnardede 1793 prévoyait déjà :

« Les secours publics sont une dette sacrée. La sociétédoit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail,soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

Ces visions généreuses restaient proclamatives, et d’un faible contenu pra-tique. C’est l’économiste britannique Beveridge, à la suite des travaux de Keynes,qui a théorisé les principes de la solidarité nationale comme condition du progrès

1. « La santé en France », Rapport général, novembre 1994, la Documentation française.

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économique et social. Schématiquement, c’est le passage de l’État-Gendarme àl’État-Providence. Le premier, issu des théories libérales du

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siècle, se contented’assurer les tâches régaliennes (défense, diplomatie, justice, police) afin de per-mettre aux acteurs économiques de librement développer leur activité. Le secondse fixe pour mission d’assurer l’harmonie sociale, en corrigeant les inégalités parles mécanismes de solidarité et la protection sociale, cette protection d’ensembleétant elle-même la clé d’un progrès économique durable.

Le Préambule de la Constitution de la IV

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République (27 octobre 1946),qui fait partie intégrante de nos textes constitutionnels, affirme cette conceptionen des termes remarquables :

« La nation assure à l’individu et à la famille lesconditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment àl’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécuritématérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, deson état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’inca-pacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens d’existence ».

Sur le plan économique, la protection sociale s’analyse en termes d’équili-bres globaux : les prestations versées sont, c’est l’aspect le plus évident, une aidepour les personnes et les familles, évitant ainsi les difficultés économiques, voirel’apparition de la misère. Mais la dépense sociale assure aussi le fonctionnementdes hôpitaux et le recrutement du personnel, devenant ainsi la garantie durabledu développement économique du secteur sanitaire et social. Les sommes pré-levées par voie de cotisations sont aussitôt redistribuées dans les circuits écono-miques et concourent à une régulation de l’ensemble.

c – La création de la Sécurité sociale

Dès la première moitié du

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siècle, se sont institués dans les grands sec-teurs industriels des régimes internes de solidarité. La sécurité sociale a été crééepar l’ordonnance du 4 octobre 1945, en retenant l’extension de ces principes etleur systématisation à l’ensemble des salariés. Elle repose sur le principe de pré-lèvements sur les rémunérations. Ces sommes sont soumises à la gestion de cais-ses autonomes, comprenant représentants patronaux et salariés, et sontredistribuées sous forme de prestations : maladie et maternité, accident du tra-vail, vieillesse et décès, famille, dépendance.

L’article 1 de l’ordonnance du 4 octobre 1945, reste la grande référence :

« Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir lestravailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles deréduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternitéet les charges de famille qu’ils supportent ».

Le principe de financement, un prélèvement sur les rémunérations, s’expli-que par la distinction entre le salaire direct, c’est-à-dire le salaire net perçu et le

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salaire différé, c’est-à-dire celui résultant de l’utilisation des cotisations sociales,versé sous forme de prestation à travers les mécanismes de solidarité.

L’apparition à la fin des années 1970 de la crise économique, a conduit àune série d’adaptations, souvent vécues comme douloureuses, s’agissant d’adap-ter des besoins renouvelés à des ressources qui, en proportion, se raréfient. Lapopulation bénéficiant d’un emploi est en augmentation, et par voie de consé-quence, il en est de même pour les ressources de la sécurité sociale. Mais lesdépenses tendent à s’accroître plus vite que les ressources, ceci sous l’effet decauses structurantes : allongement de la durée de la vie, renforcement des capa-cités thérapeutiques, et augmentation des coûts médicaux.

La sécurité sociale assure aujourd’hui la couverture intégrale de la popu-lation, mais la construction par étape a conduit à l’élaboration d’un systèmed’une particulière complexité. On dénombre ainsi plus de 530 régimes obliga-toires, avec une gestion confiée à plusieurs milliers d’organismes locaux, regrou-pés au sein de quatre régimes : le régime général des salariés, le régime agricole,le régime des travailleurs non salariés non agricoles, et les régimes spéciaux.

2 – Indications chiffrées

La priorité reste la réponse à la maladie, dans un cadre individuel et intime.Mais la santé s’apprécie aussi dans les données collectives, qui s’analysent àtravers des chiffres.

a – L’espérance de vie

L’espérance de vie des Français qui en 1935 était de 58 ans, était de 70 ansen 1960, et elle est actuellement de 79 ans, soit 75,6 ans pour les hommes et 83pour les femmes.

Ces chiffres placent la France parmi les premiers pays de l’Union euro-péenne. Ces résultats élogieux ne doivent pas masquer la faiblesse essentiellequ’est la persistance de graves inégalités devant la santé selon le milieu sociald’origine, aujourd’hui encore. Ainsi, le risque de décès entre 35 et 75 ans d’unprofesseur ou d’un ingénieur est trois fois plus faible que celui d’un manœuvre.Surtout, la précarité sociale est une cause directe de détérioration de la santé etcette évidence renouvelée conduit à un renforcement des politiques de santépublique et de prévention.

b – Les dépenses de prestations sociales

En 2002, l’ensemble des prestations de protection sociales versées auxménages s’est élevé à 443, 2 milliards (Mds) euros, soit 29,1 % du PIB. Depuis1950, la progression a été constante, et le pourcentage multiplié par 3. Avantd’atteindre ce taux de 29,1 % en 2002, les dépenses de protection sociale repré-sentaient 10 % du PIB en 1950, 19,2 % en 1970 et 26,3 % en 1990.

