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835 Formation médicale continue Ann Dermatol Venereol 2004;131:835-6 Cas pour diagnostic Placard inflammatoire ulcéré de jambe J. MANSOUR (1), V. DESCAMPS (1), G. HAYEM (2), B. CRICKX (1) n patient de 75 ans consultait en 2002 pour un placard in- flammatoire ulcéré et doulou- reux de la face antérieure du tiers inférieur de la jambe gauche, évoluant depuis 10 mois (fig. 1). Des traitements locaux par antiseptiques, puis par der- mocorticoïdes avaient été inefficaces. Il avait comme antécédent plusieurs fractures : une double fracture tibio-pé- ronière non compliquée fermée de la jambe gauche traitée par ostéosynthèse en 1990 avec ablation du matériel en 1994 et une fracture de la tête humérale gauche en 2001 avec mise en place d’une prothèse. Il ne prenait aucun trai- tement au long cours. Depuis quelques jours étaient apparues des douleurs intenses de la face anté- rieure de la jambe gauche, motivant la consultation dermatologique. Le patient était apyrétique. L’examen clinique notait un placard inflamma- toire et ulcéré avec un exsudat purifor- me. Le reste de l’examen était normal. La vitesse de sédimentation était à 4 à la première heure. Les examens biolo- giques, protéine réactive C sérique, glycémie et calcémie étaient normaux. Les leucocytes étaient à 6 480/mm 3 dont 3 360/mm 3 de polynucléaires neutrophiles. L’examen bactériologi- que au niveau de l’exsudat était stérile. Une radiographie de jambe était réali- sée (fig. 2). Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ? Inscrivez-les dans le cadre ci-dessous. U (1) Service de Dermatologie, (2) Service de Rhumatologie, Hôpital Bichat Claude Bernard, AP-HP, Paris. Tirés à part : V. DESCAMPS, Service de Dermatologie, H pital Bichat Claude Bernard, AP-HP, 46, rue Henri Huchard, 75018 Paris. E-mail : [email protected] Fig. 1. Fig. 2.

Placard inflammatoire ulcéré de jambe

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Page 1: Placard inflammatoire ulcéré de jambe

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Formation médicale continue Ann Dermatol Venereol2004;131:835-6

Cas pour diagnostic

Placard inflammatoire ulcéré de jambeJ. MANSOUR (1), V. DESCAMPS (1), G. HAYEM (2), B. CRICKX (1)

n patient de 75 ans consultait

en 2002 pour un placard in-

flammatoire ulcéré et doulou-

reux de la face antérieure du tiers

inférieur de la jambe gauche, évoluant

depuis 10 mois (fig. 1). Des traitements

locaux par antiseptiques, puis par der-

mocorticoïdes avaient été inefficaces. Il

avait comme antécédent plusieurs

fractures : une double fracture tibio-pé-

ronière non compliquée fermée de la

jambe gauche traitée par ostéosynthèse

en 1990 avec ablation du matériel en

1994 et une fracture de la tête humérale

gauche en 2001 avec mise en place

d’une prothèse. Il ne prenait aucun trai-

tement au long cours.

Depuis quelques jours étaient apparues

des douleurs intenses de la face anté-

rieure de la jambe gauche, motivant la

consultation dermatologique.

Le patient était apyrétique. L’examen

clinique notait un placard inflamma-

toire et ulcéré avec un exsudat purifor-

me. Le reste de l’examen était normal.

La vitesse de sédimentation était à 4 à

la première heure. Les examens biolo-

giques, protéine réactive C sérique,

glycémie et calcémie étaient normaux.

Les leucocytes étaient à 6 480/mm3

dont 3 360/mm3 de polynucléaires

neutrophiles. L’examen bactériologi-

que au niveau de l’exsudat était stérile.

Une radiographie de jambe était réali-

sée (fig. 2).

Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ? Inscrivez-les dans le cadre ci-dessous.

