13
PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL Author(s): Rnine Goldstein Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 37 (Juillet-Décembre 1964), pp. 161-172 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689274 . Accessed: 12/06/2014 17:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAILAuthor(s): Rnine GoldsteinSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 37 (Juillet-Décembre1964), pp. 161-172Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689274 .

Accessed: 12/06/2014 17:11

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCahiers Internationaux de Sociologie.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL par Reine Goldstein

En 1959, on comptait un peu plus de 400 000 techniciens (1) en France, « exécutants, plus ou moins subalternes, qui possèdent une certaine préparation technique due à leurs diplômes ou à leur expérience... » (2), pour près de 75 000 établissements de plus de 10 salariés (3). Ces techniciens représentaient 2,1 % de la popu- lation active, minorité par rapport à la masse ouvrière (4) et mino- rité aussi par rapport à l'ensemble des cadres. Ils sont certes des « exécutants » si nous considérons une politique d'ensemble ou les comparons à la classe techno-bureaucratique (5), mais sont-ils cela, et uniquement cela au niveau de l'entreprise ? Gomment se situent-ils entre les cadres et les ouvriers ?

Les techniciens ne sont apparus que très récemment dans le monde du travail, du moins avec le statut codifié que nous leur connaissons, car leur fonction, elle, a existé dès qu'un outil ou une machine a demandé une certaine compétence.

On n'entend guère parler d'eux avant les accords Matignon de 1936, accords actuellement dépassés, et il faut attendre l'arrêté Parodi du 4 septembre 1945 (6), arrêté encore en vigueur aujour-

(1) « Sexe, catégorie socio-professionnelle et statut » Annuaire statistique ae ia r rance, lyoy, i.in.ö.Hi.ej. ( tiesuiiais ae lyoo : recensement ae lyo^t et exploitation de 1958 du fichier des établissements).

Le chiffre donné de 404 990 techniciens est majoré par les cadres moyens du secteur public qui figurent aussi dans cette statistique.

(2) G. Gurvitch, La vocation actuelle de la sociologie, Presses Universitaires rift Franr.fi. 19fi3. 2e ¿ri. t.. TT n 433

(3) I.N.S.E.E., d'après le fichier des établissements. (4) Lone-temns mare-inal dans la société, le eroune « ouvrier » (ouvriers

manuels, emolovés de bureau et personnel de service) v est devenu central par l'importance tant numérique qu'économique qu'il y a prise : 50 % de la population active (6 millions d'hommes, 3 millions de femmes) - près de la moitié des chefs de famille.

L'importance des critères objectifs des conditions de travail des « employés » justifie leur assimilation au groupe « ouvrier ». M. Grozier, L'ambiguïté de la conscience de classe chez les employés et les petits fonctionnaires, Cahiers Internationaux de Sociologie, XVIII, nouv. série, II, janv.-juin 1955, p. 86-89.

(5) Nous ne traiterons ici ni des technocrates « techniciens des idées géné- rales » avant « de la conjoncture une connaissance totale cmi leur permettrait l'action », ni des « relations entre techniciens spécialistes d'une question et techniciens des idées générales ». Nora Mitrani, Réflexions sur l'opération technique, les techniques et les technocrates, Cah. Iniern, de Sociologie, XIX, nouv. série, juill.-déc. 1955, p. 157.

Voir aussi G. Gurvitch, La voc. act. de la Sociologie, op. cit., chap. XIV : « La technocratie est-elle un effet inévitable de l'industrialisation? » et chap. XV : « Les œuvres de civilisation et les structures sociales sont-elles menacées par le déchaînement actuel des techniques ? » (p. 431-461).

(6) Arrêté Parodi du 4 septembre 1945 paru au Journal officiel du 13 sep- tembre 194fi et. fivant. les « salaires des fimnlovés. t.fir.hnir.ifins et. agents de maîtrise dans les industries de la métallurgie et du travail des métaux ».

- 161 - CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 11

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

d'hui, pour trouver dans l'industrie une définition du technicien. Une lecture attentive de cet arrêté fixant les « salaires des

employés, techniciens, dessinateurs et agents de maîtrise' dans les industries de la métallurgie et du travail des métaux » est riche d'enseignement, car on se trouve devant un cadre conceptuel précis dans lequel chaque catégorie est analysée, hiérarchisée et comparée aux trois autres, à partir d'une étude du geste replacé dans la fonction qui, elle, est déterminante.

Cette nomenclature spécifie étroitement l'appellation « de techni- cien » que l'on a de plus en plus tendance à étendre aujourd'hui. Elle est destinée originellement à la métallurgie, mais le légis- lateur a prévu des procédures de précision, d'adaptation et d'augmentation.