S

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Le tableau suivant fait apparaître les évolutions en pourcentage du mon-tant des prestations par risque entre 1960 et 2002

La Sécurité sociale assure 75 % du financement des dépenses de santé. Lereste se répartit ainsi : mutuelles 7 %, assurance et prévoyance 5,3 %, État etcollectivités locales 1,2 %, ce qui laisse à la charge directe des ménages une partde 11,5 %.

L’élément-clé de l’analyse est qu’au cours de ces dernières années, laconsommation médicale s’est accrue plus vite que le produit intérieur brut.Ainsi, et contrairement à l’idée parfois reprise, l’objectif n’est pas de réduire lemontant des dépenses, mais de rapprocher le taux d’accroissement de celui dela richesse nationale. Cet objectif global impose des choix très différenciés. Il setraduit nécessairement par la réduction de certains crédits car l’accroissementdes certaines dépenses est inéluctable, comme s’agissant de techniques nouvellesou des conséquences du vieillissement de la population. Mais les progrès per-mettent également la réduction de certains coûts, qu’il s’agisse de rationalisationdes techniques médicales, de l’efficacité des traitements, ou de la limitation desdurées d’hospitalisation.

La persistance de la crise économique a mis en évidence que, l’essentiel dufinancement reposant sur les cotisations salariales, l’augmentation du chômagepèse directement sur l’équilibre financier. Mais, contrairement à une idée reçue,la population active occupée – c’est-à-dire le nombre de personnes ayant unemploi en France – est en augmentation constante, tant en nombre brut qu’enproportion : 19, 4 millions en 1946 ; 19, 9 en 1962 ; 21, 2 en 1972 ; 22, 3 en1994 et 27, 12 en 2003.

En revanche, dans le même temps, le nombre de personnes à la recherched’un emploi s’est accru encore plus vite, laissant ainsi apparaître le chômage que l’onsait, soit une évolution de 1 million en 1976, à 3 millions en 1993 et 2,6 millions en

1960

(%)

1990

(%)

2002

(%)

Santé 33,1 34,1 34,8

Vieillesse 33,7 42,7 43,5

Maternité-famille 32 13,7 12,8

Emploi 1,2 8,7 7,5

Pauvreté-exclusion 0 0,8 1,4

Source : Comptes de la nation

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2003. Mais l’idée d’une régression globale du nombre des emplois est fausse.L’avenir de la protection sociale, qui est essentiellement financée par des coti-sations prélevées sur les salaires, se joue davantage en termes d’évolution quede refondation.

B – Le renouveau hospitalier

L’hôpital, centre de soins ? La donnée, qui relève aujourd’hui de l’évidence,n’est apparue qu’en 1941 et a bouleversé le système de santé, appelant d’inces-santes interventions du législateur pour accompagner ces progrès et leur donnertoute leur dimension.

1 – L’hôpital, centre de soins

L’hôpital a d’abord rencontré la science médicale, puis s’est confronté auxcontraintes juridiques.

a – L’hôpital et l’excellence des soins

La notion moderne d’hôpital, qui émerge après la Deuxième Guerre Mon-diale, résulte de la réunion de trois critères :

– L’hôpital devient centre de diagnostic et de soins, et le lieu privilégié dela recherche. Le revirement est total. La fonction médicale, qui était quasi-absente,se trouve au premier plan. Le corollaire est la nécessaire augmentation des bud-gets, qu’il s’agisse du personnel, des équipements ou des bâtiments, la périodeétant par ailleurs marquée par une révolution des conceptions architecturales.

– L’hôpital s’ouvre à toute la société. Ce principe, posé dès 1941, conduitprogressivement à la distinction entre les établissements de soins et les centresd’accueil. Cette ouverture à l’ensemble de la population, et donc aux couchessociales les plus aisées, encourage la modernisation de l’hôpital et le renforce-ment de la présence médicale : les deux aspects vont de pair.

– L’hôpital est financé par la collectivité. Au sein de la protection sociale,c’est l’une des fonctions de la branche maladie. La part des dépenses hospita-lières est vite devenue prépondérante.

L’avènement de l’hôpital moderne et son adaptation permanente à desbesoins sans cesse renouvelés sont allés de pair avec l’adoption de nombreusesréformes législatives.

b – Le droit hospitalier

Le droit peut-il se saisir de la santé ? Et par quels procédés ? Questionsdont la réponse, loin d’être évidente, a varié au fil du temps.

La multiplication des réformes législatives intervenues dans le monde dela santé depuis le début des années 1980, peut créer une impression d’incohé-

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Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2252

rence et d’inutile complexité. En réalité, le souci légitime de réformer pour amé-liorer les procédés a dû composer avec l’émergence de la crise économique etses contrecoups sociaux, nécessitant des retouches permanentes. De plus, lelégislateur doit lisser les évolutions pour assurer la continuité de la gestion d’ins-titutions qui sont à la fois marquées par de réelles insuffisances, et inscrites aucœur de nombre d’enjeux décisifs : le progrès sanitaire, le respect des droits despatients, la gestion des carrières de la diversité du personnel hospitalier, le poidsdans l’économie, les intérêts des collectivités locales, l’accueil de populationsdémunies, la qualité de la recherche, la complémentarité public/privé. Et face àces préoccupations, le ministère de la santé doit encore faire reconnaître sa place,face au puissant ministère de la protection sociale, et à la multiplicité des acteurs.Le premier ministère de la santé ne date que de 1920, et le renforcement de sonadministration est une œuvre encore imparfaite.

