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ÉDITORIAL / EDITORIAL Plasmodium falciparum « toutankhamonensis » J.-F. Pays Reçu le 9 mars 2010 ; accepté le 9 mars 2010 © Société de pathologie exotique et Springer-Verlag France 2010 Alexandre le Grand, les empereurs Titus et Othon II, Alaric, Olivier Cromwell, les papes Grégoire V, Léon X, Sixte V, Urbain VII, Alexandre VI, Borgia, Dante Alighieri, Byron, Le Caravage, Fausto CoppiÀ la liste des victimes célè- bres, réelles, présumées ou imaginaires du paludisme, les médias viennent dajouter Toutankhamon sans se poser de questions. Après la presse écrite et télédiffusée, pas moins de deux millions de sites Internet auxquels on peut accéder en tapant dans Google la petite phrase magique : Tut died from malaria, hélas sans point dinterrogation, répercutent et commentent la nouvelle. Les plus scrupuleux dentre eux précisent que le paludisme était combiné à une fracture de jambeet dautres à une maladie des os. Cest un article publié dans JAMA [1] qui est à lorigine de tout ce tapage médiatique amplifié par la conférence de presse de son pre- mier signataire, expert en la matière, le directeur du Conseil suprême des antiquités (égyptiennes). Ses conclusions concernant létat de santé et les causes de la mort du jeune pharaon sont les suivantes : dans le résumé, sous la rubrique « résultats » : « Toutankhamon avait de multiples affectionsAucune dentre elles na pu causer sa mort à elle seule, mais les résultats (que nous avons obtenus) suggèrent quune nécrose avasculaire de los (maladie de Frieberg- Kölher), conjuguée avec le paludisme, est la cause la plus vraisemblable de la mort de Toutankhamon.»; en fin darticle, juste avant la phrase de conclusion : « Certaines (des affections de Toutankhamon), en se cumulant, ont pu donner naissance à un syndrome à la fois inflammatoire et immunodépressif débilitant. Il (Toutankhamon) doit être vu comme un roi jeune mais fragileLes résultats (des examens pratiqués) suggèrent quune fracture de sa jambe gauche, peut-être due à une chute, a pu se transformer en affection mortelle lorsquune infection palustre est survenue. ». Anomalies physiques Les anomalies physiques et les maladies auxquelles il est fait allusion sont les suivantes : fente palatine, cyphoscoliose et fracture épiphysaire distale du fémur gauche, toutes trois connues depuis le scanner de 2005 et les radiographies de 1968 et de 1978. Les examens pratiqués en 20082009 ont permis en plus de mettre en évidence un pied-bot varus équin gauche avec absence de la deuxième phalange du deuxième orteil et maladie de Freiberg-Kölher évolutive touchant les deuxième et troisième métatarsiens ainsi que la présence, dans les tissus examinés, de fragments dADN de Plasmo- dium falciparum détectés par amplification génomique (PCR). Que peut-on dire de ces différentes affections ? Il faut souligner tout dabord que toutes les maladies, les malformations ou les anomalies osseuses listées sont indé- pendantes les unes des autres et ne se combinent pas entre elles pour faire de Toutankhamon, contrairement à ce que les conclusions précitées laissent entendre, un adolescent fragile, incapable de se défendre contre les infections. On ne voit pas non plus a priori par quel mécanisme physiopa- thologique elles auraient donné naissance à un syndrome débilitant inflammatoire et immunodépressif ou se seraient conjuguées pour influer sur la survenue, lévolution et la gravité dun accès de paludisme, seule maladie identifiée potentiellement mortelle. La présence dune fente palatine incomplète de taille modérée, sans aucune autre anomalie faciale, chez Toutank- hamon comme chez son père putatif Akhénaton, na eu aucune incidence sur la santé de ladolescent. Tout au plus, lui a-t-elle posé quelques petits problèmes lors de son alimentation. J.-F. Pays (*) Centre médical de linstitut Pasteur, CHU NeckerEnfants-Malades, 156, rue de Vaugirard, F-75015 Paris, France e-mail : [email protected] Université Nationale du Nordeste, 727 Av. Las Heras 3500 Resistencia-Chaco, Argentina Bull. Soc. Pathol. Exot. (2010) 103:65-68 DOI 10.1007/s13149-010-0054-z