Dans le tableau de concordance (1) que fournit l'arrêté, les techniciens se répartissent en deux groupes d'après leur fonction dans l'entreprise : - le premier groupe, le plus nombreux, a une fonction d'exé-

cution ; ce sont les techniciens dont les carrières se situent entre les coefficients 168 et 218. Si leur carrière commence à un échelon sensiblement plus élevé que les employés (168 au lieu de 100), elle se termine au même niveau. Employés et techniciens ont alors une même fonction et sont

des exécutants sans initiative, bien que le technicien ait cependant des connaissances précises qui lui permettent d'interpréter le travail de l'ingénieur. - le deuxième groupe, réduit à deux catégories seulement (fabri-

cation 2e échelon et analyseur), a une fonction critique qui fait déjà participer le technicien au travail de conception, mais en fonction d'une expérience précise de travail concret, alors que l'ingénieur a une fonction critique qui s'exerce dans l'abstrait. Les dessinateurs, eux, débutent, à l'exception des deux pre-

miers échelons, au coefficient 196 mais passent immédiatement à 215, poste de petite initiative pour atteindre le coefficient 321 en fin d'une carrière qui se déroule parallèlement à celle des agents de maîtrise, comprise entre les coefficients 200 et 340. Dessinateurs et agents de maîtrise étant de plus en plus souvent assimilés aux techniciens actuellement, peut-on en déduire que la notion de technicien évolue vers une prépondérance de la fonction critique ?

Les coefficients 215-218, revenu plafond pour les « ouvriers » (employés, premier groupe de techniciens et dessinateurs débu- tants, tous exécutants sans initiative), et revenu plancher pour les « cadres » à fonction critique (deuxième groupe des techniciens et majorité des dessinateurs et agents de maîtrise), ne forment-ils pas une barrière de classe séparant les techniciens en deux blocs spécifiés par leur fonction dans l'entreprise ?

(1) Ce tableau de concordance a été établi à partir du tableau : « Taux minima mensuels de salaires correspondant à une durée de travail hebdoma- daire effective de 40 heures », du décret Parodi déjà cité, p. 5726-5727-5728.

- 162 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

LE TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

Quoi qu'il en soit, nous sommes à une période où postes de travail et qualifications professionnelles se multiplient et se diver- sifient avec une extrême rapidité ; la conception même de la responsabilité change, parallèlement à l'évolution des techniques, pour donner plus de responsabilités, de pouvoir de décision, à des ouvriers qualifiés ou à des employés que Ton assimile de plus en plus aux techniciens (1). La hiérarchie Parodi, bien qu'utilisée, est souvent considérée insuffisante. Pour pallier cette carence, des études tendant à proposer de nouvelles définitions sont menées par des chercheurs ou des organismes aux préoccupations diffé- rentes parfois. Signalons, entre autres, les travaux de sociologues, comme ceux d'Y. Legoux (2), ceux des chercheurs de l'Ensei- gnement technique supérieur (3), et les recherches d'organismes de planification économique, comme le IVe Plan (4). Une définition a d'ailleurs été proposée par les spécialistes du Plan, acceptée par certaines branches industrielles, elle a été rejetée par d'autres.

Mais en attendant qu'un consensus s'établisse entre chercheurs et obtienne l'accord des usagers, la définition de l'I.N.S.E.E. reste utile d'un point de vue opératoire. Cette définition est certes très générale, mais elle fournit un cadre et, de plus, elle est utilisée pour l'analyse du Recensement de 1962, le premier où les techniciens, aussi bien du secteur privé que du secteur public, sont isolés (5) :

« Cette catégorie comprend des personnes dont l'activité consiste à appliquer des connaissances de technique industrielle, sans qu'il soit possible de les considérer ni comme « ingénieurs » ni comme « ouvriers ». Ces personnes peuvent quelquefois exercer des fonctions d'encadrement moyen de travailleurs manuels ou d'employés de bureau. Elles appartiennent au secteur privé et sont pour la plupart * salariées ». Certaines peuvent être « établies à leur compte ». Leurs homologues dans le secteur public... »

La définition de l'I.N.S.E.E. nous paraît particulièrement significative de l'ambiguïté socio-professionnelle du technicien, défini négativement par rapport à l'ouvrier et à l'ingénieur.

Sa place dans l'entreprise ne cessant de s'accroître (6), princi- palement dans les industries pilotes, et ses fonctions de se diver-

ti) Bulletin de la Communauté Européenne du Charbon et de V Acier. Mémo- randum sur la définition des « Objectifs généraux acier » de la Communauté, Luxembourg, mars 1962, hors série, p. 46 et 48.

Revue française de Sociologie, 1, 3, juill.-sept. 1960, p. 286-97. Ecole et société, Paris, Rivière, 1959, 131 p. (coll. « Recherche de Sociologie du Travail ») ouvrage collectif. Chapitre sur « Les techniciens de la chimie, panaroma profes- sionnel et scolaire », p. 74-101.