La création des agences nationales sur les grands enjeux de santé publique– médicament, sang, greffes, sécurité alimentaire, planification – permet de ren-forcer les outils nationaux, sans trop développer les services du ministère, ce quiest une question toujours sensible.

Ainsi, les dispositions régissant le système hospitalier résultent de textessuccessifs, les uns réformant partiellement les autres. La matière est trop direc-tement liée à la réalité sociale pour pouvoir échapper à ses contingences. Lacodification au sein du code de la santé publique, mais aussi du code de la sécu-rité sociale, est un fort appréciable élément de simplification. La compréhensionsuppose de combiner la lecture des articles codifiés, qui définissent l’état actueldu droit, avec les différentes lois qui le composent, comme autant de strates.

III – Les étapes vers la qualité

Les bases du système actuel résultent encore de son histoire, et la construc-tion actuelle est le fruit de réformes successives, engagées depuis 1941. Ces gran-des réformes – 1941, 1958, 1970, 1983, 1991, 1996, 2004 – doivent être situéesdans leur esprit. Elles s’articulent en deux phases : l’affirmation de l’hôpital,puis l’encadrement financier.

A – La reconnaissance de l’hôpital

1 – 1941 : l’hôpital centre de santé

C’est la loi du 21 décembre 1941 complétée par le règlement d’adminis-tration publique du 17 avril 1943 qui a marqué la première étape. Il est rareque des législations adoptées sous le régime de Vichy aient connu la postérité,et ces exceptions en matière de santé méritent d’être relevées. Cette réformed’ampleur a posé les principes d’ouverture à tous les patients et de présencemédicale effective, consacrant l’abandon définitif de la seule mission d’assistance

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aux indigents. Tous les efforts ont ensuite tendu vers une adaptation des struc-tures existantes à ces nouveaux objectifs.

2 – 1958 : les centres hospitalo-universitaires (CHU)

En 1958, l’une des premières tâches de la V° République a été, par unesérie d’ordonnances, de fixer les bases du système hospitalier moderne, et lespoints-clés ont été la présence médicale à temps complet, l’organisation de car-rières médicales hospitalières, et la création des centres hospitaliers universitaires(CHU) consacrant le rôle de l’hôpital dans les soins et la recherche, la loi mettantpar ailleurs en œuvre les premières tentatives de coordination des établissementspublics et privés.

3 – 1970 : le service public hospitalier

La loi du n° 70-1318 du 31 décembre 1970 a marqué une sorte d’apogée.L’hôpital s’est vu reconnaître la place première. Avec la création du « servicepublic hospitalier » les établissements privés ont pu intégrer le service public,ou coopérer avec lui. À l’appui, a été instituée la carte sanitaire, mécanismejuridique de planification visant à coordonner l’action des établissements etl’implantation des équipements coûteux. Ces perspectives ont été contrariées parl’augmentation des coûts, devenue d’autant plus sensible que l’activité écono-mique commençait à ralentir après la période faste des « trente glorieuses ». Lepoids du passé et les enjeux de pouvoir, redessinés au sein de l’hôpital, limiterontles ambitions de la réforme.

B – L’encadrement financier et législatif

1 – 1983 : la contrainte budgétaire

À compter de 1979, et plus particulièrement depuis 1983, la contraintebudgétaire est devenue prééminente. La loi n° 83-25 du 19 janvier 1983, réfé-rence décisive, a remplacé le système du prix de journée par la règle du budgetglobal. La rationalisation de la distribution des soins et la rigueur financièresont devenus des objectifs incontournables. Par touches successives, les diversgouvernements s’inscrivent dans la même logique. La loi n° 91-748 du 31 juillet1991, nouvelle réforme hospitalière, cherche à créer un cadre adapté autour dequatre axes : renforcement de la coopération, allègement de la tutelle – alorsmême que n’a été retenue ni la formule de « l’hôpital-entreprise », ni ses consé-quences juridiques : développement de la concertation interne, et introductionde méthodes d’évaluation. L’aspect le plus significatif de la réforme a été l’adop-tion des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) qui ont constituéle premier outil qualitatif de planification concernant le secteur privé et le secteurpublic. C’est enfin le dépassement de l’échelon départemental, avec une réponse

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Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2254

au niveau régional pour la planification et un accord national pour la régulationdes dépenses de cliniques privées.

2 – 1996 : la maîtrise des dépenses de santé

a – Un objectif clairement affirmé

Les politiques gestionnaires qui ont marqué les vingt dernières années n’ontpas permis d’atteindre l’objectif proclamé de la maîtrise des dépenses de santé.Régulièrement, les comptes de la Sécurité sociale sont dans le rouge, et tout aussirégulièrement sont visées les dépenses hospitalières, qui sont, il est vrai, le pre-mier poste des dépenses de santé. Le secteur hospitalier, à l’évidence, n’est passeul en cause. Sans doute, de grandes insatisfactions demeurent, mais le bilanest loin d’être négatif, eu égard notamment aux contraintes à concilier : les déra-pages les plus marquants ont été enrayés, les établissements ont connu une amé-lioration certaine de leur fonctionnement, et la mutation importante dans laqualité de soin a pu ainsi bénéficier d’un cadre renouvelé.