U

(1) Service de Dermatologie, (2) Service de Rhumatologie,Hôpital Bichat Claude Bernard, AP-HP, Paris.

Tirés à part : V. DESCAMPS, Service de Dermatologie,Hôpital Bichat Claude Bernard, AP-HP,46, rue Henri Huchard, 75018 Paris.E-mail : [email protected]

Fig. 1. Fig. 2.

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J. MANSOUR, V. DESCAMPS, G. HAYEM et al. Ann Dermatol Venereol2004;131:835-6

Les hypothèses du Comité de Rédaction ont été :

– ostéite,– maladie de Paget osseuse,– ostéosarcome,– hypersensibilité au matériel d’ostéosynthèse.

Commentaires

Le diagnostic d’ostéomyélite chronique

était posé sur les résultats de la radio-

graphie du tibia : remaniements os-

seux avec foyer d’ostéolyse confirmé

par l’examen par résonance magnéti-

que nucléaire. Toutefois aucune zone

d’abcédation intramédullaire ou des

parties molles, qui aurait permis une

ponction pour l’identification du ger-

me responsable, n’était visible. Alors

que l’examen bactériologique de l’ul-

cération était négatif, l’examen bacté-

riologique après ponction-aspiration

sous-cutanée mettait en évidence un

staphylocoque doré multisensible à la

culture. Une double antibiothérapie

par méthicilline et ofloxacine était

commencée amenant rapidement à

une régression du placard inflamma-

toire et une diminution des douleurs

de jambe. Après un mois sous traite-

ment les lésions étaient en voie de

guérison.

Les ostéomyélites chroniques de sur-

venue tardive sont une complication

rare des fractures fermées de jambe

[1]. Law et Stein ont rapporté

9 observations d’ostéomyélite surve-

nue après une période de 15 mois à

19 ans après réduction initiale chirur-

gicale nécessitant la pose d’un maté-

riel prothétique. L’ensemble de ces

fractures étaient considérées comme

guéries. Le signe d’alerte le plus préco-

ce et le plus constant (8 des 9 malades)

était la réapparition d’une douleur au

siège de la fracture. La présence d’une

fièvre ou d’anomalies des examens

biologiques (vitesse de sédimentation,

hyperleucocytose, protéine réactive C)

étaient inconstantes.

La radiographie permet généralement

de faire le diagnostic mettant en éviden-

ce un foyer de déminéralisation au siè-

ge de la fracture ou au contact du

matériel prothétique si celui-ci est tou-

jours en place.

La physiopathologie des ostéomyélites

après fracture de jambe reste discutée.

Les facteurs de risque locaux identifiés

sont le caractère ouvert de la fracture et

les oedèmes chroniques du membre

inférieur [2]. La colonisation bactérien-

ne peut se faire soit initialement à l’oc-

casion du traumatisme ou du geste

chirurgical, soit secondairement à par-

tir d’un foyer infectieux à distance ou

d’une brèche cutanée locorégionale.

Elle peut évoluer à bas bruit pendant

une longue période. Notre observation

est originale par la découverte de l’os-

téomyélite par l’atteinte cutanée se-

condaire en regard (ce patient n’ayant

aucun antécédent dermatologique)

réalisant un placard de dermoépider-

mite. La ponction aspiration sous cuta-

née a permis de mettre en évidence un

staphylocoque doré qui a été considéré

comme pathogène sans pouvoir toute-

fois l’affirmer. Devant la responsabili-

té habituelle du staphylocoque doré un

traitement ciblé sur ce germe a été en-

trepris amenant à la guérison.

Références

1. Law MD Jr, Stein RE. Late infection in healedfractures after open reduction and internal fixa-tion. Orthop Rev 1993;22:545-52.

2. Ciampolini J, Harding KG. Pathophysiologyof chronic bacterial osteomyelitis. Why do anti-biotics fail so often? Postgrad Med J 2000;76:479-83.