/O' A/1/-»!-»» loo A i ffAnnn^ net mi Kl i nr' 4- i r'r' o rliï t~* T? D T& T? T DnnViAnnkn j-l'u-nn '*J ) V VU 1CÍ3 UlllClClltCO J-FU-UlH^Ct 1/AV/llO UU U.U.ll.l-í.iJ. 1 . A ICUUCX U11O U U11O

définition du technicien appréhendé plus particulièrement à partir de sa formation.

'*±j iiapjjuiu uc ici uwnmnsciiuji uo i<x iMciiii-u. vxjuvxc, xicvuo /i uii^utoo uu

Travail, 1962, 2 vol. 'u ) rum uciiiiii ico tconinuicno ci louici, ico uiiciuiicuro uc i 1.11 .o.jjj.üi. uiit

opéré par récapitulation en regroupant les métiers existants, cf. Codes n°* 2, 3, 5 et Nomenclature des métiers, 1962, I.N.S.E.E. fíK' flilVkOT»!' 13 r' T T T> S* HT X? T* T Q TûlinûCOA l^lll T7"T»Í Àt*£k ûof ÛTÎ Al Tf'l 1 1 "f î f'n 7l>f/1>00^>0 '^ J V-«liUVl U JL UU11U11 Uiy J-l«. %J V/U11UOOV V U V 1 1'>X V/ VOI/ Vil V V VlClflV/llj ^ri LCOOO0

ouvrières, 157, nov. 1959, p. 69.

- 163 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

si fier, il est légitime de supposer que ses caractéristiques se préci- seront au cours des prochaines années.

Qu'est-ce qui spécifie les techniciens ? Qu'ont-ils de commun avec les « cadres » et avec les « ouvriers » ? Sont-ils des cadres responsables ou sont-ils des exécutants ouvriers ?

1. Place du technicien dans l'évolution industrielle française. - II y a 100 ans les techniciens sont très peu nombreux dans l'usine. Ils se distinguent de la main-d'œuvre ouvrière au service direct de la machine et dont seule compte la force physique. Leur quali- fication professionnelle les rapproche des cadres et des patrons dont ils sont cependant séparés par leur origine sociale, généra- lement ouvrière, leur manque de culture, la nature de leur forma- tion, acquise non pas dans une grande école mais sur le tas, et leur totale insécurité financière.

Leur compétence qui en fait déjà des intermédiaires entre les ouvriers, marginaux dans la société, incompétents dans l'usine, et le patronat, soucieux de rendement, de promotion sociale et habile à les obtenir, va être à l'origine de leur promotion.

Gomme l'ingénieur, le technicien, à la naissance de l'industrie, vend une compétence professionnelle qui dépend, non seulement de sa formation, mais aussi de ses qualités personnelles, de son expérience. Il n'est pas interchangeable, et n'a pas affaire non plus à une forte concurrence. Tous ces éléments contribuent à lui donner une certaine assurance ; il craint relativement peu le chô- mage, qui ne le concerne que par la fermeture de l'usine ; guère plus le renvoi, s'il peut espérer trouver facilement un autre emploi. Il peut alors toujours espérer une place lui convenant mieux, en guetter l'occasion, l'obtenir en prouvant sa compétence, discutant son salaire, dans un rapport de personne à personne avec le patron. Les avantages qu'il obtient le sont à titre personnel strictement. C'est là, en même temps, sa force et sa faiblesse, plus souvent sa faiblesse que sa force d'ailleurs.

En effet, si en cela sa position est proche de celle de l'ingénieur ou de tout autre cadre, il existe cependant une différence, et non négligeable, entre sa situation et celle de l'ingénieur. En fait, il est beaucoup moins libre que celui-ci de changer d'emploi à sa guise. Ayant reçu une formation pratique, sur le tas, en fonction des besoins de l'entreprise, il lui est difficile parfois de se reconvertir et se trouve alors pratiquement lié à une usine, bien plus que les ingénieurs, formés théoriquement, et même plus que les ouvriers interchangeables parce que n'ayant aucune compétence. Dans ce cas il se trouve être, de tous, le plus lié au patron, à qui il doit sa réussite, sa promotion, plus qu'une qualification précise. Il risque de tout perdre en étant renvoyé.

Au fur et à mesure que le monde du travail a évolué, les diffé- rents groupes professionnels se sont modifiés. Dans l'usine, les machines se sont compliquées, les techniques ont évolué, les postes de travail se sont multipliés et le rôle des ouvriers a changé. Progressivement, la force physique est devenue moins primordiale. L'apprentissage, de plus en plus poussé, de plus en plus diversifié

- 164 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

LE TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

et polyvalent, fait retrouver au professionnel la compétence technique et la qualification de l'artisan ; c'est cette évolution générale des tâches ouvrières qui est à l'origine du développe- ment du phénomène « technicien » tel que nous le connaissons aujourd'hui : la compétence d'abord pratique et empirique de l'intermédiaire, chef d'atelier ou contremaître formé à l'usine, a évolué vers la technicité théorique, à mesure que la compétence ouvrière même se technicisait.