La réforme mise en œuvre par l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 ainauguré une phase nouvelle. Elle s’est inscrite dans la tendance constante qu’aété la maîtrise des dépenses de santé, mais elle a marqué, par son ampleur et lesprincipes nouveaux adoptés, une rupture qui a pu être analysée comme l’abou-tissement de nombreux projets restés dans les cartons. Pour garantir l’objectifde maîtrise effective des dépenses de santé prises en charge par la Sécuritésociale, la loi procède par une multiplication de moyens d’encadrement (budgetfixé par le Parlement, contrôle effectif de l’activité, sanctions) et par une recher-che de contractualisation à tous les niveaux (État, Sécurité sociale, médecins,hôpitaux,...)

b – De nouveaux outils législatifs

Le socle de la réforme a été posé par la loi constitutionnelle du 22 février1996, modifiant l’article 34 de la Constitution, instituant la loi annuelle definancement de la Sécurité sociale. Le financement ne résulte plus d’un ajuste-ment des recettes au niveau des dépenses, dépenses censées être la réponse auxbesoins sociaux en termes de santé. Il s’inscrit dans un cadre autoritaire fixé parune loi annuelle.

« Les lois de financement de la Sécurité sociale déterminent les conditionsgénérales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recet-tes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves pré-vues par une loi organique. »

Cette intervention du Parlement n’est pas contestable : il entre pleinementdans le rôle de la représentation nationale de fixer le cadre dans lequel transitentles recettes et dépenses sociales, sommes d’un montant supérieur au budget de

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l’État. Pour être éclairé dans cette tâche, le Parlement est destinataire desconclusions des conférences nationales et régionales de santé, qui regroupentl’ensemble des acteurs de la santé, à savoir la Sécurité sociale les professionnelslibéraux et salariés de la santé, les représentants des pouvoirs publics, ceux desétablissements et des usagers. Ces conférences établissent un rapport destiné augouvernement, transmis au Parlement et qui constitue le document de référencepour l’élaboration du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

En application de chaque loi annuelle, l’État et les caisses concluent desconventions d’objectifs, marquées par leur caractère limitatif. Ce cadre une foisarrêté, l’État et les caisses procèdent par voie contractuelle, selon la même tech-nique, avec les établissements de soins et les représentants des professions libé-rales.

L’activité libérale des médecins est désormais strictement encadrée à traversla détermination annuelle chaque année « d’un objectif prévisionnel d’évolutiondes dépenses d’honoraires, de rémunération, de frais accessoires et de prescrip-tion », conclu selon les principes conventionnels entre les caisses et les représen-tants des syndicats médicaux, et à défaut arrêté par voie réglementaire. Lerespect de ces objectifs et les modalités de sanction des dépassements sont fixéesavec précision par la loi (articles L. 165-1 et suivants du code de la sécuritésociale). Les bouleversements opérés, tant sur le plan du contrôle effectif que dela signification profonde de ces mesures par rapport aux conceptions classiquesde l’exercice libéral, sont évidents.

c – Un nouveau régime légal

S’agissant du secteur hospitalier, l’évolution n’est pas moins marquée. Sile fonctionnement interne ne connaît que quelques aménagements, le cadre géné-ral enregistre une évolution majeure, qui s’analyse à travers trois volets :

– Clarification des responsabilités. Sont créées des agences régionalesd’hospitalisation, qui sont les représentants du Ministère de la santé. Ces insti-tutions dotées de pouvoirs considérables, exercent les compétences auparavantconfiées aux préfets mais bénéficient en outre de pouvoirs nouveaux, de natureà permettre une direction effective en vue particulièrement de la résorption desdisparités entre hôpitaux.

– Accréditation et évaluation. La connaissance des prestations offertes estconsidérablement approfondie à travers la mise en place d’un système contrai-gnant d’accréditation des établissements de santé, confié à une agence nationaled’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), elle-même assistée d’experts.Cette agence arrête les méthodes d’accréditation, valide les rapports d’accrédi-tation et définit les « bonnes pratiques cliniques ».

– Ouverture. Sont institués des mécanismes incitatifs tendant à une plusgrande ouverture de l’hôpital, vers les autres établissements et la médecine deville avec la création de réseaux de soins.

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D’une manière générale, cette réforme consacre un renforcement des pou-voirs de l’État tant par les moyens directs d’encadrement, que par ceux liés àune meilleure connaissance de l’activité médicale hospitalière. Plus que jamais,il faut savoir compter à l’hôpital…

Le caractère global de la démarche des ordonnances s’apprécie égalementà travers deux dispositions qui ne concernent pas directement l’aspect financier,mais témoignent d’une volonté déterminée de rigueur.

– Le régime de la prescription médicale. Le code de la sécurité socialereprend désormais en son article L. 162-2-1 une formule qui jusqu’alors n’avaitqu’une valeur déontologique : « Les médecins sont tenus, dans tous leurs acteset prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementationen vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité etl’efficacité des soins ».

