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| LE COUVERT BORÉAL | ÉTÉ 2010 7 DOSSIER PLANTES MÉDICINALES Renouer avec le savoir traditionnel autochtone Une rencontre avec Louisa Papatie Marie-Eve Sigouin aviez-vous que la gomme de sapin calme la toux? Que l’achillée millefeuille peut combattre la fièvre ou aider à atténuer un mal de dents? Que le maïanthème du Canada est bon pour les maladies du cœur? Louisa Papatie, elle, le sait. Les connaissances des autochtones sur les plantes médicinales se transmettent de bouche à oreille au fil des générations. Il est d’ailleurs de plus en plus reconnu que ces savoirs sont médicalement fondés et sont parfois à la base de la médecine occidentale. Louisa Papatie a décidé de renouer avec les savoirs ancestraux il y a maintenant dix ans. L’aventure a commencé en 2001, dans le cadre du projet de doctorat de Marie Saint-Arnaud (UQAM) qui visait à définir les bases de ce que pourrait être une foresterie dite « autochtone ». Mené en collaboration avec plusieurs membres de la communauté des Anicinapek (Algonquins) de Kitcisakik, ce projet a fait émerger de nombreuses initiatives communautaires parallèles. C’est ainsi que Louisa a participé à la réalisation d’un répertoire des plantes médicinales. Pour répertorier les plantes faisant partie de la pharmacopée traditionnelle des Anicinapek, Louisa a rencontré les aînés de sa communauté. « Cela n’a pas été facile puisqu’il y en a qui préféraient garder leurs secrets », souligne-t-elle. Toutefois, certains ont collaboré, et sa belle- mère, en particulier, lui en a appris beaucoup. Au fil de ses rencontres, elle a été en mesure de répertorier de nombreuses espèces utilisées par les membres de la communauté. Thé du Labrador, menthe, thé des bois, mélèze, pissenlit, fraise, bleuet..., Louisa m’en dresse une liste impressionnante, mais garde pour elle les détails de la posologie. C’est que les Anicinapek ont tiré des leçons des vols de propriété intellectuelle perpétrés par des compagnies pharmaceutiques à l’endroit d’autres peuples autochtones de la planète. Les plantes dont Louisa me parle n’ont pas que des propriétés médicinales. Certaines ont également des fonctions spirituelles, comme le cèdre, dont la vapeur provenant d’un rameau bouilli est réputée être purificatrice. Le cèdre est d’ailleurs l’essence préférée de Louisa, mais de façon générale, elle les aime toutes. « J’aime toutes les plantes », me dit-elle. Sans avoir de propriété médicinale particulière, de nombreuses plantes comestibles sont très prisées par la communauté. Les petits fruits, bien entendu, comme les bleuets, les framboises et les canneberges, mais aussi « les champignons orange qu’on cueille au mois d’août ». (Louisa ne connaissait pas le nom en français, mais j’ai pris pour acquis qu’il s’agissait de la chanterelle et non de l’amanite tue-mouches, qui est toxique.) Lorsque je lui demande si elle garde un souvenir d’un moment où quelqu’un lui en a appris sur les plantes, elle me dit que non, elle ne se souvient pas. Puis, elle plisse les yeux, se J’ai rencontré Louisa Papatie pour la première fois alors qu’elle tenait un kiosque d’information sur les plantes médicinales lors d’un colloque à Val-d’Or. Étalés sur une table, de petits piluliers contenant des échantillons de plantes et d’arbres. Louisa me sourit et me demande si je connais les plantes médicinales. Hum, à vrai dire… pas vraiment! Mais j’aimerais bien en apprendre davantage. Louisa Papatie s’implique dans de nombreux projets dans sa communauté. Elle souhaite laisser un héritage à ses petits-enfants

PLANTES MÉDICINALES Renouer avec le savoir … · Les connaissances des autochtones sur les plantes médicinales se transmettent de bouche ... bientôt un projet de dictionnaire

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Page 1: PLANTES MÉDICINALES Renouer avec le savoir … · Les connaissances des autochtones sur les plantes médicinales se transmettent de bouche ... bientôt un projet de dictionnaire

| LE COUVERT BORÉAL | ÉTÉ 2010 7

DOSSIER

PLANTES MÉDICINALESRenouer avec le savoir traditionnel autochtoneUne rencontre avec Louisa Papatie

Marie-Eve Sigouin

aviez-vous que la gomme de sapin calme la toux? Que l’achillée millefeuille peut combattre la fièvre ou aider à atténuer un mal de dents? Que le maïanthème du Canada est bon pour les maladies

du cœur? Louisa Papatie, elle, le sait.

Les connaissances des autochtones sur les plantes médicinales se transmettent de bouche à oreille au fil des générations. Il est d’ailleurs de plus en plus reconnu que ces savoirs sont médicalement fondés et sont parfois à la base de la médecine occidentale.

Louisa Papatie a décidé de renouer avec les savoirs ancestraux il y a maintenant dix ans. L’aventure a commencé en 2001, dans le cadre du projet de doctorat de Marie Saint-Arnaud (UQAM) qui visait à définir les bases de ce que pourrait être une foresterie dite « autochtone ». Mené en collaboration avec plusieurs membres de la communauté des Anicinapek (Algonquins) de Kitcisakik, ce projet a fait émerger de nombreuses initiatives communautaires parallèles. C’est ainsi que Louisa a participé à la réalisation d’un répertoire des plantes médicinales.