Aujourd'hui, les techniciens sont peu nombreux dans l'éco- nomie française, et sont inégalement répartis, selon leur sexe (1), (les 2/3 sont des hommes), et selon les branches d'industrie. Ils sont jeunes en majorité (2). Plus l'industrie est moderne et en expansion, plus nombreux sont les techniciens. En effet, on peut classer les branches d'industrie en 4 types en fonction de leur stade de développement manifesté par le nombre et le rôle des techniciens : 1) Les industries pilotes (pétrole, électronique, par exemple) au pourcentage important de techniciens, artisans de cette croissance ; on en comptait 20,2 % dans les pétroles en 1961 ; 2) Les industries anciennes rénovées (fer, charbons - dans le cadre de la C.E.C. A., par exemple). Le pourcentage de techniciens est plus faible : 8,7 % pour « l'extraction des métaux ». On assiste dans ces industries à une transformation des qualifications par la promotion d'ouvriers et d'employés occupant des postes de respon- sabilités, et on retrouve là l'ancienne formation sur le tas des techniciens d'antan ; 3) Les industries traditionnelles non trans- formées, comme celle des étoffes où le pourcentage de techniciens est faible : 2,3 % (3), l'absence de modernisation s'accommo- dant d'une main-d'œuvre peu qualifiée ; 4) Les industries qui se cherchent, comme le commerce ou l'agriculture. Dans cette der- nière, on compte, pour 950 000 salariés environ 50 000 « cadres, ingénieurs et techniciens » (4), parmi lesquels 10 000 environ sont proprement des techniciens. Nous nous trouvons là dans une phase de transition : le technicien n'a pas encore un rôle bien défini ; son emploi dépend, en grande partie, dans certaines branches, de crédits de « vulgarisation » incertains, et il tend à considérer l'exercice de sa qualification comme un temps de déve- loppement de compétence, avant de se diriger vers d'autres situations, de plus d'avenir, et mieux rémunérées.

De plus, on peut constater parallèlement, que si l'on excepte les industries de pointe, les techniciens, minoritaires dans l'en-

(1) Le problème des techniciennes et celui des branches industrielles étant particulièrement importants et très complexes, seront étudiés à part, ultérieurement.

I*m' Till tVÌAlV^fi A-Wk S* S' /Vili AAV' AAitV^/% AAllt^ ntmvti •W%f'S'11 ■« Y Vfc 4*V f AMTVtn4Î/'M n/'/'l A -Ï-MA

'&j i^u iiiuxiio cil i/t; i|ui eunuci ne ucuA ayainj îc^u une lui uiauiuii stuiaii c

théorique dans les sections de techniciens. ''i) x icpcu bibiuii uc x 'J'J'J salaries ctu i ~* juillet uc ouaijuo ciiiiicc. i ciuicau 11 uf

Evolution de la structure des qualifications professionnelles. Répartition en cadres, agents de maîtrise et techniciens (résultats provisoires), IVe Plan, Rapport 1961-1962, Annexes (début) tableaux 1 à 36, ronéotypés.

Nous n'avons tenu compte, ici, que des « agents de maîtrise et techniciens ». ia' T m o p t? Tin^n^^n-^n^i- ^™«:~~i« mec: c/j ^*±^ x.iy .tj.izt.iZi., xicuciisciiicnt cignuuio xvou-oyj.

- 165 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

semble de l'industrie, ne le sont pas moins dans les entreprises. Les dessinateurs, par exemple, pourtant nombreux dans la région parisienne, ne s'y rencontrent guère dans la métallurgie que dans une proportion de 2,5 par entreprise (1).

Parlant des techniciens, nous nous trouvons donc devant une minorité aux aspects multiples. Leur rôle, peu important dans l'agriculture et les industries traditionnelles s'accroît à mesure de la modernisation dont ils sont à la fois les artisans et le produit ; et il n'est pas excessif de dire qu'actuellement, du moins, ce qui ne préjuge aucunement de l'avenir, « technicien » et « moderni- sation » vont de pair dans l'économie française.

Liés au progrès qu'ils contribuent à accélérer, comment se situent-ils dans l'échelle des salaires et par rapport à la reven- dication ouvrière ?

2. Son niveau de vie. - A la différence de l'ouvrier manuel horaire, le technicien est un mensuel comme le cadre ou l'employé, et c'est le fait même d'être un mensuel, et lui seul, qui le distingue parfois de l'ouvrier (2). L'employé, bien que mensuel, se distingue aussi du technicien, par la structure de son salaire, de « type ouvrier », alors que le technicien a, comme le cadre, une carrière de « type bourgeois » (3).

Avec les cadres, le technicien partage certains avantages de carrière et la progression de son salaire, reconnaissant l'accrois- sement de sa compétence, peut être prévue, ainsi que l'avance- ment qu'il peut espérer à l'ancienneté, dans un éventail plus largement ouvert que celui des travailleurs manuels. A ce titre, il ne partage ni les besoins ni les aspirations des horaires.