C’est la reconnaissance d’un cadre légal de la prescription, qui se traduitdans ses applications par de nombreuses mesures contraignantes. Petit à petitse dégage un schéma dans lequel la sécurité sociale ne se limite pas au rembour-sement des dépenses liées à la santé, et engagées par la prescription médicale.Gérant les fonds d’origine collective, la sécurité sociale doit être garante de leurbonne utilisation. D’où la difficile complémentarité à trouver : comment assurerla nécessaire maîtrise des dépenses sans s’immiscer dans les pratiques soignan-tes ? La démarche du législateur, dans la dernière année, a été de créer des réfé-rences objectives s’agissant des bonnes pratiques et de la qualité, ce qui est lemoyen d’un encadrement qui laisse place aux décisions individuelles. Il s’est pro-gressivement imposé l’idée que le médecin ne pouvait être sans contrôle l’ordon-nateur des considérables dépenses de l’assurance maladie, par ses prescriptions.

– Le carnet de santé. Chaque assuré social se voit attribuer un carnet desanté, destiné à être présenté à chaque consultation. L’objectif est de faciliter lesuivi des malades et leur orientation dans le système de soins. Dans la limite desrègles déontologiques et du secret professionnel, les médecins doivent porter surle carnet « les constatations pertinentes pour le suivi médical du patient » (articleL. 162-1-1 et suivants du code de la sécurité sociale). Les objectifs sont estima-bles, mais la mise en œuvre du « carnet de santé » a soulevé de nombreusesdifficultés, manifestement non résolues, et qui seront ravivées par l’objectif demise en place du dossier médical personnel.

– La qualité des prises en charge. En droit de la santé, la législation proli-fère, et pas uniquement dans le sens de l’encadrement des dépenses de santé. Denombreux textes viennent affirmer les droits des patients. Sur le plan collectif,c’est notamment la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 qui porte création d’unecouverture maladie universelle, mais aussi la loi n° 98-535 du 1° juillet 1998renforçant la veille sanitaire. S’agissant des droits individuels, les grandes réfé-

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rences sont la loi n° 99-477 sur l’accès aux soins palliatifs et la loi n° 2002-303du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système desanté. Le législateur s’est imposé en 1994, sur le terrain de l’éthique, avec leslois n° 94-653 sur le respect du corps humain, et la loi n° 94-654 traitant de labioéthique.

– Les vigilances. À la même époque, se sont imposées les réglementationssur les vigilances, qui ont pour objet de réaliser une surveillance de la sécuritéd’utilisation des différents biens et produits à usage thérapeutique. Les vigilancessupposent un recensement de l’information et un traitement systématique, auniveau de l’établissement, mais aussi des structures nationales, qui, centralisantces informations, sont à même d’apprécier la réalité des risques. Les principalesréférences sont les suivantes : hémovigilance : Art. L. 1221-13 et Art. L. 1221-16 CSP pharmacovigilance : Art L. 6111-1 s CSP sur les infections iatrogènes,Art. L. 5311-1CSP sur l’Agence française de sécurité sanitaire et des produitsde santé matériovigilance : Art. L. 5211-1 s CSP.

3 – 2004 : le contrôle des dépenses de santé

Justifié par de nouvelles difficultés économiques de l’assurance maladie, laréforme de 2004 tire les leçons des insuffisances de 1996, et dans un climatdépassionné, en renforce la logique et les procédés de contrainte.

C’est peu dire que la réforme de 1996, qui avait procédé à de nombreusesremises en cause, était mal passée. Nécessité faisant loi, … la réforme a été fina-lement comprise, et les gouvernements qui se sont succédés n’en ont remis encause ni le bien fondé, ni les principes. C’est la persistance des mauvais chiffresqui a conduit à passer un cap nouveau, d’abord en 2003 puis en 2004. Cesréformes s’analysent comme une actualisation et un renforcement du dispositifde 1996. Face à l’envolée des dépenses, la réponse a été l’alourdissement descotisations, parvenue à un niveau tel qu’a pu être justifié un nouvel encadrementdes dépenses de santé, qui fait passer de la logique de la maîtrise à celle ducontrôle.

L’ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 a simplifié et rationaliséle système de santé : renforcement des compétences de l’agence régionale del’hospitalisation, suppression de la carte sanitaire, nouveau mode de finance-ment des établissements publics.

Les lois intervenues pendant l’été 2004, loi n° 2004-806 du 9 août 2004relative à la politique de santé publique et loi n° 2004-810 du 13 août 2004relative à l’assurance maladie, confirment la nécessité de connaissance etd’expertise, pour éclairer les pouvoirs publics dans leurs choix. Figure émergentede la réforme, est instituée une Haute autorité de santé, structure publique indé-pendante, à caractère scientifique, qui a pour mission d’évaluer le service attenduet rendu, et par son expertise, de qualifier les pratiques et la gestion des

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remboursements. Dans le même temps, seront généralisées des recommanda-tions de bonnes pratiques et de protocoles de soins.

Les lois de financement s’inscrivent dans une perspective pluriannuelle, etil est instauré un dispositif d’alerte, permettant dès le mois de juin de l’annéeen cours, d’effectuer les rectifications nécessaires de manière à respecter lesobjectifs fixés.