Plasmodium falciparum « toutankhamonensis »

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ÉDITORIAL / EDITORIAL

Plasmodium falciparum « toutankhamonensis »

J.-F. Pays

Reçu le 9 mars 2010 ; accepté le 9 mars 2010© Société de pathologie exotique et Springer-Verlag France 2010

Alexandre le Grand, les empereurs Titus et Othon II, Alaric,Olivier Cromwell, les papes Grégoire V, Léon X, Sixte V,Urbain VII, Alexandre VI, Borgia, Dante Alighieri, Byron,Le Caravage, Fausto Coppi… À la liste des victimes célè-bres, réelles, présumées ou imaginaires du paludisme, lesmédias viennent d’ajouter Toutankhamon sans se poser dequestions. Après la presse écrite et télédiffusée, pas moinsde deux millions de sites Internet auxquels on peut accéderen tapant dans Google la petite phrase magique : Tut diedfrom malaria, hélas sans point d’interrogation, répercutentet commentent la nouvelle. Les plus scrupuleux d’entreeux précisent que le paludisme était combiné à une fracturede jambe… et d’autres à une maladie des os. C’est un articlepublié dans JAMA [1] qui est à l’origine de tout ce tapagemédiatique amplifié par la conférence de presse de son pre-mier signataire, expert en la matière, le directeur du Conseilsuprême des antiquités (égyptiennes). Ses conclusionsconcernant l’état de santé et les causes de la mort du jeunepharaon sont les suivantes :

– dans le résumé, sous la rubrique « résultats » :« Toutankhamon avait de multiples affections… Aucuned’entre elles n’a pu causer sa mort à elle seule, mais lesrésultats (que nous avons obtenus) suggèrent qu’unenécrose avasculaire de l’os (maladie de Frieberg-Kölher), conjuguée avec le paludisme, est la cause laplus vraisemblable de la mort de Toutankhamon. » ;

– en fin d’article, juste avant la phrase de conclusion :« Certaines (des affections de Toutankhamon), en secumulant, ont pu donner naissance à un syndrome àla fois inflammatoire et immunodépressif débilitant. Il(Toutankhamon) doit être vu comme un roi jeune mais

fragile… Les résultats (des examens pratiqués) suggèrentqu’une fracture de sa jambe gauche, peut-être due à unechute, a pu se transformer en affection mortellelorsqu’une infection palustre est survenue. ».

Anomalies physiques

Les anomalies physiques et les maladies auxquelles il est faitallusion sont les suivantes : fente palatine, cyphoscoliose etfracture épiphysaire distale du fémur gauche, toutes troisconnues depuis le scanner de 2005 et les radiographies de1968 et de 1978. Les examens pratiqués en 2008–2009 ontpermis en plus de mettre en évidence un pied-bot varus équingauche avec absence de la deuxième phalange du deuxièmeorteil et maladie de Freiberg-Kölher évolutive touchant lesdeuxième et troisième métatarsiens ainsi que la présence,dans les tissus examinés, de fragments d’ADN de Plasmo-dium falciparum détectés par amplification génomique (PCR).

Que peut-on dire de ces différentes affections ?

Il faut souligner tout d’abord que toutes les maladies, lesmalformations ou les anomalies osseuses listées sont indé-pendantes les unes des autres et ne se combinent pas entreelles pour faire de Toutankhamon, contrairement à ce queles conclusions précitées laissent entendre, un adolescentfragile, incapable de se défendre contre les infections. Onne voit pas non plus a priori par quel mécanisme physiopa-thologique elles auraient donné naissance à un syndromedébilitant inflammatoire et immunodépressif ou se seraientconjuguées pour influer sur la survenue, l’évolution et lagravité d’un accès de paludisme, seule maladie identifiéepotentiellement mortelle.

La présence d’une fente palatine incomplète de taillemodérée, sans aucune autre anomalie faciale, chez Toutank-hamon comme chez son père putatif Akhénaton, n’a euaucune incidence sur la santé de l’adolescent. Tout au plus,lui a-t-elle posé quelques petits problèmes lors de sonalimentation.