Cependant, il n'est pas un cadre et leurs différences de salaire sont très importantes ; en fait, son salaire peut même être inférieur à celui d'un O.P., surtout en début de carrière et des jeunes gens peuvent alors hésiter entre les deux voies : l'une qui rapporte plus immédia- tement mais risque de plafonner plus vite, l'autre moins bien payée au départ, mais dont le salaire ira s'améliorant dans un métier auquel est attaché plus de prestige, cela justifiant une perte de gain (4).

De plus, même si le salaire varie suivant la région, la qualifi- cation, la branche d'industrie, ou même d'une entreprise à l'autre, bien que de plus en plus les syndicats s'efforcent de faire reconnaître les conventions collectives nationalement afin de garantir les mêmes avantages à l'ensemble de la catégorie, il n'en demeure pas moins que l'éventail des salaires est assez peu ouvert pour le technicien. Ainsi le salaire moyen dans la région parisienne, variait, en 1961, de l'indice 196 à l'indice 290, soit de 650 F à 1 100 F par mois. A l'indice 196, nous trouvions « l'agent de

(1) « Le metier de dessinateur » enquête réalisée par r A.b. s. ti. D. I.e. Métaux, Informations, n° 10, avril 1962, p. 52.

f9.' Ru/7 do in C.f'm T?urnn sin C.hn-nh ei fio V Anio-n t'r' nit Y' AR. ?3' Pip.rrp. Tr»TAT*T T.n minntiìp hiimnìnp. Paria 1 Qfi9. T as TT.rHHrmc r»n'rT»îài»oo

(coll. « Points d'Appui ») p. 89-90. Le « type ouvrier » ou « sans avenir » a été dégagé principalement dans

l'analyse du Référendum de 1960 de la J.O.G. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). (A' T. a maiiAi» Ha HA.ssinotAiir nn rii r» &A.-('t' 1*1 Jk^ W AAAV VA 'S* 'AV UVUUIAIU 'J'S VfcJ. « r^ * * 9 r* * V/ ^K 'JX^ m

- 166 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

LE TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

production et de planning » ainsi que le « dessinateur d'exécution » et à l'indice 290, le « préparateur de fabrication 3e échelon » (1).

Bénéficiant d'un statut privilégié par rapport aux travailleurs manuels puisque jouissant de revenus qui s'accroîtront plus avec le développement de ses besoins, le technicien a cependant un niveau de vie souvent moins élevé qu'eux. Les ouvriers sont les principaux consommateurs, spécialement entre 18 et 24 ans, avant que leurs charges familiales soient trop lourdes : à salaire égal, ils ont davantage de voitures, paraissent acheter plus de télévisions, et profitent mieux des congés payés.

Ces différences et la supériorité apparente (2) du pouvoir d'achat ouvrier, sont en fait redevables à des styles de vie (3) qui n'ac- cordent pas la priorité aux mêmes postes : l'habillement et la représentation, qui rapprochent le technicien du style de vie des cadres, tiennent une place beaucoup plus importante dans son budget que dans celui des travailleurs dont le principal est consacré aux biens de consommation.

Entre deux types possibles de rémunération, les techniciens ont opté pour le salaire mensuel augmentant progressivement et leur assurant la sécurité, quoique avec des revenus peu élevés. Entre deux modes de vie, les techniciens ont préféré imiter plutôt celui du cadre. Entre deux sortes de revendications, les techniciens se trouvent un peu en porte à faux.

Ils bénéficient évidemment de toutes les améliorations sociales qui ont été conquises par les ouvriers, d'abord pour eux seuls, mais qui sont acquises maintenant à tous les salariés dans leur sillage. Néanmoins, il existe des nuances à l'intérieur de la reven- dication globale pour plus de bien-être, plus de sécurité, et pour une participation plus grande aux bénéfices. Les revendications des syndicats de cadres ne se confondent pas avec celles des centrales ouvrières. Lorsque ces dernières, par exemple, tentent d'obtenir la généralisation de la 4e semaine de congés payés, les cadres souhaitent l'obtention, pour eux, d'une semaine de vacances d'hiver, leur permettant de résister à la fatigue nerveuse provoquée par l'industrie moderne (4).

Les techniciens, eux, sont scindés en deux groupes, parfois au sein de la même entreprise suivant que leur coefficient leur permet ou non de cotiser à la retraite des cadres. A cela s'ajoute la poli- tique patronale. Variant suivant les régions, les branches indus- trielles et même finalement les établissements, elle n'applique pas les mêmes règles d'ouverture des coefficients pour l'application

(1) Enquête faite en 1961 par la G.F.T.C. sur les salaires des techniciens de la région parisienne et ayant porté sur 30 000 techniciens.

(2) Référendum 1960 de la J.O.G., P. Idiart, Salaires et promotion des jeunes travailleurs dans la région parisienne, Masses ouvrières. 170, jan- vier 1961. p. 52-72.