Il est en outre créé l’Union nationale des caisses d’assurance maladie(UNCAM) qui regroupe les caisses nationales des principaux régimes, et coor-donne l’action de l’assurance maladie.

Le patient, lui aussi, est sollicité. Un dossier médical personnel est créé, etchaque patient doit désigner un médecin traitant de référence, à même de l’orien-ter au sein des différents services de l’offre de soins. C’est une rationalisationdes comportements individuels qui est recherchée.

La persistance du ralentissement économique et de la tension financièreapporte des contraintes constantes sur le système hospitalier. Devenu le premierposte parmi les dépenses de santé, l’hôpital se trouve au coeur de tous les projetstendant à la maîtrise des coûts de santé. La diversité du système, la multiplicitédes tâches qu’il doit accomplir, le poids des intérêts locaux et personnels, ren-dent particulièrement ardue toute réforme d’ensemble, pourtant reconnue néces-saire. L’hôpital reste à la première place, mais son chemin n’est plus tracé.Aujourd’hui comme hier, les évolutions doivent composer avec les contraintesdu quotidien et les missions permanentes du service public.

a – La réaffirmation des principes de l’action publique

La loi n° 2004-810 relative à l’assurance maladie s’ouvre par une disposi-tion de principe, incluse dans le code de la sécurité sociale à l’article L. 11-2-1,ainsi rédigée : « La nation affirme son attachement au caractère universel, obli-gatoire et solidaire de l’assurance maladie. Indépendamment de son âge et deson état de santé, chaque assuré social bénéficie, contre le risque et les consé-quences de la maladie, d’une protection qu’il finance selon ses ressources.L’État, qui définit les objectifs de la santé publique, garantit l’accès effectif desassurés aux soins sur l’ensemble du territoire. En partenariat avec les profes-sionnels de santé, les régimes d’assurance maladie veillent à la continuité, à lacoordination et à la qualité des soins offerts aux assurés, ainsi qu’à la répartitionterritoriale homogène de cette offre. Ils concourent à la réalisation des objectifsde la politique de santé publique définis par l’État. Chacun contribue, poursa part, au bon usage des ressources consacrées par la nation à l’assurancemaladie. »

La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publi-que inclut, de manière un peu inhabituelle, une annexe intitulée « Rapport

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d’objectifs de santé publique ». La valeur juridique de ce texte sera discutée :a-t-il pleine force de loi dans la mesure où il est inclus dans le texte de loilui même, ou n’a-t-il qu’une valeur indicative compte tenu d’une rédactionplus explicative que normative ? Les juristes se prononceront, et les voix nemanquent pas pour dénoncer cette présence dans la loi d’un texte de natureexplicative. Il n’en reste pas moins que ce texte témoigne, à tout le moins,des intentions du législateur, et mérite grande attention. Il sera inévitable-ment la source de contentieux, compte tenu du caractère très ambitieux desprincipes qu’il définit, ce, alors que les dispositions législatives de mise enœuvre sont souvent plus restrictives.

Une attention particulière doit être portée sur ce que cette annexe appelleprincipes de la politique de santé publique. « Les principes de la politique natio-nale de santé publique sont les règles auxquelles il faut se référer pour la défi-nition des objectifs et pour l’élaboration et la mise en œuvre des plansstratégiques de santé publique ». Ces principes sont au nombre de neuf :

– Principe de connaissance : principe selon lequel les objectifs sont définiset les actions sont choisies en tenant compte des meilleures connaissances dis-ponibles ; réciproquement, la production de connaissances doit répondre auxbesoins d’informations nécessaires pour éclairer les décisions ;

– Principe de réduction des inégalités : principe selon lequel la définitiondes objectifs et l’élaboration des plans stratégiques doivent systématiquementprendre en compte les groupes les plus vulnérables en raison de leur expositionà des déterminants spécifiques de la fréquence et/ou de la gravité du problèmevisé, y compris les déterminants liés à des spécificités géographiques.

– Principe de parité : principe selon lequel la définition des objectifs etl’élaboration des plans stratégiques doivent systématiquement prendre encompte les spécificités de la santé des hommes et de la santé des femmes.

– Principe de protection de la jeunesse : principe selon lequel la définitiondes objectifs et l’élaboration des plans stratégiques doivent systématiquementprendre en compte l’amélioration de la santé des nourrissons, des enfants et desadolescents.

– Principe de précocité : principe selon lequel la définition des objectifs etl’élaboration des plans stratégiques doivent privilégier les actions les plus pré-coces possible sur les déterminants de la santé pour éviter la survenue ou l’aggra-vation de leurs conséquences.

– Principe d’efficacité économique : principe selon lequel le choix desactions et des stratégies qu’elles composent s’appuie sur l’analyse préalable deleur efficacité et des ressources nécessaires.

– Principe d’intersectorialité : principe selon lequel les stratégies d’actioncoordonnent autant que nécessaire les interventions de l’ensemble des secteursconcernés pour atteindre l’objectif défini ;

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Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2260

– Principe de concertation : principe selon lequel la discussion des objectifset l’élaboration des plans de santé publique doivent comporter une concertationavec les professionnels de santé, les acteurs économiques et le milieu associatif ;

– Principe d’évaluation : principe selon lequel les objectifs de santé et lesplans stratégiques doivent comporter dès leur conception les éléments qui per-mettront de faire l’évaluation des actions menées.

b – Le droit européen

Alors qu’il est moteur dans de nombreux domaines, le droit européenn’occupe pas la place centrale en droit sanitaire et social.