Pour répertorier les plantes faisant partie de la pharmacopée traditionnelle des Anicinapek, Louisa a rencontré les aînés de sa communauté. « Cela n’a pas été facile puisqu’il y en a qui préféraient garder leurs secrets », souligne-t-elle. Toutefois,

certains ont collaboré, et sa belle-mère, en particulier, lui en a appris beaucoup. Au fil de ses rencontres, elle a été en mesure de répertorier de nombreuses espèces utilisées par les membres de la communauté. Thé du Labrador, menthe, thé des bois, mélèze, pissenlit, fraise, bleuet..., Louisa m’en dresse une liste impressionnante, mais garde pour elle les détails de la posologie. C’est que les Anicinapek ont tiré des leçons des vols de propriété intellectuelle perpétrés par des compagnies pharmaceutiques à l’endroit d’autres peuples autochtones de la planète.

Les plantes dont Louisa me parle n’ont pas que des propriétés médicinales. Certaines ont également des fonctions spirituelles, comme le cèdre, dont la vapeur provenant d’un rameau bouilli est réputée être purificatrice. Le cèdre

est d’ailleurs l’essence préférée de Louisa, mais de façon générale, elle les aime toutes. « J’aime toutes les plantes », me dit-elle.

Sans avoir de propriété médicinale particulière, de nombreuses plantes comestibles sont très prisées par la communauté. Les petits fruits, bien entendu, comme les bleuets, les framboises et les canneberges, mais aussi « les champignons orange qu’on cueille au mois d’août ». (Louisa ne connaissait pas le nom en français, mais j’ai pris pour acquis qu’il s’agissait de la chanterelle et non de l’amanite tue-mouches, qui est toxique.)

Lorsque je lui demande si elle garde un souvenir d’un moment où quelqu’un lui en a appris sur les plantes, elle me dit que non, elle ne se souvient pas. Puis, elle plisse les yeux, se

J’ai rencontré Louisa Papatie pour la première fois alors qu’elle tenait un kiosque d’information sur les plantes médicinales lors d’un colloque à Val-d’Or. Étalés sur une table, de petits piluliers contenant des échantillons de plantes et d’arbres. Louisa me sourit et me demande si je connais les plantes médicinales. Hum, à vrai dire… pas vraiment! Mais j’aimerais bien en apprendre davantage.

Louisa Papatie s’implique dans de nombreux projets dans sa communauté. Elle souhaite laisser un héritage à ses petits-enfants

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recueille un moment et me dit que sa mère lui a dit un jour que l’if était bon pour guérir plein de choses. Cette réponse est intéressante quand on pense que, maintenant, on extrait du taxol de cet arbuste pour faire des médicaments pour combattre le cancer.

Quand je lui ai demandé si elle pensait que la foresterie, telle que pratiquée actuellement, était une menace pour les plantes médicinales, elle m’a répondu : « Les coupes à blanc ne sont pas une bonne chose. Après, on plante juste deux ou trois sortes d’arbres, ça n’a pas d’allure! Ça va faire une drôle de forêt et un drôle de sous-bois. » Elle craint que la foresterie actuelle remplace les forêts mixtes par des forêts résineuses ou feuillues pures. Or, en raison de leur grande biodiversité, les forêts mixtes ont la cote auprès des Anicinapek de Kitcisakik. Louisa

me confie d’ailleurs que, pour elle, les coupes partielles « sont pas mal moins pires ».

Louisa est très impliquée dans sa communauté. Elle a collaboré à un projet portant sur la sauvegarde de l’esturgeon jaune ce printemps.

Elle s’implique aussi dans un projet de suivi de la qualité de l’habitat de l’orignal. Elle amorcera bientôt un projet de dictionnaire algonquin-français. Ce projet lui tient particulièrement à cœur : « parce que je veux laisser un héritage », me dit-elle. La dame a quatre enfants et onze petits-enfants. Elle veut connaître ses arrière-petits-enfants et espère ainsi devenir très vieille, « même avec des bâtons pour marcher, s’il le faut », ajoute-t-elle en riant. Elle espère avoir la chance de transmettre son savoir à ses petits-enfants, qui pourront le transmettre à leur tour.

Oui, elle est inquiète pour sa culture. Elle croit que « les jeunes devraient s’intéresser plus aux traditions… pas juste au hockey et aux jeux vidéo! » Elle remarque que, de façon générale, les gens sont de plus en plus déconnectés de la nature, même si elle est présente tout autour. « Ce n’est pas tout le monde dans la communauté qui connaît les plantes médicinales. » Cette réflexion m’a fait prendre conscience de la fragilité des traditions orales où les savoirs sont menacés de disparition lorsque les bouches parlent moins ou que les oreilles n’écoutent plus...

Malgré tout, un intérêt à remettre en valeur les savoirs traditionnels semble gagner la communauté de Kitcisakik. De plus en plus de gens, comme Louisa, s’impliquent dans ce retour aux sources.

Le cèdre est utilisé non seulement pour ses nombreuses propriétés médicinales, mais également dans des activités spirituelles

Bien que le fruit soit de loin la partie la plus succulente de la plante, le rhizome du fraisier sauvage et les feuilles sont reconnus pour leurs propriétés diurétiques et astringentes

La résine de mélèze peut être transformée en pommade, en huile essentielle ou en baume pour traiter divers problèmes de santé