(3) II serait utile de savoir :. quelle proportion de femmes de techniciens exerce un métier ? Quels sont les métiers qu'elles privilégient ? Quelles sont leurs motivations ? Gomment se perçoivent-elles socialement ? Et comment sont-elles perçues par les autres ?

(4) Revendication de la G.G.C. - dernier congrès 1962-63.

- 167 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

de l'article 46 prévoyant une certaine souplesse pour l'admission à la retraite des cadres. Elle n'attribue pas non plus en fonction des mêmes critères les diverses primes, d'intéressement à la produc- tivité, à la responsabilité, etc.

Cette hiérarchisation dans le revenu réel s'exprime dans le combat syndical et aboutit à un émiettement de situations parti- culières, presque aussi nombreuses que les entreprises, d'où un malaise. Syndicats de cadres et syndicats ouvriers forment pôles d'attraction pour les techniciens. Cette minorité se divise en optant pour la revendication majeure la plus proche de sa situation concrète, ou cherche à définir et à résoudre ses problèmes propres dans des tentatives de syndicalisme catégoriel (1). Mais ces der- nières sont très limitées parce que les techniciens sont encore trop peu nombreux et trop dispersés pour pouvoir se tracer une ligne de conduite en fonction de besoins spécifiques, mal connus d'ail- leurs, et parvenir à prendre ainsi une place originale dans le combat syndical. Remarquons d'ailleurs qu'une option semble avoir été faite par la majorité d'entre eux, puisque 72 % des « cadres supérieurs et ingénieurs et cadres moyens » (dont les techniciens) se regroupent dans les trois grandes confédérations ouvrières (2).

L'ambiguïté que nous avons constatée jusque-là, est-elle seule- ment due à l'évolution technique du monde du travail, et à la situation de cette catégorie de travailleurs dans l'échelle profes- sionnelle, ou a-t-elle d'autres causes ? Est-elle liée à leur origine sociale ? Existe-t-elle déjà dans la formation que les techniciens reçoivent ? Que sont-ils ?

3. Le technicien est-il un exécutant ouvrier ou un cadre respon- sable ? - II est impossible de connaître l'origine sociale des techniciens au travail, et parce qu'il n'existe pas de statistiques d'ensemble, et parce que ce terme est employé avec des acceptions différentes, suivant les industries ou les organismes d'étude, comme nous l'avons déjà remarqué.

Mais par contre nous connaissons le milieu familial des élèves des sections de techniciens de l'enseignement d'État (3).

Milieu Cadres Prof. lib. ouvrier moyens cadres sup.

(%) (%) (%)

Industrie Ì Prép. techn 38 14,5 10,5 et hôtellerie / Techn. sup 40 13,8 11

eES ) Technicien 39,6 14,2 8

(1) Syndicalisme catégoriel proprement dit ou sections catégorielles à l'intérieur dès branches syndicales.

(2) Cité par Gilbert Mathieu, Le Monde, 1er juin 1963. (3) Origine sociale des futurs techniciens, France entière. Statistiques du

ministère de l'Education Nationale.

- 168 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

LE TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

L'analyse de ces statistiques montre, chez les garçons, un recrutement intermédiaire entre celui des Collèges d'Enseignement technique à prédominance ouvrière et celui des lycées à clientèle bourgeoise : 2 fois plus d'élèves issus des cadres supérieurs que dans l'ensemble du technique, mais ne représentant seulement que 10 % des futurs techniciens, et étant 4 fois moins nombreux que les élèves du milieu populaire. Ces derniers forment encore le groupe le plus important (40 %) des sections de techniciens, mais un groupe moindre cependant que dans les Collèges d'Ensei- gnement technique.

Et selon toute vraisemblance, le pourcentage des techniciens d'origine ouvrière est supérieur à 40 % parmi ceux qui sont au travail, un certain nombre parmi eux ayant reçu une formation sur le tas, plus ou moins complétée par des études théoriques, sous forme de stages, par exemple.

Chez les filles, la structure est différente (1) 26 % seulement sont issues du milieu populaire ; il y a à peu près égalité entre les filles et les garçons venant des cadres moyens, et une prédominance de filles parmi les enfants des cadres supérieurs : techniciennes supérieures : 22 % ; section « économique et sociale » : 25 %.

Ces différences n'ont rien de surprenant si l'on songe, d'une part, que dans le milieu populaire où les études sont rarement entreprises et encore plus difficilement achevées tant elles deman- dent de sacrifices (2), elles sont réservées de préférence au garçon et à condition qu'il soit particulièrement doué, et, d'autre part, que dans la bourgeoisie la profession de technicienne a pris le relais, ou sert d'alternative, à celle de secrétaire en attendant le mariage (3).