Les principales références sont la charte sociale européenne, texte adoptéau sein du Conseil de l’Europe en 1961 et refondu en 1996, publié en Francepar le décret n° 2000-110 du 4 février 2000, et le code européen de sécuritésociale, adopté en 1994, et publié en France par le décret n° 87-248 du 3 avril1987. Ces textes traduisent l’attachement profond des pays de la grande Europe– le Conseil de l’Europe regroupe 43 États – aux principes de la solidarité et del’État-Providence.

Le texte de référence en matière de santé, soit l’article 152-1 du traité deRome, reste d’une ambition modeste : « Un niveau élevé de protection de lasanté humaine est assuré dans la définition et la mise en oeuvre de toutes lespolitiques et actions de la Communauté. L’action de la Communauté, quicomplète les politiques nationales, porte sur l’amélioration de la santé publiqueet la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de dangerpour la santé humaine. Cette action comprend également la lutte contre lesgrands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission etleur prévention ainsi que l’information et l’éducation en matière de santé. LaCommunauté complète l’action menée par les États membres en vue de réduireles effets nocifs de la drogue sur la santé, y compris par l’information et la pré-vention ».

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ANNEXES

Chronologie

1662

Édit de Louis XIV qui demande la création, dans chaque cité importantedu royaume de France, d’un Hôtel-Dieu et d’un hospice pour y recevoir et yenfermer les pauvres, les vieillards, les vagabonds et les orphelins.

1794

Nationalisation des hôpitaux par le décret du 23 Messidor de l’an II(11 juillet 1794).

1796

Municipalisation des hôpitaux par la loi du 16 Vendémiaire de l’an V(7 octobre 1796) qui dispose que « les administrations municipales auront lasurveillance immédiate des hospices civils dans leur arrondissement. Elles nom-meront une commission [dénommée « commission administrative » jusqu’en1970] composée de cinq citoyens résidant dans le canton, qui éliront parmi euxun président et choisiront un secrétaire ».

1851

La loi du 7 août prévoit que « lorsqu’un individu privé de ressources tombemalade dans une commune, aucune condition de domicile ne peut être exigéepour son admission à l’hôpital existant dans la commune ».

1941

La loi du 21 décembre 1941 et son décret d’application du 17 avril 1943consacrent juridiquement l’hôpital comme un établissement sanitaire et socialet posent les bases de l’institution moderne. La loi crée la fonction de directeurainsi que la commission consultative médicale devenue, par la loi du 24 juillet1987, la commission médicale d’établissement. En 1943 apparaissent les pre-miers statuts des médecins hospitaliers.

30 décembre 1958

La réforme initiée par le professeur Robert Debré se traduit par troisordonnances et un décret en date des 11 et 30 décembre qui créent les centreshospitalo-universitaires (CHU) et les médecins à temps plein « hospitalo-universitaires ». Le chef de service est nommé, à partir d’un recrutement nationalcommun, à la fois par le ministre de la santé et celui de l’éducation nationale.Les représentants de la sécurité sociale sont introduits au sein de la commissionadministrative et les directeurs d’hôpital voient leurs pouvoirs renforcés.

S Y N T H È S E S

Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2262

15 mars 1960

Publication d’une circulaire sur l’organisation de la sectorisation psychiatrique.

24 septembre 1960

Publication du décret portant statut des professeurs hospitalo-universitairestemps plein. Ce décret, qui complète l’ordonnance du 30 décembre 1958, préciseque le personnel hospitalo-universitaire perçoit une double rémunération, hos-pitalière et universitaire. En 1961, premier statut des médecins hospitalierstemps plein non universitaires dans les hôpitaux généraux.

31 décembre 1970

Loi portant réforme hospitalière qui instaure la carte sanitaire, crée leservice public hospitalier (SPH) et les groupements et syndicats interhospi-taliers.

30 juin 1975

Loi n° 75-535 relative aux institutions sociales et médico-sociales qui orga-nise surtout la prise en charge médicalisée des personnes âgées.

19 janvier 1983

Loi n° 83-25 du 19 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à lasécurité sociale. La loi instaure, dans son article 4, un forfait journalier supportépar les personnes admises dans des établissements hospitaliers ou médico-sociaux et qui prévoit, dans son article 8, la mise en place de la dotation globalede financement. Le taux d’augmentation des dépenses hospitalières est fixé parle gouvernement, à charge pour le préfet de le faire respecter dans chaque dépar-tement. La dotation globale est versée par la caisse primaire d’assurance maladiede la circonscription. Lié au programme de médicalisation des systèmes d’infor-mation (PMSI), le financement a priori contribue à rationaliser les dépenseshospitalières.

6 janvier 1986

La loi n° 86-11 définit l’aide médicale urgente qui « a pour objet en rela-tion notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d’organisa-tion des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelqueendroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état ».

9 janvier 1986

Création de la Fonction publique hospitalière par la loi n° 86-33 portantdispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, qui se subs-titue à l’organisation statutaire du décret du 20 mai 1955.