J.-F. Pays (*)Centre médical de l’institut Pasteur,CHU Necker–Enfants-Malades,156, rue de Vaugirard, F-75015 Paris,Francee-mail : [email protected]

Université Nationale du Nordeste,727 Av. Las Heras3500 Resistencia-Chaco, Argentina

Bull. Soc. Pathol. Exot. (2010) 103:65-68DOI 10.1007/s13149-010-0054-z

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La cyphoscoliose signalée n’est pas une scoliose au sensmédical du terme, puisqu’il n’y a ni rotation ni déformationdes corps vertébraux. Elle n’a donc pas à figurer dans la liste.De l’avis unanime des experts, il s’agit d’une courbure de lacolonne vertébrale due probablement à la façon dont lesembaumeurs ont positionné la momie. Scolioses ou cyphos-colioses sont également signalées, sans autre précision, chezsix des dix momies censées être des proches parents deToutankhamon et chez trois des quatre momies appartenantà un groupe dit témoin !

Il est tout à fait étonnant que le premier scanner, avec ses17 000 clichés et sa double équipe d’experts, n’ait pas per-mis de diagnostiquer le pied-bot varus équin, l’absence dedeuxième phalange au niveau du deuxième orteil et la mala-die de Frieberg-Köhler qui affectaient le pied gauche dupharaon. Ostéochondrose (ostéonécrose aseptique d’originevasculaire) d’étiologie inconnue touchant le deuxième etparfois le troisième métatarsien, sans autre anomalie osseuseou vasculaire, cette maladie n’a pas de retentissement surl’état général de celui qui en est atteint. Elle peut être inva-lidante et douloureuse, mais le pronostic vital n’est jamais enjeu. Sans traitement, l’évolution se fait généralement surdeux ou trois ans vers une guérison spontanée ou avec desséquelles (arthrose métatarsophalangienne). Paradoxale-ment, cette maladie est connue pour toucher essentiellementles filles (huit à neuf cas sur dix) entre 10 et 18 ans. Tous lesexamens biologiques sont normaux. Des cas asymptomati-ques et des cas chez les adultes ont été rapportés, maisaucun, du moins à notre connaissance, associé à un pied-bot.

Cette dernière malformation est relativement courante(1/800 naissances). On la retrouve chez Aménophis III, vrai-semblablement grand-père de Toutankhamon. Il existe uneprédisposition familiale, mais le pied-bot n’est pas hérédi-taire au sens propre du terme.

L’hypophalangisme (et non l’oligodactylie qui estl’absence d’un doigt ou d’un orteil) du pied gauche (et nondroit comme il est également écrit par erreur en fin d’article),survenant sur un pied normal, est plus une curiosité qu’unvéritable handicap. Il se traduit simplement par un orteil ouun doigt plus court. Par contre, il est tout à fait vraisemblableque l’absence de la deuxième phalange du II, combinée àl’ostéochondrose de la tête du métatarsien du même doigtet au pied-bot varus équin du même pied — contrairementà ce qui est écrit en fin d’article qui localise par erreurl’ostéochondrose, au pied droit — ait contribué à majorerles problèmes de statique et de marche du jeune roi.

La fracture distale au niveau de la plaque épiphysaire dufémur gauche, connue depuis les radios de 1968, présente uncaractère particulier : elle contient deux couches de matérield’embaumement. Pour certains experts, elle est très vraisem-blablement d’origine traumatique, survenue du vivant dupharaon, mais ils n’excluent pas la possibilité d’un accidentlors de l’embaumement. Pour d’autres, au contraire, en

l’absence d’hématome ou d’hémorragie visible au scannerde 2005, la fracture peut n’être survenue que post-mortem,lors de l’extraction de la momie de son sarcophage parHoward Carter, à l’origine de bien d’autres dégâts plusimportants. L’équipe de Carter aurait introduit le matérield’embaumement dans la fracture en manipulant la momie.C’est à cette fracture, pour laquelle le scanner de 2008–2009n’a apporté aucun nouvel élément permettant de trancher,que les auteurs font appel en fin d’article, comme ils faisaientappel en début d’article à l’ostéochondrose, pour avoircréé les conditions de survenue d’une forme mortelle depaludisme ou pour s’être transformée en affection mortelleen se combinant avec le paludisme, sans expliciter, dans l’uncomme dans l’autre cas, le mécanisme physiopathologiquede cette étrange complicité.