D'origines diverses mais avec une prépondérance ouvrière cependant, le futur technicien reçoit un enseignement scolaire assez poussé qui le différencie nettement d'un ouvrier même muni d'un G. A. P. Tout technicien fait maintenant des études secondaires, jusqu'en lre pour devenir agent technique breveté, puis pendant deux ans après le baccalauréat pour être technicien supérieur.

Le contenu de l'enseignement qu'il reçoit : connaissances littéraires, scientifiques, techniques, apprentisasge des « relations humaines », le rapprochent de l'ingénieur. Ceci est encore accentué lorsqu'il fait ses études dans le même établissement, bien des écoles d'ingénieurs abritant aussi des sections de techniciens. Si

(1) Statistiques du ministère de l'Education Nationale. ('¿) öU % des ins a ouvriers arrêtent leurs etudes â la nn du primaire

tandis que c'est seulement le cas de 10 % des fils de cadres supérieurs ou de membres des professions libérales, Education Nationale, 22 septembre 1960.

Voir aussi : dans le n° 43 de Informations statistiques du ministère de l'Education Nationale, les résultats de l'enquête faite le 30 juin 1961 dans l'enseignement supérieur par le service de statistiques du ministère ; ainsi que : Charles Martial, Où en est la démocratisation de l'enseignement supérieur, L'enseignement public, février 1963, n° 4, p. 11.

(3) Remarquons que les statistiques scolaires ne sont pas toujours établies par sexe. C'est une lacune regrettable, car privant d'un élément important pour une analyse objective de la population scolaire. Espérons qu'il sera possible de la combler prochainement, au moins toutes les fois que les documents de base le permettront.

- 169 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

de plus nous comparons les horaires des sections d'ingénieurs et ceux des sections de techniciens, nous trouvons une répartition similaire du temps consacré aux enseignements techniques et à la culture générale.

Mais par contre si nous comparons l'orientation, la conception des deux types de programme, nous atteignons alors une diffé- rence fondamentale, car le « fond » est diamétralement opposé. Ainsi, le futur ingénieur reçoit une formation mathématique poussée afin d'être capable de faire la démonstration d'un théorème donné et d'en concevoir des applications ultérieurement. Il s'agit de lui donner une solide formation scientifique de base pouvant être approfondie ultérieurement dans la spécialité professionnelle choisie, et qui soit de nature à favoriser le développement des facultés créatrices.

Pour le futur technicien, il n'y a pas place pour une culture scientifique ou technique authentique ; l'important est d'acquérir de bons mécanismes, permettant une exécution rapide et soignée, par l'application de formules et d'équations qu'il doit, trop souvent, se contenter d'apprendre par cœur, sans avoir à les comprendre.

Ces études de seconde zone, conçues, non pour donner accès à une réelle culture formatrice de la personnalité, mais en vue d'impératifs économiques de productivité, aboutissent à une hyper- trophie de connaissances limitées à certains domaines techniques dans une absence totale de vraie culture. Elles forment des jeunes à la tête « bien pleine » plutôt que « bien faite », et font participer les techniciens à la condition ouvrière de l'apprentissage, car cet apparentement n'est pas scolaire mais social.

Il recoupe un phénomène de classe. Il existe officiellement dans l'enseignement un cycle qui accueille plus particulièrement les enfants issus du milieu populaire : les Collèges d'Enseignement technique (1), et même, dans une certaine mesure, les Lycées techniques, dispensent une instruction qui se veut « adaptée » à ces enfants (2).

Les élèves techniciens font donc deux ans d'études supérieures, mais à quel rôle dans l'entreprise, l'enseignement qui leur est dispensé, prolongation de celui donné aux enfants du milieu populaire, les prépare-t-il ?

(1) En 1961-62, 50,6 % des élèves de l'ensemble de l'enseignement technique laïc étaient de familles ouvrières (11,5 % : cadres moyens ; 5,4 % : professions libérales ou cadres supérieurs).

Mais en fait le pourcentage des élèves (masculins) de milieu ouvrier dans le technique est supérieur à 50,6 %, car ce chiffre a été calculé sur le nombre total d'élèves, filles comprises ; or, les filles de milieu ouvrier, très peu nom- breuses, font baisser le pourcentage général. (Stat. du ministère de l'Education Nationale.) Voir aussi : Education Nationale, 22 septembre 1960.

(2) La ségrégation pratiquée par l'organisation officielle de l'enseignement se traduit aussi dans les querelles pédagogiques autour de la notion de « culture » et de ses forces « ouvrière » ou « classique » ; querelles qui ont pour but de déterminer laquelle convient le mieux à l'Enseignement technique. Nous retrouvons là, amplifiée, la différence des « formes de culture » que nous avions soulignée en comparant sections de techniciens et sections d'ingénieurs dans les mêmes établissements.