Danh LU

Juillet 2007, vol. 7, n° 2 Droit, déontologie et soin 263

27 octobre 1990

Publication au JO n° 250 du 27 octobre 1990 des décrets n° 90-949 à 90-955 du 26 octobre 1990 relatifs aux statuts des divers personnels de la fonctionpublique hospitalière, et du décret n° 90-956 du 26 octobre 1990 relatif à lacommission médicale des établissements d’hospitalisation publics.

15 mai 1991

Publication au JO n° 112 du 15 mai 1991 des décrets n°s 91-435 à 91-437relatifs au classement indiciaire et aux statuts des personnels médicaux et admi-nistratifs de la fonction publique hospitalière.

31 juillet 1991

Promulgation de la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hos-pitalière qui prévoit notamment la création des schémas régionaux d’organisa-tion sanitaire, établit l’obligation du projet d’établissement, définit la notion decontrat d’objectif et de moyens et fixe pour les cliniques l’objectif quantifiénational (OQN).

25 janvier 1996

Publication au JO de deux ordonnances, en date du 24 janvier, relativesau remboursement de la dette sociale et aux mesures urgentes tendant au réta-blissement de l’équilibre financier de la sécurité sociale.

24 avril 1996

Présentation en conseil des ministres par Jacques Barrot, ministre dutravail et des affaires sociales, et par Hervé Gaymard, secrétaire d’État à lasanté, de trois projets d’ordonnance qui sont publiés dans le JO du 25 avrilsur les mesures relatives à l’organisation de la sécurité sociale, sur la maîtrisemédicalisée des dépenses de soins et sur la réforme de l’hospitalisation publi-que et privée – qui prévoit la création des agences régionales d’hospitalisa-tion (ARH).

20 juin 1996

Dans son intervention, lors de l’ouverture du congrès de la Fédérationintersyndicale des établissements d’hospitalisation privée (FIEHP) à Saint-Malo le 20 juin, Hervé Gaymard, secrétaire d’État à la santé et à la sécuritésociale, précise la portée des nouvelles règles prévues par les ordonnances,notamment en matière de SROS, d’accréditation et concernant les structuresde pilotage conjoint de l’hospitalisation publique et privée (ARH, CROSS,généralisation du PMSI).

S Y N T H È S E S

Droit, déontologie et soin Juillet 2007, vol. 7, n° 2264

27 novembre 1996

Lors des 8es rencontres nationales de l’Union hospitalière privée (UHP) àParis, Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, annonce, pourles cliniques privées, qu’à partir de 1998, « il nous faudra réfléchir à une appro-che plus locale des mécanismes de financement. C’est pourquoi, l’objectif natio-nal a vocation à se transformer en objectif quantifié régional. »

7 avril 1997

Publication du décret n° 97-311 relatif à l’organisation et au fonctionne-ment de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé instituée àl’article L 791-1 du code de la santé publique et modifiant ce code (deuxièmepartie : décrets en Conseil d’État). La composition du Conseil scientifique del’ANAES est modifiée par le décret n° 98-225 du 27 mars 1998 (Code de laSanté publique, deuxième partie : décrets en Conseil d’État.

9 juin 1999

La loi n° 99-477 reconnaît le droit des personnes malades d’accéder à dessoins palliatifs.

27 juillet 1999

Création de la couverture médicale universelle (CMU) par la loi n° 99-641qui assure la gratuité des soins pour les plus démunis.

3-5 août 1999

Le 3 août, à l’issue du Conseil des ministres, Martine Aubry, ministrede l’Emploi et de la Solidarité, déclare que le gouvernement présentera débutseptembre un bilan de la refonte de la carte des hôpitaux pour 1999-2004et précise que 14 agences régionales d’hospitalisation sur 24 ont déjà adoptédes schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS). Réactions : le3 août, l’Association des petites villes de France (APVF) rappelle que lesSROS suscitent l’inquiétude des élus et des populations quant au devenir del’hôpital de proximité et invite le gouvernement à davantage de concerta-tion ; le 5 août, FO et la CGT critiquent les restrictions budgétaires qui pré-sident à la refonte de la carte des hôpitaux et appellent le personnel de cesétablissements à se mobiliser.

21 décembre 1999

Décision 99-422 DC du Conseil constitutionnel annulant les disposi-tions de la loi de financement de la Sécurité sociale qui légalisait a posterioril’arrêté de baisse tarifaire d’avril 1999, lui-même annulé par le Conseild’État.

Danh LU

Juillet 2007, vol. 7, n° 2 Droit, déontologie et soin 265

5 mars 2002

Publication dans le Journal officiel de la loi du 4 mars 2002 relative auxdroits des malades et à la qualité du système de soins.

4 septembre 2003

Publication de l’ordonnance 2003-850 de simplification administrative éla-borée dans le cadre de la réforme Hôpital 2007. L’ordonnance prévoit des trans-ferts de compétences en faveur des ARH, la suppression de la carte sanitaire, lasimplification des formules coopération sanitaire et l’accélération de l’investis-sement immobilier.

2 mai 2005

Ordonnance n° 2005-406 simplifiant le régime juridique des établisse-ments de santé. Elle recentre le conseil d’administration sur ses missions straté-giques d’évaluation et de contrôle, et crée des pôles d’activité.