Paludisme

Les premières recherches de paléoparasitologie concernantle paludisme dans l’Égypte ancienne ont été faites, en1994, sur 18 momies provenant des environs de Louxor(Gebelein), de Gourma en Haute-Égypte et de Nubie(Argin Nor) par une technique d’immunochromatographiesur bandelette mettant en évidence une protéine riche enhistidine, la PfHR2. Sept des momies testées à l’époque serévélèrent positives (39 %). Une deuxième enquête utilisantla même technique, commercialisée sous le nom de Para-sight® pour le diagnostic rapide des accès de paludisme,fut entreprise six ans plus tard par un laboratoire chiliensur les prélèvements d’un lot de 50 momies conservées aumusée anthropologique et ethnographique de Turin (collec-tion Marro), provenant des sites de Gebelein et d’Assiout enHaute-Égypte et datant de l’époque prédynastique, avec desrésultats pratiquement identiques : 40 % de positivités, asso-ciées dans 92 % des cas à une hyperostose porotique consi-dérée en paléopathologie comme révélatrice d’une anémiechronique quelle qu’en soit la cause : paludisme, maisaussi thalassémie, drépanocytose ou beaucoup plus simple-ment malnutrition.

C’est en 2001 que Sallaers et Gomzi réussirent les pre-miers à mettre en évidence par PCR de l’ADN ancien deP. falciparum dans les os d’un enfant âgé de deux à troisans, provenant d’un cimetière des environs de Lugano, enItalie, et datant du cinquième siècle après (ap.) J.-C. : maisc’est Nerlich et ses collaborateurs qui, en amplifiant uneséquence de 134 pb du gène pfcrt de P. falciparum, furentles premiers à faire de même chez deux momies égyptiennesdatant de 1500 à 500 avant (av.) J.-C. Sur les 91 qui avaientété testées, sept provenaient du site d’Abydos (3500–2800av. J.-C), 42 de Thèbes-Ouest (2050–1850 av. J.-C) et 42également de Thèbes-Ouest, mais datant de 2050–500 av.J.-C. Le taux de positivité n’était donc que de 2,2 %.

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Ce résultat, très inférieur à ce qui était attendu, suite àceux obtenus avec le Parasight®, ne manqua pas de remettretotalement en question la spécificité des techniques immuno-chromatographiques dans la recherche des infections palus-tres anciennes.

C’est à une triple PCR (amplification des gènes STEVOR,AMA1 et MPS1 de P. falciparum) que l’on a fait appel pourrechercher des fragments d’ADN de P. falciparum dans lesbiopsies pratiquées sur la momie de Toutankhamon et sur 14autres supposées appartenir à sa parenté proche ou lointaine.Trois d’entre elles, ainsi que celle de Toutankhamon, se sontrévélées positives avec présence d’un clone jusqu’à présentinconnu détecté grâce au polymorphisme du gène MPS1.Suivant qu’on prend ou non en compte deux des momiestestées qui sont des fœtus morts à cinq et sept mois et quiprésentent donc, vis-à-vis du paludisme, un profil épidémio-logique bien particulier, le taux d’infection palustre de lafamille royale thoutmoside est compris entre 27 et 31 %.Ce sont des chiffres élevés, pas si éloignés que cela deceux obtenus en immunochromatographie sur bandelette. Ilest regrettable que les PCR effectuées sur Toutankhamon etsa parentèle n’aient pas été complétées d’une recherche de laPfHRP2, ce qui aurait pu être fait en quelques minutes etn’aurait absolument rien coûté.

Le paludisme à P. falciparum semble donc avoir été bienimplanté dans la vallée du Nil il y a 3 300 ans, au moinshuit siècles avant qu’Hippocrate de Cos ne donne sesfameuses descriptions cliniques des fièvres intermittentes.Cependant, pratiquement rien dans la littérature égyptienneancienne ne l’évoque, si ce n’est peut-être cette mystérieusemaladie envoyée chaque année sous forme d’épidémie, lorsde la crue du fleuve, par la terrible déesse Seckhmet etreprésentée par un hiéroglyphe montrant un corps saignantde la tête et gisant à terre, sous la pluie. Le mot AAT quifigure sur une inscription dans le temple de Denderah dési-gnerait, pour certains égyptologues, le paludisme. Il est,enfin, fait mention dans le papyrus Ebers 855h de soufflesmorbides qui pénètrent dans les conduits du corps… etdéveloppent une cuisson dans toute la chair… On saitaussi qu’il y avait beaucoup de moustiques, mais cinq etnon 13 siècles av. J.-C., grâce à Hérodote d’Halicarnassequi nous dit dans le livre II, chapitre 95 de ses Histoires,que les Égyptiens passent la nuit sur de hautes tours pouréviter de se faire piquer ou emploient des filets à maillestrès fines pour se protéger des moustiques durant la nuit etpêcher durant le jour, comme on le fait toujours aujourd’-hui, dans certaines régions d’Afrique, avec les moustiquai-res distribuées par Roll Back Malaria ! Deux siècles avantThoutankamon, l’utilisation d’une huile végétale commerépulsif est signalée dans un papyrus.

Quant aux espèces présentes, on ne peut que se poserdes questions et chercher des éléments de réponse dansce que l’on sait de l’épidémiologie du paludisme en

Égypte, durant ces 100 dernières années. An. sergenti, An.pharoensis étaient-ils présents ? An. gambiae s.l. menaçait-ildéjà d’envahir la Haute-Égypte, comme il devait le faireentre mai 1942 et février 1945, faisant passer la mortalitémensuelle régionale de 2,5 à 34,1 pour 1 000 et laissantderrière lui 150 000 cadavres en souvenir de sa visite ?

Savoir que le paludisme à P. falciparum sévissait enÉgypte au temps de Toutankhamon grâce à quatre ampli-fications génomiques réussies à partir de prélèvementseffectués sur 15 momies est une chose, connaître les carac-téristiques épidémiologiques, physiopathologiques et clini-ques de ce paludisme en est une autre et pose desproblèmes qui n’ont pas aujourd’hui de solution. Nousn’avons en effet aucun moyen de nous faire une idée de larépartition géographique des éventuels foyers de malaria etde leur importance respective le long du Nil au XIV

e siècle av.J.-C. Nous ne savons pas non plus si P. falciparum étaitassocié à P. vivax, et nous ignorons quel était le mode épidé-miologique de ce fléau, probablement mixte, endémoépidé-mique, de type sahélien–subdésertique, avec un degré destabilité intermédiaire en raison de la possibilité pour certai-nes espèces d’anophèles d’être actives toute l’année, leurslarves passant la saison sèche dans les flaques d’eau enso-leillées laissées par les crues du fleuve. Mais ce ne sont làque des suppositions. Quant au delta, c’est une région maré-cageuse, propice à la survie des anophèles durant toutel’année, ce qui explique que le paludisme y a toujours étéplus fréquent qu’en Haute-Égypte, du moins pendant lesdécennies pour lesquelles nous avons des informations.En raison de toutes ces inconnues, il est donc impossiblede se faire une idée de ce que devait être l’état d’immunitéde la population vis-à-vis de P. falciparum, et par-làmême de la morbidité, de la mortalité et donc de la signifi-cation exacte à donner à une PCR positive chez une momievieille de 3 300 ans.

Présence de plasmodium dans le sang ne signifie pasautomatiquement, en effet, paludisme clinique et, à plusforte raison, paludisme mortel. Les cas de parasitémiesasymptomatiques ou paucisymptomatiques sont de règleen zone d’endémie. Les auteurs de ce travail sont les pre-miers à le rappeler pour Yuya et Thuya, très probablementarrière-grands-parents maternels de Toutankhamon, mais,paradoxalement, leur prudence s’amenuise singulièrementlorsqu’il s’agit du pharaon lui-même. Le fait qu’au moinsquatre momies sur 15, ou sur 13 si on ne tient pas comptedes deux fœtus, aient présenté une parasitémie au moment deleur mort, et que deux d’entre elles (Yuya et Thuya) étaientdes personnes décédées à un âge relativement avancé pourl’époque (> 50 ans), comme le font très justement remarquerles auteurs, est plutôt en faveur d’un état d’équilibre hôte/parasite et, a contrario, plutôt en défaveur d’une formeaiguë mortelle de paludisme chez Toutankhamon qui avaitquand même 19 ans lors de son décès.

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Il serait bien entendu souhaitable de poursuivre la recher-che d’ADN parasitaire sur d’autres momies de la mêmeépoque pour se faire une idée plus précise de la prévalencedu paludisme, en Égypte, avant l’arrivée au pouvoir desRamessides et pour confirmer les premiers résultats obtenus.Malgré les précautions prises (triple PCR, multiplication desbiopsies, répétitions des amplifications dans des laboratoiresdifférents, par des personnes différentes, etc.), de mauvaisessurprises sont toujours possibles. Tous ceux qui s’intéressentau sujet savent combien il est difficile de travailler sur del’ADN ancien.

Toutankhamon était un jeune homme qui avait sans aucundoute du mal à marcher, et pour lequel la station deboutdevait être pénible, du moins durant les dernières annéesde son règne, comme en témoigne le caractère évolutif del’ostéochondrose des métatarsiens affectant son pied-botgauche. Par contre, dans ce qui est rapporté par ceux quiont examiné sa momie en 2005, rien ne permet de direqu’il était un adolescent maladif. Bien au contraire, tous lesexperts qui se sont penchés sur les 17 000 clichés du scanner,sans pouvoir bien entendu examiner les organes internesretirés du corps lors de l’embaumement, s’accordent à direque le jeune pharaon était un garçon svelte, en bonne santé,bien nourri et sans aucun signe de maladies infectieusessurvenues dans l’enfance.

Si on entérine sans restriction la validité des résultats desPCR, il est certain que Toutankhamon a été piqué au moinsune, mais plus probablement de nombreuses fois, pardes moustiques porteurs de sporozoïtes de P. falciparum.Quelles manifestions cliniques a-t-il développées ? Quelsrapports a-t-il entretenus avec ce parasite redoutable capablede se faire très discret, mais capable aussi de tuer sans avoir

besoin d’une fracture de jambe et, à plus forte raison, d’unebanale ostéochondrose. Nul ne peut le dire.

Si le jeune roi n’a pas été assassiné par un coup porté à latête, hypothèse qui avait été déjà réfutée à plusieurs reprises,rien ne prouve qu’il n’ait pas été empoisonné ou étouffé, cequi laisse encore pas mal de possibilités aux auteurs deromans historiques. On ne peut que s’interroger sur lesraisons pour lesquelles les signataires de cette enquête, parailleurs très intéressante et bien menée, se sont laissés aller àformuler, pour la partie paléopathologie, deux conclusionsdifférentes, aussi peu satisfaisantes l’une que l’autre, dontils ne pouvaient ignorer que les médias s’empareraientpour les interpréter et les simplifier jusqu’à la caricature.Aucun élément nouveau n’ayant été apporté en 2008–2009concernant la cause et la date de survenue de la fracture dejambe, on en reste, dans ce domaine, à des spéculations. Enadmettant même qu’elle soit survenue du vivant du pharaon,rien ne permet de dire qu’elle s’est compliquée d’une embo-lie graisseuse, d’une surinfection, voire d’une gangrène,comme certains l’ont prétendu et/ou si elle s’est « combinée »à une crise de paludisme, comme on le prétend aujourd’hui,pour « embarquer », au sens littéral du terme, Toutankhamonvers ces rivages lointains dont le Livre des morts dit aimer lanuit et le silence.

Conflit d’intérêt : aucun.

Référence

1. Hawass Z, Gad YZ, Ismail S, et al (2010) Ancestry and pathologyin King Tutankhamun’s family. JAMA 303: 638–47

68 Bull. Soc. Pathol. Exot. (2010) 103:65-68