- 170 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

LE TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

La différence de classe, arbitraire pour l'enseignement, justifie ensuite la différence de fonctions dans l'entreprise. Leur absence réelle de culture scientifique interdit souvent aux techniciens une coopération fructueuse avec l'ingénieur. Elle les cantonne parfois à un petit secteur extrêmement spécialisé, consistant dans l'appli- cation des mêmes calculs à longueur d'année. Dans ce cas, le technicien n'est que l'O.S. de l'ingénieur aussi ignorant et désoli- darisé de la marche d'ensemble de la fabrication que peut l'être l'O.S. à la chaîne dans l'atelier.

Cependant, même dans ce cas extrême, il demeure aux yeux des ouvriers, « de l'autre côté », celui où l'on travaille dans le bureau d'études, où l'on ne se salit pas les mains, et où l'on prépare le travail avec l'ingénieur. Lui-même se sent du côté des cadres par la blouse blanche et par le bureau, et par les facilités que lui réservent les règlements intérieurs des entreprises. Il ne donne pas, mais transmet des ordres et joue de ce fait un rôle apparent dans la marche de l'entreprise. Il a une fonction de commandement qui l'apparente aux cadres. Le technicien a aussi une respon- sabilité dans l'exécution de son travail, si limité soit-il, alors que l'ouvrier n'en a aucune : qu'il soit travailleur manuel ou employé de bureau, il exécute passivement le travail commandé. Il est le seul qui soit totalement dépendant sur le plan professionnel à l'égard de son patron, le seul sans pouvoir réel, aucune décision ne dépendant de lui, alors qu'il en va différemment pour les autres catégories sociales : un artisan, un cultivateur, un profes- seur, ont une responsabilité dans leur travail, une latitude dans son exécution que l'ouvrier n'a jamais, mais que le technicien lui, a, plus ou moins, selon son poste.

Dans ce métier aux possibilités d'avenir, aux responsabilités dans le travail, inégales, non seulement compte la compétence sanctionnée par le diplôme, mais aussi les relations, les possibilités de déplacement, d'attente, très liées aux possibilités financières de la famille, facteur important de réussite ou d'échec.

Le jeune technicien d'origine bourgeoise voit ses débuts profes- sionnels facilités par ses relations familiales : il a plus de chances d'obtenir une « bonne » place où il aura des responsabilités, un salaire satisfaisant et des espoirs de promotion. Au cas où il ne trouve pas immédiatement un tel emploi, il lui est loisible de patienter un peu, de faire des essais ne l'engageant pas.

Le technicien d'origine ouvrière, lui, doit travailler dès l'obten- tion de son diplôme, ne pouvant demeurer plus longtemps à la charge de ses parents. Il doit trouver seulsa place, car aucune aide n'est à attendre de son milieu familial dépourvu de relations susceptibles de l'aider, et doit souvent prendre le premier emploi qui se présente, quel qu'il soit.

Il accomplit une promotion personnelle, certes, mais « à la force du poignet ».

En conclusion, quel que soit l'angle sous lequel on l'étudié, on retrouve constamment une ambiguïté dans la situation des techniciens, partiellement responsables et cadres, surtout aux

- 171 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: PLACE DU TECHNICIEN DANS LE MONDE DU TRAVAIL

REINE GOLDSTEIN

yeux des ouvriers et partiellement ouvriers et exécutants, pour les ingénieurs. Leur formation et la situation en porte à faux de leur métier en font des déclassés, ni assez nombreux ni assez conscients d'être à la fois semblables et différents des autres, pour devenir une classe.

Ils ont cependant conservé de leurs milieux familiaux des traits dont ils pourraient faire bénéficier les deux blocs en pré- sence. Favorisant le dialogue par leur compétence technique qui reprendrait alors sa vraie place, à mi-chemin entre l'ouvrier et l'ingénieur, ils feraient comprendre aux travailleurs les nécessités de l'entreprise et à la direction la justesse des aspirations des travailleurs ; les techniciens issus du milieu populaire feraient bénéficier le monde bourgeois, dans ce dialogue, des valeurs ouvrières de solidarité, de sens de l'humain et d'attention à chacun héritées avec le goût du travail bien fait, les uns et les autres concourant ainsi à la promotion humaine de l'ensemble des travailleurs tout en tenant compte des besoins de l'économie.

Il n'est peut-être pas utopique de penser que comme la classe ouvrière a modelé la société en étendant de proche en proche ses revendications et ses conquêtes sociales à l'ensemble des salariés et même au-delà, tout en adoptant, parallèlement, des modes de vie et des idéaux culturels de la bourgeoisie, le technicien, à son tour, jouera, s'il le veut, un rôle capital dans l'élaboration d'un nouveau type de travailleur (1).

C.N.R.S., Paris.

(1) Mais pour qu'une telle mutation s'accomplisse, il est nécessaire, non seulement que les techniciens ne soient plus une infime minorité ignorée et s'ignorant, mais aussi que la démocratisation de l'enseignement s'effectue réellement et s'accompagne de la revalorisation, prévue, de l'enseignement technique.

- 172 -

This content downloaded from 195.78.108.147 on Thu, 12 Jun 2014 17:11:28 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions